Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Archive for mars 2016

La Fondation Cloporte

Posted by Ysengrimus sur 21 mars 2016

Tableau de blattes
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Le docteur Cégismond Lajoie-Boniface, docteur ès lettres du Collège de Suspicion. Chevalier de l’Ordre de Diafoirus, 7ième Cercle du Grand Universel, Patalinguisticiste en l’Université Lancastre, de Fort Rouillé, dit, redit, rapporte:

Au Collège de Suspicion,
Le Professeur Cloporte
Explicitait avec passion
L’organigramme des nations
Et familles cloportes.
Blattes, cancrelats, coquerelles,
Tous reliés par les ficelles
Du grand schéma Cloporte,
Étaient épinglés sur la planche
Encyclopédiquement blanche
De l’éminent Cloporte.
Science complète et ramifiée
Que la cloportie classifiée.
Et, que le diable emporte
Toute objection inamicale
Au classement grammatical,
Achevé, du Cloporte.

Au Collège de Suspicion
Se glissa sous la porte,
Attiré par la pestilence
Dans la salle de conférence
Du professeur Cloporte,
Un de ces cancrelats dorés,
Banal, mais non répertorié
Qu’un vent taquin apporte
Toujours au moment fatidique.
Vif le prof le voit, cille, et tique…
L’impertinence est forte.
Ce sot boulet de moins d’un gramme
Anéantit l’organigramme
Qui croule, lettre morte…

Le docteur procède ici au jeu de pied approprié, pulvérisant quelque insecte importun

Discret, notre émule de Mendel
Sauve d’un frottis de semelle
La Fondation Cloporte.

Tableau de blattes

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LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, trente ans plus tard…

Posted by Ysengrimus sur 15 mars 2016

declin_de_l'empire_americain

Trente ans plus tard, j’ai revu le machin qui avait mis Denys Arcand en selle. Bon, si on se place strictement du point de vue de la production cinématographique québécoise, voici certainement un film important (même si au niveau de la production occidentale ou mondiale on peut probablement le classer entre médiocre et ordinaire. Nous sommes d’accord là-dessus, je pense). Important parce que finalement il a longtemps été assez difficile pour le cinéma québécois de mettre en scène des hommes et des femmes de l’époque contemporaine, et de se sortir des mariachapdelinades et autres productions familleplouffardes folklorisantes que nous connaissons bien et qui s’exportent encore mieux. Important donc déjà pour la diffusion et la mise en évidence d’un discours qui arrive à traiter de l’homo et de la femina kebekensans (tout en se traînant jusque sur le parvis des Academy Award, ce qui fut aussi une petite première locale).

Important aussi parce que c’est un film à thèse (ce qui est plutôt rare sur le continent du just for fun) et que, qui plus est, la thèse n’est pas inintéressante. Je parle encore en ayant en tête le public nord-américain: il est moins habitué à se faire dire que sa vie la plus intime est soumise aux tensions de l’histoire que de se faire raconter des sornettes allègres et militantes de volonté individuelle et de self made (wo)man. Mettre en rapport le «déclin» de l’empire américain avec les comportements intimes des gens d’ici, cela a pour nous une portée didactique non négligeable. Je dis didactique à dessein car vous aurez certainement remarqué le ton didactique à mourir de ce machin. Ce n’est que profs qui dissertent, écrivent des livres, font des entrevues etc… Le même ton didactique se retrouvait d’ailleurs dans le comportement de Denys Arcand lui-même en interview au Québec (… au Québec, car en France j’ai observé à l’époque qu’il adoptait un profil plus bas. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant car il y a bien dû se trouver un européen ou deux pour lui mettre sous le nez le simplisme désarmant de ses belles théories historiques). Chez nous en tout cas, il jouait au grand historien, et on pouvait observer dans ses propos de toutes les entrevues que j’ai entendu à l’époque de la sortie du film que son propre discours et le discours des personnages du film ne font qu’un. Ceci N.B. car c’est capital dans la suite de mon propos.

