Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

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Archive for octobre 2013

Il y a quarante ans: la bouffonnerie respectueuse, le dialogue idéaliste des cultures et… LES AVENTURES DE RABBI JACOB

Posted by Ysengrimus sur 25 octobre 2013

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Mademoiselle Lindsay Abigaïl Griffith, cinéphile torontoise bilingue qui aime tant les petits chiens obéissants, la nourriture équilibrée et l’amour entre les hommes et les femmes de bonne volonté est, ce jour là, en voyage à Paris (France). Descendue dans une petite hôtellerie de la Butte Montmartre tenue par des marocains charmants, elle s’afflige. Elle trouve qu’on ne parle en ce pays que de voile intégral, constate que le multiculturalisme planétaire ne joue pas fort fort dans la Ville-Lumière, que les groupes ethniques y sont singulièrement ségrégués, que l’on se boude et que l’on se toise. Elle s’attriste des ghettos interlopes et du chahutage fendant des ados allemands et anglais aux alentours de la tour Eiffel. Tristounette, elle feuillette l’Officiel des Spectacles et tombe en arrêt sur un film qu’un vieil ashkénaze de la Ville-Reine lui avait recommandé il y a fort longtemps, ne fut-ce que pour se donner une idée du ton hassidique en matière de promotion de l’amour de dieu dans la joie de vivre et la danse: Les Aventures de Rabbi Jacob (1973). Un obscur cinéma de poche de la capitale le présente. Mademoiselle Griffith se rend prendre connaissance de ce film culte étonnant, tourné dans un incroyable climat de tension internationale, et sorti jadis en salle deux semaines avant que n’éclate la douloureuse guerre du Yom Kippour (qui se terminait justement il y a quarante ans aujourd’hui).

Quand la bouffonnerie la plus fébrile et la pantalonnade la plus tonitruante rejoignent le message de sagesse et de tolérance le plus touchant, c’est que Rabbi Jacob arrive en ville. Il débarque, en effet, en ce bel été de 1973, de New York en compagnie d’un de ses lieutenants anglophones pour participer Rue des Rosiers à la Bar Mitzva du petit David Schmoll, jeune descendant d’amis chers du susdit Rabbi qu’il a connu à Paris du temps de l’occupation mais qui ne l’ont pas revu depuis trente ans. Pendant ce temps, l’industriel Victor Pivert (Louis de Funès), chante Je veux revoir ma Normandie sur un chemin de campagne, au volant de sa DS noire surmontée d’un canot à moteur. Il a placé Salomon, son charmant et obséquieux chauffeur, à la place du mort et conduit sa voiture lui-même. Il est en retard pour le mariage de sa fille avec un jeune aristocrate du cru, bénet et démuni. Il fulmine. Le virulent Victor Pivert, version bourgeoise du français blanc cassis type, bougonne en effet, dans les bouchons de ses belles routes de France, contre les conducteurs des bagnoles qui l’encombrent et qui ont une fâcheuse propension à être de toutes les nationalités sauf la bonne. Il râle contre les anglais, contre les allemands, contre les belges. Il s’en prend au cortège d’un mariage racialement mixte qui ralentit la circulation et il finit par découvrir que son charmant chauffeur (joué, avec classe et faconde, par Henri Guybet), si poli et si stylé, est, de fait, juif. Exacerbé, il fait une spectaculaire sortie de route (dont on doit le fini casse-cou et subtil au célèbre spécialiste de cascades de voitures du siècle dernier, Rémy Julienne), sa DS culbute et se retrouve dans la flotte, à l’envers, reposant sur la quille du canot à moteur toujours chevillé à son capot. Ça ne roule plus, ça flotte. Ce renversement spectaculaire symbolise incroyablement celui qui va bientôt se mettre en place dans le vécu effréné de Victor Pivert. Après avoir abruptement congédié son chauffeur, qui prenait la pause (et la pose) sabbatique au bord de la rivière, Victor Pivert, complètement braqué, se rend chercher de l’aide dans l’usine de gomme à mâcher du coin, qui s’appelle fort opinément l’usine Le Yankee, et tombe, selon ses propres termes, sur une bande de moricauds en train de s’entretuer. Il s’agit des services secrets d’un pays arabe non-identifié qui viennent de capturer Mohamed Larbi Slimane (joué par Claude Giraud), chef révolutionnaire du même pays, qu’ils passent méthodiquement à tabac pour chercher à lui faire trahir cette inexorable révolution dont le susdit Slimane prépare fort ouvertement le parachèvement. La sagesse et la bouffonnerie révolutionnaires s’accompagnent intimement ici en ce bel aphorisme, imputé à Che Guevara, lancé fièrement par le digne combattant de la liberté, à la face des barbouzes qui le tourmentent: la révolution est comme un bicyclette, quand elle n’avance pas, elle tombe.

Dans l’imbroglio qui va s’ensuivre, Victor Pivert et Mohamed Larbi Slimane vont se retrouver associés involontaires pour fuir les barbouzes des services secrets du pays de ce dernier. Voici nos deux fuyards nulle part ailleurs que dans l’aéroport où, justement, l’avion amenant Rabbi Jacob et son lieutenant de New York vient de se poser. C’est ici que l’incontournable et toujours savoureuse flicaille française embarque dans le bal. Trois policiers d’allure bouffonnement gestapiste cherchent Victor Pivert suite au rapport de l’accident qu’a fait son chauffeur et aux événements bizarres et violents de l’usine de gomme à mâcher Le Yankee. Nouvel imbroglio dans l’aéroport. Pivert et Slimane volent alors les tenues, les couvre-chefs, les barbes et les papillotes de deux rabbins hassidiques, dans les chiottes de l’aéroport. Ils tombent ensuite pile sur la famille Schmoll qui, d’un seul coup d’un seul, les prend pour Rabbi Jacob et son associé. Impossible ni de s’esquiver ni de s’expliquer, il faut entrer dans le jeu. Le vrai Rabbi Jacob et son vrai associé sont, pour leur part, cueillis, d’abord par la flicaille française, ensuite pas les services secrets du pays de Slimane, qui les prennent, eux, pour Pivert et Slimane déguisés. Rabbi Jacob et son associé new-yorkais seront donc retardés pour ce qui est d’éventer le pot aux roses se déployant en grandes pompes sur la Rue des Rosiers. Et, entre-temps, leurs rôles seront tenus par un révolutionnaire arabe circonspect, stoïque et prudent et un industriel français revêche, chauvin et xénophobe. Le délire clownesque s’amorce alors.

La leçon de sagesse et de tolérance s’amorce aussi d’ailleurs. Imaginez le topo. Victor Pivert, ignorant, bourré de préjugés et de stéréotypes, va devoir présider sans faille toutes les activités de la communauté du Pletzl (portion juive du quartier du Marais), dont la Bar Mitzva du petit David Schmoll. Et Mohamed Larbi Slimane, arabe éclairé, cultivé, progressiste, va devoir, pour préserver la dissimulation d’identité dans laquelle il a entraîné Pivert, le guider pas à pas, faisant saillir à chaque moment la proximité de son propre héritage culturel avec celui des juifs. Savoureux, lumineux et aussi, d’un comique irrésistible. Pour compliquer les affaires, Salomon, le chauffeur de Pivert, est un des membre de la famille Schmoll et il est, lui aussi, dans le Pletzl pour participer aux activités de la communauté sous l’autorité de Rabbi Jacob. Quand Salomon aperçoit le Rabbi, il reconnaît aussitôt son ex-employeur déguisé. Cela donne lieu à des moments hurlants d’humour juif, au sens le plus pur et le plus fin du terme. C’est d’ailleurs Salomon, goguenard, qui poussera Rabbi Jacob à se lancer dans l’épisode le plus jouissif de toute cette aventure, la fameuse danse de Rabbi Jacob en compagnie des vigoureux danseurs hassidiques de la communauté du Pletzl.

