Il y a quarante ans se dressait le premier de tous les Conan… Je me suis sensiblement rapproché de Conan le Barbare dans des conditions parfaitement inattendues. J’ai vu, il y a quelques années, le très beau film intimiste The Whole Wide World (1996, avec Renée Zellweger et Vincent D’Onofrio), basé sur le récit autobiographique d’une incisive institutrice d’anglais du Texas, Novalyne Price (1908-1999), relatant sa brèves et tumultueuse relation, entre 1933 et 1936, avec un écrivain névropathe, dépressif et complètement obsédé par son écriture, un certain Robert Ervin Howard (né en 1906 – mort en 1936, d’un suicide par arme à feu). Précurseur quasi-visionnaire de la littérature du genre fantasy, Robert Ervin Howard créa, en 1932, le personnage de Conan le Barbare, dans une série de ces petits romans à grand tirage que les américains désignent sous le terme difficilement traduisible de pulp fiction. Un demi-siècle plus tard, le long-métrage Conan the Barbarian allait lancer en grandes pompes la carrière cinématographique du culturiste autrichien Arnold Schwarzenegger, ex-gouverneur de Californie. Mes fils Tibert-le-chat et Reinardus-le-goupil sont des consommateurs assidus de la littérature fantasy contemporaine et l’idée de les raccorder aux sources de ce genre, en compagnie de l’incontournable Arnold, m’anima, quand je me procurai le disque de ce film. Je l’avais vu moi-même dans les années 1980 et en avait gardé, ma foi, un souvenir tout à fait favorable, auquel le récit poignant de Madame Novalyne Price donna par après et donne encore aujourd’hui un singulier relief émotif.
La saga de Conan nous est relatée d’une voix tonnante et sépulcrale par le sorcier Akiro (campé solidement par Mako Iwamatsu). Il s’agit d’un temps sauvage, cruel et couillu qui se situe entre la préhistoire et les toutes premières époques historiques, le temps qui suivit l’engloutissement de la mythique Atlantide, et dont nous avons tout oublié. Dans les neiges du pays nordique de Cimmeria, Conan enfant apprend de son père l’importance de l’acier, métal dont on fabrique ces outils précieux et ces armes fines et puissantes qui ne vous trahiront jamais. Mais l’acier et le savoir métallurgique causeront la perte des Cimmériens. Leur village est envahi par les cavaliers intrépides de Thulsa Doom (joué par un James Earl Jones chevelu, stoïque et terrifiant), flanqué de ses deux sbires, l’homme au marteau de combat et l’homme à la triple hache. Les hommes et les femmes du village (dont les parents de Conan) sont massacrés, les pièces métalliques volées et les enfants emmenés en esclavage. Conan va passer vingt ans à pousser la barre rotative d’un immense puit, dans une steppe désertique, avec les anciens bambins de son village. Tous les autres esclaves vont mourir d’épuisement, tandis que Conan, infatigable, poussant sans répit l’immense barre rotative du grand puit, survivra et se développera une gonflette schwarzeneggeresque. Un jour, un montreur d’hommes forts l’achète. Conan adulte (Arnold Schwarzenegger, qui avait trente-deux ans lors du tournage) sera gladiateur. Il se familiarisera graduellement avec la violence inouïe, le combat sans concession et la gloire poissée de sang de l’arène. On l’emmènera en Extrême Orient, où il apprendra le maniement du sabre. Sa renommée grandira tant et tant qu’un jour, sur un coup de cœur, son maître l’affranchira.
