Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

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Le Saint

Posted by Ysengrimus sur 7 décembre 2022

Le saint-logo

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Les plus âgés d’entre vous se souviendront certainement de Simon Templar dit le Saint (à cause de ses initiales S.T.). C’était une espèce d’aventurier élégant dont les différentes péripéties de vie et de carrière s’étalaient joyeusement sur nos petits écrans bombés, en noir et blanc. J’ai regardé les aventures de ce célibataire endurci, changeant de copine à chaque épisode, et j’ai effectué ce visionnement attentif, exclusivement dans la version française, particulièrement délicieuse. C’était un feuilleton britannique et la version originale était finalement assez difficile à comprendre, pour l’étudiant d’anglais fort approximatif que j’étais, dans mes vertes années. Le personnage était bel et bien une espèce de mondain, un peu gentilhomme cambrioleur, un peu barbouze de luxe, un peu justicier rouage flottant. Les polices du monde le toléraient un petit peu (quand il leur faisait leur sale boulot transversal) et le subissaient beaucoup. Fondamentalement intègre et légitimiste, le Saint avait plus ou moins ses doigts dans tous les commissariats et services secrets du monde et il redressait les torts, en trichant toujours un brin, ou encore il jouait les chevaliers d’industrie pour protéger la veuve et l’orphelin, où un peu des deux à la fois.

Une des caractéristiques stables, aussi curieuse que jubilatoire, de Simon Templar est qu’il tirait du flingue comme un pied. Il se retrouvait bien souvent avec une arme à feu à la main et ratait presque toujours lamentablement ses cibles. C’était là une façon, discrète mais bien effective, de mettre en valeur son indécrottable dimension chevaleresque. Notre bon héros ne tuait quasiment jamais de sang-froid, malgré les multiples opportunités qui se présentaient. Trop mauvais tireur. Donc, il n’avait jamais vraiment de cadavres sur la conscience. Subtil halo d’innocence. Un autre de ses traits originaux est qu’il n’avait absolument aucun problème avec les serrures. Qu’il soit confronté à la porte verrouillée d’une maison ou d’un appartement, à un tiroir sous clef ou à une cassette cadenassée, les fermoirs et les barrures ne lui résistaient que très temporairement. Ce Saint semble parvenir à tout ouvrir, souvent sans rossignol ou passe-partout, avec une aisance parfaitement déconcertante. Avec le temps, on finit par découvrir qu’une de ses nombreuses spécialités implicites est celle de forceur de coffre-fort. Quand il chaparde un objet, bien gardé en quelque dispositif illusoirement verrouillé, il le remplace souvent par un petit croquis, similaire à celui que j’ai placé ici en ouverture. C’est là le logo signature du Saint, souvent plagié par les malfrats du tout-venant, quand ceux-ci aspirent à faire porter le chapeau de leurs méfaits à notre aigrefin au grand cœur.

Les principales qualités de la série télévisée Le Saint, basée sur les romans éponymes d’un certain Leslie Charteris, auteur à succès de l’entre-deux-guerres bien oublié aujourd’hui, devaient énormément au charme et au style de Roger Moore, l’acteur onctueux qui jouait Simon Templar. Il faut dire que Roger Moore était assez étroitement associé à cette série. Il dessinait ses propres costumes et signait la mise en scène de certains des épisodes. Ce feuilleton dura sept ans et fut diffusé initialement entre 1962 et 1969 (comme, en 1962, j’avais quatre ans, il est indubitable que j’ai visionné la chose lors des interminables reprises de la v.f. sur nos bons et durables canaux canadiens). La série (qui totalise 118 épisodes de cinquante minutes) était initialement en noir et blanc (d’ailleurs les meilleurs épisodes sont de loin les épisodes en noir et blanc). Puis les deux dernières années, elle passa à la couleur. Après avoir joué Simon Templar, le Saint, Roger Moore, jouera Brett Sinclair dans Amicalement vôtre et aussi, bien sûr, le second James Bond.

Les scénarios de la série télévisée Le Saint sont inégaux. Certains d’entre eux sont honorablement ficelés, rythmés, surprenants, sympathiques, convaincants… alors que d’autres sont d’un simplisme et d’un inefficace passablement désarmant. Ce qui importe pour moi ici, c’est que cette série est, dans mon esprit, corrélée au barda aléatoire des souvenirs télévisuels de l’enfance. Ces visions quasi-oniriques, émanant du petit écran en noir et blanc, restent avec soi longtemps, quand on a oublié tout le reste du scénario. C’est ce qui m’arrive avec Le Saint. Il fait pop dans ma mémoire, par à-coups isolés. J’ai le souvenir d’une fois biscornue où Simon Templar échange un verre de champagne qu’on lui a drogué contre le verre d’une jeune femme et fait semblant de tomber endormi, alors que la jeune femme finit par s’endormir après coup (The Counterfeit Countess). Je me souviens aussi d’un type lancé par Templar du haut d’une pile de caisses, dans un entrepôt, et, patatras, le type s’enfonce dans une caisse en contrebas et ne bouge plus, avec seulement ses pieds qui dépassent (The Helpful Pirate). Une autre fois, des gens du populo l’aident à s’extirper d’un cours d’eau. Il leur distribue alors des billets de banque détrempés, en s’excusant pour l’eau (The Persistent Patriots). Je revois encore un téléphone fixe contenant une charge explosive qui péta à l’oreille de celui qui le décrocha, le terrassant tout de go (The death game). Il y a donc un certain nombre de souvenirs comme ça, qui me reviennent de façon fixe, à propos de la série télévisée Le Saint. Mais j’ai dû soigneusement revoir des épisodes de ce feuilleton, pour arriver à retrouver la configuration des scénarios dont j’avais, au bout du compte, absolument tout oublié.

Il y a, par contre, au moins un épisode de la série télévisée Le Saint qui est resté profondément ancré dans ma mémoire, c’est celui intitulé Un drôle de monstre (The Convenient Monster). Dans cet opus, passablement lugubre, Simon Templar est en Écosse. Il est confronté à une dame paléontologue qui recherche activement le monstre du Loch Ness. Elle le recherche tellement qu’elle finit, en fait, plus ou moins, par plus ou moins le fabriquer elle-même. Enfant, cet épisode m’avait absolument terrifié et il m’avait fait faire des cauchemars et me réveiller la nuit, en chialant. Tant et tant que ma mère avait promptement décidé de prohiber tous mes visionnements ultérieurs de la série télévisée Le Saint. Atterré, j’ai dû négocier sec pour démontrer à ma douce maman que mes terreurs, suscitées par cet épisode spécifique, étaient parfaitement fortuites et isolées et que Le Saint était un gentil feuilleton de notre guerre froide si ordinaire, qui impliquait de l’espionnage, de la bagarre, du banditisme, des meurtres au flingue, des explosions et du machisme en pagaille, et que l’horreur, l’épouvante et l’insolite n’y figuraient goutte, qu’il en était habituellement totalement exempt. Sourcilleuse, ma mère se laissa finalement convaincre devant mon insistance et je pus continuer de m’imprégner des inoffensives aventures brutales de Simon Templar dit le Saint, sans qu’il risque de subir le sort parentalement normatif prohibant, fermement et sans concession, Au déjà du réel ou La Quatrième dimension, à cause de leur inénarrable impact cauchemardesque.

Tendre époque. Une caractéristique très spécifique de ce personnage est qu’il plaisait incroyablement aux femmes, tant aux femme personnages qui le rencontraient, lui, dans le feuilleton, qu’aux autres filles et femmes, celles qui visionnait ledit feuilleton, mes sœurs, les voisines, et alii. Un peu tout le monde reconnaissait à Simon Templar un charme indubitable. Avec le recul, d’ailleurs, la chose demeure encore relativement convaincante. On découvre, ou redécouvre, un gars poli, à la voix harmonieuse (assurée, suavement, dans la v.f., par Claude Bertrand). Il est ostensiblement déférent, attentif, authentiquement empathique, pas trop dragueur même. De fait Simon Templar est, à la limite, un petit peu abstinent, pour tout dire, en ce qui concerne, disons, la chose… Avec le recul de deux générations, on arrive à comprendre pourquoi ce personnage pouvait exercer un charme réel sur la gent féminine. Et ce charme, d’ailleurs, a honnêtement perduré. Les personnages féminins, pour leur part, n’étaient pas inintéressant. C’étaient souvent des dames de leur temps, certes, mais très articulées et tout à fait efficaces pour ce qui en était de contribuer à une intrigue de qualité.

Que reste-t-il de ces épisodes en noir et blanc qui commencent habituellement sur la présentation sommaire d’une ville (habituellement occidentale… mais pas que), Londres, Paris, Rome, Milan, Munich, Athènes, Montréal. Il reste surtout cette espèce d’ambiance interlope et incolore, un rien jazzy, à la fois vieillotte et joyeuse, des Trente Glorieuses. Atmosphère tonique et fofolle qui faisait que, dans le fond, tout ça n’avait pas tellement d’importance. Ces histoires d’espionnage et de banditisme n’étaient finalement pas si graves et pas si sérieuses, lorsqu’elles se déployaient dans un contexte de prospérité si sereinement postulé. Un mot, pour la bonne bouche, à propos des incontournables bagarres, qui étaient un des traits distinctifs de l’activité intensive de Simon Templar dit le Saint. Chaque épisode incorporait deux ou trois de ces bonnes séquences pugilistiques, considérées comme un des beaux-arts. Ces empoignes semi-improvisées étaient terriblement convaincantes. Elles faisaient dans le tangiblement plausibles. Elles n’étaient visiblement pas chorégraphiées et on avait vraiment l’impression que les vrais acteurs se tapaient textuellement et prosaïquement sur la gueule, se collaient les mains dans les faces, se flanquaient des ruades, roulaient sur les tables ou dans le mobilier, s’étalaient de tout leur long au sol et se distribuaient fermement des coups de poings cowboys francs et net. Cela faisait, à chaque fois, une très forte impression. On ne se bat tout simplement plus comme ça, à la télévision et au cinéma, de nos jours.

Finalement, à l’exception des scénarios platement ratés, qui représentent, je dirais, à peu près 20% du corpus, ce feuilleton mérite parfaitement d’être revu, pour ne pas dire carrément médité. Simon Templar, c’est une sorte de Bob Morane de salons chics et il reste vraiment intriguant de constater que cette époque marque l’âge d’or du personnage masculin auto-promotionnel, célibataire, cravaté, séduisant, protecteur, intelligent, efficace, articulé, peu scrupuleux mais irrésistible. Les temps ont bien changé et, aujourd’hui, la crédibilité réaliste de ce genre de figure est totalement aplatie. Il faut croire que le Saint en était un… c’est-à-dire, au fin fond, le grand pantin irréel d’un temps, voué à son sort légendaire à l’ancienne. Après tout, ce n’est peut-être jamais que ça, au fond, la sainteté.

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Le saint

Simon Templar, le Saint

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Les Forges de Saint-Maurice (feuilleton télévisé)

Posted by Ysengrimus sur 11 septembre 2022

Lardier (Léo Ilial), Titiche Chaput (Hélène Lasnier) et Olivier de Vézin (Pascal Rollin)

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Des Provinces de Champagne, Bourgogne et Franche-Comté
vinrent les premiers ouvriers des Forges de Saint-Maurice…
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Sous Louis XV, la Nouvelle-France commence tout doucement à manquer de souffle. Dans un petit quart de siècle (en 1760), elle sera conquise par les Britanniques. Pour l’instant, elle s’efforce de continuer de s’organiser, et notamment de mettre en place une certaine production industrielle. Sur la rivière Saint-Maurice, un important affluent du Saint-Laurent, une grande forge industrielle a été construite, en 1730. Elle doit pouvoir permettre de fabriquer des clous, des barres et des gueuses de fer, des produits semi-finis destinés, mercantilisme colonial oblige, au marché métropolitain. L’administration royale tape un peu du pied pour que la production démarre mais ladite production traîne en longueur à cause de toutes sortes de problèmes tant techniques et logistiques que sociopolitiques. Un rapport de force insidieux s’établit entre les ouvriers des forges, arrivés récemment dans la colonie, et les familles et phratries plus anciennes, implantées depuis le siècle précédant et plus intimement connectées avec les aborigènes et les réseaux commerciaux des autres colonies. L’œuvre de Guy Dufresne (1915-1993), un téléroman (feuilleton télévisé) totalisant cinquante quatre heures (108 épisodes de trente minutes, diffusés entre 1972 et 1975), évoque les difficultés de la période 1737-1740 aux Forges de Saint-Maurice. On arrive à y distinguer deux grandes périodes.