Film à thèse, donc. C’est cela qui m’a le plus intéressé. Bon, les gens parlent de cul et ont des comportements de dégénérés, ça en a choqué plusieurs dans le temps (ici en tout cas). Pour ma part, je n’ai rien à redire là-dessus. Je trouve cela très bien, à peu près réaliste surtout dans le cas des personnages masculins (quoique parfois plutôt mal joué). Donnons lui un bon 8/10 pour la peinture de moeurs (en se disant bien que 37,2 le matin était allé chercher 42/10!) et passons à ce qui à mon avis est le plus important là dedans: les thèses ronflantes de monsieur Arcand.

Au début, j’ai ressenti une certaine jubilation. Enfin le déterminisme historique au cinéma en Amérique, me disai-je. On campe une classe décadente d’intellectuels nord-américains et on travaille à démontrer l’historicité de ces destinées individuelles. Tout beau. Mais graduellement on s’aperçoit que le discours des personnages et le discours du film (et de surcroît le discours de monsieur Arcand en interview) sont les mêmes, c’est-à-dire que les personnages ne sont pas les seuls à croire au «déclin» irréversible de la totalité de l’univers. Le film et son réalisateur y croient aussi!

Arrêtons nous un instant sur ce concept historique de déclin ou de décadence. Arcand (en interview), à qui on avait dit que ce terme était péjoratif voire dénigrant, répondait avec une hauteur condescendante que non… déclin, c’est neutre historiquement. Rien de plus faux évidemment (quoique les qualificatifs de péjoratif ou de dénigrant n’aient aucun intérêt ici). Déclin, décadence c’est le recul historique pensé de l’intérieur et conçu exclusivement comme un affaissement imputable à une causalité interne, organique, sans que les rapports à d’autres entités (en montées celles là) ne soient pris en compte. Un organicisme historique moniste et myope, voilà bien ce que nous sert Arcand le prof-d’histoire-drop-out. Revoyez la scène où ils sont à l’extérieur du chalet et se tournent vers le sud. L’une d’entre eux annonce alors solennellement aux autres que si les missiles tombaient sur Plattsburgh (base militaire importante située sur le Lac Champlain dans l’état de New-York), on verrait briller le ciel d’ici. Suit alors toute une diatribe sur le déclin des civilisations comparé au déclin des organismes, le tout baignant dans un fatalisme ronflant et réducteur. On prend alors, entre autres, l’Amérique pour l’univers entier. C’est un après-nous-le-déluge sidérant de suffisance naïve… et pourtant ces missiles, ils viendraient bien d’ailleurs qu’en Amérique, il me semble!

 Je considère que dans un film à thèse (et croyiez moi, au Québec et au Canada, c’est comme ça qu’Arcand le posait en 1986-1987) on fait le boulot au complet ou alors on ferme sa gueule et on se contente de faire de la peinture de mœurs (ce qu’Arcand prétendait faire sans plus… quand il s’adressait au public français à la même époque). En un mot, c’est une complète absence du moindre recul critique (de recul historique pour tout dire) qui produit cette identification du discours du film au discours de ses personnage. Dès lors, le propos central du film, ce qui a décidé de ce titre tellement ronflant: un rendez-vous crucial, dans une importante période de crise, avec le déterminisme historique (et incidemment avec le matérialisme historique, c’est bien cela qui est mon propos) est raté, parce que la réflexion s’arrête à mi-chemin, c’est-à-dire au niveau des illusions (partagées par le discours du film) des décadents sur eux mêmes. On se prétend historien et on n’est même pas capable de penser les causes du recul de l’Amérique (rapports-monde concurrentiels: Corée, Japon, Pacifique; rapports-monde pays émergents: Inde, Chine, Tiers-monde). On remplace cela par une bouillie pédante et fataliste sur le déclin des organismes et la désillusion des élites où le seul représentant d’un pays du Tiers-monde invité participe allègrement à la foire en ne cherchant de l’Amérique que ses putains consentantes. On n’est pas plus capable de penser l’après-déclin (c’est-à-dire qu’après l’empire romain, l’histoire continue à se dérouler avec de nouveaux rapports de forces etc…). Il y a une scène révélatrice à ce sujet. Revoyez le petit prof d’histoire cynique au moment où son étudiante prostituée le masturbe dans le salon de massage en lui parlant de la peur de l’an mille. Il y a tout un crescendo dans la description de la terreur dans le discours de l’étudiante correspondant à la montée de la jouissance onaniste chez mon historien. Au moment où elle en arrive à l’an mille lui-même, et où il ne reste plus rien à dire sinon que la peur n’était pas fondée et qu’après, l’histoire a bêtement suivi son cours sans qu’on en fasse un plat, voilà mon zozo qui lui signale qu’il va jouir. L’incapacité de penser l’après déclin d’une classe par cette même classe se trouve mise en abîme (inconsciemment, j’en suis sûr) dans cette petite scène, drôle uniquement pour ceux qui la trouvent drôle.

