Le Carnet d'Ysengrimus

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Archive for avril 2019

Les femmes du film MANHATTAN, de Woody Allen (1979)

Posted by Ysengrimus sur 25 avril 2019

Isaac (Woody Allen) et Tracy (Mariel Hemingway)

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Isaac à Tracy: Hey, don’t be so mature, okay?

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Il y a quarante ans, pilepoil, MANHATTAN de Woody Allen crevait les écrans mondiaux. J’avais vingt-et-un ans et ce film s’est imprimé en moi pour jamais. Donc, on va dire la chose comme elle est. Le film MANHATTAN (1979) est un des films importants de la seconde moitié du siècle dernier et c’est fort probablement un des trois ou quatre chefs-d’œuvre de Woody Allen. Bon, l’homme est passablement décoté par les temps qui courent, hein, et on voudrait tellement, dans l’ambiance de vindicte contemporaine, faire passer le magnifique travail artistique collectif qui reste associé à son nom par le même tuyau d’évacuation jugeant sa vie personnelle. Pas de ça entre nous ici, les ami(e)s. Je fais la ferme séparation entre l’homme et l’œuvre et nous allons parler ici de ce que ce film fait. On va surtout démontrer que ce film est probablement le plus ouvertement autodécapant de tout le corpus d’Allen. C’est un réquisitoire satirique et sardonique contre la théo-culture traditionnelle judéo-new-yorkaise (on y retrouve de superbes saillies d’humour juif autodérisoire), contre les snobismes intellectuels urbains et, surtout, contre le phallocratisme et la masculinité conventionnelle. Sur ces trois points, surtout le dernier, MANHATTAN est dévastateur.

Pour prendre la distance requise face aux diverses fascinations allenoïaques d’usage (qui hantent autant les contre que les pour, pour tout dire), on va partir, si vous le voulez bien, des femmes dans MANHATTAN. L’actrice Mariel Hemingway, née en 1961, avait 17 ans lors du tournage de MANHATTAN, Quand elle a tout juste eu ses 18 ans, le 22 novembre 1979, Woody Allen, incurable, s’est essayé à la dragouiller. Le film était alors dans la boite. Mariel Hemingway, costaude, a fermement refusé ses avances et l’homuncule binoclard se l’est tenu pour dit. Fin de l’histoire dans son angle potineur. Et ceci est le seul commentaire de bottin mondain que je ferai ici. Désormais, on parle de la fable construite par le film. Il nous en met plein les bras… sur ces questions justement.

Tracy (joué par Mariel Hemingway, dans un de ses premiers rôles — je ne connais pas de nom de famille au personnage) est amoureuse d’un homme plus vieux qu’elle. Comme Béatrice ici, cette jeune femme moderne n’a pas de comptes à rendre sur ses choix sentimentaux. Tracy a 17 ans, presque 18, son amoureux en a 42, et honni soit qui mal y pense. Tracy est grande (grande physiquement. Elle a de la carrure. Son amoureux lui arrive aux yeux), calme, très mûre pour son âge, et solide dans ses bottes. Étudiante de secondaire, intéressée par l’art dramatique, Tracy est déjà une artiste et une intellectuelle articulée. Surtout, de toute cette kyrielle de personnages, elle est la seule qui soit toujours authentique, sereine, en bois brut, pas encore pourrie par la vénalité et la superficialité des petits intellocrates new-yorkais. Mais on sent bien qu’un jour, plus tard, elle se mettra elle aussi à papillonner et à déconner à vide, comme eux. Les tics y sont déjà, en puissance. Son petit bonhomme d’amoureux s’en afflige sans se l’admettre, d’ailleurs. Mais bon, pour le moment Tracy est pure, elle est solide, droite, stable, et, oui, elle se sent heureuse avec son susdit petit bonhomme de l’ère pré-Paul-McCartney. Ils regardent la télévision dans leur lit en mangeant des frites et s’amusent comme des fous. Ils sont bien ensemble et, redisons-le, Tracy ne transigera pas sur ses choix amoureux.

Pourtant il y aurait de quoi, parce que son petit bonhomme, ouf, il n’est pas tout à fait évident. C’est un glorieux humoriste télévisuel démissionnaire qui est en train d’écrire un livre sur rien de moins que la déliquescence de la civilisation contemporaine et, comme le lui signale une fois un de ses amis, il se prend tout simplement pour Dieu. L’homme que Tracy aime est faux, prétentiard, frappé, androhystérique, tendanciellement agoraphobe, égomane et compulsivement verbo-moteur. Tracy se rend bien compte que son fébrile amoureux, le bien nommé Isaac Davis (joué par Woody Allen), ne donne sa vraie mesure émotive, sensible et intellectuellement riche que seul à seul avec elle. Aussitôt que d’autres intellos se montrent le bout du nez, c’est foutu. Isaac devient parfaitement insupportable, paniqué, insécure, ridicule, niaiseux, cave. Isaac Davis est un avorton, en fait, et Tracy va graduellement, douloureusement, le découvrir.