Pendant toutes ces années, l’étendard brandi par les cavaliers ayant envahi son village natal et tué ses parents est resté imprimé dans la mémoire de Conan: deux serpents incurvés se faisant face au dessus d’une lune et d’un soleil levant. Presque sans y penser vraiment, Conan cherche cet insigne. Mais, ignorant, éperdu, plus fort qu’astucieux, plus costaud qu’industrieux, il erre. Dans son errance, il rencontre Subotai (Gerry Lopez, dans un superbe travail d’acteur de soutien), un archer asiatique de la nation des Hyrkaniens. Le pauvre Subotai n’en mène par large. Ses ennemis l’ont enchaîné à un roc pour qu’il se fasse dévorer par les loups. Conan le libère. Les deux nouveaux amis s’installent dans la steppe, sous un ciel de fer, pour une petite tambouille vespérale et nous servent LE dialogue du film (il faut au demeurant noter qu’Arnold Schwarzenegger a très peu de lignes de texte dans ce film. C’est d’ailleurs tout à son mérite car il campe son rôle quasi muet avec une intensité étonnamment crédible). Conan demande donc à Subotai quelle divinité il vénère. Subotai, solide et mystérieux, répond qu’il rend un culte aux Quatre Vents de l’Horizon qui sont invisibles mais soufflent sur la totalité du monde. Subotai demande ensuite à Conan quelle divinité il vénère, lui-même. Carré, presque enfantin, Conan explique qu’il rend un culte au Géant Crom, puissant guerrier mythologique qui lui demandera des comptes à la fin de ses jours sur sa propre vie de guerrier et le bottera hors du Walhalla en se foutant de sa poire si le bilan n’est pas satisfaisant. Subotai ricane doucement et explique calmement que les Quatre Vents de l’Horizon soufflent sur la totalité du monde INCLUANT le Géant Crom, qui n’est jamais qu’un gros et grand gaillard de plus, ayant le ciel au dessus de sa tête, comme tout le monde. La puissance des Quatre Vents de l’Horizon prime, car ils sont invisibles, intemporels, vastes et omniprésents. Abasourdi de voir la description de sa divinité anthropomorphe enveloppée dans le syncrétisme spontané d’un baratin bien plus articulé que le sien, Conan, subjugué par la solidité du développement de Subotai sur sa propre divinité, cosmologique elle, se met à regarder le ciel venteux et tumultueux de la steppe avec une inquiétude renouvelée. Le tout ne dure que quelques minutes, mais c’est à se rouler par terre de finesse ironique.
De fait la thématique religieuse et, surtout, sa critique va s’avérer devenir graduellement un des sujets centraux du film. Conan et Subotai arrivent à Shadizar, ville où, entre autres, ils se drogueront avec une plante euphorisante et feront la fête, comme les larrons en foire qu’ils sont. Mais à Shadizar, ils trouveront aussi une tour frappée du symbolisme du serpent et servant de temple à une curieuse secte assassine qui, selon les citadins de Shadizar, semble se répandre un peu partout dans la contrée. Au moment d’escalader ladite tour, Subotai et Conan tombent sur Valeria (campée, toute en force et tristesse contenue, par une Sandahl Bergman majestueuse), voleuse de grands chemins qui, elle, escalade la tour aux serpents parce qu’elle entend y chaparder l’oeil du serpent, une gemme grosse comme un œuf de poule. On s’allie sans coup férir, dans l’inévitable association des larrons, investit la tour, pour découvrir qu’y niche effectivement une secte qui procède à des sacrifices humains en jetant des jeunes filles en fleur, mystifiées et consentantes, dans la fosse d’un immense boa constrictor. On tue le serpent, chaparde les bijoux, et retourne faire la fête en ville. Conan et Valeria tombent dans les bras l’un de l’autre. Les scènes d’étreintes passionnelles entre ces deux superbes statues humaines sont particulièrement réussies, sans excès, sans complaisance, brèves, furtives, touchantes et convaincantes – un beau travail de rôle, muet toujours, pour l’acteur et l’actrice. On se drogue et s’empiffre (le fond bouffon de Schwarzenegger apparaît nettement dans ces moments truculents) pour finir par se faire épingler par les constables du roitelet local qui promet une pluie de rubis aux trois larrons s’ils lui ramènent sa fille, endoctrinée et mystifiée par cette secte au serpent bizarre que personne n’ose affronter. Un contentieux se manifeste alors entre les deux amoureux. Valeria, la tête bien froide, juge que la lucrative mais dangereuse entreprise est réalisable, si on va ramasser ladite princesse (jouée par Valérie Quennessen) et se casse en douce, sans faire de vagues. Mais si les pulsions vengeresses de Conan entrent dans l’équation, rien ne va plus. Valeria demande à Conan s’il a bien compris le programme. Celui-ci reste, encore une fois, muet.
