Le Carnet d'Ysengrimus

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Dieudonné et l’Islam

Posted by Ysengrimus sur 15 février 2023

Couverture du TIME du 31 Janvier 1969

Couverture du TIME du 31 Janvier 1969

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Bon, les juifs et les noirs (notamment les musulmans noirs) en compétition pour la palme platine de la victime historique absolue, c’est une affaire passablement plus ancienne qu’on ne le pense. J’en veux pour témoin historique (entre autres) cette première page du TIME datant du 31 janvier 1969. On pourrait longuement développer la captivante question de la lutte contemporaine des cultures de rédemption des ghettos de naguère mais… demain n’est pas la veille car l’irrationalité passionnelle la plus débridée semble régner, en ce moment même, sur ces embrouilles somme toute subsidiaires (mais montées en épingles pour bien éclipser les vraies questions). Chasse en chassé-croisé bourgeoise aux boucs émissaires sur fond de crise du capitalisme oblige. On y reviendra éventuellement, en des temps plus calmes.

La nouvelle mouvance brune. Donc, de nouveau, notre chère vieille France se droitise. La profonde faillite socialiste se finalise, à mesure que la durable trahison macronnienne enferre la société, ne laissant plus d’espoir perceptible. Cessons de se mentir, madame Marine LePen du Zinzin National est en train de devenir une politicienne ordinaire, une figure meneuse de la droite, roide, enflée, «sociale», ronflante, proprette. Un avenir politique conventionnel lui est promis, peut-être même, qui sait, les plus hautes fonctions. Le fait implacable se met donc en place: le RN (ex FN) se positionne sur l’échiquier politicien mainstream. Et pour ce faire, une fois de plus il n’y a pas à se mentir, ce nouveau futur vaisseau amiral du cartel des droites se recentre. La droite décomplexée des uns et des autres lui esquisse doucement un havre d’entrée. Suivons bien le lent mouvement du navire au flambeau tricolore. Mais ledit navire ne sort pas de nulle part. Il s’extirpe, en chuintant plus que bruyamment, de la vieille vase de l’extrême-droite française, croix de feu, OASesque, GUDeuse, militaro-facho-factieuse. En manœuvrant lourdement cap au centre, l’étrave poussive du RN abandonne derrière elle une boue lourde, inorganisée, gluante, fangeuse, tourbillonnante, déroutée, elle aussi, dans sa logique. En faisant de l’humour dans le pur style biaiseux de Dieudonné, on dira que c’est une boue brune… (quoi, brune, comme dans chemise brune, qu’est-ce que vous allez croire, là, eh…).

Dieudonné incarne sémiologiquement cette vieille nouvelle extrême-droite «anti-système», passablement inorganisée mais bien prégnante, ferme, ancienne. Il ne l’articule pas politiquement mais la formule discursivement. Et qu’est-ce qu’elle te dit, la nouvelle mouvance brune, ben d’abord pour s’exprimer comme Dieudonné toujours, elle t’annonce sans ambages qu’elle te pisse à la raie, tu vois. Puis une fois l’éructation du cœur passée, vessée, dispersée, elle retombe, la susdite mouvance, sur les vieilles pattes de ses implicites obscurantistes «classiques», si je puis dire. De nouveau, notre chère France se droitise. Elle l’a déjà fait, elle sait le faire. Il y a de la tradition, même dans ses égouts puants. Des axes sont tracés. Les fondations sont perpétuées. Et le bruit actuel, lui, augmente. Et nos apologues bêlants et hypocrites de la liberté d’expression se portent à la défense de Dieudonné. La complaisance suspecte, la solidarité truquée, tout s’entremêle et c’est le tourbillon brun. On connaît les faits anecdotiques mais, si on fait tout un fromage des droits à la liberté d’expression de Dieudonné, on s’attarde moins sur la configuration rhétorique de ce bateleur, qui reste un communicateur avant tout, avec un message, une ligne. Revoyons brièvement sa stratégie, devenue classique.

Un implicite obscurantiste. Un peu comme le fait, très ouvertement et très cyniquement, une certaine propagande iranienne ciblant l’occident, les attaques «antisionistes» de Dieudonné mobilisent nettement d’importants pans du fond de commerce obscurantiste qui fut celui de toute une tradition vernaculaire française (et européenne). Simplement ici, le brouet s’instille. Il est moins concentré qu’éparpillé, saupoudré, moins matamore que discret, roucoulant, casuiste. Un petit exemple de cette façon insidieuse de s’exprimer. Dieudonné dit (la source vidéo de cette citation est donnée plus bas): Les chrétiens ont été déjà dépouillés de leur religion. On… On a… les églises se sont vidées. Le Sionisme, partout où il arrive, tente déjà d’enlever les valeurs morales du pays. Remplacez ici «le Sionisme», simple maquillage rhétorique de surface, par «la juiverie internationale» et vous retrouvez, mot pour mot, la vieille propagande anti-juive nationalarde du siècle dernier, qui donnait les juifs comme principaux propagateurs de l’athéisme (On a.. on a… On sent qu’il hésite, le Dieudo, à proférer l’énormité d’un athéisme sciemment orchestré par les Sages de Sion. Il ne faut pas aller se démasquer) et, aussi, les juifs comme instance tentant «d’enlever les valeurs morales du pays». Mon ami! On dirait la vieille propagande anti-moderniste des bérets blancs! Et, de fait, presque tous les poncifs anti-juifs se retrouvent, à un endroit ou à un autre, dans le discours de Dieudonné (mais habituellement glissés supppositoirement, hein, en quenelle): les Rothschild, le sionisme rupin conspiro, le peuple élu, la Shoah (Ananas), le Grand Banquier qui nous tiens tous, Fau­risson (converti en bouffon), Pétain (que Dieudonné nous donne comme son président favori… pour la moustache à la Brassens, bien sûr, sans plus), et des noms colorés en pagaille de personnalités médiatiques et politiques d’origine juive, dont la moindre n’est pas François Hollande. Dire et redire le nom d’un juif connu, c’est excellent dans l’implicite. Pas besoin de radoter sans fin qu’il est juif, tout le monde le sait, s’en doute ou le suppose. Et si c’est lui et si Dieudo en parle, c’est que cette personnalité (une de plus! Il en est un aussi!) fait implicitement partie du «système» (qui, lui, ne peut être que sioniste ou pro-sioniste). Ce procédé (nommer des juifs et laisser leur nom «parler», sans plus), tout en dense lourdeur de sous-entendus, est fort ancien. Le raccourci réflexe, bien balisé, de l’obscurantisme traditionnel d’extrême-droite permet d’établir tout un jeu de raccords nerveux irrationalistes et de les marteler, tout en restant parfaitement dans le non-dit et l’implicite. L’exemple cardinal de ce jeu sur les implicites, immanquablement, fut la quenelle. Qu’est-ce que c’était? Un salut ceci inversé non, non, c’est jamais qu’un bras d’honneur cela. Rien de mal. Rien de tangible. Que du mou. On se sent quelque part un peu ridicule de s’offusquer pour si peu. Et de chanter jadis, gauloisement: François la sens-tu qui s’enfile dans ton cul, la quenelle? (sur l’air du Chant des Partisans). Levez-vous de bonne heure pour trouver prise à une poursuite pour propagande haineuse dans le maquis de ce salmigondi potache, mi-sodomite, mi-culinaire. Et pourtant absolument personne n’est dupe. L’implicite ferme est tout aussi intangible que net, limpide. Il est palpable et impalpable en même temps. C’est de l’excellente rhétorique auto-protective. Vous me direz qu’il se fit quand même coller des amendes et que celles-ci s’accumulèrent. Je vous répondrai que s’il avait tout dégobillé comme il le pense vraiment, il serait en taule et pour des années. De se planquer et d’esquiver comme il le fait, il gagne (surtout que les amendes, il les paye pas). Tout est là, quelque part, et comme ça fonctionne, ça se répand dans la lie factieuse désœuvrée et frustrée par les crises. La rectitude politique bâillonnante a produit des monstres glissants d’implicites et Diendonné est un de ceux-là. Et ce n’est pas fini. Interdisez la quenelle et demain, de par le jeu des raccords sous-entendus de l’atelier Dieudonné, un simple ananas sera désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable, limpide et net qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandis un ananas?

De par le jeu des implicites de Dieudonné ceci est désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandis un ananas?

De par le jeu des implicites de Dieudonné ceci est désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandi un ananas?

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Une pudeur: la race. Il y a cependant une notion sur laquelle l’irrationalité sociopolitique sciemment promue par Dieudonné reste totalement pudique: la race. La race au sens morphologiquement et épidermiquement racialiste du terme. Techniquement parlant, l’obscurantisme de Dieudonné n’est pas un racisme. Vous avez bien lu. Il faut reconnaître que les contraintes commerciales sont ici tout simplement trop fortes. Dieudonné, dont le père est camerounais, se donne lui-même comme une nègre marron du showbizz qui court toujours pour ne plus avoir à écouter chanter Patrick Bruel jusqu’à la fin, sur le plateau de Michel Drucker (citation libre — inutile de rappeler l’ethnicité de messieurs Bruel et Drucker, la machine des implicites simplistes roule bien. Comme dirait Dieudo: on avance). Aussi, Dieudo ne reprendra pas, comme le faisait par exemple amplement Louis-Ferdinand Céline, le délire de la fusion du nègre et du sémite. Vous voyez tout de suite le couac paradoxal que cela provoquerait dans son vivier. C’est pas soutenable. Cette portion de l’obscurantisme «classique» restera donc pudiquement pliée dans les cartons de l’histoire. Le mot des fachos français de 1930 selon lequel le juif est un nègre ne sera pas repris. Évacuées aussi les autres grossièretés raciales: les formes de nez, le crépu des cheveux, les teintes de peau pour distinguer les youpins (selon le mot de la propagande pétainiste). Pas de critères raciaux négatifs ici. Que des critères raciaux positifs, pour valoriser les gens de souche africaines, esclaves ou non et aussi (surtout) affecter de les dévaloriser, en mimant ou prétendant mimer la vision de l’adversaire (Pour eux, moi, ch’sui qu’un négro… etc…). C’est une caractéristique très profondément originale, moderne, actuelle, rectitudepoliticienne, que cette particularité de non-racisme de fond. La ritournelle des irrationalistes sociopolitiques contemporains se perpétue donc, mais sans le racisme racial (si vous me passez l’indispensable pléonasme, la notion de racisme étant tellement galvaudée): c’est pas de l’antisémitisme, c’est, par autoproclamation dédouanante, de l’antisionisme. Oh, il sait parfaitement ce qu’il fait. Et la pudeur sur la race est d’autant plus cruciale, d’ailleurs, dans la mouvance Dieudonné, pour une autre raison, imparable. Les arabes, fondateurs historiques de l’Islam, sont eux aussi de race ou d’ethnie sémite et ils parlent une langue sémitique. Second grave danger de paradoxe donc, car les arabes ne font absolument pas partie du «peuple élu» (élu… par le dispositif discriminatoire de Dieudonné). La seule solution pour séparer les bons (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, et les anciens du GUD tous unis en quenelle) des méchants (les juif, tous israéliens plutôt qu’israélites désormais, et, en costards et à la télé de préférence), c’est de ne pas ressortir les doctrines racistes/raciales des fachos d’antan. Ne dites pas que Dieudonné est antisémite, c’est une fausseté factuelle. Ne dites pas qu’il est antisioniste non plus, cela le dédouane trop et lui impute une rationalité politique qu’il n’a absolument pas. Dites simplement qu’il est anti-juifs. Ça c’est vrai et ça ne ment pas. Même lui l’admettrais, je crois.

Et L’Islam. Cela nous amène directement à l’Islam. Le fait est que la nébuleuse hétérogène de la clientèle cible de Dieudo (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, les anciens du GUD, ainsi que leurs épouses, tous et toutes tirés à quatre épingles au Théâtre de la Main d’Or — il fallait voir les images. Elle faisait plus bourgeoise cossue crispée que prolo révolutionnaire, cette discrète mais hilare clientèle), c’est l’ensemble des ingrédients d’une poudre à canon. J’entends par là qu’il y a de l’explosif en latence interne là dedans, comme dans une union «sacrée», éclectique et temporaire de pulsions incompatibles. Ces gens là ne se rejoignent pas vraiment, c’est pas possible. Tous ces factieux blanc-cassis endimanchés, c’est pas des pro-Islam, c’est pas sérieux. Il va falloir que quelqu’un réfléchisse à ce qu’il fait une minute ou deux, quand même, dans ce bazar. Mais lisons plutôt ce que Dieudo raconte justement de l’Islam lorsque, toujours pour me formuler comme lui, je dirai qu’il prend la parole chez ses maîtres de la télévision iranienne (il faut intégralement visionner cette courte vidéo. C’est l’aveu sublime du fond veule, onctueux, obséquieux et jésuite de Dieudonné, présenté ici comme un écrivain et humoriste français).

Alors, un peu justement comme le fait Dieudo, je vais vous asséner trois courtes citations, suivies de trois commentaires de mon cru, dans le pur style Dieudo, eux aussi. Pour bien vous dire ce que j’en pense de ce qu’il dit de l’Islam et vous montrer que l’humour à la Dieudo, j’en fais du pareil. Tapez sur mon cul pour voir si ça fait de la musique et attachez vos ceintures, on part. Dieudo dit, la bouche en cœur:

Le Sionisme a tué le Christ. C’est le Sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain. C’est comme ça qu’est définie, en fait, Marie. Alors que, dans l’Islam, il y a un respect. Non seulement un respect mais Jésus annonce la venue du Prophète.

(055 — 1:11)

Mais elle est où ta faconde irrévérencieuse là, mon Dieudo. Tu sonnes comme une petite vicairette émasculée, tout à coup, de t’offusquer que Marie aie pu un peu se faire du bon temps, dans cette chienne de vie, la pauvresse, là (tu cites pas les sources de ton développement fumeux et imprécis sur Marie. Tant pis. C’est pas mon affaire. Tant qu’à délirer, hé). C’est ton fond colo chrétienne gentille qui remonte là? Tué le Christ…  Il y a un respect… Mais ton Christ, j’en ai rien à cirer, gars. Je lui pisse à la raie, ton Jésus, tu vois. C’est du délire irrationnel vieux chnoque que tu nous susurres là. Ça a mais rien de rien à foutre dans l’espace politique, tout ça. Et ton respect, je le tringle. Bon, les musulmans parlent de Jésus, c’est pas un scoop, figure toi, on le savait. Mais qu’est-ce que ça à voir avec nos crises sociales actuelles, ça, avec la lutte contre le système, pour reprendre ton mot? Délire religieux de vieille calotte onctueuse, mon vieux. Vide de sens intellectuel, pur. De la radote de bénitier. Le sionisme (le vrai petit sionisme politique et historique, pas ta grande gadoue obscurantiste fantasmée, là) a tué des palestiniens, point, gars. Réveille-toi. Soigne toi, hé, tu es malade. Mais Dieudo poursuit:

Les chrétiens ont été déjà dépouillés de leur religion. On… On a… les églises se sont vidées. Le Sionisme, partout où il arrive, tente déjà d’enlever les valeurs morales du pays. Et puis ensuite, l’Islam est arrivé, ce vent qui arrive et qui libère en fait les populations. Et c’est pour ça que de plus en plus de gens vont vers l’Islam.

