
Le dieu-morale est une fiction anthropomorphe (pour ne pas dire: andromorphe)
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Un argument qu’on entend constamment de la part des théogoneux contre l’athéisme a à voir avec la ci-devant dimension morale de la religion. Selon cet argument, du reste assez éculé, religion et morale seraient intimement connectées et l’athéisme serait soit immoral, soit amoral, ou encore il manquerait tout simplement de la décence la plus élémentaire. Cet argument d’une synonymie quasi complète entre athéisme et dépravation est souvent répété, en ritournelle, de façon un peu mécanique, sans que les implications philosophiques qui le sous-tendent ne soient regardées avec le sérieux requis. On va en dire encore un mot ici car il s’agit-là d’une conception à la fois bien mal contestée et faussement évidente. Et la chose révolte suffisamment l’entendement athée pour que, la mort dans l’âme, je me sente obligé d’y revenir.
La question de savoir s’il y a un raccord automatique entre religion et morale est une histoire assez ancienne mais qu’il serait, quand même, abusif de qualifier d’insondablement séculaire. En réalité, les enjeux de cette question prennent corps plus précisément au moment de la lente mise en place du monothéisme. Il ne s’agit pas ici de reprendre toute cette problématique mais simplement de bien insister sur le fait que les religions les plus moralisantes, les plus susceptibles de formuler des exigences comportementales et éthiques de la part de leurs religionnaires, sont les monothéismes. Dogmatisme religieux, exclusivité de l’unicité divine, et rigorisme moral se sont un jour rencontrés et s’accompagnent depuis lors. Les monothéismes sont en effet directement chevillés à l’existence d’une autorité, religieuse et/ou politique, dont la priorité est de régir les comportements des religionnaires. Ces derniers peuvent en venir graduellement à être considérés comme des nationaux, des citoyens, des compatriotes, à mesure que les grandes étapes historiques se déploient. Mais elle perdure de façon tenace, la volonté sourde et vieillotte de les maintenir soumis à un roi et à une foi.
Alors regardons un petit peu cette question de l’identification intempestive entre religion monothéiste et morale. Ce qu’il faut observer attentivement et que les théogoneux devront admettre, s’ils cultivent cet argument moralisant, c’est qu’on est ici dans une situation d’instrumentalisation autoritaire de l’être suprême. Dans cette mise en place du dieu-morale, l’être suprême, nécessairement anthropomorphe (et même carrément andromorphe), apparaît comme une autorité omnisciente, omnipotente, dotée, donc, d’une capacité de surveillance maximale. C’est le grand frère en quelque sorte, ou le père, qui commande et maintient en sujétion une piétaille irresponsable, implicitement brouillonne et potentiellement trublionne. On comprend parfaitement que ce genre d’être suprême pourra très facilement, dans cette conception largement infantilisante de la religiosité, apparaître comme le dépositaire exclusif des comportements moraux. En effet, ce qu’on observe ici c’est la mise en place où la perpétuation du dieu patron ou du dieu gendarme, autrement dit d’un être suprême dont la capacité à avoir bien en main l’intégralité des comportements des religionnaires fonctionne comme garant du moralisme revendiqué par les théogonies monothéistes.
