Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Archive for août 2019

ÉGLOGUES INSTRUMENTALES — Castagnettes

Posted by Ysengrimus sur 21 août 2019

Castagnettes capiteuses
Vous accompagnez la danseuse
Dans son vigoureux froufou
Coloré, vif, andalou
Les taches crues d’une vive vignette
Et le clac! des castagnettes
Nous redonnent le ton d’un temps
Et nous revoici contents.

Derechef il faut le dire
Sans le pleurer ni le rire:
Quand le rythme se cliquette
Au tempo des castagnettes
Ça annonce quelque chose
Un atavisme qui impose
La dure pulsion de sa loi
Un et deux et un, deux, trois.

Et dans le torrent des âges
Sur le sable et dans la vase
Comme dans le plissé des jupes
C’est bien la musique qui lutte
Contre l’eau de la nuit noire
Buvant nos brasiers à tiroirs
Et le feu dans les larges mirettes
De la joueuse de castagnettes.

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À propos de la posture victimaire dans la fachosphère

Posted by Ysengrimus sur 15 août 2019

fachosphere-tendance

 

On ne présente plus la fachosphère. Elle est omniprésente sur internet, rampante, gluante, sirupeusement implicite. Elle est dispersée, saupoudrée, vermiculaire. Elle se dit, se dit et se redit. Les arguments de ces doctrinaires, obtus ou cinglants, solaires ou lunaires, eux aussi sont rebattus, résurgents, symptomatiques de la pourriture sociétale d’un temps, révoltants, pitoyables. On connaît bien ce contenu socialement régressant, anti-capi-mais-par-la-droite, pro-PME-anti-«bancaire», libertinophobe, gynoclaste, hétérosexiste, xéno-ethnocidaire (ce dernier trait hautement variable et sélectif, au grée des sources de financements internationales), «catholique-culturel», populiste-pingouin-de-baseux, post-GUDeux, militariste de casernes (en affectant de conspuer les états-majors). Pas grand chose de vraiment, effectivement, original. Ou… un peu quand-même…

S’il y a quelque chose de nouveau en la fachosphère du moment, là indubitablement, c’est moins le détail fin de ce contenu doctrinal fétide que le style oratoire ou argumentatif de sa mise en ligne. La fachosphère contemporaine a pignon sur rue, le sait et a le triomphe l’un dans l’autre modeste, l’insistance tendue mais discrète. Ses colères sont froides. Ses tribuns se déguisent désormais en penseurs maudits, profonds, sombres et songés. Elle ne s’énerve pas, ne s’emporte pas. Elle ne «milite» plus, elle explique. Elle éduque doctement les masses. Et surtout, aussi christique que chrétienne (helléno-chrétienne, hein, pas de gourance), elle construit patiemment sa martyrologie, tisse tout doucement sa toile à capturer les larmes. Au jour d’aujourd’hui, les bouillants, les virulents, les éructifs, les pulsionnels, c’est les autres. C’est les oppresseurs, les orateurs, les politiques, les médiatiques, les atterrés, les éberlués. La fachosphère ronronne puissant, se ratiocine doucement et ne fait plus le coup de poing. Apaisée, décomplexée, elle la joue victimaire. Voyons les grandes lignes de ce nouveau ton murmurant du chœur des vicaires cyber-fachos.