Époque du fondeur Lardier (vers 1737-1738). À partir de 1737, les forges sont pleinement opérationnelles, du moins comme structure physique et technique. Le problème avec ce type de grande industrie artisanale, c’est qu’elle dépend crucialement d’un personnage unique et rare, le fondeur. Si, de tous les ouvriers qui arrivent de France par cargaisons épisodiques, il n’y en a pas un qui connaisse le métier de fondeur, la forge ne peut tout simplement pas démarrer, même si son personnel est en place et fin paré. Le très aristocratique et très angoissé Olivier de Vézin (Pascal Rollin), directeur administratif de la forge, scrute les arrivages d’ouvriers et attend son fondeur. Il finit par en arriver un, doté de tous les titres, qualifications et accréditations requis. Ce sera le rocambolesque Lardier (Léo Ilial), dont le prénom, je crois, n’est jamais explicité. L’apparition flamboyante de ce fondeur va secrètement mettre en branle les forces socio-historiques qui n’ont pas intérêt au démarrage des Forges de Saint-Maurice. Ces instances sont incarnées par la famille Godard, formé du père Clovis Godard (Jean Duceppe puis Yves Létourneau), son épouse, la sage-femme et guérisseuse Ida Godard (Colette Courtois), leur fils aîné, le coureur de bois François Godard (Yvon Thiboutot) et leur fille puînée Véronique Godard (Élizabeth Lesieur). Ces vieux colons de souche, vernaculaires, taciturnes et asociaux, vivent dans le bois et sont le centre nerveux d’un réseau complexe et ramifié de trafic de pelleteries qui, en raccord avec l’Abénakis Bras d’Ours (Bernard Assiniwi), relaye, de façon parfaitement illégale, des ballots de pelleteries depuis les tribus aborigènes de Mauricie jusqu’à la colonie anglaise d’Albany. Cette lucrative contrebande transfrontalière, hautement indifférente au patriotisme colonial d’usage, serait totalement mise à mal par le démarrage des forges, car François Godard et son père Clovis sont officiellement des ouvriers forgerons. Se prolétariser dans la nouvelle usine naissante compromettrait crucialement leurs intensives activités traditionnelles. Il va donc falloir, pour le clan Godard, faire tout simplement capoter le démarrage des forges. Pour ce faire, il faudra frapper à la tête, c’est-à-dire neutraliser le fondeur Lardier, rien de moins. Leur arme secrète, ce sera Véronique Godard. Cette jeune demi-sauvageonne, d’une beauté étrange et frémissante, est, depuis un moment, amplement utilisée, par le clan Godard, pour séduire, enivrer et emberlificoter les Abénakis, contrebandiers aborigènes chargés de livrer les pelleteries auxdits Godard. Cette fois-ci, la jeune goule des sylves aura pour tâche —plus ardue que prévu— de séduire le fondeur Lardier et de le faire basculer dans la débauche, l’ivrognerie, le stupre, la paresse et la luxure. Vaste programme. L’affaire fonctionne assez bien, en apparence, et le rapport de séduction tourmenté entre Lardier et mademoiselle Godard forme la singulière trame passionnelle de cette première période. Mais, s’il n’est pas de bois, Lardier n’est pas pour autant un homme des bois, il s’en faut d’une marge. Et son degré de sophistication civilisationnelle suscite des effets inattendus et peu contrôlables. On observe assez vite que Véronique cherche sourdement à s’affranchir de la tutelle de sa bande de contrebandiers forestiers et elle voit soudain, dans ses amours avec Lardier, un moyen de trouver une porte imprévue menant vers la sortie de son aliénation. Lardier, pour sa part, aigrefin arrogant et peu malléable, regarde tous ces gens d’assez haut. Il trouvera moyen d’arnaquer en grande tant le directeur administratif de la forge que la famille Godard même, notamment en se barrant avec le magot des trafiquants de pelleteries, abandonnant tant ses devoirs de fondeur que Véronique dans le processus, pour aller tripper en Nouvelle-Angleterre avec le grisbi qu’il a subtilisé aux Godard et à Bras d’Ours. Fin abrupte de la première époque (Ce segment spécifique du feuilleton Les Forges de Saint-Maurice fera après coup l’objet d’une pièce de théâtre originale, le synthétisant, intitulée Ce maudit Lardier).

Époque du fondeur Delorme (vers 1739-1740). Après la fuite traîtresse de Lardier, Olivier de Vézin se retrouve Gros Jean comme devant. Il est d’autant plus ennuyé qu’en misant sur le fait que les Forges de Saint-Maurice décolleraient sous la houlette de Lardier, ses bureaux administratifs se sont plus ou moins passablement endettés. Cet endettement rend notamment Olivier de Vézin hautement redevable de deux commerçantes des Trois-Rivières, les sœurs Duplessis. L’aînée, Josèphte Duplessis (Élisabeth Chouvalidzé), est un personnage sec, combinard, tyrannique et intraitable. La puînée des sœurs Duplessis, mademoiselle Marie Duplessis (Danielle Roy), est plus jeune, plus moderne et plus accommodante. Les choses s’assouplissent avec cette seconde personne surtout en vertu du fait qu’elle et Olivier de Vézin tombent ardemment en amour. Voilà qui est fort touchant mais qui ne fait en rien tinter les clous, les barres et les gueuses de fer des Forges de Saint-Maurice. Olivier de Vézin attend, en piaffant, son second fondeur et, comme l’administration métropolitaine ne lui a pas fourni d’indications très précises sur les compétences du dernier arrivage d’ouvriers, il prend l’initiative hasardeuse de s’adresser directement à ceux-ci, leur confiant sa déconvenue et les priant de bien vouloir lui indiquer si parmi eux se trouve quelqu’un connaissant le métier de fondeur. Va alors s’avancer un petit ratoureux du nom de Jean Delorme (Benoît Girard). C’est un ouvrier forgeron vif et expérimenté mais il n’est pas fondeur en titre. Qu’à cela ne tienne, il flaire l’opportunité et se donne comme fondeur alors qu’il ne l’est finalement pas tant que ça. Coincé par ses échéances, Olivier de Vézin n’a pas le temps de tergiverser. Il va se jeter sur ce fondeur autoproclamé comme sur un homme providentiel et l’introniser au village, auprès de toute la petite communauté mauricienne dont la vie dépend tellement de l’activité des forges: Stéphanie Chaput (Hélène Loiselle) et sa fille Titiche Chaput (Hélène Lasnier), l’amoureux de cette dernière, le journalier Rabouin (Marc Favreau) et tous les autres. Mais ces personnages, tous déjà bien présents lors de la période Lardier, ont appris à se méfier du fondeur, notable dont la précision d’action n’est pas toujours très limpide. On va surveiller le nouveau fondeur, ce Delorme, sous toutes ses coutures. L’homme est avenant, bien moins hautain et fendant que son prédécesseur, et, surtout, sous son commandement, la production des forges finit enfin par un peu démarrer. Or le fondeur Delorme est flanqué d’un assistant un peu bizarre, une sorte de simple d’esprit du nom de Belut (Jacques Godin). Outre que ce sbire étrange parle un idiome bien à lui que peu de gens comprennent, il est mystérieux, bougonneux, a peur des femmes comme de démonesses, et suit le fondeur comme son ombre. En fait, de ce duo improbable, c’est Belut qui connaît vraiment effectivement le métier de fondeur. Il souffle ses lignes au fondeur Delorme qui se sert de lui comme d’une sorte de spécialiste secret. Belut incarne aussi la conscience rigoureuse du fondeur Delorme et, de ce fait, il sera un agent assez actif de la neutralisation des malversations, toujours vivaces, de la famille Godard. Ouvertement et vertement insensible aux charmes des femmes, Belut verra à ce que «son» fondeur ne tombe pas sous la coupe de la sirène sylvestre de la famille Godard, Véronique (qui, de toutes façons entre-temps, s’est mariée à un epsilon et ne joue plus guère les goules contrebandières pour son frère et son père). Le fondeur Delorme va tomber amoureux d’une jeune fille du village, bonne, sensée, douce et rationnelle, comme il y en a au moins toujours une dans tous les bons feuilletons-fleuves, la bien nommée Charlotte Sauvage (France Berger). Il l’épousera dans les formes, lui fera un enfant, et vivra ronron une vie de notable largement usurpée vu que, comme dans la fameuse chanson de Leclerc, c’est son valet qui a le génie.

C’était il y a cinquante ans (vers 1972-1975). Il y a donc cinquante ans pilepoil aujourd’hui que débutait ce feuilleton magnifique. J’avais quatorze ans et, dans mon esprit d’enfant, l’œuvre télévisuelle et radiophonique de Guy Dufresne (1915-1993) reste étroitement associée à ma mère. Cette dernière, amateure assidue de téléromans et, avant cela, de radio-romans, évoquait souvent le souvenir tangible qu’elle gardait de l’œuvre de Dufresne. Elle nous parlait de Cap-aux-Sorciers et de Septième Nord avec beaucoup de verve et de ferveur. Maman s’asseyait donc avec nous devant le téléviseur pour mater Les Forges de Saint-Maurice. Un vrai beau souvenir télévisuel familial. La langue de Guy Dufresne est unique. C’est un joual très idiosyncrasique, avec un ton et un rythme archaïques, inusités et étranges. Une vraie langue d’auteur, mais aussi solidement ancrée dans son terroir et ses filiations. Ma mère adorait ça. J’ai inconditionnellement hérité de cette jubilation langagière et théâtreuse qui, il faut bien le dire, reste en nous pour longtemps, quand on la choppe.

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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

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Il y a trente ans, CORMORAN

Posted by Ysengrimus sur 7 septembre 2020

Raymond Legault dans le rôle de Pacifique Cormoran

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Il y a trente ans (1990-1993), je me délectais d’un excellent téléroman traditionnel, mes Belles Histoires des Pays d’en Haut à moi. Il s’agit de CORMORAN de Pierre Gauvreau. Je dis traditionnel, c’est notamment à cause du rendu visuel de la chose. Filmé en prise réelle, sur les rives du fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Kamouraska, le feuilleton multiplie les scènes extérieures ainsi que les tableaux de la vie quotidienne traditionnelle. Les portes s’ouvrent et se ferment en claquant, on y mange pour vrai, les chevaux tirent des carrioles l’été et des traîneaux l’hiver. Un peu comme dans les tableaux de Cornelius Krieghoff, on y expose méticuleusement les scènes de vie domestique, de travail et de loisirs d’autrefois.

Nous sommes dans les dernières années de l’entre-deux-guerres (1936-1939) et nous suivons la vie ordinaire (quotidienne, sociale et politique) des citadins de la petite commune (fictive) de Baie d’Esprit. Ce village riverain, dont la croissance s’accélère tout doucement, semble avoir été initialement fondé autour du Domaine Cormoran, grande propriété terrienne riveraine dont la famille héritière, les Cormoran, dirige une seigneurie à l’ancienne, contrôlant un certain nombre de fermes avoisinantes s’adonnant principalement à l’élevage du mouton. L’origine de cette famille Cormoran, l’équivalent le moins incertain d’un rameau aristocratique dans ce beau et immense voisinage colonial, est cependant fort obscure. Une hypothèse veut que l’ancêtre s’appelait Corcoran (nom irlandais assez usuel, commun même) et qu’il ait été une sorte d’aigrefin des battures. Écumeur de grève, il aurait accumulé son capital primitif en pillant les navires en perdition qui s’échouaient sur les hauts-fonds rocheux du fleuve. Des langues plus fourchues encore (il n’en manque pas dans les environs) vont même jusqu’à susurrer que le forban Cormoran d’origine aurait fabriqué de faux phares pour provoquer sciemment l’échouage desdits navires en perdition. Quoi qu’il en soit, tout cela se perd un peu dans les brumes de la légende.

Ce qu’on a aujourd’hui, c’est un grand domaine foncier un peu vermoulu tenu par les trois membres survivants de la descendance Cormoran, dont la trajectoire de vie entre 1936 et 1939 forme l’armature principale de la trame du feuilleton. Mademoiselle Bella Cormoran (Nicole Leblanc) est la sœur aînée du trio. C’est la noblaillonne coloniale guindée type, arrogante et cassante au possible avec son personnel de maison comme avec les membres de sa famille et ses concitoyens du village. Bella Cormoran est rien de moins qu’une sorte de duchesse des battures et son attitude roide et hautaine autant que le prestige encore vivace de sa maison impose aux alentours un respect parfois béat parfois grincheux mais, l’un dans l’autre, assez solide. Mademoiselle Cormoran est célibataire et montée en graine, ce qui n’empêche pas certains partis de conséquence de continuer de rêver, dans le voisinage, de la faire un jour convoler. Sa sœur puînée Angélique Cormoran-Lafond (Mireille Thibault) est une boulotte effacée aux grands yeux papillonnants, qui ne cultive en rien les allures d’aristo guindée de sa sœur. Mariée à un roturier local du nom de Germain Lafond (Guy Mignault), Angélique vit dans un des logis du Domaine Cormoran et est largement terrorisée par la tyrannie de Bella, qui la traite, elle, comme une de ses fermières et son mari comme un de ses journaliers. Le seul atout dont dispose Angélique pour se supérioriser auprès de Bella, c’est l’intendance de la sensualité. Angélique est une bonne vivante qui mange copieusement et baise allègrement, dans l’intimité sacrée du mariage, et qui ne se gène pas pour rappeler à Bella (que maints démons secrets dévorent d’autre part) les joies de la vie maritale, notamment dans sa facette nuptiale. Le frère cadet des Cormoran c’est Pacifique Cormoran (Raymond Legault). Cumulant les fonctions de médecin et de dentiste du village de Baie d’Esprit et du Domaine Cormoran, Pacifique est le digne dépositaire de la pensée rationaliste et progressiste dans le village. Astronome amateur, il dispose, sur le Domaine Cormoran, d’un petit observatoire avec télescope dans lequel il se retire fréquemment et passe souvent la nuit, en harmonie avec le cosmos. Cette harmonie cosmologique du très respecté (et un tout petit peu condescendant) Docteur Cormoran se complique d’un facette plus trouble. C’est que, la nuit, dans son observatoire, il retrouve souvent, pour de grands ébats passionnels, Mariette Savard (Margot Campbell), intendante, servante et bonne à tout faire du Domaine Cormoran. La servante Mariette est vingt ans plus vieille que le Docteur Cormoran (Madame Campbell, une routière des téléromans québécois, tient, à 55 ans le rôle avec brio. Elle est magistrale et sa beauté sobre, roide et digne est inaltérée). L’idylle est secrète et fait jaser à mi-mots tant sur le Domaine que dans le village. Pacifique Cormoran est un amant honteux. Il n’a jamais voulu assumer cette relation au grand jour et cela suscite beaucoup d’acrimonie chez Mariette qui, sporadiquement, essaie au mieux de s’extirper de ce piège sans issue de l’affect. Un des personnages clefs de ce feuilleton, Mariette Savard vit dans une frustration permanente. Elle se fait traiter ostensiblement comme une soubrette par la très dédaigneuse Bella Cormoran et furtivement comme une houri thérapeutique par Pacifique Cormoran. Mariette Savard ronge son frein à Cormoran mais la roue de l’histoire fera éventuellement tourner les choses à son imprévisible avantage.