Mademoiselle Griffith rit aux éclats. Et les choses se compliquent encore, car voici que Rabbi Jacob doit maintenant, à l’invitation de l’officiant de la synagogue, lire publiquement la Torah, en point d’orgue de la Bar Mitzva du petit David Schmoll qu’il vient de bénir. Slimane guide patiemment Pivert dans la lecture du texte hébraïque mais là, bon, euh, ce n’est pas tout de suite évident. C’est, cette fois-ci, notre incroyable flicaille française qui va tirer Pivert et Slimane du pétrin. Ayant relâché le vrai Rabbi Jacob et son associé, nos trois gestapistes à chapeaux mous cherchent toujours les faux. Ils se préparent donc à entrer dans la synagogue. Le chef constable dit alors à ses sbires. Attention, c’est comme une église. Alors, du tact et de la délicatesse. Premier couac interculturel, les trois loustics retirent, par politesse, des couvre-chefs qu’ils devraient en fait garder sur leur tête dans ce lieu de culte spécifique. Je ne vous vends pas le pataquès que cela déclenchera dans la Maison de l’Assemblée. Dites vous juste que la scène est enlevante et aussi, visuellement superbe.

Les femmes jouent, dans cette comédie, un rôle pivot, qu’il vous faudra découvrir et qui contribue sans ambivalence à la passion débridée du tout de la chose… C’est une véritable fantasia bouffe d’un bout à l’autre, dont on ne perd jamais les ficelles et qui met la vis comica de situation la plus exubérante au service de la promotion droite et belle de la compréhension mutuelle des cultures. Slimane, Salomon et Pivert se rapprocheront, comme inexorablement, en viendront, dans le feu de l’action et la vigueur de la cavalcade, à se comprendre, à s’estimer, à se respecter. J’ai personnellement vu ce film quelques deux ou trois ans avant la naissance du Mademoiselle Griffith, la gorge nouée par l’angoisse et la colère impuissante provoqué, à l’époque, par la guerre du Yom Kippour et le premier choc pétrolier. C’était aussi l’époque où les églises et les synagogues avaient encore cette touche de mystère issue d’une manière de sacralité à l’ancienne. Ce film m’était apparu alors comme aussi suavement charmant que profondément idéaliste. Charmant et idéaliste, il l’est toujours. Les raisons de son charme et de son idéalisme se sont quelque peu altérées, mais elles y sont toujours. C’est bien cela qui en fait une irrésistible expérience humoristique et philosophique dont le mérite et la vigueur sont restés intégralement intacts.

Et justement… en rentrant à son hôtellerie de la Butte Montmartre, Mademoiselle Griffith caresse aussi l’espoir que Les Aventures de Rabbi Jacob ne soit pas exclusivement nostalgique… qu’il soit aussi, au moins partiellement, prophétique.

Les Aventures de Rabbi Jacob, 1973, Gérard Oury, film franco-italien avec Louis de Funès, Claude Giraud, Henri Guybet, Suzy Delair, Miou-Miou, 100 minutes.

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Le facteur esclavage

Posted by Ysengrimus sur 15 octobre 2013

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C’est un cri du coeur que nous avons tous poussé: l’expression du sentiment cuisant d’être traité comme un esclave. Toutes les émotions du vif et durable dégoût contemporain face au travail, notamment au travail tertiarisé, se synthétisent fréquemment en cette analogie… dont il faut pourtant savoir ne pas abuser brouillonnement. Le fait est que, même sans formation économique ou historique, on comprend parfaitement que ce rapprochement est abusif. La situation est bien connue, notamment depuis les analyses de Marx. Le travailleur ne se vend pas lui-même mais il vend son temps de travail. Il n’est pas, objectivement, un métayer, un serf, ou un esclave et l’attitude de son petit chef, aussi brutale et puante que l’on voudra, ne peut paramétrer les forces économiques du mode de production en cours. L’esclavage n’est pas affaire de comportement intersubjectif et encore moins, quoi qu’on en crie du fond de nos âmes, d’affect, de brutalité ou d’arrogance interpersonnelle.

Ceci dit, arrêtons nous quand même une minute au statut économique de l’esclave car des surprises nous y attendent encore. Les premiers chapitres du Capital de Marx sont très explicites sur la question. L’esclave (celui du Dixieland de 1855, notamment), c’est comme un bœuf. C’est un être que l’on achète d’un bloc, à prix fixe payé habituellement en une fois, et qui, une fois acquis, doit se trouver expurgé de toute la force potentielle qui le gorge et ce, le plus exhaustivement possible. Quand il meurt (Marx explique que les Field Negroes sudistes se vidaient en sept ans, en moyenne), on recommence avec un autre. Dans de telles circonstances de production de force de travail, le temps (notamment le temps de travail) ne se calcule plus de la même façon. Le temps du prolo moderne, c’est comme l’eau d’un robinet qui s’ouvre et se ferme par moments fixes, spécifiés. Le temps de l’esclave, c’est comme une mare ou un puit où l’on puise à volonté. À cela se trouve directement corrélé le fait que, comme le boeuf ou la mule toujours, l’esclave n’opère pas dans un rapport consenti. Il émet une tension constante de résistance. Il est rétif, peu coopératif, tant et tant qu’il faut gaspiller une quantité significative de l’énergie qu’on possède en le possédant à le punir, le cerner, le réprimer, le faire s’épuiser dans des chain gangs, couvert de fers. C’est une contrainte imparable. Le principe fondamental de l’esclavage, du point de vue de l’extorsion de la plus-value, est que l’intégralité de son temps de travail est disponible comme un tout, une fois l’esclave acheté. On l’exploite donc, comme une masse, une force, un flux, ayant du temps et de la puissance ad infinitum (jusqu’à extinction, la mort d’une autre bête de somme). On opère donc dans un dispositif où il est sereinement assumé qu’on gaspillera massivement une portion significative du temps et de la force de l’esclave. Tout son temps et toute sa force nous appartiennent. Donc on presse le citron, sans compter, ni tergiverser.

Cette particularité économique de l’esclave avait des conséquences afférentes très grandes sur le modus operandi qu’on lui imposait. Marx explique qu’on ne donnait aux esclaves de Dixie que des outils de mauvaise qualité. Mieux valait gaspiller du temps et de la force de travail d’esclave en le faisant creuser un fossé avec une mauvaise bêche ou abattre un arbre avec une mauvaise cognée que de le voir briser les bons outils, soit par absence de compétence immédiate (il apprenait sur le tas, n’importe comment, y mettant tout le temps qu’il avait à revendre), soit de par cette résistance sourde qu’il affichait en permanence. On ne confiait jamais aux esclaves des chevaux, animaux trop fragiles. Ils les auraient battus à mort. On ne les laissait trimer qu’avec les plus mauvaises mules. Le même principe s’appliquait, implacable: comme tout le temps et toute la force de l’esclave appartenaient d’un bloc à son maître, il n’y avait pas de problème à les gaspiller, surtout si cela protégeait le fil des bons outils et la durée de vie des meilleurs animaux de ferme. Fondamentalement, quand quelque chose devait être sacrifié sur une tâche, on sacrifiait le plus volontiers du temps de travail d’esclave.