Nous ne sommes pas racistes, vous l’êtes. Au sens littéral, le seul valide et le seul invoqué, la fachosphère n’est ni raciste ni antisémite. Vous avez bien lu. Si on l’accuse de faire du racisme et de l’antisémitisme, on soumet ses «analyses» au chantage (chantage au racisme, chantage à l’antisémitisme). D’ailleurs savez-vous quoi? C’est largement vrai et attesté que la race n’est plus un repoussoir fachosphérique opératoire. Le racisme, le vrai racisme racialiste, vous savez, celui des formes de crânes, de la force des bras et des dents, des courbures de nez, des couleurs de peau, des hiérarchies ethno-intellectuelles, eh bien il n’a plus tellement cours. La civilisation est désormais tellement racialement diversifiée… et plus vive et matoise que jamais! La fachosphère est tellement racialement diversifiée, elle aussi! C’est un fait net qu’il est désormais inepte, creux et inefficace de la ramener en invoquant les critères qui furent ceux de Gobineau et/ou de la solution finale et de l’espace vital. Même le fascisme contemporain, sous le poids puissant des faits historiques, a du avancer d’un gros cran, sur ces questions. Maintenant ethniquement plurielle (ce qui est la confirmation imparable du fait que les idées, même les plus rétrogrades, ne sont justement pas des monopoles raciaux), la fachosphère racialise désormais sa démarcation dans l’autre sens. Entendre par là qu’elle va narquoisement à la pêche au racisme crétin chez ses adversaires. Et elle trouve de quoi bien remplir ses nasses. Injures nullardes, mots malencontreux, attitudes inadéquates, réminiscences boiteuses, nostalgies colonialistes sous-jacentes, théories courtichettes mal ficelées, coups de gueules foireux… et vlan. C’est maintenant le bon petit blanc ramolli du cognitif qui se fait piéger au jeu de la rectitude politique dont il prétendait tendre les rets et dicter les règles. Certains intervenants fachosphériques sont des as dans l’art mutin de colliger les bourdes télévisuelles de blancs crétins dont nous nous foutons tous mais qui, bien rehaussées, deviennent le repoussoir victimaire idéal d’une extrême-droite multiforme, matoise-sournoise, qui n’a aucune pudeur à identifier son idéologie délétère à rien de moins qu’un antiracisme nouveau genre. Et la bonne conscience de disjoncter. Et le chantage de s’inverser. «Je suis pas blanc et je suis explicitement fachosphérique. Tu dois penser comme moi sinon tu roules avec les blancs, contre la pensée ‘nouvelle’ issue de la conscience de l’humain planétaire».

Nous sommes non-conformistes. Les fachosphériques sont soit des jeunes, soit de vieux juvénilistes. Ils ont donc pour eux, pour un temps, la vigueur du (re-re)nouveau, du faux-frais, du pseudo-vif. Ils sont les néo-réacs 2.0. Et ils en jouent à fond. La gauche désormais, c’est la république à la papa, c’est le Mai archaïque-68 de Dany LeGris, c’est les baby-boomers, c’est croulant, c’est déliquescent, et c’est suspect d’être entré profond, bien profond, dans l’intégralité des canaux de corruption institutionnalisés. Je ne vais pas me fatiguer à exposer qu’il y a des jeunes de gauche, dont l’action est hautement révélatrice de tendances sociétales profondes et neuves. Mes enfants et le Québec de 2012 en font foi. Mais les fachosphériques «expliquent» à la jeune gauche qu’elle fait preuve de conformisme social, qu’elle fait jouer les vieux réflexes libertaires, fatigués, alanguis et démodés, qu’elle est bobo, gauche-caviar, liseuse du Monde Diplo, écolo-gentillette et hipstérisante, donc snobinarde, donc bourgeoise. Contre ce qu’il expose alors comme un conformisme bourgeois de gauche, le fachosphérique se pose en fringuant dépositaire de tous les anticonformismes populaires contemporains. Désormais, résister, combattre le «système», c’est libérer notre droit d’avoir un Peuple, une Religion et un Sexe (contre le mondialisme, contre l’athéisme trivialisé en laïcité, contre la «théorie du genre», institutionnalisés, perlant partout, de l’école au palais présidentiel). S’en prendre aux fachos aujourd’hui c’est, dans la perspective fachosphérique, s’en prendre à une jeunesse cyber-éduquée, alternative, un peu punk (dans le bon sens), sympa, voyoute-muscu, potache-résistante, et qui se laissera pas faire par les barbons Trotsky et les pimbêches de Beauvoir qui regardent les banlieues de haut.