Isaac Davis est aussi très intensément divorcé. La femme de laquelle il a un fils c’est Jill Davis (jouée par Meryl Streep). Jill a quitté Isaac pour une autre femme, Connie (jouée par Karen Ludwig). Jill ne peut tout simplement plus supporter Isaac. Et son couple lesbien endure patiemment les visites de l’homuncule binoclard dont l’androhystérie culmine en présence de son ex et de sa conjointe (on notera que Tracy n’assiste pas à ces visites, qui l’auraient pourtant passablement édifiée). Isaac prend le prétexte du droit de visite de son fils pour poursuivre Jill de ses assiduités réprobatrices. C’est que Jill se prépare à écrire un livre (tous ces plumitifs tartinent des livres à qui mieux mieux et se les jettent dans les pattes), livre-aveu qui promet de tout révéler de la vie intime de Jill Davis avec l’humoriste télévisuel bien connu Isaac Davis. Ce dernier, ouvertement et explicitement homophobe, a autrefois tenté de foncer sur Connie, la nouvelle conjointe de son épouse, avec sa bagnole. La rencontre fébrile ente Jill, Connie et Isaac est une catastrophe inénarrable et l’homuncule binoclard y montre, de façon particulièrement sentie et pathétique, son fond agressif, frustré, rigide, étroit et farceur-pas-drôle.

Mais Tracy (qui, redisons-le, n’a pas assisté à ce moment foireux) va bientôt avoir un plus gros problème à affronter. Lors d’une visite au musée, alors qu’elle est seule et tranquille avec son Isaac, voici qu’apparaît Yale Pollack (joué par Michael Murphy) en compagnie d’une nouvelle venue, Mary Wilkie (jouée par Diane Keaton). La rencontre est un peu bizarre et réfrigérante car Yale est en fait marié à Emily Pollack (jouée par Anne Byrne) qui est absente, elle, lors de cette susdite rencontre impromptue. Il est assez évident pour Tracy que ce vieil ami d’Isaac, Yale, est en train de furtivement visiter un musée en compagnie de sa maîtresse. Bon, Tracy reste parfaitement discrète mais la Mary Wilkie, elle, va regarder notre Tracy de fort haut et la traiter avec une condescendance que d’autres moins solides que Tracy auraient trouvé parfaitement exaspérante. En effet, Mary Wilkie, qui constate aussitôt la différence d’âge entre Tracy et Isaac, se met à faire des allusions pas très subtiles à Nabokov en échangeant des sourires entendus avec Yale. Cette Mary Wilkie, originaire de Philadelphie (une ville où l’on croit en Dieu et ne discute pas ouvertement de la question de l’orgasme, s’empresse t-elle de rappeler à maintes reprises) est l’intellocrate patentée et frappée type. Elle écrit des novelisations, édite les textes d’autres auteurs, vit dans le souvenir traumatique de son ex-mari génial (selon elle), et interpelle son thérapeute par son prénom (tous ces intellocrates frappés et hautains ont, bien sûr, leur psychothérapeute attitré). Mais surtout, Mary Wilkie, aussi affectée et précieuse ridicule qu’Isaac Davis en personne, se drape dans tout un barda de tapageuses références intellos et artistiques de bric et de broc. De prime abord, cette bonne dame philadelphe néo-new-yorkaise est semi-délirante, parfaitement imbuvable et, de ce seul fait, elle déclenche initialement une véritable panique intello-hystérique chez Isaac. Et Tracy ne comprend pas l’ampleur d’un tel débordement hargneux chez son petit bonhomme. Elle le lui dit par la suite, mais évidemment, il n’écoute pas.

