Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

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Archive for mai 2017

Autoroute et soleil

Posted by Ysengrimus sur 21 mai 2017

autoroute-et-soleil

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Autoroute et soleil

Sur le torse de cauchemar
De quelque Amérique insensée,
Une autoroute sans départ,
Cicatrice d’asphalte noire,
Love son méandre lacé.

Cette autoroute est rutilante
Comme le chrome des chansons
Crécellant, cymbales cinglantes,
Dans les radios intermittentes
Des tableaux de bord des nations.

Cette autoroute est le boyau
Des dures fourmis de vitesse
Carapacées en oripeaux
De métal peint, lustré et chaud,
Fonçant vers d’ultimes caresses.

Au bout du terrible ruban,
Un soleil dévore le ventre
D’un ciel d’où gicle le vieux sang
Lumineux. Les châssis brûlants
Brillent sous cette pluie puissante.

* * * *

Voici les camions barrissants,
Bardés de chaînes et de planches.
Ils vont, lourds et lascifs géants,
Scandant leur bestial olifant
En dévorant les lignes blanches.

Voici les félines corvettes
Nues et dorées comme des bronzes.
Elles sont femmes et fluettes.
Ivres d’amour, elles sécrètent
L’eau de néon, laiteuse et ponce.

Voici les trains, les réactés,
Chauves-souris et scolopendres.
Les gratte-ciels et les cités,
Les fanions, les publicités
Au dernier rendez-vous se rendent.

Tous ils foncent vers ce soleil
Qui vient de finir un repas
Et lèche babines vermeilles
D’une grand’langue sans pareil
De macadam et de gravats.

* * * *

Quand les transistors hystériques
Scandent cette marche dernière,
Dans des scintillements chroniques,
Leurs musiques épidermiques
Métallisent le cri des chairs.

Autoroute de l’Amérique,
Ton horizon n’est pas un mur
Mais un gouffre dialectique
Où l’ample succion historique
Te boit, en fracassant murmures.

* * * *

À la frontière du soleil,
Une station-service, un litre,
Un restaurant, quelques bouteilles
Attendent. On entend une abeille
Tapoter au coin d’une vitre.

L’autoroute d’asphalte gris
S’étend entre ces deux bâtisses.
À l’horizon, un cliquetis
Souffle, chante, monte et puis crie.
La route se tord et se plisse.

Regarde chuter l’Amérique.
Observe ce magma qui glisse
À grands fracas cataclysmiques.
Le vieux restaurant de plastique
Éclate. Et la station service

Explose. Et le ruban de route
Se gondole comme un boa,
Se craquelle comme une croûte.
Descend, grinçante banqueroute
Vers un soleil en contrebas.

* * * *

Les gros camions craquent, se fendent,
S’abattent, glissent sur le flanc,
Crient, pivotent. Leurs roues se tendent
Vers des cieux rouges qui n’entendent
Rien à leur trépas d’éléphants.

Les fines corvettes de race,
Féminins pantins disloqués,
Crient. Leurs hanches se décarcassent.
Elles plient, se voilent la face
Comme des esclaves enlevées.

Les trains, les avions, les épaves,
Le fer et le béton armé
Crient, dans le feu poisseux qui bave.
Les flancs du soleil Baal boivent
Les enfants du lacet damné.

Dans un hurlement électrique,
Les transistors fendent leur transe.
Ils ont suivi leur Amérique
Dans des flammèches de musique
Vers l’agonie et le silence.

* * * *

Une autoroute sans départ
De sa matrice s’est vidée.
Un soleil au feu rouge et noir
Digère le sang et l’espoir
De trois continents névrosés.

Pendant que remonte la nuit
À l’autre bout de l’horizon,
Un long serpent de route gît.
La pomme d’un soleil poursuit
Son vol d’étoile ou d’électron.

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Tire du recueil Poésie d’Outre-ville (ÉLP éditeur, 2009). Paru aussi dans Les 7 du Québec.

