Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Posts Tagged ‘narcissisme’

Photo, photo, photo…

Posted by Ysengrimus sur 21 janvier 2023

photographe-de-rue

Photo, photo, photo…

Toutes ces mirifiques photos
D’un si douloureux monde en crise
Nous crient, nous susurrent, nous disent
Le laid, le grand, le toc, le beau.

Cette langoureuse jouissance
Cernant les pourtours de l’image
C’est fou, c’est vrai, c’est faux, c’est sage…
Une bien circonspecte imprudence.

On veut tout capturer, tout voir:
Villages, volcans, naufrages, bateaux.
Et la photo, photo, photo
Ne construit jamais que sa propre gloire.

Tout ce patatras d’appareils
Nous fait froidement miroiter
Je ne sais quelle narcissique beauté
Livide… et à nulle autre pareille.

Et ces pesants capteurs d’époque
Que sont tous ces cadrages de nos ego-photos,
Ils sont classiques, ils sont baroques
Mais ils nous tuent, nous font la peau.

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Pour une compréhension non-narcissique du mythe de Narcisse

Posted by Ysengrimus sur 1 septembre 2021

We watch in reverence as Narcissus is turned to a flower. A flower?
(Genesis, Supper’s ready, album Foxtrot, 1972)

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Narcisse est un personnage mythologique injustement discrédité. Tout le monde en est tributaire mais tout le monde le dénigre. Ce perso est bel et bien mal connu d’être trop connu et, en réalité, la compréhension qu’on a du mythe de Narcisse est totalement inadéquate et largement déformée par des préjugés dont je ne décrirai pas l’origine car cela me mènerait trop loin hors de mon propos. Disciple bien tempéré de la République des Lettres, je me contenterai de signaler et de bien faire sentir le fait que, bon, un grand nombre des acquis intellectuels et émotionnels des mythologies anciennes ont été vicieusement altérés par la vision du monde que dictait, disons, le moyen-âge. Pas besoin de vous faire un dessin, je n’en dirai pas plus sur ce point. D’ailleurs, l’époque moderne, pourtant bien sécularisée et hautement ratiocinante, ne se gêne pas pour continuer de véhiculer les préjugés les plus sommaires sur le mythe de Narcisse. J’ai pas besoin de m’étendre la dessus, sans fin, non plus. Par les temps qui courent, les choses sont assez directes. Narcisse est une insulte et le narcissisme est une perversion. L’ère d’Instagram, plus culpabilisée par sa mondo-niaiserie qu’elle veut bien l’admettre, insuffle sa propre égomanie compulsive dans le pauvre mythe de Narcisse, plutôt que de faire l’effort intellectuel minimal d’en capter la signification fondamentale.

Narcisse, qui était chasseur-cueilleur, rencontre d’abord un certain nombre de problèmes avec quelques personnalités mythologiques aussi mineures que lui. Ces divers personnages ressentent de l’attirance, du béguin, de l’amour peut-être même, à l’égard de Narcisse. Ce dernier ignore leurs avances. Il ne le fait pas par arrogance, raideur ou snobisme, mais plutôt à cause d’une sorte de simplicité d’âme à lui, un petit peu enfantine. Le fait est que Narcisse ne se préoccupe pas d’idylles. Il fait sa petite affaire, sans plus. À ce point-ci de la réflexion, il faut aussi comprendre que Narcisse opère, tout naturellement, dans une normalité bisexuelle. Donc, des hommes l’aiment, des femmes l’aiment et tout ceci se joue et se roucoule en une culture antique passablement égalitaire et non discriminante autour de la question des orientations. Déjà, en partant, il faut avoir cette dimension pansexuelle bien présente à l’esprit pour comprendre les implications profondes (et bien exemptes du vieil hétérosexisme freudien) du mythe de Narcisse. Et alors, je n’entrerai pas dans les détails concernant toutes les personnes qui ont aimé ou désiré Narcisse et lui ont fait, de ce fait, des coups fourrés parce qu’il ne manifestait pas de réciprocité en amour. Le mythe varie sur cette question et il reste que l’ensemble de ces détails interactifs n’est pas nécessairement la portion la plus intéressante du problème posé. J’en demeure certes un peu marri, à me demander pourquoi des gens qui prétendent ressentir de l’amour pour vous vous tirent dans les pattes comme ça, si vous cherchez juste à être vous-même (et ne les aimez donc pas en retour). Que dire, sinon que cette portion de la légende a des assises réalistes sinistrement lourdes. Enfin, passons.

Narcisse est donc un chasseur-cueilleur qui se retrouve seul en forêt. Nouvelle pause. Il est très important, capital même, de comprendre que l’intégralité du drame de Narcisse se vit totalement seul. Cela rend parfaitement inadéquate toute corrélation qu’on chercherait à établir entre le vécu mythique de Narcisse et quelque chose comme une auto-admiration de nature sociale, ou un exhibitionnisme morbide, ou même un estime de soi gentil-gentil. Narcisse est fin seul. Il se fiche de lui-même, comme du reste. Il est tout à son action forestière. Il s’occupe de chasse et de cueillette. Il ne se soucie pas spécialement de sentiments amoureux ou de gestus mondains. Et c’est alors, au moment le plus inattendu, le plus incongru, qu’il se penche sur un lagon limpide et aperçoit quelqu’un, sur la surface ou dans le fond dudit lagon. La majorité des développements sur le mythe, à ce point-ci, affirment que la personne en question est une fille. Enfin, disons, Narcisse prend son reflet pour une fille, c’est-à-dire pour un être à la fois semblable et autre que lui. Pourquoi pas, une fille? J’ai rien contre ça. Je trouve ça, de fait, plutôt intéressant comme développement. Ben oui, pensez-y. Si l’être du lagon est une fille, Narcisse s’en trouve fortement légitimé de ne pas comprendre que c’est là son reflet à lui, lui qui n’en est pas une, de fille. On se suit? L’illusion est plus forte, plus profonde, plus radicale aussi, plus problématique, plus riche et dense… si l’être du lagon sur lequel Narcisse se penche est féminin. Car ce qui se passe surtout ensuite, c’est que Narcisse tombe follement amoureux de l’être se trouvant au fond du lagon, sans comprendre, une seconde, qu’il est en train de contempler sa propre image. On a donc ici une dimension de primitivisme qui porte sur les frémissements d’une âme simple, atavique ou enfantine. C’est quand même incontournable, ce qui se joue ici. Le gars discerne même pas la corrélation entre son ombre et son corps, bondance. Il a pas peur de son ombre, mais c’est tout juste. Narcisse, le mythique Narcisse, ne comprend pas encore la notion de reflet, ni la thèse du reflet, simple ou double. C’est bien que l’amour que Narcisse ressent ici, subitement, est absolu, intégral, virginal et que cet amour va prendre une cruciale dimension d’abnégation simplette. Je parle d’abnégation (attitude que le locus communi contemporain attend peu chez Narcisse, on notera) parce que Narcisse va laisser de côté l’intégralité de ses autres activités et entrer dans une dynamique de contemplation ébahie, admirative et passive de la ci-devant fille du lagon. Et cela va l’amener éventuellement à s’altérer, à entrer en mutation putréfiée, à disparaître et à renaître, sous la forme de la petite fleur portant le nom Narcisse…

Il semble bien que les narcisses, les fleurs donc, soient à l’origine de ce mythe, pas le contraire (le nom de la fleur, qui signifie esprit engourdi, existait avant le personnage, dit-on). Il s’avère que la corolle de cette fleur spécifique, lorsque celle-ci se trouve proche d’un point d’eau, a tendance à se pencher vers ledit point d’eau, un petit peu comme si elle se contemplait. Il s’agit en fait, pour elle, de bien capter la lumière supplémentaire que lui reporte le reflet miroitant du lagon. On a donc ici un de ces mythes, finalement assez classique, de ratiocination anthropomorphisante (un peu comme le mythe d’Écho, la principale éconduite de Narcisse). Le jeu est simple, simplet même, naïf. On a observé un petit phénomène de la nature et on l’investit d’une historiette qui légitime son existence, sur la base d’une anecdote de facture humaine. Or cette genèse empirique ou pratique du mythe n’épuise en rien sa force symbolique. Il s’en faut de beaucoup. Insistons. Le mythe de Narcisse a, en soi, une force toute particulière. Le fait qu’on ait amplement dénigré et fort mal analysé ce personnage confirme, ad absurdum, qu’il est plus crucial que bien d’autres, du même genre ou du même registre. Pour tout dire, Narcisse s’est fait faire un peu le même coup tordu qu’Épicure, si vous voyez ce que je veux dire… par la même gang, en plus. On a voulu que Narcisse soit un personnage fasciné par lui-même, égotiste, égomane, auto-hédoniste, masturbatoire. En gros, pour employer l’expression galvaudée et bizounée, Narcisse serait un narcissique… Pourtant, ce n’est pas là ce qui se trame dans le mythe même. Il faut bien comprendre que ce qui se joue ici, c’est une capilotade gnoséologique intégrale. Car Narcisse, c’est pas Fonzie devant son miroir, si vous voyez ce que je veux dire. Fonzie est ouvertement fier de son apparence et il sait parfaitement ce qu’il fait, en renonçant à se peigner, devant le miroir. Il formule un satisfecit intégral et pleinement assumé. Rien à redire, non vraiment. Narcisse, pour sa part, ne sait absolument pas qui est la personne du fond du lagon. Et il s’en tape totalement. Son amour est total, d’un bloc, absolu, inconditionnel, fasciné, sylvestre, secret, intime, sublime. Narcisse s’abandonne lui-même intégralement, dans cet amour. Il ne sait pas que c’est en se perdant ainsi qu’il se trouve, en fait. Radicalement modifié, il devient un petit objet du tout-venant, une fleur, une brindille attrayante parmi tant d’autres, que quelqu’un cueillera un jour et aimera temporairement, comme la plus anodine des petites réalités de ce jour. Narcisse entre en simplicité, du simple fait d’avoir finalement su aimer.

Le mythe de Narcisse est en fait le contraire diamétral de ce qu’on en a fait. C’est le mythe de l’abandon de soi dans l’amour et de cette soif spontanée d’absolu, superficiellement paralysante. L’amour naïf et frais, du type de celui que nous livre le mythe de Narcisse, nous pousse inexorablement à entrer en soi pour accepter une mutation, une diminution, un rapetissement floral, de soi. Tout pour pouvoir rester calmement penché, en direction du lagon. Ce qui compte crucialement, ce n’est pas que Narcisse se contemple. Ce qui compte crucialement c’est que Narcisse devient une fleur. Il est parfaitement prêt à se transformer en une fleur, un être temporaire, éphémère, aveugle et sublimement fragile, pour pouvoir continuer de se pencher sur son lagon, sa source de lumière. Ce passage de Narcisse à la fleur est rien de moins que la mise en place d’une conscience aussi déterminante que bien peu reconnue: la conscience de l’abandon de soi. Narcisse n’est pas amoureux de lui-même. Narcisse est déterminé par lui-même dans un cheminement qui fait de l’amour une priorité intégrale et qui fait de la mutation limitative que cet amour engendre une entrée dans le déterminisme absolu de la plus fugitive des petites existences. Narcisse ne le sait même pas lui-même, au demeurant. Faudrait y dire. Haut et fort. Mon Narcisse, comme nous tous, tu te changes en une petite fleurette, du simple fait d’avoir inconditionnellement aimé.

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Narcissisme, estime de soi, exhibitionnisme

Posted by Ysengrimus sur 7 octobre 2020

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À l’ère d’Instagram et des égoportraits en pagaille, on relance dans tous les sens la question du narcissisme. On le fait sans trop de rigueur d’ailleurs. On dégoise sur le narcissisme à tort et à travers, pour tapageusement le réprouver et, surtout, sans le définir. Tout le monde, y compris nos Narcisse contemporains, semblent faire massivement consensus pour dénoncer le narcissisme… enfin, celui des autres. On se gargarise notamment, à tort et à travers toujours, avec la notion de pervers narcissique, sensée vous définir en long et en large le manipulateur emmerdeur chronique (qui lui, existe indubitablement d’autre part, hein, là n’est pas la question). Du grand n’importe quoi conceptuel en quadraphonie.

Alors, bon, tout le monde affecte ouvertement de réprouver le narcissisme. Par contre, on fait aussi largement consensus collectif pour promouvoir l’estime de soi (self-esteen). Nous vivons une époque qui ne valorise plus l’autodénigrement ou l’auto-flagellation. Le respect de soi est considéré comme une attitude primordiale et rien n’est plus attirant et charmant que la sacro-sainte confiance en soi. On opère donc, ouvertement et sans complexe, dans un dispositif qui dénigre lourdement le narcissisme mais valorise fortement l’estime de soi. Et comme la force conceptuelle est largement remplacée, de nos jours, par la lourdeur moraliste (yay yay, nay nay, j’approuve, je réprouve, le positif, le négatif, etc… niaisage de pense-petit et de juges et jugesses de bastringue), on se retrouve souvent en pleine tautologie circulaire, sur cette question primordiale. Analysez attentivement les développements contemporains sur ces questions, ce sera pour observer que le tout se ramène à nous raconter que le narcissisme est une estime de soi que je réprouve et que l’estime de soi est un narcissisme que je aprouve. Redisons-le: on est en pleine tautologie circulaire.

Comme le yay yay, nay nay, j’approuve, je réprouve ne fondent en rien une validité définitoire minimalement opératoire, il y a lieu de se poser la question. Qu’est-ce qui distingue, effectivement et objectivement, le narcissisme de l’estime de soi? Moi, j’aime les deux en ce sens que les deux m’intéressent et ne font pas, chez moi, l’objet d’une réprobation ou même d’une approbation particulière. Je formule donc la distinction très nette que j’établis entre les deux sur des critères descriptifs et factuels (sans jugement de valeur).

Le narcissisme est une pulsion, une pulsion d’amour pour soi. Cette pulsion ne niaise pas avec les détails comportementaux ou sociologiques. Souvenons-nous de la légende. Narcisse, seul dans le bois, voit quelqu’un dans un lagon. Il tombe en amour avec son reflet, sans réfléchir. Il n’est pas très informé, du reste. Il prend son objet d’amour pour une fille, pour quelqu’un d’autre alors que c’est lui-même. Le narcissisme est la fascination hédoniste pour ce qui est dans notre miroir. Une attirance. Un amour inconditionnel, informe, primitif et totalement non ratiocinant.