Vous nous insultez, nous marginalisez, nous rejetez. Le troll est mort. Vive le débatteur fachosphérique onctueux, poli, patient, collant, politicien. Cyber-éduquée, bien imprégnée de la trajectoire incurvée —fulgurante— du monde de l’internet, la fachosphère actuelle comprend intimement qu’on n’est plus en 2006 pour s’envoyer des vannes à la gueule jusqu’à ce que le forum devienne engorgé ou qu’il ferme. L’intervenant fachosphérique actuel opère de facto sur des cyber-espaces de plus en plus fliqués et judiciarisés. Il s’ajuste. Il s’adapte. Il joue donc de politesse, d’implicite, de faconde onctueuse. Il parle d’ananas, d’index levé en l’air, d’ «empire» et de «banque». Qui vous poursuivra pour avoir levé un index en l’air ou avoir abstraitement dénoncé une banque? Et c’est ici que le modus operandi victimaire de la fachosphère entre en mode force tranquille. Toute objection, toute opposition aux propos fachosphériques est une insulte non motivée, une méchanceté gratuite, une marginalisation, une discrimination, une attaque personnelle ad hominem. Le troll c’est toi! Toi qui t’énerve un peu, toi qui t’objecte en sursautant, toi qui combat encore, toi qui picosse un rien dans le saindoux faussement déférent pour y retrouver les idées à abattre. Témoin de Jéhovah collé à ta porte et ayant fait semblant d’entendre ta salve, le fachosphérique t’englue désormais dans la sienne, mollement mais sans mollir. Et le brutal, c’est toi. Le hargneux, c’est toi. Celui qui se tient pas et sort de ses gongs, c’est toi. Et moi, le fachosphérique, monsieur le modérateur, je ne suis que la victime, innocente et douce qui cherchait juste à penser différemment et à le dire, tout simplement.

Comme vous rejetez pas l’empire comme nous, les impérialistes, c’est vous. Les fachosphériques ont de fait tout inversé. Ils nous présentent Dresde 1945 comme si c’était Berlin 1931. Pauvre de nous, nous sommes des dupes intoxiquées et endormies par une démocratie menteuse et une culture de masse sciemment dévoyée et qui nous manipule. Hitler est un brillant économiste désormais, vous saviez pas? Il était le seul à avoir su tenir tête à Wall Street et il a payé pour. La guerre s’est pas fait contre lui mais pour ses ennemis, pour ainsi dire. Lui aussi, il est la victime, dans toute cette grosse affaire distordue du siècle dernier. Tout s’inverse et, en cela, la fachosphère contemporaine est bien l’indice purulent, le symptôme malodorant mais crucialement loquace et lancinant de la déliquescence de tout ce cadre de représentations jovialiste et prospériste des Trente Glorieuses qui ne reviendront plus et dont plus personne ne veut. Le summum de la conceptualisation victimaire des fachosphériques, c’est le fameux phénomène du rouge-brun. Criss-cross! Marx est un penseur fasciste et le Front National est le plus grand parti de gauche de France. Vous le saviez pas? Vous saviez pas que c’est ça, désormais, la seule façon valide de penser l’impérialisme? Ce n’est pas la production capitaliste mondiale qui est en crise. Ce n’est pas la baisse tendancielle du taux de profit qui continue de se déployer. Non, non, C’est l’empire qui panique devant le retour des vraies valeurs… et comme vous rejetez pas l’empire comme nous le faisons, eh bien, les impérialistes, c’est vous.

Que faire? Donc le nouveau dialogue cyber-classique contemporain du débat politique c’est ceci: un fachosphérique onctueux, larmoyant et victimoïde traite d’étroit d’esprit et de brutal un gars ordinaire juste parce qu’il ose être atterré par la résurgence brune. De la rationalité inversée à son meilleur. Alors que faire? Simple. Ne pas les victimiser plus et, surtout, répondre un peu, juste un petit peu, pas trop non plus. Les faire parler, surtout, bien parler, tout vomir, tout éructer. Qu’ils sortent du cyber-maquis et s’exposent un tantinet, qu’on médite. Il faut les amener à extirper leurs idées du brouillard victimaire. Qu’on nous la livre plus clair, plus net, la doctrine dure, la pensée bleue acier et noir charbon, dans sa raideur simplette et sa limpidité inoriginale. On la perd un peu, dans tout ce ballet de pixels et de courriels et c’est pourtant elle qui doit reprendre le dessus, la pensée, l’analyse sociopolitique du monde contemporain. Dis-moi, petit fachosphérique, dis-moi quels sont tes angles de vue, tes options, tes maîtres, tes points doctrinaux, tes bailleurs de fonds, ton programme. Comme la pose victimaire est le seul élément un peu nouveau du corps conceptuel fachosphérique, c’est à elle qu’il ne faut pas laisser reprendre corps et envahir tout le champ. Tu n’es pas une victime, mon facho. Tu es un indice et, de par cela, tu es interlocutif et, oui, je l’affirme, tout en m’en affligeant, c’est la faillite de l’époque qui parle à travers toi. Parle donc. Cesse de te lamenter dans le sous-entendu lourdingue et de faire de l’ad hominem et des procès d’intention à rallonges. Expose-le, ton contenu. Laisse lentement sortir la bête nuisible du lagon des ambivalences interactionnelles. Ce gros poisson, pourquoi tu le noies? Il faut qu’on la voie bien au clair, qu’on la contemple ouvertement, cette conception crépusculaire, indicative, nuisible, nocive et surtout, ancienne, dépassée, tellement ancienne, dépassée, vermoulue et démodé que cela l’aide à terriblement revenir à la mode auprès de la courte mémoire de nos politicards hagards qui s’égarent et de leurs thuriféraires infantiles et minables…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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L’ordre établi est facho-compatible

