Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

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Le critère anthropologique

Posted by Ysengrimus sur 15 août 2022

La barbe à ras bord… euh… la barre à bâbord!
Capitaine Haddock
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Dans nos petites explications sociologiques contemporaines, on implore souvent, à tort et à travers, le critère anthropologique. Les théoriciens de droite sont particulièrement friands de ce genre d’invocation incantatoire. Tout (entendre: tout ce qui les arrange) chez l’humain, selon eux, devrait procéder de l’anthropologique immuable et fondamental: les races, l’inégalité des sexes, la familles papa-maman, l’égoïsme marchand, l’hétérosexisme, la soif de l’or, la nation, la nutrition, l’irrationalité religieuse, la brutalité guerrière, la condescendance machique, les pauvres et les riches, la volonté de puissance… et j’en passe. Le sacro-saint critère anthropologique, c’est la combine tout usage des ficelles intellectuelles contemporaines. Dans la superficialité éditorialiste de nos sciences humaines en lambeaux, Darwin est partout, Marx est nulle part. Tout ce qui est historique, soit dialectique et historicisé, est relégué. Mondialisation oblige, nous sommes censés désormais être une espèce, et nos classes sociales sont censées être des castes. Rien n’est plus révoltant pour la rationalité la plus élémentaire que ce genre de poutine de conformisme pseudo-scientifique de suppôts.

Ceci dit, des faits fondamentalement anthropologiques, il doit bien quand-même y en avoir. Je suis tout à fait prêt à en concéder un certain lot, effectivement. Mais ils sont concrets, ils sont épidermiques, ils sont petits et forts, ordinaires, vernaculaires. La modeste et furtive énumération que je vous propose justement ici n’est en rien exhaustive. Il s’en faut de beaucoup. J’y recherche rien de moins que notre cher universel humain. Les universaux que je vous propose ici sont largement incertains, en ce sens que les ethnologues les plus profonds d’entre vous me feront certainement valoir que j’ai involontairement généralisé, plus souvent qu’à mon tour, certains traits hautement culturels, idéologiques, ou ritualisés. Enfin, vous jugerez. Ce qui compte, c’est le principe critique, et je suis certain que vous allez gouter mon louable effort anthropologisant. Voici donc huit phénomènes humains où il semble effectivement possible d’invoquer le fameux critère anthropologique. En un mot: tous les êtres humains du monde partagent ces traits. Mais surtout (et c’est bien là la démonstration à laquelle j’aspire), un grand nombre des traits qui ne sont pas détaillés ici ne le sont pas tout simplement parce qu’ils procèdent de plain pieds, et sans compromission, du déterminisme historique, plutôt que des principes fondamentaux immuables de notre espèce.

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Deux séries de dents. Tous les êtres humains du monde sont appelés à voir croitre en eux (au moins) deux séries de dents. Plus précisément, ils ne voient pas croitre leurs dents de lait mais ils voient et sentent intimement croitre leurs dents d’adultes. Perdre ses dents d’origine et en sentir pousser d’autres, une fois dans une vie, dans l’enfance en plus, a une grande résonnance fantasmatique chez tous les humains. Bonjour le rite de passage. Pourtant on en parle l’un dans l’autre assez peu, dans nos cultures. Bon, la légende de la fée des dents traine toujours un petit peu dans les coins… mais on revient peu, adultes, sur ce petit événement anthropologiquement universel. Le fait qu’il soit relativement indolore (par rapport, par exemple, à une rage de dents) joue peut-être un rôle. Je me souviens d’avoir enlevé, à mains nues, du fond de ma mâchoire, certaines de mes molaires de lait comme on enlèverait une bague ou une montre. C’était assez curieux et, ma fois, passablement jubilatoire.

Cheveux et barbes. Les cheveux et les barbes poussent lentement. Ils sont indolores quand on les coupe mais douloureux quand on les tire. Les volutes, torsades, caprices et faveurs des cheveux et des barbes se répartissent en fonction des sous-groupes humains. Hommes, femmes, jeunes, vieux, ne les subissent pas et n’en bénéficient pas de la même manière et ces distinctions s’observent, malgré les variations dans leur stabilité (si vous me passez l’antithèse). Les poils corporels, pubiens notamment, font partie de cette grande aventure, sans disposer de la visibilité imparable des pilosités de chef et de face. Les cheveux et les barbes blanchissent, se salissent, se peuplent de bestioles, se mouillent et sèchent. Naturellement, on les travaille, on les colore, on les lisse, on les sculpte mais on ne les abolit pas. Ils reviennent toujours. Ou alors, ils s’abolissent eux-mêmes, souvent contre notre grée (calvitie, naturelle ou artificiellement induite par médication). On surveille les cheveux et les barbes. Les nôtres et ceux des autres. Si je rêve souvent à ma barbe (moins souvent à mes cheveux ou au reste de ma pilosité), c’est simplement que ma barbe broussaille dans l’oreiller et me picote le visage, pendant le sommeil. Intense et petiote dimension trivialement empirique et corporelle de tous nos universaux.

Des pieds et des mains. Nos pieds sont inférieurs, forts et grossiers. Nos mains sont supérieures, fines et subtiles. Leur symétrie et leur analogie nous impressionnent assez tôt. Les quatre sont mobiles et ont dix doigts. Mais les mains disposent de la si fameuse et si séculaire préhension. Les pieds, non. Qui n’a pas comparé ses mains et ses pieds? Qui n’a pas cherché à prendre avec un pied? Qui n’a pas cherché, même sommairement, à marcher sur les mains? La station debout, la marche et la course sont incroyablement originaux, chez Anthropos. Et que dire de la manipulation manuelle. Plus précisément, qu’est-ce qui n’a pas été dit de la manipulation manuelle? Nos ongles poussent, tant de pieds que de mains. Cela renforce cette analogie qui nous hante. Tous les êtres humains n’ont pas eu la chance de voir agir un primate quadrumane (un chimpanzé, par exemple). Mais d’en voir un reste très chargé fantasmatiquement. Dans notre perception, il a littéralement des mains à la place des pieds. C’est hautement déconcertant. Cette ubiquité perfectionnée des préhensions dont il dispose, lui, reste un petit peu monstrueuse à nos yeux, à nous. Et notre pied, comme main atrophiée, ça fait tout de même un peu frissonner.

Manger et boire. Manger et boire, ce n’est pas symétrique. La soif reste plus urgente, donc plus obsédante, que la faim. Mais les deux s’imposent à nous avec une récurrence et une permanence lancinante. On ne sait pas automatiquement (pour éviter de dire: naturellement) ce qui est bon à manger ou à boire. On peut se tromper, s’étouffer, s’empoisonner et, de fait, je pense que le cadastrage culturel ancien de ces deux activités par nos diverses gastronomies a beaucoup à voir avec ce danger latent. Habituellement, sur le tas, pour ce qui est de boire et de manger, on sait à peu près quand s’arrêter mais ce savoir là non plus n’est pas pleinement assuré. La nécessité de mâcher le solide et de boire par gorgées s’impose assez vite, en corrélation notamment avec la respiration, dont l’universalité se laisse bien percevoir, elle aussi. Certaines substances répugnent d’office, sont déplaisantes à manger ou à boire, mais la corrélation entre cette sensation et la valeur nutritive élémentaire de ces substances n’est pas automatique. Manger et boire se fait seul ou collectivement… dans ce second cas, la surveillance mutuelle est passablement importante, dans les cultures.

Déjections solides et déjections liquides. Nous déféquons solide et liquide et ce, de façon tendanciellement séparée. Si je résume, nos déjections solides sont brunes, nos déjections liquides sont jaunes. Nos déjections nous répugnent et répugnent les autres. Elles figurent habituellement au nombre de ce que nous ne voulons pas spontanément manger ou boire. Elles puent, elles irritent, elles salissent. Déféquer est un gestus tendanciellement solitaire, quoique ce fait ne soit pas un absolu culturel. Émettre des déjections peut requérir un effort physique patient ou, encore, nous prendre par surprise. Un jugement sur notre santé et sur notre bien-être personnel est porté, en rapport avec la nature variable de nos déjections. Une déjection est quelque chose dont on attend qu’elle soit en bonne partie contrôlable, en son émission. Une déjection incontrôlée est associée à des problèmes de différentes natures (malaise gastrique, peur, incontinence, ivresse carnavalesque). L’enfant apprend à assurer l’intendance de ses déjections et le vieillard perd cette connaissance. Vaincre l’incontinence est acquis (et non inné). Force est d’admettre une certaine dimension métaphoriquement mortuaire des déjections. On veut qu’elles partent ou, au moins, qu’elles restent dans un petit coin spécifique. Nos déjections ne sont socialement valorisées que d’avoir été adéquatement évacuées ou circonscrites. Montrer à tout le monde son caca et son pipi bien disposés dans le pot procède (le cas échéant, fatalement circonscrit culturellement) d’une gloriole toute éphémère.

Disparités génitales et accouchement. Sans entrer dans les détails hautement complexes du sexage, qui, eux, sont largement culturels et construits, on continue d’observer et de se représenter la disparité génitale. Elle nous intéresse au plus haut point, du reste. La pudeur s’instaure tôt. Esquive. Les parties génitales sont un organe qu’on cache souvent et qu’on recherche encore plus souvent, surtout chez les autres. Notre fixation et notre fascination pour ces questions sont grandes et la réponse répressive, sur les mêmes questions, est souvent à l’avenant. L’accouchement et la naissance ne mentent pas, au sujet de la génitalité. Ça reste le test imparable. Un être humain qui accouche confirme les particularités inexorables de sa génitalité et cela a une grande résonnance sociale et culturelle. Quelle que soit leur nature et leurs variations, les organes génitaux sont assez susceptibles de déclencher des sensations agréables. On recherche ces dernières, seuls ou collectivement. Il y a là un facteur crucial de l’intimité humaine, dont l’intendance est très étroitement balisée. Il y a toujours inceste, en ce sens que toutes les cultures légitiment certaines intimités charnelles et génitales, et en proscrivent d’autres.

Dormir et rêver. Qu’on en souffre ou qu’on en jouisse, le fait est qu’on dort. Cela s’impose au corps et cela le repose. Le sommeil est interruptible, notamment par le bruit et par la lumière. On voit donc à soigneusement maintenir la pénombre et le silence de l’espace où quelqu’un dort. On peut décider de réveiller un dormeur, par exemple si on a le sentiment qu’il a disposé d’un temps de sommeil suffisant. En fait, on peut toujours réveiller un dormeur, même involontairement. Ce n’est pas dangereux en soit, juste surprenant et un peu déplaisant. Il pourra d’ailleurs se rendormir. Il pourra même en venir à s’adapter aux interruptions de son sommeil, comme une girafe (qui, elle, dort par très courtes séquences). Les rêves ne sont pas vrais mais, culturellement, on tend à leur construire une corrélation au vrai (messages d’une source objective en songe, interprétation symbolique d’une trajectoire subjective). On les oublie incroyablement vite, au réveil. Ils semblent s’effacer, par grands segments. Le cauchemar existe et il est un des déplaisirs majeurs du sommeil. L’insomnie existe aussi, mais elle n’est que tendancielle. On dort les yeux fermés et on bouge les yeux (et le reste du corps) dans certaines des phases de notre sommeil. Le bâillement est un indicateur du besoin de sommeil. Il est communicatif, à la simple vue.

Vieillir et mourir. Les enfants sont petits, les adultes sont grands. Les enfants grandissent. Les vieillards se ratatinent, un peu. On constate le vieillissement des autres et il nous informe sur le nôtre. Les enfants observent les adultes. Les adultes guident les enfants. L’enfant en bas âge est dépendant de l’adulte. Un enfant a besoin d’adultes pour survivre et ce besoin n’est pas réciproque. L’attachement de l’adulte envers l’enfant est profond, senti, tangible sans être absolu ou fatal. Sachant qu’il grandira, l’adulte renonce graduellement à l’enfant. On meurt de mort violente ou naturelle. La mort est un fait répréhensible, souvent non voulu, combattu, reporté, freiné. Une des grandes quêtes de l’humanité est de retarder la mort humaine, d’assurer la préservation de la vie de nos pairs. Pourtant, on tue et on se suicide. Le jugement moral sur ces questions fluctue avec les cultures et l’histoire, et la différence entre un meurtrier et un héros de guerre est souvent ténue. Mourir de vieillesse est souvent approuvé. Mourir jeune est tendanciellement réprouvé, sauf s’il y a indubitable abrégement de souffrances graves. Vieillir entraine une diminution des facultés qui se corrèle parfois d’une augmentation de la surveillance par les pairs. On dispose du corps des morts de façon sanitaire, comme on dispose des déjections, mais le souvenir perpétué des morts, des ancêtres, des parents, tend à être hautement valorisé et ritualisé.

