Une citation d’Objectif Tintin — le site interactif des amis de Tintin
Haine d’Arabe: Titre d’un film, en cours de tournage par la firme « Cosmos Pictures » qui a nécessité la reconstitution, en plein désert, d’une ville entière. Ces moyens, considérables, s’expliquent par le fait que « Cosmos Pictures » est une entreprise de l’empire du célèbre milliardaire Rastapopoulos. Tintin, ignorant qu’il s’agissait d’un film, intervient malencontreusement lors du tournage d’une scène.
(Dans « Les cigares du pharaon »).
De toniques Arabes de mon voisinage, dans la jeune vingtaine, me posent la question en toute spontanéité: l’image négative des Arabes et des musulmans remonte t’elle aux attentats du 11 septembre 2001? Je réponds sans hésiter que non. Et de détailler la chose, pour mes jeunes compatriotes d’origine arabe. Dans le demi-siècle avant le onze septembre, un des principaux vecteurs récurrents de l’image intoxidentale négative des Arabes fut le conflit palestinien. Éléphantesquement hypertrophié dans les médias, ce lancinant abcès de fixation était toujours analysé et décortiqué dans le même sens. Je ne m’étends pas sur cette question archi-connue dont personnellement, par solidarité pour des causes plus graves et moins médiatisées, je ne parle jamais. Passons, donc. L’avant onze septembre vit aussi les belles années du discrédit de l’Irak. Saddam Hussein (1937-2006) s’étant emparé du Koweït (1991), on le démonise subitement, l’accusant de gazer son peuple et de commander «la troisième armée du monde». La légitimation de sa capture, de sa mascarade de procès et de sa pendaison hâtive fut amplifiée par le onze septembre, certes. Le meurtre antérieur de ses fils (les fameux personnages de cartes à jouer recherchés par les forces d’occupation américaines) aussi, indubitablement. Mais, un bon moment avant le détournement de la crise du ci-devant 9/11 par George Bush Junior vers l’Irak, son père, George Bush Senior, ancien vice-président de Ronald Reagan, oeuvra méthodiquement à détruire l’image antérieurement positive de Saddam Hussein. L’enjeu était d’autant plus sensible que, circa 1991, le syndrome vietnamien jouait encore fortement sur la psychologie de masse américaine. Il s’agissait donc, en faisant d’une pierre deux coups, de montrer que Hussein était un mauvais gars, un voyou passablement costaud MAIS AUSSI que le vaincre était jouable. Il fallait de nouveau vendre crédiblement la notion lancinante et peu populaire de guerre de théâtre. Ce fut la grande réalisation belliciste et militariste de George Bush Senior d’imposer, dans la conscience occidentale, cette idée des guerres sectorielles jouables, en guise de substitut conflictuel de la guerre froide. Pour ce faire, on joua à fond les Arabes contre les Kurdes (d’Irak). Antérieure au cap intox mis sur l’Afghanistan/Pakistan (changement de cap intox justement lancé par le onze septembre), on peut dire que la décennie 1990-2000 fut la grande décennie du salissage médiatique (et de la préparation à la destruction matérielle) de l’Irak. L’incident Jessica Lynch (2003) en marqua une sorte de point d’arrêt ou de hoquet temporaire, sans pour autant que l’image des Arabes ne s’en rehausse vraiment durablement.
Alors, poursuivons ce petit recul dans le temps. 1980-1990 fut, elle, la décennie du salissage de l’Iran, donnée comme l’archétype théocratique. Les Iraniens NE SONT PAS Arabes mais Perses, sauf que le confusionnisme sur leur ethnicité est perpétué en permanence dans le discours d’intox, dont l’ethnocentrisme crasse et primaire dans lequel on maintient les masses nord-américaines reste le vivier les plus purulent. L’Iran des ayatollahs du début de la période deviendra d’ailleurs subrepticement, au cours de la décennie, l’Iran des mollahs, de façon à ce que la rhétorique islamoclaste ratisse plus large, plus ample, plus général. Cette période commence en force et en grandeur: révolution iranienne (1979), crise des otages de l’ambassade américaine de Téhéran (1979-1980), passation de Jimmy Carter à Ronald Reagan, avec cette crise internationale majeure en toile de fond. Il y a bien alors encore des continuateurs de la guerre froide qui présentent les étudiants islamistes preneurs d’otages comme des «agents de Moscou» mais cette doctrine déjà vieillissante se résorbe lors du déclenchement compradore de la très meurtrière guerre Iran-Irak (1980-1988). L’image de Saddam Hussein est alors positive et laudative (c’est dans ce temps là qu’on lui remit les clefs de la ville de Détroit, entre autres) et on nous raconte que les irakiens sont des musulmans sunnites (ce qui est un mensonge d’intox) et que les iraniens sont des musulmans shiites (ce qui est vrai). Il y a donc «encore» des bons musulmans et des mauvais. Les iraniens sont les mauvais. La prise d’otage de 444 jours du début de la période et les éructations grossièrement antisémites du président iranien Ahmadinejad de la fin de la période n’arrangent rien pour l’image de l’Iran. Pour mémoire, c’est aussi l’époque où, subitement, on ne dit plus Golfe Persique mais Golfe Arabo-persique pour faire sentir, si possible, que le hautement pétrolier Détroit d’Ormuz est à tout le monde (pas juste aux Perses). Inutile de dire que le Arabo- a derechef disparu de cette désignation depuis le temps… C’est que, de fait, si ces faux Arabes que sont les Perses en prennent pour leur grade pendant cette décennie, les vrais Arabes ne sont pas, eux non plus, en reste. Notamment en France. C’est que ce sont aussi les années Mitterand/Le Pen. Souvenons-nous bien. Soit par électoralisme myope soit par crypto-pétainisme convaincu, soit les deux, le «socialiste» François Mitterand (1916-1996), potentat fétide s’il en fut, laisse fleurir le Front National de Jean-Marie Le Pen qui, lui, est au zénith de sa xénophobie militante et qui emmerde la droite française, la ratatine et la divise. Ce sont les années de l’évocation en ritournelle de «Charles Martel arrêtant les Arabes à Poitiers». Le mouvement Touche pas à mon pote et des franc tireurs pathétiques et émotifs genre Harlem Désir feront tout pour freiner la surchauffe croissante d’un hystérie ethnocentriste qui, on peut le dire avec le recul, fut française avant que de devenir occidentale.