L’estime de soi est une doctrine. C’est une vision du monde et une vision de soi dans le monde. C’est quelque chose que l’on apprend, que l’on acquiert, que l’on perfectionne. L’estime de soi est un programme élaboré, qui s’explique, s’analyse et se justifie. C’est un bilan d’existence, une harmonie avec ce que la vie a fait de nous. L’estime de soi, même si elle se ratiocine amplement, n’en est pas moins parfaitement intense, configurée, d’un bloc. L’estime de soi est une connaissance, un calcul presque. Elle implique une précision, une justesse de vue, une mesure.

Si on cherche à articuler les deux notions entre elles, on dira que le narcissisme est une estime de soi qui s’ignore et que l’estime de soi est un narcissisme bien en contrôle. L’estime de soi tempère le narcissisme par la modestie. Le narcissisme exalte l’estime de soi dans la fascination. Autre fait crucial, le narcissisme est privé. L’estime de soi est sociale. Assumons aussi que le narcissisme est largement sexy, sexuel, sensoriel, hédoniste, voire onaniste. L’estime de soi est sociologique, ethnographique, mentale, costumée, interactive, mondaine. On pourrait aussi suggérer que le narcissisme est une tendance enfantine, atavique, primitive et que l’estime de soi est une vision adulte, construite, conclusive. Le narcissisme est initial, printanier, c’est une ouverture, une découverte de soi. L’estime de soi est plus conclusive, sereine, automnale. C’est une analyse, une assomption, un bilan.

J’ai parlé ailleurs du narcissisme masochiste, notamment chez les femmes. Il y a aussi, indubitablement une estime de soi contrainte, surfaite, mimée. Il faut bien comprendre que narcissisme et estime de soi ont un trait commun. Ils font assez peu état de l’autocritique. Le narcissisme ne voit pas l’autocritique. Il aime l’être du miroir et c’est inconditionnel. L’estime de soi est plus circonspecte en matière d’autocritique. Elle assume que quand on se compare, on se console et elle met les points valorisant en relief, réservant les insatisfactions pour les soubassements bien gérés de l’ego. Le narcissisme est autoporteur. L’estime de soi est autopromotionnelle.

Et cela nous amène à la troisième variable de l’équation, l’exhibitionnisme. On le confond souvent avec le narcissisme. C’est un tort. Narcisse est tout seul, dans la forêt. La fausse fille du lagon est sa seule rencontre. L’exhibitionnisme, pour sa part, est un exercice social et ce, imparablement. Je dirais même que c’est un rapport de force social. S’exhiber, c’est combattre les autres, s’évertuer à les diminuer, les réduire, les humilier, les rendre jaloux, les prostrer. La rencontre du Camp du drap d’Or, encore et encore. Je n’ai pas besoin d’expliquer sans fin cette propension aux tenants et tenantes de la culture Instagram.

Ces trois tendances, narcissisme, estime de soi, exhibitionnisme, peuvent parfaitement se modulariser. Ceci pour dire que l’une peut tout à fait exister sans les autres. Jetons un petit coup d’œil sur certains des résultats du calcul de cette modularité.

Narcissisme sans estime de soi. C’est justement le narcissisme masochiste dont j’ai parlé ailleurs. La personne (souvent une femme) n’aime plus l’être du miroir mais le déteste. La fascination perdure mais on hurle de colère au miroir plutôt que de jouir de soi. Tous les gens qui se trouvent laids sont des Narcisse masochistes. Ils sont mécontents d’eux et très malheureux.

Narcissisme sans exhibitionnisme. Le narcissisme a une dimension privée, forte et profonde. C’est ce qu’on fait seul devant son miroir et qu’on ne partagerait avec absolument personne. La dimension sexuelle, masturbatoire notamment, est particulièrement accusée ici. Mais plus innocemment, on peut aussi penser à ceux et celles qui chantent, tout seuls, sous la douche.

Estime de soi sans narcissisme. C’est le narcissisme serein, maturé, patiné par les saisons et l’expérience. Heureux de soi, en paix devant soi-même, dans ses grandeurs comme dans ses limites, on ne s’aime pourtant plus comme au premier jour. L’ancienne passion de Narcisse s’est transposée en belle amitié. L’estime de soi n’est plus passionnelle. Elle est simplement éclairée.

Estime de soi sans exhibitionnisme. Des tas de personnages anonymes qui sont bien avec eux-mêmes sont parfaitement discrets et indiscernables. Ce sont les petites gens à la fois sereines et sans histoires. Spinozistes naturels, ils ne recherchent ni la notoriété ni les honneurs. Ils cultivent leurs jardins et s’occupent de leurs pairs. On les adore et ce, sans trop savoir pourquoi.

Exhibitionnisme sans narcissisme. Ça, ce sont les acteurs, les danseurs et les musiciens professionnels. Les vrais gens du métier du spectacle, hein, pas les stars foutues de la téléréalité. Observez les danseurs et les acteurs vraiment formés. Ils sont parfaitement à l’aise de s’exhiber, en méthode et sans auto-fascination. Un musicien montre sa musique sans se montrer soi-même.

Exhibitionnisme sans estime de soi. Alors, là, surtout à notre époque, c’est la tempête tonitruante. Des tas de gens ressentent le besoin de se montrer pour qu’on les aime et c’est bel et bien de ne pas s’estimer soi-même. C’est la recherche insatiable de l’attention renouvelée de l’autre pour compenser un auto-dédain compulsif et morbide. C’est le mal du siècle.

Par-delà toutes ces distinctions cruciales, descriptives et objectives, narcissisme, estime de soi et exhibitionnisme ont un trait commun majeur. Ce sont des particularités de la civilisation bourgeoise. Plus précisément, ce sont les principales formes qu’adopte l’individualisme bourgeois. Je peux vous assurer que ces catégories sont historiquement transitoires et qu’un jour, quand le sens civique et collectif aura vraiment cours, dans quelque chose comme une civilisation socialiste, ces trois notions paraitront intrinsèquement indécodables et hautement archaïques et mystérieuses. Un jour viendra.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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SEX AND THE CITY, le sexe à la ville, décortiqué dans un angle résolument féminin

Posted by Ysengrimus sur 15 Mai 2011

Go get our girl…

Miranda Hobbes

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Miranda Hobbes, Charlotte York, Samantha Jones, Carrie Bradshaw

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Carrie Bradshaw (jouée par Sarah Jessica Parker) tient, entre 1998 et 2004, une chronique journalistique hebdomadaire portant sur la sexualité à la ville (ou, selon le doublage québécois du feuilleton, sur le sexe à New York), pour un tabloïd new-yorkais (fictif), le New York Star. À mi-chemin entre l’ethnologie urbaine et le témoignage personnalisé à vif, la chronique Sex and the City nous est partiellement récitée par son auteure, tandis qu’elle mobilise pour nous, en guise d’exemples visualisés, dosant subtilement la tranche de vie parlante et le potin mondain, les facettes de la vie sentimentale de ses trois meilleures copines new-yorkaises ainsi que, bien sûr, de la sienne. Chaque épisode d’une demi-heure se construit autour de la question principale posée dans la chronique du jour, que Carrie Bradshaw rédige en notre compagnie, sur son mythique ordinateur portable noir, dans son petit apparte de Manhattan au placard rempli de paires de chaussures griffées. Les questions soulevées, avec une savoureuse finesse et une originalité chaque fois maintenue, se formulent comme suit (liste non exhaustive): Les femmes peuvent-elles baiser comme des hommes? La beauté est elle omnipotente? Y a-t’il des gens qui baisent des gens qu’ils ne présenteraient même pas à leurs ami(e)s? La monogamie à la ville est-elle une illusion perdue?  L’Idylle est-elle la nouvelle religion contemporaine? Quelles sont les lois et règles du code de la rupture sentimentale? Faut-il taire certaines choses en amour? Une relation sentimentale peut-elle vous faire revivre? Dans un monde si permissif, qu’est-ce que de tromper quelqu’un? Dans l’ambiance du cynisme urbain contemporain, le coup de foudre est-il encore possible? Peut-on changer un homme? Est-il possible de sortir avec quelqu’un qui ne soit pas de notre caste? Faut-il jouer toutes sorte de petits jeux douteux pour qu’une relation perdure? Sommes-nous en fait toujours en train de sortir avec la même personne? Embrasser un conjoint, est-ce embrasser toute sa famille? Peut-on rester amie avec un ex? Les femmes cherchent-elles un sauveur? Y a-t-il des femmes qui n’existent que pour nous (femmes) faire nous sentir mal? L’opposition entre les sexes est-elle une notion surannée? Qu’en est-il de ce tout petit élément concret insupportable qui anéantit une idylle? Faut-il hyper-dramatiser la relation pour qu’elle perdure? En amour, faut-il écouter son cœur ou son cerveau? Peut-on échapper à son passé amoureux? Devient-on plus sage, ou simplement plus vieux? L’âme sœur, un fait objectif ou un artéfact masochiste? Pourquoi voit-on si clairement en notre amie et si mal en nous-même? Lequel arrive le premier: le sexe ou l’idylle? Lequel est le plus crucial en amour: le geste ou la parole? À quel moment l’art du compromis devient-il tout simplement une compromettante compromission? Les hommes sont-ils simplement des femmes avec des couilles? Veut-on vraiment se marier et avoir des enfants où est-on simplement programmée pour le vouloir? Comment se figurer la figure paternelle? Peut-on tout simplement rater sa vie sentimentale? Est-ce vraiment une idylle si le petit déclic n’y est pas? L’homme contemporain a-t-il moins peur du pouvoir des femmes où joue-t-il, sur cette question, une adroite comédie? Sommes-nous devenues intolérantes au romantisme? Vient-il un moment où il faut cesser de se questionner?

Guidé(e)s par le thème lancé dans la question de la semaine, nous entrons alors dans la vie intime de Carrie Bradshaw et de ses trois grandes copines qui, disons-le sans hésiter, représentent chacune, au plan symbolique, une facette extrême de l’appareil mental de notre chroniqueuse. Samantha Jones (Kim Cattrall), c’est le Ça, le Id. L’aînée du quatuor, l’épicurienne sans concession, la professionnelle en relations publiques extravertie, Samantha est une célibataire endurcie aspirant à vivre ouvertement sa sexualité tyrannique en voyant à ne pas laisser les contraintes de la vie urbaine entraver l’assouvissement de ses pulsions gargantuesques. L’efficace bouffon, mais toujours subtil et charmant, de l’actrice nous donne à découvrir un grand nombre des facettes de la jubilation sexuelle et/ou fantasmatique féminine. On a dit de Samantha Jones qu’elle assouvissait sa sexualité comme un homme… mais bien des femmes ont explicitement démenti cette assertion. Charlotte York (Kristin Davis), c’est le Surmoi, le Super ego, la promotion intemporelle, indéfectible et conservatrice des valeurs traditionnelles et sociologiquement balisées du rôle féminin. Mariage, famille, ménage, conformité, parentalité, maritalité, romantisme codé, sentimentalisme bon teint, monogamie. C’est avec beaucoup de sens satirique et de vigueur ironique que l’on cheminera avec la toute tonique et pétulante Charlotte York, une conservatrice de galerie d’art qui démissionnera pour devenir reine du foyer, dans la lente mais inexorable mise en capilotade de ses aspirations initiales (constamment rajustées), par l’imprévisible cataclysme de la vie moderne. Miranda Hobbes (Cynthia Nixon), c’est le Moi ratiocinant, l’Ego défensif, la cuirasse logique sur fond de derme cuisant. Garçonne revêche mal dans sa peau, figure compulsivement protectrice barricadée de cynisme et de désillusion, femme moderne dans tous les sens du terme, professionnelle surmenée, avocate bardée de diplômes et ayant tout vu, urbaine inconditionnelle, mangeuse compulsive, téléphage assumée, mijaurée aigrie et crispée, observatrice-commentatrice féroce et dentue, laideron de service (À mes yeux cependant, elle est, de tous points de vue, la plus belle, la plus sexy, la plus dense, la plus sublime), Miranda Hobbes reste la figure vers laquelle on se tourne obligatoirement quand, après s’être bercée des langueurs volatiles du Ça (en compagnie de Samantha), et des rigidités prévisibles du Surmoi (en compagnie de Charlotte), on aspire tout simplement à se donner l’heure juste à soi-même, sans concession, sans illusion, sans faux-fuyant, sans bravade. Miranda, tu es et restera toujours ma Conscience Ironique (Carrie Bradshaw).

Au sein de ce gabarit narratif et thématique original et superbement mené, on vit la vie d’un feuilleton, écrit par des femmes, pour des femmes, où les pulsions et les tensions se formulent au rythme des idylles se nouant et se dénouant avec des hommes captivants ou ennuyeux, denses ou creux, flamboyants ou médiocres, normaux ou bizarres, salauds ou proprets, géniaux ou ineptes, nonchalants ou maniaques, louvoyants ou directs, furtifs ou collants, virils ou mollets, beaux ou laids, mais, l’un dans l’autre, toujours dignes qu’on en parle méthodiquement, sincèrement, généreusement, au moment du déjeuner rituel avec les trois autres copines perpétuellement exorbitées. Du sexe urbain consumériste et de la quête inconditionnelle et ininterrompue du grand amour, considérés, de front, de concert, comme deux Beaux-Arts inextricables. Série culte du tournant du siècle, Sex and the City (le feuilleton d’HBO – les films, c’est autre chose) est une expérience intellectuelle et esthétique parfaitement extraordinaire. Jamais une dramatique télévisuelle de grande écoute n’est allée aussi loin dans une formulation si explicite et si libre de la présentation de la culture intime des femmes. Problèmes de femmes, affaires de femmes, hantises de femmes, sexualité des femmes, écriture femme, tout y est. Le succès planétaire de ce feuilleton remarquable ne fait pas mentir sa touche particulière, son humour unique, sa justesse sociologique, son originalité indéfectible. Un certain féminisme a critiqué cette réflexion à l’emporte pièce, déplorant notamment le fait qu’elle ne fournit pas de modèles à la jeunesse (si tant est que la jeunesse se soucie tant que ça de ces histoires de trentenaires millénaristes). Je réponds respectueusement que l’on ne peut pas toujours faire une peinture de mœurs incisive et précise et dicter, tout didactiquement, des modèles comportementaux, dans le même souffle. Sex and the City capture avec brio et subtilité les hantises féminines de la culture occidentale urbaine-bourgeoise fin de siècle, et la nette saveur féministe de cet exercice, indéniable pour qui sait voir, se retrouve moins dans son discours explicite et/ou l’idéologie dépeinte que dans l’autocritique latente, puissante et sentie, dont il est maximalement gorgé. On se le repassera, en y voyant le vif et satirique fleuron d’une époque évaporée, frivole, dérisoire, illusoire et fière.