Posted by Ysengrimus sur 7 août 2019

L’ordre établi contemporain pseudo-moderne et éclairé est en fait hautement facho-compatible. Il génère les fascismes, les nostalgies du capitalisme de papa, les phalanges xénophobes, les groupes armés, les 3% et autres meutes grondantes et rampantes. C’est une hypocrisie intégrale de dirigeants centristes sans intégrité ni entrailles que de prendre des grands airs affligés quand ces phénomènes sociologiques brunâtres se manifestent et viennent faire leur petit tour dans les médias. Nos gouvernants hypocrites et véreux nous racontent que ces groupes qui se baladent dans la nature en portant des armes sont surveillés par la police et tout et tout. Le fait est que si ces colonnes armées s’appelaient Organisation Drapeau Rouge Anticapitaliste, leurs membres seraient déjà tous en taule pour port d’arme illégal et soi-disant encouragement au soi-disant terrorisme. Mais comme ce sont des fachos, on les laisse bien tranquilles, en se lamentant qu’ils ont droit à leur petite liberté d’expression suspecte et gna et gna et gnagnagna. C’est exactement comme les radios poubelles. Si les radios poubelles prônaient la révolution prolétarienne, elles seraient déjà fermées, claquemurées, cadenassées. Elles gueulent facho, miso, omniphobe et xéno. On les laisse faire. Notre petit ordre établi propret et fausset est totalement facho-compatible. Mais pourquoi donc? J’y vois deux grandes raisons.

REMPART DE CONFORMITÉ: Fondamentalement, l’ordre établi est de droite. Il sert le capital, l’autoritarisme entrepreuneurial, et est un agent veule et translucide des intérêts nationaux bourgeois. Les mouvements fachos font exactement la même chose. La facho-compatibilité de l’ordre établi est donc d’abord et avant tout une grande harmonie d’idées, une profonde histoire d’amour inavouée. Les mouvements et tendances fachos expriment les mêmes vues que l’ordre établi, simplement ils le font en plus nostalgique, en plus roide, en plus caricatural, en plus explicite, en plus sommaire, en plus grossier. Ce n’est pas une nouveauté. Ils disent tout haut ce que le tout de la société bourgeoise bon chic bon teint pense tout bas. Les fachos apparaissent donc, pour l’ordre établi, comme une sorte de haut-parleur tapageur, diffusant le son de sa vision du monde en grotesque, en distordu et en bruyant. Et ce faisant, on se donne le parfait REMPART DE CONFORMITÉ. En effet, si des groupes fachos se manifestent et que personne ne réagit trop, c’est bien que l’ordre établi arrive à imposer en sous-main le consensus de vision du monde qu’expriment les susdits fachos. Brandissant leur version plus vive du phénomène de conformité ambiante, les fachos donnent la tonalité d’un temps, surtout dans le silence ambiant. Des antifas se pointent soudain de l’autre bord de la rue? Qu’à cela ne tienne. On les bloque et on arrête leurs meneurs. Les lois bourgeoises sont aussi facho-compatibles que le reste de l’ordre bourgeois et, patatras… ce sont les antifas qui se retrouvent en position objective de désobéissance civile, en s’en prenant, sur un modus militant, à la merde brune légalistement couverte. La société bon chic bon teint, elle, ne bouge pas. C’est bien, encore une fois, qu’on arrive à perpétuer un consensus implicite, craintif ou indulgent, en faveur des valeurs brunes et réacs. Voyez l’ordre établi comme le bouteur, avec son moteur et son pilote. Et voyez les groupuscules fachos comme la pelle du bouteur. Adéquatement incurvée, la pelle du bouteur permet au pouvoir bourgeois d’avancer à contre-côte et de pousser dans l’autre sens tout ce qui est progressiste, sans que le consensus social bon chic bon teint ne soit compromis. Regardez la boue, la terre et la merde après la balade nivelante du bouteur. Elle est où? Elle est pas sur le bouteur, le moteur ou le pilote. Elle est simplement sur la pelle. Les fachos (pelle du bouteur bourgeois) se salissent eux-mêmes en servant involontairement leurs maîtres. Ils sont les troupiers utiles du REMPART DE CONFORMITÉ sociale des bourgeoisies qui les engendrent.