(1:51 — 2 :22)

Oh mais, le mec. Ça va pas, la tête! Tu vas me raconter que les juifs (ou qui que ce soit en l’occurrence — c’est parfaitement conspiro de prendre la déréliction pour une astuce mitonnée par des «décideurs», peu importe lesquels) m’ont dépouillé de «ma» religion. Mais «ma» religion, je l’ai jetée moi même aux orties, mon gars, figure toi. Et dans un grand mouvement sociétal progressiste que je valorise encore, tu vois. Et j’ai vraiment pas besoin de toi pour la ramener, dans tous les sens du terme. Et je la remplacerai jamais par une autre, surtout pas dans le champs politique, ça c’est moi qui te le dis. Dans l’Islam, il y a un respect… Pas pour les athées, le respect, hein, ni pour les femmes non-patriarcales. J’ai pas besoin d’épiloguer. Ce vent qui arrive et qui libère… Quoi? Mais tu bascules dans le lyrisme gaga et complètement mou du calecif, mon pauvre. Le vent de tes vesses qui libèrent tes boyaux pourris, oui. Comme tu le dis si bien à un peu tout le monde par les temps qui courent: ferme ta gueule. Tu suçotes la fissure de cul de ce journaliste iranien là et, je te le dis, c’est carrément indécent. Tu fais tout juste ce dont tu accuses tous les autres licheux télévisuels. Ferme-la. Fous-nous la paix. Et Dieudo, impavide, dit finalement:

Et c’est ça la force de l’Islam. C’est qu’il semblerait qu’avec le temps, le message originel est garanti. Et c’est pour ça que d’ailleurs ici [en Iran], le pouvoir est bicéphale. Il y a d’un côté les politiques. Et d’un autre côté, on a les sages qui observent et qui donnent leur avis. Malheureusement, tout ça, en France, ça n’existe pas.

(2:58 — 3 :13)

Hein! Le message originel? Quel message originel? Tuez les athées, les femmes insoumises et les juifs? Il est philosophique (sage?), ou politique, le message? Quoi? Quoi?  Les sages qui observent en Iran? L’apologie de la théocratie autoritaire iranienne maintenant? C’est ça le modèle politique qui dansotte au bout de ta quenelle, là? Ben, mon gars, je te dis: non merci. Je te dis que t’es en train de tenter de nous en enfiler toute une. Je te sens pas, là et c’est pas bon signe. Et tu mens, tu mens, dans ce flagornage stérile et vide de ton chrétien fondamental par ton musulman fantasmé. Lit le Coran un petit brin, gars. Ça va te décrasser. Il louvoie pas comme toi, le Coran, tu vois. Texte moyenâgeux sans complexe, il assume son intolérance et il contredit ouvertement l’abbé Dieudo. «Ô, vous qui croyez! Ne prenez pas pour amis les Juifs et les Chrétiens; ils sont amis les uns des autres.» (Sourate V, verset 51). Vlan, et tu l’as dans le cul. Mais alors, tu racontes absolument n’importe quoi pour endormir les gogos, mon minus. Tu perds ton temps et le mien dans tes circonlocutions semi-légendaires de théogonardise de faux syncrétisme de merde, c’est pas croyable. C’est à halluciner.

Aussi, je te dis ceci, pour conclure sur toi et ta mouvance puante et délirante, cher Dieudo. Les conneaux que te traitent en bouc émissaire «humoristique» (pour pas faire face au mouvement sociétal, malsain mais crucial, que, tristement, tu révèles) et qui fantasment de te bâillonner (pour bien se voiler la face) par des astuces juridiques toujours contournables et par des amendes que tu paiera pas, eh ben, eux aussi, ils perdent leur temps et le mien. C’est ton public cible de musulmans français, de noirs de seconde génération et de facho blancs, tous éclectiquement et fortuitement réunis, qui va te péter dans le visage et te pulvériser la gueule, quand l’incompatibilité fondamentale des particules de haine et de déboussolement que tu comprimes dans tes théâtres vont se pénétrer véritablement l’une l’autre et toucher l’étincelle lumineuse de ta pauvre toute petite pensée inane et tant tellement vieillotte. Patatras! Pulvérisé par ses propres chalands, antinomiques, braqués et irréconciliables, le Dieudo. [Rire gras à la Dieudo. Il riait souvent de ses propres boutades, de son rire faussement copain et assez communicatif.]

Le vieil obscurantisme entre-deux-guerres occidental, ouf et re-ouf, on a vraiment pas besoin de l’Iran ou de qui que ce soit d’autre dans le genre, pour venir nous le re-seriner, avec en courroie de transmission, en prime, Dieudonné. Les morts ont enterré les morts qui sont issus en pagaille de tout ça. Foutez-nous la paix, une bonne fois avec vos résurgences cent fois re-maculées et médiatisées (y compris a contrario — ceci NB). Laissez nous vivre un peu. Il est plus que temps qu’on cesse de faire de la politique avec la religion. Il n’en sort jamais rien de bon. Et ça, ben, là, on s’entend tous pour dire que Dieudonné et l’Islam ont en commun de douloureusement le confirmer et le reconfirmer.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Religion et morale… encore un mot, si vous me permettez

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2021

Le dieu-morale est une fiction anthropomorphe (pour ne pas dire: andromorphe)

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Un argument qu’on entend constamment de la part des théogoneux contre l’athéisme a à voir avec la ci-devant dimension morale de la religion. Selon cet argument, du reste assez éculé, religion et morale seraient intimement connectées et l’athéisme serait soit immoral, soit amoral, ou encore il manquerait tout simplement de la décence la plus élémentaire. Cet argument d’une synonymie quasi complète entre athéisme et dépravation est souvent répété, en ritournelle, de façon un peu mécanique, sans que les implications philosophiques qui le sous-tendent ne soient regardées avec le sérieux requis. On va en dire encore un mot ici car il s’agit-là d’une conception à la fois bien mal contestée et faussement évidente. Et la chose révolte suffisamment l’entendement athée pour que, la mort dans l’âme, je me sente obligé d’y revenir.

La question de savoir s’il y a un raccord automatique entre religion et morale est une histoire assez ancienne mais qu’il serait, quand même, abusif de qualifier d’insondablement séculaire. En réalité, les enjeux de cette question prennent corps plus précisément au moment de la lente mise en place du monothéisme. Il ne s’agit pas ici de reprendre toute cette problématique mais simplement de bien insister sur le fait que les religions les plus moralisantes, les plus susceptibles de formuler des exigences comportementales et éthiques de la part de leurs religionnaires, sont les monothéismes. Dogmatisme religieux, exclusivité de l’unicité divine, et rigorisme moral se sont un jour rencontrés et s’accompagnent depuis lors. Les monothéismes sont en effet directement chevillés à l’existence d’une autorité, religieuse et/ou politique, dont la priorité est de régir les comportements des religionnaires. Ces derniers peuvent en venir graduellement à être considérés comme des nationaux, des citoyens, des compatriotes, à mesure que les grandes étapes historiques se déploient. Mais elle perdure de façon tenace, la volonté sourde et vieillotte de les maintenir soumis à un roi et à une foi.

Alors regardons un petit peu cette question de l’identification intempestive entre religion monothéiste et morale. Ce qu’il faut observer attentivement et que les théogoneux devront admettre, s’ils cultivent cet argument moralisant, c’est qu’on est ici dans une situation d’instrumentalisation autoritaire de l’être suprême. Dans cette mise en place du dieu-morale, l’être suprême, nécessairement anthropomorphe (et même carrément andromorphe), apparaît comme une autorité omnisciente, omnipotente, dotée, donc, d’une capacité de surveillance maximale. C’est le grand frère en quelque sorte, ou le père, qui commande et maintient en sujétion une piétaille irresponsable, implicitement brouillonne et potentiellement trublionne. On comprend parfaitement que ce genre d’être suprême pourra très facilement, dans cette conception largement infantilisante de la religiosité, apparaître comme le dépositaire exclusif des comportements moraux. En effet, ce qu’on observe ici c’est la mise en place où la perpétuation du dieu patron ou du dieu gendarme, autrement dit d’un être suprême dont la capacité à avoir bien en main l’intégralité des comportements des religionnaires fonctionne comme garant du moralisme revendiqué par les théogonies monothéistes.

Prenons un exemple. Il sera musulman en l’occurrence mais la situation concrète est loin d’être une exclusivité musulmane. Nous voici aux environs de l’an 900. Un marchand arabe approche tout doucement son navire des côtes d’un territoire qui sera un jour le Pakistan. Il rencontre un personnage local et se met à discuter commerce avec lui. Notre marchand arabe a besoin de se ravitailler, vu qu’en fait il se rend encore plus loin, vers l’Asie extrême-orientale nommément, genre en Indonésie ou quelque chose comme ça. Pour sa part, notre pakistanais (nous l’appellerons ainsi par commodité) observe que ce batelier marchand a de magnifiques objets à vendre ou à échanger, des soieries, des parfums, des métaux précieux, des outils, des armes. Le contenu de ce navire fin et élancé apparaît comme parfaitement mirifique. La discussion commerciale s’engage. Or, à un certain moment, le marchand arabe, qui veut, lui, récupérer des viandes salées, du blé, des légumes, et autres denrées alimentaires, pour pouvoir continuer son voyage, tient au pakistanais des propos insolites. Il lui dit des choses comme: mais là attention, tu ne dois surtout pas me tricher sur les quantités car, tu sais, Dieu nous voit. Il observe tout ce qu’on fait. Oh, mon petit dieu statuaire, Bouddha ou Ganesh, c’est selon, est planté à la périphérie du village et il ne discerne rien de ce qui se passe ici, lui répond le pakistanais, qui est un idolâtre assez vague et peu soucieux de corrélation entre sa divinité et une éventuelle moralité du commerce. Le marchand arabe se rembrunit: quoi, tu n’adhères pas aux vues selon lesquelles il y a un Dieu unique, omniscient et omnipotent? Alors bon, attention, là les copains, on remballe tout. Je fais pas affaire avec des mécréants qui ignorent la surveillance que Dieu, unique et omniprésent, exerce sur le sain commerce. Notre pakistanais, qui ne veut pas perdre l’affaire, dit alors: non, attention, houlà, faut pas le prendre sur ce ton-là. Calmons-nous, discutons. Qu’est-ce que c’est que ce Dieu? Parle-moi un peu de Lui, ça m’intrigue… Notre pakistanais se dit bien qu’un personnage avec un navire aussi performant et des marchandises aussi somptuaires bénéficie certainement des avantages que fournissent certaines accointances surnaturelles, alors, bon, il faut voir. Notre arabe explique que, oui. Dieu, dont le prophète Mahomet est l’ultime messager, existe pour tous et… etc… Le pakistanais dit: je vois, je vois… donc un Dieu unique, omniprésent, scrutateur, et qui gère et assure l’intendance de tous nos comportements, incluant naturellement le bon commerce. Mais alors, dit toujours le pakistanais, et votre système de castes dans tout ça? Et l’arabe répond: système de castes?… je comprends pas trop ce que tu me marmonnes-là. Bien oui, tu sais, la séparation obligatoire des différents groupes humains et leur soumission servile et éternelle aux autorités aristocratiques? Non, non, c’est de la superstition brahmanique, ton affaire, là, ça fonctionne pas comme ça. Nous sommes tous identiques devant Dieu et si tu vas prier à la mosquée, tu peux parfaitement prier à côté d’un grand chef de guerre ou d’un riche marchand et tout fonctionnera parfaitement. On ne se soumet qu’à Dieu, pas aux humains ou à leurs castes. Il y a pas de castes, en fait. Tout le monde est égal devant Dieu. Le pakistanais trouve tout cela vraiment très intéressant, tant théologiquement que sociologiquement, si on peut dire. Et, de fil en aiguille, finalement, notre futur converti comprend que s’il veut pouvoir continuer d’avoir des transactions commerciales avec un marchand arabe qui pourrait parfaitement aller accoster et négocier ailleurs, il se doit de rencontrer ses priorités religieuses, au demeurant passablement transversales, souples et plutôt simples. Lesdites priorités religieuses sont intimement chevillées aux contraintes morales du voyageur de commerce monothéiste. Dieu nous voit. Il est donc l’arbitre implicite et omnipotent du bon marchandage.

C’est assez tôt, dans ce qu’il convient d’appeler l’Histoire universelle, que la corrélation entre religion monothéiste et moralisme s’est mise en place. Bien évidemment, il faut comprendre que ce genre de représentation philosophique fonctionnait parfaitement dans une dynamique moyenâgeuse, où les rapports de force étaient très aigus, les conflits locaux fréquents, la ripaille et les pillages habituels, et où quiconque rencontré sur le chemin ou sur les mers apparaissait comme un ennemi potentiel. Inutile d’insister sur le fait que nous fonctionnons de nos jours dans une société beaucoup plus profondément organisée et implicitement policée. Le principe qui persiste cependant ici est bel et bien que le théogoneux contemporain établit une fusion rigoriste, vermoulue, et non questionnée entre autorité divine et morale. Autrement dit, la bonne morale ronron fonctionnerait parce qu’un grand contrôleur universel veillerait sur nous et verrait à régenter ce qui se passe.

Implacablement, les impairs factuels, les manifestations flagrantes d’incompétence divine et les incapacités effectives de cet être fictif à régenter réellement les comportements moraux ont trouvé des explications lourdes, tortueuses et lentes, au fil des siècles. On parla de punitions, de mansuétude, de miséricorde, de fatalité du mal, de voies divines tortueuses et impénétrables, de tout ce qu’on voudra. Le principe stable était que, dans le regard de l’héritage religieux, nous n’adoptons une attitude morale que parce que nous sommes régentés par une instance surnaturelle. Il s’agit en fait d’une morale transcendante, au sens où la morale nous est imposée de l’extérieur par une puissance abstraite, définie axiomatiquement, et à laquelle on ne peut ni confronter notre regard critique ni échapper. Il faut se soumettre. Et, pour sûr, ceux qui profiteront maximalement d’un tel dispositif moral seront nul autres que les porte-paroles, autoproclamés et hargneux, de cette puissance tutélaire aussi lourdingue que non-étayée.

L’objection fondamentale à cette explication sommaire de la moralité par une surveillance divine réside dans l’attitude civique de la pensée athée. La pensée athée, dans son émergence historique au cours des derniers siècles, accompagne les grands mouvements sociaux révolutionnaires, réformistes, progressistes. Le résultat intellectuel et moral de ces immenses développements historiques en vient, par bonds, à émietter la croyance en une autorité transcendante, en charge de monter la garde, au nom d’une espèce de gendarmisme éthéré et diffus. La morale religieuse à l’ancienne finit remplacée par une moralité immanente émanant implicitement du monde social même. On a bel et bien affaire ici à la confrontation finale entre la morale venue du ciel et la morale jaillie de terre. Et, sur cette question, quoi qu’on veuille en penser, le choix de l’Histoire mondiale est clairement fait.