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Il y a cinquante ans: IN THE HEAT OF THE NIGHT

Posted by Ysengrimus sur 15 mai 2017

Virgil Tibbs (Sidney Poitier)

Virgil Tibbs (Sidney Poitier)

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Virgil Tibbs (Sidney Poitier) vient d’aller rendre visite à sa mère à Brownsville au Mississippi et il rentre maintenant chez lui, dans le nord. En pleine nuit, il attend sa correspondance ferroviaire abstraite pour Memphis (Tennessee) sur le quai de la gare fermée d’un bled paumé du nom de Sparta (Mississippi). Il se fait alors remarquer par un constable local enquêtant à l’emporte-pièce sur un meurtre qui vient tout juste d’avoir lieu dans le patelin. Un noir inconnu en costard et cravate assis avec une valise sur le quai d’une gare déserte? Il n’y a aucun doute possible dans l’idéologie du coin, c’est l’assassin. Virgil Tibbs se fait donc braquer, fouiller et amener, sans ménagement ni vérification d’identité, au poste de police de Sparta. Il ne s’insurge pas mais il ne fraternise pas non plus. Il répond froidement au dédain raciste par le mépris de classe. C’est le début de son aventure dans la chaleur de la nuit qui sera en même temps, pour lui, une cavale au fin fond des campagnes et une sorte d’étrange et cauchemardesque recul dans le temps historique.

Bill Gillespie (Rod Steiger) est le chef de la police de la petite commune de Sparta. Il est évidemment peu doté en ressources, peu avancé intellectuellement, instable émotionnellement et il en est parfaitement conscient. C’est un bon gros gars du sud qui s’efforce de garder son patelin en ordre en évitant que ses hommes, aussi peu ressourcés que lui, fassent trop de gaffes dans les coins. Bill Gillespie est bien emmerdé, ce soir là. On vient d’assassiner, dans son patelin, un gros industriel de Chicago qui était sensé ouvrir une usine devant assurer mille nouveaux emplois locaux. Et voici qu’on lui amène un noir en costard en affirmant tout net qu’il est le meurtrier. C’est un grand gaillard hautain à l’accent du nord, qui dit whom et qui est originaire de Philadelphie (en Pennsylvanie, hein, pas Philadelphia, Mississippi, si vous captez la nuance). Pataquès et maldonne. Non seulement ce noir est un officier de la très respectée Police Municipale de Philadelphie mais en plus c’est un expert en homicides, ayant notamment ses entrées au FBI.

Les deux hommes n’ont rien en commun. Leur répulsion mutuelle est immédiate. Pour clarifier la situation, on téléphone au supérieur hiérarchique de Virgil Tibbs. Ledit supérieur hiérarchique, après une conversation avec Bill Gillespie, a son employé au bout du fil. Virgil Tibbs se fait dire par son supérieur que comme il a de toute façon raté son train, il est prié de se mettre au service de la force municipale de Sparta pour mener l’enquête sur ce meurtre. Virgil Tibbs s’insurge. Il ne veut rien savoir de travailler avec ces culs terreux. Il retourne attendre son train à la gare. Quelques heures passent et Bill Gillespie se retrouve aussi avec de sérieux problèmes avec sa hiérarchie. Il se fait dire par le maire de la commune que la veuve de la victime du meurtre est furax et que si ce crime n’est pas adéquatement élucidé, on peut dire adieu à l’usine aux mille employés. Gillespie est incapable de résoudre ce mystère seul… et il le sait. Tibbs s’en voudrait à mort de désobéir à son chef et de laisser tomber une enquête qui l’intrigue déjà passablement… et il le sait aussi. Les deux hommes vont se sentir implacablement obligés de collaborer, en passant par-dessus tout ce qui les horripile et tout ce qui les oppose, psychologiquement et sociologiquement.

Imaginez Barack Obama et Donald Trump obligés de travailler main dans la main sur une question sensible concernant l’Amérique profonde. Main dans la main… Lequel des deux protagonistes aurait alors la main dans la marde? Ne répondez pas trop vite parce que c’est vraiment pas si simple. Ce film extraordinaire, du canadien Norman Jewison (né à Toronto en 1926), a obtenu l’Oscar du meilleur film en 1967, en pleine crise des droits civiques. Cinquante ans plus tard, il n’a pas pris une ride. Et les deux protagonistes vont donc mener l’enquête. Je ne vous dirai rien de celle-ci pour ne pas gâcher votre plaisir de visionnement. Elle est enlevante, complexe, riche en rebondissements et elle n’a, elle aussi, pas pris une ride, malgré la savoureuse patine du temps enrobant désormais ce grand classique du cinéma américain. On réussit ici à combiner magistralement un thriller policier et un drame social. C’est une superbe rencontre de genres.