C’est qu’à partir de la Guerre Civile Espagnole (1936) la roue de l’histoire va se mettre à furieusement girer, au village de Baie d’Esprit. On a maintenant des camions de transport, des automobiles, le téléphone et la radio, au village. On s’intéresse de plus en plus au rythme effréné des tensions internationales. Le vieux journal hebdomadaire n’est plus la seule source d’information sociale et politique. Le susdit journal du village s’intitule L’Idée. Il est tenu par un vieux libre penseur à l’ancienne, Flamand Bellavance (René Caron) qui cumule, un peu poussivement, les fonctions de journaliste d’investigation et de typographe. Son épouse (qui assume aussi les positions de cheffe du bureau de poste et de secrétaire médicale du Docteur Cormoran), son fils et sa fille l’aident avec ce travail journalistique toujours patient et intensif. Ladite fille, Flavie Bellavance (Danielle Leduc), jeune jouvencelle moderne et faussement naïve, tirera elle aussi son épingle du jeu fort astucieusement, dans toute cette aventure. Doucement, tout se précipite. Les nouvelles locales circulent désormais plus rapidement que ne parait le journal. Certains prolos du village envisagent de joindre le Bataillon Makenzie-Papineau, en Espagne. La politique mondiale imprime graduellement sa marque de fer sur la vie villageoise. Ainsi Clément Veilleux (Raymond Bélisle), boucher de son état, est un ancien lutteur de foire et sosie passable du dictateur Benito Mussolini. Il n’en faut pas plus à ce personnage bravache et narcissique pour se mettre à se prendre pour rien de moins que le Mussolini du Bas Saint-Laurent. Il lance une organisation de chemises bleues et entreprend d’implanter localement les idées d’Adrien Arcand et de la Ligue Fasciste du Canada. Cela fait branler dans le manche un autre notable du village, Hippolyte Belzile (Normand Lévesque). Ce dernier est un commerçant matois, enrichi par la crise de 1929 (il y en a eu) et propriétaire, entre autres, de l’Hôtel du Grand Cormoran ainsi que du bistrot attenant. Financier discret et investisseur foncier en moyens, Hippolyte Belzile rêve de racheter le grand domaine fermier à la famille Cormoran, attendu qu’il juge qu’il pourrait le rentabiliser bien plus efficacement que ne le font les petits aristos crispés de la batture. Donatienne Belzile (Francine Ruel) son épouse, est une snobinarde se voulant mondaine mais qui connaît mal le gestus et qui, un peu pataude, malgré les ressources financières bien réelles de son mari, n’arrive pas à vraiment jouer sa carte, face à l’arrogance fielleuse et rodée de Bella Cormoran. Celle-ci n’aime pas que l’hôtel de ce couple de parvenus méprisables porte le nom de sa famille mais on ne peut strictement rien y faire: grand cormoran (Phalacrocorax carbo), c’est aussi le nom commun d’un oiseau pêcheur. On peut parfaitement dénommer un hôtel du nom d’un oiseau, même si ce geste symbolique est totalement exempt de la moindre innocence, dans l’environnement régional. Entre le bourgeois conservateur Hippolyte Belzile et le bouillant fasciste Clément Veilleux, les relations sont ambivalentes. La proximité des idées ne s’harmonise pas avec la divergence des méthodes. Hippolyte Belzile est un feutré, un insidieux, qui négocie ses transactions en douceur, enivrant son interlocuteur de belles paroles tout en baptisant les cafés qu’il lui sert de rhum capiteux, en dehors de heures de vente d’alcool. Clément Veilleux est un violent, un factieux, un primaire et un doctrinaire étroit. Hippolyte Belzile rejoint souvent la vision du monde de Clément Veilleux mais il trouve tout de même que le bardassage par des fiers-à-bras en chemises bleues n’est pas la meilleure façon d’organiser la vie villageoise sans risquer de finir par attirer l’attention des autorités canado-britanniques. Un troisième notable s’impose graduellement dans le tableau local, en la personne de Viateur Bernier (Claude Prégent). Fils du défunt maire de Baie d’Esprit, entrepreneur industriel, propriétaire du moulin à scie, de la fonderie et des magasins Théodule Bernier & Fils, ce patron paterne vieux style paie ses travailleurs en coupons d’achat dans ses propres magasins. Les travailleurs de la fonderie, qui veulent être payés en argent sonnant, se mettent en grève. Dans cette manifestation locale de la lutte des classes des années trente, l’hotelier-tenancier, le boucher et les autres commerçants du village appuient en sous-main les travailleurs fondeurs car leur accès à un salaire en argent réel avantageraient tous les commerces de la ville et pas seulement le vieux monopole Bernier. Simplement, le meneur de ce mouvement social, un montréalais du nom de Gérard Labrecque (Jean L’italien) passe pour un communiste, c’est pourquoi les appuis aux grévistes ne se font pas trop explicites. Bella Cormoran, pour sa part, appuie, sans trop comprendre le détail, les forces de la réaction. Le curé de la paroisse et son vicaire également. Le Docteur Cormoran et le journaliste-typographe Bellavance appuient les luttes des travailleurs et réprouvent les fier-à-bras fascistes qui les harcèlent. Graduellement, inexorablement, avec la guerre qui approche, les positions se polarisent.

Sur fond d’effervescence sociale, le récit démarre autour du vieux drame bourgeois et intime de la famille Cormoran. Un quatrième enfant Cormoran, le bigot et austère René Cormoran, est mort et sa veuve Ginette Durivage-Cormoran (Katerine Mousseau) détient les droits successoraux sur le quart de la possession indivise des Cormoran. Ginette Durivage-Cormoran, qui préfère qu’on l’appelle Ginette Cormoran, tout simplement, pose un problème particulier. Elle est venue au monde de parents inconnus, dans une portion spécifique des immenses terres Cormoran qui s’appelle l’Anse-aux-maudits. Cette anse est une agglomération de vieilles cabanes riveraines dans laquelle vivent des lumpen-pêcheurs pauvres et déguenillés. Ceux-ci sèchent le hareng en plein air et font de la couture de fourrure pour les villageois. Des notables comme Clément Veilleux et Hippolyte Belzile considèrent les gens de l’Anse-aux-maudits comme des vagabonds, des quêteux, des pèquenots, des guénilloux et des simples. On les dit même possédés du démon. On ne veut pas les voir au village. Bella Cormoran n’en pense pas moins. Voici donc que son frère René a tiré une de ces gamines de rien de la lie de la batture, l’a fait accéder socialement et l’a épousée. Bella, qui voulait que son frère René devienne prêtre, juge que c’est cette Ginette de l’anse qui a fait mourir son frère et, ouvertement, elle la méprise, la traitant notamment de succube. Ginette, héritière, désormais raffinée et débrouillarde, juge qu’elle a parfaitement le droit de vivre au Domaine Cormoran et entend y prendre sa place. L’histoire se complique quand il s’avère que la maison de grève qu’elle habitait avec son défunt mari a été louée par Bella à deux géologues allemands, Wolfgang Osnabrück (Jean-Louis Roux) et Friedrich Müller (Gabriel Marian Oseciuc), deux ressortissants non-nazis de l’inquiétant pays du chancelier Hitler. Des relations variables et subtiles vont se nouer entre tous ces personnages. Inutile de dire que je ne vous ai strictement rien dit de ce scénario dense, complexe, articulé et magnifique.

Le feuilleton CORMORAN campe une évocation à la fois tendre, réaliste et particulièrement vive et riche en rebondissements fins et nuancés de la vie dans un village riverain de la vieille vallée du Saint-Laurent, à la toute fin de l’entre-deux-guerres. Je garde de cette série québécoise un souvenir télévisuel intense des années de transition entre la naissance de mon premier fils (Tibert-le-chat, 1990) et celle de mon second fils (Reinardus-le-goupil, 1993). Trente ans déjà… Non, effectivement, rien n’arrête la vieille roue de l’Histoire.

 

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Il y a cinquante ans, AMICALEMENT VÔTRE (THE PERSUADERS!)

Posted by Ysengrimus sur 15 janvier 2020

Curtis-Moore

Il y a cinquante ans, j’avais douze ans et je faisais stagner mes toutes dernières parcelles d’enfance devant le poste de télé familial, à mater Amicalement vôtre, dont le titre original (The Persuaders!) m’était alors inconnu. Sur la Côte d’Azur, à Cannes, ou en Italie, en Espagne, en Écosse ou même en Suède, deux dandys lourdement cravatés des temps modernes courraient les jupons et redressaient des torts, en s’envoyant des vannes et des crocs-en-jambe virtuels et réels. Le premier, c’est Brett Sinclair (Roger Moore), Pair du Royaume d’Angleterre, né coiffé, Lord, ancien de Harlow et d’Oxford, officier démobilisé des casques de poils, ayant fait de la course équestre, automobile et même avionneuse. Le second c’est Daniel «Dany» Wilde (Tony Curtis), ashkénaze new-yorkais de souche hongroise, né dans le Bronx (New York), ancien tiku pouilleux des rues devenu millionnaire dans le pétrole, tonique, effronté et canaille. Brett Sinclair c’est les costards élégants (dessinés par Moore lui-même), les coups de poings Queensberry et la pose mondaine. Dany Wilde c’est les gants de chauffard, les cascades corporelles (dont d’excellentes séquences d’escrime) et les coups de poings cow-boys. La fascination immense qu’ils ont l’un pour l’autre est dissimulée au mieux par leurs ostensibles comportements de dragueurs de ces dames impénitents, intensifs, omnidirectionnels, et aussi souvent chanceux que malchanceux.

Nos deux poseurs pleins aux as ne foutent rien de sérieux de leur vie si bien que, par la vertu d’un hasard largement arrangé par les instances du temps, ils se retrouvent convertis en redresseurs de torts chargés de missions biscornues impliquant soit la pègre, soit des arnaqueurs mondains de toutes farines, soit nos inévitables diplomates soviétiques (qui traitent Lord Sinclair de monarchiste décadent. Hurlant). Amicalement vôtre est un feuilleton de la Guerre Froide. Il vaudrait mieux dire que c’est un feuilleton de la Détente. Déjà en 1970-1971, on y traite l’espionnage et l’interaction avec les Soviétiques sur un ton particulièrement badin, foufou et cocasse. Tout le feuilleton en fait est une sorte de bouffonnerie euro-mondaine et on semble plus soucieux de nous y montrer des modèles de bagnoles, du prêt-à-porter masculin et des sites touristiques que de mettre en scène la tension est-ouest ou la lutte du Souverain Bien contre la Perfidie Ultime. De fait, les chefs d’entreprises minières et pétrolières y paraissent plus pervers et retors que les espions soviétiques. Ah, le bon vieux temps où même les badineries légères devaient payer leur obole à la grande conscience sociale généralisée.