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Naturellement, il y a un tas d’autres phénomènes de ce type: paniquer, sursauter, rire, pleurer, allaiter, éternuer, se gratter quand ça nous démange, découvrir par étapes la permanence de l’objet, parler une langue, mentir, avouer, affirmer, nier, inférer. Il y a aussi le rapport qu’on établit, en tant qu’Anthropos, au Cosmos: soleil, pluie, saisons, chaud, froid, ciel, terre, points d’eau, mirages même. C’est la présence, effective et incontestable, de ces fondamentaux anthropologiques qui permet à nos penseurs réactionnaires de bien ouvertement les tricher, dans leurs développements doctrinaux. De fil en aiguille, nos grands confirmateurs de l’ordre établi érigent ainsi tous ce qu’ils promeuvent en fondements anthropologiques. Ensuite, ils refusent d’altérer quoi que ce soit dont ils se réclament, et se servent de tels développements pour bloquer des quatre fers sur tout et son contraire. J’ai pas besoin de vous faire un dessin: maman porte une jupe et papa est un turlupin. On légitime à peu près tout et le reste, avec une anthropologie abstraite, pas trop regardante, bien bâclée et bien frimée.

Il reste pourtant que, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse (comme disait autrefois Robert Bourassa), l’humain reste une être historicisé, un animal dénaturé. L’immense configuration matérielle et culturelle de son cadre de vie est un conglomérat complexe et dense de résultats historiques construits, fondamentalement fluents, fugitifs, corrélés, tourmentés, dialectiques et problématiques. Alors, le critère anthropologique… attention de ne pas en faire un de ces passe-partout formalistes qui nous permettent un peu trop de faire passer pour des raisonnements opératoires toutes nos petites logiques abstraites, sommaires, gesticulatoires, convenues et creuses.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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À propos de ce qui monétisa l’or

Posted by Ysengrimus sur 1 juillet 2022


Auri sacra fames…
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La monnaie émane historiquement du troc. Quand Mahomet achemina une caravane en Syrie romaine pour Khadîdja, il fut payé, pour son travail méthodique et subtil, en chameaux. Longtemps les peuples nordiques payèrent certains biens et services en peaux de castors ou d’écureuils. Au Mexique, du temps des premiers conquistadores, on payait en grains de cacao. Chameaux, peaux de bêtes, cacao restent des marchandises hautement susceptibles de s’user, de se voir récupérées au plan de la valeur d’usage, sans circuler davantage comme objet d’échange. Dans de telles situations de monétisations tendancielles, on reste donc fondamentalement au niveau du troc ponctuel. Mahomet n’échangera pas ses chameaux reçus en paiement. Il les utilisera dans la suite de son travail caravanier.

On a voulu que la rareté d’une marchandise fonde la genèse de sa monétisation. Pour éviter que cette analyse ne se restreigne à l’or et à l’argent, on a invoqué les épices. Le sel, le poivre et les épices diverses ont longtemps servi de monnaie. On a voulu expliquer ce fait par leur rareté marchande, d’autre part bien réelle (surtout dans le cas du poivre et des épices, souvent venus de fort loin et acquis de haute lutte). Or il y a, dans cette explication de la monétisation des épices par leur rareté, une grande part d’anachronisme. La sensibilité moderne perçoit le sel, le poivre et les épices comme un condiment, une sorte de produit culinaire de luxe donc, peu utile et peu présent socialement (comme le seraient les bijoux d’argent et d’or). Pourtant, ce qu’il faut comprendre clairement et qu’on oublie aujourd’hui, c’est qu’autrefois le sel, le poivre et les épices n’étaient pas un condiment mais un assaisonnement, c’est-à-dire, au sens littéral, ce qui permettait à la viande de traverser les saisons. En l’absence de réfrigérateurs et de glacières, la seule façon de faire durer les viandes était de les traiter, soigneusement et méthodiquement, avec des épices ou du sel. Cela leur permettait de rester comestibles en se conservant ou en séchant adéquatement. Si on s’est habitué, ethno-culturellement, aux viandes salées, poivrées et épicées, c’est que, pour des siècles, c’était ainsi qu’on conservait ce type de nourriture. Il fallait donc, à une maisonnée ordinaire, une bonne quantité de sel, de poivre ou d’épices pour que sa nourriture carnée ne pourrisse et ne se perde. On avait donc là une importante question de survie utilitaire qui faisait de la course aux épices un enjeu si acharné. Le sel du salaire était finalement aussi vital au salarié que les chameaux pour Mahomet. On était encore crucialement dans une dynamique de trocs de valeurs d’usage. L’idéologie contemporaine des épices comme condiment et produit de luxe édulcore passablement la compréhension de ce fait historique. Ce n’était pas leur rareté qui monétisait les épices, c’était le fait qu’elles comblaient un besoin important.

Venons-en à l’or. On a beaucoup invoqué ses caractéristiques soi-disant irrationnelles pour expliquer sa monétisation. L’or est rare, l’or brille au soleil, l’or est un signe ostensible de richesse sous forme de bijoux, de parures et de décorations. D’une certaine façon on a traité, assez sommairement, l’or comme les perles. Quand Cléopâtre dissous des perles dans du vinaigre et les boit, elle manifeste l’ostentation opulente absolue. Elle s’approprie un objet rare, inutile, cher, précieux, sans aucune autre fonction que celle de parure et elle l’ingère, lui assignant ainsi une valeur d’usage triviale, fictive et parasitaire comme expression et démonstration la plus explicite et la plus ostensible de son arrogance opulente. Telle est effectivement la fonction historico-politique des perles (mais pas des diamants, hein, qui, durs et abrasifs eux, servent dans l’industrie). Alors ne confondons pas tout et demandons-nous: qu’en est-il de l’or?

On a voulu que, trop mou, l’or soit un métal inutile. Contrairement aux métaux naturels (fer) ou aux alliages (bronze), il serait peu exploitable pour la fabrication des armes et des outils. Ce développement est à soigneusement nuancer. La mollesse toute relative de l’or est un défaut quand on fabrique un sabre ou une pelle mais elle devient une qualité quand on fabrique une aiguille ou un dé à coudre. Les petits outils, les instruments délicats, les fourchettes, les pincettes, les coupes, les gobelets, l’argenterie, justement… requièrent un métal un petit peu plus mou pour pouvoir être façonnés avec toute la précision requise. Ceci postule naturellement un type de civilisation de classes qui soit plus subtile, plus raffinée, plus perfectionnée, plus orientée vers certains détails domestiques particuliers. Chez les Mongols, une tige de bois était plus précieuse qu’un filin d’or. Le bois, rarissime en pays de steppes, servait à soutenir la charpente portative des yourtes. L’or ne servait pas à grand-chose, vu que les Mongols, peuple nomade et guerrier, cherchaient surtout des métaux pour fabriquer des armes et des outils, et se paraient surtout de fourrures… steppes glaciales obligent, toujours. Les Mongols des premiers temps ne thésaurisaient pas l’or de leurs butins de rapines. Ils l’échangeaient plutôt, à des peuples plus gesteux qu’eux, contre des marchandises leur étant plus utiles, sans que cela ne remette en cause leur richesse ou leur puissance de futurs conquérants du monde.

La mollesse (toute relative) et la malléabilité de l’or n’est pas son défaut mais bien sa qualité inhérente. Quand il s’est agit de constituer du numéraire, il a fallu opter pour un objet inusable (exit le sel et les grains de cacao) mais assez intimement malléable au départ. L’orfèvrerie avait transformé, de longue date, l’or en quelque chose de plus léger que la pierre, de plus solide que le verre et de plus souple que le bronze ou le fer. Une petite rondelle d’or est assez solide pour ne pas se dissoudre mais initialement assez malléable pour qu’on puisse écrire dessus ou y graver un visage miniature. Le verre, le bronze et le fer ne se prêtent pas trop à ça. On ne rappelle pas assez que, des Nabuchodonosor aux Louis et aux Napoléon en passant par les Périclès, les César et les Mérovée, les instances politiques ont toujours exploité le numéraire comme timbres de propagande. De ce point de vue, personne n’est dupe, la pièce d’or, c’est un peu comme une bande de patinoire au hockey ou une carrosserie de voiture en course automobile. On la badigeonne à l’effigie d’un tas de zinzins pas rapport, parfaitement parasitaires et indépendants de sa fonction sportive… ou commerciale.

La stabilité antique du numéraire métallique se synthétise donc, finalement tout bêtement, en un ensemble bien détectable de considérations pratiques: assez solide pour durer, assez inerte pour ne pas retourner promptement à sa valeur d’usage (non comestible, par exemple), mou tant et tant que d’autres métaux le surpassent pour forger les gros outils, assez malléable pour pouvoir se couvrir d’inscriptions fines et détaillées, assez discernable et reconnaissable. Il n’y a rien de magique, de sacré ou d’atavique là-dedans. Voilà pour les caractéristiques qualitatives de l’or. Quant à la cruciale dimension quantitative des métaux précieux comme mesures de valeur, Marx nous en a parlé bien mieux que quiconque.

Comme le temps de travail général n’admet lui-même que des différences quantitatives, il faut que l’objet, qui doit être considéré comme son incarnation spécifique, soit capable de représenter des différences purement quantitatives, ce qui suppose l’identité, l’uniformité de la qualité. C’est là la première condition pour qu’une marchandise remplisse la fonction de mesure de valeur. Si, par exemple, j’évalue toutes les marchandises en bœufs, peaux, céréales, etc., il me faut, en fait, mesurer en bœuf moyen idéal, en peau moyenne idéale, puisqu’il y a des différences qualitatives de bœuf à bœuf, de céréales à céréales, de peau à peau. L’or et l’argent, par contre, étant des corps simples, sont toujours identiques à eux-mêmes, et des quantités égales de ces métaux représentent donc des valeurs de grandeur égale. L’autre condition à remplir par la marchandise destinée à servir d’équivalent général, condition qui découle directement de la fonction de représenter des différences purement quantitatives, est qu’on puisse la diviser en autant de fractions que l’on veut et que l’on puisse de nouveau rassembler ces fractions de manière que la monnaie de compte puisse être représentée aussi sous une forme tangible. L’or et l’argent possèdent ces qualités au plus haut degré.

(Karl Marx, Le capital)

La spécialisation des pièces d’or en monnaie repose tellement sur un conglomérat de conditions à la fois pratiques et non substantiellement inhérentes à l’élément chimique Or (Au) que le remplacement de la monnaie métallique par la monnaie papier s’est effectué historiquement, sans heurt transitionnel particulier. Le facteur quantitatif (tant en termes de division fractionnaire fine que d’amplification pharaonique des quantités) prime de plus en plus profondément, à mesure que la monnaie s’hyperspécialise, dans sa fonction de moyen d’échange. C’est tellement le cas que même le numéraire papier est en train de se faire bazarder par la roue de l’Histoire. Et, surtout, un louis d’or aujourd’hui n’a plus aucune valeur monétaire. C’est un gros objet curieux pour antiquaires qui vaut souvent plus cher comme artefact historique que comme petite masse aurifère.

La vieille fascination irrationnelle envers l’or, perpétuée chez nos contemporains, est moins antérieure à son antique monétarisation que postérieure à celle-ci. L’or est une matière ordinaire comme tant d’autres. Elle nous permet de fabriquer des jolies choses qui coutent cher mais il est très important de comprendre que les médailles d’or olympiques, les disques d’or des chanteuses pop et le nombre d’or mathématique ne sont jamais que des variations métaphoriques sur une des résultantes historiques de la conjoncture du développement de l’or comme simple objet culturel et technique. C’est pour cela que je tiens à dire à tous les pays qui ont des réserves d’or et à tous les olibrius qui boursicotent et se jettent sur l’or comme soi-disant valeur refuge: Séraphin Poudrier, sors de ce corps.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Sur la discrimination idéologique

Posted by Ysengrimus sur 1 mai 2022

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La discrimination a pignon sur rue, en ce moment. Il semble, au jour d’aujourd’hui, que tout le monde soit en train de subir une discrimination à quelque chose. Tout y passe. Ceci-phobie, cela-phobie, discrimination et dénigrement de toutes farines, mot-notion que l’on ne désigne plus que par sa première lettre… Je ne vais pas vous énumérer ici la sarabande des ***ismes, ce serait la ritournelle rebattue du jour. Il semble bien qu’on n’ait jamais autant discriminé. Ou plus précisément, il semble qu’on n’ait jamais autant dénoncé le fait de discriminer, ou de sembler le faire. Ceci d’ailleurs est, à n’en pas douter, un développement plutôt heureux. Il est relativement aisé d’admettre qu’il y a une vive qualité réformiste à cette surveillance forcenée des discriminations que nous livre notre temps. Et il faut bien dire qu’indéniablement le butor d’autrefois, qui traitait de sa hauteur patriarcale, coloniale ou seigneuriale à peu près tout le monde ne lui ressemblant pas, est bel et bien un personnage exécrable dont on ne regrettera pas d’être en train de suavement se débarrasser. La chasse est ouverte sur la discrimination et, franchement, bon, on va pas pleurer.