Cette incapacité de penser tout ce qui est autre ou postérieur à soi caractérise la classe et la génération campée dans le film (qui est la classe et la génération d’Arcand: nos sempiternels babyboomers, babacools de jadis et reaganiens de tout à l’heure). Je ne m’étendrai pas sur le mépris des jeunes (qui sont dépeints comme des éphèbes falots et sans entrailles. Le réalisateur ne perce visiblement pas les secrets de la jeunesse aussi bien que dans ses chères années soixante!), le mépris des homosexuels (il est bien sympa… mais il pisse bien le sang quand même), le mépris des nations étrangères (je ne reviens pas sur mon africain sans cervelle), le mépris des classes populaires (représentées par un cabotin sans talent, splendide fleuron du népotisme cinématographique, jouant les rockeurs putschistes et dénué de conscience). Je m’arrêterai pour finir sur le mépris des femmes car il est lui aussi particulièrement révélateur de la dynamique faussement moderniste de ce film.

Cette dynamique se pose ainsi: au départ, ça semble neuf puis graduellement ça tourne carrément au vioque. Au Québec —comme dans le reste de l’Amérique— les femmes représentent une force avec laquelle il faut compter… et ce d’une façon que les Européennes pouvaient difficilement se représenter vers 1986. Se mettre à dos le lobby féminin est dangereux pour le succès d’un film. Aussi Arcand prend toutes les précautions d’usage: elles feront des haltères pendant que les bonshommes prépareront le repas… au début du film. Si cette image a frappé l’Europe à l’époque, ici elle n’a pas eu beaucoup d’effet: les vendeurs de lessive emploient le même type de procédé pour ne pas se faire taxer de sexisme et perdre de la clientèle. Bref, côté sexisme, Arcand est blindé avec cette image de départ. Il pourra donc doucement faire entrer sa misogynie par la porte d’en arrière sans risque. Cela se manifeste d’abord par une compréhension beaucoup moins intime des femmes que des hommes alors que l’on prétend les décrire de façon égale. Au moment de l’alternance des dialogues féminins et masculins au début du film, les forces sont égales en apparence. Mais graduellement on se rend bien compte que les hommes sont plus réels, mieux campés, plus truculents, en un mot plus intimement compris par le réalisateur que leur vis-à-vis féminins. Nous voici ramenés à cette incapacité à comprendre tout ce qui est autre. Les femmes misandres ont la part un peu moins belle et débitent beaucoup plus de clichés creux et sans âme que les hommes misogynes. C’est un faux match nul en vérité, malgré tous les efforts déployés. Ensuite, voici qu’une de ces jeunes femmes, sportive, intelligente et volontaire, avoue à une collègue aussi féministe qu’elle qu’elle jouit à mort de se faire sadomasocher par un con sans cervelle. On embarque à plein. Après tout, c’est un fantasme comme un autre et cette jeune femme a tellement tout de la yuppie autonome de notre temps. Il m’a fallu tout le film pour réaliser que cette femme n’était qu’une marionnette servile dans les mains d’un réalisateur mâle et qu’on était en train de se faire réintroduire en douce nos bon vieux schémas de domination d’un sexe sur l’autre, qui reviennent à la mode, comme tout le fascisme ordinaire de nos yuppies vieillissants. Se faisant fouetter à la fin en contemplant le coucher du soleil, la comédienne bien tempérée parachève le tableau et contredit par ses actes les vues de nos deux historiens-années-soixantards-vieux-schnoques qui affirment sans rire que le déclin des empires est relié à la montée du pouvoir des femmes dans la société.