Dans les deux derniers épisodes du feuilleton, intitulés An American girl in Paris 1 & 2, pour des raisons dont je garde le secret mais dont la quête de l’amour avec un grand A n’est pas absente, Carrie Bradshaw quitte le journal pour lequel elle travaille. Le fil narratif, si original et si précieux, de la chronique journalistique Sex and the City est ainsi rompu et, indubitablement, quelque chose de plus profond se casse alors. Cela nous ouvre sur les films faits par la suite, gorgés, infatués, enflés, de la mythologie quadricéphale qui porta pourtant si bien le feuilleton. Sex and the City: the movie souffre d’une lourdeur, d’un vide de l’écriture, et d’une ostentation d’opulence et de fric que le charme de la réminiscence n’arrive pas à sauver du naufrage (seule Cynthia Nixon –Peut-on pardonner et oublier?– y est majestueuse de gravité et de férocité, mais je ne voudrais pas vous imposer mes préférences personnelles). Quant à Sex and the City 2, c’est un divertissement très moyen, très ouvertement féministe de droite, à la rhétorique très pesamment simili-militante, et qui a d’ailleurs valu aux quatre interprètes le Razzie (ou Golden Raspberry Award – l’«oscar» des plus mauvais acteurs) de la plus mauvaise actrice, ex aequo, pour l’année 2010 (je ne vous en dis pas plus).

Les deux long-métrages sont à éviter soigneusement. Ils ne rendent vraiment pas justice au tout de l’aventure Sex and the City. L’ethnocentrisme malsain américain bon teint, qui pointait déjà sa face hideuse dans les deux derniers épisodes du feuilleton, culmine, dans ces deux longs métrages à budgets pharaoniques, et c’est passablement insupportable. Ma recommandation, totale, inconditionnelle et enthousiaste, se restreint aux 94 épisodes de 30 minutes du feuilleton télévisuel d’origine. De tous points de vue, une petite merveille.

Darren Starr, Sex and the City, feuilleton télévisé américain avec Sarah Jessica Parker, Cynthia Nixon, Kim Cattrall, Kristin Davis, Chris Noth, David Eigenberg, 94 épisodes d’une demi-heure, diffusés initialement en 1998-2004 sur HBO (six coffrets DVD). Michael Patrick King, Sex and the City: the movie (2008, 145 minutes) et Sex and the City 2 (2010, 146 minutes).

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L’HOMME QUI VISIONNE DE LA PORNO. Foire aux questions et mode d’emploi (en quinze points), à l’usage de sa conjointe

Posted by Ysengrimus sur 15 septembre 2010

Bon, crotte, ça y est. Il visionne de la porno. Vous le savez, vous en avez la certitude, mieux: la preuve. Tout semble s’effondrer. Oh, le verrat fendant, moi qui le croyait différent. Il fait ça en cachette, en plus, comme un enfant. Oh, le crapotte insidieux. Moi qui espérait mieux. Si je lui en parle, il louvoie, il s’esquive, par-dessus le marché. Oh la lubrique vipère, moi qui le croyait sincère. Que faire? Vers qui vous tourner. Un psychologue, votre meilleure copine, son meilleur copain à lui (autant vous tourner vers la pègre), votre grand ami gai, votre mère, la pègre? Tournez-vous vers qui vous voudrez mais juste avant, consultez donc cette petite foire aux questions et ce petit mode d’emploi compréhensifs (en quinze points), une gracieuseté d’Ysengrimus. Homme maximalement traître à l’omerta masculine, Ysengrimus vous dira absolument tout. D’abord, la foire aux questions (vous ne vous intéressez qu’à une seule question: pourquoi?). Ensuite le mode d’emploi (que faire?).

Je rappelle aux éventuels hommes qui chercheraient de quoi se dédouaner ici que mon propos repose sur une axiomatique sciemment et fermement féministe. Comprenons-nous bien, donc, je ne justifie pas l’homme regardeux de porno ici. Je le décris, simplement, froidement, dans sa rigidité impitoyable. Ceci dit et bien dit, le féminisme implique, entre autres, une refonte en profondeur de l’existence du mec de demain et ladite refonte ne se fera pas dans l’ignorance nunuchement volontariste du mec d’aujourd’hui. Nier l’existence du répréhensible, du goujat, du tristounet et de l’inélégant ne le fera pas automatiquement disparaître de notre univers social, loin s’en faut. Féminisme n’est pas ignorance de la même façon que description n’est pas légitimation. Un vrai ami vous donne l’heure juste. Une féministe n’est pas une autruche. Masculinologie n’est pas masculinisme. On ne combat pas adéquatement le cancer en le décrivant comme une maladie bénigne. Minimiser n’est pas jouer. Le sujet (dans tous les sens du terme) est fort peu reluisant…  Soyons en tous et toutes avisé(e)s et assumons.

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FOIRE AUX QUESTIONS : POURQUOI  (ME) FAIT-IL CELA?

1- Fait-il cela à cause d’un manque dans mon apparence physique? Non. Je sais qu’il va vous falloir du temps avant de me croire, mais en fait, c’est le contraire. Un homme, un vrai, se soucie assez peu du détail technicien fin sans fin de l’apparence physique de la femme qu’il désire. Épaisseur des cuisses, longueur des cheveux, incarnat de peau, velouté des lèvres, ondulé des hanches, sacro-saint volume de la poitrine (cette hantise suprêmement oiseuse), lustré des maquillage, basta. L’homme pousse son lot de hurlements d’orignaux sur tout cela, certes, mais, réalité cruciale, il le fait en vrac, en gros, à la globale, sans même trop comprendre que ce n’est pas vraiment ceci et cela qui l’allume. Quand les femmes se sortiront-elles enfin de cette pitoyable mentalité hyper-analytique et chosifiante de foire agricole? Vous vous devez d’inverser l’équation ici, en fait. Il faut voir la chose ainsi (suivez bien le mouvement): si c’est bel et bien vous qui êtes dans son lit plutôt que quelque sosie de la terrible et torride actrice pornographique Tara Pornella (nom fictif), c’est que c’est vous, et vous seule, qui battez Tara Pornella à plate couture dans l’arène de l’apparence physique, pas le contraire. Pur et simple. Point barre. Rien à ajouter. La personne obsédée par votre apparence physique ici, c’est vous, pas lui. Vous vous comparez scrupuleusement, compas en main, loupe sur l’œil, tyranniques critères de filles en tête, aux femmes de papier (y compris celles des tout aussi tyranniques magazines féminins, du reste, que votre partenaire ne lit pourtant jamais). Lui ne fait pas cela. Il ne brouillerait pas son amour, son désir et sa passion pour vous en vous roulant dans la farine comparative de Tara Pornella. Le visionnement de porno est un comportement totalement non-comparatif. Votre partenaire vous désire, en cette fulgurante synthèse d’ardeur et d’amour, parce que vous déclenchez sa libido. C’est tout. Et l’équation libidineuse inclut l’apparence physique de la partenaire comme un paramètre parmi bien d’autres, certes, sans s’y réduire cependant.

2- Alors, fait-il cela à cause d’un manque dans ma performance sexuelle? Non et non. Je sais qu’il va encore vous falloir du temps avant de me croire, mais en fait, ici aussi, c’est le contraire. S’il ne jouissait pas de votre performance sexuelle, eh bien, sapristi, il se prendrait une maîtresse bien réelle, ou vous quitterait pour une autre conjointe, elle aussi, bien réelle… S’il regarde de la porno, c’est, au contraire, que vous êtes arrivée à le tenir en éveil lascif, à le faire pétiller libidineusement, à le stimuler sexuellement, ardemment et vivement. Le spectacle pornographique n’est pas, et ne sera jamais, en compétition avec vous. C’est une lanterne chinoise qui ne montre rien de vrai, rien d’humain. Fondamentalement c’est comme le scénario d’un roman ou le script d’un film. Votre amant trouve de fait, dans la porno, au mieux, un mode de ressourcement intellectuel pour mieux s’occuper de vous. Je ne plaisante absolument pas. Les femmes qui s’imaginent que leur homme regarde de la porno parce qu’elles ne «fournissent» pas sexuellement errent totalement. Elles confondent leurs propres motivations de femmes hédonistes contraintes contemporaines avec les siennes. De plus, si vous-même, vous observez un peu fixement un autre homme (vous-même vous-même si, si, ne niez pas!), vous voyez, de par cet autre homme, les défauts vestimentaires et comportementaux qu’il corrige chez votre propre conjoint, non? Hmmm? Pardon? C’est que, fantasmatiquement parlant, vous êtes monogame. Fantasmatiquement parlant, vous ne quittez votre moineau que pour un homme qui sera mieux que lui, supérieur, sublime. Or, ce n’est pas une raison pour croire que votre regardeux de porno fonctionne mécaniquement comme vous! C’est que, fantasmatiquement parlant, votre conjoint lui, voyez-vous, il est polygame. C’est un sultan onirique. Il a un vaste harem de femmes fantasmatiques dans sa tête et vous, eh bien, vous êtes la Favorite… c’est cela qui fait que vous êtes la vraie et que son monde de fantasme ne le ferait jamais au grand jamais vous quitter. Il est parfaitement inutile de compétitionner avec les silhouettes évanescente et embrumées du sérail creux et fictif peuplant la coupole crânienne de votre conjoint. Inutile et oiseux. Car le fait est que vous avez déjà gagné.

3- Ferait-il cela encore plus si je n’étais pas dans sa vie? Non. Ni plus ni moins, en fait. Des pensées sexuelles lui viennent et lui percolent dans la cervelle en permanence, comme les bulles de gaz fétide d’un marécage, et le visionnement de pornographie n’est qu’un type d’organisation visuelle, une classification, une mise en fichiers manipulables de pensées, diffuses ou précises, propres ou sales, belles ou laides, qui lui rouleraient dans la tête de toute façon, ordi, télévision, cinéma, magazines ou pas. Nos ancêtres avaient les statues, les peintures, le cinématographe… Des images de femmes, il y en aura toujours, intra et extra cerebra. La porno n’est jamais que la suite tangible de cette longue et falote sarabande d’imagerie, se manifestant au jour d’aujourd’hui par d’autres moyens, moins imaginatifs, du reste. Ferait-il cela encore moins si Marielle, son ex-copine, la rousse, était encore dans sa vie? Il ne le ferait pas moins, pas plus non plus, il le ferait tout autant. Il faut comprendre qu’il visionne de la porno comme il rote, vesse, se rase sans nettoyer le lavabo derrière lui ou se gratte les fesses. Vous placer, vous, et Marielle (nom fictif), et les autres vraies femmes de son passé et de son avenir sur un plateau de la balance et les femmes de papier et de pixels sur l’autre plateau est et sera toujours intégralement fallacieux. Et à ceux et celles qui disent que s’il n’y avait pas tant de porno disponible sur le marché, mon mec ne roulerait pas autant de pensées interlopes, je réponds: c’est tout juste le contraire. Si votre mec ne roulait pas autant de pensées interlopes, il n’y aurait pas tant de porno disponible sur le marché… Le capitalisme ne nous vend que ce qu’on consomme. Il ne se soucie pas plus de déséduquer que d’éduquer.

4- Si ce n’est pas répréhensible ou suspect, pourquoi se cache-t-il de moi en faisant cela? Vous n’approuvez pas. Je ne questionne pas la légitimité du fait que vous n’approuvez pas et ce sont vos droits de femme qui s’expriment dans cette réprobation. Mais il reste que vous n’approuvez pas. Une femme qui, d’ailleurs, fait semblant de l’approuver et de s’en amuser ou de s’en accommoder est quasi certainement la plus formidable des crâneuses imaginable et est vraiment bien peu crédible. Bref, vous réprouvez, c’est déjà une fichue de bonne raison de faire l’affaire en douce. Mais il y a des raisons encore plus profondes, plus cruciales, pour lui. Vite, il constate que vous voyez cela bien plus gros que ce n’est. Ces images, ces femmes de papier ou de pixels, sans épaisseur, sans existence, elles vous hantent et vous polluent votre existence, à vous. Vous confondez Tara Pornella, cet être fondamentalement bidimensionnel et vide dans sa vision à lui, avec la compétitrice de chair et d’os de votre vision à vous. Vous vous faites un mouron excessif et il n’est vraiment pas fier de cela et pas content de lui-même. Son incapacité chronique et paniquée à vous expliquer adéquatement que l’intemporelle Tara n’existe tout simplement pas complète ensuite le tableau secret. Au final, vous réprouvez, souffrez, pestez intensivement, il s’en veut pour cela et est incapable de vous démontrer passionnément ce que je vous démontre ici froidement, que c’est sans aucune espèce d’importance dans votre vie de couple. Alors il se planque. Les enfants en font autant pour se ronger les ongles ou se curer le nez, soyez préparée…

5- À ce qu’il me semble, les modèles qu’il mate ressemblent vachement à Marielle, son ex-copine, la rousse là, justement. Qu’en conclure? Avez-vous vu l’intégralité des modèles en question ou n’avez-vous entraperçu que quelques torsades rousses ici et là, sans systématicité? Prudence. Ce que nous avons ici c’est ceci: sur une surface d’écran ou de papier glacé, Tara Pornella, rousse sans doute, mais surtout dont le profil psychologique et comportemental est intégralement fantasmé, et deux femmes réelles, Marielle, son ex, qu’il a aimé, et vous. Il est parfaitement concevable que Tara Pornella, Marielle et vous-mêmes ressembliez toutes les trois à sa femme de fantasme oméga (qu’il connaît, conscientise et stabilise fort mal au demeurant), ce qui a comme effet secondaire une éventuelle ressemblance entre vous trois. Avant de nier rageusement ressembler à qui que ce soit, ne limitez pas vos investigations de cette subtile hypothèse aux simples critères superficiels et chosifiants de foire agricole. Je dis cela parce que c’est ici que sa perversité s’interrompt et que la vôtre entre en action. Frustrée, flétrie, déçue, vous commencez par vous occulter vous-même. Vous vous ratatinez, vous roulez en boule, vous oblitérez, vous et votre immense importance pour lui. Restent alors, dans votre colimateur rageur, Tara Pornella et Marielle, son ex, qui ont en commun, pour vous, d’être deux images plates et superficielles et rousses et flamboyantes et pétantes et roulures et haïes. Il devient alors aisément aisé de tout confondre, de juger hâtivement, et de trouver ces deux enquiquineuses fort semblables. Les faits sont pourtant les suivants. La personne la plus éloignée de ses aspirations fantasmatiques c’est d’abord Tara Pornella, femme de papier ou de pixels sans densité, ni épaisseur, ni conversation effective. La seconde personne la plus éloignée de ses aspirations fantasmatiques, c’est Marielle, femme réelle certes, et en cela milles fois plus dangereuse que Tara Pornella, mais aussi ex, souvenir, passade, foucade, nostalgie-non-nostalgique. La femme la plus proche de ses aspirations fantasmatiques, c’est vous. C’est vous qu’il prendra ce soir en hurlant à l’amour. C’est vous qui le tenez, dans les faits effectifs. C’est vous, l’incarnation concrète et charnue du point oméga de ses fantasmes, vu que c’est à vous qu’il se donne ici, maintenant et pour toujours.