Les personnages féminins de ce feuilleton sont particulièrement surprenants et rafraîchissants. Vu l’époque et la tonalité, on s’attendrait à ce que les femmes de cet exercice soient des gourdasses de bord de piscine sans grande densité ou intelligence. L’amusante erreur. Les femmes d’Amicalement vôtre méritent amplement les sentiments qu’elles déclenchent chez nos deux protagonistes. Espionnes méthodiques, militantes pro-soviétiques, photographes déjantées, dessinatrices talentueuses, héritières délurées, judokas radieuses, arnaqueuses mondaines, danseuses songées, secrétaires de direction intègres, journalistes archifouineuses, notables africaines polyglottes, princesses russes sérieuses, fausses épouses classes, agentes du service des fraudes en civil, auteures de polars prolifiques, détectives amateures en maraude, elles sont belles, vives, matoises, articulées et scriptées selon un modus vivendi étonnement rare en sexisme facile et en phallocratisme niaiseux. En fait, le seul comportement authentiquement bizarre et archaïque qu’on observe concernant les personnages féminins est que, deux fois, une d’entre elles se prend un gifle par un homme de peu (pas par un de nos deux as, naturellement)… la gifle genre calme toi, tu es hystérique qui ne rime à rien et ne passe plus du tout la rampe. On sent alors subitement qu’un demi-siècle a passé et on se dit, le cœur pincé, que ces fines mouches de vingt à trente printemps qui cernent la table de roulette du casino ont aujourd’hui entre soixante-dix et quatre-vingts ans. Cette saloperie de saligauderie de temps qui passe.

La formule (car formule il y a) concernant les personnages féminins se déploie ici comme suit. La femme de service (toujours différente, il n’y a pas vraiment de personnage féminin récurrent dans Amicalement vôtre) est soit du bon bord, soit du mauvais bord. Si elle est du bon bord, il faudra un certain temps à Brett et Dany pour prendre la mesure de la puissance et de l’importance de cette femme et lorsqu’ils finiront par comprendre qu’elle n’est pas du tout la gourdasse de bord de piscine qu’ils avaient initialement anticipé, ils n’en seront que plus intensément séduits. Ils se télescopent alors entre eux et la merveille part avec un troisième larron, ou seule, ou avec l’un des deux, qu’elle choisit alors elle-même. Si la femme de service est du mauvais bord, elle fait habituellement partie d’une bande de bandits qui s’apprête à faire un coup mais un coup de nature économique (arnaque, braquage, extorsion, corruption politique ou vol). La femme de service est alors pleinement dans le coup pour l’arnaque ou extorsion initialement planifiée mais, en cours de route, ses complices masculins mettent la patte sur Dany et Brett (qui, au pire, se mêlaient involontairement de leurs combines ou, au mieux, les pistaient) et ils envisagent sans frémir de les tuer, pour ne pas laisser de traces derrière eux. Aussitôt que la femme de service se rend compte que ses complices vont basculer sans scrupules (et sans lui avoir demandé son avis) dans le meurtre crapuleux, elle inverse ipso facto son allégeance, sans s’énerver, préférant aider Brett et Dany à foutre le coup en l’air que de voir l’entreprise initiale virer au crime sanglant. Le tout se fait dans un flegme britannique parfait et, cinquante ans plus tard, il y a quelque chose d’indéfinissable dans cette solide intégrité féminine, genre whistle blower, qui vit très bien la patine des ans.

Les femme sont des femmes donc, à la fois sexy et modernes, et les hommes son des hommes. Brett Sinclair est comme un cheval pur-sang à la longue crinière 1970, et qui donne des ruades. Dany Wilde est comme un chien pittbull qui fonce, les crocs en avant (Tony Curtis est en pleine forme, du reste, comme le montrent incontestablement certaines des cascades qu’il fait lui-même). Les fréquentes scènes de bagarres et d’évasions sont des moments de jubilation assurés. On comprend que ces deux personnages sont des enragés tranquilles, sans peur, sans reproche, sans cervelle aussi parfois. Leur charme est suave et leur brutalité savoureusement archaïque (les scènes de bagarres font incroyablement semi-improvisées, rien à voir avec les espèces de chorégraphies de karaté animatronique improbable qu’on nous assène aujourd’hui). Les deux types ont chacun leur bagnole, qui en vient graduellement à devenir un des traits de leur personnalité, et ils boivent constamment du champagne, du whisky et du cognac. Les voix de leurs doublures françaises sont parfaites aussi. On les entend dans notre tête, fort longtemps après la tombée du rideau. Taaaa Majestéééé…

Des hommes hommes, des femmes femmes, des bagnoles, des sites de rêve, des costards, du champagne et de la mondanité en pagaille. Tout est dit? Même pas. En revoyant adulte ces quelque vingt-quatre épisodes, j’ai été jubilativement amusé par le caractère imaginatif et surprenant des scénarios. J’attendais pourtant le contraire. Je croyais qu’on me servirait une narration qui, elle, justement, serait bel et bien gourdasse de bord de piscine, et donc gorgée de grand, de beau et de vide. Grave erreur. Les epsilons qui signent cette vingtaine de scripts méritent amplement leur petite paye. C’est savoureux d’originalité, de turlupinades et de rebondissements. Et cela me permet de revenir avec un regard critique sur une anecdote étrange concernant ce feuilleton. La documentation nous raconte que son succès fut très moyen aux USA. Bon, pourquoi pas. Par contre, en Europe, il décolla très solidement, dès 1972. La locomotive, toujours selon la documentation, semble avoir été la version allemande du feuilleton. On rapporte en effet que le doublage allemand fut largement improvisé et qu’il prit de grandes libertés sur le texte anglais d’origine. Le doublage français serait basé lui aussi sur ce doublage allemand largement refait dans un sens humoristique. Je veux bien croire ça et, encore une fois, pourquoi pas… sauf que attention à une chose. On voudrait nous faire croire que c’est cette humorisation du doublage qui aurait sauvé l’entreprise, en Europe continentale. Je dis alors: prudence. Le fait est que le scénario est tellement solide et ficelé serré que les improvisations verbales qui s’y surajoutent au doublage ne peuvent pas l’altérer radicalement. Elles ne peuvent que l’assaisonner, le pimenter, sans le changer dans sa structure (il est à la fois trop solide et trop complexe — sa solidité et sa complexité autorisent justement l’apparition de variations verbales et comportementales périphériques qui, de fait, sont sans risque pour lui). Les doublages allemand et français ont donc pu rehausser la sauce un brin, y ajouter de l’humour, de la cabotinette dans les coins et du bagou. Mais je crois fondamentalement que si ce feuilleton a marché en Europe, c’est qu’il est de fait très solidement euro-centré. Tony Curtis (1925-2010) y gravite autour de Roger Moore (1927-2017). L’américain y pigeonne autour de l’européen, en le valorisant tout plein et en s’immergeant intégralement dans son univers. Et ça, c’était inscrit dans le fond des tréfonds du fondement du script à la base et, bon, il y a cinquante ans, les ricains téléspectateurs ne s’intéressaient pas trop trop à un feuilleton qui ne les placerait pas, eux, comme par postulat, au centre du monde.

Aujourd’hui, tout ça a bien changé. D’où la pittoresque et biscornue pérennité contemporaine d’Amicalement vôtre.

Amicalementvotre

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Lise Lasalle

Posted by Ysengrimus sur 1 octobre 2019

Lise Lasalle

Lise Lasalle

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Il y a quarante ans mourrait Lise Lasalle. La documentation la fait naître en 1934 ou en 1939. On la fait mourir, à quarante ou quarante-cinq ans, soit d’un infarctus soit d’un suicide. Elle avait perdu auparavant un enfant qu’elle avait eu avec son mari Jean Besré. Il est un peu affligeant que ces deux figures télévisuelles d’autrefois, si pimpantes et si joyeuses, aient vu leurs vies abrégées, très probablement dans le contexte discret, douloureux et fatal de la pire des tragédies: perdre un enfant. Surtout que ces deux là étaient très centrés enfants. Je n’oublierai jamais la chanson générique de l’émission éducative TOUR DE TERRE, dont ils furent ensemble les toniques animateurs entre 1964 et 1973.

TOUR DE TERRE

A B C
Abécédaire
Viens avec nous autour de la Terre

D E F
Fusée lunaire
Un tour de Terre, si tu préfères

G H I
Interplanétaire
Un tour de Terre, un tour de sphère

J K L
Luminaire
Un tour de Terre rectangulaire

M N O  M N O P Q R
Un tour, deux tours pas ordinaires

R S T
Tambourinaire
Un tour de Terre du tonnerre

U V W
Vocabulaire
Un tour de la Terre toute entière

X Y Z
Dictionnaire

Abécédaire
Tour de Terre

Paroles: Lise Lasalle et Jean Besré (présumément)
Musique: Pierre Brabant (indubitablement)

tour-de-terre

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Il y a cinquante ans, LES CHAMPIONS (série télévisée britannique)

Posted by Ysengrimus sur 15 septembre 2018

les champions

Craig Sterling, Sharron Macready and Richard Barrett… These are the Champions. Endowed with the qualities and skills of superhumans – qualities and skills, both physical and mental, to the peak of human performance. Gifts given to them by an unknown race of people, when their plane crashed near a lost civilisation in Tibet. Now, with their secrets known only to them, they are able to use their fantastic powers to their best advantage, as the Champions of law, order and justice. Operators of the international agency, Nemesis. [Craig Sterling, Sharron Macready et Richard Barrett sont les Champions. Ils sont dotés de qualités et d’avantages surhumains, des pouvoirs et des aptitudes, physiques et mentaux, aux limites de la capacité humaine. Ces dons leur furent transmis par une peuplade inconnue quand leur avion s’écrasa non loin du territoire d’une civilisation perdue du Tibet. Dépositaires exclusifs de ces secrets, ils peuvent aujourd’hui utiliser au mieux leurs formidables pouvoirs. Et ils le font en tant que champions de la loi, de l’ordre et de la justice. Ils sont agents secrets pour l’organisation internationale Némésis.]

 L’actrice Alexandra Bastedo est morte du cancer à 67 ans au début de l’année 2014. Souvenirs en pagaille. Nous sommes en 1968-1970 et j’ai dix, onze ou douze ans. Un flux ininterrompu de séries d’espionnage et de science-fiction du temps de la guerre froide inonde les ondes du vieux Canal 2 (Radio-Canada) et du vieux Canal 10 (Télé-Métropole, Montréal). Toutes ces séries sont évidemment doublées. Je dois les regarder en v.f. vu que je ne comprends pas l’anglais. De toutes ces séries tarabustées et picaresques de mon enfance l’une ressort magistralement pour son ton, son allure, sa prestance, son rythme, Les Champions (The Champions) avec Stuart Damon (né en 1937), Alexandra Bastedo (1946-2014), William Gaunt (né en 1937), et Antony Nicholls (1902-1977). Je ne le sais pas exactement encore dans ces douces années de mon enfance mais un des trait cruciaux de la facture inimitable de cette série c’est que, elle, elle se passe en Europe.

Craig Stirling, Sharron Macready et Richard Barrett sont trois agents de l’organisation pata-onusienne Némésis de Genève. Ils ont des dons paranormaux, discrets mais indubitables, qu’ils ont acquis d’une sorte de civilisation tibétaine shangrilaesque suite à un accident d’avion dans l’Himalaya. Et ils redressent les torts usuels du temps de la guerre froide (sur un ton habituellement moins anti-russe que anti-chinois, du reste. Une bonne place est réservée aussi aux criminels nazis traînant encore dans les parages). Ils opèrent en utilisant leurs habiletés sans trompettes, à la grande surprise bonhomme et interloquée de leur chef de service, l’incontournable commandant William Lawrence Treymane. Outre cette paranormalité pudique des trois principaux protagonistes (ils ont juré de ne révéler leur secret à personne), le tout de l’intrigue des récits s’avère habituellement d’un cartésianisme des plus terre à terre, ce qui établit usuellement un solide ancrage réaliste et figuratif malgré le postulat fantastique de la trame.