En plus, le cheminement psychologique de Virgil Tibbs et de Bill Gillespie fait proprement accéder cet opus à une dimension philosophique. D’abord, il faut dire que, pour un enquêteur noir qui farfouille dans ce petit hinterland sudiste pour y dénicher un assassin du cru, la situation est dangereuse, explosive même. De la poudre à canon. La réalité évoquée est d’ailleurs si tangible que Sidney Poitier (le vrai Sidney Poitier, l’acteur) a refusé d’aller jouer dans le sud. Faisant valoir qu’il n’irait pas se faire écharper chez les culs terreux pour un film, il a exigé et obtenu que le gros de l’opus soit tourné à Sparta mais à Sparta, Illinois, dans le nord donc. Son personnage, Virgil Tibbs, n’a pas cette chance. À tous les coins de rue, il risque de se faire assommer, dans la chaleur de la nuit, par ces blancs hargneux arborant le drapeau sudiste sur leurs plaques minéralogiques. Pour Virgil Tibbs, c’est une perte complète de ses références ordinaires, une descente aux enfers. Il se fait interpeller boy (alors qu’à Philadelphie on l’appelle Monsieur Tibbs) et on lui brandit des barres de fer au dessus du chef et lui pointe des flingues sous le nez plus souvent qu’à son tour. Bill Gillespie n’est pas en reste pour ce qui est de la déroute morale. Il se rend vite compte que cet afro-américain nordiste, roide et flegmatique, est un limier hors-norme. Gillespie se retrouve donc dans la posture paradoxale, politiquement emmerdante, et fort irritante pour sa psychologie sommaire ainsi que pour celle de ses commettants, de protéger paternalistement ce noir antipathique qui lève les pistes comme un surdoué et marche à la victoire. Les deux hommes ne fraterniseront pas. La distance est trop grande. Mais ils verront clair malgré tout et ils arriveront ainsi à comprendre froidement leur intérêt mutuel et à le faire opérer au mieux.

Pour Virgil Tibbs, Bill Gillespie est un raciste irrécupérable. Minable, lumpen, limité intellectuellement et matériellement par sa condition de classe, ce chef de police villageois miteux à casquette anguleuse et lunettes fumées jaune pipi est du mauvais côté de l’histoire, point. Virgil Tibbs le méprise copieusement et le lui fait bien sentir. Et, d’autre part, pour Bill Gillespie, Virgil Tibbs est un colored, donc fondamentalement un nègre et, même en costard, beau parleur et surdoué, un nègre reste un nègre, c’est-à-dire quelqu’un qui, même s’il est le plus malin, travaille pour les blancs, finit par la boucler au bout du compte, et le reste n’est que littérature. Bon, Virgil Tibbs se fait gifler par un planteur. Il le gifle en retour. Et quoi? Croit-il rétablir une injustice séculaire par ce geste intempestif? Non que non. Pragmatique, c’est bien lui qui finira par dire en privé à l’avorteuse noire des tréfonds du hameau que la prison pour les colored et la prison pour les blancs, c’est tout simplement pas la même prison. Et elle, elle lui répliquera que les blancs l’ont dévidé de tout ce qu’il avait en lui, et l’ont retourné contre lui-même. Mais, mais mais… toujours d’autre part, Bill Gillespie peut bien ironiser, rire du prénom Virgil et railler les compétences de cet expert tout en les exploitant, il reste que ce noir en costard de Philadelphie, simple officier, fait plus en une semaine que le chef de police Gillespie ne fait en un mois. Et quand ceci est dit, tout est dit. Nous sommes en Amérique. L’argent est le baromètre froid et inerte de tout ce qui est définitif socialement et ici l’argent a très explicitement parlé en faveur du professionnel noir urbain contre le col bleu blanc campagnard.