6- Tu te goures Ysengrimus, il m’a dit explicitement qu’il regardait de la porno à cause de mes manques physiques et/ou mes manques sexuels! Attention, me rapportez-vous l’intégralité des circonstances de cet «aveu» ici? Allons, allons, pas de triche entre nous. Laissez-moi vous les décrire, ces circonstances. Vous venez de le pincer, la face dans l’écran d’ordi, ou encore vous venez de vous décider à le mettre au pied du mur, d’aplomb et ouvertement, sur la question sensible de son regardage de porno. C’est votre droit, je vous le redis, votre devoir, même peut-être. Mais alors, c’est aussi la guerre, hein. Guerre de tactique, guerre de stratégie. Il faut l’assumer. Coincé, piégé, confronté, comme dit le bel anglicisme, il contre-attaque. Les hommes contre-attaquent, c’est comme ça. Ils sont actifs et proactifs, dans un conflit. Pris en souricière sur une question sensible, votre partenaire, terme fort ironique ici, contre-attaque efficace. Pas sincère: efficace. Il frappe donc pour porter une botte solide dans le défaut de votre cuirasse. Pas de quartier. Votre morbidité auto-dénigrante est une faiblesse dont il peut parfaitement prendre avantage dans ce genre de conflit. C’est de ta faute aussi… Tu ne t’habilles pas assez ceci… Ton cul n’est pas assez cela… Stupeur. Vol plané dramatique. Vous voici terrifiée, pétrifiée, congelée et gelée par cette douche froide critique/zap/autocritique. Tous vos préjugés auto-culpabilisateurs sont confirmés, d’un bloc. Vous le saviez! Ah, combien d’hommes qui trichent à la guerre misent ainsi sur l’immense et fulgurante propension autocritique des femmes? Les douze salopards ne sont pas que douze, allez. Ils sont un grand nombre, voyons, et ce nombre est en augmentation, maintenant que les hommes connaissent bien mieux les femmes qu’avant. Donc, le coup porte. Votre convoi déraille. Votre propos dévie. Vous en oubliez toute votre tirade d’attaque contre la porno. C’est de votre faute, il le dit, il l’avoue. Tombé, en un choc unique, le masque au sourire fixe de ses cent milles compliments d’antan. L’océan de sirop sucré se dissout dans cet unique jet de vinaigre. C’est votre corps qui est dans le tort. C’est votre performance sexuelle qui est en défaut. Tous vos préjugés tenaces sur vous-mêmes sont suavement confirmés. Il le dit ouvertement. Ysengrimus, il m’a dit EXPLICITEMENT… Eh bien il a explicitement menti, pardi. Il ment, il ment pour vous faire perdre votre contenance. Il ment parce que c’est une ruse de guerre, parce que c’est la guerre, parce que à la guerre comme à la guerre, et parce que vous avez ouvert les hostilités sur le regardage de porno. Et comme, contrairement à Ysengrimus, il n’est pas, lui, un traître à l’omerta masculine, il ne va pas se mettre à vous guider, tel Orphée aux enfers guidant Eurydice vers la surface, dans les méandres filandreux et grossiers de sa si courtichette fantasmatique. Non et non. Autant mentir et, jet d’encre du poulpe parfait, vous accuser de manques intégralement inexistants. Cela porte toujours, vous fait chier, vous cale, vous désamorce, vous fait pleurer. Ben c’est ça, pleure, cocotte, moi aussi j’ai bien envie de pleurer comme une madeleine devant la liste de mes sites porno favori que tu viens cruellement d’insérer entre ma poire et mon fromage. La femme à qui on a fait croire que c’est à cause d’elle qu’on mate de la porno vient de tomber dans le plus grossier des panneaux manipulateurs imaginable. Par pitié, ne mordez pas à cet hameçon là!

7- Et s’il m’approche d’une façon totalement non conflictuelle en me disant, froidement et posément, qu’il voudrait que je ressemble en tous points à Tara Pornella? Je ne réponds pas aux questions spéculatives de gamberges auto-mortifiantes, ici. L’a-t-il fait effectivement? Où? Quand? J’en doute fortement. S’il l’a vraiment fait et que vous êtes absolument certaine que c’était au premier degré, hors conflit, hors sursaut défensif, vous ne le fréquentez que depuis peu alors, et vous pouvez le saquer, c’est un inepte. Mais je pense que, si vous vous introspectez avec la sincérité requise, ce sera pour observer que ce cas de figure-ci est un pur produit de votre angoisse intérieure à vous, pas de sa fantasmatique sexuelle à lui. Les soi-disant sous-entendus que vous croyez détecter chez lui sont des ectoplasmes que vous vous fabriquez, de purs et non-fiables artéfacts, issus de vos propres hantises. Pourquoi? Tout simplement parce que sa fantasmatique sexuelle à lui s’ancre solidement en vous, pas en Tara Pornella. Donc, il ne fera tout simplement pas cela. Ceci, juste ici, est de la plus haute importance. Il faut absolument vous extraire de l’esprit la croyance que la vision de la porno inculquera des normes ou des standards d’apparence corporelle à votre conjoint, normes ou standards aussi hirsutement impossibles que ténébreusement implicites, qu’il vous faudra ensuite rencontrer en je ne sais quelle lutte compétitive sans fin vers l’asymptote. Croyance sinistrement répandue dans la culture intime (hautement normée, elle) des femmes, cette affaire de normes et de standards d’apparence corporelle venus de la porno et relayée par votre mec est une pure et simple fausseté factuelle. Une revue porno n’est pas un magazine de mode, ne le fut et ne le sera jamais (Et, je vous le redis, les magazine de mode, il ne les lit pas. Cela devrait vous faire méditer). Sortez vous cette idée de la tête, une bonne fois. Et s’il m’approche d’une façon non conflictuelle en me disant froidement qu’il voudrait que je ressemble en tous points à Marielle, son ex? Ça, c’est déjà bien plus réaliste, plus plausible. Bien des connards citent leurs ex en exemple. Pas de commentaire non plus, par contre ici, car nous voici alors de retour dans le monde de la compétition sentimentale réelle et, conséquemment, hors–sujet… Une fois pour toute: Marielle n’est pas Tara Pornella parce que Tara Pornella n’est pas…

8- Se masturbe-t-il sur la porno? Oui, oui, ça lui arrive, oui. Pas toujours mais parfois. Vous ne vous masturbez jamais, vous? Et vous pensez à quoi quand vous le faites? Et Ysengrimus devrait-il tirer de grandes conclusions angoissantes à propos de votre vie réelle sur la base de vos scénarios masturbatoires intimes et privés? Rassurez-vous, il ne tirera pas de telles conclusions, lui… Ce n’est pas la même chose et il le comprend, lui. Un fait intéressant, sur ce point hautement mal compris de la masturbation masculine ès porno au demeurant, est qu’il ne se masturbera sur Tara Pornella qu’une seule fois. La fois suivante, il lui faudra une autre image, puis une autre, puis une autre encore. Superficialité vide et évanescence limitative de l’ectoplasme sans âme. Des croustilles qu’on croque devant la télé. C’est pour cette raison, et aucune autre, que le marché de la porno est si pesamment cyclopéen. Signalons aussi, si nécessaire, que masturbation n’est pas jouissance ou sensualité ou intimité ou romance ou passion ou ardeur ou amour, mais tout prosaïque pis-aller hygiénique… Tsk, tsk, tsk… Vous en doutez, eh bien méditez ceci. Que pensez-vous que l’on retrouve dans le petit cagibi-chiotte ou l’on doit s’asseoir pour fournir un échantillon de sperme, au cabinet médical? Réponse, des revues porno, pour la stimulation psycho-sexuelle de l’auto-cueillette dudit échantillon. Eh oui… Fort peu romantique, merci…

9- Je l’ai bien traqué, bien enquiquiné, bien écoeuré, bien agressé, je le surveille en permanence. Il ne regarde plus de porno. Ai-je gagné? Vous avez surtout gagné qu’il se planque mieux que jamais pour le faire. Une seule chose le fera ralentir de consommer de la porno, la baisse de sa libido due à l’âge ou à la maladie. Elle est bien inutile, votre intervention répressive et hargneuse, produite au prix d’une perte significative de son affection (mais à ce point-ci son affection vous importe moins que votre amour-propre, hein, si vous avez vraiment agi de façon aussi répressive et hargneuse, justement). Vous pouvez lui couper l’ordi, la télévision et les magazines, mais vous ne pouvez pas lui couper la tête. Et c’est à l’intérieur de sa tête que se joue la plus grande, la plus tonitruante, la plus kaléidoscopique de toutes ses aventures pornographiques. Tout ce que vous lui avez appris à faire, c’est à mieux se cacher et à aller retrouver Tara Pornella loin, très loin, dans l’abstraction inane, éthérée et onctueuse de sa psyché. Et cela la rehausse, notre bonne Tara, au demeurant. Le vieil attrait séculaire du fruit défendu, poil au…

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MODE D’EMPLOI : QUE FAIRE?

10- Dois-je exprimer mes objections? Oui, que oui, explicitement. Mais les vraies objections, hein. Pas les pseudo-objections… Les vérités du coeur, pas les prétextes de tête. Les contrariétés émotionnelles, pas les parades sociologiques. Gardons la sociologie pour un autre jour ici, si vous le voulez bien. Laissons-la nous déterminer sans en cacasser à satiété. La langue de bois de la porno exploitation du corps de la femme ne vous mènera pas bien loin avec un homme, même articulé, même féministe, que vous venez de pincer le nez pincé dans une page centrale… Il vous répondra, dans sa tête ou explicitement, que cette transgression aux principes féministes est un geste qui est plus fort que lui, qu’il commet malgré lui et dont il comprend le caractère répréhensible de la même façon que vous comprenez qu’il est hautement répréhensible de vous empiffrer de pâtisseries poubelles, mauvaises pour la santé, non bio, non grano, chimiques… sauf que… bon… Boulimie, alcoolisme, toxicomanie, kleptomanie, agoraphobie, magasinage compulsif sont aussi fort répréhensibles socialement, et pourtant… Ceci dit, oui, oui, dites ce que vous pensez, oui, montrez le drapeau sans faillir. Soyez vraie. Objectez vous ouvertement, droitement, avec sincérité, en montrant bien combien cela vous contrarie, vous irrite, vous insulte, vous déplait. Qu’il voie les conséquences de ses actes, un petit peu. Cela ne le fera pas arrêter, mais cela le fera gamberger, ce qui est toujours utiles pour la cervelle, surtout la cervelle masculine. S’il s’engage à arrêter, surtout sur l’honneur, il ment à quelqu’un. À vous, ou pire, à lui-même. Enfin, il faut dire et redire ce que vous ressentez, sans artifice. C’est crucial. Dois-je alors le bloquer, le réprimer? Je ne vous dicterai pas jusqu’où doit aller l’expression d’une contrariété légitime. Réprimez tout ce que vous jugez bon de réprimer. Mon commentaire, dans tout ce billet, voyez-vous, porte sur votre savoir, pas sur vos actions. AGISSEZ SELON VOTRE CONSCIENCE, MAIS EN CONNAISSANCE DE CAUSE. Je vous dis donc simplement de ne pas cultiver des illusions sur une approche répressive face à ce type de pratique. Réprimé, il entrera dans le maquis, il durcira sa coquille, il mentira mieux, se planquera d’avantage, mais il ne réformera pas ses comportements. Réprimer oui, s’il faut en passer par là. Croire aux vertus éradicatrices de la répression, non. Ce serait, bien hypocritement, se mentir. Une vision, une perception et une compréhension franche et directe de votre contrariété et de votre frustration l’influenceront bien plus que de vous voir pathétiquement jouer les gardiennes d’enfants répressives, car, voyez vous, un fait demeure dans cette tourmente: il vous respecte et il vous aime.

11- Qu’il mate de la porno me refroidit souverainement. Dois-je ravaler ma frustration et jouer les allumeuses au lit, pour continuer de satisfaire monsieur? Certainement pas. Le principe général selon lequel il faut ne pas forcer le désir s’applique ici pleinement. Il faut que monsieur, comme vous dite, assume les conséquences de ses actes. Aidez-le un petit peu dans son effort intellectuel, par contre. Comme vos chances sont très fortes qu’il ne voie pas bien nettement le problème, dites lui ouvertement la vraie raison de votre frigidité hargneuse. Guidez-le, en toute droiture. N’allez pas inventer quelque prétexte oiseux pour bien finir de le dérouter et, volontairement ou non, esquiver le débat porno-regardard. Il a la responsabilité de rendre compte de ses actes, vous avez la responsabilité de l’explicitation droite et entière de votre dépit. Qu’il s’explique un petit peu sur les merveilleuses aventures polychromatiques du monde virtuel de Tara Pornella. La conversation sera palpitante, croyez-moi, surtout si vous voyez à la maintenir dans les limites du conflictuel tolérable. Il cherchera, en crevant de trouille, à éventuellement insinuer qu’il aimerait vous voir adopter telle ou telle des illustres postures ou tenues de la susdite Tara Pornella, lorsque vous faites l’amour avec lui. Je ne vous dis pas de le faire alors, hein, si cela vous refroidit. Je vous dis fermement, par contre, de cesser de vous imaginer qu’il veut vous faire essayer cette posture ou cette tenue pour que vous ressembliez à Tara Pornella, sa «femme idéale». Une fois de plus, c’est le contraire, en fait. Ce qu’il juge passable et honorable sur Tara Pornella il le juge extraordinaire sur vous, car C’EST VOUS, SA FEMME IDÉALE. Il instrumentalise cette pauvre Tara pour mieux s’érotiser sur son objet de désir effectif et exclusif: vous. Il ne s’extasie pas sur Tara Pornella à votre détriment, il plagie Tara Pornella à votre avantage. Et vous, terrible naïve morbide, vous vous imaginez le contraire, ligaturant ainsi des provignements importants de sa poussée libidinale. Faites ce que vous voulez mais, pour faveur à Ysengrimus, ne prenez pas le vrai pour le faux et la sincérité pour la duplicité. Quand il dit que vous êtes mille fois plus érotique que Tara Pornella, parole d’Ysengrimus, il est sincère, il le pense et il a raison.