C’est un peu de la télévision panoramique. On nous fait voyager. Londres et Genève, bien sûr (Le fameux Jet d’eau de Genève, est un des marqueurs visuels de la série), mais aussi les Alpes, le campus de l’Université de Cambridge, le Surrey, le Pays de Galles, les Cornouailles (les châteaux y sont magnifiques), l’Écosse, l’Irlande, le Danemark, l’Allemagne, la France (dont le Paris d’époque), l’Autriche, L’Espagne, l’Italie (dont Rome), la Jamaïque, Haïti, les îles de l’Atlantique, des Caraïbes et du Pacifique, l’Afrique du Nord (impossible de savoir si le «dialecte» bédouin qu’on nous y exemplifie est réel ou bidon), Hong-Kong, la Birmanie, L’Afrique de l’Est, l’Australie, voire l’Antarctique. Le rythme est savoureusement langoureux, lent, concret, gorgé de vie ordinaire. On voit rouler des camions, des fourgonnettes et des voitures de marque dans des rues de villes européennes et des routes départementales de campagne. Les scènes d’accidents de voitures sont chiquées visuellement (avec mouvement tressautant de la caméra, musique tapageuse, etc…) pour ne pas endommager tous ces splendides véhicules (sauf deux fois où d’assez jolis modèles plonge en bas de falaises). Il y a des gares et des trains (dont au moins un avec une locomotive à vapeur), des havres, avec cargos et cabestans, et des aéroports, avec l’escalier portatif pour monter à bord depuis la piste. Il y a des enregistreurs à bobines, des enregistreurs à cassettes, des téléphones à cadrans, des talkie-walkie, des lames à cran d’arrêts, des sagaies, des seringues, des machettes, des yatagans, des couteaux de chasse, des serpents venimeux, des masques vaudous, des Lugers et des Brownings, des carabines à lunettes, des flingues à silencieux, du tir aux pigeons d’argile, des hommes grenouilles, des parachutistes, des téléphériques, des jardins zoologiques, des fêtes foraines, des stations service, des cours de casse, des avions de ligne (souvent de la compagnie Pan American), des avions privés à hélices, des hélicoptères, des réactés (avec pilotes masqués), des missiles intercontinentaux (qui pètent), des porte-avions, des sous-marins, des voiliers, des ambulances, des motocyclettes, des carrioles à chevaux, des traîneaux à chiens, des jeeps sahariens, des cavaliers arabes, des pousse-pousse chinois, des bibliothèques, des palestres, des immeubles chics (pour le temps) avec des stores vénitiens, des dossiers dans des chemises de carton ou dans des cahiers à anneaux, des journaux dans la lecture desquels on se plonge (notamment France Soir et le Financial Times), de grandes revues sur papier glacé (notamment Paris Match), des machines à écrire, des classeurs métalliques qui ferment à clef, des stylos (avec lesquels, entre autres, on prend des notes en sténo), des règles à calcul, des visionneuses à diapositives, des projecteurs de cinéma portatifs (avec les deux bobines et le crépitement lumineux), des tourne-disques (dont au moins un à manivelle), des cartes géographiques (avec des équerres, des règles et des compas), des imprimantes télex, des jumelles, des longues-vues télescopiques, des thermos à café, des canettes de bière qui s’ouvrent en deux trous triangulaires avec un ouvre-boîte, des lavabos, des fioles et des cornues de chimiste multicolores, des cabines téléphoniques et des boite à lettres rouges vif, des coffres-forts à roulettes qui cliquettent, des turbines d’usines, du filage électrique en pagaille, des perceuses électriques. Treymane a trois gros téléphones et un fort joli éventail de crayons de couleurs dans un contenant décoratif sur son bureau. Les salles d’ordinateurs crépitent et ont des murs tapissés de ces gros ordis muraux à bobines tournant aléatoirement. On enferme les prisonniers et on les gaze dans les salles d’ordi, du reste. Ce sont plus des soutes à machines que des espaces de travail. Les scènes d’extérieurs sont léchées et saisissantes sans être excessivement ostensibles ou outrageusement panoramiques. C’est une beauté discrète et retenue (vieillotte aussi inévitablement, désormais), comme celle des acteurs et de l’actrice. Le tout est tourné avec une caméra souvent «subjective» dont le regard ne se gène pas pour s’émerveiller de choses et d’objets devenus ordinaire ou oubliés. L’image vive mais sage nous redonne avec une clarté mordante et sans nostalgie particulière le contact avec tout un ensemble de praxis d’autrefois.

Le dépouillement des scénarios donne, avec le recul, une fort drolatique impression de pureté et de simplicité franche, à deux doigts du simplisme mais, à mon sens, sans y basculer. Il faut un peu jouer le jeu et, si on y arrive, le tout s’avère parfaitement suave. Les thèmes font très siècle dernier. La fascination pour certaines professions moins merveilleuses aujourd’hui s’y exprime encore (médecin, dentiste, ingénieur, physicien, officier galonné, mafioso, ministre, prof de fac en toge et, évidemment, agent secret). On mise beaucoup sur l’interaction entre personnages. Les quatre personnages principaux sont d’un flegmatisme à la fois très classe et fort savoureux. C’est une pure jubilation que de les découvrir en v.o. Le contraste est discret et chic entre l’accent américain de Craig Stirling et l’accent britannique des trois autres. Le statut du personnage féminin est particulièrement intéressant. Jeune veuve stoïque et peu impressionnable, docteure en médecine, Sharron Macready ne tombe ni dans le séductionnisme facile des fameuses sexist sixties, ni dans l’égalitarisme garçonnisant de nos passions contemporaines pour les filles prenant pleinement part à l’aventure. Quand on prend ses facultés paranormales pour de l’«intuition féminine», Sharron répond toujours, sans broncher: «Well, call it whatever you want but…». Et, ici, notre espionne ne se fringuera pas en femme grenouille, n’ira pas se rouler dans le sable en Australie ni dans la neige en Antarctique (on la retrouvera une fois en mission au Sahara et une autre fois en brousse africaine, cependant). Surtout, elle ne se fringuera en séductrice que deux ou trois fois sur trente épisodes (She is a cold woman, dira un des observateurs mâles de ses très discrètes prouesses de tombeuse). Elle apparaîtra moins fréquemment et disposera de moins de visibilité à l’écran que ses partenaires mâles. Mais son intervention, toujours calme et puissante, sera souvent radicalement déterminante dans la dynamique lente et posée de ces scénarios au ralenti. Pas d’hystérie et pas de minauderie de minette, Sharron Macready a des nerfs d’acier. Alexandra Bastedo, qui n’avait que vingt-deux ans à l’époque, la campe avec retenue et majesté (les américains disent: an aloof style). La plupart du temps en tailleur strict ou en robe-madame, avec le petit sac à main noir en cuir luisant et à anse triangulaire, et coiffée d’un chignon compliqué (les petites filles de mon école adoraient se coiffer comme elle, circa 1969), elle est discrète comme une femme de son temps mais ne s’en laisse pas montrer, comme la plus incisive des héroïnes. C’est une figure de personnage féminin à part et qui, l’un dans l’autre, a très bien pris la patine du temps.

Et moi pourquoi j’arrive à vous redire tout ça avec une telle limpidité de Prévert? Ce n’est certainement pas sur la bases de mes très sporadiques et fugitifs souvenirs d’enfant des Champions, en tout cas (je semble n’avoir retenu, du temps, que les scènes ouvertement violentes, meurtres aux flingues ou aux couteaux — la réflexion sur la violence télévisuelle fera ce qu’elle voudra de cette observation, un peu triste quand même). En 1969-1970, je ne me doutais pas que je ferais ça comme ça, près d’un demi-siècle plus tard, mais je viens de revoir les trente épisodes de 48 minutes de la série Les Champions, à raison d’un ou deux par jours, sur mon ordi de table, avec des écouteurs, depuis YouTube. Même ces Champions des temps, du haut de leur superbe paranormalité d’autrefois, n’auraient pas pu la prévoir celle là, eux non plus. Comme on dit dans le jargon: vaut le détour. Je les recommande à votre attention amicale. Toute une époque «classique» de jubilation télévisuelle et de culture populaire est encapsulée en eux, pour toujours, désormais.

Alexandra Bastedo

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Tyrannie révolue de l’horaire télé (billet pour mes petits-enfants)

Posted by Ysengrimus sur 1 juin 2018

La télé rend con
(slogan de Mai 68)

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On a beaucoup parlé du contenu idiot et réac de la télé. Cette idée ne sera pas ici contestée. Simplement, avec le recul du temps, tous ces lambeaux d’inepties se dissolvent un peu quand même et se défraîchissent bien vite, dans le grand magma d’images contemporain. La distance historique qui s’installe oblige à se remémorer un autre aspect crucial de l’enconnement raide et dur que nous imposait, comme fatalement, la culture téloche. C’est celui de l’horaire télé. Mes petits-enfants liront peut-être un jour ce billet. Je me dois donc de bien leur expliquer le tout du flafla de la chose.

Le contenu de la télévision était diffusé, en continu, depuis des stations. En direct ou en différé, la boite à images nous envoyait ses émissions à heures fixes. Pour ne pas les rater, il fallait donc intérioriser très précisément la grille horaire. Cette dernière était diffusée, dans son intégralité vétillarde, comme complément de publication du journal (papier) hebdomadaire. Quand ce guide télé apparaissait (le nôtre s’appelait Télé-Presse), tout le monde se jetait dessus. C’est que s’il y avait les émissions stables (dont on ne devait pas spécialement vérifier les jours ou les heures, sauf au moment des grands changements de programmation saisonniers), il y avait aussi les programmations ad hoc. Celles-ci concernaient prioritairement le cinéma. Ainsi, si une émission portait, par exemple, le titre générique de Ciné Jeudi, il fallait se ruer pour vérifier quel film jouerait, ce soir-là. Si c’était Le bon, la brute et le truand, il faudrait faire ses devoirs de la semaine en vitesse pour inconditionnellement dégager un bloc de quelques heures, le jeudi soir. Noter que, pour une œuvre majeure comme un Leone ou un Coppola, la consultation de la grille horaire n’était en rien une obligation. Les tikus se passaient le message à l’école et tout le monde savait vite que le jeudi soir était à libérer en priorité, pour s’imprégner d’une œuvre cinématographique majeure qui, elle, ne reviendrait pas de sitôt.

On fera aussi observer qu’il y avait des chaînes et que ces chaînes se faisaient déjà une belle concurrence de couillons et ce, à nos dépends. Si le Canal 10 jouait le Leone, le Canal 2 s’arrangerait pour mettre Funny Face à la même heure, pour contrer ce concurrent sérieux. Un choix obsédant allait alors s’imposer. Le déchirement intérieur n’était pas strictement personnel, du reste. Il devenait bien vite, disons… interpersonnel. Une portion de la maisonnée voulait retrouver Tuco et Blondin dans les affres de la Guerre Civile tandis que l’autre portion préférait partir pour Paris en compagnie de mademoiselle Audrey Hepburn. Des disputes acrimonieuses éclataient, qui laissaient souvent des amertumes durables. Eh oui, c’est qu’il fut un temps où il n’y avait qu’une seule téloche par maisonnée. Il fallait fatalement composer sur ses algarades de programmation. On ne les gagnait pas toutes.

Arrivons-en aux feuilletons. Ceux-ci se construisaient habituellement comme de perfides crescendos visant quasi-exclusivement à vous faire visionner l’épisode de la semaine suivante. Batman et Perdus dans l’espace (Lost in Space) étaient des spécialistes en la matière. Mais, du fond de sa vieille roulotte, le Capitaine Bonhomme ne cédait pas sa place, qui terminait tous ses récits par quelque chose comme le tour suivant: Le capitaine se verra-t-il saisir par les terribles sbires qui le cernent ainsi? C’est ce qu’on saura peut-être demain, mes enfants. Le lendemain, il fallait être bien en place devant son poste pour capter la suite… sinon, on la perdait pour toujours.

Les plus optimistes diront que cela produisit une cohorte qui développa l’habitude d’arriver à l’heure… mais bon, dans quel but? Pour se faire asséner quoi ou pour servir qui? Enfin, que ce subreptice phénomène de masse soit déplorable ou non, il reste que quand nous étions enfants donc, l’intégralité du rythme de vie des futurs hommes et femmes de ma génération (j’ai eu soixante ans en 2018) était tout simplement configuré par l’horaire télé. Nos parents, moins tributaires de ces douloureuses déterminations, rataient assez souvent le coche. Une ballade en voiture s’étirait parfois de cinq ou dix minutes après l’heure fatidique et nous éclations tous en sanglots sonores, sur notre banquette arrière, bien marris de rater le début de la suite des mésaventures du taureau Sancho. Chaque journée prenait la coloration spécifique de l’émission dominante du jour. Ainsi je me souviens que, vers 1968, j’étais un inconditionnel des demi-heures de Supermarionation qui jouaient (en v.f.) au Canal 10, à cinq heure tapant, les jours de semaine. Je me dépêchais de revenir de l’école (j’évitais de traîner au parc ou dans les lambeaux boisés, respirer le bon air, tout ça… pas question, pas question, la barbe!). Chaque journée était marquée au coin d’une émission spécifique du conglomérat Supermarionation. Le lundi, c’était L’escadrille sous-marine (Stingray). Le mardi, Fusée XL5 (Fireball XL5). Le mercredi et le jeudi, la première et la seconde partie de Les sentinelles de l’air (Thunderbirds — un immense succès populaire à l’époque). Le vendredi, c’était Supercar (Supercar). Il ne fallait surtout pas rater ça et c’est d’ailleurs vers cette époque qu’un second téléviseur fit son apparition, dans notre maisonnée. Il était en noir et blanc comme le premier mais il était plus petit et, surtout, il était monté sur un perchoir à roulettes très pratique qui permettait —oh merveille!— de le rouler depuis la chambre de mes parents jusque dans la cuisine. Un téléviseur portatif. Mobile en plus. Je regardais donc mes inexorables épisodes de Supermarionation pendant le souper, directement, en bouffant la tambouille. C’était là la seule façon de me faire me stabiliser à la table du repas vespéral.

