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La discrimination a pignon sur rue, en ce moment. Il semble, au jour d’aujourd’hui, que tout le monde soit en train de subir une discrimination à quelque chose. Tout y passe. Ceci-phobie, cela-phobie, discrimination et dénigrement de toutes farines, mot-notion que l’on ne désigne plus que par sa première lettre… Je ne vais pas vous énumérer ici la sarabande des ***ismes, ce serait la ritournelle rebattue du jour. Il semble bien qu’on n’ait jamais autant discriminé. Ou plus précisément, il semble qu’on n’ait jamais autant dénoncé le fait de discriminer, ou de sembler le faire. Ceci d’ailleurs est, à n’en pas douter, un développement plutôt heureux. Il est relativement aisé d’admettre qu’il y a une vive qualité réformiste à cette surveillance forcenée des discriminations que nous livre notre temps. Et il faut bien dire qu’indéniablement le butor d’autrefois, qui traitait de sa hauteur patriarcale, coloniale ou seigneuriale à peu près tout le monde ne lui ressemblant pas, est bel et bien un personnage exécrable dont on ne regrettera pas d’être en train de suavement se débarrasser. La chasse est ouverte sur la discrimination et, franchement, bon, on va pas pleurer.
Mais force est malheureusement d’admettre que certaines discriminations semblent plus cotées que d’autres. Les discriminations dont la dénonciation accommode bien le monde bourgeois, sans trop le menacer, ont incontestablement un solide avantage, dans la compétition victimaire qui se poursuit. Ainsi certaines discriminations, quoique particulièrement virulentes, restent mystérieusement dans l’antichambre de l’oubli et paraissent ne pas faire l’objet d’une attention particulière. Pas moins furax que les autres, je vais y aller de la dénonciation de la discrimination qui est celle que je déplore le plus et que l’on discerne le moins. Et j’ai nommé la discrimination idéologique. Lorsque l’on découvre vos idées fondamentales, qu’on en prend connaissance, qu’on dégage les implications critiques qu’elles entraînent, on peut parfois discrètement s’arranger pour ne pas vous retenir à l’emploi, à l’avancement, où à autre chose. Rien n’est avoué, naturellement. Tout se joue dans l’abstrait, dans le feutré, dans le googling discret, et dans le silence. Mais cela existe bel et bien, opaque, dense, puissant. Vous voulez en faire l’expérience? Soyez (encore) marxiste ou, tout simplement, critiquez la société dans un angle anticapitaliste. Ce sera pour vous rendre compte que les idées que vous véhiculez sont bien souvent susceptibles de vous attirer des emmerdements majeurs et ce, autant, sinon plus, que la couleur de votre peau où votre orientation sexuelle.
Allez-y. Introduisez, comme ça, dans la discussion de salon, le fait qu’il est tout simplement indéniable que le capitalisme marche à sa perte et qu’il ne lui reste certainement pas un siècle d’existence. Expliquez, sans trop vous étendre dans la technicité, ni trop relativiser, qu’un beau jour, les grands avoirs financiers contemporains feront l’objet d’un partage beaucoup plus équitable et d’une répartition beaucoup plus équilibrée, au sein de la société civile. Allez jusqu’à oser prononcer le mot encore archi-tabou de communisme. Annoncez, sans flancher, que la haute bourgeoisie est aux abois, dans l’expectative de ce grand soir suave, et qu’elle planque son pognon dans des iles désertes, dans l’espoir, parfaitement illusoire, de retarder ou d’esquiver cette terrible détermination historique qui lui pend au-dessus de la bobine, comme une épée de Damoclès. Vous allez vite voir les faces de vos vis-à-vis, et ce, même si ces gens-là ne sont pas des milliardaires, s’allonger et entrer discrètement dans le gestus discret de la discrimination polie mais implacable. Et il sera alors hautement improbable qu’on vous invite à la prochaine soirée mondaine de ce groupe spécifique.