En conclusion, voici un film à la mesure de la génération et de la classe qu’il décrit. Des belles promesses progressistes et novatrices au début, puis graduellement tout s’inverse et on tombe dans une espèce de valorisation réactionnaire du cynisme, de la jouissance égoïste et des pires idées reçues, baratin didactique autolégitimant et autodéculpabilisateur à l’appui. Le «charme» indiscret et philistin de la bourgeoisie gavée et suffisante d’Amérique du Nord, de l’intelligentsia du statu quo jaloux et de la gabegie planétaire, croqué pour la postérité par un de ses vaillants pairs au moment ou la prescience obscure de la fin de ses privilèges lui affleure à peine à la cervelle. On connaît la suite. Les critiques encenseront aussi Les Inflations barbantes (Les invasions barbares) et n’allumeront leurs lumières que pour L’âge des ténèbres, qui rencontrera enfin la révulsion méritée par l’intégralité de cette œuvre de cabot.

Le Déclin de l’empire américain, 1986, Denys Arcand, avec Dominique Michel, Dorothée Berryman, Louise Portal, Geneviève Rioux, Pierre Curzi, Rémi Girard, Yves Jacques, Daniel Brière, 101 minutes.

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Contre le symétrisme masculiniste

Posted by Ysengrimus sur 8 mars 2016

Masculinisme-symetriste

Si les dames veulent vraiment
Être l’égales de tout ça
En s’embarquant là d’dans
Ça va leur prendre des bras…

Plume Latraverse, Rince-cochon, 1987

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Voyons d’abord en quoi consistent les principes du symétrisme. On parle ici d’une conception générale assez ancienne dont le propos insidieusement dogmatique sert, depuis des lunes, la vision réactionnaire du monde. Par a priori, le symétrisme donne l’équilibre, la stabilité et l’immuabilité des choses comme fondamentaux. Voyons la teneur de ses principaux aphorismes:

  • Dans une situation d’opposition polarisée, les deux pôles de l’opposition sont identiques.
  • Le fondement de l’existence est stable. Tout changement est un phénomène de surface. La structure prime sur son mouvement. L’équilibre repose sur un principe fondamental de symétrie. La perte d’équilibre est un accident, toujours temporaire.
  • Tout mouvement est réversible sans perte. La nature fondamentale des petits mouvements est pendulaire. La nature fondamentale des grands mouvements est cyclique. Cycle des saisons. Cycles de l’Histoire.
  • La loi (bourgeoise) est conforme aux faits. Elle les reflète sans distorsion. La justice existe. Elle consiste à ajuster sans résidu la symétrie des lois à la symétrie des faits. La balance, symbole de la justice, est un modèle symétriste.

Initialement, dans son déploiement historique, le masculinisme n’est pas symétriste. Le masculinisme 1.0. était sciemment et sereinement inégalitaire, puisque phallocrate. Il se confondait alors avec la masculinité dominante, sans qu’aucune question ne se pose. On notera au demeurant que la notion explicite de masculinisme est une notion récente, dans sa formulation tant théorique (si vous m’excusez l’énormité) et doctrinale que verbale. Cette notion a été ouvertement fabriquée par symétrie mimétique sur la notion de féminisme, plus ancienne… plus glorieuse aussi, n’ayons pas peur des mots…

Ce sont les acquis sociohistoriques, obtenus dans les deux derniers siècles, par les luttes des femmes, qui ont éventuellement fait apparaître le masculinisme 2.0., qui est la prise de position symétriste des idéologies masculines réactionnaires. Si on se résume, on a:

Masculinisme 1.0. (implicite): phallocratisme tranquille et misogynie de système
Masculinisme 2.0. (explicite): égalitarisme symétriste et crypto-misogynie androhystérique

La notion clef sur laquelle le masculinisme assoit sa tricherie idéologique, c’est la notion d’égalité. Notion symétriste par excellence, l’égalité (de la femme) était tout simplement refusée par le masculinisme 1.0. Les femmes l’ont obtenue collectivement, de par une combinaison dialectique de la généralisation au sexage du nivellement des fonctions sociales sous le capitalisme et des luttes féministes (on se donne toujours les luttes où la victoire est rendue possible par le développement du monde objectif). Lesdites luttes féministes, déterminantes et solidement installées dans les masses, ne sont pas terminées et ce, tout simplement parce que l’égalité juridique et pratique des hommes et des femmes n’est pas encore complétée, même dans la ci-devant civilisation tertiarisée.