Prenons un exemple. Il sera musulman en l’occurrence mais la situation concrète est loin d’être une exclusivité musulmane. Nous voici aux environs de l’an 900. Un marchand arabe approche tout doucement son navire des côtes d’un territoire qui sera un jour le Pakistan. Il rencontre un personnage local et se met à discuter commerce avec lui. Notre marchand arabe a besoin de se ravitailler, vu qu’en fait il se rend encore plus loin, vers l’Asie extrême-orientale nommément, genre en Indonésie ou quelque chose comme ça. Pour sa part, notre pakistanais (nous l’appellerons ainsi par commodité) observe que ce batelier marchand a de magnifiques objets à vendre ou à échanger, des soieries, des parfums, des métaux précieux, des outils, des armes. Le contenu de ce navire fin et élancé apparaît comme parfaitement mirifique. La discussion commerciale s’engage. Or, à un certain moment, le marchand arabe, qui veut, lui, récupérer des viandes salées, du blé, des légumes, et autres denrées alimentaires, pour pouvoir continuer son voyage, tient au pakistanais des propos insolites. Il lui dit des choses comme: mais là attention, tu ne dois surtout pas me tricher sur les quantités car, tu sais, Dieu nous voit. Il observe tout ce qu’on fait. Oh, mon petit dieu statuaire, Bouddha ou Ganesh, c’est selon, est planté à la périphérie du village et il ne discerne rien de ce qui se passe ici, lui répond le pakistanais, qui est un idolâtre assez vague et peu soucieux de corrélation entre sa divinité et une éventuelle moralité du commerce. Le marchand arabe se rembrunit: quoi, tu n’adhères pas aux vues selon lesquelles il y a un Dieu unique, omniscient et omnipotent? Alors bon, attention, là les copains, on remballe tout. Je fais pas affaire avec des mécréants qui ignorent la surveillance que Dieu, unique et omniprésent, exerce sur le sain commerce. Notre pakistanais, qui ne veut pas perdre l’affaire, dit alors: non, attention, houlà, faut pas le prendre sur ce ton-là. Calmons-nous, discutons. Qu’est-ce que c’est que ce Dieu? Parle-moi un peu de Lui, ça m’intrigue… Notre pakistanais se dit bien qu’un personnage avec un navire aussi performant et des marchandises aussi somptuaires bénéficie certainement des avantages que fournissent certaines accointances surnaturelles, alors, bon, il faut voir. Notre arabe explique que, oui. Dieu, dont le prophète Mahomet est l’ultime messager, existe pour tous et… etc… Le pakistanais dit: je vois, je vois… donc un Dieu unique, omniprésent, scrutateur, et qui gère et assure l’intendance de tous nos comportements, incluant naturellement le bon commerce. Mais alors, dit toujours le pakistanais, et votre système de castes dans tout ça? Et l’arabe répond: système de castes?… je comprends pas trop ce que tu me marmonnes-là. Bien oui, tu sais, la séparation obligatoire des différents groupes humains et leur soumission servile et éternelle aux autorités aristocratiques? Non, non, c’est de la superstition brahmanique, ton affaire, là, ça fonctionne pas comme ça. Nous sommes tous identiques devant Dieu et si tu vas prier à la mosquée, tu peux parfaitement prier à côté d’un grand chef de guerre ou d’un riche marchand et tout fonctionnera parfaitement. On ne se soumet qu’à Dieu, pas aux humains ou à leurs castes. Il y a pas de castes, en fait. Tout le monde est égal devant Dieu. Le pakistanais trouve tout cela vraiment très intéressant, tant théologiquement que sociologiquement, si on peut dire. Et, de fil en aiguille, finalement, notre futur converti comprend que s’il veut pouvoir continuer d’avoir des transactions commerciales avec un marchand arabe qui pourrait parfaitement aller accoster et négocier ailleurs, il se doit de rencontrer ses priorités religieuses, au demeurant passablement transversales, souples et plutôt simples. Lesdites priorités religieuses sont intimement chevillées aux contraintes morales du voyageur de commerce monothéiste. Dieu nous voit. Il est donc l’arbitre implicite et omnipotent du bon marchandage.
C’est assez tôt, dans ce qu’il convient d’appeler l’Histoire universelle, que la corrélation entre religion monothéiste et moralisme s’est mise en place. Bien évidemment, il faut comprendre que ce genre de représentation philosophique fonctionnait parfaitement dans une dynamique moyenâgeuse, où les rapports de force étaient très aigus, les conflits locaux fréquents, la ripaille et les pillages habituels, et où quiconque rencontré sur le chemin ou sur les mers apparaissait comme un ennemi potentiel. Inutile d’insister sur le fait que nous fonctionnons de nos jours dans une société beaucoup plus profondément organisée et implicitement policée. Le principe qui persiste cependant ici est bel et bien que le théogoneux contemporain établit une fusion rigoriste, vermoulue, et non questionnée entre autorité divine et morale. Autrement dit, la bonne morale ronron fonctionnerait parce qu’un grand contrôleur universel veillerait sur nous et verrait à régenter ce qui se passe.