La discrimination idéologique, doit-on dire la mort dans l’âme, fonctionne d’ailleurs dans tous les sens. De fait, il est assez clair que des antisémites, des phallocrates, des bellicistes ou des racistes feront imparablement l’objet d’un rejet analogue, hors de mon propre petit salon intellectif. Pas question de transiger là-dessus, au nom de je ne sais quel symétrisme anti-discriminatoire. Voilà qui est dit et bien dit. Cependant, il est important de nuancer la teneur de la discrimination idéologique des autres (surtout, ahem… des droites) et de bien faire ressortir que les groupes qui subissent la discrimination idéologique ne sont pas nécessairement constitués des éléments les plus conservateurs de notre société. Ces derniers ont pignon sur rue, littéralement. Il n’est effectivement qu’à compulser certains médias journalistiques et télévisuels pour s’aviser du fait que certaines idées (rouges, habituellement) n’y figurent pas, n’existent pas pour eux, et ne correspondent pas à des alternatives idéologiques reconnues. Pendant ce temps d’autres idées (brunes, habituellement) battent la campagne, sans être inquiétées ou sous-financées. Vous en connaissez un FoxNews marxiste, vous? Pas moi. Et pendant ce temps, par-dessus le marché, le racisme, la xénophobie, le militarisme, la misogynie bénéficieront souvent d’une sorte de non-lieu implicite, à base de il ou elle a droit à son opinion… il faut respecter la liberté d’expression… il faut rencontrer les critères que l’on revendique en matière d’ouverture d’esprit et de respect de l’autre… et zouzouzou et blablabla… La barbe, les barbouzes. Non, il n’y a pas à chipoter. Critiquez la société, dans un angle anticapitaliste, et vous ne disposerez plus du tout d’un tel non-lieu, implicite ou explicite. La différence sera drastique.
Bon, encore une fois, vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole. Je vous le dis. Faites l’expérience. Tenez des propos marxistes ou simplement anticapitalistes. Mais attention. Ne les amenez surtout pas sur un ton virulent. En effet, dans un tel cas, c’est à votre tonalité que l’on affecterait promptement de s’en prendre. Non, non, roucoulez patiemment votre dispositif doctrinal, sur un ton calme, doucereux, onctueux. La lèvre pulpeuse et l’œil humide, expliquez-le, sans sourciller, que l’ordre social actuel est voué à sa disparition historique. Vous verrez bien qu’on trouvera un moyen discret mais certain de vous montrer la porte de sortie. En réalité, n’importe quelle personne de gauche vit, dans nos sociétés, avec la discrimination idéologique comme avec une sorte de fatalité omniprésente. Tant et tant qu’on reste discret. On ne partage pas automatiquement ses idées sur la société, avec une nouvelle personne dont on vient de faire la connaissance. Cette façon d’être, et de vivre avec la discrimination idéologique, est tellement ordinaire, qu’on n’y pense pas vraiment. Ça fait partie de la vie habituelle et courante. Les réactionnaires, eux, sont tranquilles. Leur petite vision du monde étriquée est imperturbablement postulée. Faut surtout pas froisser les pauvres petits réacs. Toute nouvelle rencontre, surtout dans un contexte minimalement mondain, se gère et s’appréhende sur le mode de la circonspection et de la prudence, pour ne pas dire, tout simplement, de la peur. La sensibilité gauchisante n’existe pas, on n’en parle pas, ne la reconnait pas… ne sait tout simplement pas de quoi il s’agit. L’idéologie dominante est, et demeure bel et bien, l’idéologie de la classe dominante.
La discrimination idéologique est un comportement fondamentalement bourgeois. Les bourgeois contemporains sont terrorisés. Ils sont aux abois. Ils se sentent inquiets en permanence car ils savent parfaitement qu’ils dominent et oppriment ouvertement la société civile. Aussi, ils surveillent attentivement tout personnage, membre de leur classe ou non, susceptible de tenir des propos critiques à leur égard. La pratique est ancienne, aussi peu reluisante que solidement ancrée. Elle est banale, banalisée, et il n’y a pas grand-chose qu’on puisse y faire, en temps de paix sociale. C’est bien pour cela, au bout du compte, que les gens ayant une idéologie critique à l’égard de la société capitaliste se retrouvent finalement entre eux et gèrent leur harmonie idéologique comme une sorte de résistance secrète à l’ambiance de discrimination idéologique qui nous entoure et nous enserre. Et d’ici à ce que nos bons bourgeois se mettent à se lamenter en nous accusant de classisme, il n’y aurait qu’un pas, si facile à franchir. Le concept ronron est là, de toutes façons, qui n’attend qu’à les servir. Toutes ces notions réformistes sur la discrimination en ***ismes sont des gadgets intellectuels bourgeois, de toutes façons.