Alors maintenant, suivez moi bien. Quittons le Dixie de 1855 et revenons, si vous le voulez bien, à TertiaireVille, en 2013. Nous voici plus précisément chez les zipathographes de la Compagnie Tertiaire Consolidée, bien connus des lecteurs et des lectrices du Carnet d’Ysengrimus. Ce jour là, inattentifs et débordés comme à leur habitude, les zipathographes doivent renouveler, subitement, à la dernière minute, les licences logicielles de soixante de leurs produits. Ils sont à la bourre, ils ont qu’une semaine pour faire ça. L’équipe qui doit se taper ce boulot inattendu et chiant est composée de quatre programmeurs-prolos, dirigés par un programmateur-chef (lead) qui lui-même relève d’un chef de service incompétent en programmation. Le reste du vertigineux ziggourat de la structure de la compagnie n’est même pas au courant de ce qui se passe dans cette unité de travail spécifique. Tableau hiérarchique parfaitement classique, admettez-le avec moi. Tous ces gens sont, évidemment, submergés de travail et considèrent cette histoire de renouvellement multiplié de licences logicielles comme une perte de temps et un emmerdement de bas calibre. Un des quatre programmeurs est une programmeuse, en fait. Appelons la mademoiselle Zipathe. Fine mouche, mademoiselle Zipathe se rend compte que si un petit exécutable est créé, appelons-le le Zipa-fulgure, il permettrait de renouveler les soixante licences logicielles par simple action machine. Cela fait rêver et c’est parfaitement réaliste. Mais la construction du Zipa-fulgure doit obligatoirement être effectuée par le programmeur-chef, car cela implique du tripotage dans des espaces logiciels auquel il est seul à pouvoir accéder et/ou c’est dans le langage informatique dont il est le spécialiste. Pour renouveler ces licences manuellement, procédure laborieuse et tâcheronne de transbahutage de fichiers (avec force vérifications pour compenser les nombreux risques d’erreurs ponctuelles), il faudra dix heures par programmeur-prolo. Ils sont quatre. Cela fait donc quarante heures de travail flambées pour une niaiserie bien inférieure aux compétences techniques de ces quatre prolos. Pour confectionner l’exécutable Zipa-fulgure, le programmeur-chef n’aurait besoin que de sept heures, de moins même si mademoiselle Zipathe l’aide, par exemple en testant son code. Le gain de temps est évident. Et pourtant, le programmeur-chef refuse cette solution.

Interloquée, mademoiselle Zipathe s’en réfère au chef de service incompétent en programmation qui est censé diriger l’unité. Celui-ci, tel Ponce Pilate palabrant et finassant avec le Sanhédrin, ne comprend rien de rien à la subtilité de la doctrine. Paniqué, comme à son habitude, il colle à la version de son pote, le programmeur-chef qui se donne comme n’ayant pas sept heures à mettre sur une niaiserie de ce genre. Tout le personnel technique de ces deux loustics va donc devoir jouer les petites mains. On lance quatre programmeurs/programmeuses dans une longue marche de dix heures par personne (total: quarante heures) exactement comme si ces derniers, ces dernières avaient du temps à revendre et pouvaient sans problème se gaspiller à barboter avec des outils ou des procédures inférieurs… Oh, personne ne crie, personne n’engueule. Démotivation à part (ceci NB), rien ne ressemble, en surface, à la brutalité ouverte du terroir du Dixieland de 1855. Et pourtant, structurellement, objectivement, l’analogie économique est là. Du temps de travail est dilapidé sans compter, en toute indifférence. J’appelle cela le facteur esclavage.

Notons —et c’est crucial— qu’en procédant ainsi, le chef de service incompétent en programmation est un fort mauvais commis du capitalisme. Il gaspille ouvertement un temps de travail prolo long, payé au prix fort de l’expertise, alors qu’en y mettant un temps-prolo plus court, il pourrait mécaniser la procédure, pour cette fois-ci et pour les fois suivantes. Il a tout faux. En voici un qui n’a définitivement pas lu le Capital de Marx! Mais que se passe-t-il exactement ici? Le capitalisme est-il en train vraiment de traiter ses travailleurs en esclaves? Bien, il le fait certainement plus en adoptant cette «solution» (archi-répandue dans nos structures tertiaires, nos lecteurs sauront nous le dire) qu’en leur imposant des petits chefs qui crient et qui les bousculent. Ici le facteur esclavage n’est pas intersubjectif ou émotionnel. Il est froid et solidement installé dans les structures. Or, il n’y a pas à zigonner sur l’analyse de ce phénomène: en agissant ainsi, la structure capitaliste régresse tendanciellement vers un mode de production antérieur. C’est là un très important indice de dysfonctionnement. Objectivement parlant, le capitalisme ne peut pas dilapider du temps de travail impunément, comme le faisait l’esclavagisme. En le faisant aussi massivement, c’est, une fois de plus, à sa propre autodestruction involontaire qu’il œuvre.

Contrairement à ce qui se jouait dans le Vieux Sud, ici, dans nos dispositifs tertiarisés, le facteur esclavage est directement corrélé à une autre notion analysée par Marx: la division du travail. À la division maximalement dysfonctionnelle —et lancinante dans son omniprésence!— entre décideurs incompétents et prolos surentraînés mais non décisionnels s’ajoute une seconde division, interne au prolétariat même, entre les ci-devant leads (Marx parlait d’aristocratie ouvrière — noter ce mot) en collusion ouverte avec le petit patron… et des prolos-prolos en compétition ouverte les uns contre les autres (et contre le lead — ceci aussi NB). Tiens, tiens, mais, oh, oh, la métaphore file! On dirait la distinction, si solidement évoquée récemment dans le film Django Unchained de Quentin Tarantino (et décrite antérieurement par Malcom X dans un discours célèbre), entre le House Negro et le Field Negro, justement, dans les dernières années de l’Antebellum.

Antebellum, vous dites? Belle désignation. En tout cas ici, ce facteur esclavage tendanciel de nos structures tertiarisées est un développement parfaitement pervers, un symptôme toxique, une combine tordue, au sein d’un mode de production bureaucratisé et mesquinisé qui, pourtant, ne peut tout simplement pas se payer ce genre d’improductivité à l’ancienne. C’est totalement antinomique avec la logique interne de sa doctrine objective de l’intendance du temps de travail. De plus en plus tentaculaire et magouillante, la division du travail installe dans le ventre capi, des luttes intestines fort peu reluisantes et ayant tout de la catastrophe tranquille. Les réactions subjectives sont à l’avenant: démotivation massive, résistance passive (consécutive ici, alors qu’elle était causale sous l’esclavage), absentéisme (le prolo peut toujours un petit peu fermer ce robinet dont l’esclave ne disposait pas). En voici donc une de plus, de ces guerres interne du capitalisme. Antebellum, disions-nous. Qui sait, le bellum en préparation sera peut-être cette fois-ci authentiquement révolutionnaire…

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Paru aussi (avec des modifications) dans Les 7 du Québec

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Il y a quatre-vingt dix ans naissait JEAN-PAUL RIOPELLE

Posted by Ysengrimus sur 7 octobre 2013

une-croute-de-Riopelle

Oh, bon anniversaire KALIKALIFOURCHENKÂLIBOUÈRE. Il est né en 1923, comme mon papa, qui, lui, nous a fait le très grand plaisir-plaisir-plaisir de ne pas mourir en 2002 (comme Riopelle), c’est l’HYPERMAXIPANARDIESQUEGIGANTAL Jean-Paul Riopelle (1923-2002). Oh, pour faveur, le souffle court, entendons son appel:

L’APPEL DE RIOPELLE

L’appel de Riopelle,
C’est l’appel de la croûte.
C’est la pulsion des vraies de vraies taches
Qui sont poisseuses et qui dégouttent.
C’est le contrôle archi-complet
Sur ce que les formes évoquent.
C’est le feu au matelas
Sous la mansarde de Paul-Émile Borduas.
C’est la tempête au lac,
Sous les ciels de Jackson Pollock.
Poisseuse époque…