IDIOTS UTILES: Les fachos ne sont pas seulement des troupiers utiles. Ils sont aussi des IDIOTS UTILES. En effet, s’ils poussent le bouchon trop loin, sortent de leurs gongs et se mettent à s’agiter par trop, ils font automatiquement passer nos dirigeants institutionnels, qui sont des minus, des rétrogrades et des suppôts, pour de remarquables progressistes. La campagne présidentielle de 2017 en France fut la représentation criante, flamboyante et évidente de ce phénomène. Macron, qui est un laquais chronique du capital, passe pour un scintillant progressiste, compétent et éclairé, simplement parce qu’il se retrouve avec Madame LePen comme faire-valoir. Elle donne une image visuellement accrocheuse et tapageusement exploitable de positions exagérées, expressives, torgnoleuses, trublionnes et pisse-vinaigre. Elle devient la méchante de guignol à abattre, qui bonifie le crossouilleur en costard qui, lui, a le dessus, en bout de piste. Pas besoin d’épiloguer. Les fachos sont les IDIOTS UTILES de l’ordre établi. Ils lui permettent de nettement définir la position extrême, grossière, grotesque, caricaturale qui fait passer la condition de serviteur soumis du capital pour une vision éclairé, progressiste, modérée et viable. L’ordre établi sent bien que les vraies forces motrices de la société civile sont des forces de  progrès. Ces forces sont sourdes, sociétales, profondes, occultées aussi. Gestionnaire d’image en crise permanente, l’ordre établi, crypto-réactionnaire et trouillard, souhaite qu’on l’identifie, lui et personne d’autre, aux forces de progrès qu’il trahit ouvertement en sous-main. Il a donc besoin d’un solide croquemitaine social lui permettant de faire passer son centrisme de centre-droite (donc de droite) pour un centrisme de centre-gauche. Classique, ancienne, faisandée au possible, la mobilisation des fachos comme IDIOTS UTILES est une manière de jeu de contrastes. Tout se chipote en fausse demi-teinte, dans la perspective sempiternellement auto-engendrée de la politique du moins pire. C’est: de la doctrine du moins pire comme une des ritournelles de la politique contemporaine. On fera mieux demain, demain, après-demain. Pour l’instant, voyez, voyez… il faut encore et encore se démarquer du sinistre repoussoir facho.