Je tiens à dire à mes compatriotes de toutes croyances religieuses: s’il vous plaît, une bonne foi(s), cessez de nous casser les oreilles avec votre conception archaïsante de la morale. Du fait d’être religieux, vous n’avez pas le monopole de la sensibilité éthique. Au contraire, vous avez surtout le monopole d’un certain autoritarisme abstrait et d’une certaine légitimation de vos propres croyances locales par un être suprême fictif, qui sert en fait de caisse de résonnance à une vision du monde qui est, d’autre part, aussi ordinaire et terrestre que la mienne. Il est de plus en plus urgent de retirer la question du débat moral de celle du débat religieux. Ces deux problèmes sont des problèmes séparés. Et la question philosophique de savoir si oui ou non (en réalité: non) un être suprême, diaphane et spirituel, a créé le monde matériel et en assure la cohérence doit être posée en termes ontologiques et non axiologiques. Il faut formuler cette question de façon rationnellement spéculative et à l’exclusion de toutes considérations de pragmatique morale. Il faut impérativement remplacer la question est-ce que dieu est une bonne chose? par la question est-ce que dieu existe? Que voulez-vous, redisons-le: l’Histoire a tranché. Les questions morales sont désormais assumées par les lois mais surtout par un consensus collectif de rigueur civique qui, malgré les hauts cris de certains thuriféraires de la régression mentale à tous crins, progresse et prend de plus en plus une dimension planétaire. Oui à la morale immanente. Non au dieu transcendant. Continuons de rester calmes et de discuter ces questions sans s’énerver. Après tout, toutes ces abstractions et ces élucubrations légendaires, intellectuellement héritées, ne valent vraiment pas la peine qu’on en vienne aux mains.

En somme, ce que je tiens à dire fermement à mes vis-à-vis religieux, c’est que l’athéisme n’est pas une immoralité. Il y a une moralité athée et cette moralité est civique. Elle est immanente. Elle est implicite. Elle est collective. Elle est évolutive. Sa qualité de rationalité supérieure réside dans le fait de ne pas requérir le gestus fallacieux du grand gendarme universel, du pion de collège cosmologique toisant, en ronchonnant, des enfants turbulents et sans conscience articulée. La moralité athée, comme résultat de l’organisation de la riche et complexe vie sociale contemporaine, c’est le mode de vie éthique du présent et de l’avenir.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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COMMENT JE SUIS DEVENU MUSULMAN (Théâtre du Rideau vert, Septembre 2019)

Posted by Ysengrimus sur 21 septembre 2019


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On va d’abord poser nos protagonistes. Ysengrimus (votre humble serviteur, 61 ans), Reinardus-le-goupil (son fils), la Dame à la Guitare (épouse de Reinardus) et Clef de Sagesse (grande amie de l’épouse de Reinardus). Ces trois jeunes gens (26 ans en moyenne) ont eu la gentillesse de m’inviter à auditionner la pièce de théâtre Comment je suis devenu musulman de Simon Boudreault, au Théâtre du Rideau vert (Septembre 2019).

Comprenons bien maintenant l’armature philosophique et intellectuelle du solide petit quatuor critique qui s’est mis en branle ce soir là, au milieu des spectateurs du grand dispositif scénique historique de madame Filiatrault. Clef de Sagesse et la Dame à la Guitare sont toutes les deux des kabyles algériennes de seconde génération, étudiantes au second cycle en Science Santé. Reinardus-le-goupil, étudiant à Polytechnique, est un athée explicite fraîchement islamisé pour fins maritales (il vient de convoler avec sa douce moitié). Quant à Ysengrimus, votre humble serviteur, il reste le modeste auteur de l’ouvrage L’Islam, et nous les athées, présentation critique de la culture musulmane ayant les occidentaux rationalistes pour lecteurs cibles. Reinardus-le-goupil me glisse à l’oreille, juste avant la levée du rideau: Ce sont mes beaux-parents qui m’ont recommandé ça… à cause de la similarité de situation entre le principal protagoniste et moi. Je ne sais pas du tout ce que ça vaut. Si ça se trouve, c’est nul. La dent scintillante, je lui réponds: même nul, ça promet d’être sociologiquement hautement intéressant. Et le spectacle démarre.

Que dire. L’intention est bonne. L’effort est louable. L’écriture et la conception sentent un peu la lampe mais elles ne sont pas exemptes de mérites. La mise en scène est imaginative et enlevante et la distribution est parfaitement satisfaisante. Il y a incontestablement de bons moments et ce, tant pour les théâtreux que pour les philosophes (le quiz comparatif de l’image de la femme dans les grandes religions est dévastateur. Les numéros promo-gadget de l’historique du Frère André et de l’agence de voyage des pèlerinages sont savoureux). Malgré les réserves que je vais devoir malheureusement formuler, ce spectacle, marrant et —redisons-le— bien intentionné, vaut incontestablement le détour.

Jean-François (Jean-François Pronovost), québécois du cru, catholique non pratiquant et athée de fait, et sa conjointe Maryam (Sounia Balha), musulmane culturelle d’origine marocaine, attendent un bébé. Les voici donc qui jonglent, sans enthousiasme réel, avec l’idée de se marier. Se profilent alors deux univers. L’univers de la certitude contrite des obligations maritales, le papa (Belkacem Lahbaïri) et la maman (Nabila Ben Youssef) de Maryam. L’univers de l’aquoibonisme occidental en déréliction avancée quoiqu’incomplète, nommément le papa (Michel Laperrière), fidéiste vieux genre, et la maman (Marie Michaud) agnostique et cancéreuse, les parents divorcés de longue date de Jean-François. On nous sert alors le tourbillon habituel des comédies de boulevard, dans une version rencontre des cultures. Dans le contexte d’explosions émotives type des situations pré-maritales de tréteaux, tout le monde se met à débloquer et à se lancer dans les grandes mises au point champion d’usage. L’intensité joue d’excès. Le programme critique mobilise la caricature. C’est ici que le risque s’installe. Le beau risque? Voire. Le risque, en tout cas.

C’est que la caméra, la tête de lecture, est tenue par l’homme occidental. Lapidaire, Reinardus-le-goupil dira, un peu plus tard: ça reste un show de blancs. Et pourtant cette caméra, cette lecture, cette écriture se veulent équilibrées, symétriques et omniscientes. Qu’en est-il? De fait, le spectacle donne à voir une schématisation accusée de la culture québécoise, pognée entre ses références catholiques lourdingues et vieillottes et une déréliction aussi galopante que mal dominée. Ça ne passe pas toujours. C’est parfois trop gros. Mais Ysengrimus, 61 ans, sait faire jouer le filtre et ne craint pas de se faire fourguer, sur son propre bagage ethnologique, de la soupe de stéréotypes (sauf que, qu’en est-il de la perception de ses trois jeunes hôtes?). Et, d’autre part, on nous montre aussi, comme au premier degré, des femmes musulmanes entre elles (notamment pendant le hammam… ça, monsieur Boudreault, ça s’appelle une prosopopée et c’est toujours, oh, oh, hautement risqué), ou encore la famille musulmane (de souche marocaine) dans son intimité. Les débats y font rage. On découvre un univers tendre et intense mais dévoré par le conservatisme et ravaudé par les contraintes de conformité sociale. Un univers des apparences. Qui se soucie de la vérité? dira à Jean-François, son nouveau beau-père. Et Jean-François, poussant des rideaux pour tenter de voir sa promise en habit de mariée se fait gueuler dessus en arabe par des femmes que l’on ne voit pas. Qui sont-elles? Existent-elles réellement dans le monde réel, celui du réel?

Au sortir de la pièce, je me suis tourné vers la Dame à la Guitare et Clef de Sagesse et je leur ai dit directement: Mesdemoiselles, mon jugement final sur ce spectacle va dépendre de vous. Sur tout le segment concernant la culture musulmane, je suis totalement dans le noir. Que me sert-on ici exactement: du truculent ou du stéréotype? La réussite ou l’échec de ce genre d’exercice se joue sur ce point-là et sur aucun autre, dans mon regard. Car les hypertrophies caricaturales présentées au sujet de la culture québécoise, je sais parfaitement les discerner et les dominer. C’est le traitement de la culture musulmane qui est en jeu ici, pour moi. Sur toutes ces questions sensibles, je n’ai vraiment pas envie de me faire servir un Minstrel Show. Clef de Sagesse m’a alors demandé: Qu’est ce que c’est que ça? Ma réponse: Tu sais, une roulotte de saltimbanques où des acteurs noirs, ou pire des acteurs blancs peints en noir, sautillent et nous re-servent à nous blancs, la confirmation de nos stéréotypes de blancs sur les noirs. Le beau visage de Clef de Sagesse s’est alors rembruni.

Et mon échantillon sociologique s’est alors fragmenté. Sans hésiter, Clef de Sagesse annonce qu’elle considère que le traitement des principaux traits de la culture musulmane a été trivialisé, esquissé sur un ton toc, superficiel et exempt d’analyses effectives. Elle citera notamment l’explication que le père de Maryam produit de la signification du pèlerinage à la Mecque, ramené, assez grossièrement effectivement, à quelque chose qui coûte vachement cher et est donc sensé livrer une rédemption efficace et indubitable de tous les péchés, quelle que soit leur gravité. Le cheminement intérieur associé au pèlerinage et sa signification profonde sont perdus, dira Clef de Sagesse. Je me suis senti insultée. La Dame à la Guitare, plus critique de son héritage culturel, signalera quelques bons moments, notamment les engueulades anti-patriarcales de Maryam avec son papa. La Dame à la Guitare dira avoir eu mille fois ce genre d’empoigne avec son propre paternel. Mais elle rejoindra Clef de Sagesse sur le point du charriage et de la superficialité des comportements et des idées et déclarera, elle aussi, avoir senti qu’on se payait sa poire ou l’insultait un peu, par moments. Inutile de dire, les petits amis, que l’analyse de ces deux personnalités intelligentes et nuancées tue cette production raide à mes yeux. Il va sérieusement falloir revoir la copie, monsieur Boudreault. Les humains ne sont pas des marionnettes.

Reinardus-le-goupil n’est pas resté en retrait. Après tout, bondance, ceci est censé raconter son histoire, articuler son regard, du moins partiellement… Athée, bien athée, élevé dans un cadre athée (et certainement pas «non pratiquant» de quelque culte culturellement transmis que ce soit), mon goupil est resté insatisfait face à cette présentation tronquée et courtichette du jeune athée virulent et compulsif qui ne croit en rien (foutaise canonique sur l’athéisme), n’a pas fait la synthèse, et apparaît plus comme un iconoclaste mouche du coche picossant au talon les grandes religions plutôt que comme l’agent puissamment relativisant et historicisant qu’il est effectivement. Ici aussi, l’athée est caricaturé, trivialisé. Il est traité de façon grossière et simpliste. Il n’est pas analysé. Je seconde Reinardus-le-goupil entièrement sur ces points.

On s’efforce de renvoyer les religions dos à dos, en méthode, mais au bout du compte, c’est encore l’athéisme qui y perd. La Dame à la Guitare nous fournira la conclusion synthèse la plus juste. Le fait de caricaturer et de miser sur les effets dramatiques de l’excès a eu un coût pour tout le monde. Toutes les cultures se sont trouvées esquissées à gros traits et personne n’y a finalement vraiment trouvé son compte. Je donne 7/10 pour l’effort et les bonnes intentions mais je me demande quand même… à part m’avoir un petit peu amusé et diverti, qu’est ce que ce show m’apporte, au bout du compte?

Perso, je crois que ce show pétri de bonne conscience vise discrètement à rassurer les occidentaux (ici, les québécois) à propos des immigrants musulmans. Si vous allez voir cette pièce de théâtre, écoutez attentivement l’accent de Maryam. Cette jolie marocaine, très typée arabe (et jouée superbement), parle français comme une québécoise de souche. Elle a la langue d’une pure laine intégrale. Le message est bien là, latent, gentil-gentil, imperceptible mais net. Bien de chez nous, surtout. La superficialité en est la clef. Vous énervez pas trop le poil des jambes avec nos immigrants musulmans. Ils vont peut-être nous islamisouiller un peu, comme ça, à la surface des choses, pour rencontrer leurs propres contraintes de conformité ridicules et vieillottes… mais au fond, c’est nous qui allons bel et bien les assimiler, à la fin de la course. Écoutez et observez attentivement Maryam, la seule immigrante de seconde génération de tout cet opus, ce sera pour constater que c’est une québécoise, maritalement, comportementalement, idéologiquement et discursivement, pleinement convertie et que sa culture marocaine, elle n’en veut plus vraiment. Une autre victoire pour la bonne vieille ligne doctrinale du Théâtre du Rideau vert.

Mon échantillon sociologique, jeune, tonique, brillant, autonome et sourcilleux, ne rencontre ce programme que fort imparfaitement. Enfin, la barbe un peu aussi. Qui veut se faire assimiler, finalement? Pas les québécois ou les québécoises, en tout cas. Or, sur ce point, nous sommes TOUS ET TOUTES québécois et québécoises ici… Poils aux sourcils…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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La laïcité, otage de notre ethnocentrisme

Posted by Ysengrimus sur 7 avril 2019

Le projet de loi 21 sur la laïcité est sur le point d’être soumis â l’Assemblée Nationale du Québec. Il prévoit que le port des ci-devant signes religieux sera interdit pour les employés de l’état en position d’autorité, comme les policiers, les juges, les gardiens de prisons, et les enseignants des écoles primaires et secondaires. Dans les faits, c’est le redémarrage en trombe du bon vieux harcèlement institutionnalisé des femmes voilées. Les 7 du Québec vont vous formuler ici, une bonne fois, leur position éditoriale sur cette question.

Lâchez-moi avec les figures d’autorité. Ce projet de loi inique postule de façon axiomatisée et sans contrôle, la notion autoritaire de figure d’autorité. Le pléonasme s’impose parce que l’autorité est une notion qu’il est fort malsain de postuler sans contrôle. Un policier n’est pas une autorité pour moi. C’est un type particulier de fonctionnaire civil, membre d’un corps constitué et chargé d’un certain nombre de fonctions de protections (d’ailleurs souvent abusées — les policiers sont les Pinkertons de la bourgeoisie, tout le monde le sait). Un juge est un agent de diffusion et d’imposition du droit bourgeois. Son pouvoir n’a rien à voir avec de l’autorité, au sens fondamental du terme. Une enseignante fait partie d’un appareil idéologique d’état dont l’autorité est inexistante (barouettée qu’elle est entre une bureaucratie scolaire trouillarde et des parents hélicoptères arrogants et arrivistes qui passent de plus en plus leur commande de pizza en traitant l’école comme une sorte de structure de gardiennage inféodée à leurs propres fantasmes autocrates). Mon hygiéniste dentaire, mon infirmière de première ligne et Robert Bibeau (directeur des 7 du Québec) ont plus d’autorité sur moi que tous ces guignols. La première parce que sa parole a une influence directe sur la qualité de mes dents, la seconde parce que sa pensée a une incidence profonde sur le tonus de mon corps, le troisième parce que sa vision du monde et son ascendant intellectuel influent mes conceptions, et mon action en conséquence. La notion inepte de figure d’autorité de ce projet de loi est un comédon bourgeois, solidement tributaire des dérives anti-démocratiques contemporaines les plus virulentes.