L’appel de Riopelle,
C’est le souci ultime de DÉGOUDINE
Qui transforme le terroir terrien
En un gras terreau de terrine,
Qui s’impose de par chez nous
Autant qu’aux confins de la Chine.
Oh, il est coupé, tranché, sectionné,
Le faisceau du figuratif.
Il est fauché, ratiboisé
Et il s’est fait tondre les tifs.
Sombrez, esquifs…

L’appel de Riopelle,
C’est la pérennité ludique du doute.
Un cheval, un lutin,
Un saxophone, un sein,
Une fleur
Ont toujours comme l’air de perler du fond
Du maelstrom de couleurs.
Sous interdit d’interdire,
Je vous dis pas de pas voir ça.
Mais, pour faveur, que ce soit de jouir,
Non de croire tout décoder sur le tas.
Ce serait trop bas…

L’appel de Riopelle,
C’est lorsque ça chuinte en étoile
Sur la toile.
Si on pouvait toucher
Ce serait écru, raboteux.
Ca piquerait la langue, mordrait les doigts,
Autant que ça pivèle les yeux.
Il reste enfin que c’est à coup de brosse âpre
Et de cinglante truelle
Qu’il s’est étalé sur le canevas de nos âmes,
L’appel de Riopelle…

(Tiré de mon recueil L’Hélicoïdal inversé (poésie concrète), 2013)

C’est un artiste du genre de ceux qui me font jubiler chaque fois que j’appréhende ce qu’ils déboulent. Il fut une des locomotives des Automatistes montréalais, mouvement artistique fondé circa 1940 par Paul-Émile Borduas (1905-1960). Parisien d’adoption, Riopelle fut le seul canadien à avoir jamais exposé avec les Surréalistes. S’il faut faire des rapprochements —ces derniers, toujours intempestifs— pour le peintre (outre son «maître» Borduas), on pense à Jackson Pollock (1912-1956). Pour le sculpteur, on pense aux grandes installations de faridondinesque n’importe quoi tripatif de Marcel Duchamp (1887-1968). Noter que ces deux pôles de comparaison, l’un américain, l’autre français, sont plus vieux que Riopelle. Comme Émile Nelligan (sur Rimbaud et Mallarmé), comme Claude Gauvreau (sur Dada), notre grand artiste local retardouillise d’une petite vaguelette. Cela ne le rend pas moins bon mais cela le rend vachement canadien, quelque part.

Au chapitre des grandes installations de faridondinesque n’importe quoi tripatif, il ne faut surtout pas manquer d’aller voir, si vous passez par Montréal, l’installation-sculpture urbaine LA JOUTE (1969). Elle se tient entre les rues Viger et Saint-Antoine (rues parallèles l’une à l’autre), juste au nord de l’Hôtel Continental (qui, lui, est sur Saint-Antoine). C’est dans un petit parc urbain de poche. Il y a même des bancs pour se poser et mieux accuser le coup de la contemplation de notre objet riopellesque. On peut capter celui-ci à la synthèse, comme ici (en tournant le dos à la rue Viger, l’Hôtel Continental est direct au fond, en brun pâlotte):

LA JOUTE, installation-sculpture de Jean-Paul Riopelle (1969). Photo: la Lettrée Voyageuse

LA JOUTE, installation-sculpture de Jean-Paul Riopelle (1969). Photo: la Lettrée Voyageuse

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Ou on peut circuler entre ses différents éléments et contempler chacune des portions de la composition, comme si on baguenaudait dans une sorte de mini exposition de plus petites sculptures urbaines.

LA JOUTE (détail), installation-sculpture de Jean-Paul Riopelle (1969). Photo: la Lettrée Voyageuse

LA JOUTE (détail), installation-sculpture de Jean-Paul Riopelle (1969). Photo: la Lettrée Voyageuse

C’est censé, en fait, être un kinéflaflarama dynamique, avec du feu et des jets de fontaine, mais vous faites pas chier, c’est tout le temps débretté et ça bouge en fait jamais vraiment. C’est une grosse chose polymorphe, multicourabine, tendue, austère, et silencieuse. Aussi, vaut mieux se contenter de la toucher des doigts, des pognes et des lèvres. Cela se fait plus facilement quand elle ne fonctionne pas (tout le temps, en fait). C’est du bronze mais on dirait qu’il est façonné, à l’angoisse déglobaleuse, à la tremblotte aux tripes, comme de la glaise vive, désormais finfinaufigée. Inutile de dire qu’il faut aller voir ça l’été… parce que l’hiver, c’est tout enneigé. La nuit, un anneau au sol qui le cercle, l’encercle et lui sert de franchissable enceinte l’éclaire habituellement de bas en cloque. Voilà qui se dit sans dédire ni paradire. Pour tout dire: j’adore ce zinzin.

Et d’évidence je suis pas le seul. Car Riopelle, il a fait des petits, comme le montre ce beau portrait de lui, bombinofiguratif mais toujours tourmenté, façonné un an après sa mort, par la sculpteure et statuaire française Roseline Granet. Ce portrait en pied de Riopelle (on l’imagine en train de mater une de ses grandgaudruche en gestation, dans son studio) nous signale, quand on arrive par la rue Saint-Antoine, que nous voici, et ce pour toujours, sur la Place Jean-Paul Riopelle, mes chèr(e)s. Et oh, oh, bon anniversaire KALIKALIFOURCHENKÂLIBOUÈRE.

LE GRAND JEAN-PAUL, sculpture (portrait de Jean-Paul Riopelle) de la sculpteure française Roseline Granet (2003). Photo: la Lettrée Voyageuse

LE GRAND JEAN-PAUL, sculpture (portrait en pied de Jean-Paul Riopelle) de la sculpteure-statuaire française Roseline Granet (2003). Photo: la Lettrée Voyageuse

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Accès électronique à l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert: investigation méthodique d’un maquis intellectuel

Posted by Ysengrimus sur 5 octobre 2013

Il y a deux cents ans pilepoil aujourd’hui naissait Denis Diderot (1713-1784). J’ai tellement pensé à lui quand j’ai écrit le texte suivant en 2002 et, pour tout dire, j’y pense encore….

Diderot-D'Alembert-Encyclopedie

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Ces hérésies sont comme les tonneaux vides qu’on jette à la baleine: tandis que le monstre terrible s’amuse de ces tonneaux, le vaisseau échappe au danger. Tandis que les esprits s’occupent de l’hérésie, le gros de la doctrine échappe à l’examen; mais il faut que le moment fatal arrive. C’est celui où la dispute cesse. Alors on tourne contre le tronc des armes aiguisées sur les branches; à moins qu’une nouvelle hérésie ne succède à la première, un nouveau tonneau qui amuse la baleine.

Denis Diderot, Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius intitulé L’HOMME [1774], dans Diderot, D. (1994) Oeuvres – Tome 1 – Philosophie, Robert Laffont, Collection Bouquins, p. 837.