In the heat of the night, c’est le film qui nous dit que rien n’est résolu mais que tout est soluble. Notre histoire contemporaine récente a magnifié ce film et amplifié sa problématique. Aujourd’hui, un brillant et éloquent constitutionnaliste noir peut devenir président des États-Unis et, qu’à cela ne tienne, un aigrefin blanc mal coiffé, trapu, véreux, sexiste et fort en gueule lui succédera sans sourciller, et la galère de voguer continuera. Comment cela est-il simplement possible? Visionnez In the heat of the night et vous vous imprégnerez douloureusement de l’explication au sujet de ce tragique dead lock civilisationnel. Ce film vaut un traité d’histoire américaine et un cours de sociologie américaine, à lui tout seul.

Le tout se joue, en plus, au cœur d’une prestation d’acteurs et d’actrices à vous couper le souffle. La complicité de travail entre Sidney Poitier (1927-2022) et Rod Steiger (1925-2002) n’a eu d’égal que la force de leur prestation pour camper deux irréconciliables ennemis séculaires en situation d’active paix armée. Tous les acteurs et actrices de soutien sont remarquables aussi. On regarde ce film-culte perché au bout de son strapontin, la gueule béante. Un magnifique morceau du grand cinéma du siècle dernier.

In the heat of the night, 1967, Norman Jewison, film américain avec Sidney Poitier, Rod Steiger, Warren Oates, Lee Grant, Larry Gates, James Patterson, 109 minutes.

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Bill Gillespie (Rod Steiger)

Bill Gillespie (Rod Steiger)

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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LA LIBÉRATION EXPLOSIVE DE L’ÂME – UNE AVENTURE DE MAX PEINE (par Lordius)

Posted by Ysengrimus sur 7 mai 2017

Je vous laisse, les hommes, dit Sonia avec tact…

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Alors là attention, ceci n’est pas un roman de gare. C’est un roman de gars. Une des seules femmes qui s’exprime dans cette œuvre parfaitement savoureuse, c’est une jolie péripatéticienne hautement surdouée… et ce qu’elle dit de vraiment crucial, bien, c’est ce que je vous ai juste mis ici en exergue. Alors, il faut assumer, hé. Sonia (avec tact) nous a laissé. Nous sommes entre hommes, et tout est dit. C’est ça l’égalité des sexes: c’est aussi l’égalité dans l’adversité. Je cite Max Peine dans le texte ici, dont la mère ne s’est visiblement pas beaucoup occupée dans son enfance… Et, donc, si une femme lit ce roman météore, c’est qu’elle est (légitimement) curieuse de ce qui se trame de fondamental, de simplet et de cardinal dans la tête des petits mecs. De tous ces petits mecs que sont, quelque part au fond d’eux-mêmes, tous les hommes, on s’entend. Les vieux, les jeunes, les sportifs, les intellos, les petits, les gros, les beurs, les blanc-cassis, les tendres, les durs, les rationnels, les pulsionnels. Absolument tous les hommes fantasment leur univers, leur approche des grands et petits problèmes de leur vie, sous le globe limpide et net du gabarit mental et comportemental de cette toute première aventure de Max Peine. Soyez averti(e)s.

 C’est un roman jeune, français, contemporain, urbain, un roman des cités, de la came, de la castagne, de la boxe clandestine à mains nues, des descentes de policiers véreux qui tournent mal, du cynisme sociétal, et de l’embrouille généralisée. C’est aussi une écriture d’un rythme, d’une vigueur et d’un souffle indéniable. Ces jeunes français des rues jouent tellement à être américains. Ils le font notamment en maculant poisseusement leur prose, d’autre part lumineuse, vernaculaire et vive, de ces petits anglicismes scintillants qui, croient-ils, vous masculinisent (gun, black, deal, shit, clean, cash, man, cool, look, safe, heavy metal, smartphone, flash-bang, head shot, LOL, no life) et, aussi, ils le font en bouffant du mauvais hamburger. Bon, comme, je suis fondamentalement et inévitablement pas mal plus américain qu’eux, j’ai, dès le début de la brutale quête-évasion de Max Peine et de son comparse un peu demeuré, le gros rouquin Jules, inexorablement pensé à George Milton et à Lennie Small, les deux protagonistes de Of Mice and men («Des souris et des hommes») de Steinbeck. Simplement ici, l’équivalent de George, notre bon Max en personne, est un ancien garde du corps hyperspécialisé, enfermé en hôpital psychiatrique pour le meurtre sans préméditation (ni concession, ni compassion) de son épouse (…peu de femmes, on a dit). Narrateur et personnage principal, Max Peine (dont le blaze est un calembour bien senti et bien assumé sur peine maximale tout en se donnant aussi comme fortuitement homophone de Max Payne, nom du personnage d’un jeu vidéo millénariste finlandais), c’est une véritable machine à tuer qui se regarde aller. Il lit du Carl Gustav Jung dans ses temps libres et il formule froidement l’aphorisme fondamental de son existence dans les termes suivants. La liberté est ma priorité. L’égocentrisme est ma doctrine. Morale et compassion ne me tempèrent plus. C’est impératif à la survie en milieu très hostile. Il nous entraîne donc, quand on a bien accepté de jouer le jeu du genre, dans un pur régal hyperactif, salace et violent… et philosophique, et psychologique, et fulgurant.