Le signe religieux, notion vaseuse. J’ai démontré ailleurs que le voile n’est pas un signe religieux. J’ai aussi fait observer que le kirpan est, lui, un signe religieux et qu’il est nuisible non comme signe religieux mais bien comme arme offensive. On ne va pas revenir là-dessus. C’est ici, juste ici, que notre ethnocentrisme s’installe confortablement, comme un pacha vautré sur son lit d’évidences bouffies. Sans analyse, ethnographique, historique ou autre, et du haut de notre chaire bien pensante de petit occidental étroit, on décrète implicitement que l’objet visible ceci ou cela (toujours d’origine exotique — ceci NB, les crucifix passent habituellement sous le radar) est un signe religieux. Pourtant, quand on donne vraiment la parole aux musulmanes, elles nous expliquent bien souvent que le voile est porté pour des raisons ethnoculturelles procédant assez fréquemment de la pudeur élémentaire. Mais nous, sourds ne voulant rien entendre, on décrète plutôt, dans le mouvement, le statut de signe de ces différents artefacts vestimentaires. On les traite alors comme on traiterait le macaron d’un militant politique ou la pancarte d’un homme-sandwich. Cettte sémiologisation de l’exotisme vestimentaire est un pur ethnocentrisme déguisé, rien de plus. On en revient, assez ouvertement, à la vieille logique de l’uniforme. On réintroduit des particularités unilatérales de conformité d’apparence, vieille lune réactionnaire que l’on croyait définitivement disparue de nos sociétés depuis les patatras juvénilistes des belles années yéyé. Nous sommes donc en train de solidement régresser sur un des droits de la personne le plus profond, celui de la tenue vestimentaire, qui procède de l’intimité corporelle longtemps, très longtemps avent de procéder des cultes. L’indice le plus criant qu’il n’y a rien de théologico-mystique dans tout ceci et que tout y procède en fait de la vie ordinaire la plus prosaïque, est révélé par le fait que ce sont principalement les femmes qui font l’objet d’attaques sur ceci. Ben oui… dans nos cultes patriarcaux malodorants, les femmes ne sont jamais des curés ou des imams, vous aviez pas remarqué? Elles ne sont jamais que des citoyennes ordinaires. Et, de tous temps, la résistance des femmes s’est manifestée dans l’intendance de leur apparence physique. Et de tous temps, elles ont été attaquées sur ce point par le phallocratisme classique. Ce type d’attaque et de traitement en bouc émissaire se perpétue aujourd’hui, tout simplement. Or, où sont nos féministes quand il s’agit de défendre le libre arbitre vestimentaire de nos compatriotes musulmanes?

Blâmer le Canada anglais. Nos compatriotes québécois du cru, eux, surtout ceux d’obédience droitière, se gargarisent dans les nuances byzantines du multiculturalisme et de l’interculturalisme. Cette distinction, creuse et verbaliste, est un moyen malsain pour nos compatriotes du cru d’accuser le Canada anglais d’être trop permissif et de nous imposer un laxisme communautariste que serait anglo-saxon, et dont nous ne voudrions pas, par essence. C’est la vieille analyse voulant que le Canada anglais se serve perfidement des immigrants pour nous assimiler et nous emmerder. Il va falloir se réveiller et sortir un petit peu de nos lubies victimaires d’autrefois. L’occupant colonial canadien (copieusement méprisable d’autre part — là n’est pas la question) nous impose quoi finalement: une charte des droits assortie d’un solide mécanisme de clause dérogatoire. Ce mécanisme permet, sur des questions fondamentales, à une province de déroger de la charte des droits pour des raisons procédant, disons, des intérêts supérieurs de la nation (ici, la nation québécoise). La clause dérogatoire est ici automatiquement déclenchée au sein même du libellé du projet de loi 21. Autrement dit, le toutou rouge et blanc anglo-canadien va devoir rester à la niche et ne pourra pas nous imposer sa logique multiculturaliste disjointe de la nôtre (si disjonction il y a, tant que ça). Alors cessons de blâmer le Canada anglais. Il est hors du coup sur ce coup. Par contre, nos nationaleux petits-bourgeois vont devoir allumer leurs lumières sur un point. C’est que le Québec a, lui aussi, sa propre charte des droits fondamentaux, amplement singée sur celle du Canada anglais. Dans sa logique bourgeoise, aussi implacable qu’inepte, la nation québécoise ne pourra pas invoquer une clause dérogatoire contre sa propre charte des droits. C’est pas possible, c’est la nôtre, l’occupant colonial n’a rien à y voir. Et ça, le gouvernement québécois ne le dit pas trop fort. Les lamentations judiciaires (car lamentations judiciaires il y aura, sur le moyen et le long terme) n’auront qu’à s’appuyer sur une interprétation juridique de la charte québécoises des droits et libertés, sans que les anglo-canadiens n’aient rien à y voir. Le problème droit-de-l’hommiste de toute cette question reste donc entier. Même avec le Canada anglais hors du coup, la bombe à retardement des tribunaux reste entièrement amorcée.

Déréliction ou polarisation? Alors, revenons au hockey de base, comme on dit si bien chez nous. Que voulons-nous, dans toute cette histoire? Ethnocentrisme et malhonnêteté intellectuelle à part, à quoi aspirons-nous? Eh bien, notre petit consensus historique local est qu’on s’est assez fait mourir le cœur à sortir les curés du Québec (qui régnèrent, selon le modus vivendi d’une intendance théocratique coloniale typiquement victorienne, de 1840 à 1960), c’est pas pour laisser les mollah les remplacer. Ce qu’on veut, ce qu’on souhaite donc, c’est que notre déreliction sociétale, bien engagée depuis un demi-siècle, poursuive son cours tranquillement, sans se faire perturber par les effets indésirés d’une conjoncture migratoire. Il est important de comprendre ce point. Ceci n’est pas une croisade. La notion promue (hypocritement ou sincèrement) c’est la notion de laïcité, pas celle de christianité. Alors, on veut que tout le monde, immigrants inclus, découvre les vertus d’une civilisation permissive, non-cœrcitive, égalitaire, civique, et articulée en rationalité. Ce genre de programme civilisationnel (osons le mot), militant (pourquoi pas) doit se donner une méthode. Il faut, en un mot, que, graduellement, et par delà les réflexes autoprotecteurs typiques des diasporas déracinées, nos compatriotes de branches aient envie d’embrasser nos valeurs pluralistes et laïques, sereinement et sans crispation. Pensez-vous vraiment, en saine intendance, qu’une intervention autoritaire grossière et frontale de type projet de loi 21, va réaliser cet objectif? C’est de la bien mauvaise sociologie que de s’imaginer ça. On va tout simplement fabriquer des martyrs, et confirmer nos compatriotes de branches de la nécessité toxique et hautement malsaine d’invoquer l’autorité victimaire. On voulait la déreliction sereine et graduelle, on va se retrouver avec la polarisation abrupte et crispée. Ainsi, une portion significative de nos compatriotes qui auraient pu s’intégrer sans trompettes vont maintenant se braquer et résister, passivement ou activement, à notre vision du monde. C’est la perpétuation de l’Effet Drainville. Les extrémistes des deux bords vont adorer le projet de loi 21. Sa méthodologie déficiente va avoir l’effet contraire de ce qu’il affecte de souhaiter. On se prépare un bon lot d’emmerdements futurs et de radicalisations inutiles, évitables, pinailleuses, et non avenues. Il aurait fallu faire de l’extinction sur la question du voile. Il aurait fallu dire: je ne suis ni pour ni contre le voile, je suis pour le libre arbitre authentique. Ma compatriote musulmane veut garder son voile, elle a ma solidarité. Elle veut retirer son voile, elle a ma solidarité. Je l’accompagne patiemment et respectueusement dans sa réflexion intérieure, dans un sens ou dans l’autre, sans plus. Maintenant, on tourne le dos à ça. Maintenant, on prétend arracher le voile autoritairement alors qu’il suffisait simplement d’attendre qu’il tombe tout doucement de lui-même.

Ce que serait la vraie laïcité. Entre démagogie électoraliste et ethnocentrisme déguisé en grande idée, c’est pas de la laïcité qu’on aurait ici. La vraie laïcité consiste historiquement, dans nos civilisations, à retirer le pouvoir religieux des structures hospitalières (ça, c’est fait depuis l’après-guerre environ) et scolaires (ça c’est pas fait du tout). Aussi, si vous voulez un vrai projet de loi laïc, concevez-en un qui abolisse l’intégralité du financement public des écoles confessionnelles de tous tonneaux, protestantes et cathos inclues. Mieux, dans une vraie laïcité robespierriste ou léniniste, les écoles confessionnelles deviendraient tout simplement illégales et seraient démantelées au profit d’un système intégralement public et athée. On n’y est pas, au Québec. On en est loin. Or, quand on mentionne ce que serait la vraie laïcité effective à nos petits droitiers locaux, là c’est: mais les systèmes catho et protestant sont protégés par la constitution canadienne. On ne nous laissera jamais faire ça. Ah bon? Et la clause dérogatoire, elle est à géométrie variable? On est prêts à brandir le nonobstant de la clause dérogatoire quand il s’agit d’agresser stérilement nos compatriotes musulmanes dans leurs droits intimes. Mais quand il serait temps de mettre en éclisse les vraies structures malodorantes de propagande religieuse que sont les réseaux scolaires confessionnels, là, il y a plus personne, et surtout, plus de courage politique pour invoquer la susdite clause dérogatoire en faveur d’une vraie laïcité systémique. Alors lâchez-moi ici avec la laïcité, notion d’ailleurs empruntée tardivement aux français et fort mal dominée localement (on leur a piqué le mot sans assumer vraiment, comme ils le firent, la radicalité de la chose). La soi-disant laïcité, au nom de laquelle nous sautillons tous comme des cabris, n’intéresse pas vraiment nos gouvernementaux. Elle est ici tout simplement l’otage de notre ethnocentrisme, rien de plus.

Le capitalisme raffole des chicanes sociétales. Le projet de loi 21 est une ineptie d’un mur à l’autre. Il ne rencontrera pas ses objectifs (réels ou proclamés) et il va foutre la division, sans plus. Or, quand vous perpétuez des divisions de ce type dans une société de classe, c’est la majorité des masses que vous divisez contre elle-même. Or diviser les masses, dans les sociétés industrielles et post-industrielles, c’est diviser le prolétariat, toujours. Le capitalisme raffole de ce genre de chicanes sociétales. Tour le monde perd son temps avec ça, s’empoigne, chichine, monte au front en tous nos militantismes de toc, et rien n’avance pour ce qui en est de la seule lutte utile sous nos deux hémisphères: la lutte des classes. Ne cherchez pas la raison de cette promotion étatique de la distraction ethnocentriste. Elle ne sert même pas les convulsionnaires droitiers qui en vibrent de travers et finiront aussi couillonnés que les autres. Ce genre de disputes de chiffonniers, au propre et au figuré, sert le Capital, rien d‘autre. C’est une agitation de somnambules qui ne prépare qu’une seule chose: des réveils difficiles.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Le Levant, segment central du Croissant Fertile

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2019

croissant-fertile

 

Au Moyen-Orient, c’est de longue date qu’on distingue l’espace désertique de l’espace fertile. Il y a là une formulation géographique et géopolitique profonde aussi enracinée que celle qui fonda par exemple la mise en place de l’Europe. Les territoires du Levant, comme ceux du reste du Croissant fertile, sont devenus arabes il y a quatorze siècles, sous les califats d’Abou Bakr et d’Omar. La finalisation de la conquête de l’ancienne Syrie romaine par les Arabes eut lieu en l’an 635 de notre ère. Des tribus arabes y vivaient d’ailleurs en fait longtemps avant les premières invasions romaines. Quelques années avant la conquête de la Grande Syrie, l’Irak avait été prise aux Perses par les Arabes. Il est indubitable que le Levant est principalement de civilisation arabo-musulmane et ce, depuis des siècles. D’autres cultures y existent mais il n’y a pas à rougir de leur assigner un statut strictement résiduel (et hautement auto-légitimant pour le confusionnisme occidental, toujours soucieux de bien se faire mousser en jouant les faux arbitres de toc entre les peuples).

Le sultan turc Sélim Premier s’empare (entre autres territoires) du Levant en 1517 en vainquant les mamelouks d’Égypte. Commence alors la longue et douloureuse administration ottomane de ces populations, qui durera jusqu’à la fin de la première guerre mondiale (1918). C’est ensuite le colonialisme occidental, brutal et autoritaire, tout en la jouant moraliste et civilisationnel, qui mettra en forme les dispositifs frontaliers contemporains. La France hérite de l’intendance de la Syrie et du Liban, l’Irak et, un peu plus tard l’Arabie (devenue «Saoudite»), revenant â l’Angleterre. C’est en 1948 que le problème israélio-palestinien prendra la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Ce segment de la question est archi-connu.

La tribu arabe des Qays et celle des Yaman peuplent le Levant grosso modo depuis l’époque de la Syrie romaine. Si des conflits intestins entre ces deux grands groupes ethno-politiques arabes sont couramment rapportés au cours de l’histoire, il reste que la distinction entre ces deux tribus n’est pas si nette et qu’elle repose largement sur le folklore. Utilisées autrefois pour asseoir le pouvoir colonial, ces divisions vernaculaires ne semblent plus avoir vraiment cours et pèsent bien moins lourd que les frontières nationales dictées par le souvenir des guerres mondiales et perpétuées dans la mouvance des différents nationalismes arabes post-coloniaux (ou néo-coloniaux, c’est largement la même chose, en fait) du siècle dernier. Notons que les Assad (fils et père) et Saddam Hussein furent, en leur temps, des baasistes occidentalisants que l’Occident s’empressa pourtant de mettre abruptement dans le tordeur quand ils se mêlèrent de devenir trop ouvertement nationalistes, justement.

Il est assez patent que la mouvance politico-militaire actuelle va, elle, dans la direction d’une dissolution des frontières nationales post-coloniales, surtout de la frontière entre la Syrie et l’Irak (mais aussi la délimitation nord de l’Arabie Saoudite). La profonde sensibilité ethnoculturelle du Levant tend à formuler l’espace «national» profond comme suit. Les options militaires actuelles vont aussi dans cette direction:

 

Levant

 

L’Occident, pour des raisons oléo-impériales assez évidentes, ne peut supporter ou endosser ce genre de découpage, aussi subversif que fatal. La propagande occidentale va donc s’évertuer à désunir au maximum le Levant. Et pour ce faire elle va s’évertuer à mythologiquement le désarabiser. C’est pour cela qu’on n’entend parler, en ce moment chez nos folliculaires, que de chrétiens d’Irak, de Coptes, de Kurdes, d’Araméens et autres Chaldéens (on parle pas trop de «juifs» par contre, car cela vend très mal par les temps qui courent – des tribus juives peuplent pourtant le Levant depuis des temps immémoriaux). L’Armée islamique du Levant (qui a depuis un petit moment éjecté Al Qaïda de ses rangs) peut, d’autre part, de plus en plus difficilement être qualifiée de «terroriste». Dans le fantasme que l’Occident se construit en la matière, le «terroriste» doit apparaître comme une sorte de nihiliste, fauteur de troubles inane, tête brûlée absurdiste et intransigeant poseur de bombes (bombes posées préférablement, pour que le personnage reste un croquemitaine crédible, en Occident même). On peut difficilement traiter sur ce ton et de cette façon des conquérants besogneux et respectueux de leur hinterland qui se tiennent sagement en rangs et œuvrent à faire reculer des frontières d’autre part fort mal légitimées.