Mais, bon, il reste que l’égalité de l’homme et de la femme est suffisamment bien installée pour que la réaction masculiniste y jette désormais son ancre. Le masculinisme 2.0. raisonne comme suit: les hommes et les femmes sont égaux, tellement égaux! La femme n’est pas particulièrement désavantagée par des siècles de domination patriarcale. Elle ne transporte pas de bagage, ne charrie pas de séquelles, sociologiques et/ou psychologiques, des abus passés d’un lourd héritage historique phallocrate dont il est ici implicitement et unilatéralement fait abstraction. Et la société civile (qui dans l’implicite masculiniste, n’est pas une société de classe au demeurant: tout le monde y est égaux/égales. C’est le modèle bourgeois réac classique) n’a pas spécialement de rattrapage à faire en matière de statut de la femme. Égal veut dire égal comme dans symétrie sans résidus, tant et tant que, dans l’analyse masculiniste, toute action affirmative (affirmative action) en faveur des femmes est une injustice compromettant l’équilibre compétitif, neutre et sain, qui existe entre hommes et femmes. La ci-devant discrimination positive est avant tout une discrimination, répréhensible donc aux yeux du masculinisme. Le militant masculiniste croit que la société civile triche en faveur des femmes et que cette pratique accidentelle et trublionne doit être matée, au nom de la justice symétriste.

Il y a, dans le discours masculiniste, une symétrie absolue des forces entre l’homme et la femme et conséquemment il est temps pour un masculinisme militant (singeant symétristement le féminisme militant) de compléter l’égalité entre l’homme et la femme. Des injustices persistent, des triches philogynes, des combines discriminatoires misandres. Le masculinisme se lance alors dans des développements à rallonges sur les droits du père sur ses enfants (souvent restreints par un système judiciaire qui serait intégralement pro-femmes) et le droit du conjoint à empêcher la femme qu’il a mis enceinte de se faire avorter (la décision d’avorter devrait procéder d’un 50/50 symétriste que le masculinisme réclame très ouvertement, en jetant les hauts cris). Comme ils croient viscéralement en la justice autant qu’en leur bon droit, ils ne se gênent pas pour intenter, sur ces questions, des poursuites juridiques en rafales. Certains masculinistes vont même jusqu’à parler ouvertement de gynocratie, invoquant notamment le cas du système scolaire dont la déphallocratisation gynodominante est censée être la cause motrice du déclin de l’engagement académique des garçons.

Le masculinisme est un équilibrisme onctueux au cœur d’un ballet implacablement hypocrite. Ne disposant plus officiellement de l’option violente ou brutale, le masculinisme minaude. Il danse devant le féminisme comme devant un miroir et adopte (symé)tristement toutes ses postures de conciliation et de combat, histoire de s’inspirer de son succès et de son prestige, sans l’admettre naturellement. Mais singer ne suffit pas. Le masculinisme est froidement conscient du fait que les immenses luttes du féminisme de gauche autant que celles, plus circonscrites, du féminisme de droite portent un contenu intrinsèquement progressiste dont il faut inverser l’image et dissoudre la crédibilité. Il se manifeste donc un lourd et ronflant militantisme anti-féministe du masculinisme. Simplement celles qu’on appelle un peu abstraitement les féministes ne sont plus présentées, comme le faisait autrefois le masculinisme 1.0., comme des hystériques exhibitio qui se débattent dans leurs rets mais comme des tyrannes tranquilles qui oppressent sous leur joug.

Ce qu’il faut comprendre crucialement ici, c’est que la dimension symétriste du masculinisme est un leurre, un maquis argumentatif dans lequel certains hommes se terrent et finassent puisqu’ils ne peuvent plus détruire et frapper, comme autrefois. Le masculinisme ne croit pas vraiment radicalement au symétrisme dont il se réclame si bruyamment dans ses atermoiements intellectuels usuels. Symétriste en surface (le symétrisme étant toujours une analyse de surface, le masculinisme n’échappe pas à cette contrainte philosophique), le masculinisme est lui aussi vrillé et travaillé par le torve et l’irréversible. La confusion qu’il cultive veulement entre égalité juridique et identification factuelle des hommes et des femmes est le symbole le plus probant du rejet secret par le masculinisme de l’égalité des droits des hommes et des femmes. Le masculinisme accuse la société civile contemporaine de vouloir changer les hommes en femmes (voir notre illustration). Et si le masculinisme brandit cette accusation inane, c’est bien qu’il n’aime pas tant que ça qu’une symétrie s’instaure entre les deux pôles du combat d’arrière–garde qu’il mène.