Un mot sur les stations. Il y avait, dans le Québec d’alors, le Canal 2 (Radio-Canada — culture musicale et théâtreuse pour les enfants… souvent chiant) et le Canal 10 (Télé Métropole — culture populaire et cabotinage insensé venu directement du vivier des cabarets montréalais… toujours hilarant). Initialement, les chaînes en anglais ne nous intéressaient pas, le Canal 6 (CBC, soit Radio-Canada anglophone) et le Canal 12 (CFCF). Il y avait aussi l’héroïque Canal 7 (CHLT), francophone, qui diffusait depuis Sherbrooke et sur lequel on regardait une émission pour enfants en direct qui s’intitulait Pipe de plâtre. Les autres chaînes, me direz-vous? Les autres chaînes, c’était de la neige. Il n’y avait rien. Ajoutons que les télécommandes n’existaient pas, dans ce temps-là. Pour changer de poste, il fallait se lever et tourner le gros bouton numéroté qui se trouvait sur la façade borgne du téléviseur… et vite, car l’horaire était tyrannique et il n’attendait pas après vous. L’arrivée de la télévision couleur s’accompagna d’un accès à deux chaînes américaines, le Canal 3 (WVNY, à Burlington au Vermont) et le Canal 5 (WPTZ, à Plattsburgh, dans l’état de New York). Ce fut là une petite révolution qui me permit d’enfourcher un nouveau dada horaire qui allait déterminer mes émotions et celles de générations d’enfants à venir. J’ai nommé les dessins animés du samedi matin, aux couleurs vives et couperosés d’annonces de jouets foireux et de céréales ricaines archi-sucrées et merdiques, comme Trix ou Lucky Charms. La séquence de dessins animés du samedi matin sur les chaînes américaines dévorait avidement tout l’avant-midi, sans discontinuer. On en avait les yeux exorbités. Combien de fois ai-je contemplé le soleil radieux du samedi matin depuis la fenêtre qui était le long du téléviseur que je ne quittais pourtant pas. Il était alors parfaitement inutile de consulter l’horaire télé. On se laissait simplement porter par le flot torrentiel des émissions en succession, en jouant pensivement avec les boutons de dosage des couleurs (un bouton pour les couleurs froides, un bouton pour les couleurs chaudes), dont la syntonisation extrême donnait au cartoon hystérique du moment de véritables allures de trip de LSD.

La rigidité et les effets d’urgence des horaires de programmation étaient sciemment exploités par nos parents comme autant de carottes pour les baudets télévisuels que nous étions mécaniquement devenus. J’ai déjà mentionné le téléviseur portatif m’attirant vers mon souper vespéral. On peut aussi mentionner les bains. Le dimanche soir, il fallait se grouiller de prendre notre bain pour ne pas rater la séquence Jinny (I dream of Jeannie), Du feu s’il vous plait, et Des agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E), en début de soirée. Les mésaventures du major Nelson et de son fidèle sbire Roger Healey sentent pour toujours le savon et les cheveux mouillés, dans mon souvenir.

Non vraiment, quand on y pense avec le recul, la télé rendait con pour son contenu, certes, mais aussi pour l’incroyable danse behaviorale qu’elle imprima profondément dans nos vies d’enfants. Que d’énergie bazardée pour se soumettre à la tyrannie bien révolue de cette organisation abstraite, rigide et fatale du temps. Et ces salopards trichaient en grande, avec ledit temps, en plus. Une émission d’une demi-heure ne durait en fait que vingt minutes car elle était coupée de dix minutes de pubes, ou plus. Un chef-d’œuvre cinématographique se voyait parfois tronçonner des segments et des plans entiers, pour laisser de la place à la pube tout en se maintenant rigoureusement dans l’horaire. Ma génération s’accommodait vaille que vaille de la fatalité des pubes périodiques (c’était entre autres des pauses pipi idéales) mais la génération précédente, plus déterminée par la tranquillité perdue des salles obscures, en souffrait atrocement. Il faut aussi dire que, dans le cas d’un grand film, la durée des pubes augmentait insidieusement à mesure que la trame du film s’avançait. Je n’oublierai jamais votre pauvre arrière-grand-père qui s’était confortablement installé pour mater Les dix commandements  (The Ten Commandments) de Cecil B. DeMille. Les pubes, au début, faisaient cinq minutes aux vingt minutes. Vers la fin du film, elles étaient passées à vingt minutes de pubes pour vingt minutes de film. Le vieux ferma rageusement la téloche, un bon moment avant que le peuple Hébreux ne joigne la terre promise, profondément écœuré qu’il était des annonces de savonnettes et de bagnoles qui lui polluaient son expérience.

Puis, un jour fatidique, un ratoureux méconnu mit, sans le savoir, fin à toute cette absurde tyrannie. Il popularisa une invention assez ancienne: le magnétoscope. Il devenait désormais possible d’enregistrer son émission et de la mater plus tard, en dehors de la grille horaire. Tout doucement, cette pratique se généralisa. Ce fut là le premier facteur de libération. Les gens prirent l’habitude d’écouter leurs émissions quand ça les arrangeait et, de plus en plus, en sautant les pubes. Le pli était pris. Aujourd’hui, on consulte ou compulse un feuilleton ou un film comme on le ferait d’un livre. On absorbe en deux jours et deux nuit un feuilleton HBO ou Netflix qu’on aurait dû autrefois picorer à la petite semaine en trois ou quatre mois, fidèlement et docilement. On regarde désormais son émission favorite sur le site web disponible quand nous sommes nous-même disponibles (pas le contraire). Les pubes intercalaires intempestives ont, à toutes fins pratiques, disparu.

Je ne peux tout simplement pas commencer à expliquer à mes petits-enfants la vengeance morale absolue que les conditions technologiques contemporaines représentent, pour les hommes et les femmes de ma génération, anciens enfants prisonniers sans espoir de la grille horaire télévisuelle. Celle-ci est désormais tordue et déchiquetée, comme une vieille cage foutue et obsolète après l’évasion dans la nature de toutes les bêtes fofolles qu’elle cernait autrefois cruellement. Espérons que ces dernières bébêtes en profiteront pour aller jouer dehors un peu, notamment le samedi matin, réservant les visionnements, désormais bien tempérés, d’émissions, nunuches ou non, pour les jours de pluie, de neige et de grêle.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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RICK MERCER REPORT (2004-2018)

Posted by Ysengrimus sur 15 avril 2018

Le RICK MERCER REPORT vient de baisser pavillon après quinze saisons (2004-2018). Animé par l’humoriste terre-neuvien Rick Mercer, ce programme de numéros humoristiques s’est voulu le grand promoteur de la ci-devant joyeuse et polymorphe réalité canadienne. Maître incontesté de la cascade bouffe, reporter-aventurier impliqué jusqu’au cou dans les activités qu’il investissait, Rick Mercer savait littéralement tout faire: courir, plonger, nager, patiner, sauter à ski, tirer du flingue, danser la claquette, se faire flotter dans tous les harnais imaginables, conduire des camions, des carrioles à chevaux, des traîneaux à chiens, des locomotives, des grues, des aéroglisseurs et j’en passe… Ce bouffon impayable excellait dans l’art de donner l’image du faux citoyen ordinaire découvrant tout ce qui peu impliquer une cascade aventureuse au Canada. Je dis faux citoyen ordinaire parce que ce petit bonhomme tonique et badin avait des capacités athlétiques indéniables (les athlètes olympiques qu’il a eu en entrevue ont souvent eu un discret sursaut admiratif). Simplement il dissimulait soigneusement lesdites capacités pour faire peuple et pour rehausser au mieux ses effets baratineurs.

En quinze années intensives, Rick Mercer s’est placé dans les situations les plus mirobolantes, en compagnie des instances suivantes (liste largement NON-exhaustive):

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Rencontre avec des corps constitués: police portuaire, garde civile, Collège militaire de Saint-Jean, sauveteurs en mer ou en forêt, pompiers forestiers, rangers nordiques, corps d’armée spécialisés, corps policiers urbain de plusieurs grandes villes, armée canadienne de terre, mer, air, Snowbirds, police rurale et/ou nordique, cadets parachutistes, escouades héliportées, Gendarmerie Royale du Canada. Etc…

Cabotinage en institutions publiques et parapubliques: Monnaie Royale Canadienne, Gouverneur Général du Canada, Chambre des Communes, Sénat, hisseur du drapeau de la Tour de la paix, lieutenants gouverneurs provinciaux, commissaires territoriaux, ambassadeurs étrangers au Canada, tous les hommes et femmes politiques canadiens imaginables (souvent placés dans d’abracadabrantes postures de cascades ou de cabotinage),  des musées nationaux en pagaille, un grand nombre d’institutions hospitalières et de facultés universitaires, Société des Chemins de Fer, Ballet National du Canada. Etc…

Cascades diverses auprès d’organisations sportives: école d’escrime, glisseux sur fils de fer, meneurs et meneuses de claques, hockeyeurs (sur glace et sur gazon), footballeurs, baseballeurs, joueuses de balle molle, joueurs de cricket, joueurs et joueuses de soccer, de rugby, sirènes nageuses, plongeurs et nageurs olympiques, volley de plage olympique, tir à l’arc, alpinisme en montagnes ou sur glaciers, ski acrobatique (y compris en entraînement estival avec plongeons à ski en eau lacustre), patinage de course, planche à neige, courses de canot sur glace, rodéos, compétitions de bûcherons, danse sociale compétitive, et même le pelletage ordinaire des citoyens bénévoles de l’Île-du-Prince-Édouard. Etc…

Entreprises: culture du caviar, soufflage de verre, élévateurs à grain, usines de production de croustilles, de sucettes glacées, les commerces florissants de Fort McMurray, des plates-formes de forage pétrolier, les grands marchés et espaces commerciaux, l’hôtel Château Laurier, tous les baratins touristiques imaginables, festival de la vigne et du vin, festival des trappeurs, festival des voyageurs de Saint Boniface, festival des écossais, parades des irlandais, nouvel an chinois, Carnaval de Québec, Stampede de Calgary, diverses cabanes à sucre, la compagnie Blackberry, les travailleurs de l’acier, les perceurs de tunnel sous les chutes Niagara, le Cirque du Soleil. Etc…

Le monde merveilleux des animaux: concours de beaux chiens, superchiens qui font des tours, les chiens d’aveugles, l’escouade canine (chiens policiers méchants qui attaquent les bandits), les chiens de traîneaux, les chevaux de course, les chevaux d’attelage, les chevaux et taureaux de rodéo, le sanctuaire des baudets, les vivariums, les aquariums, les dauphins, les bélugas (marsouins), les baleines dans leur habitat naturel, les ours bruns forestiers, les ours blancs du grand nord, les nouveaux ours hybridés de bruns et de blancs, les troupeaux de moutons, les poissons sauvages ou d’élevage, un essaim d’abeilles (se collant sur lui), les gros insectes de l’Insectarium de Montréal. Etc…

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Dans tous ces cas, Rick Mercer payait de sa personne. Il essayait tout et il est indéniable qu’il était un cascadeur incisif et gonflé qui, en plus, donc, ne la ramenait l’un dans l’autre pas trop comme athlète, ce qui rendait ses interventions de bousilleur méthodique particulièrement sympathiques. Reçu partout, accepté en tous lieux, il faisait un peu figure de clown-reporter canado-universel. Inutile de dire que la dimension instructive de l’exercice était largement subordonnée à sa dimension bateleuse et humoristique. Turbulent, remuant et gaffeur, Rick Mercer était particulièrement connu pour couper la parole à ses invités quand ceux-ci devenaient trop sérieux ou didactiques, afin d’orienter le tout de sa présentation-prestation vers le divertissement spectaculaire, bouffon et cocasse. Une dimension intéressante du RICK MERCER REPORT résidait dans sa capacité particulièrement sentie et fine à faire découvrir que des hommes et des femmes participent de façon sensiblement égale à cet ensemble complexe et bringuebalant d’activités spécialisées, au Canada. Les hommes et les femmes étaient mis en valeur uniformément, sans ostentation féministe particulière, dans le RMR. Aussi, je vois en Rick Mercer un acteur discret mais empiriquement efficace de la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, dans toutes les sphères d’activité. Ce n’est pas là son moindre mérite.

Rick Mercer et le RICK MERCER REPORT ont aussi fait époque pour leurs différentes interventions de satire politique. Propagandiste consensuel discret mais indubitable, fou du roi tapageur faussement séditieux, Rick Mercer était connu pour son fameux coup de gueule (rant) éditorial, parfois passable, parfois douteux, et ses entrevues complices avec des personnalités du monde de la politique conventionnelle. Le RICK MERCER REPORT est un véritable portrait-robot satirique du Canada anglais politicien et institutionnel début de siècle. Je dis Canada anglais parce que la réalité sociale originale du Québec est discrètement mais soigneusement atténuée par nos bons amis du RMR. Les canadiens français sont ramenés au stéréotype habituel de carnavaleux à ceintures fléchées, buvant du caribou et faisant trois petits tours en leur temps, avec un joli accent. Il s’agissait bien de perpétuer l’image d’un pseudo-interculturalisme et d’une diversité distordue des classes sociales sous solide tutelle anglo-bourgeoise. Implacablement conformiste et assimilateur dans son essence, le RICK MERCER REPORT ne se gênait pas pour bien nous faire comprendre qu’il est toujours parfaitement possible de mobiliser tant «nos» onctueuses lourdeurs politiciennes que la brutalité feutrée de «nos» corps d’élite, pour bien garder en contrôle «nos» troupeaux de moutons et «nos» bancs de béluga… si vous voyez ce que je veux dire.