1970-1980. Cette décennie est dominée par le premier (1973) et le second (1979) chocs pétroliers. En 1973, le pétrole brut se vend 1 (UN) dollar le baril. En peu de mois l’OPEP (un sigle qu’on va vite apprendre à connaître) fait passer ce prix de 1 à 3 (TROIS) dollars le baril, en disant très explicitement que ça va faire, l’abus compradore post-colonial en matières énergétiques. Panique inflationniste en Occident. Tout un mode de vie joyeux et folâtre est ouvertement compromis, menacé, condamné. La faute à qui? La faute aux Arabes. L’Arabe devient alors un personnage durablement caricatural. C’est un scheik en tenue ample, genre Saoudien, milliardaire, arrogant, somptuaire et cassant, viscéralement commerçant, qui dit, en roulant les orbites: «Ti vé ti di pétrole… dé tapis…» Je ne plaisante absolument pas. Revoyez les bandes passantes du temps. On lance aussi, dans le discours d’intox, la notion pseudo-économique de pétro-dollars. Les pétro-dollars, c’est des dollars identiques aux miens et aux vôtres, gagnés en suant sang et eau, comme les miens et les vôtres, mais la propagande du temps donne vraiment l’impression que c’est de l’argent de Monopoly. La notion de pétro-monarchie, beaucoup plus pertinente du strict point de vue socio-historique, ne sera mise en circulation que plus tard. Les Arabes, dans ce temps là, «ne vivent pas» dans des monarchies rétrogrades qui freinent le progrès social et oppriment les femmes. Les Arabes, dans ce temps là, bénéficient de la protection des avions AWACS américains. Et surtout, ils «sont riches». Pendant cette période, les Arabes sont tous arrogants, ricanants, faussement obséquieux et riches. Il n’y a que des Arabes cons et riches. On pourrait leur vendre la tour Eiffel. Ils importent même du sable fin (sic) pour les filtres des piscines de leurs palais somptuaires…
1960-1970. La version guerre froide du conflit palestinien culmine dans les très traumatique Guerre des Six Jours (1967) et Guerre du Yom Kippur (1973). L’Arabe est alors un inquiétant Fedayin pro-soviétique avec une mitraillette et un keffieh en nappe de maison de campagne rouge et blanche, genre Arafat. Yasser Arafat (1929-2004) lui-même est évidemment, justement, un fort mauvais gars (pas encore Prix Nobel de la paix, il s’en faut de beaucoup). Il est rien de moins que le Fidel Castro du Moyen-Orient. Les seul bons Arabes sont Abdel Nasser (1918-1970) et son (futur) successeur Anouar el-Sadate (1918-1981) parce qu’ils se fringuent en costards et embrassent ouvertement les valeurs occidentales. Plus tard, de vilains pro-iraniens tueront Sadate, mais pour le moment, moi (né en 1958) je lis des Tintin et je prend pensivement connaissance des inoubliables séquences du film de la Cosmo Pictures du méchant et ricanant millionnaire grec Rastapopoulos, dont le titre, syntaxiquement ambivalent, me laissera longtemps dubitativement rêveur (notamment sur le thème de grande portée contemporaine du malentendu): Haine d’Arabe.
Alors, pour tout dire, en fait, quand je cherche, dans ma trajectoire personnelle ou dans notre histoire intoxico-médiatisée récente, quelque chose de positif qu’on a pu éventuellement me raconter un jour au sujet des Arabes, je ne trouve que quelques pets de nuées philosophiques. Ils ont inventé les mathématiques et ont permis à la sagesse d’Aristote (si tant est) de passer à travers le Moyen-âge. C’est à la fois beaucoup et peu. Et surtout, notez bien que c’est ancien, que c’est vénérable, qu c’est du passé, que ce n’est pas contemporain. Car justement, il y a cette boutade incroyablement probante (et odieuse) au sujet de Star Trek et des Arabes. Vous la connaissez? Elle va comme suit:
— Sais-tu pourquoi il y a pas d’Arabes dans la série télévisée Star Trek?
— Non…
— Parce que c’est un feuilleton qui se passe dans le futur…
«Hilarant» non? Cela me colle dans le visage le rictus crispé de Rastapopoulos, tiens. Et pourtant, c’est tout juste le contraire. Les Arabes et les musulmans, c’est tout ce qu’il leur reste, le futur. Et le futur, eh ben, ça vient vite, de nos jours. Tant et tant qu’à leur sujet, il serait peut-être un peu temps de changer de disque…
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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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