Comprenons-nous bien. Est féministe une personne qui considère que les hommes et les femmes sont sociologiquement égaux malgré les différences naturelles et ethnoculturelles qui, ÉVENTUELLEMENT, les distinguent et ce, à l’encontre ferme d’un héritage historique fondé sur une division sexuelle du travail non-égalitaire. Sociologiquement égaux signifie, entre autres, égaux en droits, et cela n’est pas acquis. Il faut donc réaliser cette égalité dans les luttes sociales… Est masculiniste une personne qui considère que les hommes et les femmes ne sont pas biologiquement égaux malgré les similarités naturelles et ethnoculturelles qui les rapprochent et ce, à l’encontre ferme d’une gynocratie non-égalitaire et triomphante largement fantasmée et imaginaire. Biologiquement inégaux signifie, entre autres, ÉVENTUELLEMENT, égaux en droits contre la dissymétrie [noter ce mot — c’est ici que le masque masculiniste tombe] fondamentale que nous dicterait la nature. En conditions démonstratives sociologiquement contraires, le masculinisme adopte une affectation symétriste qui ne sert qu’à dorer la pilule réactionnaire qu’il veut nous faire gober en lui donnant des dehors scintillants. L’égalité de la femme n’est rien d’autre pour lui qu’une concession argumentative temporaire. L’inégalité des hommes et des femmes (à l’avantage de l’homme) c’est lui le principe immuable [Noter ce mot. Fondamentalement rien ne change vraiment dans la vision symétriste du monde] à défendre par tous les moyens (y compris les moyens secrets des cyber-combattants de l’ombre). Il est à ce jour compromis par l’accident historique féministe.

Je suis contre le symétrisme masculiniste pour deux raisons. D’abord le symétrisme en soi est une erreur d’analyse, ce qui en fait le générateur d’un faux corpus d’arguments. Il donne comme identique ce qui diffère et nie l’irréversible. L’avancée sociohistorique du pouvoir des femmes est irréversible et le bon vieux temps phallocrate ne reviendra pas. S’il vous plait messieurs, essayez d’assumer. La seconde raison pour laquelle je demande au masculinisme de nous lâcher avec son blablabla symétriste c’est que c’est là la rhétorique malhonnête et tartuffesque de ces social-darwinistes effectifs qui continuent de juger dans le fond, en conscience, que la femme est inférieure à l’homme et que le biologique (Darwin) prime sur l’historique (Marx).

Le masculinisme est une androhystérie ratiocinée. Il flétrit ma virilité tranquille. Je demande aux masculinistes, ces faux théoriciens du miroir singeant superficiellement la pensée qui s’avance, de foutre la paix (notamment sur internet et sous cyber-anonymat) aux femmes, mes égales, et de me laisser les aimer. Je veux aimer les femmes telles qu’elles sont, dans l’ordre nouveau du sexage qui continue de tranquillement apparaître et resplendir. Je veux aimer les femmes telles qu’elles sont, sans me faire constamment enquiquiner et picosser par les bites-aiguillons des petits couillons complexés de la salle de garde malodorante de toutes nos postures de mectons rétrogrades.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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LE GRAND MEAULNES. L’intendance du mystère

Posted by Ysengrimus sur 1 mars 2016

Grand-Meaulnes

Sur la télé qui trône
Un jour, j’ai vu un livre
J’crois qu’c’était Le Grand Meaulnes
Près d’la marmite en cuivre.