Je vous épargne le détail de la suite en vous signalant simplement que je ne vous ai relaté ici que l’infime introduction de la tragique saga de Conan. Les aventures épiques, titanesques, picaresques et abracadabrantes ne font que débuter. Les trois larron se rendront bel et bien à la montagne de la Secte du Serpent, sauveront la princesse endoctrinée, la désendoctrineront dare-dare et complèteront la quête, au prix de souffrances et de sacrifices infinis, dont le sorcier Akiro, qu’ils rencontreront dans un champ de menhirs concentriques genre Carnac, sera le plus fidèle témoin. Thulsa Doom (toujours notre James Earl Jones, de plus en plus exorbité et effarant), l’ancien envahisseur du pays de Cimmeria et assassin des parents de Conan, est maintenant nul autre que le puissant chef de cette secte nocive. Il est adoré par une multitude de mystiques en défroques blanches ku-klux-klanesques. Le ton et le traitement de ces moments et de ces scènes font qu’il est vraiment difficile de ne pas rapprocher cette «secte de Doom» de la fameuse Secte de Moon, qui sévissait tant dans les années du tournage du film. S’ajoutent à cela, une crucifixion pas laudative et pas marrante du tout, une allusion subtile et douloureuse à la fameuse bataille du fossé des musulmans, une ferme requête aux divinités du champ de menhirs concentriques de bien se tenir à leurs places, bref… Il est bien clair que la religiosité et le mysticisme ne sont pas des valeurs pour Conan et ses hardis compagnons…
Il y a, l’un dans l’autre, dans Conan the Barbarian, un charme indéfinissable et une intelligence sourde. C’est une superbe introduction à toute cette culture fantasy si importante pour nos jeunes contemporains. Le film n’a pas pris une ride. Les effets spéciaux à l’ancienne y tiennent parfaitement la route et vous reposent, en fait, de tout le flafla animatronique contemporain. On se laisse finalement emporter en se rendant compte qu’on n’a pas besoin de trop jouer le jeu pour que le charme opère. Mon fils puîné, Reinardus-le-goupil, a applaudi à chaudes mains. Mon fils aîné, Tibert-le-chat, a eu ce mot, au moment du générique de fin: je t’assure qu’il y a là-dedans indubitablement la source de ce qu’on retrouve dans de nombreux développements de la littérature fantasy de notre temps. Cela fait donc de Robert Ervin Howard rien de moins que le précurseur d’un genre (comme Aldous Huxley, son contemporain, pour la science-fiction – Brave New World datant aussi de 1932) et cela fait du film Conan the Barbarian un superbe portail d’introduction au susdit genre fantasy.
Conan the Barbarian, 1982, John Milius, film américain avec Arnold Schwarzenegger, James Earl Jones, Sandahl Bergman, Gerry Lopez, Mako Iwamatsu, Valérie Quennessen, 129 minutes.
Il était une fois: la Colombie Canadienne
Posted by Ysengrimus sur 1 janvier 2021
Il y a cent cinquante ans, la Colombie-Britannique devenait une province canadienne. Je vais me donner ici comme point de départ le commentaire regrettable émis, il y a quelques années déjà, par un cyber-billettiste journalistique début-de-siècle, fort mal informé.
D’abord, en partant, il faut rappeler que les gens ont une sainte horreur de se faire changer leurs toponymes sous le nez par des ti-jean-connaissants venus d’ailleurs qui se permettent de leur dicter leurs comportements vernaculaires et les cadres de représentations intellectuelles qui sont sensés en émaner. Québec est une désignation, provinciale puis nationale, imposée par un occupant colonial copieusement honni mais… je n’en changerais pas pour autant. Je l’assume et ai appris à m’en accommoder, sinon à l’aimer.
Je ne suis pas spécialement impressionné par le toponyme British Columbia (Colombie-Britannique). J’en ai pas grand-chose à foutre, en fait. Mais le fait de ne pas adorer leur toponyme provincial ne me prive pas de respecter mes compatriotes de la côte Pacifique. Effectivement, le changement de dénomination ne passerait pas facilement tout simplement parce que ce serait une agression culturelle et une pure ineptie. Les résistances qui se manifesteraient, en plus, pour le coup, n’ont pas trop à voir avec un éventuel respect qu’auraient les Britanno-Colombiens pour la monarchie colonialo-canado-britannique.