Implacablement, les impairs factuels, les manifestations flagrantes d’incompétence divine et les incapacités effectives de cet être fictif à régenter réellement les comportements moraux ont trouvé des explications lourdes, tortueuses et lentes, au fil des siècles. On parla de punitions, de mansuétude, de miséricorde, de fatalité du mal, de voies divines tortueuses et impénétrables, de tout ce qu’on voudra. Le principe stable était que, dans le regard de l’héritage religieux, nous n’adoptons une attitude morale que parce que nous sommes régentés par une instance surnaturelle. Il s’agit en fait d’une morale transcendante, au sens où la morale nous est imposée de l’extérieur par une puissance abstraite, définie axiomatiquement, et à laquelle on ne peut ni confronter notre regard critique ni échapper. Il faut se soumettre. Et, pour sûr, ceux qui profiteront maximalement d’un tel dispositif moral seront nul autres que les porte-paroles, autoproclamés et hargneux, de cette puissance tutélaire aussi lourdingue que non-étayée.
L’objection fondamentale à cette explication sommaire de la moralité par une surveillance divine réside dans l’attitude civique de la pensée athée. La pensée athée, dans son émergence historique au cours des derniers siècles, accompagne les grands mouvements sociaux révolutionnaires, réformistes, progressistes. Le résultat intellectuel et moral de ces immenses développements historiques en vient, par bonds, à émietter la croyance en une autorité transcendante, en charge de monter la garde, au nom d’une espèce de gendarmisme éthéré et diffus. La morale religieuse à l’ancienne finit remplacée par une moralité immanente émanant implicitement du monde social même. On a bel et bien affaire ici à la confrontation finale entre la morale venue du ciel et la morale jaillie de terre. Et, sur cette question, quoi qu’on veuille en penser, le choix de l’Histoire mondiale est clairement fait.
Je tiens à dire à mes compatriotes de toutes croyances religieuses: s’il vous plaît, une bonne foi(s), cessez de nous casser les oreilles avec votre conception archaïsante de la morale. Du fait d’être religieux, vous n’avez pas le monopole de la sensibilité éthique. Au contraire, vous avez surtout le monopole d’un certain autoritarisme abstrait et d’une certaine légitimation de vos propres croyances locales par un être suprême fictif, qui sert en fait de caisse de résonnance à une vision du monde qui est, d’autre part, aussi ordinaire et terrestre que la mienne. Il est de plus en plus urgent de retirer la question du débat moral de celle du débat religieux. Ces deux problèmes sont des problèmes séparés. Et la question philosophique de savoir si oui ou non (en réalité: non) un être suprême, diaphane et spirituel, a créé le monde matériel et en assure la cohérence doit être posée en termes ontologiques et non axiologiques. Il faut formuler cette question de façon rationnellement spéculative et à l’exclusion de toutes considérations de pragmatique morale. Il faut impérativement remplacer la question est-ce que dieu est une bonne chose? par la question est-ce que dieu existe? Que voulez-vous, redisons-le: l’Histoire a tranché. Les questions morales sont désormais assumées par les lois mais surtout par un consensus collectif de rigueur civique qui, malgré les hauts cris de certains thuriféraires de la régression mentale à tous crins, progresse et prend de plus en plus une dimension planétaire. Oui à la morale immanente. Non au dieu transcendant. Continuons de rester calmes et de discuter ces questions sans s’énerver. Après tout, toutes ces abstractions et ces élucubrations légendaires, intellectuellement héritées, ne valent vraiment pas la peine qu’on en vienne aux mains.