Renaud Séchan, «La mère à Titi», album Putain de Camion, 1988

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On a ici une œuvre qui ne ressemble à rien de connu: Le Grand Meaulnes. C’est un roman particulièrement mystérieux. Un grand objet culturel translucide, oublié sitôt que lu mais susceptible de nous déterminer comme la plus dense et la plus radicale des hantises. Mon impression personnelle, certainement largement fantasmagorique, est qu’il y a une copie des Fables de La Fontaine, du Petit Prince de Saint Exupéry et du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (1886-1914) dans tous les foyers francophones. On fouille dans sa bibliothèque, ses étagères ou ses cartons à bouquins un jour de pluie et on finit éventuellement par y retrouver Le Grand Meaulnes. On ne sait pas trop ce qu’il fout là mais il est là. Même si on ne se souvient plus exactement de ce qu’il y a dedans (il ne nous reste que des impressions, des relents d’ambiances, l’atmosphère irisée d’un dispositif intemporel), on a l’impression tangible que ce livre a toujours été avec nous. On l’a toujours plus ou moins déjà lu. Ma copie personnelle de cet ouvrage tout petit mais immense a été imprimée en 1971 (j’avais alors treize ans). La retrouvant dans un placard à bouquins, j’ai d’abord cru qu’elle appartenait à mon épouse Dora Maar. Impossible. Mon nom y est inscrit en frontispice dans mon écriture d’enfant, ainsi qu’à la page 138 (habitude que j’avais quand j’étais collégien). Ce Le Grand Meaulnes là (dont je vous montre la page couverture supra) est bel et bien le mien. Et il est avec moi, bon an mal an, depuis environ quarante-cinq ans…

Paru il y a cent trois ans (en 1913), ce roman se passe en 189… (sans plus). Ce sont des voitures à chevaux, des maisons d’instituteurs et des chaumières de paysans éclairées à la bougie. Et il n’y a aucune référence explicite au temps historique (si ce n’est, une fois, une furtive mention, comme réminiscente, comme lointaine, de la guerre franco-allemande de 1870). Il n’y a ni radio, ni téléphone (de fait tout ce récit délicat et éthéré serait parfaitement impossible à l’ère du téléphone). Et pourtant, ça ne fait aucunement vieillotte ou daté. L’écriture et la sensibilité exprimée dans cette œuvre sont d’une facture singulièrement moderne. On a là, exposée sous nos yeux, une expressivité romanesque d’avant-garde (pour son temps), se déployant en toute simplicité et sans prétention aucune. Il y a dix ans (2006) un film fut fait, basé sur ce roman. C’est un film raté. À tous les défauts usuels (personnages qu’on imaginait autrement, raccourcis pris dans le scénario, grossières déformations du récit et des thématiques) s’ajoutent une sottise et une bizarrerie. La sottise, c’est qu’au lieu de situer le film en 189… on le plante très ouvertement en 1910 (entre douze et quinze ans trop tard donc). Comme la durée des événements évoquées est de quatre ans, on se retrouve, au final, en plein début de la guerre de 1914, réalité nullement mentionnée dans le roman (et pour cause: le roman, qui fut écrit en huit ans, sort en librairie en 1913 et Alain-Fournier lui-même meurt dans les tranchées en 1914). Ce télescopage entre la fiction aérienne et le biographique lourdingue contribue fortement à couler le film, l’enfonçant irrémédiablement dans une ineptie irrécupérable. Voilà pour la sottise. La bizarrerie, passablement inouïe, presque originale (mais hélas, elle aussi, sciemment ratée), c’est que le film se déroule légèrement en accéléré. Les personnages bougent vite, abruptement, ils sont presque sautillants. Et leurs répliques sont débitées au rythme de charge d’une répétition dite «à l’italienne». Ouf, cela les rend largement inaudibles. Je sais pas s’ils ont essayé d’imiter le style cinématographique 1910 ou s’ils ont simplement tenté de tout compresser machine pour faire leur temps mais le résultat est proprement catastrophique.

Consigne de fer: il ne faut pas regarder le film avant d’avoir lu le roman. Si vous faites ça, vous allez foutre toute l’expérience en l’air. Le Grand Meaulnes est un roman prenant, indéfinissable, inclassable, magistral. Je croyais, moi, que, comme Le Petit Chose de Daudet (1868) ou La guerre des boutons de Pergaud (1912), c’était un roman de coming of age de gars, pour petits gars. Erreur immense. Et c’est nulle autre que Simone de Beauvoir, dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée (1958) qui, ne ménageant pas l’expression de son enthousiasme pour sa lecture (dans l’entre-deux-guerres) du roman et de la correspondance d’Alain-Fournier, m’a explicitement signalé que le grand Augustin Meaulnes était un personnage hautement romanesque pour les filles et les femmes, rien de moins qu’un type intemporel d’idéal masculin. Comme madame de Beauvoir n’est nullement suspecte de complaisance envers la littérature machique (!), cela changea complètement ma perspective sur cet ouvrage et m’invita à soigneusement le relire. Tudieu de tudieu que je ne fus pas déçu.