12- Qu’il mate de la porno, ça m’excite en fait. Je le ferais bien en sa compagnie. Puis-je? Certainement. Dites-vous d’abord que si vous pensez ceci effectivement et sincèrement, vous faites partie d’une minorité. Pas de problème, au demeurant. C’est parfaitement légitime, moderne, sensass et sexy et… les minorités ont des droit. Vraiment, si cela vous excite effectivement, approchez-le, franco de port, sur la question. Ça m’excite vachement, tous ces sites et ces vidéos que tu mates là. Je peux regarder avec toi? Sa première réaction sera certainement sceptique (ne vous en offusquez pas, perle rare que vous êtes), puis ouvertement enthousiaste. Ce sera alors super. Vous aurez votre univers porno de couple, comme des tas de gens tendance, frais et émancipés d’ailleurs. Mais veuillez noter deux choses. D’abord, ne vous surprenez pas et ne vous vexez pas si vous vous apercevez qu’il continue, droit comme un cèdre, d’autre part, à mater de la porno, éventuellement différente, en solitaire. Cela ne se place en rien sur le plateau de la balance avec les moments pornos qu’il a avec vous. Ensuite, recommandation capitale: soyez sincère, avec lui et avec vous-même, quand vous dites/prétendez que cela vous excite. Ne vous (re)mettez pas, consciemment ou non, à crâner et à (vous) jouer la comédie de la femme peu impressionnable, ouverte, délurée, moderne et que ça excite vachement juste pour déguiser une surveillance crypto-furax de ses petites activités. Il le détectera à assez court terme et il n’en sortira, alors là, rien de bon. Inutile d’ajouter que si cela ne vous excite subitement plus, il faut vous dissocier de la démarche, sans tergiverser, ni temporiser. Exactement comme pour les joutes sportives à la télé, en fait, si vous voyez ce que je veux dire.

13- Dois-je réformer mes comportements? Vos comportements, peut-être pas. Vos croyances, là, certainement. Voyez-vous, si vous retenez une seule observation de tout le présent exercice, que ce soit celle-ci. Je vais même vous la formuler en «je» pour qu’elle s’imprègne encore mieux en vous. LE PAPIER ET LES PIXELS NE SONT QUE DES SUPPORTS (COMME JADIS, LES PEINTURES ET LES SCULPTURES) POUR UN DISPOSITIF FANTASMATIQUE QUE MON HOMME A DANS SA TÊTE ET QU’IL GARDERA DE TOUTE FAÇON DANS SA TÊTE POUR UNE BONNE PARTIE DE SA VIE ACTIVE. C’EST SA PSYCHOLOGIE DE LA SEXUALITÉ, C’EST SA FAÇON DE GAMBERGER SES FANTASMES ET CE QUI EST EST. JE NE SUIS PAS EN CAUSE OU EN QUESTION. CE PHÉNOMÈNE N’EST RIEN D’AUTRE QU’UN INDICE D’ARDEUR SEXUELLE COMME UN AUTRE. JE NE DOIS PAS PRENDRE TOUT CELA PERSONNEL, CELA NE ME CONCERNE QUE MARGINALEMENT OU PAS DU TOUT. C’EST QUAND IL ME FAIT L’AMOUR QUE MON HOMME MANIFESTE SON DÉSIR POUR MOI, ET MOI SEULE, SA SEULE ET UNIQUE VRAIE FEMME DE CHAIR ET DE VÉRITÉ. Que vous combattiez ce comportement de regardage de porno (ce qui est légitime) ou que vous l’acceptiez (ce qui n’est pas une capitulation), il ne faut pas traiter les femmes de papier ou de pixels comme vous traiteriez une rivale de chair et d’os. Fondamentalement, elles ne sont que des feux follets cérébraux, flammèches électriques émanant de sa cervelle à lui. Si cela vous dégoûte irrémédiablement, c’est alors que c’est lui qui vous dégoûte irrémédiablement, personne d’autre. Agissez alors en conséquence. Il ne faut, notamment, vous en prendre ni à Tara Pornella (intrinsèquement inutile), ni à Marielle son ex (diplomatiquement délicat), ni à vous-même (IL NE FAUT SURTOUT PAS VOUS EN PRENDRE À VOUS-MÊME). Ceci n’est pas une sordide et fallacieuse affaire de compétition entre femmes de plus, mais bien un tenace comportement masculin, exclusivement masculin. Il faut donc s’en prendre soit à lui, soit à personne… En d’autres termes, assumez vos émotions sans cultiver vos illusions.

14- Je ne veux tout simplement pas d’un partenaire visionneur de porno, point final. Que faire? Aussi simple que fatal. Aimez un homme plus vieux que vous de vingt bonnes années ET au passé sexuel maximalement comblé. Il a maté toute la porno qu’il pouvait dans sa jeunesse, sa libido ralentit, sa boite à images cérébrale racotille, sa lanterne chinoise s’obscurcit. Il a de la conversation, de la douceur, du charme, de l’expérience. Il vous parle en vous regardant dans les yeux. Il s’occupe de vous. Il vous trouve belle, comme être humain. Vous abordez la question porno ouvertement avec lui et sa réaction est compréhensive, sincèrement compréhensive de fait. Il n’ira certainement pas courir le risque de vous perdre, vous qui visiblement en faites une affaire pareille, pour je ne sais quelle Tara Qui déjà? Évidemment, votre vie sexuelle sera moins trépidante et plus raplapla, mais, et je le dis sans ironie, comme le disait ma vieille copine Égérie: le sexe, c’est pas tout dans la vie.

15- Ysengrimus, je suis toujours aussi en colère. Fais-moi comprendre en un paragraphe bien senti cette insupportable affaire de visionnement de porno. Tu ne m’as vraiment rien dit de trop probant pour le moment. Bon. Merci. Sincérité hautement appréciée. La plus belle femme ne peut donner que… pardon… pardon… disons… à l’impossible nul n’est tenu, là. Mais je vais tout de même faire une ultime tentative relativiste, en vous proposant un petit exercice de transposition. Vous visionnez et re-visionnez, disons, les films de la saga Twilight. Edward Cullen vous fait rêver. Il a tout simplement tout. Beau, romantique, chevaleresque, fort, puissant, déférent, attentionné. Il aime Bella Swan, la respecte, la protège. C’est un amoureux à principes. Un homme, un vrai. Vous l’adorez et en cacassez sans fin avec vos copines qui l’adorent aussi, souvent plus ou moins en cachette d’ailleurs, comme vous. Votre partenaire de vie vous pince un beau jour, dans une de ces conversations, ou visionnement, ou lecture et s’assoit lourdement dans le plateau de la balance de l’autre côté duquel flotte majestueusement le pâle et translucide vampire des sylves de Forks. Que pensez-vous de cela? Mais, ça n’a rien à voir avec nous deux. C’est un monde de fantasmes, de rêveries éveillées, de… de… de papier. Mon monde intérieur… du roman, du cinéma. Ça… Ça n’a absolument aucune importance, vraiment. Eh bien voilà. L’homme visionne et lit batifole pesamment ostensible. La femme visionne et lit romantisme néo-gothique subtilement éthéré. Dans les deux cas, c’est parfaitement fantasmatique, psychologique, immatériel et innocent. Et, au fond, est-ce si différent?

Edward Cullen

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Deux chanteuses-icônes, deux poses distinctes. MADONNA, la première grande allumeuse narcissique. JENNIFER LOPEZ, la dernière grande séductrice réactionnaire

Posted by Ysengrimus sur 1 septembre 2010

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I dress for women, and undress for men…

[Je m’habille pour les femmes, et me déshabille pour les hommes…]

Angie Dickinson, actrice américaine née en 1931

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Ce sujet est immense, complexe, sensible, délicat et on y reviendra certainement encore et encore. La culture de masse contemporaine a, sans contredit, poussé dans ses retranchements les plus maximalistes l’ère des chanteuses-icônes. Les chanteuses populaires du tournant du siècle, pour se restreindre ici à ce spectaculaire exemple, sont des divas thématiques hautement perfectionnées, notamment du point de vue visuel, des géantes scintillantes défilant au carnaval de nos représentations torves, pas toujours illusoires au demeurant. Ces personnages (je me préoccupe ici strictement de leur oeuvre, de leur propos, de leur show, pas de leurs sagas au bottin mondain) se montrent sous tous les angles de prise de vue possibles et en rajoutent couches par-dessus couches pour exister, perdurer et se perpétuer dans notre psyché, en une machinerie-sophistication se déployant en toutes nos grandes pompes imaginaires. Tout ça, c’est pour faire rêver au maximum et pourtant c’est loin de fonctionner dans tous les sens et n’importe comment. Mais au fait, qui rêve exactement ici et aussi –surtout- comment? Réponse: les hommes et les femmes rêvent, mais ils ne le font pas de la même façon et pas selon la même dynamique. Tant et tant que je vous propose de dégager deux grandes tendances de fond, dans la démarche, la posture, la pose des chanteuses-icônes de la culture de masse chansonnière contemporaine.

Vous avez l’allumeuse narcissique dont la devise pourrait être: «Je m’occupe de moi, je m’aime moi et je crois en moi. Gloria Ego. Si tu t’identifies à moi, fière et décomplexée, tu comprendra que tu es la plus belle et l’assumera pleinement, y compris au détriment de toutes les autres. Tu prendras ta place sur le plancher de danse, la première place, et on te suivra et t’admirera. C’est en t’aimant toi-même que tu allumera et magnétisera au mieux les gens, y compris, pourquoi pas, les hommes». On citera comme exemple ici le personnage de Madonna, mais il s’agit de mentionner le personnage pour mieux faire comprendre la tendance, pas le contraire.

Puis vous avez la séductrice réactionnaire dont la devise pourrait être: « Je vais te montrer comment il faut bouger, chanter, agir pour rendre un mâle fou de désir. Nous sommes femmes et tout ce spectacle, c’est pour notre homme que nous le faisons, en fait. Et les procédures de séduction sont aussi éternelles que le pouvoir de l’homme sur nous et sur l’assouvissement de nos désirs. Et les autres femmes, sache qu’elles se soucieront bel et bien de toi, si tu sais bien cueillir et tenir les hommes». On citera comme exemple ici le personnage de Jennifer Lopez, mais il s’agit de mentionner le personnage pour mieux faire comprendre la tendance, pas le contraire.

On a donc là deux dynamiques d’expression, deux traitements du ton, deux poses qui ciblent les hommes et les femmes du grand public dans les deux cas, mais ne disent pas la même chose et n’instillent pas leur opium du peuple par les mêmes avenues de l’imaginaire, ni selon le même modus operandi… On voit bien le mouvement. Dans l’une, on part «égoïstement» des femmes qui, en s’allumant elles-mêmes au sujet d’elles-mêmes, finissent indubitablement par allumer tout le monde. Dans l’autre, on part «altruistement» des hommes qu’il faut séduire, conquérir, posséder, hanter, adapter, rajuster, façonner pour que les autres femmes finissent par nous remarquer. Il y a aussi, et c’est capital, la ligne du temps. Abstraction faites des impondérables dents de scie du schéma de tendance long (disons, au moins sur trente ans – 1980-2010), on peut dire que l’allumeuse narcissique est fondamentalement en progression, en émergence (ceci fait de Madonna une avant-gardiste, une progressiste, qui le revendique d’ailleurs). La séductrice réactionnaire est en déclin, en régression (ceci fait de Jennifer Lopez une régressive, une conservatrice, qui ne s’en cache pas d’ailleurs). Le fait que la citoyenne Lopez soit onze ans plus jeune que la citoyenne Ciccone est à verser aux profits et pertes des dents de scie du schéma de tendance long, justement mentionné plus haut. Cela ne change rien, de fait, à la progression fondamentale des représentations révélées ici, qui va vers le narcissisme féminin et l’attention portée à soi en tant que femme, au détriment de la soumission à l’homme, bien docile ou bien rétive, genre siècle dernier.

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MADONNA, la première grande allumeuse narcissique. Madonna Louise Ciccone dite Madonna (née en 1958) nous dit, depuis une bonne génération : exprime toi, tu es une super-étoile. Fais ce que tu veux faire, toi, et ne te soucie pas de l’opinion ou de la pression des autres. Les paroles de l’hymne à l’ego suprême Vogue (1990) sont absolument cruciales ici: Strike the pose! (Gardez la pose click! Superbe! On en prend une autre…) Corollaire: dis ce tu as à dire (Express yourself!) et, dans le mouvement, apprend donc un peu à ton homme à en faire autant… Ce message doctrinal, ferme, constant, stable, solide, ne se restreint pas aux questions d’apparence et de mode de vie mais porte sur l’intégralité des options existentielles fondamentale. Je fais mon affaire, je fais mon trip, quitte à la jouer prométhéenne, de ci de là. L’enfance soumise à papa patriarche, c’est bel et bien fini.

Papa I know you’re going to be upset

‘Cause I was always your little girl

But you should know by now

I’m not a baby…

[Papa, je sais que tu vas être bien furax

Car j’ai toujours été ta petite fille.

Mais tu dois bien te douter maintenant

Que je ne suis plus un bébé…]

Madonna – PAPA DON’T PREACH, Papa ne me fais pas la morale, je suis enceinte, il est à moi, je fais mon trip comme je le veux donc je le garde. Et puis, regarde moi bien danser maintenant, tu vas voir que j’ai encore toute une silhouette (1986)

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Me voici, en fait. Conséquemment admirez-moi. Filles, imitez-moi. Hommes, voulez-moi, Travelos, grimez-vous en moi. Tripez tous sur vous-même, donc sur moi. Statue synthétique, icône totale, vierge sempiternelle, fille matérielle, pôle central de toutes les confessions de pistes de danse et danseuse devant le miroir, je ne changerai jamais, ne me soumettrai jamais, ne me rangerai jamais, ne vieillirai jamais (même âgée, Madonna reste fondamentalement une ferme doctrinaire juvéniliste). Je suis belle, athlétique, et je le sais. Tout le monde m’aime (corollaire important, la pose est ici ostensiblement bisexuelle, libertine et même vaguement partouzante). Je suis l’allumeuse narcissique.