Mais force est malheureusement d’admettre que certaines discriminations semblent plus cotées que d’autres. Les discriminations dont la dénonciation accommode bien le monde bourgeois, sans trop le menacer, ont incontestablement un solide avantage, dans la compétition victimaire qui se poursuit. Ainsi certaines discriminations, quoique particulièrement virulentes, restent mystérieusement dans l’antichambre de l’oubli et paraissent ne pas faire l’objet d’une attention particulière. Pas moins furax que les autres, je vais y aller de la dénonciation de la discrimination qui est celle que je déplore le plus et que l’on discerne le moins. Et j’ai nommé la discrimination idéologique. Lorsque l’on découvre vos idées fondamentales, qu’on en prend connaissance, qu’on dégage les implications critiques qu’elles entraînent, on peut parfois discrètement s’arranger pour ne pas vous retenir à l’emploi, à l’avancement, où à autre chose. Rien n’est avoué, naturellement. Tout se joue dans l’abstrait, dans le feutré, dans le googling discret, et dans le silence. Mais cela existe bel et bien, opaque, dense, puissant. Vous voulez en faire l’expérience? Soyez (encore) marxiste ou, tout simplement, critiquez la société dans un angle anticapitaliste. Ce sera pour vous rendre compte que les idées que vous véhiculez sont bien souvent susceptibles de vous attirer des emmerdements majeurs et ce, autant, sinon plus, que la couleur de votre peau où votre orientation sexuelle.

Allez-y. Introduisez, comme ça, dans la discussion de salon, le fait qu’il est tout simplement indéniable que le capitalisme marche à sa perte et qu’il ne lui reste certainement pas un siècle d’existence. Expliquez, sans trop vous étendre dans la technicité, ni trop relativiser, qu’un beau jour, les grands avoirs financiers contemporains feront l’objet d’un partage beaucoup plus équitable et d’une répartition beaucoup plus équilibrée, au sein de la société civile. Allez jusqu’à oser prononcer le mot encore archi-tabou de communisme. Annoncez, sans flancher, que la haute bourgeoisie est aux abois, dans l’expectative de ce grand soir suave, et qu’elle planque son pognon dans des iles désertes, dans l’espoir, parfaitement illusoire, de retarder ou d’esquiver cette terrible détermination historique qui lui pend au-dessus de la bobine, comme une épée de Damoclès. Vous allez vite voir les faces de vos vis-à-vis, et ce, même si ces gens-là ne sont pas des milliardaires, s’allonger et entrer discrètement dans le gestus discret de la discrimination polie mais implacable. Et il sera alors hautement improbable qu’on vous invite à la prochaine soirée mondaine de ce groupe spécifique.

La discrimination idéologique, doit-on dire la mort dans l’âme, fonctionne d’ailleurs dans tous les sens. De fait, il est assez clair que des antisémites, des phallocrates, des bellicistes ou des racistes feront imparablement l’objet d’un rejet analogue, hors de mon propre petit salon intellectif. Pas question de transiger là-dessus, au nom de je ne sais quel symétrisme anti-discriminatoire. Voilà qui est dit et bien dit. Cependant, il est important de nuancer la teneur de la discrimination idéologique des autres (surtout, ahem… des droites) et de bien faire ressortir que les groupes qui subissent la discrimination idéologique ne sont pas nécessairement constitués des éléments les plus conservateurs de notre société. Ces derniers ont pignon sur rue, littéralement. Il n’est effectivement qu’à compulser certains médias journalistiques et télévisuels pour s’aviser du fait que certaines idées (rouges, habituellement) n’y figurent pas, n’existent pas pour eux, et ne correspondent pas à des alternatives idéologiques reconnues. Pendant ce temps d’autres idées (brunes, habituellement) battent la campagne, sans être inquiétées ou sous-financées. Vous en connaissez un FoxNews marxiste, vous? Pas moi. Et pendant ce temps, par-dessus le marché, le racisme, la xénophobie, le militarisme, la misogynie bénéficieront souvent d’une sorte de non-lieu implicite, à base de il ou elle a droit à son opinion… il faut respecter la liberté d’expression… il faut rencontrer les critères que l’on revendique en matière d’ouverture d’esprit et de respect de l’autre… et zouzouzou et blablabla… La barbe, les barbouzes. Non, il n’y a pas à chipoter. Critiquez la société, dans un angle anticapitaliste, et vous ne disposerez plus du tout d’un tel non-lieu, implicite ou explicite. La différence sera drastique.

Bon, encore une fois, vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole. Je vous le dis. Faites l’expérience. Tenez des propos marxistes ou simplement anticapitalistes. Mais attention. Ne les amenez surtout pas sur un ton virulent. En effet, dans un tel cas, c’est à votre tonalité que l’on affecterait promptement de s’en prendre. Non, non, roucoulez patiemment votre dispositif doctrinal, sur un ton calme, doucereux, onctueux. La lèvre pulpeuse et l’œil humide, expliquez-le, sans sourciller, que l’ordre social actuel est voué à sa disparition historique. Vous verrez bien qu’on trouvera un moyen discret mais certain de vous montrer la porte de sortie. En réalité, n’importe quelle personne de gauche vit, dans nos sociétés, avec la discrimination idéologique comme avec une sorte de fatalité omniprésente. Tant et tant qu’on reste discret. On ne partage pas automatiquement ses idées sur la société, avec une nouvelle personne dont on vient de faire la connaissance. Cette façon d’être, et de vivre avec la discrimination idéologique, est tellement ordinaire, qu’on n’y pense pas vraiment. Ça fait partie de la vie habituelle et courante. Les réactionnaires, eux, sont tranquilles. Leur petite vision du monde étriquée est imperturbablement postulée. Faut surtout pas froisser les pauvres petits réacs. Toute nouvelle rencontre, surtout dans un contexte minimalement mondain, se gère et s’appréhende sur le mode de la circonspection et de la prudence, pour ne pas dire, tout simplement, de la peur. La sensibilité gauchisante n’existe pas, on n’en parle pas, ne la reconnait pas… ne sait tout simplement pas de quoi il s’agit. L’idéologie dominante est, et demeure bel et bien, l’idéologie de la classe dominante.

La discrimination idéologique est un comportement fondamentalement bourgeois. Les bourgeois contemporains sont terrorisés. Ils sont aux abois. Ils se sentent inquiets en permanence car ils savent parfaitement qu’ils dominent et oppriment ouvertement la société civile. Aussi, ils surveillent attentivement tout personnage, membre de leur classe ou non, susceptible de tenir des propos critiques à leur égard. La pratique est ancienne, aussi peu reluisante que solidement ancrée. Elle est banale, banalisée, et il n’y a pas grand-chose qu’on puisse y faire, en temps de paix sociale. C’est bien pour cela, au bout du compte, que les gens ayant une idéologie critique à l’égard de la société capitaliste se retrouvent finalement entre eux et gèrent leur harmonie idéologique comme une sorte de résistance secrète à l’ambiance de discrimination idéologique qui nous entoure et nous enserre. Et d’ici à ce que nos bons bourgeois se mettent à se lamenter en nous accusant de classisme, il n’y aurait qu’un pas, si facile à franchir. Le concept ronron est là, de toutes façons, qui n’attend qu’à les servir. Toutes ces notions réformistes sur la discrimination en ***ismes sont des gadgets intellectuels bourgeois, de toutes façons.

Toujours révolté, je demande tout simplement, en tout respect salonnier, à mes compatriotes et à mes concitoyens de cesser de me discriminer pour mes idées, comme on me l’a fait toute ma vie. Je ne vois pas pourquoi, ouvertement réactionnaires ou mielleusement réformistes, les petits penseurs de droite auraient droit à un traitement de faveur qui m’échapperait. Je n’entends pas me faire priver de mon aspiration à la pensée critique et au rejet des implicites d’une société en mutation profonde et dont les crises tranquilles, indiscernables mais omniprésentes, se doivent absolument de faire l’objet d’une description adéquate.

Suivez mon regard, même si vous-même ne voulez pas voir.

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Rodrig Mathieu: les questions que pose un acteur qui lit

Posted by Ysengrimus sur 7 juillet 2020

Rodrig Mathieu (1934-2017)

Le théâtre est un art mineur…
Michel Clément

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J’avais dix-neuf ans en 1977 et j’étudiais le théâtre. La fac des Cantons de l’Est où j’étais étudiant disposait d’une petite salle de théâtre expérimental qui participait tout naturellement à l’ambiance des luttes sociales du temps. Mais les salles de théâtre ne sont jamais que les écrins des puissances tripatives qui les hantent. Et ici, la figure que le temps fait émerger et perdurer devant nous est celle de Rodrig Mathieu (1934-2017). L’homme avait quelque chose d’un orang-outang costaud et sympathique. Une boule de cheveux frisés, rousse comme le feu, une barbe à l’avenant… le tout commençant déjà un petit peu à blanchir. Le personnage était goguenard, taquin, chafouin, souriant, patient, amène… dans la vie civique. Comme metteur en scène ou directeur de troupe, par contre, il devenait d’une grande austérité, d’un sérieux et d’une rigueur qui vous tirait tout naturellement, comme obligatoirement, vers le haut.

Rodrig Mathieu n’était pas un universitaire patenté. C’était ce qu’on appelle, dans les cercles cultivant une certaine condescendance intellective, un autodidacte. Il avait travaillé sur des trucks de liqueur et dans des usines à cigarettes montréalaises et il avait fait du théâtre d’avant-garde dans la métropole. Quand la troupe de théâtre qu’il avait fondé avait fusionné avec une autre et s’était institutionnalisée, il avait décroché de la grande ville. C’était un pur, un vrai de vrai d’outre-ville. Il ne croyait pas au vedettariat. Le théâtre dont il faisait la promotion était un théâtre d’intervention sociale. Toute la fibre intime de ce superbe artiste et meneur de troupe rejetait le théâtre bourgeois. Échanger, même superficiellement, avec lui était une éducation socio-historique permanente. Si j’ai rencontré un penseur prolétarien authentique, ailleurs que dans ma vie livresque, ce fut Rodrig Mathieu. Je vis encore ce coudoiement passager, distant mais déterminant, comme un moment incontournable de mon cheminement intellectuel et émotionnel.

J’ai donc dix-neuf ans et le cours que donne Rodrig Mathieu directement sur les praticables de la petite salle du théâtre expérimental de notre fac estrienne s’intitule La mise en scène dans le théâtre d’amateurs. Rodrig Mathieu se donne ouvertement le cadre de représentations (marxiste) et la procédure de travail de Manfred Wekwerth, assistant de Bertolt Brecht au Berliner Ensemble. L’ouvrage La mise en scène dans le théâtre d’amateurs de Wekwerth sert de support de cours direct. Rodrig Mathieu va faire prendre vie, dans notre jeu et dans notre esprit, à l’ouvrage de Wekwerth et, à travers lui, à toute la vision brechtienne de la dramaturgie.

De quoi s’agit-il? D’un rafraichissement complet de notre conception implicite (et implicitement bourgeoise) de l’art dramatique. L’acteur n’est plus là pour divertir sans transformer mais pour se transformer lui-même en agent de changement social se mettant au service de la classe prolétarienne et de ses combats. Pour jouer le rôle d’un balayeur de planchers, il ne fallait plus discuter avec tel acteur ayant tenu le même rôle… mais avec un vrai balayeur de planchers. Pour ce faire, l’acteur devait s’imprégner du milieu social dont il émanait, se préparant non plus à y réagir ou à s’en démarquer mais bien à le reproduire, dans son jeu. Pour cela, l’acteur devait devenir un observateur ordinaire de la vie sociale… en toute précision et en toute modestie. L’acteur ne devait plus non plus se contenter de ses astuces et ficelles de jeu comme, disons, un musicien de cabaret fourbissait ses phrasés. L’acteur devait intérioriser en profondeur les conditions socio-historiques des drames qu’il prétendait évoquer. Pour cela, l’acteur devait lire.

Tout était en cause. Rien ne reposait sur les implicites antérieurs, rodés dans la vie de la société bourgeoise. Être un intellectuel n’était plus cette sorte d’enjeu autonome d’officine auquel on aspirait, pour être cultivé. On devenait, plutôt, l’acteur ou l’actrice qui lit… un peu comme l’ouvrier qui lit, du fameux poème de Bertolt Brecht. On montait une pièce de théâtre sur les prisons? On travaillait à partir d’un drame écrit par des prisonniers anonymes et on lisait et se renseignait sur la condition carcérale effective. L’acteur était avant tout le serviteur de la fable et des enjeux sociaux qu’elle véhiculait. C’était un travail de communicateur critique et d’animateur social progressiste… méthodiquement transgressif…

L’acteur n’en négligeait pas pour autant ses techniques. En toute discipline et en toute rigueur, il devait poser la voix, articuler sa disposition corporelle, apprendre un texte ou dominer des canevas d’improvisations. Simplement, il devait configurer l’intégralité de son action dans la conscience sociale. S’il chantait, il était Woody Guthrie. S’il jouait de la batterie, il était Max Roach. Les détails les plus fins de son jeu s’en trouvaient intimement déterminés. La fable ne fonctionnait plus comme du théâtre dramatique mais comme du théâtre épique, au sens brechtien de ces deux termes. Il ne s’agissait plus de serrer un nœud et de déployer spectaculairement un dénouement (théâtre dramatique) mais d’évoquer tous les détails contradictoires d’une tranche d’histoire (théâtre épique).