Hilary Clinton reprochait autrefois à Barack Obama de ne pas avoir assuré une présence assez ferme en Syrie, ce qui aurait permis à l’Armée du Levant d’occuper le champ laissé vide par la déplorable mollesse impériale US en cours d’essoufflement. Il est piquant de constater qu’on croirait presque entendre Ronald Reagan faisant des reproches du même genre à Jimmy Carter au sujet de la Révolution Islamique d’Iran, circa 1979-1980. Madame Clinton et Monsieur Obama sont-ils toujours du même parti? L’avenir électoraliste ricain nous le dira. Il faut bien dire que l’Armée du Levant pose des problèmes byzantins (il fallait que je la fasse) aux interventionnistes américains. Contre Al Qaïda, contre le Hezbollah et l’Iran (qu’elle considère comme ses principaux ennemis régionaux, plutôt qu’Israël), contre l’autorité d’Assad sur la Syrie, critiques du sectarisme étroit des dirigeants irakiens actuels (avec lesquels les américains ont aussi eu des mots), l’Armée du Levant, de par sa nouvelle donne un peu holistique, n’était pas exempte de charmes pour l’administration américaine mijaurée, hésitante et anti-belliciste d’Obama. Évidemment, pour l’instant, les réflexes impériaux jouent au quart de tour contre ces ci-devant «djihadistes»: protection compulsive des frontières saoudiennes, maintient réflexe de la partition Irak-Syrie, perpétuation sentimentale du Liban et, évidemment, tenue à bout de bras du sacro-saint dispositif Jordanie-Palestine-Israël-Gaza-etc. Mais il est clair que les cartes sont en train de sérieusement se rebrasser et ce, d’une façon originale et, pour une fois, pour faire changement, potentiellement restabilisante. Les américains vont y penser. Ils ne vont probablement pas agir dans la bonne direction pour l’instant mais ils vont sourdement y penser. La logique du Levant est en train ni plus ni moins que de leur coller un sacré frelon dans la tête.

C’est que ladite logique du Levant est assez imparable. Elle s’assoit sur des fondations historiques, culturelles, ethnologiques et géopolitiques qui s’imposent à l’esprit finalement assez naturellement. L’opinion mondiale est lasse des guerres de théâtre, du post-colonialisme mal déguisé, du Moyen-Orient déstabilisé et du sempiternel abcès israélo-palestinien. Si des dirigeants pondérés, industrieux et articulés, peuvent se lever au Levant, il va vite se trouver des hommes et des femmes de bonne volonté pour juger, en conscience, qu’ils méritent leurs chances bien plus que bien d’autres qu’on tient à bout de bras depuis des années et qui ne font que de la merde. C’est original, c’est rafraîchissant, c’est novateur, c’est fertile… et c’est vraiment une affaire à suivre.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam et nous, les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Contre le kirpan

Posted by Ysengrimus sur 21 janvier 2019

Guru Granth Sahib (Le Maître Livre)

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On va commencer par regarder un peu la religion sikh. Revendiquant quelques vingt millions d’adeptes dans le monde, le Sikhisme se développe au Panjab entre 1520 et 1610 environ. La première compilation des éléments du texte sacré, lui-même intitulé Guru Granth Sahib (Le Maître Livre), a eu lieu vers 1604. On en rédigea des éléments complémentaires jusqu’en 1708. On peut donc dire qu’une date aussi tardive pour la fondation d’une religion majeure, c’est rien de moins que la onzième heure. Aussi, on trouvera, dans cette religion et dans la philosophie qui en émane, une modernité de ton et d’attitude qui l’apparente à la pensée de certains théologiens rationalistes (Voltaire, Thomas Paine). On pourrait aller jusqu’à suggérer que, tendanciellement, le Sikhisme est un monothéisme déiste.

Vous n’êtes pas des Hindous ou des Musulmans, vous êtes des disciples (sikhs). Le Sikhisme est un syncrétisme d’Hindouisme et d’Islam. De l’Hindouisme, il retient la question des réincarnations punitives et du karma (mais ni le polythéisme ni le système des castes). De l’Islam, il retient la rigueur monothéiste et l’égalitarisme entre sectateurs (mais ni le prophétisme ni la filiation abrahamique). Le Sikhisme est un monothéisme strict (le nom de dieu, qui est ni masculin ni féminin, pourrait se traduire Être Suprême). Il n’y a ni fils de dieu, ni prophète, ni clergé et les différents dieux et déesses des religions orientales sont considérés comme des êtres légendaires. Ceci dit, tout dans les religiosités et les mythologies antérieures est jugé, par le Sikhisme, comme susceptible de mener à une saine compréhension du divin, dont les canaux d’appréhension sont jugés multiples et également méritoires. Dans son principe, le Sikhisme cherche à éviter toutes formes de sectarisme. Il est un promoteur explicite de la liberté et de la diversité des cultes.

Le Sikhisme se particularise dans certaines de ses pratiques coutumières. Respectueux de la nature, il promeut l’idée voulant qu’on évite d’altérer ce que la nature configure en nous. C’est sur la base de ce principe que les hommes sikhs ne se rasent pas. Il faut comprendre de ce dispositif comportemental que la barbe et le turban (qui retient les cheveux longs masculins) sont moins des signes religieux que les conséquences ordinaires d’un choix de vie engageant des options philosophiques. Dans le même ordre d’idée, les sikhs rejettent les viandes cacherout (kosher) et halal non pour des raisons cultuelles mais sur la base de considérations pratiques et philosophiques. Le cacherout (kosher) et le halal sont des modes d’abattage lents, impliquant la saignée complète. Dans un but de respect de la nature exigeant une réduction maximale de la souffrance animale, les sikhs revendiquent plutôt la pratique du jhatka, une procédure d’abattage traditionnelle hindoue, qui tue la bête instantanément, réduisant son tourment au minimum. De toute façon, une importante portion de la communauté sikhe est végétarienne, toujours en conformité envers la même visée philosophique.

Le sacrifice d’animaux pour des raisons rituelles, le suicide et le meurtre, pour des raisons rituelles ou autres, ne sont pas admis (ceci NB). Les sikhs tendent aussi à prohiber l’absorption de substances euphorisantes, les relations sexuelles extra-maritales, la vie solitaire (incluant le célibat, les pratiques des ermites et la vie monastique). C’est qu’ils sont de gros promoteurs de la famille traditionnelle. Ils considèrent le mariage un engagement crucial et ils sont monogames. La question de la polygamie est délicate à traiter dans la jurisprudence de leur héritage parce que leurs grands gourous fondateurs, tributaires des cultures hindoues et/ou musulmanes, furent souvent polygames. On reste donc discrets sur la distance critique prise désormais face à cette pratique ancienne. Mais distance critique il y a bel et bien (car les sikhs y sont aptes). On notera aussi que les sikhs requièrent que leurs sectateurs marient la personne de leur choix (démarcation ferme envers la vieille pratique hindoue des mariages arrangés). L’un dans l’autre, les sikhs font la promotion d’une vie familiale et collective simple, harmonieuse, cohérente. Ils rejettent autant les coutumes dépassées que la fixation excessive du monde moderne sur les objets matériels.

Pour une religion, le Sikhisme apparaît comme singulièrement modéré et éclairé. Il promeut l’égalité entre tous les êtres humains (notamment entre les hommes et les femmes), le partage (incluant la charité pécuniaire engageant un pourcentage des revenus, comme chez les musulmans), les droits individuels, la responsabilité civique, la décence morale, le rejet des comportements illogiques (incluant les superstitions surannées et les rites absurdes), la recherche de la vérité (par la contemplation et par l’instruction), le respect des lois de la nature, l’optimisme, l’abnégation généreuse, une vie disciplinée, le laconisme poli (il faut éviter de jacasser sans arrêt, selon les sikhs), l’acceptation de tous, et l’ouverture d’esprit face à la vision du monde des autres.

Alors les gars, je vous pose la question: pourquoi ce couteau? Les religions, qui sont des cadres de représentations fatalement archaïsants, ont toutes des causes perdues qu’elles traînent comme autant de casseroles. On ne va pas revenir là-dessus, ce qui est dit est dit. Dans le cas de nos compatriotes sikhs, leur cause perdue, c’est le kirpan. Les sikhs sont contre le meurtre, contre une fixation excessive sur les objets matériels, et contre les comportements illogiques (incluant les superstitions surannées et les rites absurdes). Et pourtant, tristement, selon la formulation de leur culte, le kirpan représente leur «droit» (concret ou abstrait, factuel ou ritualisé) à une forme féodale et spadassine d’autoprotection. En portant son kirpan, un sikh se proclame, explicitement ou implicitement, duelliste (protection personnelle) et vigilante (protection des autres). Le duel et la posture milicienne ne sont pas normaux ou légaux dans le contexte de fonctionnement ordinaire d’une civilisation non-moyenâgeuse. Le port du kirpan est une infraction ouverte aux exigences les plus élémentaires du communautarisme civique. Or, en cas de conflit de juridiction, les droits civiques priment sur les droits religieux, toujours. Conséquemment, le port du kirpan n’est pas acceptable.

Un kirpan et son étui

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Et surtout, mort de ma vie, qu’on ne vienne pas me bassiner avec la décision de la Cours Suprême de 2006. La Cours Suprême du Canada est un tribunal colonial méprisable et exempt du moindre mérite civique. Ce Directoire de l’Occupant prouve tout simplement son incompétence chronique, sans plus, quand il autorise un enfant à aller à l’école avec un kirpan cousu dans son froc et (soi-disant) inutilisable. On insulte absolument tout le monde avec ça. Les sikhs considèrent, en conscience, que le kirpan devrait se porter exclusivement au ceinturon (voir illustration, infra) et les citoyens laïcs (surtout ceux qui ont des enfants et des petits-enfants écoliers) considèrent que si une gang de bums décide de fendre le fond de culotte du petit compatriote sikh premier de classe, et de lui sauter son kirpan, ils l’attendront après la classe et ça se fera en un tour de main. Cette solution inepte (du kirpan cousu dans le froc) n’est satisfaisante pour absolument personne et elle prouve surtout qu’on est en droit de se demander si les bonzes coloniaux de la Cours Suprême du Canada sont tout simplement déjà allés à l’école…

Mes chers compatriotes sikhs, la sagesse, fine et nuancée, de votre religion aux vues avancées est hautement respectable. On gagne à la connaître. Je fais appel à la riche dimension autocritique que votre cadre culturel a produit (notamment sur la question de la polygamie traditionnelle). Je vous pose simplement la question, en ami, de philosophe à philosophe: pourquoi aller vous discréditer pour une niaiserie pareille? Quand un comportement est illogique, suranné, déplacé, nuisible, il faut le réformer. Il est sikh de le réformer. Gardez votre kirpan chez vous. Accrochez-le dans votre salon. Je suis certain que votre être suprême éthéré et vos gourous non-cléricaux vont parfaitement piger le topo et ne pas vous chipoter pour la bien petite nuance adaptative et syncrétique que vous aurez alors l’intelligence d’apporter au culte. Mon approche de cette question est athée mais non militante. Je suis sans religion et je sais parfaitement que les particularités religieuses sont soumises aux exigences de la société civile, pas le contraire. Quoi que disent les minus habens du Directoire de l’Occupant Colonialiste Suprême, se promener à la ville avec une arme offensive au ceinturon ou cousue dans le fond de culotte est illicite, illégal, criminel, inapproprié et dangereux. Il faut, à un certain moment, cesser de faire les casuistes et les tataouineux sur des questions aussi sensibles (et nuisibles), dans la vie pratique. C’est exactement comme pour l’histoire d’ours des armes à feu.

Votre kirpan, chers compatriotes sikhs, n’est pas conforme à la pensée fondamentale de sagesse que votre propre religion inspire et promeut. Il est l’épine au pied de notre compréhension mutuelle. Les rationalistes et les irrationalistes de la civilisation contemporaine n’en veulent pas. Vous ne les convaincrez jamais de tolérer le kirpan. Il est intolérable, comme simple objet inerte, comme arme, sans plus. Rangez-le respectueusement sur les étagères de l’histoire, avant que de vrais gestes disgracieux et regrettables ne se posent, d’un bord ou de l’autre, dans nos quartiers et nos écoles. Incidemment, les aéroports, les lieux sensibles, les parlements, certains pays même, n’en veulent pas, de ce poignard incurvé. Je ne vois vraiment pas pourquoi les petits bourgeois voyageurs et les politicards miteux s’épargneraient ce danger potentiel mais qu’on l’imposerait de jure aux citoyens ordinaires, dans la vie civile. Non. C’est non. Vivre ensemble c’est aussi régulariser adéquatement l’intendance de tous les objets pointus.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Port ordinaire du kirpan (quand aucune loi restrictive n’est appliquée)

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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La liste alphabétique, bien courte et bien éclectique, des Républiques Islamiques

Posted by Ysengrimus sur 15 juin 2018

République et démocratie, on s’en avise plus que jamais aujourd’hui (notamment en occident), sont des choses bien distinctes qui se rejoignent uniquement dans certains contextes historiques spécifiques, habituellement fugitifs. Les confondre abstraitement est une généralisation risquée. De plus, la notion de république islamique ne renvoie absolument pas à un dispositif politique cohérent, comme on cherche implicitement à nous le faire croire par les temps propagandistes qui courent. Cette idée largement paradoxale, qui n’est même pas exactement un programme, regroupe éclectiquement quatre états s’étant assignés officiellement cette désignation, indépendamment les uns des autres, dans des circonstances parfaitement diverses, au cours de leur développement historique récent.

AFGHANISTAN (année de la proclamation de la république islamique: 2001). On oublie trop souvent que l’Afghanistan comprend plusieurs peuples. Les Pachtounes (ou Pathan) forment le groupe politiquement dominant. Les différentes tribus pachtounes se retrouvent à l’est et au sud-est, dans les montagnes faisant frontière avec le Pakistan. Les Tadjiks (que l’on retrouve aussi au Tadjikistan limitrophe, une ancienne république soviétique) habitent surtout le nord et l’ouest du pays ainsi que dans les villes. Ils parlent farsi (persan) et c’est le groupe le plus en contact avec la vie moderne, mais il est politiquement dominé par les Pachtounes. Il y a aussi, en Afghanistan, des Ouzbeks et des Turkmènes mais le groupe le plus défavorisé et opprimé est celui des Hazaras, qui se trouvent dans les montagnes du centre du pays. Toutes ces populations sont musulmanes et le régime le plus puissamment unificateur de leur histoire récente, le régime Taliban (1996-2001), se réclamait ouvertement de l’Islam fondamentaliste et de l’islamisme, en voyant bien cependant à ne pas instaurer une république (le nom officiel de leur État était: Émirat islamique d’Afghanistan). Aussi, les compradores pro-américains tenus à bout de bras par l’occident, qui sont en place depuis la chute si coûteuse et si ruineuse des Talibans en 2001, n’ont pas trouvé mieux que de qualifier nominalement leur régime de république islamique dans un futile effort pour perpétuer un semblant de cohésion dans cette mosaïque centrifuge de peuples soutenant, d’autre part, activement les insurgés talibans, toujours puissants et mobilisés.