Très minimalement influencée par l’autre tendance, Madonna a marginalement touché, elle aussi, le rôle de séductrice réactionnaire, notamment dans la chanson et le vidéo Justify my love (1990). Mais il est vraiment difficile de ne pas voir là une sorte de second degré, au sein duquel l’objet d’amour se doit d’amplement «justifier» le détour que ferait très éventuellement à son avantage l’ego cardinal de l’interprète. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas l’œuvre de Madonna, force est d’observer que s’y manifeste la solide cohérence d’un message toujours bien de son temps, celui de l’égotisme.

Strictement du point de vue de la dynamique décrite ici, et sous réserve d’autres différences importantes (musicales et scéniques notamment), on peut suggérer que Lady Gaga (Stefani Joanne Angelina Germanotta, née en 1986) apparaît comme une sorte de continuatrice de Madonna. Totalement immergé dans son monde d’amour entier pour Ego et toute à son ardente attention, articulée et militante, envers soi, Lady Gaga pousse la théâtralité et l’idiosyncrasie assumée dans les retranchements de la fiction et du repli sur soi les plus exploratoires et les plus délirants. Notons, en toute cohérence narcissique, que Lady Gaga fait aussi sciemment s’effriter les critères contemporains de la tyrannie de l’apparence physique, dont Madonna ne s’était pas, elle, vraiment libérée. On ne peut que rêver du remplacement de l’hédonisme contraint contemporain de toc, par une vrai émotion narcissique, authentique, profonde, sereine, pleinement assumée, dans la chair et dans le vestimentaire, quitte à se schizophréniser même un petit brin, si nécessaire. Contrairement aux filles modernes, les hommes à l’ancienne ne seront pas trop séduits par une Lady Gaga bien égo-tempérée. Seuls les homme nouveaux s’y retrouveront et ressentiront le charme total, qui s’avance avec le siècle. Pour séduire un homme à l’ancienne, il faut une séductrice à l’ancienne et ce, vite, car pour ce type d’homme, de femme et de séduction, le temps est irréversiblement compté…

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JENNIFER LOPEZ, la dernière grande séductrice réactionnaire. Jennifer Lynn Lopez (née en 1969) se donne comme se souvenant de ses origines. Pas seulement des origines sociales modestes d’une Jenny from the block (2002 – ne te laisse pas distraire par mes bijoux, hein, je suis toujours la même fille du quartier) mais aussi des origines patriarcales de son rôle atavique, celui de femme. Il faut ne pas nous laisser distraire –nous, en fait- par la constellation de scènes de ménages, remises en questions sentimentales, et autres affirmations voulant que l’amour ne s’achète pas, émaillant son œuvre chansonnière et vidéo. La râleuse ici se dandine dans sa cage, brasse ladite cage même, mais ne cassera pas la baraque et ne s’en sortira pas. La chanson d’amour à l’ancienne sert ici fidèlement les valeurs promues. Il te faut obtenir, et tenir, et garder un homme homme et c’est à cela que tu oeuvrera de tout ton cœur et de tout ton corps.

I’m glad when I’m making love to you

I’m glad for the way you make me feel

I love it cause you seem to blow my mind every time

I’m glad when you walk you hold my hand

I’m happy that you know how to be a man

I’m glad that you came into my life

I’m so glad

[Je suis contente quand je te fais l’amour

Je suis contente de la façon dont tu me fais me sentir

J’adore ça parce qu’on dirait qu’à chaque fois, tu me fais m’extasier

Je suis contente car, quand tu marches, tu me tiens la main

Je suis heureuse que tu saches être un vrai homme

Je suis contente que tu sois entré dans ma vie

Je suis si contente]

Jennifer Lopez – I’M GLAD, Je suis si contente d’être la lumpen-effeuilleuse de tripot méconnue qui finit par danser sur votre table, monsieur le directeur-artistique-patriarche de l’école de ballet, aux cheveux de neige et à l’oeil bien fixe (2003)

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Conséquemment, je suis ta houri pour toujours et je ferai tout, gigotements nerveux, effeuillages torrides, duos vocaux avec des petits mecs, excès chorégraphiques et crises de larmes inclusivement, pour que tu sois content de moi MAIS AUSSI pour que tu te conformes au modèle masculin traditionnel que je réclame haut et fort et, corollairement, je te quitterai toujours à contrecoeur, quand tu ne sera pas à la hauteur, car j’aurais tant voulu que cela dure toute la vie (jeune, Lopez faisait déjà totalement madame à caser). Je suis aimante. Mon homme me désire (corollaire important, la pose est ici exclusivement hétérosexuelle, exclusiviste et maritaliste). Je suis la séductrice réactionnaire.

Très minimalement influencée par l’autre tendance, Jennifer Lopez a marginalement touché, elle aussi, le rôle d’allumeuse narcissique, notamment dans la chanson et le vidéo Play (2001), mettant en vedette cette voyageuse en avion de jour, danseuse en boite de nuit de nuit, toute occupée de son égotrip solitaire et maximal, et qui réclame à corps et à cris que le disc jockey lui joue sa pièce musicale favorite (même en s’occupant de soi, soi, soi, chez Lopez, il y a bel et bien toujours, pour une femme, un homme à interpeller).

Les continuatrices d’arrière-garde de Jennifer Lopez ne manquent pas, mais j’y vois surtout des artistes mineures faisant jouer un procédé stéréotypé aussi ostensible que peu original, plutôt qu’appliquant une vision doctrinale effective. Nommons, pour exemple, Mýa (Mýa Marie Harrison, née en 1979) et sa propension pathétiquement désespérée à se servir de son corps et de ses tenues pour compenser l’éventuel manque d’intérêt de son œuvre chansonnière et chorégraphique. La liste de ses consoeurs méthodologiques serait, il va sans dire, aussi longue que lassante à détailler. Notons au passage, que le conservatisme artistique qui marche mal, c’est surtout celui qui comble son vide en se remplissant du vent flatulent de l’air du temps… Au mérite de Jennifer Lopez, il faut quand même dire que, chez elle, la garde meurt mais ne se rend pas. Je veux dire par là que Lopez assume ses positions sexistes résurgentes et son conservatisme social et marital non par cynisme marchand mais bien par convictions effectives. C’est, elle aussi, une ferme doctrinaire. Elle restera donc datée mais, l’un dans l’autre, fera date. On reparlera un jour de cette chanteuse-icône début de siècle oubliée, qui se labellisait J-Lo, perpétuait avec ardeur le rude phallocratisme bling-bling-copain-copain d’antan, jouait si bien la comédie dans des navets si médiocres, et invitait, en toute candeur et sans complexe, ses admirateurs et admiratrices à voter pour le Parti Républicain…

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Il faut les observer très attentivement, ces personnages de notre lancinante mythologie visuelle et chansonnière contemporaine. La culture de masse est un vaste magma kaléidoscopique reflétant onctueusement nos propres tendances sociétales profondes. C’est le cloaque aux symboles, en quelque sorte. Nos incroyables poseuses de la chanson populaire n’échappent pas à ce sort fatal. Mais il y a poseuse et poseuse et il faut savoir discerner le stable qui dort au sein du sémillant qui frime et bien dégager ce qui s’annonce de ce qui tire sa révérence, en elles comme en nous… L’allumeuse narcissique pose des problèmes ardus qui sont nouveaux, la séductrice réactionnaire pose des problèmes ardus qui sont anciens. Tyrannie compétitive des femmes les unes sur les autres, tyrannie rétrograde des hommes sur les femmes. Fuite épisodique et bilatérale d’un des excès en s’empêtrant dans les rets de l’autre. Nos chanteuses-icônes n’ont vraiment pas fini de s’époumoner et de nous faire fredonner avec elles… Notons ceci, pour conclure: il ne s’agit pas ici d’aimer ou de maudire, il ne s’agit pas de valoriser ou de dénigrer, il s’agit, en fait, de comprendre (au sens de décoder) ces artistes de masse qui nous font dégager ces catégories sociales générales et, surtout, qui finalement nous font tant nous comprendre un peu mieux nous-mêmes.

Lady Gaga (Stefani Germanotta) devant le miroir aussi… dans le vidéo BAD ROMANCE (2009)

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La pilule érectile s’accompagne-t-elle d’une augmentation du pouvoir des femmes?

Posted by Ysengrimus sur 1 février 2010

Question percussive. Apparue au tournant du siècle (vers 1998), la pilule érectile (type: Viagra, Cialis, Lévitra etc) est indubitablement avec nous pour rester, et elle prend une importance ethnologique de plus en plus déterminante. La révolution des moeurs qu’elle introduit, subrepticement mais sans ambivalence, est aussi cruciale, et, dans un sens, beaucoup plus radicale, que celle que l’on doit à la pilule anticonceptionnelle, apparue cinquante ans avant. Cette dernière, ultime produit d’un phallocratisme en capilotade, séparait la femme de sa fonction de génitrice et la convertissait en atout autonome de plaisir, pour l’homme d’abord, puis, ensuite, la pulsion libératrice de l’évolution sociale aidant, pour la femme elle-même. La pilule érectile sépare l’homme de quelque chose de bien plus enraciné: ses bonnes vieilles certitudes génitalistes. La forteresse masculine est ébranlée sous la poussée de nouveaux postulats concernant le séculaire flageolement viril et les divers inconforts qu’il engendre. La pilule érectile questionne la masculinité en son épicentre et oblige son chambranlant dépositaire à regarder ses limitations et ses inaptitudes bien en face, puis à se remuer et à agir. Il appert que, pour dissiper son angoisse croissante, homo viris doit effectivement mettre en place une action, un suivi. Il appert aussi que notre bonhomme n’est plus là simplement pour prendre son plaisir de par la femme mais pour servir le plaisir de cette dernière aussi, l’un dans l’autre…

Or, ce point est justement débattu. Dans les rapports de sexage actuels, on accuse effectivement souvent l’usage de la pilule érectile de perpétuer, d’accentuer, de pérenniser le pouvoir (y compris le pouvoir abuseur ou abusif) des hommes sur les femmes (pensons au stéréotype déjà rebattu de la vieille dame exténuée qui ne veut pas que son satyre vermoulu obtienne sa prescription). Si le regard critique, qui anime cette idée d’une corrélation entre utilisation de la pilule érectile et abus de la «chose» chez l’homme, est parfaitement légitime, l’analyse elle-même, sur laquelle repose cette croyance, cloche quand même un peu. En effet, il semble bien que s’y manifeste une présomption faussée de ce qui se passe dans les abysses de la physiologie et de la psychologie masculine, lors de l’absorption d’une pilule érectile. L’erreur présomptive la plus commune ici est de confondre cette médication avec un aphrodisiaque, ce qu’elle n’est aucunement. Disons la chose comme elle est. La dureté artificielle de l’organe a un coût physiologique dont on parle moins dans les pubes: sa nette et indubitable insensibilisation. La virilité manufacturée se paye du prix d’une perte de l’intégralité physique de l’extase orgastique masculin. Donnant, donnant… Tant et tant que, jouir ou faire jouir, voilà finalement la question fondamentale qui se profile. pour notre homme. Et comme on ne peut pas feindre une érection et une éjaculation masculines (alors qu’on peut parfaitement feindre un orgasme féminin), cette question devient vite une hantise lancinante pour notre petit menteur compulsif et séculairement hypergénitaliste de bonhomme. On notera le triste corollaire ici: tout cela ne va rien arranger pour une remise en question du vieux préjugé cultivant la confusion brouillonne entre orgasme masculin et simple éjaculation, mais bon, l’ère de l’épanouissement sexuel exclusif de l’homme touche son crépuscule, cela a ses petite contraintes, que voulez-vous.

L’omerta masculine sur la question (que je trahis ici allègrement) ne change rien au fait que l’homme paye un coût sexuel et émotionnel passablement important dans toute cette histoire de pilule érectile (sans compter le coût encore largement méconnu, sur sa santé à long terme). Je défends donc ouvertement ici l’idée que la pilule érectile procède, en fait, d’une augmentation du pouvoir des femmes sur leur vie, dans leurs rapports avec les hommes, dans l’espace du sexage et de la séduction. J’irai même jusqu’à dire que la pilule érectile n’a pu apparaître et se répandre mondialement si rapidement qu’en vertu du pouvoir actuel des femmes sur leurs propres pratiques sexuelles. Je commencerai par faire une toute petite observation qui est loin de manquer de charme autocritique déjà: cette fois-ci, c’est l’homme qui doit prendre une pilule

Cette fois-ci, c’est l’homme qui doit prendre une pilule…

Reportons nous d’abord aux temps, désormais quasi-immémoriaux, où les dysfonctions érectiles ne faisaient pas l’objet d’un traitement au moyen d’une médication. Inutile de dire qu’elles ne faisaient pas l’objet d’une conscience bien précise non plus. On les occultait massivement et, quand il n’était vraiment plus possible de faire autrement, on les conceptualisait sous une notion aussi vieillotte que rigolote: celle d’impuissance. Quand je pense à cette vieille notion, sacralisante, ontologisante et stigmatisante, d’impuissance, il me revient le tendre souvenir de l’acteur cinématographique Clark Gable (1901-1960). Cette figure culturelle, symbole au siècle dernier, s’il en fut un, de la masculinité flamboyante, était, aux dire de son épouse du temps, parait-il, un impuissant. La notion semble alors porter une sorte de vigueur iconoclaste, doublée d’une critique fondamentale de l’homme, et parait le frapper en l’épicentre de sa mythologie phallocrate. Mais, hélas, cette critique tombait vite court. Le fait est que, si l’épouse de Clark Gable pouvait déjà se permettre de critiquer ouvertement, au sein des réseaux mondains du temps, les capacités sexuelles de son illustre mari, dans le traintrain usuel des couples ordinaires, la situation était toute autre. On assistait en fait, bien plus souvent qu’autrement, à la mise en place de la vieille posture contrite du roy privé d’héritier, et l’absence d’ardeur sexuelle de l’homme faisait souvent une accusée qu’on n’attendrait plus guère aujourd’hui: sa femme. Si un homme ne bandait pas, autrefois, c’était la faute à sa copine et c’est elle qui intériorisait la culpabilisation «inhérente» à la chose. Pas assez séduisante, pas assez engageante, pas assez perverse, pas assez salace, pas assez imaginative, pas assez constante, pas assez patata, pas assez patati. Je n’ai pas besoin de m’étendre, c’est le cas de le dire, sur la question. On voit bien le tableau. Alors que, hum, hum… au jour d’aujourd’hui, quand un homme ne bande pas, bien, c’est son problème, son petit problème personnel, individuel, exclusif et privé et, comme pour une surdité naissante, une verrue encombrante ou une cheville arthritique, eh bien, qu’il voie son médecin (ou son dealer)