Comment vous dire ce qu’il faut dire sans trop en dire? De façon parfaitement inattendue, c’est ce navet raté de 2006 (revu après avoir relu le roman. Curieusement j’avais vu le film en 2006 et en avais aussi tout oublié) qui m’a permis de trouver mon angle explicatif. Suivez-moi bien. L’histoire nous est racontée par François Seurel (quatorze ans au début du récit, dix-huit ans à la fin). Cet enfant malingre et peu sociable fonctionne initialement comme narrateur-faire-valoir des aventures de cours d’école du grand Augustin Meaulnes (dix-sept ans au début du récit, vingt ans à la fin), sorte de survenant improbable apparu un jour de nulle part et devenu pensionnaire chez les parents Seurel, eux-mêmes instituteurs dans le petit village fictif de Sainte-Agathe (département du Cher, France). La différence d’âge entre le petit Seurel et le grand Meaulnes est incidemment la même qu’entre mes deux fils Reinardus-le-goupil et Tibert-le-chat: trois ans, un monde. Croyez-en ma modeste expertise de papa, le roman fait graduellement quitter le statut de narrateur-faire-valoir au jeune Seurel pour subtilement l’installer dans le dispositif psychologique merveilleusement dépeint du jeune frère intériorisant et idéalisant les hantises et les replis de l’imaginaire de son «grand-frère» Meaulnes. Or, le grand Meaulnes, dans des conditions hautement biscornues dont je vais prendre un soin jaloux à vous taire le détail, a fait la connaissance d’une jeune fille: Yvonne de Galais. Yvonne, tangible mais fugitive pour Meaulnes qui la rencontra, impalpable mais éternelle pour Seurel qui la cherche, va devenir l’objet d’amour cardinal (direct chez Meaulnes, transposé chez Seurel). Et les lectrices, elles, vont très profondément s’identifier à elle (Madame de Beauvoir dixit). C’est difficilement dicible comment c’est fin, touchant et original.

C’est ici qu’entre crucialement en cause l’intendance du mystère. Le roman va nous décrire le cheminement des actions et des amours de Meaulnes mais… dans l’ordre chaloupeux et non-linéaire de leur graduelle découverte par Seurel. L’œuvre est subjectivisée à travers la démarche exploratoire d’un je narrateur cogitant le puzzle factuel qui configura son adolescence. Le film —sottement— décide de relater, lui, les faits dans la linéarité de leur déroulement factuel effectif (plutôt que de leur découverte et leur mise en focus par un sujet sortant graduellement de l’enfance). Le mystère est détruit par le film et avec lui c’est la fine dentelle de l’effet coming of age (transformation graduelle du fantastique enfant en prosaïque adulte) qui se trouve proprement déchiquetée.

Les choses qui se passent dans Le Grand Meaulnes sont petites, villageoises, anonymes, gamines. On évolue, dans tous les sens du terme, à l’intérieur de la miniature de l’enfance. Il n’y a ici rien d’extraordinaire, rien de magique, rien de fantastique. Les effets fort éventuels de féerie ou de fantasmagorie sont strictement des artéfacts de la perspective enfantine… celle sur laquelle on finit fatalement par revenir, comme à regret, quand le décor en est venu à rapetisser. Mais le jolt de curiosité et de nostalgie est incroyablement électrisant et fonde une qualité et un plaisir de lecture peu communs. Oh oui, un vrai artiste vous joue son rigodon sur une seule corde de violon… Mort à vingt-sept ans, Alain-Fournier nous le prouve, avec ce roman quantitativement et qualitativement unique. À lire absolument, d’urgence.

Yvonne de Galais (jouée par Clémence Poésy). Au fond, en ombrage, Augustin Meaulnes (joué par Nicolas Duvauchelle)

Yvonne de Galais (jouée par Clémence Poésy). Au fond, en ombrage, Augustin Meaulnes (joué par Nicolas Duvauchelle)

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