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La pensée matérialiste moderne s’est développée sous la forme d’une culture de résistance à un ordre social n’hésitant pas, pour sa part, à appliquer des techniques de répression toutes matérielles face aux développements intellectuels jugés séditieux (HERRMANN-MASCARD 1968, KAFKER 1973, SHACKLETON 1975, DARNTON 1973: 333, DARNTON 1982: 28-31, SWIGGERS 1984: 86-90, DARNTON 1986). Cette culture de résistance a adopté à maintes reprises une forme -presque un genre littéraire- donnant une part centrale à la stratégie de la dissimulation (LEFEBVRE 1983: 103-112, GREEN 1990, LOJKINE 1999: 67-69). « Les Encyclopédistes excellent à cette petite guerre » (SOBOUL 1984: 20). Aussi, il est clair qu’il faut se féliciter que la censure royale n’ait pas disposé, à l’époque de la parution de l’Encyclopédie, de l’instrument en cours de finalisation par nos collègues de Chicago (ARTFL [En ligne], voir aussi MORRISEY, IVERSON et OLSEN 1998, ainsi que ANDREEV, IVERSON et OLSEN, 1999). En effet, c’eut été la parade parfaite à ce qui fut le principal exercice textuel appliqué systématiquement et à une grande échelle par les Encyclopédistes: la dissimulation d’idées novatrices sous couvert lexicographique. L’oeuvre des Encyclopédistes est un véritable maquis intellectuel, où la rationalité progressiste joue à cache-cache avec la censure, ou plus précisément avec la présomption de censure. Le copieux article Dieu, le docile article Christianisme ne disent rien de trop sulfureux (KAFKER 1964: 40-41 dit sans ambage des auteurs du second: « it was clear that their praise was insincere ». DARNTON 1982: 26 observe que les encyclopédistes sont « obligés d’user de subterfuges en enveloppant leurs articles de fausses protestations d’orthodoxie », voir aussi SOBOUL 1984: 21). Pendant ce temps, le petit article épi est une dénonciation en règle de l’obscurantisme et de ses contre-vérités. « C’est donc au nom de la vérité, et avec pour seule arme un dictionnaire de la langue française déjà censuré par ses éditeurs, que le combat s’est engagé… » (FILLOUX 1978: 58). On peut ajouter que son principal terrain philosophique fut la description de l’anodin. Une telle particularité de ce type spécifique de discours a été rendue possible par le fait qu’un grand nombre des articles de l’Encyclopédie sont très naturellement digressifs. Ce choix méthodologique et stylistique, d’autre part tout à fait de bonne tenue en son temps et ses circonstances (LOJKINE 1999: 65-67), fournit de surcroit, ici, comme d’ailleurs dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (ROSENBERG 1999: 234-235), et dans une multitude d’opuscules, almanachs, et calendriers (réformés notamment), la clef de la dimension crypto-subversive de l’oeuvre encyclopédique. On louvoie dans l’immense nomenclature lexicale, et en même temps on est digressif plutôt qu’allusif, conscients qu’on est de s’adresser à des alliés idéologiques qui aspirent à s’instruire (« Les lecteurs visés par Diderot étaient les laïcs intelligents sans aucune expérience dans le sujet expliqué », dit BIRN 1988: 640). Or, en utilisation non-électronique, la connaissance que nous avons de cette dimension crypto-subversive reste circonscrite par exactement les mêmes limitations qui contraignaient les censeurs de l’époque: la puissante propension à ne consulter un ouvrage lexicographique qu’en se limitant à l’appel « manuel » des quelques mots-vedette correspondant bon an mal an aux concepts recherchés. L’accès électronique va donc permettre aux chercheurs de toutes disciplines de crever le rideau de cette véritable nomenclature-planque, et d’accéder à des informations non encore dominées parce que nichées sous des articles ou mots-vedettes anodins, que les commentateurs n’ont put dépouiller méthodiquement que jusqu’aux lettres B ou C (« …les arguments contre la superstition et le fanatisme, la critique rationnelle de la foi sont en embuscade au coin d’articles tels qu’«Agnus Scythus», «Aigle», «Aius locutius», «Bramine» » dit SOBOUL 1984: 21; voir aussi les exemples fournis par LEFEBVRE 1983: 104-105, tous tirés de la lettre A). Nous proposons de baliser ici la procédure qu’il faut déployer pour sentir la malice (pour reprendre le beau mot de LEFEBVRE 1983: 105) de ce texte polymorphe et étonnant. Nous tentons ainsi de démontrer, sur quelques exemples circonscrits, les avenues ouvertes par la perspective d’une véritable investigation méthodique de cet immense manifeste déguisé en dictionnaire qu’est l’Encyclopédie.

Les mots-clefs: patronymes et noonymes. C’est qu’évidemment, rien ne se fait sans méthode, et l’exaltation que suscite la puissance de l’outil technique n’autorise en rien notre érudition et notre sens critique à s’assoupir. Il s’agit bien d’accéder à la pensée philosophique des Encyclopédistes en la débusquant là où elle se niche, de continuer de tourner contre le tronc des armes aiguisées sur les branches, de contourner les tonneaux vides sciemment jetés à la censure par nos philosophes-flibustiers. Mais il ne s’agit pas pour autant de contribuer -volontairement ou non- à cultiver le triomphalisme inepte et stérile de cette nouvelle cuistrerie Internet, de cette fausse culture du copier-coller, de cette inertie pianotante de la pensée critique, de cette jubilation suspecte du hacker-plagiaire-semi-volontaire qui picore aveuglément et éclectiquement des fragments épars de savoir au ratelier électronique. Nous entendons plutôt, sobrement, simplement et prudemment, procéder à la consultation assistée par ordinateur d’un ouvrage savant et volumineux dont une partie significative du contenu est en fait truquée, puisqu’elle n’est en place que pour leurrer une autorité doctrinale aux prioritée révolues. Le principe qui nous guide est dès lors assez prosaïque: un certain nombre de mots-clefs associés à une prise de parti philosophique sont susceptibles d’apparaître ailleurs que dans l’article traitant de la notion ou de la réalité à laquelle ils correspondent. Plat constat, au sujet duquel il est important de noter par ailleurs qu’on pourrait citer une multitude d’exemples le corroborant sans que la moindre procédure de dissimulation ne soit tant soit peu impliquée. Ainsi le mot patois (LAURENDEAU 1994) a, dans la totalité de l’Encyclopédie, 19 occurences, dont 9 figurent dans l’article patois même, et cela n’autorise en rien à suggérer que les Encyclopédistes avanceraient secrètement une promotion des parlers régionaux de France! Le fait pour un mot-clef d’apparaître ailleurs que sous le mot-vedette n’est pas le garant direct et mécanique d’une activité de dissimulation philosophique. Celle-ci dépend hautement de la nature même du mot-clef et de son entourage textuel. Conséquement, un retour au texte intégral, tome en main de préférence, est le parachèvement indispensable de la démarche proposée ici. Et, de plus, avant de se lancer dans la partie initiale du travail, la phase heuristique, celle dépendant directement du support machine, il faudra sélectionner les mots-clefs à appeller avec une particulière minutie. Minutie intellectuelle, mais aussi minutie philologique. Pour y parvenir, on se donnera d’abord deux grands types de mot-clefs qui nous permettrons de percer les premières sondes dans l’immense corpus, et de circonscrire les passages les plus riches du point de vue philosophique.