Mary Wilkie va frapper de mort les amours de Tracy. C’est que, conformiste, son amant Yale se sent coupable d’aimer sa maîtresse plus que son épouse. Il est incapable d’assurer et d’assumer. Mec type, Yale va donc insidieusement pousser Mary Wilkie dans les bras de son vieux pote Isaac Davis, comme si Tracy n’existait tout simplement pas. Coreligionnaires, Yale et Isaac auront d’ailleurs des mots et ils se feront pesamment la morale sur la question maritale (la fameuse scène du squelette humain dans une salle de classe). Mis au défi de tenter sa chance avec une femme (et non une jeune fille), Isaac, pas plus capable d’assurer et d’assumer que son minus de copain Yale, voit son androhystérie et son indécision conformiste culminer. Travaillé par l’arrogance insécure (et aussi la vulnérabilité touchante, la complexité mal dissimulée) de Mary Wilkie, Isaac se met à s’en prendre à Tracy. Cela donne des échanges comme ceci (je résume)… Isaac: Mais qu’est-ce que tu fous avec un vieux comme moi. Tu devrais sortir avec Biff ou Scooter. Tracy (de plus en plus désappointée par la dynamique): Tu ne me prends pas au sérieux parce que j’ai dix-sept ans. C’est pourtant toi que j’aime. C’est vraiment très contrariant, ton attitude. Comprenons-nous bien, Isaac Davis n’est pas un pédophile. Il est un infantile. C’est très différent. Il y a des moments où on dirait que Tracy est sa mère. C’est superbement étudié et je le redis, minable au possible, dévastateur, anti-masculiniste avant la lettre. Tracy est donc repoussée par un Isaac hystéro qui n’assure pas, n’assume pas. Elle commence à graduellement se dire qu’il va falloir qu’elle prenne de la distance face au petit clapier cloaqueux de Manhattan. Elle envisage d’accepter un stage d’études de six mois, dans une école d’art dramatique de Londres (Angleterre).

Le principe tragi-comique est en place. Je vous coupe les détails. Il faut tout simplement voir ce film immense. Isaac va se retrouver Gros Jean. Tracy va partir pour Londres. Mary Wilkie, sa curiosité mondaine assouvie après une passagère idylle avec Isaac, va retourner se jeter dans les bras de Yale, qui va finir par quitter son épouse pour elle. Jill Davis va publier son livre-aveu et toute la petite coterie va s’esclaffer en riant d’Isaac, plus minus, ridicule, paumé et inepte que jamais. La scène finale, insupportable de majesté et de dérision, implique Tracy, plus centrale que jamais. C’est que quand Tracy quitte ce Manhattan dont elle est l’âme secrète, le film s’arrête. Isaac Davis (joué par Woody Allen) apparaît, dans cette scène conclusive, comme un inconscient buté et un rat, un rat égoïste, nul, insensible, incapable de se distancier des piles de détritus de Manhattan qui le fascinent tant. La masculinité, l’intellectualité toc, la théo-culture moraliste étroite et rigide montrent l’ampleur de leur vide et de leur tragédie dérisoire. Woody Allen, ici plus que jamais, nous expose le minable qu’est Woody Allen. S’il y a un film du corpus de Woody Allen qui nous avoue ouvertement et infailliblement que Woody Allen est une merde, c’est MANHATTAN. Tout y est. Tout s’y annonce.

S’ils comprenaient seulement le premier mot de la dialectique complexe de la crise de l’expression artistique, nos plus virulents détracteurs de Woody Allen devraient s’empresser de visionner et de calmement méditer MANHATTAN. Ils y trouveraient, dans la fibre subtile de la fable même, dans ce jeu d’acteur magnifique et imparable, dans ces dialogues foldingues, dans ce New York immense et si gris et si lourd, leurs meilleurs arguments de dénigrement, tous ouvertement avoués et admis par le maître en personne. C’est que Woody Allen ici fonctionne comme l’agneau pascal de sa fameuse ci-devant déliquescence de civilisation contemporaine de carton-pâte. Jamais autodérision n’aura été à la fois aussi cuisante, aussi mordante, aussi efficace. Séparation entre l’homme et l’œuvre, tu disais? Voire…

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Yale Pollack (Michael Murphy), Mary Wilkie (Diane Keaton), Isaac Davis (Woody Allen), Tracy (Mariel Hemingway)

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ANNEXE: L’ACADÉMIE DES SUREVALUÉS (The Academy of Overrated)

Dans leur outrecuidance fortillante d’intellos frappés du New York de 1979, Mary Wilkie (jouée par Diane Keaton) et Yale Pollack (joué par Michael Murphy) ont imaginé une Académie des Surévalués. Il s’agit simplement de leur liste personnelle des figures culturelles reconnues comme majeures mais qu’ils considèrent (pas toujours à tort d’ailleurs) comme faisant l’objet d’une inflation de valeur dans la sensibilité culturelle et mondaine de leur temps. Voici la liste des membres de cette Académie avec, entre crochets, les cas où Mary et Yale sont secondés dans leur analyse par votre Ysengrimus, quarante ans plus tard.

Sol LeWitt (1928-2007): Peintre semi-figuratif proposant une exploration tripative très découpée et très tranchée de la structure explicite des formes visuelles. Son sous-traitant montréalais (largement moins inspiré et, pourtant, fort passable tout de même) est Guido Molinari (1933-2004).