 Ceci dit, au fil de cette lecture qui, vraiment, vous capture, une fois mon premier frisson steinbeckien passé, je m’avise du fait que les choses s’avèrent plus tramées et biscornues que je ne l’avais cru initialement. Ma problématique George/Lennie, de fait, se complexifie, s’amplifie, se perpétue, se problématise mais aussi se transpose, se subvertit et s’effiloche, au fil du déploiement et des trucages du récit. Cela prend corps notamment avec l’apparition imparable de Joe le Dealer et des terribles frères Kamsky, avec lesquels ledit Joe entretient une relation d’amour-haine fort malaisée. Dans cette cavalcade parisienne des ninjas du bitume (Max Peine dixit) qui nous mène directement de la maison de santé aux logis des cités, on étudie sans concession, et croyez-moi, c’est fait avec un brio remarquable, l’amalgame de la pulsion agressive archibrutale et de la cogitation cynique, calculatrice et lente, dans les tréfonds purulents, percolants, volcaniques de l’âme masculine. On vit, ébahi, la rencontre cérémonielle et passionnelle du Psychopathe et du Parrain… Je vous le dis et vous le redis, il faut aimer le poil de gars se hérissant sous la flamme crépitante de l’action converse des forces adverses pour lire ce novella (très court roman – ceci sera mon seul anglicisme personnel). Ce texte simple, fraternel, brutal et franc se renifle d’un coup, comme une ligne de coke, en grognant d’aise. C’est une lecture jubilante, carrée, superbement visualisée, vraiment, à ne pas manquer. On savoure jouissivement l’abrupt déploiement de cette courte tranche de vie, que Max nomme fort judicieusement le temps de l’épanouissement carnassier. On se paie une féroce et délétère inversion collective des valeurs morales, professionnelles et comportementales, cucul-gnagnan de notre temps. Et aussi, oh, on retrouve l’effet, donc pourtant durable, des vieilles amitiés de mauvais garçons de ces films en noir et blanc d’autrefois, avec Gabin et Ventura. Le tout, évidemment, est traité dans la version paumée, mondialisée, démoralisée, exacerbé contemporaine. Et, entre Max, Jules, Joe, Ali, Akmed et les autres, amis et ennemis, on arrive finalement à se dire… c’est un peu de la thérapie de groupe, comme à l’hôpital psychiatrique (Max Peine toujours dixit).

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Lordius, La libération explosive de l’âme – Une aventure de Max Peine, Montréal, ÉLP éditeur, 2012, formats ePub ou Mobi.

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Lettre ouverte aux jeunes idéalistes d’extrême-droite

Posted by Ysengrimus sur 1 mai 2017

extreme-droite

Vieux marxiste qui ne changera pas de bord, je n’aurais jamais cru ça possible: de l’idéalisme à l’extrême-droite. Pour les gens de ma génération, l’extrême-droite, ça a toujours été des milices patentées, des Pinkerton du capital, défendant brutalement la loi et l’ordre. Des suppôts de la réaction ne pouvaient absolument pas promouvoir un idéal. Les fachos de mon temps se contentaient de monter la garde devant la forteresse croupissante des valeurs de grand-papa. L’extrême-droite, ce sont des milices pour grands bourgeois, des mercenaires. Des fanatisés sans ligne définie. Certainement pas des idéalistes.