Rodrig Mathieu était très intimement habité par la dramaturgie brechtienne. Elle vivait en lui. Cela faisait ressortir cette analyse profonde et inégalée de l’art dramatique avec un singulier relief. Tout, dans une mise en scène de Rodrig Mathieu, subvertissait nos représentations ordinaires et y substituait une permanente analyse critique du monde, une analyse de classe. Être dirigé par Rodrig Mathieu ne vous redéfinissait pas seulement comme acteur, mais aussi comme intervenant social. J’ai eu la chance de jouer dans quelques productions mises en scène par Rodrig Mathieu. Elles me firent entrer dans une mutation intellectuelle durable. Sans malice et sans affectation, je suis devenu marxiste au contact du metteur en scène Rodrig Mathieu.

La quête sans concession de Rodrig Mathieu s’exprimait en faisant face à des forces formidables. Il en avait pleinement conscience. Éduquer de jeunes acteurs et actrices qui rêvaient de brûler les planches et en faire des intervenants sociaux cohérents et avancés ne tombait pas sous le sens, même dans les belles années des luttes sociales théorisées de notre jeunesse. Je ne vais pas nommer de noms mais une portion de nos confrères et consœurs sont entrés au Palais des Glaces, par la porte de service. Certains ont décroché des petits rôles dans des dramatiques, des séries télévisées ou des films, d’autre sont devenus hommes et femmes de théâtre sur leurs scènes locales respectives. D’autres se sont tout simplement engloutis dans le cycle ordinaire de la vie civique. J’ai la certitude sereine qu’aucun d’entre elles et eux n’a oublié l’apport rigoureux, doctrinaire et exigeant de Rodrig Mathieu.

Dans l’esprit de ce que Rodrig Mathieu m’avait solidement inculqué, j’ai vécu mon propre cheminement face au théâtre. Et voici qu’une manière de paradoxe du comédien s’installait en moi. Les formulations intellectuelles élevées, la priorité de critique sociale, l’exigence d’une analyse soutenue de la société de classe, implicite à la représentation théâtrale… tout ça ne rayonnait pas très loin, une fois l’acteur et l’actrice extirpés du laboratoire de dramaturgie sociale qu’avait mis en place Rodrig Mathieu. On se retrouvait vite embringués dans des productions avec des metteurs en scènes qui vous utilisaient plus comme des pantins sans fils que comme des animateurs sociaux. Ces metteurs en scènes du monde bourgeois, dans leur bonne foi un peu carrée, vous associaient à des productions théâtrales qui véhiculaient un discours et des idées que vous n’endossiez pas nécessairement. Vous vous retrouviez à sautiller sur scènes, disant et faisant des choses qui trahissaient ouvertement vos vues et perspectives sur le monde. D’ailleurs, les metteurs en scènes s’avéraient souvent des petits dictateurs peu soucieux d’associer leurs acteurs à la pensée (articulée ou non) qu’ils véhiculaient. On comprenait souvent ce qu’un show racontait vraiment, le lendemain de la première… trop tard. J’ai vite perdu le goût de m’associer à des productions qui m’utilisaient comme porte-parole des conceptions des autres, souvent simplettes, nunuches et passablement ronrons et réacs.

Rodrig Mathieu, tant dans son cheminement artistique personnel que dans ses formulations doctrinales les plus explicites, démontre fondamentalement que l’art dramatique est un mode d’expression auquel inexorablement, on renonce. Rien de socialement durable n’y percole vraiment. Un film, une pièce de théâtre sont fatalement la voix d’un temps. Y jouer, s’y engager, les mettre en scène, les produire, cela parle de ce temps, sans plus. Et rien ne se décide vraiment alors. Tout est ballotté par l’air du temps, les modes, les conjonctures, les tendances, le marché bourgeois de l’art. Un film ou une pièce de théâtre, c’est de les voir que j’en tire quelque chose de durable, percolant derechef en un acide critique. Au théâtre et au cinéma, désormais, je suis public. De ne plus jouer, se jouer, mon intégrité s’en sort, sinon exprimée, au moins préservée.

Je lis toujours mais je ne suis plus acteur. Comme bon nombre de ses autres élèves d’autrefois, Rodrig Mathieu m’a finalement fait entrer, conscientisé, dans la vie sociale effective de cette foutue tranche historique au sein de laquelle on doit faire notre affaire, sans jamais cesser de transmettre le relai des luttes.

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Erreur de jeunesse

Posted by Ysengrimus sur 20 mai 2020

Jacques Parizeau (1930-2015) et René Lévesque (1922-1987), quelque part entre 1976 et 1980

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Elle est très intéressante cette question des erreurs de jeunesse. Sans trop réfléchir, on y engouffre souvent un peu n’importe quoi. On connait la formule rebattue sur ce genre de question. On passe sommairement sa vie en revue, d’un ton boudeur, et tout ce qui nous contrarie au jour d’aujourd’hui, on cherche à se le déraciner du passé en criant à l’erreur de jeunesse. Vous voyez un peu l’affaire, j’ai pas besoin de m’étaler sans fin. Les champs sentimentaux et professionnels de nos modestes vies sont jonchés de petits et de grands moments qu’on juge plus sévèrement aujourd’hui qu’autrefois. Certains poussent le bouchon jusqu’à regretter bien des choses. Les regrets, je vous le dis tout de suite, c’est pas trop mon truc. Je ne regrette pas une contrariété passée. Je me contente de la dédaigner. La vie est trop courte (et aussi, admettons-le: trop marrante) pour cultiver cette niaiserie inénarrable que sont les regrets.

On a donc tous, au plan sentimental, intellectuel, professionnel, artistique, politique… des portions de notre héritage personnel dont on se dit: bon… pas vargeux. Ou, pour revisiter le beau mot de Laurent Fabius après son désastreux débat avec Jacques Chirac en 1985: Il y a des fois avec et il y a des fois sans. Mais, pour autant et pour le coup, ces fois sans sont-elles nécessairement des erreurs? Là, je crois qu’il faut faire attention. La notion d’erreur est une notion grave, une idée qu’il faut traiter avec sagesse et neutralité. Avec respect même. Ce serait une… erreur que de ramener tout ce qui nous contrarie, à ce jour, dans nos actions raplapla d’autrefois, à des erreurs.

Pour la bonne et sereine compréhension de la notion d’erreur telle que je la conçois ici, je vais invoquer le plus beau de tous les sports, le baseball. Imaginons que je suis un joueur défensif, disons un arrêt-court. L’adversaire au marbre frappe la balle et elle me tombe directement dans le gant. Or, la balle est trop vive (ou je suis trop distrait) et elle sautille et me tombe des mains. Je l’ai échappée. Le frappeur, devenu coureur, est donc toujours au jeu (je ne suis pas parvenu à le retirer en captant la balle en vol) et le temps que je me ressaisisse, reprenne la balle sur le sol et puisse la relayer, le coureur est déjà au deuxième but. Il est donc resté au jeu non pas grâce à son adresse mais bien à cause de ma maladresse. Ma fiche statistique de joueur défensif est alors (dis)créditée d’une erreur, au sens tout technique de ce terme. Même ceux et celles qui ne sont pas intimes avec le baseball comprendront que l’erreur ici n’est pas soumise à des sentimentalités subjectives. Vous ne vous retrouvez pas avec, sur les bras, des vapes individuelles larmoyantes à rallonges, qui y voient une erreur et d’autre pas, et débattent, et discutaillent le coup sans fin. Non. Il n’y a pas, sur tout ceci, le moindre relativisme émotionnel de l’erreur. L’erreur est intégralement identifiable par des critères objectifs et factuels (comme dire: 2+2=5, c’est une erreur arithmétique, pour quiconque décode adéquatement les chiffres arabes et les signes d’opérations). Dans mon analogie au baseball, l’erreur est aussi —et ceci est crucial— un résultat interactif. Il s’agit donc de la finalisation d’un échange entre groupes (dans mon exemple, les deux équipes de baseball en joute, et leurs représentants, ainsi que tous ceux et celles qui comprennent le code du jeu). Ce qui est suggéré ici est qu’on ne fait pas une erreur tout seul. L’erreur est un rapport social.

Comme je suis celui que je suis, si mon erreur est sentimentale, elle concerne une femme, si mon erreur est artistique, elle concerne un texte (qui a fatalement été lu et critiqué, disons, mal reçu), si mon erreur est médicale, c’est que j’ai négligé les consignes ou les protocoles de mon médecin ou de mon dentiste. Cherchez l’erreur, ce sera toujours pour dénicher, en l’analysant adéquatement, la dialectique du rapport social qui couve, en son sein. L’erreur est un produit collectif et historique, une réalisation commune, presque consentie. On la contemple tous ensemble, on la voit, on la conçoit, on la pense, on en vit. Un autre élément clef va d’ailleurs jouer ici, c’est celui du caractère mental de l’erreur. Ce dernier est directement corrélé au statut d’intellectuel que je revendique, tant pour moi que pour l’époque. Les ci-devant hommes d’actions contemporains sont bien souvent des guérilleros de salon ou leurs équivalents affairistes ou sportifs. Par contre, de nos jours, tout le monde pense, tout le monde apprend, tout le monde s’informe, tout le monde observe la vie naturelle et sociale. Nous ne nous en rendons pas toujours compte mais nous vivons une période historique hautement intellectuelle, en soi. On ne passe pas une journée sans lire un texte ou le cogiter. Ici non plus, je n’ai pas besoin d’épiloguer. Regardez simplement ce que vous faites en ce moment. Conséquemment, l’erreur aura nécessairement une cruciale facette intellectuelle. Ce sera une erreur du savoir, de la compréhension du monde avant même, fort probablement, d’être une erreur d’action. Et ce, à plus forte raison si c’est une erreur de jeunesse. La jeunesse n’est-elle jamais autre chose que la préparation tâtonnante à l’action?

Arrivons-en justement à la susdite jeunesse. La voilà derrière nous, si vite. Et elle, elle est bien moins difficile à définir que la notion d’erreur. Il s’agit moins d’ailleurs de définir la jeunesse que de la délimiter. Dans la présente réflexion, les enfants ne font pas, au sens strict, des erreurs de jeunesse. Les enfants apprennent et n’apprennent pas certaines choses, dans leur petit monde. Mais, en tout et partie, on en reste là, de leurs errances. Les pots cassés des petiots ne sont pas des erreurs de jeunesse. Si un enfant se blesse ou s’enconne, c’est plus là l’erreur de ses parents que la sienne. Cette option descriptive fermement arrêtée, on délimitera, un peu arbitrairement, la jeunesse comme couvrant la décennie suivant le passage immédiat au statut d’adulte légal. On dira donc que la jeunesse, c’est entre 18 ans et 28 ans. Et vlan.

Attendu tous ces attendus, vous voici fins prêts à prendre connaissance de ma grande erreur de jeunesse. Elle s’est déployée entre mes 18 ans (1976, l’année où j’ai voté pour la toute première fois) et mes 26 ans (1984). Elle se formule comme suit:

ERREUR DE JEUNESSE

J’ai pris le Parti Québécois pour un parti socialiste
et j’ai orienté mon militantisme politique en conséquence.

Baseball oblige, cette erreur de jeunesse résulte de ma maladresse (de jeunesse aussi) plus que de l’adresse d’un des types dont vous voyez ci-haut la photo (le monsieur aux cheveux blancs et sans moustache). Ce personnage, René Lévesque (1922-1987), et son équipe de beaux parleurs se faisaient implicitement passer pour des socialistes. Leur parti politique chercha même, un temps, à devenir membre de l’Internationale Socialiste. Pourtant, de nombreux indices d’époque font que j’aurais dû (on sait que le principal verbe conjuguant l’erreur se formule toujours en j’aurais dû) voir que le Parti Québécois était un parti bourgeois comme les autres. J’avais même lu des textes militants groupusculaires très explicites en ce sens à l’époque et je n’ai pas voulu en tenir compte. Intellectuel de classe moyenne mal formé et outrecuidant, j’ai bel et bien échappé la balle à l’arrêt-court, sur cette question politique et historique, qui fut un petit peu l’enjeu d’un temps. En 1977, tous mes copains et copines d’université, jeunes guérilleros et guérillerettes de salon dans mon genre, flottaient collectivement sur la même erreur de jeunesse. On appelait alors le Parti Québécois, le Parti, tout simplement, parce que ça faisait plus léninien comme ça. On considérait donc, tous et toutes, en conscience, que le Parti Québécois était un parti social-démocrate (au sens fort que ce terme revêtait à l’époque) et que son programme souverainiste ne valait que comme projet de société (c’était le terme consacré du temps). Il s’agissait de libérer le Québec de ses entraves continentales capitalistes pour en faire une société socialiste, rien de moins. Je me souviens vivement du propos militant, généreux et senti, d’une de mes consœurs de classe, sur la quête du souverainisme: On fait pas ça pour remplacer les boss anglais par des boss québécois, on fait ça pour se donner collectivement une société sans boss. Et on appuyait notre sidérale candeur doctrinale sur une ligne hautement euphémisante restée célèbre de René Lévesque: Le Parti Québécois a un préjugé favorable à l’égard des travailleurs. Ce préjugé favorable résonnait, sur le terre-plein de notre naïveté juvénile, comme le plus tonitruant des claquements du drapeau rouge. Quand j’y pense avec le recul, c’était assez pathétique dans l’illusoire béat.