Toujours révolté, je demande tout simplement, en tout respect salonnier, à mes compatriotes et à mes concitoyens de cesser de me discriminer pour mes idées, comme on me l’a fait toute ma vie. Je ne vois pas pourquoi, ouvertement réactionnaires ou mielleusement réformistes, les petits penseurs de droite auraient droit à un traitement de faveur qui m’échapperait. Je n’entends pas me faire priver de mon aspiration à la pensée critique et au rejet des implicites d’une société en mutation profonde et dont les crises tranquilles, indiscernables mais omniprésentes, se doivent absolument de faire l’objet d’une description adéquate.
Suivez mon regard, même si vous-même ne voulez pas voir.
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Contre le positivisme bien intentionné de nos instances
Posted by Ysengrimus sur 7 novembre 2018
Son Excellence Julie Payette, Gouverneure Générale du Canada (2017)
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Nous partirons des propos de notre Gouverneure Générale, tenus en 2017 alors qu’elle procédait au discours inaugural d’un colloque scientifique (le texte était livré, assez spontanément, et, comme souvent chez les officiels canadiens, en alternance de code. Je traduis les portions en anglais). Julie Payette:
Dans ce développement, qui lui a d’ailleurs attiré des bosses de la part de commentateurs de tous poils, Son Excellence manifeste ce que j’appelle ici, poliment mais fermement, le positivisme bien intentionné de nos instances. C’est qu’en parlant ainsi, dans un souci de rigueur scientifique qui, d’autre part, l’honore pleinement, elle s’engage, en fait, sur une pente assez glissante, en matière de rationalité scientifique. On va regarder ça un petit peu, en s’efforçant, au mieux, d’utiliser notre tête et notre esprit critique pour faire avancer les choses.
Une science naturelle est une discipline d’observation qui porte sur un objet intégral. Une science humaine et sociale est une discipline d’interprétation qui porte sur un objet partiel. Si on cherche la structure moléculaire du sel, on peut en échantillonner un morceau, n’importe lequel. Tout morceau de sel porte l’intégralité de la structure du sel en lui. Si on cherche quelle fut la cause de la chute de l’empire romain, on ne peut pas échantillonner un romain décadent. Ils ont disparu et même si on trouve un échantillon sociologique (par exemple si on étudie le déclin de l’empire américain plutôt que romain), il ne vaut jamais pour l’ensemble comme un grain de sel vaut pour tout le sel. Le modèle de la science naturelle est la chimie (observation, systématisation, description raisonnée de structures). Le modèle de la science humaine et sociale est l’archéologie (recherche parcellaire, interprétation, hypothèses inductives). Il n’est pas possible de réduire la méthode de l’une à celle de l’autre. Imposer les patrons d’action d’une science naturelle à une science humaine et sociale EST la soumission positiviste. C’est céder veulement au prestige des sciences (dites dures) qui servent la production industrielle présente au détriment des sciences (dites molles) qui serviront la vie civique collective future.
Parce que le rendement des sciences naturelles a été supérieur à celui des sciences humaines et sociales, on tend fortement à hypertrophier le mérite des premières et à minimiser ou ignorer les secondes (c’est ce que fait ici, implicitement et en toute bonne foi rationaliste, Son Excellence). Or, le capitalisme a eu, dans les deux derniers siècles, besoin en priorité d’un essor de l’industrie. Les sciences naturelles servent l’industrie et sont crucialement servies par elle. Ce sont donc les disciplines géophysiques, pétrochimiques, neurobiologiques, informatiques qui, pour le moment ont le dessus et semblent porter la lumière. Les sciences humaines et sociales, vaseuses, dociles, aussi indifférentes à la vie socio-historique citoyenne que l’est le capitalisme même, semblent pour le moment toutes racotillées. Un jour, c’est l’organisation de la vie civique qui aura besoin de se comprendre en profondeur, pour se configurer adéquatement dans le jardin-monde. Les sciences humaines et sociales prendront alors un essor qui mobilisera et métamorphosera l’héritage de ses pionniers. Il faut refaire la vie et un jour viendra. La priorisation d’une catégorie de sciences au dessus d’une autre est historiquement transitoire. Toujours. Les phases historiques ont les sciences théoriques de leurs temps parce qu’elles ont les objectifs appliqués de leurs temps. C’est ainsi depuis l’époque des agriculteurs néolithiques, des astronomes babyloniens, des architectes égyptiens, des philosophes grecs et des juristes romains.