Et pourtant, voici maintenant que se présentent au portillon sociétal des petits jeunes en habits de ville, proprets, toniques, conscientisés, doctrinaires. Ils se donnent comme anti-système et ils aspirent à rien de moins qu’une refonte en profondeur de l’occident. Ils croient en un idéal et, tumultueux, cet idéal se canalise à travers le tuyau le plus brunâtre imaginable: antisémitisme (retour en force de la grande conspiration financière sioniste), xénophobie (les terroristes se planquent parmi les réfugiés des guerres impériales comme les hommes d’Ulysse parmi les brebis du cyclope éborgné), isolationnisme national (les grands ensembles sont des suppôts du supra-nationalisme extorqueur), anti-capitalisme droitier (oui à la boutique de papa. Non à la grande entreprise exporteuse d’emplois), moralisme sociétal (non au pour tous, sous toutes ses formes), religiosité rampante (catholiques culturels pour ne pas dire catholiques tout court). C’est le sursaut, la révolution sociale des droites, l’opération drapeau brun, avec toutes les évanescences oniroïdes que cela entraîne et charrie.

Le cœur serré d’une infinie tristesse, je vais postuler que ces petits jeunes sont de bonne foi. On a d’ailleurs trop voulu qu’ils soient de mauvaise foi, qu’ils soient des agents cyniques et livides de forces populistes troubles, mi-trublionnes mi-carriéristes, assurant leur avenir bureaucratico-entrepreneurial dans un occident froidement re-fascisé. On a trop voulu que les petits jeunes d’extrême-droite d’aujourd’hui fassent de la politique calculatrice, mièvre et foireuse comme leurs aînés, qu’ils s’avancent sur l’échiquier aux combines, de façon biaiseuse, médiocre, arriviste, hédoniste et onaniste. Non, les petits jeunes d’extrême-droite contemporains ne sont pas des cyniques et des fatalistes. Ils sont finalistes. Ils marchent au pas, l’œil sur la ligne d’horizon. Ils croient en leur camelote. Ils ont de l’idéal.

C’est bien là le tout du drame. Pire que la mauvaise foi, il y a la bonne foi. La mauvaise foi au moins, on peut en désamorcer l’astuce. La bonne foi, on ne peut que rester baba, les bras ballants et la gueule béante. Un aigrefin insidieusement xénophobisant qui s’adonne à un lobbying mercantile en faveur d’un groupe pour en faire chanter un autre, ça se décode et conséquemment ça s’affronte. Un authentique xénophobe ardent qui croit de bonne foi à la ré-immigration pour fins de protection des valeurs de la race blanche, cela vous laisse frigorifié et sans voix dans sa terrible bonne foi. Au fin fond, il n’y a pas pire ferveur que la ferveur patriote authentique. Et oh, oh, elle n’est nullement garante de vérité et de pertinence descriptive, cette ardente authenticité.

Jeunes d’extrême-droite, votre ferveur est imparablement symptomatique du recul socio-historique de l’occident. Celui-ci est calmement irréversible. Dans l’économie-monde de demain, l’Europe et l’Amérique seront de plus petits ensembles devant l’Eurasie et l’Afrique. En 1950, les États-Unis assuraient 53% de la production industrielle mondiale. Aujourd’hui, c’est 22% en baisse graduelle. Cela ne va pas s’inverser pour plaire au président réac du moment conjoncturel que l’on voudra. Croire contrer de telles tendances lourdes est désarmant de naïveté. C’est pourtant dans cette voie patriotarde sans issue que vous vous engagez, jeunes idéalistes d’extrême-droite. Je ne vous dirai jamais assez combien les politicards conventionnels que vous exécrez tant sont suavement complaisants envers vous, dans cette démarche globale. Les politiciens professionnels véreux et manœuvriers adorent votre ferveur. Vous les servez. Quand vous êtes trop sages, vous faites ouvertement avancer les valeurs putrides qu’ils promeuvent en sous-main. Quand vous êtes trop remuants, vous leur servez de repoussoirs et vous légitimez leurs propres dérives répressives aussi pleurnicheuses qu’implacables.