IRAN (année de la proclamation de la république islamique: 1979). Depuis la chute du régime du shah en 1978 et la proclamation, en mars 1979, de la République Islamique d’Iran, dirigée par les ayatollahs, les peuples qui ne sont ni perses ni chiites et qui se trouvent à la périphérie du pays résistent sourdement à un régime qui ne se soucie pas trop de leurs aspirations. Les Turkmènes, à l’est de la Mer Caspienne, se souviennent nettement de revendications territoriales remontant aux exactions du shah. Au nord-ouest, en Azerbaïdjan les Azéris (turcs) sont très conscients de leur force, mais ils sont chiites pour la plupart et nombre d’entre eux ont fait fortune à Téhéran. Au sud-est, les Baloutches, qui nomadisent aussi au Pakistan et en Afghanistan, sont en situation de rébellion endémique permanente. Dans les montagnes de l’ouest, les Kurdes, sont, du côté iranien, toujours solidement autonomistes. Enfin, au sud-ouest, dans la province pétrolière du Khuzestân, les populations arabes sunnites, notamment les ouvriers des grands centres industriels d’Abadan et d’Ahwaz, respectent la république, sans plus. L’Iran, dont la population n’est pas plus islamiste que cela au demeurant, est, par contre, la plus authentique république du quatuor. Ses institutions, profondes, implantées, issues d’une révolution anti-monarchique interne, vernaculaire, collective, sont encore dynamiques. Notons qu’au nombre de celles-ci figure la position de Guide, situé au dessus du premier ministre et du président et qui, à défaut de faire monarchiste, ne peut laisser de faire penser, mutatis, mutandis, à Cromwell, à Bonaparte, à Staline ou, dans un dispositif atténué, au vieux de Gaulle de la jeune cinquième république française.

MAURITANIE (année de la proclamation de la république islamique: 1958). Ancienne portion de l’Afrique Occidentale Française et instaurée nationalement en fonction de l’ancien découpage colonial plutôt que sur la base de frontières historiques effectives, la Mauritanie se caractérise par l’antagonisme, jusqu’à présent latent, entre des populations sédentaires négro-africaines du fleuve Sénégal et des nomades arabophones des steppes. Intéressant le néo-colonialisme occidental surtout pour ses mines de fer, ce pays désertique a longtemps eu maille à partir avec son puissant voisin du nord, le Royaume (ceci: NB) du Maroc, qui revendiqua longtemps la Mauritanie comme faisant partie intégrante de son territoire, point barre. Cela se joua notamment à l’époque des embrouilles compliquées et meurtrières impliquant le Front Polisario. Définitoirement (et un peu abstraitement) république islamique depuis son indépendance du colonisateur, la Mauritanie est, ouvertement ou insidieusement, dirigée, depuis 2008, par une junte putschiste. Cet autre signe de non cohérence de l’idée de république islamique, se complète des constantes habituelles: un clivage interne des peuples (assez similaire, du reste, à celui du Mali) dont le seul facteur, hautement illusoire, de cohérence collective est la soumission commune à la tradition de l’Islam sunnite. Inutile d’ajouter que la Mauritanie est un joueur mineur de la géopolitique mondiale contemporaine.

PAKISTAN (année de la proclamation de la république islamique: 1956). Le Pakistan rassemble, lui aussi, des ethnies fort différentes, Penjâbis au nord, sur le piémont de l’Himalaya, Sindhis au sud, dans le delta de l’Indus, Baloutches dans le désert de l’ouest et Pachtounes dans les montagnes occidentales. Les Penjâbis sont les plus nombreux et forment le groupe politiquement dominant. Toutes ces populations ont fait partie, jusqu’en 1947, de l’Empire des Indes, tenu par les Britanniques. Lors de l’indépendance, après une très meurtrière guerre civile, les populations du nord-est et du nord-ouest de l’Empire des Indes se sont séparées, selon une partition visant ouvertement à cliver les hindous des musulmans, pour former le Pakistan. Ce dernier a cherché à se donner une cohésion, que sa géographie fracturée désavantageait, en se définissant comme une république islamique dès 1956. Mais en 1971, les Bengalis (Pakistan oriental) se sont révoltés contre la domination du Pakistan occidental et sont devenus indépendants, avec le support militaire de l’Inde. Le Bengladesh (ancien Pakistan oriental) est aujourd’hui un régime parlementaire grosso modo de type Westminster et seul le Pakistan (ancien Pakistan occidental) se donne aujourd’hui comme républicain et politiquement islamique. Les pulsions exogènes, le potentiel d’arrachement de grandes portions du territoire national dont le Pakistan peut se vanter d’avoir vécu les coûts humains effectifs et profonds, se poursuivent avec les revendications pour un Pachtounistan qui regrouperait ensemble les populations Pachtounes afghanes et pakistanaises. À cela s’ajoute le grave contentieux avec l’Inde sur la question du territoire disputé du Cachemire (une guerre entre Inde et Pakistan sur cette question reste une possibilité très tangible). Il est limpide que le programme républicain pakistanais en a plein les bras avec les questions d’intendances intérieures et frontalières des peuples.

Les particularités sociopolitiques que l’on dégage des quatre seules républiques islamiques du monde contemporain sont disparates et maigres, surtout si on cherche à les décrire exclusivement (comme le fait bien trop la propagande actuelle) dans l’angle de leur «islamisme». La situation de ces quatre nations donne plutôt à observer un pouvoir centralisateur affairé, dans des mesures diverses, du compliqué et potentiellement explosif problème des nationalités intérieures sans état (des enjeux frontaliers hypersensibles s’ajoutent à cet effritement intérieur endémique). Dans ce contexte tortueux, la république cherche bien plus à être une et indivise qu’ «islamique» (si tant est que cette notion signifie quelque chose de clair dans le champ politique). S’il existe un islamisme résistant, militant, terroriste, virulent, il n’émane pas vraiment de Mauritanie, du Pakistan ou même d’Iran. L’insurrection talibane afghane, pour sa part, a des visées strictement intérieures. L’internationale islamiste est à rechercher ailleurs, justement dans les pays où une chape de plomb compradore, de plus en plus coûteuse et mal gérée, ne permet PAS de faire jouer ou d’instaurer des institutions républicaines effectives («islamistes» ou autres).

Une république islamique résultant d’une vaste partition confessionnelle meurtrière et brutale (Pakistan), une miniature, post-coloniale et non-monarchique (Mauritanie), une issue d’une grande révolution anti-monarchique authentique (Iran) et une se donnant une étiquette démagogue commode pour se démarquer d’un «émirat» récemment renversé par les occidentaux (occidentaux dont on cherche aussi à avoir l’air de se démarquer — Afghanistan). Ceci est parfaitement et irrémédiablement éclectique. Ça fait penser à la «démocratie-chrétienne», si vous voyez ce que je veux dire. La religion, principalement comme moralisme abstrait, éclectiquement cousue sur une aspiration républicaine post-monarchique ou anti-coloniale… c’est pas d’hier. Souvenons-nous de l’Irlande…

Et ne séparons par unilatéralement, juste parce que Papa Oncle Sam l’a dit, la notion de terroriste et celle de résistant… D’autres points du monde, dont nous reparlerons brièvement ici ou ailleurs, prennent alors une toute différente dimension que ces quatre républiques islamiques… ayant, du reste, de plus en plus de difficulté à vendre ou exporter leur improbable vision du monde sociopolitique actuel.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam et nous, les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Source sur la répartition des peuples: L’État du monde (version papier). Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Islam et incroyance

Posted by Ysengrimus sur 7 décembre 2017

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Au départ, ici, l’affaire est parfaitement limpide: il n’y a tout simplement pas de mansuétude musulmane pour les incroyants. Il faut ne pas les reconnaître (dans tous les sens du terme) et, surtout, il faut les combattre, non pour les détruire (Que de générations avons-nous anéanties avant eux! – ronflante, l’idée est en fait hypertrophiée dans l’intox médiatique actuelle – je n’épilogue pas) mais bien plutôt pour les convertir. Le Coran fait tonner contre l’incroyance (ou ce qu’il désigne comme telle, en ratissant large) toute la fermeté habituelle du discours des prophéties monothéistes révélées. Çad (Ṣād) est une lettre de l’alphabet arabe qui est aussi le titre de la sourate 38 (tout simplement parce que c’est sur cette lettre que s’amorce l’écriture de cette sourate). L’ouverture de la sourate Çad, très explicite contre l’incroyance, va nous permettre d’entrer dans notre développement:

Çad.

Par le Coran, porteur du Rappel!
Les incrédules persistent
dans l’orgueil et le schisme.

Que de générations avons-nous anéanties avant eux!
Ces gens là criaient,
alors qu’il n’était plus temps de s’échapper.

Ils s’étonnent
que vienne à eux
un avertisseur pris parmi eux.

Les incrédules disent:
«C’est un sorcier, un grand menteur!
Va-t-il réduire les divinités à un Dieu unique?
Voilà une chose étrange!»

Les chefs du peuple se sont retirés en disant:
«Partez!
Soyez fidèles à vos divinités!
Voilà une chose souhaitable!

Nous n’avions jamais entendu dire cela
dans la religion précédente.
Ce n’est qu’une invention!

Est-ce donc parmi vous, sur celui-ci
que l’on a fait descendre le Rappel?»

Ce sont eux plutôt qui doutent de mon Rappel.
Ils n’ont pas encore goûté à mon châtiment.

Possèdent-ils
les trésors de la miséricorde de ton Seigneur,
le Tout-puissant, le continuel Donateur?

Possèdent-ils
la royauté des cieux, de la terre
et de ce qui se trouve entre les deux?

Qu’ils montent donc au ciel avec des cordes!
-Mais c’est une bande de factieux
qui, ici même, sera détruite-

Le peuple de Noé,
les ‘Ad et Pharaon, avec ses épieux,
les Thamoud, le peuple de Loth,
Les hommes d’al’Aïka
avaient crié au mensonge avant eux.
Tel est le comportement des factieux.

Aucun d’entre eux ne s’est abstenu
de traiter les Prophètes de menteurs.
Ils ont mérité mon châtiment.
Ceux-là n’ont qu’à attendre un seul Cri
qui ne sera pas répété.

(Le Coran, Sourate 38, Çad. versets 1-15, traduction D. Masson)

Le Coran ne fait pas ici une admission banale. Il est explicite sur le fait que la révélation prophétique ne se formule pas contre une mécréance qui serait écrue, vierge, vide, livide et sans a priori intellectuels, mais bien contre une lourde et dense tradition polythéiste, organisée et politisée. Va-t-il réduire les divinités à un Dieu unique? disent les «incrédules» qui se surprennent comme convulsivement du propos novateur d’un des prophètes monothéistes. Et les chefs de ces peuplades intellectuellement arriérées (je seconde pleinement les musulmans sur ce point) de confirmer autoritairement leurs sujets dans leurs vieilles croyances. L’immense combat du Coran contre la non-croyance fait face (ou croit faire face) quasi-exclusivement à la non-croyance en un dieu unique et intangible. Ceci est important. Ce n’est pas la religion ou la religiosité qu’on installe ici. C’est le monothéisme. Très classiquement, on passe de la multitude compliquée et turlupinée de dieux concrets, idolâtrables, et sensoriels/sensuels au seul dieu abstrait, adorable, aux assises (se voulant) exclusivement logico-discursives. C’est là une avancée critique majeure et, toujours prudents et politiquement pragmatiques et tactiques, les nouveaux zélateurs verront bien à camoufler la radicalité novatrice de ce progrès de la pensée mythique dans les replis onctueux d’une vaste filiation traditionnelle qui se voudra la plus vénérable possible.

Très importante, dans cette dynamique d’innovation circonspecte se voulant sciemment traditionaliste, est la notion de Rappel. Le propos coranique juge, en conscience, qu’il ne fait pas dans la tendance nouvelle-nouvelle à la page, sautillante et trépidante quand il lance ses avertissements contre les faux dieux. On a ici un rappel de ce que disaient déjà les très Anciens. Noé, Loth et Moussa (Moïse qui, donc, fut confronté à Pharaon et à ses épieux, possiblement les mâts de ses tentes de campagnes) sont connus pour avoir prêché soit le monothéisme, soit la moralité comportementale, soit les deux, avoir été rejetés, puis associés à une punition divine d’envergure de leurs objecteurs. D’autre part, les Ad sont le peuple yéménite auquel fut confronté le prophète Houd. Les Thamoud sont le peuple d’Arabie centrale auquel fut confronté le prophète Sâlih. Al Aïka est la contrée habitée par le peuple de Madian (en Palestine) auquel fut confronté le prophète Chou‘ayb. Ces trois très anciens prophètes arabes majeurs se sont retrouvés dans des situations analogues entre elles et, aussi, surtout, analogues à celle (évidemment ultérieure) vécue par Mahomet. D’ailleurs tous les prophètes monothéistes invoqués dans la sourate Çad (et les autres aussi, invoqués ailleurs dans le Coran: Ibrahim, Ismaël, Youssouf, Jésus, etc) anticipent frontalement l’appel monothéiste de Mahomet, dans le récit sacré (selon cette description en effet d’écho du prophétisme, procédure typiquement coranique). Bien connue dans ces traditions, récurrente, la situation est la suivante: un avertisseur inspiré du dieu unique se lève au milieu d’une population polythéiste et lui fait une promotion aussi ferme que mal entendue du passage au monothéisme. Après, habituellement, ça se passe assez mal et dieu finit par s’en mêler:

Si les habitants de cette citée avaient cru;
s’ils avaient craint Dieu;
nous leur aurions certainement accordé
les bénédictions du ciel et de la terre.

Mais ils ont crié au mensonge.
Nous les avons emportés
à cause de leurs mauvaises actions.

Les habitants de cette cité sont-ils sûrs
que notre rigueur ne les atteindra pas la nuit,
tandis qu’ils dorment?

Les habitants de cette cité sont-ils sûrs
que notre rigueur ne les atteindra pas le jour
tandis qu’ils s’amusent.

Sont-ils à l’abri du stratagème de Dieu?
Seuls les perdants
se croient à l’abri du stratagème de Dieu.

Ou bien n’a-t-il pas montré
à ceux qui héritent la terre
après ses premiers occupants,
que si nous le voulions,
nous leur enverrions quelque adversité,
à cause de leurs péchés.
Nous mettrons un sceau sur leurs cœurs
et ils n’entendront plus rien.

Voici les cités dont nous te racontons l’histoire.
Leurs prophètes étaient venus à eux
avec des preuves évidentes,
mais ils ne crurent pas
dans ce qu’ils avaient auparavant traité de mensonges.
Voilà comment Dieu met un sceau
sur le cœur des incrédules.

Nous n’avons trouvé,
chez la plupart d’entre eux
aucune trace d’alliance
et nous avons trouvé
que la plupart d’entre eux sont pervers.