En somme, ce que je tiens à dire fermement à mes vis-à-vis religieux, c’est que l’athéisme n’est pas une immoralité. Il y a une moralité athée et cette moralité est civique. Elle est immanente. Elle est implicite. Elle est collective. Elle est évolutive. Sa qualité de rationalité supérieure réside dans le fait de ne pas requérir le gestus fallacieux du grand gendarme universel, du pion de collège cosmologique toisant, en ronchonnant, des enfants turbulents et sans conscience articulée. La moralité athée, comme résultat de l’organisation de la riche et complexe vie sociale contemporaine, c’est le mode de vie éthique du présent et de l’avenir.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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Dieudonné et l’Islam
Posted by Ysengrimus sur 15 février 2023
Couverture du TIME du 31 Janvier 1969
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Bon, les juifs et les noirs (notamment les musulmans noirs) en compétition pour la palme platine de la victime historique absolue, c’est une affaire passablement plus ancienne qu’on ne le pense. J’en veux pour témoin historique (entre autres) cette première page du TIME datant du 31 janvier 1969. On pourrait longuement développer la captivante question de la lutte contemporaine des cultures de rédemption des ghettos de naguère mais… demain n’est pas la veille car l’irrationalité passionnelle la plus débridée semble régner, en ce moment même, sur ces embrouilles somme toute subsidiaires (mais montées en épingles pour bien éclipser les vraies questions). Chasse en chassé-croisé bourgeoise aux boucs émissaires sur fond de crise du capitalisme oblige. On y reviendra éventuellement, en des temps plus calmes.
La nouvelle mouvance brune. Donc, de nouveau, notre chère vieille France se droitise. La profonde faillite socialiste se finalise, à mesure que la durable trahison macronnienne enferre la société, ne laissant plus d’espoir perceptible. Cessons de se mentir, madame Marine LePen du Zinzin National est en train de devenir une politicienne ordinaire, une figure meneuse de la droite, roide, enflée, «sociale», ronflante, proprette. Un avenir politique conventionnel lui est promis, peut-être même, qui sait, les plus hautes fonctions. Le fait implacable se met donc en place: le RN (ex FN) se positionne sur l’échiquier politicien mainstream. Et pour ce faire, une fois de plus il n’y a pas à se mentir, ce nouveau futur vaisseau amiral du cartel des droites se recentre. La droite décomplexée des uns et des autres lui esquisse doucement un havre d’entrée. Suivons bien le lent mouvement du navire au flambeau tricolore. Mais ledit navire ne sort pas de nulle part. Il s’extirpe, en chuintant plus que bruyamment, de la vieille vase de l’extrême-droite française, croix de feu, OASesque, GUDeuse, militaro-facho-factieuse. En manœuvrant lourdement cap au centre, l’étrave poussive du RN abandonne derrière elle une boue lourde, inorganisée, gluante, fangeuse, tourbillonnante, déroutée, elle aussi, dans sa logique. En faisant de l’humour dans le pur style biaiseux de Dieudonné, on dira que c’est une boue brune… (quoi, brune, comme dans chemise brune, qu’est-ce que vous allez croire, là, eh…).
Dieudonné incarne sémiologiquement cette vieille nouvelle extrême-droite «anti-système», passablement inorganisée mais bien prégnante, ferme, ancienne. Il ne l’articule pas politiquement mais la formule discursivement. Et qu’est-ce qu’elle te dit, la nouvelle mouvance brune, ben d’abord pour s’exprimer comme Dieudonné toujours, elle t’annonce sans ambages qu’elle te pisse à la raie, tu vois. Puis une fois l’éructation du cœur passée, vessée, dispersée, elle retombe, la susdite mouvance, sur les vieilles pattes de ses implicites obscurantistes «classiques», si je puis dire. De nouveau, notre chère France se droitise. Elle l’a déjà fait, elle sait le faire. Il y a de la tradition, même dans ses égouts puants. Des axes sont tracés. Les fondations sont perpétuées. Et le bruit actuel, lui, augmente. Et nos apologues bêlants et hypocrites de la liberté d’expression se portent à la défense de Dieudonné. La complaisance suspecte, la solidarité truquée, tout s’entremêle et c’est le tourbillon brun. On connaît les faits anecdotiques mais, si on fait tout un fromage des droits à la liberté d’expression de Dieudonné, on s’attarde moins sur la configuration rhétorique de ce bateleur, qui reste un communicateur avant tout, avec un message, une ligne. Revoyons brièvement sa stratégie, devenue classique.