Je vous coupe le détail du déploiement vermiculaire de mon erreur de jeunesse. J’ai voté pour Jacques Parizeau (1930-2015), en 1976 (dans L’Assomption — sur la photo ci-haut, c’est le monsieur avec la moustache). J’ai milité dans le MéOui, le Mouvement Étudiant pour le Oui au Référendum (celui de 1980, dont on commémore justement les quarante ans aujourd’hui) et j’ai vu la défaite référendaire de la même année comme une vaste faillite des instances du progrès devant les forces obscures de la réaction. Ce n’est que lorsque le Parti Québécois ne fut pas retenu par l’Internationale Socialiste que j’ai commencé à me rendre compte que c’était un parti de suppôts bourgeois comme les autres. On nous avait menés en bateau, nous faisant passer la nef bleue et blanche pour une nef rouge. On nous avait tout juste fait rêver le pays libéré, selon la mode idéologique post-guevariste d’un temps, sans plus. C’était là le résultat court et mesquin d’une stratégie de communication électorale comme une autre, finalement. Désillusionné, j’ai par la suite découvert que même l’Internationale Socialiste c’était pas fort fort non plus, comme instance de progrès social. Tout devenait verdâtre et putride. Je devenais adulte. Je devenais marxiste. Et, en tout cas, adulte et marxiste, je ne ferais plus jamais ce genre de compromission politicienne illusoire.

Quand je repense à 1976 et à 1980, quand je repense tendrement à mon erreur de jeunesse de ce temps, je suis, en plus, bien obligé de me dire que mon père m’avait (pourtant) un petit peu prévenu. Eh oui… Je le vois encore me dire, d’un ton un peu malicieux et, bof, sans vraiment s’énerver, de faire bien attention à ce nationalisme québécois. Que nationalisme et socialisme ne marchaient pas très bien ensemble et qu’il y avait des gens qui étaient morts à la guerre autrefois, à cause de ce cocktail-là. Ceci dit, le vieux, lui-même ancien combattant de la susdite seconde guerre, ne s’inquiétait pas trop trop de mon erreur de jeunesse. Il se doutait bien que, dans l’ambiance feutrée, bourgeoise, prospère et encore bien tranquille du lent crépuscule des Trente Glorieuses, mes errements de jeunesse n’auraient pas trop de conséquences néfastes. Tout cela était de couleur bien pastel, à son œil. Il ne s’en faisait pas trop. L’amplitude de mes erreurs de jeunesse ne devait pas papillonner bien haut quand il les comparait secrètement aux siennes.

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PLANET OF THE HUMANS, l’inexorable autocritique du militantisme vert

Posted by Ysengrimus sur 5 mai 2020


The takeover of the environmental movement by capitalism is now complete
Jeff Gibbs

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Ce réquisitoire dévastateur a pour auteur un acolyte de longue date du cinéaste Michael Moore, un certain Jeff Gibbs (notre excellent Michael Moore a le statut de executive producer, sur ce film). Monsieur Gibbs nous la joue sinueusement à la dialectique interne semi-abasourdie. Il se donne (tout au long d’un commentaire off à la fois savoureux, onctueux et impitoyablement grinçant) comme un gars ordinaire qui croyait de tout cœur à l’écologie. Il a organisé sa cabane dans le bois en conséquence et il a écrit des articles de jeunesse sur la question. Il nous explique ensuite qu’en avançant pas à pas dans son militantisme vert, il en est venu à douloureusement se rendre compte que le jeu était insidieusement truqué. Et, graduellement, presque imperceptiblement, le commentaire environnementaliste contemplatif se transforme en une analyse critique imparable de la mythologie verte contemporaine. De plus en plus mordant et acide, l’opus en vient à défendre les trois thèses suivantes:

  • Le militant écologiste de base est un naïf et un rêveur. Il s’imagine illusoirement que les énergies renouvelables revêtent une sorte de dimension magique qui extirpe, comme par enchantement, ce nouveau modèle (promu) hors du cadre industriel contemporain. En réalité, les ci-devant énergies renouvelables (panneaux solaires, éoliennes, voitures électriques, biomasse) sont parfaitement polluantes et dépendantes des industries fossiles et de leurs travers écologiquement nuisibles. Tant au littéral qu’au symbolique, on fait croire à des festivaliers écolos que leur évènement militant est alimenté par des panneaux solaires quand, en fait, il est tout simplement raccordé au réseau électrique conventionnel. On ment ouvertement aux militants verts et ceux-ci se laissent berner comme des enfants.
  • Il existe une collusion profonde entre l’industrie fossile traditionnelle et les industries renouvelables. De fait, avec un cynisme qui confine littéralement à l’indifférence criminelle, l’industrie traditionnelle utilise les énergies renouvelables soi-disant propres comme paravent pour couvrir la perpétuation de ses activités les plus nuisibles. Exemple: de vieux moulins à pulpe de papier sont reconvertis en brûleurs de biomasse qui continuent d’abattre des arbres et peuvent même servir de couverture à des incinérateurs à déchets faussement verts. Le leadership écolo procède ouvertement de cette collusion et un certain nombre de figures historiques de l’environnementalisme américain (que nous ne nommerons pas ici) sont ouvertement dénoncées comme pantins de l’industrie sale.
  • Le passage mythique d’une énergie traditionnelle polluante à une énergie écolo faussement durable est une position qui postule et perpétue l’illusion d’une croissance industrielle infinie sur une planète aux ressources finies. L’écologisme ne veut pas d’une simplicité effective (corrélée à une baisse indispensable des profits industriels). On voudrait passer d’une voiture à carburant fossile à une voiture électrique… sans prendre le transport en commun ou marcher. Les industries faussement renouvelables ratent donc et le rendez-vous de la décroissance et celui d’une critique radicale de nos conditions de production et de nos modes de vie. Elles sont un moyen pour les profiteurs de se perpétuer, sans vraiment envisager de remettre en question l’ordre social capitaliste.

La démonstration de ces trois points est parfaitement imparable et proprement atterrante. J’irais même jusqu’à affirmer qu’on assiste, avec cet opus, à la fin de l’Illusion Verte pour la génération de mes enfants comme l’effondrement des socialismes marqua, au siècle dernier, la fin de l’Illusion Rouge, pour ma génération. Je ne comprends pas comment il serait possible de rester un militant écologiste bon teint après le visionnement de cet exposé autocritique décapant. Tout y est. Et tout se joue quasi-exclusivement sur le théâtre américain (impossibilité complète, donc, de cultiver le refuge xénophobe, patriotique ou ethnocentriste). Cela rehausse encore plus les solides aptitudes subversives de ce remarquable exercice.

Reprenons un petit peu certaines des étapes de l’exposé (tout en évitant, encore une fois, de nommer des personnes ou de pointer des institutions du doigt — pour ça, quand vous irez voir le film, vous serez servis). Voici qu’on nous montre un merveilleux dispositif de miroirs solaires pour alimenter une tour portant une sorte de capteur d’énergie aussi futuriste qu’imprécis. Tout le monde est content et joyeux au moment du lancement de ce maxi zinzin, sous le soleil californien. Mais nos investigateurs cinématographiques creusent la question un petit peu. Ils constatent d’abord que cette structure de production d’énergie solaire requiert, pour s’enclencher, plusieurs heures quotidiennes d’alimentation au gaz naturel. C’est comme ça. Elle est installée dans un désert ensoleillé mais, pour l’établir et la déployer, il a fallu détruire des Yuccas (arbres de Josué) vieux de cinq cents ans et uniques au monde, en faisant table rase sur une surface de terrain circulaire énorme. Bon, ce sont des sortes de panneaux solaires ou de miroirs d’énergie. On nous expose donc, au préalable, les ingrédients requis pour les fabriquer. Oubliez ça, le sable, le sable est trop impur. Il faut du quartz, du graphite, du charbon fin (entre autres). Tout cela s’extrait de mines à ciel ouvert polluantes. Pour usiner le miroir ou panneau solaire, il faut le chauffer à mille degrés ou plus, dans un dispositif industriel parfaitement conventionnel. On pollue de tous bords tous côtés pour mettre en place cette source d’énergie-spectacle. Quelques années plus tard, les types reviennent sur le lieu de ce dispositif. Le bide. Tout est cassé, débretté, démolis, abandonné. Les miroirs en miettes polluent l’espace de désert désormais dénudé où ils avaient été déployés. Un désastre intégral. De la frime. Du toc.

La formule communicative de Michael Moore, sa cinématographie, son ton, sa faconde, sont ici pleinement opérationnels. Je les trouve même bonifiés, mieux pondérées, plus subtils, moins prompts à cultiver la tendance que Moore avait parfois à charrier trop loin. On découvre, en ce monsieur Jeff Gibbs, un épigone créatif, un élève efficace, un perpétuateur imaginatif de la formule Moore. Et ça fonctionne. De la description détaillée des collusions et des tireurs de ficelles, aux images forces de dispositifs polluants, en passant par les entretiens gênants avec des personnalités censées représenter la vision écologiste éclairée de notre temps, tout y passe. Cette portion de la démonstration est d’ailleurs saisissante. On fait la connaissance, tant chez les militants de base que chez les grands sachems écolos, d’un sacré lot de pseudo-spécialistes patentés qui, quand on gratte le vernis, s’avèrent être des ignares balbutiants et des cuistres sans expertise particulière. Encore une fois, cela m’a tellement rappelé les belles années rouges, quand tout le monde se prenait pour un grand économiste ou un éminent théoricien de la sociologie révolutionnaire. Aujourd’hui ils se prennent pour des nutritionnistes et des ingénieurs. Le cercle du faux savoir s’est déplacé. Il y a que le grotesque de la chose qui perdure.

Le film PLANET OF THE HUMANS (intitulé ainsi par allusion évidente a Planet of the Apes, selon une procédure titrologique à la Fahrenheit 9/11) provoque déjà sa petite tempête, dans l’écolo-sphère auto-sanctifiée contemporaine. Les commentateurs environnementalistes de la chaire réclament déjà que ce film soit retiré de YouTube et exigent ex cathedra, d’un ton hautain, des excuses publiques (là, faut vraiment se prendre pour les nouveaux nonces du Souverain Bien. Du temps des rouges, au moins, on se contentait de polémiquer). Les journaux de droite appliquent la procédure devenue usuelle devant un opus de l’atelier Michael Moore: picosser sur les questions périphériques en chipotant au sujet d’éventuelles erreurs de détails. Absolument personne ne réfute les trois thèses fondamentales du film que je vous ai exposé plus haut. On notera aussi que les journaux de droite défendent pugnacement les écolos, ce qui est en soi hautement révélateur au sujet de l’urgence militante de ce film.

Je fais un seul reproche à cet exposé important. Il bascule, discrètement mais ouvertement, dans la dérive malthusienne. Ma réplique acide à ces développements: je suis bien fatigué de me faire dire par des petits profs de facs occidentaux sans imagination intellectuelle particulière, avachis dans leurs grands bureaux aérés, qu’il y a trop de monde sur la planète. S’il y a trop de monde tant que ça, montez donc sur l’échafaud les premiers, mesdames et messieurs les grands penseurs de l’ordre établi, nous vous cédons respectueusement le pas (fin de ma réplique acide). Fortuites ou non, les quelques insinuations malthusiennes malencontreuses du commentaire off resteront indubitablement le talon d’Achille doctrinal de cet exercice. Je n’épiloguerai pas. L’opus est d’ailleurs discret (ses critiques disent: faible) sur les solutions qu’il proposerait. Là n’est d’ailleurs pas son propos. Son propos est de montrer ce que les solutions contemporaines ne sont certainement pas. L’écologisme n’est pas écologique et l’énergie renouvelable n’est pas renouvelable du tout. Cessons de mentir aux gens et cessons de nous mentir à nous-même. La question du capitalisme est effleurée en un raisonnement dépouillé, minimal, mais imparable. Décroissance effective signifie baisse des profits privés. On préfère donc inventer un nouveau segment d’industrie, même semi-déliré, et le vendre aux gogos comme on vend du tourisme, des colifichets ou du cola light plutôt que de regarder en face des solutions dont la radicalité effectivement durable ne sied pas plus aux milliardaires dans leur course en avant qu’à vous et moi, dans nos maisons chauffées et nos voitures individuelles.