Maintenant, si vous me permettez, on va s’autoriser un petit détour qui nous fera furtivement passer par les aventures intimes d’un jeune couple de torontois charmant de ma connaissance et que nous nommerons, pour ne pas les offusquer ni les trahir, Duncan et Roberta. Dans le vestiaire de la salle d’arme médiévale, un beau jour, comme ça, au beau milieu de tout et de rien, Duncan s’exclame à la cantonade: What the fuck is a stretch mark anyway? (Finalement, qu’est-ce que c’est donc qu’une vergeture?). Aucun des spadassins ne sait exactement de quoi il s’agit, en fait. Ce sont donc les spadassines, fort informées, quand à elles, sur la question, qui se chargent d’expliquer au bouillant Duncan ce que c’est qu’une vergeture. Pressé ensuite de questions par les épéistes des deux sexes, Duncan se met ensuite à nous raconter, tout triste, que son amie de cœur Roberta a terriblement peur qu’il soit révulsé par des vergetures qu’elle aurait, selon ses dires propres, en stries sur les pourtours des fesses et dont, de fait, Duncan n’arrive même pas à commencer de conceptualiser l’existence. Mes lectrices me comprendront ici parfaitement. Il y a un grand nombre de menues caractéristiques physiologiques que les femmes dissimulent pudiquement le plus longtemps possible à leurs amants, croyant que ceux-ci vont les critiquer, les enquiquiner et les pinailler sur icelles, alors que lesdits amants, je vous le dit haut et fort mesdames, NE VOIENT RIEN DE CELA EN VOUS. Le détour à travers l’aventure des vergetures de la douce Roberta, indétectables par le sémillant Duncan, force ici une observation de portée générale: c’est un trait éminemment féminin que de cacher chafouinement certaines particularités de son anatomie et de s’angoisser outre mesure de l’opinion éventuelle du partenaire intime sur ces dernières. Encore une fois, je n’ai pas besoin d’épiloguer. Bien des lampes d’alcôve soigneusement éteintes s’expliquent par ce simple petit aphorisme. Or, cette angoisse de la caractéristique corporelle honnie et cachée, qui était si étrangère à l’homme jadis, ne l’est plus totalement aujourd’hui. Car, voyez-vous, comme il ne peut ni dissimuler son absence d’érection ni en feindre une, il cache au moins une chose jalousement à sa partenaire et c’est justement l’absorption de la pilule érectile aux fins du retour imparable de ladite érection. La pilule érectile, son manque et ses ratés (car cela ne marche pas toujours…) font donc l’objet, pour l’homme, d’une angoisse d’apparence aussi forte, aussi empirique et aussi intériorisée que l’angoisse de la femme pour ses vergetures (ou ses varices, ou ses formes, ou sa ligne, ou l’épaisseur de ses lèvres, ou la racine non teinte de ses cheveux, ou etc)…

Cette angoisse du paraître devient ensuite une peur panique ouverte quand le tourment masculin entre dans l’espace ancien, trouble et tempétueux de la compétition amoureuse. S’être inquiété du compétiteur séducteur qui est jeune, qui a des cheveux, qui cuisine, qui a une jolie voiture ou des lettres ou du prestige social, ce n’est rien, infinitésimalement rien, aux vues de l’homme, s’il faut maintenant craindre l’epsilon sans avantages particuliers qui loge au palier, tout simplement parce que, lui, il bande… On a envie de se rouler par terre et de crier androhystériquement que s’il bande, ce corniaud là, c’est exclusivement parce qu’il gobe des pilules érectiles comme… tiens, justement, tout juste comme une femme a bien souvent envie de crier que les nichons saillants de la voisine de palier sont des implants et que sa tignasse torsadée est une perruque. Pour la première fois de son existence ethnoculturelle, l’homme se tourmente intérieurement, se torture en continu, en se disant que, libre, plus que jamais historiquement, de sélectionner ses partenaires comme bon lui semble, sa conjointe pourrait tout simplement choisir un autre homme, plus à la hauteur sexuellement, si des carences «primordiales» (aux vues de l’homme, sa génitalité restant le soliveau essentialiste de toute existence en sexage) ne sont pas corrigées d’urgence, par l’intervention chimique appropriée…

Alors, si vous m’autorisez une petite pesanteur démonstrative qui s’impose ici plus qu’ailleurs, nous avons, de par la banalisation galopante de l’usage de la pilule érectile:

1-     Une généralisation absolue et totalement incontestable du syndrome de Clark Gable. Si tu ne bandes pas, gars, c’est uniquement et exclusivement ton problème. C’est une condition médicale privée et c’est intégralement à toi d’y voir. Passer la faute à l’autre sur ceci, c’est fini.

2-     Une généralisation absolue et totalement incontestable de l’effet vergetures. Il faut masquer ses petites imperfections discrètement et sans trompette, car (croit l’homme, outre mesure comme il se doit) elles pourraient soulever des arguties avec la partenaire et/ou le milieu social.

3-     Une généralisation absolue et totalement incontestable de la terreur compétitive. L’homme qui ne bande pas, quand, désormais, c’est remédiable, risque (croit l’homme, outre mesure comme il se doit) d’être distancé par l’homme qui bande, que ce soit naturellement ou parce qu’il y a justement (chimiquement) remédié.

Il est, dès lors, bien difficile de ne pas considérer cette analyse en trois points sans observer que désormais l’homme intériorise et magnifie des responsabilités, des peurs, des angoisses, un cadre de pensée qui étaient jadis des apanages exclusivement féminins. Si l’homme de ce siècle-ci commence à vivre des inquiétudes et des états d’âmes semblables à ceux d’une femme du siècle dernier, il n’y a pas de chanson à se chanter, c’est que son pouvoir s’étiole. Sceptiques? Oh, oh… Voyez simplement le topo dans l’angle de la question suivante, alors. Pensez-vous vraiment que le grand-père de l’homme contemporain se serait abaissé à prendre une pilule pour se faire bander? Mais poser la question, c’est y répondre. Voyons donc! Le machisme dans sa période doré n’aurait jamais cultivé ce genre de dérive involontairement autocritique pour lopette anxieuse puisant, dans une chimie suspecte, ce qu’elle ne trouve plus dans la «nature» (souvenons-nous des dénis masculins tonitruants face à une pilule anticonceptionnelle masculine. C’était tout simplement pas pour lui, ce genre de platitude routinière pharmaco-chiante)… Or, ce qui, pour son couillu d’aïeul, aurait été une humiliation absurde et inane, une incohérence mentale et un déni brouillon des évidences les plus fondamentales de l’Être, est, pour l’homme contemporain, un mode de vie, simple, ordinaire, généralisé, imparable.

Mesdames, prenez la simple mesure des faits. Votre partenaire sexuel consomme une pilule érectile, en secret, pour vous plaire, pour se survivre sexuellement à lui-même, et pour ne pas vous perdre. Ce faisant il est sordidement aliéné, me direz-vous peut-être, mais qui ne l’est pas? C’est, pour lui, un choix fatal, contraint et contrit. Il n’en rit pas, ne s’en tape vraiment pas sur les cuisses, ne s’en vante pas et n’en parle jamais avec ses copains (sauf dans le cadre sécurisant de l’humour douteux imputant cette pratique aux autres gars). Cela ne mousse aucunement son ego et ne rehausse en rien sa libido (redisons-le: l’action chimique est strictement localisée et sa portée est fondamentalement non orgastique). Secrètement, notre homme, en plus, eh bien, il s’inquiète, il a honte, il a peur, il craint ses pairs et ses concurrents. Hagard, il prend un strapontin dans l’univers contemporain de l’hédonisme contraint. Sentiment bien familier, mesdames, non? Bien son tour, un petit peu, non? Comment être certaines que telles sont vraiment ses émotions, me dites-vous? Simple. Il la prend la petite pilule. Il la gobe en silence. Il retourne chez le pharmacien, en catimini. C’est souverainement barbant pourtant, ce genre de routine (vous le savez bien, mesdames, depuis 1959), mais il le fait maintenant, en silence, et sans bougonner encore. Inusité, quand même. C’est là votre plus sûr garant de sa contrainte et de sa contrition. Laissez-le faire, un petit peu, au fait… Laissez le mariner dans cette nouvelle chimie des âges. Car, ce faisant, c’est sa compréhension intime de ce que vous vivez vous-même qui s’imprègne profondément en lui. Et plus votre partenaire vous comprendra, plus il vous ressemblera. Et plus il vous ressemblera, plus votre pouvoir, qui est autre, alternatif, moderne, nouveau, non patriarcal, communicatif, collaboratif et égalitaire (en ce sens qu’il tend à requérir une plus grande identité empathique des êtres), augmentera. Il faut que votre ordre et votre logique croissent et que la sienne diminue… un peu… un petit peu beaucoup, quand même.  On vise l’égalité.

La pilule érectile n’augmente pas obligatoirement, comme mécaniquement, le pouvoir des femmes. Il faut, de fait, inverser cette équation. C’est finalement plutôt l’augmentation du pouvoir et de la liberté sexuelle des femmes, survenue d’autre part –indépendamment- dans la vie sociale et la lutte pour les droits, qui rend possible, puis obligatoire, puis parfaitement ordinaire, aux tréfonds des replis physiologiques et mentaux de l’homme, la généralisation fulgurante de la pilule érectile.

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Paru aussi (en version abrégée) dans Les 7 du Québec

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Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée

Posted by Ysengrimus sur 1 décembre 2009

En misant sur nos paniques, infantiles ou dubitatives, nos tyrans du pèse-personne ne se conforment pas à la charte pour une image saine et diversifiée…

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La Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, adoptée en 2009, dans une perspective intégralement «non cœrcitive» par le gouvernement du Québec et une poignée d’entreprises flagornoïdes, se formule, textuellement, comme suit:

Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée

L’image corporelle véhiculée dans l’espace public et médiatique a une influence sur l’image personnelle, sur l’estime de soi et, indirectement, sur la santé de la population. Nous reconnaissons que les idéaux de beauté basés sur la minceur extrême peuvent nuire à l’estime personnelle, particulièrement chez les filles et les femmes. Nous croyons que les comportements alimentaires et les pratiques de contrôle du poids sont influencés par des facteurs tant biologiques que psychologiques, familiaux et socioculturels. Nous préconisons l’engagement des partenaires de tous les milieux, gouvernementaux, associatifs et corporatifs pour, ensemble, contribuer à faire diminuer les pressions socioculturelles au bénéfice d’une société saine et égalitaire. Nous avons la conviction que les secteurs de la mode, de la publicité et des médias peuvent assumer un véritable leadership par leur vitalité et leur créativité afin d’exercer une influence positive sur le public. Nous désirons suivre le courant international du milieu de la mode dans ses initiatives de conscientisation sur les problèmes liés à la préoccupation excessive à l’égard du poids, à l’anorexie nerveuse et à la boulimie. Nous avons résolu, à l’instigation de la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de participer collectivement à la rédaction de cette charte et de lancer un appel à l’action pour transmettre, dans notre collectivité, une image corporelle saine et diversifiée.

En conséquence, nous souscrivons à la vision d’une société au sein de laquelle la diversité des corps est valorisée et c’est pourquoi nous, personnes soussignées, dans le cadre de nos missions respectives, nous engageons à:

1. Promouvoir une diversité d’images corporelles comprenant des tailles, des proportions et des âges variés.

2. Encourager de saines habitudes autour de l’alimentation et de la régulation du poids corporel.

3. Dissuader les comportements excessifs de contrôle du poids ou de modification exagérée de l’apparence.

4. Refuser de souscrire à des idéaux esthétiques basés sur la minceur extrême.

5. Garder une attitude vigilante et diligente afin de minimiser les risques d’anorexie nerveuse, de boulimie et de préoccupation malsaine à l’égard du poids.

6. Agir à titre d’agents et d’agentes de changement afin de mettre de l’avant des pratiques et des images saines et réalistes du corps.

7. Faire connaître la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée auprès de nos partenaires, de nos clientèles et de nos relations professionnelles tout en participant activement à l’adhésion à ses principes et à leur respect.

Commentaire critique d’Ysengrimus: Passable. J’ai effectivement signé. C’est timide mais honorablement méritoire et je suis plutôt pour. De toute façon, bon, une charte c’est un corps de recommandations générales qui “décolle” si (et seulement si) elles correspondent à des priorités sociales effectives. Or, ces priorités sont indubitablement dans l’air aussi, en ce moment, un peu partout dans le monde occidental. La mayonnaise pourrait donc bel et bien se solidifier adéquatement et prendre. On en parle, on en débat. On enrichit la réflexion critique, ici et là, dans les coins. Aussi, sans surestimer son impact, je crois que nos consciences seront plus stimulées sur la question avec une charte que sans… Et, maintenant qu’elle est écrite, sauf si on me prouve clef en main qu’elle déconne complètement, pourquoi s’en priver?