Le premier type de mot-clef est le patronyme. Le nom d’un penseur ou d’un auteur est hautement susceptible de figurer dans l’entourage immédiat d’une référence critique ou polémique à sa doctrine ou à son oeuvre. Les absents -comme Meslier (LEFEBVRE 1983: 23), La Mettrie, Lao Tseu- sont ici aussi intéressants et révélateurs que les présents. Mais la prudence s’impose. Ainsi, en s’intéressant au penseur matérialiste Giordano Bruno, on a d’abord la présence d’esprit de repérer les 8 occurences de son nom latinisé, Brunus. Puis, en appelant Bruno même, on semble dégager 18 nouvelles occurences. Mais celles-ci se détaillent ainsi: Saint Bruno (13 occurences, dont 2 dans l’expression Lis de Saint Bruno), Bruno, rivière d’Italie (2 occurences), Bruno Signiensis (1 occurence), Bruno Sanoé (1 occurence). Ce qui ne laisse qu’une seule occurence de plus pour Giordano Bruno. Maigre récolte, qui révèle bien, si nécessaire, les lacunes d’un dénombrement myope des formes. Toutes précautions de ce type prises par ailleurs, la collecte patronymique des principaux penseurs matérialistes (et empiristes. Sur cette importante distinction: LAURENDEAU 1997, 2000) auxquels on est en droit de s’intéresser en priorité se détaille comme suit: Holbach (3 occurences), Helvétius (10 occurences), Condillac (20 occurences), Alembert (28 occurences), Leucippe (33 occurences), Diderot (39 occurences), Gassendi (62 occurences), Anaxagore (58 occurences, dont 17 sous Anaxagoras), Thalès (71 occurences, dont 9 sous Thales), Hobbes (87 occurences), Locke (122 occurences, dont 6 sous Lock), Épicure (136 occurences), Fontenelle (153 occurences), Galilée (189 occurences), Spinoza (205 occurences, toutes sous Spinosa sauf 2), Buffon (233 occurences), Voltaire (308 occurences). On notera aussi, pour la curiosité: Socrate (330 occurences) et Descartes (501 occurences). En faisant la part égale au trop autant qu’ au trop peu, et à l’empirisme autant qu’au matérialisme, nous développerons le cas bicéphale de Bacon (171 occurences): Francis Bacon (155 occurences, dont 21 dans le Discours préliminaire et 11 dans l’article Baconisme ou Philosophie de Bacon), Roger Bacon (15 occurences), auquel on se doit d’ajouter bacon, viande de porc (1 occurence).

Le second type de mot-clef exploitable est le noonyme. Les noms de notions philosophiques ont un rôle capital à jouer dans le type d’investigation proposé ici. Les absences sont ici aussi hautement révélatrices. C’est qu’en appelant certains noonymes, on commet d’intéressants anachronismes, qui sont autant d’indices importants en histoire de la philosophie. Ainsi, il semble bien que ne figurent pas à l’Encyclopédie les noonymes suivants: agnostique/agnosticisme/agnostisme, rationalisme/rationalité, gnoséologie, épistémologie, fidéisme, sensualisme, sensualiste, sensoriel, nominalisme, dogmatisme, mentalisme, mentaliste, mentalité, mentaux. Pas moins intéressants sont les noonymes peu nombreux, dont voici un échantillon représentatif (pour les noonymes, nous avons arbitrairement fixé le « petit nombre » à moins de 500 occurences): idéalisme/idéaliste (4 occurences, incluant les pluriels), immatérialisme (5 occurences), mental (7 occurences), ontologie (8 occurences), éclectisme/éclectique (16 occurences), rationnel (28 occurences, dont 11 dans l’expression nombre rationnel, 8 dans l’expression horizon rationnel, 4 dans l’expression entier rationnel), empirisme (28 occurences), empirique (30 occurences), corpusculaire (30 occurences), matérialisme/matérialiste (33 occurences, incluant les pluriels), idéal (36 occurences), nominaux (40 occurences, dont 30 au sens de « nominalistes »), athéisme (129 occurences), rigoureux (152 occurences), fanatisme (173 occurences), matériel (187 occurences), athée (228 occurences, 98 au singulier, 130 au pluriel), tyrannie (234 occurences), spirituel (256 occurences), monarque (360 occurences), dogme/dogmatique (411 occurences, dont 71 à dogmatique). Les noonymes en surnombre sont d’un intérêt inestimable qu’il faudra encore des années à embrasser et à circonscrire: philosophie (2127 occurences, dont 10 au pluriel), société (2409 occurences), philosophe (2993 occurences, 1691 au pluriel, 1302 au singulier), pouvoir (4556 occurences), science (4667 occurences, 2611 au pluriel, 2056 au singulier), idée (8275 occurences, 4820 au singulier, 3455 au pluriel), sens (8515 occurences), dieu (8517 occurences), esprit (8972 occurences), raison (9078 occurences), matière (9181 occurences), nature (10000 occurences), roi (10045 occurences, 6900 au singulier, 3145 au pluriel). Nous exploiterons ici le benjamin des surnuméraires, le sulfureux noonyme superstition (505 occurences, dont 11 à l’article superstition).

Les articles digressifs et non digressifs contenant les mots-clefs retenus. Nous nous concentrons donc maintenant, strictement aux fins de la présente exemplification et sans préjudice pour les options philosophiques promues, sur les mots-clefs Bacon et superstition. L’étape suivante consiste alors à repérer les articles non digressifs et à les distinguer des articles digressifs, ces derniers étant les plus susceptibles de contenir les manifestations les plus intéressantes de dissimulation philosophique. Ainsi, si on nous explique, dans ces articles respectifs, que la céromancie est une superstition, ou que certains peuples portent des amulettes par superstition, voilà qui est de bonne tenue et nous n’y trouvons pas plus à tiquer que les censeurs du temps. Par contre, le fait que l’idée de superstition soit mentionnée -à chaque fois à trois reprise- dans des articles comme jour ou législateur suffira pour inviter le philosophe à attentivement lire, tome en main, l’intégralité de ces deux articles apparement anodins. Que l’article scholastique contienne sept fois le nom du penseur médiéval Roger Bacon, et on n’a naturellement rien à redire. Mais que Francis Bacon soit mentionné -à deux reprises dans les deux cas- dans les articles causes finales et mosaïque, augmente sensiblement la chance que des digressions dissimulatoires s’y manifestent.. Cette chance est d’autre part plus grande dans le second cas que dans le premier, car causes finales est le type de mot-vedette susceptible d’avoir attiré l’attention de censeurs consultant sélectivement les articles du dictionnaire par thèmes idéologiques, d’où une kirielle de trucages possibles distincts de la simple digression (cf l’article « faussement naïf » carême, et le commentaire qu’en font Soboul et Goujard dans DIDEROT, D’ALEMBERT, et alii 1984: 126). Pour les mots-clefs superstition et Bacon, la distinction entre articles digressifs et articles non-digressifs s’établit donc comme suit (on notera que certaines options pourraient ici être débattues, mais dans le doute, on n’hésitera pas à classer l’article comme possiblement digressif et on retournera aux tomes dans son cas également).

Les articles non-digressifs de l’Encyclopédie contenant superstition et Bacon sont les suivants. Contenant superstition: abraxas; adonie; alphitomancie; abrume; amulette; aniran; art de S.Anselme; astrologie; augurum; azabe-kaberi; baalite; céromancie; cleidomancie; colonne lactaire; critomance; cryptographie; déclamation des Anciens; déesse-mère; Delphes; divination; embaumement; enchantement; enfer; expiation; fanatisme; fazin; féries latines; fête des fous; feu sacré; géhenne; gui; héliognostique; hellequin; huscanaouiment; hydromantie; idole; idolâtre; idolâtrie; Junon; léthomancie; magie; magicien; marumba; mumbo-jumbo; ngambos; omphalomancie; oracle; dieux palices; panthées; paroles de mauvais augure; polythéisme; praemunire; pressentiment; prêtres; printemps sacrés; prodige physique; prophète de Baal; psychomancie; pyrophore; pyromancie; relique; riadhiat; serpent-fétiche; livres sybillins; Sommona-Kodom; sorcellerie; sort; sortilège; statue; superstition; tabra; temple; téphramancie; topilzin; toxcoal; vampire; vestale; zemzem; zoolatrie. Contenant Bacon: baconisme ou philosophie de Bacon (pour Francis Bacon); scholastique (pour Roger Bacon, dont le nom apparait 7 fois dans l’article); repas des Francs (pour la viande de porc).