Ce film est indubitablement un capteur d’époque. Il dit tout ce qui doit être dit sur les militants écologistes. Ce sont soit des rêveurs, soit des arnaqueurs, soit un cocktail imprécis des deux. Les enfants des guérilleros de salon sont devenus des cyber-jardiniers tertiarisés. Gauche sociétale sans radicalité effective, croupion tu fus, croupion tu restes.

Planet of the Humans, documentaire américain de Jeff Gibbs, 2019, Rumble Media, Huron Mountain Films, 100 minutes.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Le masque de Rothschild

Posted by Ysengrimus sur 21 novembre 2019

Rothschild-Mayer_Amschel

Bon encore et encore l’idée fixe de l’antisémitisme et de la grande conspiration «communautaire». Il faut bien en reparler, hein, vu que ça se répand en ce moment, comme une vermine. Ça me tente pas mais allons-y. Alors d’abord le point de départ de l’escroquerie à l’antisémitisme actuelle, c’est le fait que le système financier mondial est en mutation. Pas en révolution, hein: en mutation. C’est-à-dire qu’un certain nombre de puissances émergentes (Russie non-soviétique, Chine post-communiste, Iran plus-révolutionnaire, Allemagne pseudo-européenne, etc) sont en train de s’y installer et de jouer aux bras avec les puissances en place (USA, Grande-Bretagne et pourritures associées) pour prendre leur place, sans moins, sans plus.

Russie non-soviétique, Chine post-communiste, Iran plus-révolutionnaire, Allemagne pseudo-européenne (pour ne nommer qu’eux), c’est pas des petits saints, ça. C’est pas des agents de changements radicaux non plus. Des agents de rajustements, à la rigueur, des facteurs de réforme financière, des amplificateurs de mondialisation, sans plus. C’est pas parce que Poutine entend, sans doute légitimement dans sa logique (je n’en sais rien et m’en tape passablement), partir sa propre carte de crédit russe pour tasser Visa et racaille corrélative que ça va radicalement changer le monde du capital et du travail, et arranger les choses pour le 99% d’indigents. Ces puissances émergentes veulent jouer dans la cours des grands. Et vlan. Leur conception sur la question de la finance mondiale se résume en une formule bien connue (que les Yankees assénèrent à l’Europe occidentale au siècle dernier, au fil des guerres mondiales): pousse-toi de là que je m’y mette.

Cette bataille du pousse-toi de là que je m’y mette se joue sur plusieurs fronts. Dans les officines feutrées du monde de la finance, elle est déjà solidement engagée, et la collusion entre Russie non-soviétique, Chine post-communiste, Iran plus-révolutionnaire, Allemagne pseudo-européenne (pour ne nommer qu’eux) d’une part et USA, Grande-Bretagne et pourritures associées d’autre part est en cours de solidification. Elle fait bien son chemin, la dynamique de transition. Mais il faut pas le dire trop fort. Il faut masquer ce qui se passe vraiment. Et pour masquer ce qui se passe au niveau de la finance mondiale, la collusion internationale est absolue et sans résidu. Personne ne joue honnêtement sur un tel terrain et pour de tels enjeux.

C’est que l’autre front de cette bataille, c’est le front de l’opinion. Pour se gagner l’opinion du 99%, Russie non-soviétique, Chine post-communiste, Iran plus-révolutionnaire et Allemagne pseudo-européenne (pour ne nommer qu’eux) jouent le populisme et l’extrême droite. Sous couvert de «résistance» et de «dissidence», ils le jouent à fond et confirment, ce faisant, qu’ils n’ont absolument aucune aspiration révolutionnaire. Aucune mutation qualitative du capitalisme en autre chose ne sortira de leur démarche actuelle de promotion des nationalismes et du régionalisme économique. On s’en tiendra strictement au changement quantitatif (et peu reluisant) du pousse-toi de là que je m’y mette, déjà en cours d’ailleurs. Une autre confirmation du fait que rien de révolutionnaire ne sortira de tout ça réside dans le fait que nos nouveaux personnages émergents de la finance mondiale n’ont absolument aucun intérêt à procéder à une description effective et rationnellement analytique de comment elle fonctionne. Eh bé, ce serait devoir expliquer qu’elle est mondiale au sens fort, en ce sens qu’elle est totalement sans race, sans ethnie, sans nation et sans conscience, et que Russie non-soviétique, Chine post-communiste, Iran plus-révolutionnaire et Allemagne pseudo-européenne (pour ne nommer qu’eux) sont déjà de plain pied en train de poser leurs piles de jetons sur le tapis vert de la Grande Boursicote. Pas de ça, Lisette. Il faut se gagner l’opinion, cela signifie qu’il faut l’endormir. Il faut donc éviter de lui démontrer qu’on ne tasse la pourriture financière actuelle que pour la réjuvéner, en fait, perpétuer son ordre en prenant tout doucement sa place. Il faudra donc poser un masque sur ce qui se passe réellement, en ce moment, dans les arcanes de la haute finance mondiale en mutation.

Ce masque, ce sera le masque de Rothschild…

En remettant dans son sillon l’aiguille diamantée, tristement inusable, du vieux gramophone antisémite, on fait d’une pierre deux coups. Primo, selon une approche propagandiste bien connue de l’extrême-droite, on se donne une cible militante simple, en focus, limpide et facile à ressasser. Et deusio, en jouant la carte de la faute à Rothschild, eh bien on masque parfaitement ce qui se passe vraiment. Braqué, mouton de Panurge, fonçant comme un seul homme, le 99%, bien remonté et endoctriné, s’en prend alors au bouc émissaire «ethnique» ou «communautaire» et, ce faisant, dans l’écran de fumée idéologique brunâtre que cela engendre, plus personne ne discerne ce qui se passe pour vrai. C’est une arnaque intégrale. The oldest trick in the book, la plus vieille des crosses sur la liste des crosses. Et tout le monde marche là dedans à fond, et s’y engage à bien perdre son temps (et le mien)…

Même les ténors à couacs juifs eux-mêmes tombent dans le panneau, en ce moment, et ils endossent en trépidant la logique rembrunie ambiante. Irresponsables et élitaires-myopes selon leur manière, les pseudo-intellectuels pseudo-juifs hypermédiatisés, qui assurent le recyclage mesquin de la compétition victimaire, pour des raisons de géopolitique minable et sans intérêt que nous tairons, se sont mis récemment à en rajouter, dans le même sens. Poussant le bouchon à fond, ils se mettent eux aussi à faire joujou avec le masque de Rothschild. Ce mannequin pitoyable de Bernard-Henri Lévy est le summum de cette propension. Résumons, sans plaisir et sans estime, les thèses dudit BHL dans son ouvrage de boutefeu sans intérêt intellectuel effectif, L’esprit du Judaisme:

  • Les juifs sont partout en France. Ils ont fondé la langue française et fait la France.
  • L’antisémitisme contemporain, c’est de s’opposer à Israël. Point.
  • La culpabilité face au souvenir de la Shoah est le seul moyen mental et pratique de tenir les violents en sujétion.
  • Les antisémites d’autrefois (Céline, Barrès, Giraudoux) avaient plus de stature et de panache que ceux d’aujourd’hui, qui sont des minus et des indigents intellectuels.

Ce personnage médiatique baveux et dogmatique jette de l’huile sur le feu. Il nuit à la tranquillité quotidienne du juif ordinaire (qui en a rien à foutre) et de ses enfants. Il devrait être interdit de médias. Je commence à vraiment trouver qu’il joue ouvertement le jeu du populisme antisémite russo-sino-irano-germano-etc… Il nargue ouvertement le petit antisémite contemporain, pour l’exacerber en fait, pour se faire mousser et aggraver les choses dans le sens de sa cynique vocation victimaire. C’est un irresponsable et un nocif. Millionnaire à compte d’auteur, il a détruit le marxisme français en 1977. Maintenant, c’est la société civile qu’il veut mettre sur le cul, ma parole. Il y a quelque chose de pourri dans la république, c’est indubitable, si même les intellectuels juifs ont quelque chose à gagner dans l’alimentation de l’antisémitisme. Ceci dit, bon, les français virent antisémites par les temps qui courent et ils le feraient même sans la provoque de ce perso douteux… pas juste les français, d’ailleurs. Le reste de l’Europe aussi. Ça commence à se manifester même aux États-Unis. Ça devient passablement sérieux, ce phénomène. Si on le résume: les gens en ont contre les pouvoirs financiers mais ils les conceptualisent comme «La Banque» et «Rothschild». J’ai jamais vu une affaire pareille de mon vivant. C’est elle, la vraie manipulation irrationnelle brouillant l’accès de notre pensée critique collective au fin fond des choses.

La finance mondiale n’est pas juive, elle est bourgeoise. C’est seulement en faisant tomber le masque de Rothschild, collé dessus par l’extrême droite propagandiste, qu’on verra vraiment ce qui s’y passe et découvrira que si les grands bourgeois nous laissent niaiser, bretter et nous ensanglanter dans les nationalismes et les régionalismes économiques, eux, ils ont bien compris que c’est d’être sans nation et sans région qui permet de vraiment s’enrichir dans un monde où les nations et les races, comme vecteurs économiques et financiers, sont pour les naïfs, les rétrogrades et les sectaires étroits. Les très discrètes éminences de la grande bourgeoisie mondiale sans nation et sans ethnie, internationale au sens fort, jugent que si nous, on a raté l’internationale des prolos eux, ils l’ont constituée, l’internationale du pognon. Et le grand Rothschild grimaçant qui se frotte les mains en ricanant sur son panneau, comme dans un mélodrame irrationnel et simpliste d’autrefois, les sert bien. Personnage vide, épinglé de longue date sur un rideau opaque, bouc émissaire creux, agneau pascal inepte, tête de judéo-turc, il leur sert de masque…

Je ne marche pas dans cette idée fixe. C’est une arnaque et un mensonge. C’est aussi un vide conceptuel, une absence d’analyse. L’analyse reste dont à faire.

success-kid-on-ne-dit-plus-capitalisme-commercial-industriel-et-financier-on-dit-pouvoir-bancaire

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Karl Marx résume pédagogiquement la crise économique de 1929 (pastiche)

Posted by Ysengrimus sur 24 octobre 2019

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Cher Monsieur Marx,
Ma missive va sans doute vous paraître surprenante mais il me semble que vous êtes la personne la mieux à même de soustraire mon âme à l’angoisse qui l’étreint. Étant diplômé en histoire, je me suis inscrit à l’Université afin de présenter le concours de l’agrégation. Afin d’y parvenir, je suis obligé de présenter à une classe de jeunes gens de dix-huit ans une leçon qui a pour thème «La crise économique de 1929». Étant médiéviste de formation, je suis placé dans une situation peu confortable. Pour cette raison, je me permets de vous déranger dans votre étude (je vous imagine si bien attablé à votre cabinet, au milieu de livres nombreux) afin de solliciter votre conseil. Comment vous y prendriez-vous pour intéresser les étudiants susdits à la chose économique? Quels seraient les points à relever, et serait-il judicieux de lier mon propos à votre illustre apport à l’analyse de la société?

En vous remerciant d’avance pour l’intérêt que vous porterez à mon humble requête, je vous salue, Monsieur Marx.

Pierre-François Pirlet

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Ah, il faut prendre l’affaire à la racine. Ne perdez pas votre temps avec des chinoiseries d’étalon or, de boursicote et de flux monétaires. Il faut revenir aux conditions d’engendrement matérielles de cette crise.

C’est une crise de surproduction. C’est la première chose qu’il faut expliquer parce que le paupérisme est souvent relié à l’indigence et cela fait d’une crise de surproduction une notion un peu surprenante. C’est une crise du capitaliste sauvage. Il faut bien expliquer l’impunité des banques et des trusts industriels en ces temps, car je soupçonne qu’elle s’est passablement résorbée depuis. Finalement c’est une crise qui a confirmé les États-Unis d’Amérique du Nord comme cœur du capitalisme mondial. Il va donc falloir leur expliquer qu’il fut un temps ou ce n’était pas le cas. Voilà vos trois idées force.

Crise de surproduction. Le capitalisme manufacturier en est encore dans l’enfance à ce moment-là, pour ce qui est de la production de biens de consommation de masse. Il ne s’est pas encore avisé du fait que, pour la première fois de son histoire à une échelle aussi massive, il vend à son propre prolétariat. Extirper du charbon pour des locomotives à vapeur et extirper du pétrole pour des automobiles n’implique pas seulement une nuance technique. Il y a là un distinguo économique de taille. Le charbon, vous le vendez à une entreprise concurrente qui en dernière instance vous résorbe et vous évite de devenir trop puissant. Le pétrole, vous le vendez à votre ennemi de classe, ce prolétaire qui le paiera avec cette portion de plus value que vous ne lui aurez pas extirpée.