Comme d’habitude quand une prise de parti un peu rationnelle est éventuellement assumée par nos chères instances, les pense-petits réactionnaires et victimaires ne sont pas longs à se rameuter pour se lamenter. Son Excellence, peu solide sur le terrain des sciences humaines et sociales, a donc vite dû rétropédaler et rejouer doucereusement la chanson ronron des droits religieux. C’est bien canado-gentil-gentil de ne pas rejeter la religion comme ça, surtout avec un cadre «scientifique» comme celui de nos instances. Mais il y a pas que la gentillesse… il y a aussi le soucis de cohérence intellectuelle. Et Son Excellence nous prouve surtout ici que sa rationalité scientiste est finalement assez mal ficelée et encore passablement «philosophique» (sciemment dans le mauvais sens du terme, ici). La religion et la religiosité restent, en effet, le stigmate d’irrationalité non résolue traînant dans le fond de la tonne du positivisme bien intentionné de nos instances. Il est bien clair que nos positivistes —épistémologiquement fort courts, avouons-le— ne se sont, de fait, occupés des sciences humaines et sociales que pour, justement, y plaquer superficiellement un scientisme des sciences de la nature abstrait, triomphaliste et réducteur. La religion, diront-ils alors, est un comportement naturel, animal, psychomoteur, il est là, on l’observe, on l’encadre, on le garde. Pas fichu de se rendre compte qu’une science dont on est soi-même intégralement l’objet ne peu plus chanter la chanson de l’absence de prise de parti socio-historique. Non à la fausse impartialité conformiste d’Auguste Comte. Oui à la partialité méthodique et critique de Karl Marx. Il faut assumer le tout des répercussions épistémologiques de sa prise de parti, Votre Excellence, sinon c’est le ronron ambiant qui, tout doucement, vous rattrape et vous englue. Il y a une rationalité mais plusieurs objets d’observation. Plusieurs méthodes scientifiques, donc… Mais nos positivistes institutionnels ne voient que leur version de la science. Le problème d’ailleurs est assez ancien.
De fait, les sciences humaines et sociales contemporaines sont, il faut bien l’admettre, des disciplines de petits singes. Elles sautillent sur l’orgue de barbarie scientiste et s’adonnent à toutes les singeries imaginables pour faire science. Cela nous ramène —par exemple (les exemples sont légion)— au vieux débat, en psycholinguistique, entre Jean Piaget (le comportementaliste constructiviste) et Noam Chomsky (l’innéiste ratiocineur). Ravaudé de positivisme scientiste jusqu’à l’os, ce débat classique (de 1975), dernier tour de piste d’un Piaget vieillissant, servit surtout à rehausser le prestige personnel d’époque de Chomsky, et cela ne fit pas pour autant avancer d’un pouce la logique spécifique des sciences sociales. En effet, il est capital de comprendre que Chomsky fut le fossoyeur de la linguistique structurale. Voilà, en effet, un bien drôle d’anarchiste qui menait l’empire ondoyant de la Grammaire Générative Transformationnelle comme une dictature. Il a englué une portion importante des sciences humaines et sociales dans sa propre gadoue mystifiante, positiviste et scientiste et ce, pendant une bonne génération. Ce fut profondément et durablement dommageable. Le débat Piaget/Chomsky est un exemple parmi bien d’autres des stérilités spectaculaires du positivisme dans l’enceinte même des sciences humaines et sociales. Ce fut aussi une sale application de l’impérialisme US, dans la sphère culturelle et intellectuelle, au siècle dernier. Le jugement de l’histoire sera sévère sur Chomsky, ce faux penseur de toc… Mais passons…
La logique des sciences sociales doit tenir compte d’un ensemble de faits qui n’ont absolument aucun équivalent dans les sciences positives. Par exemple, on sait, intuitivement, qu’il ne faut certainement pas confondre relativité physique et relativisme culturel. C’est totalement distinct. Réduire l’un à l’autre serait pure ineptie idéologique. Ainsi, dans une perspective spécifique aux sciences humaines et sociales, la première chose qu’il faut dire du relativisme culturel est qu’il n’est aucunement incompatible avec l’existence ou la vérité. Certaines cultures ont des gratte-ciels, d’autres n’en ont pas. Cela ne rend pas les gratte-ciels subitement inexistants parce que non-omniprésents. Les