Car, expliquons nous candidement ici, la suggestion inane et non avenue d’un referendum pour changer ce toponyme provincial repose sur une analyse fausse de son origine historique, chez notre commentateur. Et si le laid, le lourdingue, le quétaine et le nunuche sont toujours tolérables, le faux factuel, ça, non, c’est pas acceptable. On lit en effet, chez notre petit billettiste: Cette Colombie était britannique (ainsi dite pour la distinguer de l’autre, sud-américaine) à son entrée dans la Confédération… Fausseté frontale. Ce toponyme ne se réfère en rien à la République de Colombie d’Amérique du Sud et ne s’y rapporte même pas par quelque chose qui serait l’intermédiaire étymologique lointain et inexact du nom de Christophe Colomb. En effet, en 1792, un américain du nom de Robert Grey pilote son sloop, le Columbia Rediviva, (lui-même nommé d’après Saint Colomba, un des patrons de l’Irlande) sur une importante rivière située assez loin à l’ouest de la Terre de Rupert, la rivière Wimahl (de son nom chinook). Notre explorateur, en bon colonialiste assumé, renomme cet immense bras d’eau Columbia River, par métonymie directe avec la coque de son petit navire… On aura donc, au départ, pour ce territoire, un hydronyme, comme dans le cas de la Saskatchewan, mais issu ici du nom d’un navire, comme dans le cas de l’Île Nancy (sur la rivière Nottawasaga).
Reportons-nous ensuite, si vous le voulez bien, au début du dix-neuvième siècle. C’est la culture de la frontière et les délimitations territoriales sont largement inexistantes pour tout ce qui se trouve au nord de la Californie (qui appartenait elle-même alors au Mexique) et à l’ouest de la Terre de Rupert. Tout le monde rôde un peu dans le coin, même les Russes. Notre point de départ, dans ce paysage immense, sauvage et contrasté, c’est donc justement la susdite rivière Columbia. Depuis sa source, elle traverse le sud-est de la (future) Colombie-Britannique et elle descend vers le (futur) Washington pour ensuite se jeter dans le Pacifique, non loin de la ville d’Astoria (Oregon). Cette rivière et le territoire colossal qui l’entoure feront l’objet d’une revendication explicite tant par les Britanniques que par les Américains. Or, après la guerre de 1812-1815, les deux grandes puissances coloniales locales n’ont plus vraiment la tête à s’empoigner sur des bébelles de territoires.
Aussi, dans un contexte totalement inédit, on décide de laisser le contentieux latent en veilleuse et de plutôt explorer et exploiter l’immense district de la Columbia conjointement, à l’éparpille, en bon voisinage improvisé, sans frontière. Je fais ma petite affaire, tu fais ta petite affaire… Vous avez bien lu. Ce joint venture cordial durera de 1818 à 1846. La carte coloniale se dessinait donc alors ainsi:
La vaste partie couleur sable sur la carte s’appelle donc, pendant cette période, le Columbia district, district de (la) Columbia. Il en fut ainsi pendant presque trente ans. Puis, en 1846, les choses changent assez promptement. Le Mexique est devenu indépendant de l’Espagne (1821) mais a bien reculé, le Texas vient d’entrer dans l’union américaine (1845), la Californie est tout juste sur le point de se faire envahir par la ruée massive des chercheurs d’or et de se voir assigner ses contours actuels (elle va devenir un état dès 1850), l’Oregon s’ouvre à la colonisation, notamment via la mythique Oregon Trail. Les Américains et les Britanniques décident donc de régler à l’amiable l’ancien contentieux du nord-ouest, avant que la susdite colonisation ne se mette à trop s’y intensifier. Ce sera le Traité de l’Oregon (1846). On tire la frontière sur la carte au niveau du quarante-neuvième parallèle, avec un petit estoc vers le bas au bord de l’océan, permettant au futur Canada de garder le tout de l’île de Vancouver. La bizarre mixité coloniale de ce vaste territoire de Columbia encore largement à prendre venait alors de disparaître, d’un trait de plume.
Et on se retrouva subitement avec une American Columbia et une British Columbia…
Or les américains avaient déjà, de l’autre bord du continent, un autre district de Columbia, (nommé, lui, d’après Christophe Colomb) beaucoup plus ancien et riquiqui, et dans lequel se trouve leur capitale, Washington. Deux Columbia, de leur bord, ça en faisait quand même un de trop. Aussi, quelques décennies plus tard, au moment de fragmenter l’immense Territoire de l’Oregon pour en faire deux états, mutins comme on les connais, nos voisins du sud ont décidé que si Washington (la capitale) se trouvait dans le district de Columbia (limitrophe à la Virginie et au Maryland), de l’autre bord du continent, leur bras de la rivière Columbia se trouverait dans… l’état du Washington. Et ils nommèrent ainsi l’ancienne portion nord du vieux Territoire de l’Oregon. C’est le seul état américain nommé d’après le nom d’un président. Les Britanniques, pour leur part, s’en sont tenus à l’idée, fixée toponymiquement depuis 1846 et déjà un tout petit peu vermoulue, d’une Colombie-Britannique. Celle-ci, amplifiée vers le nord, deviendra province canadienne en 1871 (quatre ans après la confédération canadienne). D’où la carte actuelle:
Il y a donc là un enracinement historique du toponyme en cause, turlupiné certes, mais original, qu’on ne peut pas traiter à la légère, en coassant des banalités au sujet de la monarchie ou de l’Amérique du Sud, et en disant à ces gens, un peu hautainement, de changer le nom de leur province comme on change de paire de godasses. C’est pas si simple. Et pourtant ce genre de proposition frivole et peu fondée se fit, au moins tendanciellement… Notre billettiste maladroit atteste, circa 1944, dans un article de journal, le terme Colombie Canadienne (en français — je doute fortement que *Canadian Columbia ait jamais vu le jour mais, bon, qui sait?). J’aurais bien aimé qu’il cite sa source mais en fait je n’en ai pas besoin, car j’ai une bien meilleure source pour implacablement confirmer cette attestation.