Néo-colonialisme lancinant, discret dédain de classe façon CBC et inévitable déception déculturante canadienne rouge et blanche mis à part, voici, sans rancune et sans nostalgie, mes quatre numéros préférés du RICK MERCER REPORT (ayant vécu vingt ans à Toronto, disons que j’ai vu un certain nombre de ses prestations et en ai sereinement tiré les conclusions requises):

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De la neige à Toronto: Rick Mercer et sa troupe de cabotins et cabotines présentent une petite chute de neige (20 centimètres) à Toronto comme un cataclysme national majeur reconfigurant durablement l’unité canadienne par le drame. Nous avons été frappés… par la neige. Ironie particulièrement savoureuse et mordante sur la posture guindée et nunuche de la petite bourgeoisie torontoise. L’humour pince-sans-rire anglo-canadien à son meilleur. Hurlant. Irrésistible.

Le Ballet National du Canada et le Chapelier Fou: Rick Mercer exemplifie ici sa façon à la fois mutine et amie de faire connaître (superficiellement mais comiquement) l’institution qu’il visite. Ici, il va nous asséner sa version personnelle du rôle du Chapelier Fou, dans la production du ballet Alice au Pays des Merveilles par le Ballet National du Canada. Comme c’est un rôle de danse à claquette, il va d’abord devoir s’entraîner en compagnie de l’acteur-danseur qui joue le vrai Chapelier Fou. Il va ensuite se costumer en compagnie du personnel spécialisé (costumière et perruquier). Comme souvent, on se dit que, s’il était moins foufou et niaiseusement touche-à-tout, il y arriverait et ce, malgré un évident manque de sérieux.

Une découchette chez le premier ministre Stephen Harper: Le premier ministre Stephen Harper, personnage habituellement austère et peu amène, prend Rick Mercer en découchette (sleep over) à sa résidence officielle du 24 Sussex Drive (Ottawa). Rick Mercer joue alors en pyjama avec les enfants du premier ministre avant d’aller au lit se faire lire un projet de loi soporifique par le premier ministre, qui veille à son chevet. Ce cabotinage insensé doit beaucoup à Harper lui-même, que j’ai alors découvert comme un humoriste pince-sans-rire très passable. Tu sais ce que je fais quand je n’arrive pas à m’endormir? Je compte des circonscriptions électorales. Étonnant numéro humoristique avec une fort jolie qualité critique car, en plus, Mercer y échantillonne son solide sens de l’autodérision journalistique.

Les meneurs et les meneuses de claques: Un exemple représentatif de Rick Mercer rencontrant des sportifs jeunes, toniques et vigoureux. Ici, ce sont des meneurs et meneuses de claques (cheerleaders). Ces animateurs collectifs sont devenus, au fil des années, de véritables acrobates pratiquant un sport chorégraphique parfaitement autonome et spécifique. Leurs prestations sont impressionnantes. Le tout de la recette RMR est concentré dans ce reportage. Admiration sentie pour les athlètes de haut niveau, valorisation égalitaire des hommes et des femmes, Rick Mercer jouant le jeu et payant de sa personne en s’essayant au sport dont il nous cause. Il nous montre ici aussi, en plus, un sens fin de l’entretien avec les enfants. Son interaction avec les gamines meneuses de claques lui montrant comment faire des culbutes et comment porter leur petite boucle-coiffe au sommet de la tête est à la fois particulièrement charmante, respectueuse et bouffonne.

Rick Mercer (né en 1969)

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Paru aussi (en version modifiée) dans Les 7 du Québec

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Il était une fois, SYMPHORIEN

Posted by Ysengrimus sur 28 mars 2017

Aurore Sylvain (Juliette Huot), Symphorien Laperle (Gilles Latulippe), Éphrem Laperle (Fernand Gignac), Berthe L’Espérance (Janine Sutto)

Aurore Sylvain (Juliette Huot), Symphorien Laperle (Gilles Latulippe), Éphrem Laperle (Fernand Gignac), Berthe L’Espérance (Janine Sutto)

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Aurore Sylvain (Juliette Huot): Mon Dieu, Symphorien, Éphrem, mademoiselle L’Espérance, vous devinerez jamais ce qui vient d’arriver. Janine Sutto vient de mourir.

Symphorien Laperle (Gilles Latulipe): Pas vrai!

Éphrem Laperle (Fernand Gignac): Terrible.

Berthe L’Espérance (Janine Sutto): Oh elle, la vieille fatikante. Je vas pas pleurer pour elle. A l’avait pas mal faite son temps.

Aurore Sylvain: Ben voyons donc, mademoiselle L’Espérance, vous pouvez pas parler d’une façon aussi frivole d’une des figures les plus achevées de notre belle culture théâtrale.

Symphorien Laperle: Une figure achevée pis aboutie aussi.

Éphrem Laperle: Aboutie, pas mal aboutie… pis pas mal au boutte mais, bon, passablement au boutte de sa corde aussi, hein, y faut ben l’dire.

Berthe L’Espérance: Ben je vous le fais pas dire, Éphrem. Voyons donc, madame Sylvain, Janine Sutto, c’est une figure d’un autre temps. En quelle année qu’on est, donc? Un instant que je regarde au haut de la page là, juste au dessus de la belle photo de nous quatre en gris rosâtre et blanc, là. 2017. Ben franchement était pas mal due, la madame Sutto, bon… enfin.

Madame Sylvain: Hein, quessé ça, cette date là. Êtes-vous en train de me dire qu’on est projetés quek quarante-cinq ans dans le futur?

Symphorien: Ça ben de l’air que c’est pas mal ça.

Éphrem: Ben là c’est clair et net: on est tous morts.

Mademoiselle L’Espérance: On dirait ben. La Sutto a été la dernière de nous quatre à y passer.

Madame Sylvain: Les restants seront toujours les restants, je suppose.

Mademoiselle L’Espérance: Ben je vous demande ben pardon, madame Sylvain. Vous êtes mal placée pour parler de restants. Je vous permets pas.

Symphorien: Hey! Woupélaille, Hey! Ça me rappelle une blague. Euh… Savez-vous comment on appelle ça, des chaussures d’enterrement?

Éphrem: Sais pas.

Mademoiselle L’Espérance: Je ne vois pas.

Madame Sylvain: Aucune idée

Symphorien: Des pompes funèbres!

Éphrem: J’a pogne pas.

Mademoiselle L’Espérance: Oh, elle est bonne celle-là, Symphorien. Il va falloir que je la raconte à Oscar Bellemare. Il va bien la rire, je pense.

Madame Sylvain: C’est une boutade de français, ça, Symphorien.

Symphorien: Pis? On sait pas exactement où c’est qu’on est, icitte. On est toute ben dans un espace cyber super branché francôphônie.

Éphrem: On est sur un blogue. Veux-tu ben me dire quessé ça?

Mademoiselle L’Espérance: Oh! C’est un site de rencontre, peut-être!

Madame Sylvain: Ben voyons donc, mademoiselle L’Espérance. Calmez-vous un peu.

Symphorien: À ce que je comprends. C’est une sorte de journal cybernétique mondial du futur. Des milliers de lecteurs nous découvrent icitte, toute en même temps, ça ben d’l’air.

Éphrem: Ah oui! Ah bon! Ben d’abord Il faut absolument que je leur raconte ta boutade… euh… funéraire là, Symphorien. Une blague sur un blogue, franchement, ça s’impose…

Symphorien: Vas-y, mon frère.

Éphrem: Euh… Hum… Savez-vous comment on appelle ça, des cordonniers funéraires?

Symphorien: Pas des… non…

Mademoiselle L’Espérance: Je vois pas.

Éphrem: Des pompiers funèbres. Ha, ha, ha, ha…

Madame Sylvain: Elle est pas drôle du tout, votre blague, Éphrem. Et elle est bien macabre, en plus

Symphorien: Tu viens d’en flopper une autre, mon Éphrem. Non, franchement… Bon, laissons faire ça. Mais, bon, euh… si on lâchait les blagues et si on revenait au sujet du blogue, ce journal cybernétique mondial du futur où des milliers de lecteurs nous découvrent.

Mademoiselle L’Espérance: Mon dieu, tous ces gens, tous ces hommes. J’espère au moins que ma coiffure est en ordre.

Madame Sylvain: Vous inquiétez donc pas, mademoiselle L’Espérance, vous pouvez pas être ni meilleure ni pire que vous-même.

Symphorien: Je pense quand même qu’on devrait se présenter.

Éphrem: Ben voyons donc, on se connaît depuis tellement longtemps.

Symphorien: Non, Éphrem. Je pense qu’on devrait se présenter aux lecteurs et lectrices du blogue.

Éphrem: Ah bon… Ah bon…

Mademoiselle L’Espérance: C’est une excellente idée, ça, Symphorien. Il faut d’abord dire qui l’on est. Nous sommes quelques-uns des personnages d’un feuilleton télévisé du Québec du siècle dernier intitulé Symphorien (1970-1977).  Euh… ben continuez donc, madame Sylvain, vous êtes bonne là dedans, vous, les présentations.

Madame Sylvain: Eh bien je vais poursuivre en me présentant moi-même, si vous me permettez. Je suis Aurore Sylvain, jouée par Juliette Huot (1912-2001). Je suis propriétaire d’une pension de chambres dans l’est de Montréal. C’est autour de ma pension que gravite une kyrielle de personnages. Je suis un peu la coordonnatrice de ce grand cirque, en quelques sortes. Mon cher et chambranlant fiancé, monsieur Jules Crépeau, est joué par Jean-Pierre Masson (1918-1995)… et la bonne et cuisinière de ma pension de chambres, mademoiselle Marie-Ange Boisclair, est jouée par Janine Mignolet (1928-1994). À toi, Symphorien.

Symphorien: Ben moi, je suis Symphorien Laperle, joué par Gilles Latulippe (1937-2014). Je suis concierge et homme à tout faire de la pension de Madame Sylvain. Mon épouse s’appelle Marie-Madeleine et elle est jouée par Denise Proulx (1928-1993). J’ai quatorze enfants, un mode de vie prolétarien et simple et une forte propension à servir de souffre-douleur à toutes les figures de mon cher petit univers, et notamment au constable Placide Beaulac, joué par Yves Létourneau (né en 1928). J’ai aussi —fatalement— une belle-mère, madame Agathe Lamarre, jouée par Suzanne Langlois (1928-2002), sur laquelle je n’épiloguerai pas.

Éphrem: Ben, moi, pour ma part, je suis Éphrem Laperle, le frère de Symphorien. Je suis joué par Fernand Gignac (1934-2006). Je suis reconnu pour faire co-exister les onomatopée monosyllabiques les plus vides et niaiseuses avec les orchidées acrolectales les plus relevées, sophistiquées et parfumées imaginables. Je m’adonne usuellement à la manducation de bonnes boutades et blagues diverses et je les régurgite avec de singuliers et insolites effets de ratage qui rehaussent tant la dimension surréaliste de ces saillies que mon statut indécrottable de grand incompris sociétal.

Mademoiselle L’Espérance: Voilà qui est superbement bien dit, tous autant que vous êtes. Je vous reconnais tous bien là. Mon nom à moi c’est Berthe L’Espérance, jouée par Janine Sutto (1921-2017). Je suis reconnue pour mon durable potentiel séducteur. Ce dernier est si durable, du reste justement… euh… que, voyez-vous, je suis restée assez longtemps célibataire, entourée de frelons aussi bourdonnants que fascinants, comme une toute mielleuse reine abeille. Les choses sont cependant en train de changer vu que je suis intensivement courtisée par l’entrepreneur de pompes funèbres local, monsieur Oscar Bellemare, joué par Jean-Louis Millette (1935-1999). Ce dernier est entravé dans sa pulsion attractive envers moi par une mère excessivement enveloppante du nom de Blanche Bellemare, jouée par Béatrice Picard (née en 1929). Celle-ci, ma trépidante Némésis en fait, ne parvient pas à se faire adéquatement distraire par son mariage récent avec le millionnaire du West Island Dollard Tassé, joué par Léo Rivest (1913-1990). J’étais, pour ma part, anciennement associée en affaire avec madame Sylvain mais j’ai fini par ouvrir ma propre pension de chambres, histoire de voler de mes propres ailes. Mon existence est…

Madame Sylvain: Bon, ça suffit comme ça, mademoiselle L’Espérance. Vous avez pas besoin de tapageusement vous étaler sur les détails infinis de votre petite existence. Il y a encore bien d’autres choses à dire sur notre feuilleton d’autrefois à ces bonnes personnes du futur qui ont la patience et la mansuétude d’encore un peu s’intéresser à nous.

Mademoiselle L’Espérance: Mais quelles choses donc (autres que des choses me concernant directement) y a t’il à dire tant que ça?

Madame Sylvain: Bien par exemple que les 269 épisodes d’une demi-heure de notre feuilleton ont vu circuler, en sept ans (1970-1977), une ribambelle d’acteurs et d’actrices venus du monde du cabaret et du burlesque montréalais autant que du théâtre institutionnel le plus caparaçonné. Le très populaire feuilleton Symphorien a incorporé, dans sa fluctuante troupe, des acteurs et des actrices de cinéma…

Symphorien: Des comédiens de la scène des variétés…

Éphrem: Des chanteurs de charme…

Mademoiselle L’Espérance: Ainsi que des théâtreuses carabinées à la longévité tenace…

Madame Sylvain: Voilà. Nous sommes donc littéralement une sorte de who’s who du petit monde du spectacle québécois des années 1970.