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En cherchant la martingale qui raviverait leur capitalisme patapon de barbons-barbouzes, les fachos sont assez souvent de bonne foi. Pire que la mauvaise foi: la bonne foi. Les fachos se font croire et font croire à leurs sectateurs ahuris qu’ils combattent le système (mondialiste, financiariste, ploutolâtre, etc). En réalité, ils en sont les apologues les plus virulents. D’abord le facho est pro-capitaliste. Il est pour l’entreprise, contre le déclin (y compris le déclin passant par une phase financiariste) du capitalisme historique. Ensuite le facho est militariste. Nationaliste, il est candidement d’accord avec la guerre et les budgets militaires. Le facho défend l’autonomie des corps constitués. Autant dire que c’est un factieux potentiel permanent. Le facho est contre l’immigration. Il promeut la prédominance du blanc, de l’euro-aryen, du redneck. Il est contre les bonnes femmes, les métèques et les tafioles. L’ordre établi bien pensant adore tout ça. Il bave du désir de revoir ces valeurs d’autrefois revenir en grande. Aussi l’ordre établi aime bien que le thermomètre facho soit bien planté dans le fion de la société civile, pour tester en permanence où en est sa fièvre hargneuse. Une chose est limpide  (et là, tout le monde le reconnaît, même les fachos): l’ordre établi est hypocrite. Pour lui, la valorisation des groupes sociaux à base ethnoculturelle, c’est de la rectitude politique, donc, de la relation publique, sans plus. L’ordre établi ne veut pas vraiment d’un progrès social sociétal (avancées pour les femmes, les gays, les groupes ethniques, les instance victimaires de toutes farines) et encore moins d’un progrès social post-capitaliste radical (avancées vers un socialisme effectif, pouvoir démocratique direct et non feint du prolétariat). L’ordre établi ne veut d’absolument rien de tout ça. Pour lui, tout ça, quand ça s’impose malgré lui, c’est un fatras de concessions qu’on fait, la mort dans l’âme, parce que la société avance implacablement, progresse comme une force objective, et qu’on y peut fichtre rien. Ce que l’ordre établi veut (sans le dire) c’est ce que les fachos manifestent (en le disant). Mieux, l’apparition tendancielle, largement tolérée, des fachos EST le symptôme patent de ce que l’ordre établi recherche. L’ordre établi freine le progrès social tout simplement parce que le progrès social nous mène vers la fin du capitalisme et vers rien d’autre. L’ordre établi se sert du boulet facho au pied du monde, pour retarder l’échéance. La soumission de l’ordre établi à la classe bourgeoise, sa conformité factice et pro forma à toutes formes de progrès social est l’explication motrice du fait que l’ordre établi est, en fait, fondamentalement facho-compatible.

Et pourtant, jouer avec le fascisme, c’est jouer avec le feu (aussi au sens littéral du terme). Le dernier siècle et ses dizaines de millions de morts en témoignent mieux que quiconque. Bien philistin et bien ignare, l’ordre établi courtichet contemporain n’en a cure. Il faut voir là la netteté myope de ses choix. Tout ce qui, sociologiquement sert le capital en freinant les avancées (REMPART DE CONFORMITÉ) ou en donnant au capitalisme et à ses thuriféraires des allures de visionnaires modérés (IDIOTS UTILES) légitime le maintient vivoteur d’un bouillon de culture fasciste. L’ordre établi assume le risque. C’est comme pour une centrale nucléaire. Et après tout, si ça s’aggrave, on donnera la garde nationale et ce sera un autre bon coup de légitimation des uniformes verts par résorption fracassante des uniformes bruns. Les groupuscules et autres phalanges fachos sont tout bénèf pour notre ordre établi veule de serviteurs des pouvoirs bourgeois. C’est bien pour ça que l’engeance fasciste n’est pas près de nous décoller des basques. Tant que ses conditions objectives d’engendrement ne seront pas analysées et déracinées, elle persistera. Or, le capitalisme étant ce qu’il est surtout en ces temps de dérive usuraire, l’extrême-droite, c’est la droite qui l’engendre. Point final. Nier ça, c’est tourner le dos à la compréhension la plus élémentaire des rapports de classes dans les sociétés tertiarisées contemporaines. Profitons aussi de l’occasion présente pour dénoncer cette mensongère symétrie des extrêmes qui fait que l’ordre établi faux-centriste met l’extrême gauche (anticapitaliste) et les fachos (procapitalistes) dans le même sac et secoue le tout, en pleurnichant. Il s’agit de bien salir les rouges par les bruns et de produire le genre de merdasse idéologique indiscernable que nos médias conventionnels de baratineurs serviles relaient ensuite docilement, sans conscience, sans analyse et sans vergogne.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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HÉMOGLOBINE ET BONNE CONSCIENCE (Nicolas Hibon)

Posted by Ysengrimus sur 1 août 2019

Hibon-Hemoglobine

Cette femme est d’abord et avant tout une force de la nature. Oui, d’abord et avant tout, elle est costaude. Elle est grande, tonique, déterminée. Quand un organisme de bonnes œuvres quelconque fait un déménagement de meubles et de pesantes caisses, elle est première sur les rangs pour porter les poids les plus lourds. La force et la générosité se rejoignent en Josiane Muller, née Morel quelques cinquante-cinq ans plus tôt, elle qui possède à ce jour le sourire le plus volumineux de tout Pôle Emploi.