Un implicite obscurantiste. Un peu comme le fait, très ouvertement et très cyniquement, une certaine propagande iranienne ciblant l’occident, les attaques «antisionistes» de Dieudonné mobilisent nettement d’importants pans du fond de commerce obscurantiste qui fut celui de toute une tradition vernaculaire française (et européenne). Simplement ici, le brouet s’instille. Il est moins concentré qu’éparpillé, saupoudré, moins matamore que discret, roucoulant, casuiste. Un petit exemple de cette façon insidieuse de s’exprimer. Dieudonné dit (la source vidéo de cette citation est donnée plus bas): Les chrétiens ont été déjà dépouillés de leur religion. On… On a… les églises se sont vidées. Le Sionisme, partout où il arrive, tente déjà d’enlever les valeurs morales du pays. Remplacez ici «le Sionisme», simple maquillage rhétorique de surface, par «la juiverie internationale» et vous retrouvez, mot pour mot, la vieille propagande anti-juive nationalarde du siècle dernier, qui donnait les juifs comme principaux propagateurs de l’athéisme (On a.. on a… On sent qu’il hésite, le Dieudo, à proférer l’énormité d’un athéisme sciemment orchestré par les Sages de Sion. Il ne faut pas aller se démasquer) et, aussi, les juifs comme instance tentant «d’enlever les valeurs morales du pays». Mon ami! On dirait la vieille propagande anti-moderniste des bérets blancs! Et, de fait, presque tous les poncifs anti-juifs se retrouvent, à un endroit ou à un autre, dans le discours de Dieudonné (mais habituellement glissés supppositoirement, hein, en quenelle): les Rothschild, le sionisme rupin conspiro, le peuple élu, la Shoah (Ananas), le Grand Banquier qui nous tiens tous, Faurisson (converti en bouffon), Pétain (que Dieudonné nous donne comme son président favori… pour la moustache à la Brassens, bien sûr, sans plus), et des noms colorés en pagaille de personnalités médiatiques et politiques d’origine juive, dont la moindre n’est pas François Hollande. Dire et redire le nom d’un juif connu, c’est excellent dans l’implicite. Pas besoin de radoter sans fin qu’il est juif, tout le monde le sait, s’en doute ou le suppose. Et si c’est lui et si Dieudo en parle, c’est que cette personnalité (une de plus! Il en est un aussi!) fait implicitement partie du «système» (qui, lui, ne peut être que sioniste ou pro-sioniste). Ce procédé (nommer des juifs et laisser leur nom «parler», sans plus), tout en dense lourdeur de sous-entendus, est fort ancien. Le raccourci réflexe, bien balisé, de l’obscurantisme traditionnel d’extrême-droite permet d’établir tout un jeu de raccords nerveux irrationalistes et de les marteler, tout en restant parfaitement dans le non-dit et l’implicite. L’exemple cardinal de ce jeu sur les implicites, immanquablement, fut la quenelle. Qu’est-ce que c’était? Un salut ceci inversé non, non, c’est jamais qu’un bras d’honneur cela. Rien de mal. Rien de tangible. Que du mou. On se sent quelque part un peu ridicule de s’offusquer pour si peu. Et de chanter jadis, gauloisement: François la sens-tu qui s’enfile dans ton cul, la quenelle? (sur l’air du Chant des Partisans). Levez-vous de bonne heure pour trouver prise à une poursuite pour propagande haineuse dans le maquis de ce salmigondi potache, mi-sodomite, mi-culinaire. Et pourtant absolument personne n’est dupe. L’implicite ferme est tout aussi intangible que net, limpide. Il est palpable et impalpable en même temps. C’est de l’excellente rhétorique auto-protective. Vous me direz qu’il se fit quand même coller des amendes et que celles-ci s’accumulèrent. Je vous répondrai que s’il avait tout dégobillé comme il le pense vraiment, il serait en taule et pour des années. De se planquer et d’esquiver comme il le fait, il gagne (surtout que les amendes, il les paye pas). Tout est là, quelque part, et comme ça fonctionne, ça se répand dans la lie factieuse désœuvrée et frustrée par les crises. La rectitude politique bâillonnante a produit des monstres glissants d’implicites et Diendonné est un de ceux-là. Et ce n’est pas fini. Interdisez la quenelle et demain, de par le jeu des raccords sous-entendus de l’atelier Dieudonné, un simple ananas sera désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable, limpide et net qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandis un ananas?