Les articles digressifs de l’Encyclopédie dont la lecture a été encouragée par les filons superstition et Bacon, c’est-à-dire par la présence de ce noonyme ou de ce patronyme dans le texte, sont les suivants: Aigle à queue blanche (contient superstition 1 fois); athées (contient superstition 8 fois); Agnus Scythus (contient Bacon 3 fois – voir à son sujet les commentaires de Soboul et de Goujard dans DIDEROT, D’ALEMBERT et alii 1984: 56, ainsi que LEFEBVRE 1983: 105); art (contient Bacon 4 fois); causes finales (contient Bacon 2 fois); certitude (contient superstition 5 fois); conscience (contient superstition 1 fois); consolation (contient superstition 1 fois); crise (contient superstition 2 fois); cynique (contient superstition 5 fois); éclectisme (contient superstition 6 fois); épi (contient superstition 1 fois); épreuve (contient superstition 2 fois); AEquè (contient superstition 4 fois); fiction (contient superstition 1 fois); Genève (contient superstition 5 fois); gloire (contient superstition 2 fois); hippocratisme (contient superstition 3 fois); hobbisme (contient superstition 3 fois); illicite (contient superstition 1 fois); influence (contient superstition 3 fois); jour (contient superstition 3 fois); législateur (contient superstition 3 fois); libelle (contient superstition 2 fois); liberté de pensée (contient superstition 3 fois); lugubre (contient superstition 1 fois); luxe (contient superstition 2 fois); mérite (contient Bacon 1 fois); mosaïque (contient Bacon 2 fois); observation (contient superstition 1 fois); observation thérapeutique (contient superstition 2 fois); oeconomie politique (contient superstition 9 fois); oratoire (contient superstition 1 fois); platonisme (contient Bacon 1 fois); poème épique (contient superstition 1 fois); population (contient superstition 5 fois); pressentiment (contient superstition 4 fois); pythagorisme (contient superstition 2 fois); relation (contient Bacon 1 fois); Sébaste (contient superstition 1 fois); sensibilité (contient Bacon 1 fois); subside (contient Bacon 1 fois); télescope (contient Bacon 1 fois); test (contient superstition 1 fois); valeur (contient superstition 1 fois); Venise (contient superstition 1 fois); vie (contient superstition 1 fois); unitaire (contient superstition 1 fois); usure (contient superstition 1 fois); vicissitude (contient Bacon 1 fois); vingtième, imposition (contient superstition 4 fois).

Ce qu’on tire des articles. Au moment de retourner aux tomes, il est crucial de lire soigneusement l’intégralité de l’article, et de se distancier alors sans ambages du traitement en micro-contexte dont le support machine entretient imperceptiblement et inexorablement la coûteuse propension. Inutile de dire que les passages intéressants du point de vue philosophique ne contiendront pas nécessairement le mot-clef nous ayant mené à l’article retenu. Le mot-clef a débusqué les données à investiguer. Grâce au support machine, il a joué son rôle de déclencheur à l’investigation, de révélateur du ton et de la saveur de l’article, de nef pour la baleine, de brûlot du maquis. Mais l’affaire se joue désormais entre le philosophe actuel et son vis-à-vis dix-huitiémiste, comme depuis la nuit des temps. Trois brefs exemples (nous travaillons à partir de DIDEROT, D’ALEMBERT et alii, 1966-67, reproduction en fac-similé de l’édition originale):

Crise (article de 36 colonnes, signé par Bordeu, contient superstition 2 fois): Cet article du médecin Bordeu porte sur les crises dans la maladie, et sur le décompte des jours de répit et des jours de crise -les jours critiques– dans la progression d’un mal aigu. L’auteur résume et confronte les vues de Galien et d’Hippocrate sur la question. Le livre des épidémies d’Hippocrate entre en contradiction avec ses Aphorismes sur la périodicité des crises. L’auteur de l’article a alors ce mot: « Tout ce qu’on peut supposer de plus raisonnable en faveur d’Hippocrate, s’il est l’auteur de ces ouvrages dans lesquels on trouve des contradictions, c’est que ces contradictions sont dans la nature, & qu’il a dans toutes les occasions peint la nature telle qu’elle s’est présentée à lui; mais il a toûjours eut tort de se presser d’établir des regles générales: ses épidémies doivent justifier ses aphorismes, sans quoi ceus-ci manquent de preuves, ils peuvent être regardés comme des assertions sur lesquelles il ne faut pas compter« (tome 4, 474a). Depuis cette analyse finement dialectique, on glisse ensuite vers une critique de l’esprit de système et du dogmatisme. « Il y a apparence que les dogmes devinrent à la mode, qu’ils pénétrerent jusqu’au sanctuaire des sectes des médecins. Ceux-ci furent aussi surpris de découvrir quelques rapports entre les opinions des philosophes & leurs expériences, que charmés de se donner l’air savant: en un mot, ils payerent le tribut aux systèmes dominans de leur siècle, ce qui est arrivé tant de fois depuis… » (tome 4, 474a). Et on développe alors, en dénonçant l’influence de la doctrine des nombre pythagoricienne et de l’astrologie sur la médecine antique et moderne. En suivant l’évolution de la médecine et les bonheurs et les avatars de la doctrine des crises, l’auteur en arrive au médecin Stahl, et s’autorise alors l’aparté typique des Encyclopédistes: « …mais disons-le puisque l’occasion s’en présente: il seroit à souhaiter pour la mémoire de Stahl, qu’il se fût moins avancé au sujet de l’ame, ou qu’il eût trouvé des disciples moins dociles à cet égard; c’est là, il faut l’avoüer une tache dont le Stahlianisme se lavera difficilement. On pourroit peut-être le prendre sur le pié d’une sorte de retranchement, que Stahl s’étoit ménagé pour fuir les hypotheses, les explications physiques, & les calculs: mais cette ressource sera toujours regardée comme le rêve de Stahl; rêve d’un des plus grand génies qu’ait eu la Medecine, il est vrai, mais d’autant plus à craindre, qu’il peut jetter les esprits médiocres dans un labyrinthe de recherche & d’idées purement métaphysiques. » (tome 4, 478a). Et d’amorcer l’analyse détaillée de la perpétuation et de l’extinction de la doctrine des crises dans la médecine de son temps sur la remarque suivante: « En un mot il faut convenir qu’on s’égare presque nécessairement, lorsqu’on se livre sans réserve au raisonnement en Medecine. La dispute entre les anciens & les modernes, dont je viens de dire quelque chose, ne peut & ne doit être vuidée que par l’observation » (tome 4, 482a). Et, en conclusion, ceci: « En un mot, il est nécessaire pour terminer la question des crises, ou pour l’éclaircir, d’être libre » (tome 4, 489a)

Relation (article de 5 colonnes, initialé D.J, contient Bacon 1 fois.): L’auteur décrit les différents types de relations en voyant bien, au début de l’article, à faire « en sorte que la relation, dans quelque sens qu’on la prenne, ne réside toujours que dans l’esprit, & non pas dans les choses mêmes » (tome 14, 62a). Puis, au coeur de ce taillis idéaliste, se niche le relativisme moral: « C’est la conformité ou la disconvenance de nos actions à quelque loi (à quoi le législateur a attaché par son pouvoir & sa volonté, des biens ou des maux, qui est ce qu’on appelle récompense ou punision), qui rend ces actions moralement bonnes ou mauvaises. » (tome 14, 62b), suivi, sous le sous-titre Relation historique, du relativisme historique, complété d’um matérialisme gnoséologique dont on cite ouvertement la source: « …on ne peut souvent présenter que des conjectures à la place des certitudes; mais comme la plupart des révolutions ont constamment été traitées par des contemporains, que l’esprit de parti met toujours en contradiction, après que la chaleur des factions est tombée, il est possible de rencontrer la vérité au milieu des mensonges opposés qui l’enveloppent, & de faire des relations exactes avec des mémoires infideles. C’est une observation du chancelier Bacon; on ne saurait trop orner cet ouvrage des pensées de ce beau génie. » (tome 14, 63a-b).