Josiane œuvre dans tous ces métiers, professions ou activités bénévoles ou philanthropiques engageant la conscience: Pôle emploi, Restos Fraternels, organisations caritatives diverse. La lie de la terre, les démunis et encore la lie de la terre et les démunis, Josiane se les coltine à la brouettée. Ses bénéficiaires lui pendent à l’encolure en permanence, comme autant de grigris aussi cuisants qu’incantatoires. Elle est si bonne, si indéfectiblement fiable, si stable et d’aplomb. Elle aime tant et est si solide. On peut toujours se fier sur elle.

Mais cette force, c’est aussi une tension. Un comburant interne faisant pression sur chaque millimètre des parois de la citerne. Josiane est gonflée à bloc, tendue comme un câble. Et un jour, comme disent les québécois, elle va le péter, justement, son câble. Elle va chasser du revers de la main une de ces vieillardes importunes comme il en bourdonne tant dans le vivier de son univers ordinaire saturé de la lie de la terre. Elle va la chasser du revers de sa puissante main, cette vieille impertinente, à l’insistance non pertinente. Sauf que l’autre ne l’entendra pas de cette oreille et va accuser le coup beaucoup plus durement que prévu initialement. Je ne vous en dis pas plus.

Et la conscience, la conscience sociale mais aussi la bonne conscience de Josiane Muller va graduellement se fendiller, comme une mauvaise peinture sur un mur tremblant ou un maquillage trop épais, trop rigide, sous la pression des crispations faciales en redites. Et cette vie ordinaire, peuplée de chats, de petites gens, de bureaux, de restos, et d’apparts modestes, cette vie décrite et dépeinte dans le style sobre, fin et convivial de Nicolas Hibon, va imperceptiblement se gorger de la plus hideuse des violences feutrées.

Grosse de pus et de haine rentrée, de rage irrationnelle sublimée, une maritorne souriante de société occidentale tertiarisée ruinée va donc graduellement devoir se mettre à se défouler. Comme tout ceci n’est absolument pas encadré (on connaît le dicton: les intervenantes psychosociales sont les moins bien psychosocialisées), cela va jaillir par jets puissants, noirs et épais, incontrôlés, inavoués, imprévus, magnifiés par la frustration refoulée cédant en déferlante. Tout l’univers social de Josiane Muller va s’en trouver éventuellement irrémédiablement barbouillé, poissé, souillé, dénoncé. Ce sera sublimement violent et, il faut se l’avouer, incroyablement jubilatoire.

Et ce n’est pas tout. Il ne faudra pas juste fauter dans la violence la plus crapuleuse et s’y vautrer. Il va aussi falloir se punir. Car tuer n’est pas vraiment faire souffrir (dans cette vallée de larmes, c’est tout juste le contraire, en fait) et, donc, pour adéquatement faire souffrir il faut soi-même tout sentir passer. Et vive internet avec son lot de commerces glauques vous proposant tous ces objets étrange et instruments suspects aux fonctions bien circonscrites qu’on vous fait parvenir au boulot dans des colis opaques et banalisés…

Et… fatalement… comme les choses vont s’aggraver, s’intensifier, comme la spirale va s’emporter, comme la crise va s’appesantir, l’incontournable flicaille française va devoir finir par s’en mêler. Et c’est alors, alors seulement, que prendra une bonne fois tout son sens et tout son sel, le vieil aphorisme vindicatif des anars d’autrefois: Mort aux vaches! Les autorités hiérarchisées, vermoulues et faisandées de la république des licteurs fort las n’auront en effet qu’à bien se tenir car l’ouragan défoulatoire des cols blancs de la base, cette fois-ci, montera, bien seul certes mais bien haut. Que voulez-vous, il est tellement de notre temps, cet ouragan des frustrations sans solutions.

En un mot, la fusion fatale de Florence Nightingale et de Jack l’Éventreur vient de banalement faire son apparition dans un des recoins sans aspérité de notre petite vie ordinaire bien française. Alerte à l’hémoglobine et à la bonne conscience.

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Nicolas Hibon, Hémoglobine et bonne conscience, Montréal, ÉLP éditeur, 2014, formats ePub ou Mobi.

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