De par le jeu des implicites de Dieudonné ceci est désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandi un ananas?
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Une pudeur: la race. Il y a cependant une notion sur laquelle l’irrationalité sociopolitique sciemment promue par Dieudonné reste totalement pudique: la race. La race au sens morphologiquement et épidermiquement racialiste du terme. Techniquement parlant, l’obscurantisme de Dieudonné n’est pas un racisme. Vous avez bien lu. Il faut reconnaître que les contraintes commerciales sont ici tout simplement trop fortes. Dieudonné, dont le père est camerounais, se donne lui-même comme une nègre marron du showbizz qui court toujours pour ne plus avoir à écouter chanter Patrick Bruel jusqu’à la fin, sur le plateau de Michel Drucker (citation libre — inutile de rappeler l’ethnicité de messieurs Bruel et Drucker, la machine des implicites simplistes roule bien. Comme dirait Dieudo: on avance). Aussi, Dieudo ne reprendra pas, comme le faisait par exemple amplement Louis-Ferdinand Céline, le délire de la fusion du nègre et du sémite. Vous voyez tout de suite le couac paradoxal que cela provoquerait dans son vivier. C’est pas soutenable. Cette portion de l’obscurantisme «classique» restera donc pudiquement pliée dans les cartons de l’histoire. Le mot des fachos français de 1930 selon lequel le juif est un nègre ne sera pas repris. Évacuées aussi les autres grossièretés raciales: les formes de nez, le crépu des cheveux, les teintes de peau pour distinguer les youpins (selon le mot de la propagande pétainiste). Pas de critères raciaux négatifs ici. Que des critères raciaux positifs, pour valoriser les gens de souche africaines, esclaves ou non et aussi (surtout) affecter de les dévaloriser, en mimant ou prétendant mimer la vision de l’adversaire (Pour eux, moi, ch’sui qu’un négro… etc…). C’est une caractéristique très profondément originale, moderne, actuelle, rectitudepoliticienne, que cette particularité de non-racisme de fond. La ritournelle des irrationalistes sociopolitiques contemporains se perpétue donc, mais sans le racisme racial (si vous me passez l’indispensable pléonasme, la notion de racisme étant tellement galvaudée): c’est pas de l’antisémitisme, c’est, par autoproclamation dédouanante, de l’antisionisme. Oh, il sait parfaitement ce qu’il fait. Et la pudeur sur la race est d’autant plus cruciale, d’ailleurs, dans la mouvance Dieudonné, pour une autre raison, imparable. Les arabes, fondateurs historiques de l’Islam, sont eux aussi de race ou d’ethnie sémite et ils parlent une langue sémitique. Second grave danger de paradoxe donc, car les arabes ne font absolument pas partie du «peuple élu» (élu… par le dispositif discriminatoire de Dieudonné). La seule solution pour séparer les bons (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, et les anciens du GUD tous unis en quenelle) des méchants (les juif, tous israéliens plutôt qu’israélites désormais, et, en costards et à la télé de préférence), c’est de ne pas ressortir les doctrines racistes/raciales des fachos d’antan. Ne dites pas que Dieudonné est antisémite, c’est une fausseté factuelle. Ne dites pas qu’il est antisioniste non plus, cela le dédouane trop et lui impute une rationalité politique qu’il n’a absolument pas. Dites simplement qu’il est anti-juifs. Ça c’est vrai et ça ne ment pas. Même lui l’admettrais, je crois.