(Le Coran, Sourate 7, Al‘Araf [les hauteurs, le discernement]. versets 96-102, traduction D. Masson)

Le Coran est pleinement tributaire de ce prophétisme catastrophiste classique, qui rappelle Sodome, Gomorrhe & Consort (S’ils recommencent, qu’ils se rappellent alors l’exemple des Anciens). J’attire cependant, dans cette seconde citation, très représentative, du bon vieux tonnerre divin contre les indigents du monothéisme, votre attention sur une notion malicieuse qu’on n’attend pourtant pas vraiment, quand il s’agit de l’omnipotence courroucée de l’être suprême. J’ai nommé: le stratagème de dieu. Il intrigue, lui, quand on relis plus attentivement cette citation de la sourate 7. Agacement à part, on nous y parle en effet du fait que dieu, pour en venir à imposer ses preuves évidentes, use, un peu paradoxalement, d’un stratagème… voilà qui n’est ni banal, ni anodin, ni marginal. C’est vachement moderne aussi, cette fois-ci, cette façon de se formuler et de se courroucer. On prend la mesure dudit stratagème quand on s’avise du fait que l’entêtement des polythéistes à ne pas accepter le dieu unique est lui-même un choix punitif fait par dieu (Voilà comment Dieu met un sceau sur le cœur des incrédules), un bon tour qu’il leur joue, littéralement, pour des raisons morales (si nous le voulions, nous leur enverrions quelque adversité, à cause de leurs péchés. Nous mettrons un sceau sur leurs cœurs et ils n’entendront plus rien). Les choses se compliquent subitement et, pour reprendre le mot coranique, il y a bien quelque chose de subtilement pervers qui s’installe ici. On fera inévitablement observer que les adeptes du dieu unique ne sont pas trop chauds à admettre ces résistances passéistes à leur endoctrinement car elles sont toutes autant d’esquintes à l’omnipotence de leur être suprême, pourtant totalisant et habituellement peu enclin à la nuance casuiste. Il faut donc remettre ces résistances et ces incrédulités dans le grand cadre décisionnel (et fatalement punitif) du divin qui. de ce fait, perd subitement en limpidité, en simplicité, en puissance, se complique, se tortillonne, se problématise… Et cela se met à sérieusement finasser et, redisons-le, à faire dans le stratagème:

Lorsque les incrédules usent de stratagèmes contre toi,
pour s’emparer de toi,
pour te tuer ou pour t’expulser;
s’ils usent de stratagèmes,
Dieu aussi use de stratagèmes
et c’est Dieu qui est le plus fort en stratagèmes.

Lorsque nos Versets leurs étaient récités,
ils disaient:
«Oui, nous avons entendu!
Nous en dirions autant, si nous le voulions;
ce ne sont que des histoires racontées par les Anciens».

Lorsqu’ils disaient:
«Ô Dieu!
Si cela est la Vérité venue de toi,
fais tomber du ciel des pierres sur nous,
ou bien, apporte nous un châtiment douloureux».

Mais Dieu ne veut pas les châtier
alors que tu es au milieux d’eux.
Dieu ne les châtie pas
quand ils demandent pardon.

Pourquoi Dieu ne les punirait-il pas?
Ils écartent les croyants de la Mosquée sacrée,
et ils ne sont pas ses amis.
Ses amis sont seulement ceux qui le craignent;
mais la plupart des hommes ne savent rien.

Leur prière à la Maison
n’est que sifflements et battements de mains…
«Goûtez donc le châtiment de votre incrédulité!»

Oui, les incrédules dépenseront leurs biens
pour éloigner les hommes du chemin de Dieu.
Ils les dépenseront,
puis ils déploreront de l’avoir fait
et ils seront ensuite vaincus.

Les incrédules seront réunis dans la Géhenne,
pour que Dieu sépare le mauvais du bon;
qu’il entasse les mauvais les uns sur les autres,
puis qu’il les amoncelle tous ensemble
et qu’il les mette dans la Géhenne.
-Voilà les perdants-

Dis aux incrédules que s’ils cessent,
on leur pardonnera ce qui est passé.
S’ils recommencent,
qu’ils se rappellent alors l’exemple des Anciens.

Combattez-les
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition,
et que le culte soit rendu à Dieu en sa totalité.
S’ils cessent le combat,
qu’ils sachent
que Dieu sait parfaitement ce qu’ils font.

S’ils tournent le dos,
sachez que Dieu est votre Maître,
un excellent Maître, un excellent Défenseur!

(Le Coran, Sourate 8, Le butin. versets 30-40, traduction D. Masson)

À ce point-ci, le jeu du chat et de la souris entre les musulmans et les incrédules, c’est plus seulement du stratagème. C’est carrément de la stratégie. Stratégie militaire notamment (Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition…). En me pardonnant une analogie un peu mutine, vous me permettrez de faire observer qu’on nous annonce ici que tout se passe comme si les croyants, encore minoritaires, étaient comme pris en otage, face au dieu, par les incrédules qui les cernent et qui les transforment, volontairement ou non, en une sorte de bouclier humain (Mais Dieu ne veut pas les châtier alors que tu es au milieux d’eux). Et lesdits incrédules, par contre, ne se gênent pas pour bien le narguer, le dieu («Ô Dieu! Si cela est la Vérité venue de toi, fais tomber du ciel des pierres sur nous, ou bien, apporte nous un châtiment douloureux»). On croirait presque que le prêche coranique décrit ici une bande de collégiens un peu potaches chahutant et faisant la sourde oreille face â l’autorité d’un maître qui, lui, visiblement, n’a pas que des amis (Ses amis sont seulement ceux qui le craignent). Et ce maître, qui ne veut/ne peut pas vraiment punir, de tonner: vous vous croyez fin-finauds, mais le maître aussi est fin-finaud, vous allez dépenser toute votre menue monnaie avant de le surclasser… Puis: bon, bon, si vous vous calmez, les enfants, je suis bien prêt à passer l’éponge (Dis aux incrédules que s’ils cessent, on leur pardonnera ce qui est passé). Mais, le calme revenu, n’allez surtout pas vous imaginer que je comprend pas ce qui se trame ici, les amis (S’ils cessent le combat, qu’ils sachent que Dieu sait parfaitement ce qu’ils font). Il est difficile de ne pas se dire que le prêcheur (le Coran, comme texte conseillant ici les croyants sur leur marche à suivre face aux incrédules) a sur tout ceci, en fait, beaucoup plus de fil à retordre qu’il ne se sent prêt à s’engager à l’admettre. Le fait est que ses problèmes prosélytes ne se réduisent peut-être pas tout à fait à la problématique archaïque et solidement balisée de la conversion au monothéisme d’une irrationalité religieuse éparse, sauvageonne, sensualiste, vieillotte mais somme toute préservée intacte, disponible et convertible.

Si bien que la question en vient fatalement à se poser, livide. Le Coran n’a-t-il pas été, même en son temps, directement confronté à l’athéisme au sens fort (la non-croyance intégrale en un dieu ou des dieux). N’a-t-il pas du commenter, et analyser (donc implicitement admettre), l’incroyance pure, exempte de religiosités ou croyances antérieures d’aucune sorte. Chercher de l’athéisme dans le Coran, c’est vraiment chercher une aiguille dans une botte de foin. Et pourtant, eh bien, tendanciellement, on trouve… Observer ce court passage où le prêche coranique, derechef (comme il le fait souvent), explique au «militant» musulman comment il doit se comporter face à l’incroyance:

Pose cette question aux incrédules:
Sont-ils plus forts de constitution
que d’autres êtres créés aussi par nous?
Nous les avons créés d’argile durcie.

Tu t’étonnes et ils plaisantent.
Quand on leur rappelle quelque chose,
ils ne s’en souviennent pas.

Quand ils voient un Signe,
ils veulent s’en moquer
et ils disent:
«Cela n’est que magie notoire [sic]!
Lorsque nous serons morts
et que nous serons poussière et ossements,
Serons-nous ressuscités,
nous-même et nos premiers ancêtres aussi?»

Dis:
«Oui, et vous vous humilierez!»

(Le Coran, Sourate 37, Ceux qui sont placés en rang. versets 11-18, traduction D. Masson)

Dans ce texte du septième siècle, on s’approche singulièrement du type de procédé que des prêcheurs contemporains utilisent pour tenter d’ébranler des personnes non seulement indifférentes à une doctrine religieuse qui serait inusitée, incongrue, vieille (magie notoire) ou nouvelle mais aussi des personnes imbues d’une tranquillité éclairée et d’une paix froide face au tout de l’irrationalité religieuse, en soi. On s’offusque de leur indifférence intégrale devant tout ce qui pourrait procéder de l’au-delà (Lorsque nous serons morts et que nous serons poussière et ossements). Et de recommander au musulman de les ébranler avec un argument d’une singulière modernité ès préchi-précha: la peur de la faiblesse corporelle et de la mort physique (Pose cette question aux incrédules: Sont-ils plus forts de constitution que d’autres êtres créés aussi par nous?). On voit fort mal ce genre de dynamique argumentative se déployer devant des polythéistes qui, eux, restent intégralement pétris de vieilles croyances et de pulsions en faveur de l’au-delà.

Le Coran voudrait que l’on pense qu’il ne fait face qu’à de mauvais religieux (des polythéistes), ou à des monothéistes incomplets (des croyants en un dieu unique, mais non-musulmans), ou à des dépravés immoraux des deux groupes précédemment mentionnés (des «pervers» dévoyés ou mal islamisés). Il lui est extrêmement difficile d’admettre l’athéisme, sans le réduire de facto aux trois cas de figure précédents. Être sans dieu et sans croyance irrationnelle c’est, aux vues du prêche coranique, probablement juste d’avoir oublié dieu (Quand on leur rappelle quelque chose, ils ne s’en souviennent pas) ou de ne pas décoder son message (Quand ils voient un Signe, ils veulent s’en moquer). Sur ce point, les musulmans modernes sont, eux aussi, solidement coranistes, même si, technologie oblige, ils ne peuvent désormais plus s’exclamer, contre les incrédules: Qu’ils montent donc au ciel avec des cordes!

Les musulmans ont peur de l’athéisme comme la nature était autrefois censée avoir peur du vide. Ils ne l’admettent pas comme fait ordinaire, ne le cadrent pas, ne le piffent pas… malgré certains aveux involontaires de leur texte sacré, lumineux, lui, en cela aussi. Et, comme le Coran finalement, les musulmans se leurrent ouvertement au sujet de l’inexistence de dieu, dans les faits et dans les consciences. Car l’athéisme est. Et il existe pleinement, depuis des temps fort reculés. Une lecture attentive du Coran confirme que le texte sacré de l’Islam s’en avise et impitoyablement, fatalement, et comme désespérément, s’en insurge.

Athee-sur-cher

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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La mort de Fatima: fatalité ou brutalité?

Posted by Ysengrimus sur 4 octobre 2017

"Fatima"

« Fatima »

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À la mort de Fatima, fille benjamine de Mahomet, Saint Prophète de l’Islam, le schisme musulman s’annonce déjà. Et une portion significative de la charge symbolique associée au personnage tragique de Fatima réside dans la mésentente entre sunnites (aujourd’hui 85% des musulmans) et chiites (aujourd’hui 15% des musulmans) sur le récit de sa mort. Morte la même année que son père, en 632, à l’âge de 27 ans (si elle est née en 605) ou même à l’âge de 17 ans (si elle est née en 615), Fatima, mère de quatre enfants, décède prématurément. C’est là la seule chose sur laquelle on s’entend. Et je ne vais certainement pas trancher la question des versions de sa disparition ici, attendu, surtout, que les deux susdites versions portent leur douloureux et fatal compendium de misère et de sagesse et ce, en elles-mêmes, comme de par leur mise en contraste.

Pour bien suivre l’articulation de la mésentente qui mènera à la radicale dualité des traditions sunnite et chiite concernant la mort de Fatima, il faut retracer rien de moins que la clef du schisme. Celle-ci concerne la succession du Saint Prophète, mort subitement, sans enfant mâle. Les califes («successeurs») s’énumèrent comme suit: Abou Bakr As-Siddiq (calife de 632 à 634), Omar Ibn Al-Khattâb (calife de 634 à 644), Othman Ibn Affân (calife de 644 à 656), Ali ibn Abi Talib (calife de 656 à 661). Après Ali, la Oumma, couvrant désormais un territoire immense, se fragmente en de vastes et durables dynasties et ne dispose plus d’un califat unifié. La tradition musulmane majoritaire désigne les quatre premiers califes sous le nom de Rashiduns («les bien guidés»). Si le schisme ne remonte pas nécessairement historiquement à eux, il se définit et se mythologise largement en eux.

Car le fait est que les sunnites et les chiites ne s’entendent pas sur le statut historique de ces califes Rashiduns. Pour les sunnites, l’ordre des commandeurs des croyants est bien Mahomet, Abou Bakr, Omar, Othman, Ali. Pour les chiites, l’ordre des commandeurs des croyants est Mahomet, Ali. Rappelons pour mémoire qu’Ali est le cousin du Saint Prophète et le mari de Fatima. C’est du couple d’Ali et de Fatima que sortira une descendance du Saint Prophète par le sang, descendance que les chiites revendiquent encore aujourd’hui pour leurs imams.

Donc, la fulgurante période où l’Islam finalise la conquête de l’Arabie (sous Abou Bakr), convertit la Perse, l’Irak, la Syrie romaine (sous Omar), prend l’Égypte copte et commence à pénétrer le Maghreb (sous Othman) n’est pas vraiment, dans les vues des chiites, une période où la foi musulmane est ouvertement animée par des califes (Abou Bakr, Omar, Othman sont en gros des usurpateurs largement opportunistes). Pour les sunnites, d’autre part, Ali est de plein pied calife de l’Islam, simplement il est le quatrième calife, pas le premier. Pour les sunnites, le veuf de Fatima (Ali) ne devient calife que lorsque la Oumma le nomme, pas une minute avant (on procède ici comme pour un pape). Pour les chiites, Ali fut calife dès la mort de son cousin Mahomet en 632 (on raisonne ici comme pour un roi) mais il ne put assumer son commandement effectif qu’en 656.

Dans la version sunnite des choses, Abou Bakr et Omar (ainsi qu’Othman, qu’on va laisser de côté ici car il n’a pas de rapport direct avec la mort de Fatima) sont des personnages vénérables dont l’hagiographie exige qu’ils soient décrits comme des modèles moraux et des chefs impartiaux et inspirés. Dans la version chiite, Abou Bakr et Omar sont des personnages douteux servant de faire-valoir passablement maganés et démonisés au sein de l’hagiographie d’Ali (et corollairement, de Fatima). Cette hagiographie fatimide, elle-même, construit la description d’un calife inspiré, patient et héroïque, qui dut lutter durement, après son douloureux veuvage, pour asseoir sa succession. Comme Abou Bakr et Omar ont un rôle à jouer dans la mort de Fatima, la version qu’on se donnera de cette mort sera déterminée par l’image qu’on se donne du successeur de Mahomet: Abou Bakr (élu, malgré Ali) pour les sunnites, Ali (bafoué par Abou Bakr) pour les chiites. On commence à sentir qu’il y aura antinomie des approches et des descriptions.