Évidemment les ci-devant «partenaires corporatifs» (les entreprises privées) qui s’y associent le font ici par pur opportunisme cynique. La colère des femmes face à cette lancinante tyrannie des apparences précède la Charte et l’engendre, pas le contraire. Que les entreprises qui prennent ce train en marche ne cherchent pas à nous faire croire ledit contraire a posteriori, en se lavant subitement plus blanc et en se donnant tout à coup comme dévouées corps et biens à l’élévation de la conscience esthético-diététique des masses… Leur «véritable leadership» n’est que pure fadaise. Leur implication, si tant est, n’est ici rien d’autre qu’un signe fétide, un symptôme purulent de plus du fait que ces commerçants insensibles sentent le vent tourner sur ces questions au sein de la société civile. Et… oh… il faut leur tenir la dragée haute. C’est qu’ils vont aussi ostensiblement ignorer la charte si cette dernière fait baisser leurs ventes de merdasses diverses pour maigrasses abstraites aux courbes asymptotiques. Mais bon, je trouve que l’un dans l’autre la ci-devant Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée c’est un peu comme le Guide alimentaire canadien. C’est là, c’est formulé, c’est désormais installé avec nous. On n’aura pas toujours le nez dedans mais au saura désormais qu’elle existe. Tant et tant que ceux et celles qui ignoreront cette discrète compagne de route éthique, ou la trahiront, seront bien redevables un jour ou l’autre devant leurs commettants, clients, chalands, ou victimes. On pourra leur dire qu’en misant sur nos paniques, infantiles ou dubitatives, nos tyrans du pèse-personne ne se conforment pas à la charte… On pourra ouvertement invoquer la nouvelle notion phare d’image corporelle saine et diversifiée. J’en parle d’ailleurs ici, et j’insiste sur cette modeste initiative parce que, franchement, je trouve que nos folliculaires ont chié copieux sur cette charte, notamment, et c’est parlant, dans les pages dites «féminines». Ils ne la citent pas explicitement et la criticaillent tataouineusement avec, ma foi, une mauvaise foi particulièrement revêche. J’en suis sorti avec le net sentiment que toute une industrie de l’angoisse et des peur des femmes (de concert avec les thuriféraires journaleux et journaleuses de ce totalitarisme consumériste) se sent directement menacée par l’émergence, même timide, d’une perspective critique sur ces questions d’esthétiques corporelles, bien moins superficielles qu’il n’y parait, au demeurant. C’est indubitablement une affaire ethnologique de la toute première importance. Une affaire à suivre attentivement. Le loup de garde Ysengrimus y verra.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Un narcissisme masochiste, ou plutôt un… un hédonisme contraint

Posted by Ysengrimus sur 31 août 2008

femmeaumiroir

Nous vivons des temps narcissiques. Les femmes ont beaucoup à y voir et les hommes emboîtent ouvertement le pas. Jadis elle se faisait belle pour lui. Maintenant elle construit le tonus, le costume, le décors de beauté qui lui plait à elle, et lui, eh bien, il en fait partie du mieux qu’il peut… ou pas. Nous sommes entré(e)s à l’époque où la femme s’occupe d’elle-même et il n’y aura pas de retour en arrière. Les nostalgiques de la femme soumise resteront inexorablement sur le bord de la route vers l’Urb. Cela se joue désormais entre la femme et son miroir. Même si elle croit encore qu’elle se façonne ainsi pour le bénéfice et la joie de l’homme comme autrefois, elle se leurre. Il faut la décrire sans partager l’illusion qu’elle entretient sur elle-même. La corde phallocrate est cassée. La frustration des instances masculines à l’ancienne est de plus en plus tangible, face à cette nouvelle culture ordinaire en émergence. La meilleure preuve imaginable du fait que l’homme ne dicte plus le ton des choix des femmes, c’est justement qu’il emboîte le pas, un peu à la traîne. L’homme commence à s’installer devant le miroir aussi, hanté par cette batterie de nouvelles priorités. Les angoisses de l’apparence commencent à sérieusement le gagner aussi. La culture intime des femmes remporte un certain nombre de joutes. L’une d’entre elles est celle de la généralisation et du partage de ses angoisses. Et pourquoi pas? Pourquoi les femmes seraient-elles les seules à se polluer l’existence avec ces questions d’apparence? Il faut partager le fardeau, en quelque sorte, le répartir également (en attendant de le jeter par terre). C’est de bonne tenue. Qui plus est, la morale archaïque qui jugeait négativement le narcissisme est totalement hors-jeu. Ce type vieillot de culpabilisation, personne n’en veut plus et à raison. Pensons-y froidement: qu’y a-t-il de mal à s’aimer soi-même. Qu’y a-t-il d’inadéquat à voir l’estime de soi comme un fondement de l’estime des autres? Notre temps répond: rien, et il a en partie raison, devant la logique ancienne. L’estime de soi n’a pas toujours été une valeur fondamentale. C’en est une maintenant. L’estime de soi fut longtemps subordonné à la soumission à la famille, à l’employeur, au pays. Ce n’est plus le cas. Le narcissisme pourrait être la grande pulsion libératrice de ce temps… s’il se contentait de jubiler et de jouir.

Or le narcissisme contemporain est hautement masochiste. Que voit la femme obnubilée dans son miroir? Une autre femme, qui n’est pas là parce qu’elle se pavane, faussement nonchalante mais en fait hautement manufacturée, sur les couvertures de revues et dans le déroulement des bandes d’actualité. Une autre femme que notre contrite au miroir juge, unilatéralement et sans vérification bien précise, mieux faite, mieux construite, mieux proportionnée, plus apte à faire émaner la beauté, à transmettre la jouissance. Les hommes suivent toujours. Ils suivent de plus en plus cette culture intime exacerbée et cruelle de la compétition et de la terreur de la perte de l’image propre, adéquate, conforme. Ils ne la dominent plus mais la confirment toujours, y compris de par leurs sottes éructations. Narcisse avait au moins la décence d’aimer inconditionnellement le personnage qu’il voyait se refléter dans le lagon, qu’il prenait pour une femme d’ailleurs. Ici Narcisse se hait. Il ou elle se trouve trop ceci ou trop cela. On ne se contemple pas pour jouir de soi, on se contemple pour se subir, pour souffrir, pour chercher à se modifier. Où est-il passé le temps où Fonzi, le petit macho sans complexe de Happy Days, se plantait devant son miroir peigne en main pour se coiffer et… renonçait ostensiblement à le faire, jugeant sa crête de coq inaltérablement parfaite. C’était lui le narcissisme jubilant, apanage masculin suranné. Il accompagnait le phallocratisme dans sa période dorée. C’est terminé. Aujourd’hui, c’est la compétition exacerbée des corps, des normes, des mesures, des modèles. Les femmes se déchirent entre elles. Elles dénoncent ledit modèle comme on attaque le plus virulent des adversaires et, en même temps, elles aspirent à rencontrer des normes axiomatisées, abstraites, tyranniques, émanant du même adversaire. Elles se dénigrent entre elles, se démentent, se dénoncent, se contredisent, se tirent dans les pattes. Elles veulent et ne veulent pas se modifier pour rencontrer l’axiome. Le double message se hurle dans la douleur des chairs. Si je ne me reconfigure pas (chirurgicalement ou autrement), on ne va pas m’aimer. Si je me reconfigure (chirurgicalement ou autrement), ce ne sera plus vraiment moi qu’on aimera. Paradoxe insoluble pour une sortie abrupte de la joie de vivre, sinon de la vie. Mais lancinant paradoxe d’une époque aussi. Maximale haine de soi répercutée en l’autre. Combien de nos Narcisse contemporains se sont retrouvé(e)s à hurler de frustration devant leur miroir, allant jusqu’à griffer ou à frapper à coups de poings rageurs la partie corporelle qui ne leur plait pas. L’individualisme contemporain aurait pu créer un vivier favorable et plaisant pour l’amour de soi. La compétition commerciale et l’obsession des modes et des conformités convertissent le tout en la plus cuisante des souffrances normatives. L’enfer de l’égocentrisme, c’est bel et bien toujours les autres…

D’ailleurs parler de masochisme est partiellement fautif. Le masochisme a au moins la décence —si je puis dire— de tirer du plaisir de contacts physiques cuisants. C’est, l’un dans l’autre, une forme de sensualité, abrupte, brutale et surprenante, pas à la portée de tous les épidermes certes. Mais il reste que le masochisme est joyeux et assouvissant chez ceux et celles qui l’assument ouvertement. Ce que je décris ici est triste, rageur, frustré, dépité, morbide, malheureux comme les pierres. Je crois finalement qu’on a affaire à un hédonisme contraint. C’est la jouissance truquée par excellence de notre modernité de toc. Désormais, il faut faire dans le sexy, dans le (pseudo) sensuel, dans le séduisant, dans le pulpeux et l’onduleux, dans l’enviable, dans le prostitutionnel, quitte à se faire gonffleter les lèvres, les pectoraux ou la poitrine pour y parvenir. Les hommes absorbent toute sortes de substances suspectes pour se faire monter une soufflette d’Adonis manqué (ces pratiques, désormais, ne sont pas restreintes aux gyms et salles de musculation, il s’en faut de beaucoup). Les femmes, on n’en parle pas… la cruauté chirurgicale envers leur corps culmine, en nos temps comme jamais. Hédonisme de poseurs et de poseuses, sensualité de théâtre de carton pâte. Faux plaisir, jouissance absente. Frustrer et faire des jaloux et des jalouses est plus important que de ressentir un plaisir effectif. Ce n’est pas une orgie, c’est un défilé de mode, contrit et souffreteux. N’avez-vous donc jamais constaté que, dans un défilé de mode, absolument personne ne s’amuse?

Narcissisme sans amour de soi. Masochisme qui souffre non pas pour jouir mais pour paraître et se refaire à l’image imagée de l’image imaginaire impossible. Hédonisme contraint (ce qui est une rude contradiction dans les termes). La libération sexuelle est une faillite. Elle nous a libéré de notre soumission de bouvillons et de génisses face au hobereau cultivateur et obtus de jadis, pour nous livrer, nu(e)s et désemparé(e)s, à la compétition urbaine, cynique, envieuse, insensible et exacerbée du capitalisme commercial et au vedettariat truqué de l’égocentrisme néo-inquiet… Pour le coup, la jouissance, le plaisir, la beauté toute simple, la vraie séduction du coeur, ce sera pour un autre jour…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Homosexualité masculine et capitalisme

Posted by Ysengrimus sur 13 août 2008

L’homosexualité devient un phénomène de masse sous le capitalisme.

L’homosexualité devient un phénomène de masse sous le capitalisme.

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Par rapport à la féodalité, le capitalisme est libérateur. Il fait éclater les vieux rapports de vassalité, de métayage, de servage et leur substitue un engagement commerçant. L’esclavage disparaît avec l’ancien mode de production agricole (il laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le racisme), la division sexuelle du travail s’effiloche graduellement (elle laisse une trace idéologique que le capitalisme recycle: le sexisme) et, avec elle, les vieux schémas phallocratiques et paternalistes basculent dans l’archaïsme. Les anciens esclaves, les femmes (dans certaines portions du monde même les enfants) sont désormais salariés. L’égalité s’instaure graduellement, inexorablement. Par rapport à l’ancien ordre, tout est nivelé parce que monnayable. Une omniprésente inégalité, unique et constitutive, se maintient, en éliminant toutes les autres: celle de la quantité d’argent détenue et obtenue.

Les représentations idéologiques de nature féodale ne sont pas intégralement évacuées. De fait, comme la fumée après un grand incendie, l’idéologie traîne longtemps dans l’espace après l’extinction des conditions objectives de son engendrement. On peut même dire que la culture intime d’un groupe reste marquée par la phase historique de sa grandeur et que son idéologie en reste inévitablement durablement teintée. La période dorée laisse de la poussière d’or qui colle à la surface des idées nouvelles. L’hétérosexualité masculine connut son âge d’or sous la féodalité. L’homme homosexuel en ce temps était marginalisé, tyrannisé, éradiqué, rejeté, nié. L’homme hétérosexuel fleurissait dans la soumission de sa femme, de ses serfs et du clocher du village à sa loi et à son ordre. Encore aujourd’hui, l’homme hétérosexuel cardinal est celui qui se comporte en gentleman, ce qui implique un gestus, un ensemble de pratiques ordinaires, un ton, un style (singé ou surfait, naturel ou exagéré) directement hérités des temps féodaux et jouant toujours un rôle non négligeable dans la dynamique de séduction hétérosexuelle. L’amour courtois et ses photocopies contemporaines sont un culminement hétéro…

Dans le torrent de tout ce qu’il libère, le capitalisme libère aussi l’homosexualité masculine. Tous les verrous de l’armure de masculinité du hobereau féodal sautent les uns après les autres et l’admiration, ouverte ou secrète, qu’il ressentait pour son propre groupe se modifie insensiblement. La proximité virile qu’il entretenait au sein de sa propre culture intime peut graduellement sortir de l’enclos circonscrit de la camaraderie strictement codée des cercles masculins et se débrider. Sur les quelques siècles qui nous voient passer du capitalisme industriel au capitalisme tertiarisé, commerçant, transnational, mondialiste et technologique de notre temps, l’homosexualité passe de la culture de résistance d’un Oscar Wilde et d’un John Keynes à la culture de masse des parades de la fierté gay et du mariage homosexuel.

L’hétérosexualité fut un phénomène de masse sous la féodalité. L’homosexualité devient un phénomène de masse sous le capitalisme. Cette médaille a évidemment son revers. La culture homosexuelle masculine sera donc, face à l’Histoire, une culture profondément et intrinsèquement marchande. Elle sera marquée aux coins de l’individualisme, du narcissisme, de la publicité, de la promotion de soi, de la compétition à outrance, de la mise en marché, de la surconsommation, du gaspillage, du cynisme insensible. Elle sera les USA du sexage, en quelques sortes. L’homme hétérosexuel s’engageait avec une femme et la trahissait crucialement en la trompant, car tout dans ses rapports de sexage procédait du lien, voulu éternel, s’établissant entre l’homme d’armes constant et la stabilité de la terre et du sain lignage du troupeau. L’homme homosexuel qui change de partenaires, temporairement ou non, ne transgresse aucun ordre. Il fait tout simplement rouler la marchandise. Il sélectionne un nouvel objet de plaisir, en évalue l’âge, le poids, l’attitude, la posture, le volume de la bite, les aptitudes de performance puis le consomme et jette après usage…

Notons, et c’est très important, que, même après la chute de la féodalité, le sexage hétérosexuel continue de fleurir et entre même dans une vaste dynamique de désaliénation qui le mène vers le droit au divorce, le caractère facultatif du mariage, les pratiques anticonceptionnelles, une plus forte égalité dans le couple, un déclin de la soumission servile des enfants etc. (toutes ces caractéristiques sont des manifestations de la déféodalisation de la culture hétérosexuelle). L’hétérosexualité contemporaine vit sa phase post-impériale, post-hégémonique. Elle prend graduellement sa vraie place, plus modeste, non dominante, non exclusive, non normative, un peu comme la France après le Grand Siècle ou l’Angleterre après Victoria. C’est l’homosexualité maintenant qui vit les grandeurs et les affres de sa phase hégémonique. Aussi, il faut voir clairement ce qui se passe et le dire. Une bonne partie de la crise promiscuitaire, des jalousies compétitives et du cynisme insensible de l’homme homosexuel ne sont en rien des traits inhérents de l’homosexualité (comme cherchent à le faire croire maints réactionnaires mal avisés). Ce sont plutôt là des traits conjoncturels du capitalisme, contexte social d’émergence de l’homosexualité masculine comme culture de masse.

Que vive et fleurisse l’homosexualité masculine. Et surtout, vivement qu’elle se libère du mode de production marchand qui la distord, restreint sa portée, rapetisse son universalité, enfreint son épanouissement légitime et l’expose aux jugements discriminatoires et aux descriptions superficielles de ses détracteurs d’arrière-garde.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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