Et L’Islam. Cela nous amène directement à l’Islam. Le fait est que la nébuleuse hétérogène de la clientèle cible de Dieudo (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, les anciens du GUD, ainsi que leurs épouses, tous et toutes tirés à quatre épingles au Théâtre de la Main d’Or — il fallait voir les images. Elle faisait plus bourgeoise cossue crispée que prolo révolutionnaire, cette discrète mais hilare clientèle), c’est l’ensemble des ingrédients d’une poudre à canon. J’entends par là qu’il y a de l’explosif en latence interne là dedans, comme dans une union «sacrée», éclectique et temporaire de pulsions incompatibles. Ces gens là ne se rejoignent pas vraiment, c’est pas possible. Tous ces factieux blanc-cassis endimanchés, c’est pas des pro-Islam, c’est pas sérieux. Il va falloir que quelqu’un réfléchisse à ce qu’il fait une minute ou deux, quand même, dans ce bazar. Mais lisons plutôt ce que Dieudo raconte justement de l’Islam lorsque, toujours pour me formuler comme lui, je dirai qu’il prend la parole chez ses maîtres de la télévision iranienne (il faut intégralement visionner cette courte vidéo. C’est l’aveu sublime du fond veule, onctueux, obséquieux et jésuite de Dieudonné, présenté ici comme un écrivain et humoriste français).
Alors, un peu justement comme le fait Dieudo, je vais vous asséner trois courtes citations, suivies de trois commentaires de mon cru, dans le pur style Dieudo, eux aussi. Pour bien vous dire ce que j’en pense de ce qu’il dit de l’Islam et vous montrer que l’humour à la Dieudo, j’en fais du pareil. Tapez sur mon cul pour voir si ça fait de la musique et attachez vos ceintures, on part. Dieudo dit, la bouche en cœur:
Mais elle est où ta faconde irrévérencieuse là, mon Dieudo. Tu sonnes comme une petite vicairette émasculée, tout à coup, de t’offusquer que Marie aie pu un peu se faire du bon temps, dans cette chienne de vie, la pauvresse, là (tu cites pas les sources de ton développement fumeux et imprécis sur Marie. Tant pis. C’est pas mon affaire. Tant qu’à délirer, hé). C’est ton fond colo chrétienne gentille qui remonte là? Tué le Christ… Il y a un respect… Mais ton Christ, j’en ai rien à cirer, gars. Je lui pisse à la raie, ton Jésus, tu vois. C’est du délire irrationnel vieux chnoque que tu nous susurres là. Ça a mais rien de rien à foutre dans l’espace politique, tout ça. Et ton respect, je le tringle. Bon, les musulmans parlent de Jésus, c’est pas un scoop, figure toi, on le savait. Mais qu’est-ce que ça à voir avec nos crises sociales actuelles, ça, avec la lutte contre le système, pour reprendre ton mot? Délire religieux de vieille calotte onctueuse, mon vieux. Vide de sens intellectuel, pur. De la radote de bénitier. Le sionisme (le vrai petit sionisme politique et historique, pas ta grande gadoue obscurantiste fantasmée, là) a tué des palestiniens, point, gars. Réveille-toi. Soigne toi, hé, tu es malade. Mais Dieudo poursuit:
Oh mais, le mec. Ça va pas, la tête! Tu vas me raconter que les juifs (ou qui que ce soit en l’occurrence — c’est parfaitement conspiro de prendre la déréliction pour une astuce mitonnée par des «décideurs», peu importe lesquels) m’ont dépouillé de «ma» religion. Mais «ma» religion, je l’ai jetée moi même aux orties, mon gars, figure toi. Et dans un grand mouvement sociétal progressiste que je valorise encore, tu vois. Et j’ai vraiment pas besoin de toi pour la ramener, dans tous les sens du terme. Et je la remplacerai jamais par une autre, surtout pas dans le champs politique, ça c’est moi qui te le dis. Dans l’Islam, il y a un respect… Pas pour les athées, le respect, hein, ni pour les femmes non-patriarcales. J’ai pas besoin d’épiloguer. Ce vent qui arrive et qui libère… Quoi? Mais tu bascules dans le lyrisme gaga et complètement mou du calecif, mon pauvre. Le vent de tes vesses qui libèrent tes boyaux pourris, oui. Comme tu le dis si bien à un peu tout le monde par les temps qui courent: ferme ta gueule. Tu suçotes la fissure de cul de ce journaliste iranien là et, je te le dis, c’est carrément indécent. Tu fais tout juste ce dont tu accuses tous les autres licheux télévisuels. Ferme-la. Fous-nous la paix. Et Dieudo, impavide, dit finalement:
Hein! Le message originel? Quel message originel? Tuez les athées, les femmes insoumises et les juifs? Il est philosophique (sage?), ou politique, le message? Quoi? Quoi? Les sages qui observent en Iran? L’apologie de la théocratie autoritaire iranienne maintenant? C’est ça le modèle politique qui dansotte au bout de ta quenelle, là? Ben, mon gars, je te dis: non merci. Je te dis que t’es en train de tenter de nous en enfiler toute une. Je te sens pas, là et c’est pas bon signe. Et tu mens, tu mens, dans ce flagornage stérile et vide de ton chrétien fondamental par ton musulman fantasmé. Lit le Coran un petit brin, gars. Ça va te décrasser. Il louvoie pas comme toi, le Coran, tu vois. Texte moyenâgeux sans complexe, il assume son intolérance et il contredit ouvertement l’abbé Dieudo. «Ô, vous qui croyez! Ne prenez pas pour amis les Juifs et les Chrétiens; ils sont amis les uns des autres.» (Sourate V, verset 51). Vlan, et tu l’as dans le cul. Mais alors, tu racontes absolument n’importe quoi pour endormir les gogos, mon minus. Tu perds ton temps et le mien dans tes circonlocutions semi-légendaires de théogonardise de faux syncrétisme de merde, c’est pas croyable. C’est à halluciner.
Aussi, je te dis ceci, pour conclure sur toi et ta mouvance puante et délirante, cher Dieudo. Les conneaux que te traitent en bouc émissaire «humoristique» (pour pas faire face au mouvement sociétal, malsain mais crucial, que, tristement, tu révèles) et qui fantasment de te bâillonner (pour bien se voiler la face) par des astuces juridiques toujours contournables et par des amendes que tu paiera pas, eh ben, eux aussi, ils perdent leur temps et le mien. C’est ton public cible de musulmans français, de noirs de seconde génération et de facho blancs, tous éclectiquement et fortuitement réunis, qui va te péter dans le visage et te pulvériser la gueule, quand l’incompatibilité fondamentale des particules de haine et de déboussolement que tu comprimes dans tes théâtres vont se pénétrer véritablement l’une l’autre et toucher l’étincelle lumineuse de ta pauvre toute petite pensée inane et tant tellement vieillotte. Patatras! Pulvérisé par ses propres chalands, antinomiques, braqués et irréconciliables, le Dieudo. [Rire gras à la Dieudo. Il riait souvent de ses propres boutades, de son rire faussement copain et assez communicatif.]
Le vieil obscurantisme entre-deux-guerres occidental, ouf et re-ouf, on a vraiment pas besoin de l’Iran ou de qui que ce soit d’autre dans le genre, pour venir nous le re-seriner, avec en courroie de transmission, en prime, Dieudonné. Les morts ont enterré les morts qui sont issus en pagaille de tout ça. Foutez-nous la paix, une bonne fois avec vos résurgences cent fois re-maculées et médiatisées (y compris a contrario — ceci NB). Laissez nous vivre un peu. Il est plus que temps qu’on cesse de faire de la politique avec la religion. Il n’en sort jamais rien de bon. Et ça, ben, là, on s’entend tous pour dire que Dieudonné et l’Islam ont en commun de douloureusement le confirmer et le reconfirmer.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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