Crise du capitalisme sauvage. Or votre prolétariat, vous le paupérisez parce que vous l’exploitez sans contrôle. L’État ne vous encadre pas, ne vous impose pas de salaire minimum, ne restreint pas le mouvement pécuniaire des banques, ne supervise pas les transactions des trusts. Laissé à vous-même, vous poussez votre logique à fond. Vous vendez vos canards boiteux à des naïfs passéistes et enrichissez vos industries rentables. Vous détruisez vos concurrents directs, établissez des monopoles, spéculez sur vos valeurs et surproduisez. Et en gagnant, vous perdez. La richesse ne circule plus. Elle pourrit dans vos coffres. Votre principal client, le prolétariat ruiné que vous exploitez à fond n’a plus un liard pour vos automobiles, vos cottages, vos godasses et vos brosses à dents. Surproduction et déflation. Luttes sociales. Grèves, chômage massif, faillites en cascades. Il s’agit d’une crise INTERNE au fonctionnement capitaliste.

Puissance des États-Unis d’Amérique du Nord. La République Soviétique semble échapper à ce bordel parce que la République Soviétique a un PLAN. Aussi foireux que ledit plan puisse être, il suffit pour contrôler une portion cruciale de la crise, la portion capitalisme sauvage. Le ci-devant New Deal rooseveltien, tout en affectant de ne pas être un Plan à la soviétique, s’en prendra tant bien que mal aux deux tendances. Il résorbera le capitalisme sauvage en encadrant les transactions des banques et des trusts et en s’attaquant aux monopoles. Il affrontera la paupérisation en lançant des grands travaux publics.

Mais le cœur de la crise restera intact et incompris. Il faudra donc une destruction massive des résultats de la surproduction pour que le capitalisme, désormais encadré, redémarre. La boucherie de la Deuxième Guerre Mondiale assumera ce rôle économique inconscient et inexorable. Des millions de vies seront détruites dans le mouvement. Mais le capitalisme fétichiste est un Baal aveugle qui fait primer les mouvements de choses sur les mouvements humains. Il n’a donc cure de ce genre de détail.

Karl Marx

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Monsieur Marx,
Je vous savais homme d’idées, je vous découvre pédagogue. Sachez, Monsieur Marx, que votre verve littéraire servira de modèle à ma modeste leçon, et que l’édification des intelligences qui me seront confiées tiendra compte de votre judicieuse analyse économique.

Monsieur Marx, veuillez recevoir mes remerciements les plus chaleureux!

Pierre-François Pirlet

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Échange tiré de l’officine de Karl Marx dans le site de pastiche DIALOGUS. Karl Marx est pastiché ici par YSENGRIMUS (Paul Laurendeau). Il y a quatre-vingt dix ans pile-poil, c’était le jeudi noir.

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Timbre-de-4-kopeks-Karl-Marx-et-Capital

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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À propos de la posture victimaire dans la fachosphère

Posted by Ysengrimus sur 15 août 2019

fachosphere-tendance

 

On ne présente plus la fachosphère. Elle est omniprésente sur internet, rampante, gluante, sirupeusement implicite. Elle est dispersée, saupoudrée, vermiculaire. Elle se dit, se dit et se redit. Les arguments de ces doctrinaires, obtus ou cinglants, solaires ou lunaires, eux aussi sont rebattus, résurgents, symptomatiques de la pourriture sociétale d’un temps, révoltants, pitoyables. On connaît bien ce contenu socialement régressant, anti-capi-mais-par-la-droite, pro-PME-anti-«bancaire», libertinophobe, gynoclaste, hétérosexiste, xéno-ethnocidaire (ce dernier trait hautement variable et sélectif, au grée des sources de financements internationales), «catholique-culturel», populiste-pingouin-de-baseux, post-GUDeux, militariste de casernes (en affectant de conspuer les états-majors). Pas grand chose de vraiment, effectivement, original. Ou… un peu quand-même…

S’il y a quelque chose de nouveau en la fachosphère du moment, là indubitablement, c’est moins le détail fin de ce contenu doctrinal fétide que le style oratoire ou argumentatif de sa mise en ligne. La fachosphère contemporaine a pignon sur rue, le sait et a le triomphe l’un dans l’autre modeste, l’insistance tendue mais discrète. Ses colères sont froides. Ses tribuns se déguisent désormais en penseurs maudits, profonds, sombres et songés. Elle ne s’énerve pas, ne s’emporte pas. Elle ne «milite» plus, elle explique. Elle éduque doctement les masses. Et surtout, aussi christique que chrétienne (helléno-chrétienne, hein, pas de gourance), elle construit patiemment sa martyrologie, tisse tout doucement sa toile à capturer les larmes. Au jour d’aujourd’hui, les bouillants, les virulents, les éructifs, les pulsionnels, c’est les autres. C’est les oppresseurs, les orateurs, les politiques, les médiatiques, les atterrés, les éberlués. La fachosphère ronronne puissant, se ratiocine doucement et ne fait plus le coup de poing. Apaisée, décomplexée, elle la joue victimaire. Voyons les grandes lignes de ce nouveau ton murmurant du chœur des vicaires cyber-fachos.

Nous ne sommes pas racistes, vous l’êtes. Au sens littéral, le seul valide et le seul invoqué, la fachosphère n’est ni raciste ni antisémite. Vous avez bien lu. Si on l’accuse de faire du racisme et de l’antisémitisme, on soumet ses «analyses» au chantage (chantage au racisme, chantage à l’antisémitisme). D’ailleurs savez-vous quoi? C’est largement vrai et attesté que la race n’est plus un repoussoir fachosphérique opératoire. Le racisme, le vrai racisme racialiste, vous savez, celui des formes de crânes, de la force des bras et des dents, des courbures de nez, des couleurs de peau, des hiérarchies ethno-intellectuelles, eh bien il n’a plus tellement cours. La civilisation est désormais tellement racialement diversifiée… et plus vive et matoise que jamais! La fachosphère est tellement racialement diversifiée, elle aussi! C’est un fait net qu’il est désormais inepte, creux et inefficace de la ramener en invoquant les critères qui furent ceux de Gobineau et/ou de la solution finale et de l’espace vital. Même le fascisme contemporain, sous le poids puissant des faits historiques, a du avancer d’un gros cran, sur ces questions. Maintenant ethniquement plurielle (ce qui est la confirmation imparable du fait que les idées, même les plus rétrogrades, ne sont justement pas des monopoles raciaux), la fachosphère racialise désormais sa démarcation dans l’autre sens. Entendre par là qu’elle va narquoisement à la pêche au racisme crétin chez ses adversaires. Et elle trouve de quoi bien remplir ses nasses. Injures nullardes, mots malencontreux, attitudes inadéquates, réminiscences boiteuses, nostalgies colonialistes sous-jacentes, théories courtichettes mal ficelées, coups de gueules foireux… et vlan. C’est maintenant le bon petit blanc ramolli du cognitif qui se fait piéger au jeu de la rectitude politique dont il prétendait tendre les rets et dicter les règles. Certains intervenants fachosphériques sont des as dans l’art mutin de colliger les bourdes télévisuelles de blancs crétins dont nous nous foutons tous mais qui, bien rehaussées, deviennent le repoussoir victimaire idéal d’une extrême-droite multiforme, matoise-sournoise, qui n’a aucune pudeur à identifier son idéologie délétère à rien de moins qu’un antiracisme nouveau genre. Et la bonne conscience de disjoncter. Et le chantage de s’inverser. «Je suis pas blanc et je suis explicitement fachosphérique. Tu dois penser comme moi sinon tu roules avec les blancs, contre la pensée ‘nouvelle’ issue de la conscience de l’humain planétaire».

Nous sommes non-conformistes. Les fachosphériques sont soit des jeunes, soit de vieux juvénilistes. Ils ont donc pour eux, pour un temps, la vigueur du (re-re)nouveau, du faux-frais, du pseudo-vif. Ils sont les néo-réacs 2.0. Et ils en jouent à fond. La gauche désormais, c’est la république à la papa, c’est le Mai archaïque-68 de Dany LeGris, c’est les baby-boomers, c’est croulant, c’est déliquescent, et c’est suspect d’être entré profond, bien profond, dans l’intégralité des canaux de corruption institutionnalisés. Je ne vais pas me fatiguer à exposer qu’il y a des jeunes de gauche, dont l’action est hautement révélatrice de tendances sociétales profondes et neuves. Mes enfants et le Québec de 2012 en font foi. Mais les fachosphériques «expliquent» à la jeune gauche qu’elle fait preuve de conformisme social, qu’elle fait jouer les vieux réflexes libertaires, fatigués, alanguis et démodés, qu’elle est bobo, gauche-caviar, liseuse du Monde Diplo, écolo-gentillette et hipstérisante, donc snobinarde, donc bourgeoise. Contre ce qu’il expose alors comme un conformisme bourgeois de gauche, le fachosphérique se pose en fringuant dépositaire de tous les anticonformismes populaires contemporains. Désormais, résister, combattre le «système», c’est libérer notre droit d’avoir un Peuple, une Religion et un Sexe (contre le mondialisme, contre l’athéisme trivialisé en laïcité, contre la «théorie du genre», institutionnalisés, perlant partout, de l’école au palais présidentiel). S’en prendre aux fachos aujourd’hui c’est, dans la perspective fachosphérique, s’en prendre à une jeunesse cyber-éduquée, alternative, un peu punk (dans le bon sens), sympa, voyoute-muscu, potache-résistante, et qui se laissera pas faire par les barbons Trotsky et les pimbêches de Beauvoir qui regardent les banlieues de haut.

Vous nous insultez, nous marginalisez, nous rejetez. Le troll est mort. Vive le débatteur fachosphérique onctueux, poli, patient, collant, politicien. Cyber-éduquée, bien imprégnée de la trajectoire incurvée —fulgurante— du monde de l’internet, la fachosphère actuelle comprend intimement qu’on n’est plus en 2006 pour s’envoyer des vannes à la gueule jusqu’à ce que le forum devienne engorgé ou qu’il ferme. L’intervenant fachosphérique actuel opère de facto sur des cyber-espaces de plus en plus fliqués et judiciarisés. Il s’ajuste. Il s’adapte. Il joue donc de politesse, d’implicite, de faconde onctueuse. Il parle d’ananas, d’index levé en l’air, d’ «empire» et de «banque». Qui vous poursuivra pour avoir levé un index en l’air ou avoir abstraitement dénoncé une banque? Et c’est ici que le modus operandi victimaire de la fachosphère entre en mode force tranquille. Toute objection, toute opposition aux propos fachosphériques est une insulte non motivée, une méchanceté gratuite, une marginalisation, une discrimination, une attaque personnelle ad hominem. Le troll c’est toi! Toi qui t’énerve un peu, toi qui t’objecte en sursautant, toi qui combat encore, toi qui picosse un rien dans le saindoux faussement déférent pour y retrouver les idées à abattre. Témoin de Jéhovah collé à ta porte et ayant fait semblant d’entendre ta salve, le fachosphérique t’englue désormais dans la sienne, mollement mais sans mollir. Et le brutal, c’est toi. Le hargneux, c’est toi. Celui qui se tient pas et sort de ses gongs, c’est toi. Et moi, le fachosphérique, monsieur le modérateur, je ne suis que la victime, innocente et douce qui cherchait juste à penser différemment et à le dire, tout simplement.

Comme vous rejetez pas l’empire comme nous, les impérialistes, c’est vous. Les fachosphériques ont de fait tout inversé. Ils nous présentent Dresde 1945 comme si c’était Berlin 1931. Pauvre de nous, nous sommes des dupes intoxiquées et endormies par une démocratie menteuse et une culture de masse sciemment dévoyée et qui nous manipule. Hitler est un brillant économiste désormais, vous saviez pas? Il était le seul à avoir su tenir tête à Wall Street et il a payé pour. La guerre s’est pas fait contre lui mais pour ses ennemis, pour ainsi dire. Lui aussi, il est la victime, dans toute cette grosse affaire distordue du siècle dernier. Tout s’inverse et, en cela, la fachosphère contemporaine est bien l’indice purulent, le symptôme malodorant mais crucialement loquace et lancinant de la déliquescence de tout ce cadre de représentations jovialiste et prospériste des Trente Glorieuses qui ne reviendront plus et dont plus personne ne veut. Le summum de la conceptualisation victimaire des fachosphériques, c’est le fameux phénomène du rouge-brun. Criss-cross! Marx est un penseur fasciste et le Front National est le plus grand parti de gauche de France. Vous le saviez pas? Vous saviez pas que c’est ça, désormais, la seule façon valide de penser l’impérialisme? Ce n’est pas la production capitaliste mondiale qui est en crise. Ce n’est pas la baisse tendancielle du taux de profit qui continue de se déployer. Non, non, C’est l’empire qui panique devant le retour des vraies valeurs… et comme vous rejetez pas l’empire comme nous le faisons, eh bien, les impérialistes, c’est vous.