Sur ce point spécifique, la culture internet, dont vous vous gargarisez tant, est un symptôme particulièrement lancinant. Elle s’approche de plus en plus, la fin de la récré des trolls fachos et des intempestifs utra-droitiers cyber-anonymes. Le flicage institutionnalisé de l’internet qui s’en vient, vous en aurez été les agents provocateurs idéaux… les artisans objectifs, en fait. Par vos pratiques et votre fachosphérisme, exacerbé ou victimaire, vous aurez légitimé tous ceux qui veulent tant avoir le doigt sur l’interrupteur de l’internet. Je ne vous lance pas la pierre, au demeurant. C’est largement impondérable, cette affaire. C’est comme les radios pirates d’autrefois ou tout autre type de Far West conjoncturel. La civilisation finit toujours par rentrer dans le tas, avec ce genre de dispositif. Et, jusqu’à nouvel ordre, la civilisation sert ouvertement sa bourgeoisie et ce, sans se complexer. On s’en souviendra un jour avec une sorte de nostalgie acide, des années trolls…

Ce que je vous dis frontalement ici, jeunes idéalistes d’extrême-droite, c’est que vous vous faites sciemment manipuler par l’ordre établi. Aucune génération n’y a échappé, du reste, et il viendra bien un jour, le moment amer où vous cesserez de vous croire, vous aussi, plus fins que tous les autres. Il faut dire que votre cause est bien mal partie, bien mal engagée. Embrasser en partant l’extrême-droite, en la prenant pour un facteur de changement, il faut vouloir s’en envoyer toute une d’erreur de jeunesse en quadraphonie. L’extrême-droite n’est pas structurellement anti-système. Elle sert le système à fond les ballons. Que fit la seconde guerre mondiale hitlérienne dans toute sa ferveur torride pendant six ans (1939-1945), si ce ne fut faire le lit objectif du libéralisme triomphant des Trente Glorieuses (1945-1975) et de sa suite de crises contemporaines. Penser changer le monde avec une programmatique de fachos éculés venu de Russie ou d’Iran, ma foi, il faut vraiment vouloir rêver.

Mais que voulez-vous? Il n’y en a plus vraiment de théorie économico-politique, hein. Allez pas vous imaginer que vous allez pas devoir retourner vos poches devant le tiroir-caisse, pour avoir remplacé le marxisme par le catholicisme. Tout ce qui est méthodiquement effectivement anti-capitaliste et/ou post-capitaliste, tout ce qui est authentiquement radical et subversif, vos saltimbanques extorqueurs et vos politicards pseudo-patriotes sont arrivés à vous faire croire que c’était bobo, dépassé, suranné, intellectualiste, condescendant, casuiste. Le marxisme, la lutte des classes, l’abolition de la propriété privée des moyens collectifs de production, la saisie sans compensation des grandes fortunes pour utilisation civique immédiate, la révolution des travailleurs, vous avez en commun avec le ci-devant système de ne pas vouloir en entendre parler. Hé bé, les alliances objectives seront ce qu’elles seront, sans moins sans plus… On vous a refait une vieille entourloupe de passe-passe sans que vous ne vous en rendiez compte vraiment. On vous a dit qu’il ne fallait plus penser, qu’il fallait simplement la jouer passionnel, pseudo-novateur, soi-disant dissident, et patriote. Vous allez payer pour ça aussi. Renoncer à la pensée analytico-critique effective, cela ne peut mener qu’à un seul état de conscience: celui du dur réveil.

Jeunes idéalistes d’extrême-droite, croyez-en un vieux qui a embrassé intimement ses causes et qui, ce faisant, s’est bien souvent fait baiser par elles: vous allez vous faire fourrer. Les politicards professionnels d’extrême-droite vont se servir de vous pour se positionner dans le mainstream politicien… puis ils vont tout doucement se recentrer, en vous prenant sournoisement pour acquis. Rien ne sortira de novateur ou d’utile de tout le fla-fla de la cause que vous avez si naïvement pris en charge. L’extrême-droite ne peut pas être un facteur de progrès. C’est là une contradiction dans les termes. Mais niaisez, allez. Tournez en rond dans le bac à sable. On en reparlera quand vous aurez pris conscience de votre erreur de jeunesse et lui aurez piteusement tourné le dos. Mais là, c’est votre jeunesse, elle aussi, qui n’y sera plus.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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