Symphorien: Bien dit. C’est très bien dit, ça, madame Sylvain.

Éphrem: Je seconde.

Mademoiselle L’Espérance: Et tout ça, ça se perd tout doucement dans la nuit des temps.

Madame Sylvain: Exactement. La mort récente de Janine Sutto marque une étape importante dans la délicate et implacable fermeture du mausolée de toute cette époque.

Éphrem: Oui… oh moi, j’ai encore une chose à dire concernant madame Janine Sutto.

Mademoiselle L’Espérance: Quoi donc, Éphrem.

Éphrem: Ben on peut dire qu’al a finalement fini par se faire pogner par l’entrepreneur de pompes funèbres qui lui courait après depuis tant d’années… Hu… hu… hu…

Mademoiselle L’Espérance: Ha, ha… très drôle. En tout cas, je vous embrasse tous et toutes et je remercie le public assidu et fidèle qui nous a assuré des moments si beaux, si mémorables, si drôles et si durables.

Madame Sylvain: Bon, Symphorien, va me chercher une boite de mouchoirs. Je sens qu’elle va me faire brailler celle-là.

Symphorien: Tout de suite, Madame Sylvain.

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Green Hornet (le frelon vert)

Posted by Ysengrimus sur 17 mars 2017

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Il y a cinquante ans, le 17 mars 1967, prenait fin la courte mais intense série télévisée The Green Hornet (vingt-six épisodes d’une demi-heure diffusés en 1966-1967). Dans une grande ville américaine non identifiée, Britt Reid (joué par Van Williams) est le propriétaire et directeur du journal à grand tirage Daily Sentinel. Mais il revêt aussi l’identité d’une sorte de vigilante masqué: Green Hornet (le «frelon vert»). Outre son acolyte et complice, le discret mais solide Kato (joué par nul autre que le légendaire Bruce Lee, jeune et tonique), les deux autres  personnes qui partagent le secret de l’identité du Green Hornet sont sa fidèle et industrieuse secrétaire, mademoiselle Lenore Case dite Casey (jouée par Wende Wagner), et le procureur de district (district attorney, une sorte d’intendant régional de justice) Frank P. Scanlon (joué par Walter Brooke). Le descriptif des oripeaux et gadgets du Green Hornet est vite fait. Vêtu d’un pardessus vert sombre, d’un chapeau mou de citadin et masqué d’un loup vert foncé avec le logo au frelon au dessus du nez, il est éternellement flanqué de Kato qui, avec sa casquette de chauffeur, ses gants de cuir, ses chaussures luisantes et pointues et son loup, est tout en noir. Green Hornet et Kato se déplacent dans une berline de type Imperial Crown noire aussi dont les phares vert clair évoquent subtilement les yeux du bourdonnant insecte parasitaire (les bagnoles étaient tout naturellement gigantesques, il y a un demi-siècle). Les deux acolytes disposent sur leur voiture de mitraillettes, d’un lance-fusée rarement utilisé, d’un drone hélicoïdal doté d’une caméra, de canons à boucane camouflante et d’un blindage anti-cartouches. Green Hornet lui-même dispose de deux instruments essentiels. Son flingue vert à gaz soporifique et une sorte de tige télescopique, son aiguillon de frelon, qui est moins une arme qu’une manière de pince monseigneur techno du fait que le susdit aiguillon de frelon télescopique projette un bourdonnement destructeur servant principalement à ouvrir avec fracas les portes des lieux que le frelon investit. Le seul gadget dont dispose Kato est la fameuse petite fléchette en forme de frelon vert, dont il combine vivement et subtilement le tir avec son karaté magistral. Fait inusité et minimalement angoissant, Green Hornet et Kato stationnent la berline noire des deux vigilantes et l’auto ordinaire de monsieur-citoyen Britt Reid dans le même garage secret. Comme ledit garage secret n’a qu’une place, il est doté d’un plancher rotatif. Une des deux voitures est donc toujours perchée sous le garage et stationnée inversée, soutenue au plancher-devenu-plafond par des super-pincettes. Je me demandais toujours si les citernes d’essence et d’huile de la voiture inversée n’allaient pas se vider et tout gâcher dans ce super-résidu bizarre. Étrange sort pour un véhicule de ville de passer une importante portion de son existence suspendu… à l’envers.

Kato (Bruce Lee) et Green Hornet (Van Williams)

Kato (Bruce Lee) et Green Hornet (Van Williams)

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Le modus operandi du Green Hornet est constant et inusité. Kato et lui ne sont pas des superhéros attitrés, comme leurs principaux compétiteurs télévisuels de l’époque, Batman et Robin, ces derniers sources au demeurant de maints clins d’œil (à au moins deux reprises dans The Green Hornet, des malfrats regardent Batman et Robin à la télé). Green Hornet est plutôt une manière de crypto-vigilante. Officiellement, c’est un criminel et toutes les polices de la ville le recherchent. Le crime organisé (particulièrement perfectionné dans cet environnement urbain haut de gamme) subit lui aussi la notoriété truquée du Green Hornet comme criminel (son statut de héro justicier est soigneusement maintenu secret aux yeux de toutes les pègres). L’opération se joue alors toujours de la même façon. Une discrète organisation criminelle sévit dans un secteur quelconque de racket, disons, les distilleries illégales, ou le vol et recel de toiles de maîtres, ou une escroquerie sur les assurances dans la construction. Le procureur de district ne peut pas mettre le grappin sur cette diaphane organisation, par manque de preuves. La solution transversale imposée par le frelon nocturne prend alors corps. Faux voyou brutal, le Green Hornet se rend donc frontalement chez les malfrats distingués, défonce la porte avec son aiguillon, tabasse les sbires du caïd (occasion imparable de s’imprégner du magistral et élégant karaté de Bruce Lee) et se plante devant ledit caïd, réclamant abruptement sa part des revenus du racket en cours, sinon gare… Le caïd est estourbi par la précision des infos sur les arcanes de son arnaque dont dispose le frelon (qui les tient lui même directement du procureur de district) et cela le déstabilise. Des lézardes apparaissent alors dans son dispositif, sous les pressions de ce (faux) criminel avide, parasitaire et intempestif qu’est le Green Hornet. Le caïd est inévitablement poussé à s’exposer à commettre un ou des crimes plus grossiers qu’à son habitude (notamment pour chercher à se débarrasser du bourdonnant frelon) ou encore, recherchant des trahisons ou des mésalliances, à entrer en contradiction avec certains de ses collaborateurs ou grands vassaux. Il s’ensuit du suif et du rififi autour du caïd. Cela rend le caractère criminel de ses activités plus tangible et il finit par se faire cueillir par les autorités constabulaires régulières, avec lesquelles le frelon n’entre jamais en interaction directe (il s’esquive en douce avant l’arrivé tonitruante des bagnoles à sirènes). Parfois (plus rarement) le scénario se conplexifie du fait que Green Hornet recherche le criminel qu’il pourchasse, ce qui donne lieu à une manière d’enquête plus conventionnelle, habituellement assez schématique. Notons que, contrairement à ce qui se passe dans Batman et Robin, les criminels poursuivis par Green Hornet et le procureur de district sont des types ordinaires et ne sont jamais des figures gesticulantes et bouffonnes d’olibrius anti-héroïques (pas d’adversaires genre Joker, Catwoman, Pingouin ou le Riddler). On constate donc l’absence intégrale de supervilains archétypiques, mythologiques et récurrents. Green Hornet cerne de nouveaux ennemis à chaque épisode. Héritier né coiffé d’un empire de presse qu’il tient d’un papa mort en taule pour avoir été discrédité injustement par les réseaux de malfrats de son temps, Britt Reid combat le crime, comme instance, comme entité, comme fléau, plutôt que des malfaiteurs de guignol avec lesquels il cultiverait une manière de guerre personnelle déguisée. Plus Zorro urbain que superhéro céleste, donc, discret, nocturne, Green Hornet est habituellement confronté à des aigrefins en costard-cravate, caïds ténébreux et subtils, escrocs organisés, tenanciers de tripots de luxe, ripoux cyniques, arnaqueurs à l’assurance, grands journaleux véreux ou financiers louches. Si Green Hornet n’est pas emmerdé par des supervilains récurrents, il n’échappe pas cependant à une sorte de super-gaffeur récurrent. Il s’agit là de Mike Axford (joué par Lloyd Gough), responsable de la chronique des affaires policières et criminelles au Daily Sentinel. Contrairement à mademoiselle Lenore Case, Mike Axford ignore totalement l’identité secrète de son patron. Pour lui, comme pour le reste du public, Green Hornet est un criminel notoire parfaitement ordinaire qu’il rêve de capturer et de coller au violon. Fouille-merde buté et efficace, Mike Axford tombe souvent comme un chien dans le jeu de quille de la combine vigilante du Green Hornet (son patron sous le masque) pour confondre l’organisation pégreuse par des voies plus conventionnelles. Mike Axford risque donc de tout faire foirer et de se prendre des pruneaux dans le processus. Aussi, quand le frelon et son chauffeur masqués redressent la situation, sauvent Mike Axford au passage, puis s’esquivent en lui abandonnant leur gloire, on se retrouve tous ensemble dans le bureau de Britt Reid qui échange des soupirs de soulagement discrets avec sa secrétaire-dans-le-secret, en présence de son chroniqueur des affaires policières et criminelles (pas dans le secret, lui) qui peste contre le Green Hornet (sans savoir qu’il l’a là, devant lui, en civil) et échafaude des plans tarabiscotés pour le capturer, la prochaine fois.

L’innuendo homosexuel est discrètement présent mais beaucoup moins ostensible que dans Batman et Robin. Pas de maillots moulants, pas de mules de lutins, pas de capes virevoltantes, pas d’hystérie entre hommes. C’est plutôt l’absence de machisme affiché qui révèle, sans tambour ni trompette, qu’on n’a pas affaire ici à des hétérosexistes forcenés. Playboy dix-neuf-cent-soixantard sobre et classique, Britt Reid sort bien de ci de là avec des femmes (sous le regard discrètement taquin de son omnisciente secrétaire) mais on sent que c’est là un ballet de surface, une concession minimale aux lois du genre, sans plus. Fait rafraîchissant, la misogynie est parfaitement inexistante et le paternalisme masculin est très peu accentué. On retrouve, dans ce feuilleton vieux de cinquante ans, des femmes médecins, des avocates, des directrices de publications journalistiques et personne ne fait le moindre commentaire déplacé. Une certaine élégance vieillotte se dégage même des échanges hommes-femmes. Britt Reid et Lenore Case s’interpellent monsieur et mademoiselle (dans un doublage français, ils se diraient vous). Ils entretiennent une relation professionnelle stricte, parfaitement pondérée et stylée. La subordination ostensible de la secrétaire (en fait une adjointe de direction, au sens moderne) envers son patron est un leurre et fait partie de la façade dissimulant les fausses identités héroïques de ces deux protagonistes et alliés. En privé, ou en présence de Kato et du procureur de district, Lenore Case apparaît comme une complice à part égale de l’organisation du Green Hornet. Elle en connaît d’ailleurs tous les méandres. Son patron l’implique souvent dans des missions sensibles qu’elle accomplit sous son identité réelle, froidement, sans peur, sans hystérie niaiseuse et sans reproche. Son sens de l’initiative belliqueuse est discret mais vif. Lenore Case est une fort intéressante figure de personnage de soutien féminin qui traverse la patine des ans sans vraiment se trouver flétrie ou amoindrie par le vieux sexisme d’époque. Il en est autant de Kato, serviteur chinois pour la façade, complice parfaitement égalitaire lors des escapades nocturnes manifestant la vie réelle du Green Hornet. Bruce Lee n’est pas qu’un cascadeur impeccable. Il est aussi un acteur très fin dont la prestation dans cet opus a vieilli comme une liqueur capiteuse en contournant, elle aussi, la majorité des stéréotypes ethniques du temps.

Un mot sur la musique thème: il s’agit —fatalement— d’une magnifique variation sur le Vol du Bourdon de Nicolaï Rimski-Korsakov, magistralement exécutée à la trompette per Al Hirt. C’est parfaitement savoureux. Bondance de bondance de la vie. Tous ces musiciens, tous ces acteurs et actrices sont morts aujourd’hui. C’est touchant et émouvant de les sentir revivre, en évoquant ce beau souvenir. J’aimais tellement le Green Hornet dans mon enfance que j’ai patiemment colorié une page d’un de ces fameux cahiers à colorier Green Hornet et l’ai pieusement découpée, roulée, plastifiée, puis enterrée dans la cours de ma maison d’enfance, aujourd’hui rénovée et vendue à des modernistes. Si ces braves gens d’un nouveau siècle font un jour du terrassement, ils risquent de retrouver les traces en charpie du vert frelon suranné qui me fit tant rêver, du temps de la vie simple et des redresseurs de torts sans peur et sans reproche qui se démenaient si ardemment dans la vieille boite à images en contreplaqué d’autrefois.

Lenore Case, dite Casey (Wende Wagner)

Lenore Case, dite Casey (Wende Wagner)

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