Épi (article de 1 colonne, non signé, contient superstition 1 fois): Après la définition de l’épi comme touffe de poil rebelle, la remarque suivante, typique, mais toujours soigneusement dissimulée: « Il n’est pas étonnant que dans des tems de té[ne]bres & d’obscurité, la superstition ait pû ériger en maximes tout ce qu’elle suggere ordinairement à des esprits foibles & crédules; mais il est singulier que dans un siecle aussi éclairé que le nôtre, on puisse croire encore que les épis placés aux endroits que le cheval peut voir en pliant le cou, doivent dépriser l’animal, & sont incontestablement d’un très-sinistre présage. On ne peut persévérer dans de semblables erreurs, qu’autant qu l’on persévere dans son ignorance, & peut-être cette preuve n’est-elle pas la seule de notre constance à fuir toute lumière. » (tome 5, 775b)

…il faut que le moment fatal arrive. C’est celui où la dispute cesse.

Mené à une grande échelle et systématiquement, ce type d’investigation fera des merveilles pour la clarification des multiples facettes encore méconnues du matérialisme philosophique des Lumières, dans ce qu’il avait de collectif et de consensuel (sans que cela n’exclue de fermes débats internes, voir LE RU 1999) chez la foule déterminante des penseurs « mineurs » qui façonnèrent l’Encyclopédie (sur ces derniers, voir KAFKER 1963). Des trouvailles nous attendent, qui remettrons notamment en question la réputation « métaphysique » et « mécaniste » que l’on fait à ce matérialisme. La procédure d’investigation proposée ici est simple et rendue fulgurante par l’outil électronique. L’analyse et le débat philosophique, eux, se feront encore avec le bon vieil outil cortical… On peut conclure que la dispute sur l’importance heuristique de l’accès électronique à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert cessera bien vite. Pour sa part, le débat philosophique, notamment la lutte fondamentale entre matérialisme et idéalisme, continuera cependant de se développer et de s’approfondir. C’est que c’est le seul des deux engagements où la machine ne joue qu’un rôle ancillaire.

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RÉFÉRENCES

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De la sagesse apaisante du SIMPLE FOUET EN TAI CHI du sculpteur Ju Ming (Place des Peuples, Montréal)

Posted by Ysengrimus sur 1 octobre 2013

Le SIMPLE FOUET EN TAI CHI du sculpteur Ju Ming. Photo: la Lettrée Voyageuse

Le SIMPLE FOUET EN TAI CHI du sculpteur Ju Ming. Photo: la Lettrée Voyageuse

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C’est l’histoire, sinueuse, aigre et brumeuse, de la toute graduelle réappropriation d’un espace urbain, dans une vieille ville occupée d’Amérique du Nord britannique. L’ancienne place du marché au foin de Montréal devient, en 1860, le ci-devant Square Victoria. On plante un peu plus tard, en 1872, au milieu de ce vaste espace urbain, une statue sur socle élevé de la reine Victoria (1819-1901). La souveraine de l’occupant colonial est debout avec couronne et sceptre au faite d’une assez haute colonne… et elle est jeune et fraîche (en 1872, la vraie reine Victoria avait pourtant déjà cinquante-trois ans et était une bien triste veuve). Ce n’est pas là une de ces statues chiantes et rebattues de la Veuve Windsor empâtée et boudeuse comme celles qui trôneront plus tard, lourdement assises devant l’Université McGill (Montréal) ou devant le parlement de l’Ontario dit Queen’s Park (Toronto). Non, non, ici, on cherche à donner à la souveraine impériale une dégaine tonique, florale, diurne, radieuse, presque guillerette. Yeah right… Tout ce qu’on obtient, c’est de bien nous rappeler que la reine Victoria avait effectivement seulement dix-huit ans lorsque survint, au tout début de son long règne, la Rébellion des Patriotes de 1837-1838, réprimée dans le sang par ses très brutaux régiments coloniaux. Le nom de ce «square» et la présence de cette statue sont une cuisante et fort explicite injure colonialiste (pas surprenant que le FLQ, en 1963-1970, faisait sauter des monuments montréalais) et une cicatrice purulente dans le visage de Montréal.

Mais si une cicatrice ne disparaît pas, par contre elle se soigne. Toujours subie, sa purulence peut se voir atténuer par un aménagement urbain intelligent. C’est ce qui s’est passé, sans tambour ni trompette, en 2002-2003 quand la statue du SIMPLE FOUET EN TAI CHI (Tai Chi Single Whip dān biān taiji) du brillant et imaginatif sculpteur chinois (taiwanais) Ju Ming (né en 1938) fut installée tout au bout de la place (extrémité nord), la dominant désormais et l’investissant totalement dans sa direction (et quand on contemple la magnifique statue de Ju Ming, on se doit implacablement de tourner le dos à l’endroit où se trouve la statue de la souveraine honnie). Cette œuvre d’art urbain moderne fait partie d’une série de statues internationalement disposées inspirée par les séquences de mouvements corporels du Tai Chi. Dans le partage de ces représentations bonhommes, d’allure vaguement inukshukesque, Montréal a hérité du simple fouet, une des positions corporelles de base du Tai Chi correspondant à l’ouverture aux possibilités multiples des mouvements et des directions ultérieures et exprimant la sérénité et une rencontre paisible avec la multitude des possibles. La sagesse tendrement comique et indubitablement apaisante du SIMPLE FOUET EN TAI CHI du sculpteur universel Ju Ming se complète d’un beau cadeau que nous fit, au même moment, la ville de Paris (France). Un portail MÉTROPOLITAIN facon Hector Guimard, comme ceux de la Ville-Lumière pour encadrer la sortie de la station de métro Square Victoria (ligne orange). Things change, don’t they… Voici donc maintenant ce que le personnage de pierre effectuant le mouvement du simple fouet en Tai Chi verrait depuis sa position, s’il disposait de notre regard impudent et sagace. De la statue de la reine Victoria, jadis pôle attractif central de toute la place, on ne voit plus, partiellement caché par les arbres du dispositif, sur tribord avant, que le socle. Si une cicatrice ne disparaît pas, par contre elle se soigne…

La PLACE DES PEUPLES dans le regard du gros perso de pierre effectuant le simple fouet en Tai Chi. La porte de métro à la française est bien visible. La reine Victoria, par contre, est toute seule dans son petit coin. Le perso de pierre et nous n’en voyons plus que le socle, bien vaguement. Photo: la Lettrée Voyageuse

La PLACE DES PEUPLES telle qu’elle apparaitrait dans le regard du gros perso de pierre effectuant le simple fouet en Tai Chi. La porte de métro à la française est bien visible. La reine Victoria, par contre, est toute seule dans son petit coin. Le perso de pierre et nous n’en voyons plus que le socle, au loin. Photo: la Lettrée Voyageuse

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Les choses avancent petit à petit, donc. Bon, on ne peut pas officiellement renommer le Square Victoria. C’est là un de nos fort nombreux interdits implicites, irritants et honteux. L’occupant post-colonial canadien nous ferait chier sans fin si on osait le faire. Il va donc falloir patienter, patienter encore. Un premier signal fort, dans la direction toponymique, apparut cependant lors des manifestations des Indignés de 2011, dont cette place fut le point de ralliement, sur Montréal. Le nouvel espace que je viens de brièvement vous présenter fut alors renommé, officieusement mais très explicitement, PLACE DES PEUPLES. Cela me va parfaitement.

Indignons-nous de tout ce qui indigne. Il faut refaire la vie et un jour viendra.

Ysengrimus embrassant la Place des Peuples sous le regard patient du Cuistot Musico. Photo: Allan Erwan Berger

Ysengrimus embrassant la Place des Peuples sous le regard patient du Cuistot Musico. Photo: Allan Erwan Berger

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