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La mort de Fatima, résultat d’une triste fatalité (lecture sunnite). Pour les sunnites, Mahomet malade sait, de par la volonté divine, que sa fille Fatima le suivra bientôt dans la tombe. Il le lui annonce secrètement, sur son lit de mort. Fatima en tire un sentiment ambivalent de douleur et de joie. On insiste ici sur la profondeur du rapport entre un père et sa fille. Fatima fut de toutes les quêtes de Mahomet. Elle était à ses côtés dans les moments les plus difficiles. Une extraordinaire proximité les unit. Cela est renforcé par le fait que, parait-il, Fatima ressemblait beaucoup physiquement au Saint Prophète. Fatima survivra six mois à son père. Pendant cette période triste et endeuillée surviendra l’épisode malheureux de l’héritage paternel que lui refusera le nouveau calife, Abou Bakr, contraint légalement de le faire. Un froid s’instaure entre le nouveau commandeur des croyants et Fatima. Mais la fille du Saint Prophète est auréolée de la fatalité qui l’enserre et elle se distancie assez vite de la question des possessions matérielles et des successions politiques. Quand la maladie la gagne, sa sagesse la pousse à se réconcilier avec Abou Bakr qui, magnanime, accepte d’oublier le malentendu maintenant que Fatima entend raison. Une nuit, devenue gravement malade, celle qu’on surnommait «la resplendissante» rêve du Saint Prophète qui lui annonce sa mort désormais toute prochaine. Elle meurt finalement et est enterrée dans les formes et surtout, dans une grande tristesse inexorable quoique sans amertume politique particulière. Le lieu de son enterrement fut parfaitement connu à l’époque (même s’il est oublié aujourd’hui).

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La mort de Fatima, résultat d’une arbitraire brutalité (lecture chiite). Quand Mahomet meurt, Fatima, surprise, est foudroyée par une tristesse si puissante que, pendant deux jours, elle tombe inconsciente. À son réveil, la Oumma a déjà prêté serment à Abou Bakr, sans que Fatima ait pu formuler le seul choix qu’elle préconisera toujours, celui de son époux Ali. Un bon nombre de musulmans se regroupent d’ailleurs autour d’Ali et perçoivent la nomination d’Abou Bakr comme une usurpation. Une réunion a lieu à la demeure d’Ali et de Fatima. Flairant une sédition potentielle, Abou Bakr et Omar se rendent chez Fatima et Ali. Omar, le futur conquérant de la Perse, est un grand gaillard bouillant et unilatéral. Sa biographie inclut au moins un épisode disgracieux où il rudoie une femme musulmane alors qu’il n’est pas encore converti lui-même. L’initiative des femmes, c’est pas trop son truc, au futur calife Omar. Constatant que Fatima se tient derrière la grille de sa maison pour les empêcher d’entrer, lui et Abou Bakr, Omar pousse rudement Fatima contre un mur de pierre avec la grille de la porte et Fatima se retrouve avec des côtes fêlées. Elle est enceinte et cet acte brutal la mènera à une fausse couche. Les musulmans entourant Ali finissent par se rallier à Abou Bakr. C’est ensuite l’épisode de la spoliation de l’héritage de Fatima. Ici, il est assumé qu’elle n’adressera plus jamais la parole à Abou Bakr. Elle meurt, six mois après son père, d’un effet direct des blessures lui ayant été infligées par Omar. Le lieu de l’enterrement de Fatima fut tenu secret par Ali (à la demande expresse de Fatima même). Ce secret perdure à ce jour.

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Voilà. Tout le schisme est là, encodé dans deux lectures irréconciliables du sort injuste d’une jeune femme. J’ai personnellement pour mon dire que, dans une de ces version comme dans l’autre, la mort de Fatima, c’est en fait une allégorie du sort des femmes (de toutes les femmes d’un temps, hein, pas seulement des musulmanes). Abnégatives par amour absolu et myope pour le père sanctifié ou par soumission revêche et contrainte à la violence masculine omniprésente, elles sont réduites à attendre un sort meilleur dans les générations futures qui suivront les générations futures. Et pourtant la tradition islamique nous parle de Fatima en des termes qui lui assignent une bien plus cruciale amplitude que celle d’héritière spoliée se faisant tasser entre un mur et une grille par un rustaud.

Pensée universelle, écoutes-tu vraiment ce que le Saint Prophète de l’Islam chercha à te dire de ses épouses et de ses filles?

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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L’héritage de Fatima

Posted by Ysengrimus sur 1 octobre 2017

Muslim-Woman-Praying

Jetons un regard moderne (et non hagiographique) sur les tensions larvées se faisant jour dans la maisonnée de Mahomet (570-632), Saint Prophète de l’Islam, au soir de sa vie. Sa première épouse Khadîdja (morte en 620) est la mère de Fatima (née en 605 ou 615). Sa troisième épouse Aïcha (née en 614, mariée enfant au Saint Prophète en 621) est la fille d’Abou Bakr, devenu, lui, premier calife de l’Islam après la mort du Saint Prophète, de préférence à Ali (né en 600) cousin du Saint prophète et justement époux de Fatima (depuis 622 ou 623). Tout un sac de nœuds…

Attention, reprenons. Et centrons nous sur Fatima. Sa mère, la toute première personne s’étant convertie à l’Islam, est morte à 65 ans, très probablement d’un épuisement généralisé résultant des privations que cette commerçante à l’aise fut obligée subitement d’encaisser, de par la tempête politique et les persécutions subies par l’Islam naissant. Fatima fut profondément affectée par cette perte. Son père, qui était resté monogame pendant les vingt-cinq années de sa vie maritale avec Khadîdja, contracte une alliance politique avec Abou Bakr que l’on veut sceller, selon la vieille coutume arabe, par des mariages. Le Saint Prophète, fraîchement veuf, accepte respectueusement d’épouser Aïcha, fille d’Abou Bakr (le mariage sera consommé plus tard, car Aïcha n’est qu’une enfant — juridiquement, Aïcha est la troisième épouse du Saint Prophète. Une vieille dame du nom de Sawda bint Zama est celle qui a ouvert la voie de la régression du Saint Prophète vers la polygamie). Mais notre affaire frappe un premier os majeur quand Abou Bakr demande, en bonne symétrie, la main de Fatima, fille benjamine de Mahomet. Cette dernière (qui aime déjà Ali, qu’elle connaît depuis son enfance) ne veut pas épouser Abou Bakr, point barre… et le Saint Prophète, qui est, il faut le dire sans dessiller, un homme solidement en avance sur son temps, refuse tout net que sa fille prenne un mari qu’on lui imposerait abstraitement, à l’ancienne. Couac. Pataquès. Abou Bakr ne rompt pas pour autant sa part de l’entente (Aïcha, trop jeune pour éventuellement s’objecter, reste promise au Saint Prophète), mais la réciproque ne se concrétise pas et un malaise insidieux et durable s’installe.

Le Saint Prophète meurt de maladie (dix ans plus tard, en 632). La mort est subite et le chef des musulmans n’a pas d’héritier mâle. Une nouvelle tension va alors s’installer qui, éventuellement fondera la distinction entre sunnites et chiites. Dans notre regard moderne sur la maisonnée du Saint Prophète, on dira qu’ici le fossé entre Fatima et Abou Bakr va encore s’élargir, si possible. Ali, cousin du Saint Prophète et époux de Fatima, revendique le califat (c’est-à-dire la succession du Saint Prophète comme commandeur des croyants). Adhéreront à l’idée du califat d’Ali, à la fois cousin et gendre du Saint Prophète, ceux qui croient à une filiation par le sang de l’héritage politique musulman, comme on le ferait, par exemple, dans le cas d’un roi (cette option sera retenue par les chiites, aujourd’hui minoritaires en Islam). La Oumma opte plutôt pour un choix plus radical et moderniste. En conformité avec le fait qu’on ne suit pas un homme (Mahomet) mais un dieu (Allah), les membres les plus éminents de la communauté des croyants se réunissent et élisent ou nomment le calife, au mérite politico-religieux, comme on le ferait, par exemple, d’un pape (cette option sera retenue par les sunnites, aujourd’hui majoritaires en Islam). C’est Abou Bakr qui devient calife, frustrant (temporairement) Ali de la position (lui, il l’obtiendra éventuellement en 656, sur le même mode électif. Fatima, morte en 632, n’en saura jamais rien).

Donc quand Fatima (605/615-632) pose ses yeux sur Abou Bakr (573-634), elle contemple un vieux cacique dont elle se dit: 1) il a fait régresser mon père vers la polygamie en lui faisant marier Aïcha (une bambine de l’âge de Fatima, ou plus jeune) qui prendra une grande place dans le cœur du Saint Prophète, en compagnie éventuellement d’autres épouses… la place que n’occupait autrefois que la mère de Fatima; 2) il a frustré mon mari Ali de la position de calife en se la voyant assigner lui-même par les éminences de la Oumma. Il est donc hautement probable que Fatima ne porte pas Abou Bakr dans son cœur. Ce dernier le lui rend indubitablement bien car: 1) elle a refusé —frustration suprême— son offre en mariage, forçant, contre toute une tradition, le Saint Prophète à prendre une jeune femme sans en donner une en retour; 2) elle a fortement et explicitement milité pour le califat d’Ali contre Abou Bakr, contribuant significativement à diviser politiquement l’Islam naissant.

C’est dans ce contexte particulièrement contraire que Fatima va réclamer du nouveau calife Abou Bakr l’héritage foncier que lui a légué son père Mahomet. Il s’agit d’une oasis, une vaste palmeraie couverte de dattiers (et de palmiers), située non loin de Médine et qui s’appelle le Fadak. Ça va très mal se passer.

C’est que Fatima vit à la dure. Leur terre médinoise à Ali et elle est ingrate. C’est un lopin. Fatima puise son eau elle-même, assume toutes les tâches de sa maisonnée. Elle a les mains calleuses, une épaule enflée de tant avoir porté l’eau. Elle est la dernière des filles de Khadîdja (Khadîdja fut divorcée et veuve de deux hommes distincts, avec enfants dans les deux cas, avant d’épouser à 40 ans le Saint Prophète qui en avait alors 25). Les demi-sœurs de Fatima se souviennent de leur belle vie à La Mecque, du temps que leur mère tenait, à elle seule, le plus prospère commerce caravanier de tout le Hedjaz. Elles ne manquent pas de raconter, non sans un brin de nostalgie, cette vie de faste et de farniente à Fatima. Et Fatima n’a rien, parce que son père est devenu le prophète de dieu et qu’il a fallu fuir les persécutions des mecquois, en catastrophe. Quand Fatima demande une servante à son père (sur les derniers jours du Saint Prophète les conquêtes musulmanes rapportaient régulièrement des esclaves), elle se fait servir par l’envoyé de dieu une valorisation de l’effort et de la prière, sans plus. Fatima en a un peu marre. Il lui semble donc que le Saint Prophète, sur ses derniers jours, voyant sa contrariété, la partageant car il considère sa Fatima adorée comme la moitié de lui, lui a promis, à elle et à Ali, de leur léguer la magnifique palmeraie du Fadak. La promesse est faite en catimini, au logis, verbalement, et sans témoins. Et maintenant Fatima réclame son héritage.

Abou Bakr ne l’entendra pas de cette oreille. Du haut de sa toute nouvelle autorité de commandeur des croyants, il explique que le Saint Prophète a déjà déclaré qu’il ne laissait rien en héritage et que tous ses avoirs se convertissaient à sa mort en aumônes. La palmeraie du Fadak est donc domaine public et tout est dit. Aucune des filles ou demi-filles du Saint Prophète n’héritera de quoi que ce soit et fin du drame. La tension de ressentiment entre Fatima et Abou Bakr est alors à son paroxysme. Un paroxysme poli, silencieux, tendu, subtil. Toute la Oumma les observe. L’ultime parade de Fatima sera doxographique, hagiographique, philologique. Elle épluchera patiemment le Coran et en tirera toutes les citations où il est explicitement fait référence au fait que tel prophète majeur ou tel autre prophète crucial avait un ou des héritiers, sous le regard de dieu, sans que cela ne s’avère particulièrement contestable. L’argument d’une invocation directe de la parole de dieu clairement consignée dans le texte sacré contre un commentaire du Saint Prophète cité verbalement par le premier calife touchera le cœur de certains musulmans. Mais Abou Bakr restera inflexible. Et Fatima restera les mains vides. Et elle et le premier calife ne s’adresseront plus jamais la parole. Et, des années après la mort de Fatima et d’Abou Bakr, Ali, devenu calife, ne rouvrira pas la question du legs de la palmeraie du Fadak pour éviter que des divisions stériles et cuisantes ne déchirent la Oumma autour de l’héritage de Fatima.

Voilà. Le douloureux trésor méditable que nous lègue ici Fatima se provigne donc en deux rameaux philosophiques. Elle est d’abord associée à la question de l’héritage politique d’un chef fondateur. Legs régalien par le sang ou transmission par un collégium au successeur le plus méritant (ou militant). Dans ce premier débat, Fatima est associée à l’option conservatrice. Fille du «roi», il aurait fallu que son mari, cousin du «roi» hérite du «sceptre», vu que ce sont eux, et eux seul, qui engendrèrent les descendants directs du «roi». Les musulmans ont assumé ici (en majorité) le choix moderniste, contre Fatima, et au risque durable du schisme.

Fatima est ensuite associée à la réflexion à produire face à des sources de jurisprudence. Si un prophète dit qu’il n’a pas d’héritier à honorer tout en ancrant sa doctrine fondamentale dans une tradition philologique attestant que les prophètes ont des héritiers et qu’ils les honorent, peut-il, lui, en avoir (et devoir les honorer), même malgré sa propre opinion privée? Qu’est-ce qui prime? Le commentaire ultime de l’ultime prophète dans son contexte personnel ou ce que corrobore le texte saint (présumé divin) dont il se réclame par-dessus absolument tout? Dans ce second débat, Fatima est associée à l’option progressiste. La logique juridique qu’elle refusait à Abou Bakr (lui préférant le sang: elle et Ali au califat), elle se l’alloue ici, exigeant que le droit à l’héritage issu de la tradition coranique prime sur la parole privée du chef disparu. Les musulmans, eux, ont préféré les murmures du chef au texte de la parole écrite. Ils ont assumé ici, contre Fatima encore une fois, le choix réactionnaire… et probablement le choix phallocrate aussi, hein, il ne faut pas se mentir.

Ce débat intestin (et un rien mesquin) est poignant, triste, amer. Il est peu utile de prétendre que Fatima a fait tout ceci de façon intéressée. Abou Bakr était tout aussi intéressé de son côté et, toutes choses égales d’autre part, tout ce beau monde se croyait crucialement inspiré de dieu. Laissons ce qui est petit aux petits et méditons au sujet de ce qui élève. Ce qui est intéressant ici, c’est la réflexion sur les principes fondamentaux que ces figures tragiques imposent, encore crucialement, à la pensée moderne. Dans la trajectoire mal connue donc semi-fictive de ces personnages, tout se joue comme dans un drame shakespearien (Jules César, par exemple) et la réflexion que Fatima nous lègue en héritage touche des questions fondamentales procédant de rien de moins que de la sagesse des nations agissantes.

Fatima est morte prématurément, seulement six mois après son père Mahomet, Saint Prophète de l’Islam. La mort de Fatima soulève d’autres questions passionnantes (et tristes) dont nous reparlerons.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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