Que faire? Donc le nouveau dialogue cyber-classique contemporain du débat politique c’est ceci: un fachosphérique onctueux, larmoyant et victimoïde traite d’étroit d’esprit et de brutal un gars ordinaire juste parce qu’il ose être atterré par la résurgence brune. De la rationalité inversée à son meilleur. Alors que faire? Simple. Ne pas les victimiser plus et, surtout, répondre un peu, juste un petit peu, pas trop non plus. Les faire parler, surtout, bien parler, tout vomir, tout éructer. Qu’ils sortent du cyber-maquis et s’exposent un tantinet, qu’on médite. Il faut les amener à extirper leurs idées du brouillard victimaire. Qu’on nous la livre plus clair, plus net, la doctrine dure, la pensée bleue acier et noir charbon, dans sa raideur simplette et sa limpidité inoriginale. On la perd un peu, dans tout ce ballet de pixels et de courriels et c’est pourtant elle qui doit reprendre le dessus, la pensée, l’analyse sociopolitique du monde contemporain. Dis-moi, petit fachosphérique, dis-moi quels sont tes angles de vue, tes options, tes maîtres, tes points doctrinaux, tes bailleurs de fonds, ton programme. Comme la pose victimaire est le seul élément un peu nouveau du corps conceptuel fachosphérique, c’est à elle qu’il ne faut pas laisser reprendre corps et envahir tout le champ. Tu n’es pas une victime, mon facho. Tu es un indice et, de par cela, tu es interlocutif et, oui, je l’affirme, tout en m’en affligeant, c’est la faillite de l’époque qui parle à travers toi. Parle donc. Cesse de te lamenter dans le sous-entendu lourdingue et de faire de l’ad hominem et des procès d’intention à rallonges. Expose-le, ton contenu. Laisse lentement sortir la bête nuisible du lagon des ambivalences interactionnelles. Ce gros poisson, pourquoi tu le noies? Il faut qu’on la voie bien au clair, qu’on la contemple ouvertement, cette conception crépusculaire, indicative, nuisible, nocive et surtout, ancienne, dépassée, tellement ancienne, dépassée, vermoulue et démodé que cela l’aide à terriblement revenir à la mode auprès de la courte mémoire de nos politicards hagards qui s’égarent et de leurs thuriféraires infantiles et minables…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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L’ordre établi est facho-compatible

Posted by Ysengrimus sur 7 août 2019

L’ordre établi contemporain pseudo-moderne et éclairé est en fait hautement facho-compatible. Il génère les fascismes, les nostalgies du capitalisme de papa, les phalanges xénophobes, les groupes armés, les 3% et autres meutes grondantes et rampantes. C’est une hypocrisie intégrale de dirigeants centristes sans intégrité ni entrailles que de prendre des grands airs affligés quand ces phénomènes sociologiques brunâtres se manifestent et viennent faire leur petit tour dans les médias. Nos gouvernants hypocrites et véreux nous racontent que ces groupes qui se baladent dans la nature en portant des armes sont surveillés par la police et tout et tout. Le fait est que si ces colonnes armées s’appelaient Organisation Drapeau Rouge Anticapitaliste, leurs membres seraient déjà tous en taule pour port d’arme illégal et soi-disant encouragement au soi-disant terrorisme. Mais comme ce sont des fachos, on les laisse bien tranquilles, en se lamentant qu’ils ont droit à leur petite liberté d’expression suspecte et gna et gna et gnagnagna. C’est exactement comme les radios poubelles. Si les radios poubelles prônaient la révolution prolétarienne, elles seraient déjà fermées, claquemurées, cadenassées. Elles gueulent facho, miso, omniphobe et xéno. On les laisse faire. Notre petit ordre établi propret et fausset est totalement facho-compatible. Mais pourquoi donc? J’y vois deux grandes raisons.

REMPART DE CONFORMITÉ: Fondamentalement, l’ordre établi est de droite. Il sert le capital, l’autoritarisme entrepreuneurial, et est un agent veule et translucide des intérêts nationaux bourgeois. Les mouvements fachos font exactement la même chose. La facho-compatibilité de l’ordre établi est donc d’abord et avant tout une grande harmonie d’idées, une profonde histoire d’amour inavouée. Les mouvements et tendances fachos expriment les mêmes vues que l’ordre établi, simplement ils le font en plus nostalgique, en plus roide, en plus caricatural, en plus explicite, en plus sommaire, en plus grossier. Ce n’est pas une nouveauté. Ils disent tout haut ce que le tout de la société bourgeoise bon chic bon teint pense tout bas. Les fachos apparaissent donc, pour l’ordre établi, comme une sorte de haut-parleur tapageur, diffusant le son de sa vision du monde en grotesque, en distordu et en bruyant. Et ce faisant, on se donne le parfait REMPART DE CONFORMITÉ. En effet, si des groupes fachos se manifestent et que personne ne réagit trop, c’est bien que l’ordre établi arrive à imposer en sous-main le consensus de vision du monde qu’expriment les susdits fachos. Brandissant leur version plus vive du phénomène de conformité ambiante, les fachos donnent la tonalité d’un temps, surtout dans le silence ambiant. Des antifas se pointent soudain de l’autre bord de la rue? Qu’à cela ne tienne. On les bloque et on arrête leurs meneurs. Les lois bourgeoises sont aussi facho-compatibles que le reste de l’ordre bourgeois et, patatras… ce sont les antifas qui se retrouvent en position objective de désobéissance civile, en s’en prenant, sur un modus militant, à la merde brune légalistement couverte. La société bon chic bon teint, elle, ne bouge pas. C’est bien, encore une fois, qu’on arrive à perpétuer un consensus implicite, craintif ou indulgent, en faveur des valeurs brunes et réacs. Voyez l’ordre établi comme le bouteur, avec son moteur et son pilote. Et voyez les groupuscules fachos comme la pelle du bouteur. Adéquatement incurvée, la pelle du bouteur permet au pouvoir bourgeois d’avancer à contre-côte et de pousser dans l’autre sens tout ce qui est progressiste, sans que le consensus social bon chic bon teint ne soit compromis. Regardez la boue, la terre et la merde après la balade nivelante du bouteur. Elle est où? Elle est pas sur le bouteur, le moteur ou le pilote. Elle est simplement sur la pelle. Les fachos (pelle du bouteur bourgeois) se salissent eux-mêmes en servant involontairement leurs maîtres. Ils sont les troupiers utiles du REMPART DE CONFORMITÉ sociale des bourgeoisies qui les engendrent.

IDIOTS UTILES: Les fachos ne sont pas seulement des troupiers utiles. Ils sont aussi des IDIOTS UTILES. En effet, s’ils poussent le bouchon trop loin, sortent de leurs gongs et se mettent à s’agiter par trop, ils font automatiquement passer nos dirigeants institutionnels, qui sont des minus, des rétrogrades et des suppôts, pour de remarquables progressistes. La campagne présidentielle de 2017 en France fut la représentation criante, flamboyante et évidente de ce phénomène. Macron, qui est un laquais chronique du capital, passe pour un scintillant progressiste, compétent et éclairé, simplement parce qu’il se retrouve avec Madame LePen comme faire-valoir. Elle donne une image visuellement accrocheuse et tapageusement exploitable de positions exagérées, expressives, torgnoleuses, trublionnes et pisse-vinaigre. Elle devient la méchante de guignol à abattre, qui bonifie le crossouilleur en costard qui, lui, a le dessus, en bout de piste. Pas besoin d’épiloguer. Les fachos sont les IDIOTS UTILES de l’ordre établi. Ils lui permettent de nettement définir la position extrême, grossière, grotesque, caricaturale qui fait passer la condition de serviteur soumis du capital pour une vision éclairé, progressiste, modérée et viable. L’ordre établi sent bien que les vraies forces motrices de la société civile sont des forces de  progrès. Ces forces sont sourdes, sociétales, profondes, occultées aussi. Gestionnaire d’image en crise permanente, l’ordre établi, crypto-réactionnaire et trouillard, souhaite qu’on l’identifie, lui et personne d’autre, aux forces de progrès qu’il trahit ouvertement en sous-main. Il a donc besoin d’un solide croquemitaine social lui permettant de faire passer son centrisme de centre-droite (donc de droite) pour un centrisme de centre-gauche. Classique, ancienne, faisandée au possible, la mobilisation des fachos comme IDIOTS UTILES est une manière de jeu de contrastes. Tout se chipote en fausse demi-teinte, dans la perspective sempiternellement auto-engendrée de la politique du moins pire. C’est: de la doctrine du moins pire comme une des ritournelles de la politique contemporaine. On fera mieux demain, demain, après-demain. Pour l’instant, voyez, voyez… il faut encore et encore se démarquer du sinistre repoussoir facho.

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En cherchant la martingale qui raviverait leur capitalisme patapon de barbons-barbouzes, les fachos sont assez souvent de bonne foi. Pire que la mauvaise foi: la bonne foi. Les fachos se font croire et font croire à leurs sectateurs ahuris qu’ils combattent le système (mondialiste, financiariste, ploutolâtre, etc). En réalité, ils en sont les apologues les plus virulents. D’abord le facho est pro-capitaliste. Il est pour l’entreprise, contre le déclin (y compris le déclin passant par une phase financiariste) du capitalisme historique. Ensuite le facho est militariste. Nationaliste, il est candidement d’accord avec la guerre et les budgets militaires. Le facho défend l’autonomie des corps constitués. Autant dire que c’est un factieux potentiel permanent. Le facho est contre l’immigration. Il promeut la prédominance du blanc, de l’euro-aryen, du redneck. Il est contre les bonnes femmes, les métèques et les tafioles. L’ordre établi bien pensant adore tout ça. Il bave du désir de revoir ces valeurs d’autrefois revenir en grande. Aussi l’ordre établi aime bien que le thermomètre facho soit bien planté dans le fion de la société civile, pour tester en permanence où en est sa fièvre hargneuse. Une chose est limpide  (et là, tout le monde le reconnaît, même les fachos): l’ordre établi est hypocrite. Pour lui, la valorisation des groupes sociaux à base ethnoculturelle, c’est de la rectitude politique, donc, de la relation publique, sans plus. L’ordre établi ne veut pas vraiment d’un progrès social sociétal (avancées pour les femmes, les gays, les groupes ethniques, les instance victimaires de toutes farines) et encore moins d’un progrès social post-capitaliste radical (avancées vers un socialisme effectif, pouvoir démocratique direct et non feint du prolétariat). L’ordre établi ne veut d’absolument rien de tout ça. Pour lui, tout ça, quand ça s’impose malgré lui, c’est un fatras de concessions qu’on fait, la mort dans l’âme, parce que la société avance implacablement, progresse comme une force objective, et qu’on y peut fichtre rien. Ce que l’ordre établi veut (sans le dire) c’est ce que les fachos manifestent (en le disant). Mieux, l’apparition tendancielle, largement tolérée, des fachos EST le symptôme patent de ce que l’ordre établi recherche. L’ordre établi freine le progrès social tout simplement parce que le progrès social nous mène vers la fin du capitalisme et vers rien d’autre. L’ordre établi se sert du boulet facho au pied du monde, pour retarder l’échéance. La soumission de l’ordre établi à la classe bourgeoise, sa conformité factice et pro forma à toutes formes de progrès social est l’explication motrice du fait que l’ordre établi est, en fait, fondamentalement facho-compatible.

Et pourtant, jouer avec le fascisme, c’est jouer avec le feu (aussi au sens littéral du terme). Le dernier siècle et ses dizaines de millions de morts en témoignent mieux que quiconque. Bien philistin et bien ignare, l’ordre établi courtichet contemporain n’en a cure. Il faut voir là la netteté myope de ses choix. Tout ce qui, sociologiquement sert le capital en freinant les avancées (REMPART DE CONFORMITÉ) ou en donnant au capitalisme et à ses thuriféraires des allures de visionnaires modérés (IDIOTS UTILES) légitime le maintient vivoteur d’un bouillon de culture fasciste. L’ordre établi assume le risque. C’est comme pour une centrale nucléaire. Et après tout, si ça s’aggrave, on donnera la garde nationale et ce sera un autre bon coup de légitimation des uniformes verts par résorption fracassante des uniformes bruns. Les groupuscules et autres phalanges fachos sont tout bénèf pour notre ordre établi veule de serviteurs des pouvoirs bourgeois. C’est bien pour ça que l’engeance fasciste n’est pas près de nous décoller des basques. Tant que ses conditions objectives d’engendrement ne seront pas analysées et déracinées, elle persistera. Or, le capitalisme étant ce qu’il est surtout en ces temps de dérive usuraire, l’extrême-droite, c’est la droite qui l’engendre. Point final. Nier ça, c’est tourner le dos à la compréhension la plus élémentaire des rapports de classes dans les sociétés tertiarisées contemporaines. Profitons aussi de l’occasion présente pour dénoncer cette mensongère symétrie des extrêmes qui fait que l’ordre établi faux-centriste met l’extrême gauche (anticapitaliste) et les fachos (procapitalistes) dans le même sac et secoue le tout, en pleurnichant. Il s’agit de bien salir les rouges par les bruns et de produire le genre de merdasse idéologique indiscernable que nos médias conventionnels de baratineurs serviles relaient ensuite docilement, sans conscience, sans analyse et sans vergogne.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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