Indiens jouent du sitar, d’autres peuples n’en jouent pas, cela ne rend pas la sonorité du sitar moins audible ou moins établie culturellement. Le fait que les Italiens mangent plus de tomates que d’autres peuples ne rend pas les valeurs nutritives de la tomate supérieures ou inférieures. Ces valeurs nutritives, comme la vérité même, existent indépendamment des peuples ou des chefs-coqs qui les mobilisent ou s’en privent dans leur art. Le relativisme culturel n’est pas juste affaire de croyances. Il est aussi affaire de connaissances objectives et, dans ce cas, certaines cultures sont tout simplement plus avancées que d’autres, à certains moments historiques donnés, dans la connaissance adéquate de certaines facettes données du monde. Le cœur de l’affaire ici, c’est d’arriver à discerner ce qui est croyance (inter)subjective et ce qui est connaissance objective, dans l’écheveau. Les Chinois (ou les Étrusques, c’est débattu) ont inventé les nouilles. Ils avaient raison: c’est comestible. Ils ont aussi inventé la poudre à canon. Ils avaient aussi raison: elle éclate. Et surtout, ceci n’empêche pas tous les peuples du monde de se faire péter les culottes avec. C’est que la poudre à canon, ce n’est pas son origine culturelle et historique chinoise qui porte sa vérité… mais bien ses vertus explosives, confirmées, elles, par tous les peuples et utilisées pour percer des routes ou pour se taper sur la gueule (ce qui exclut tout jugement abstraitement laudatif ou péjoratif sur la poudre à canon — en se rappelant du fait que trop manger de pâtes alimentaires fait grossir, on transposera aisément ce raisonnement sur les nouilles). Pour gloser le philosophe Helvétius, il reste que le lait est blanc dans toutes les cultures et que la croyance (fausse) en Dieu ou au Père Noël n’instaurera pas subitement leur existence. Toutes les cultures errent, certes, mais toutes les cultures tendent aussi vers la connaissance objective du monde et s’empruntent entre elles sans hésitation tout instrument, toutes techniques, tout mode d’expression y contribuant. La connaissance est une activité vaste et collective et les cultures du monde ont toutes à y apporter. Tant et tant que le seul «relativisme» qu’il faut contester, quelle que soit son origine culturelle, c’est celui qui prétendrait que la poudre à canon n’est pas explosive, que les tomates et les nouilles sont sans valeurs nutritives, ou que le sitar n’est pas un instrument de musique… Sur le jugement de valeur, tout change, par contre. Des jugement de valeur, ce sont des conceptions comme: le sitar joue de la belle musique, les tomates sont agréables au goût (surtout avec des nouilles), la poudre à canon est finalement plus nuisible qu’utile parce que les humains sont plus méchants que bons. Le relativisme culturel prend alors tout son sel. C’est que le jugement de valeur ne décrit pas le monde. Il y instille les choix de l’affect. Ceux-ci sont intégralement marqués au coin d’une culture, d’une position de classe, d’une époque, d’un biais en sexage, d’une orientation idéologique, d’une maturité de l’oreille ou du palais etc…
Les pilules de sucre contre le cancer, l’astrologie et le design intelligent dénoncés par notre Gouverneure Générale procèdent eux aussi du relativisme culturel. Cela ne les rend pas moins faux et ineptes. Il faut les invalider, dans le cadre des sciences de la nature. Il faut les décrire comme développements idéologiques (se perpétuant en dépit de leur fausseté factuelle… et pourquoi?), dans les cadres des sciences humaines et sociales (qui sont fondamentalement des sciences historiques). C’est pour ça qu‘on les rejette et les garde en même temps, Votre Excellence… comme les religions, dans notre beau Canada pluraliste. C’est que DEUX corps de démarches scientifiques distincts traitent ces problèmes: dans un cas, comme problème naturel (physique, chimique, biologique, astronomique), dans l’autre cas comme problème humain (social, idéologique, culturel, historique). Non au positivisme bien intentionné mais unilatéral de nos instances. Non à la confusion ratiocineuse et réductionniste de ces deux grands types de sciences.
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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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