Et cette source, c’est moi-même.
J’étais petit garçon sous Lester B. Pearson (qui fut premier ministre du Canada de 1963 à 1968). Ce premier ministre moderniste avait engagé le Canada très ouvertement dans la décolonisation. On lui doit, notamment, le drapeau du Canada sans Union Jack en canton (les casques bleus canadiens arborant le Red Ensign canadien avec Union Jack en canton s’étaient fait pointer des flingues égyptiens dans les naseaux pendant la crise du canal de Suez, en se faisant ouvertement traiter de troupiers britanniques — et notre bon Pearson, diplomate à l’époque, s’était bien promis qu’on ne la lui ferait pas deux fois, celle-là). En un mot, sous Pearson et la bourgeoisie nationale prospère et jovialiste du temps, dans les tonitruantes années 1960 de ma tendre enfance, tout, au Canada, se devait de subitement devenir canadien. Aussi, moi, je n’atteste pas Colombie Canadienne en 1944, comme mon petit billettiste ici, mais bel et bien vingt-deux ans plus tard, soit en 1966.
J’ai huit ans est on est en train d’apprendre pieusement nos provinces canadienne sur des grandes cartes couvertes de couleurs. Dans le manuel ainsi qu’au mur, la province canadienne se trouvant le plus à l’ouest de la carte se nomme Colombie Britannique (sans le trait d’union je crois, enfin, je me rappelle pas exactement) mais la maîtresse, quand elle écrit les noms au tableau, y appose Colombie Canadienne et elle nous explique très ostentatoirement qu’il ne faut plus dire que cette province est britannique car maintenant elle est canadienne. C’est un peu, quarante ans plus tôt, le raisonnement de mon billettiste ici (sans cependant que la moindre référence ne soit fait à la République de Colombie). Et alors, pourtant, dans ma petite tête d’enfant, ce nom me paraissait singulièrement plus redondant que, disons, Bouclier canadien ou Rocheuses canadiennes. Bref… Enfin… Colombie Canadienne… Bon… On nous a répété cette tournure et les explications l’accompagnant, à l’école, plusieurs fois, entre 1966 et 1970. Il me semble bien l’avoir même finalement vu imprimée dans certains manuels soixantards à la page du temps… Puis l’affaire est un peu tombée dans l’oubli. Et, au fond, je ne sais vraiment pas ce que nos compatriotes de la côte Pacifique ont pu effectivement percevoir de cet écho venu de l’est.
Alors, calmons nous le pompon et respirons bien par les naseaux. Les Américains ne sont plus ni britanniques, ni français, ni monarchistes et pourtant ils ont encore (entre autres) la Géorgie (nommée d’après George II) et même la Louisiane (nommée d’après Louis XIV). Tant et tant que si on se lançait dans je ne sais quel grand nettoyage toponymique néo-historique, ouf, on n’en finirait plus. Et —corollairement— on va quand même par me soutirer mon beau Carré Saint-Louis sous prétexte que je ne serais plus français… La barbe, à la fin. Il y a des cicatrices historiques euro-coloniales dans les Amériques. C’est comme ça. Alors, bon, tant pis.
Attestons, clairement, explicitement et pour mémoire, au moins en français, le terme mort-né de Colombie Canadienne. Il y fut. Je l’ai vu. Il était une fois… Et, ensuite, laissons ces gens tranquilles, avec la toponymie qui les définit. Il y a quand même, disons… des enjeux un petit peu plus cruciaux à promouvoir, en un monde si turbulent, si tourmenté et si complexe.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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