Gustav Mahler (1860-1911): Compositeur orchestral autrichien peu prolifique de la fin du mouvement romantique. Il est sensé annoncer les tendances du dodécaphonisme et de la musique sérielle, mais le fait-il vraiment? [Nomination secondée par Ysengrimus]

Isak Dinesen (1885-1962): De son vrai nom, Karen Blixen. Romancière danoise, auteure notamment de Out of Africa et de Le festin de Babette, œuvres ayant débouché, au siècle dernier, sur de fort honorables scripts de films (surtout dans le second cas).

Carl Jung (1875-1961): Psychiatre et psychanalyste suisse s’étant efforcé, non sans un certain mérite d’époque, de procéder à une rencontre entre psychologie, anthropologie, archéologie et histoire, aux fins de la mise en place d’une sorte de psychanalyse du collectif.

Scott Fitzgerald (1896-1940): Écrivain américain s’étant efforcé de décrire les travers de la bourgeoisie artistique, mondaine et cynique de l’entre-deux guerre, tout en restant lui-même passablement emberlificoté dans l’univers qu’il prétendait analyser. [Nomination secondée par Ysengrimus]

Lenny Bruce (1925-1966): De son vrai nom Leonard Alfred Schneider. Humoriste et fantaisiste américain reconnu comme une des figures déterminantes du stand up comic du siècle dernier. Humour vulgaire et ostensible qu’une époque étroite et révolue interprétait comme une sorte d’intervention satirique intelligente. Mal vieilli. [Nomination secondée par Ysengrimus]

Norman Mailer (1923-2007): Écrivain, essayiste, journaliste et acteur américain. C’est un des écrivains les plus lus de la seconde moitié du siècle dernier. Il venait, en 1979, de ramasser un autre de ses multiples Prix Pulitzer, d’où probablement l’acrimonie de Mary et de Yale. Bon, il fut la voix d’une époque, que dire de plus.

Heinrich Böll (1917-1985): Écrivain allemand, objecteur de conscience sous le nazisme. C’est un poète ayant obtenu le Prix Nobel de littérature en 1972. Mary et Yale ne lisent certainement pas l’allemand dans le texte, ce qui ne les empêche pas de juger la poésie sur traduction. Concluons, concluons.

Vincent van Gogh (1853-1890): Peintre néerlandais arrivant après les impressionnistes. D’une idiosyncrasie étonnante et d’une force lyrique qui ne se dément pas avec le temps. Ses croûtes se vendent des millions, d’où probablement l’acrimonie de Mary et de Yale (qui à mon sens devraient sérieusement faire rajuster leurs lunettes au sujet de ce gars).

Ingmar Bergman (1918-2007): Cinéaste suédois, minimaliste et puissant, considéré comme une des influences les plus profondes du cinéma mondial. Isaac Davis (joué par Woody Allen) va fortement s’insurger contre l’inclusion de cet artiste dans l’Académie des Surévalués, ce qui lui vaudra des ricanements ostensibles et  condescendants de la part de Mary et de Yale. Notons que Woody Allen même cite Ingmar Bergman au nombre de ses importantes influences personnelles.

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Passablement abasourdi, Isaac Davis (joué par Woody Allen) tentera alors, dans une poussée ironique un peu rageuse, de faire inclure Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) sur la liste des académiciens surévalués, sans grand succès. Et moi-même, pour le coup, je salue respectueusement (sans pouvoir pourtant les rejoindre) les voix qui, aujourd’hui, entendraient inclure nul autre que Woody Allen lui-même au sein de l’Académie des Surévalués.

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Manhattan, 1979, Woody Allen, film américain avec Mariel Hemingway, Diane Keaton, Meryl Streep, Karen Ludwig, Anne Byrne, Michael Murphy, Woody Allen, 96 minutes.

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ÉGLOGUES INSTRUMENTALES — Basson

Posted by Ysengrimus sur 21 avril 2019

Mon compère, le basson
Nous assène sa chanson
Tout au fond de la fosse
Je vous le jure: l’affaire est grosse
Je n’entends pas son son
Je ne perçois pas sa grâce
C’est baraqué comme une maison
C’est dodu comme les vaches grasses
Cette affaire
Misère.

Le basson, en solo
Oublie ça, c’est ballepeau
Et le basson dans l’orchestre
Subit le sort le plus funeste
C’est qu’il est inaudible
Ou bien méconnaissable
Sa flèche rate la cible
Son moteur est plein de sable
Je ne sais pas c’est qui
Telle est ma très grande affliction
Je n’entends pas le crucial cri
De mon compère, le basson.

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Ethnocentrisme et NOUVEAU MONDE

Posted by Ysengrimus sur 15 avril 2019

We’re the one for you, New England,
New England Telephone…

Ritournelle commerciale de la compagnie New England Telephone

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Le qualifiant NOUVEAU pour désigner des territoires coloniaux est un petit chef-d’œuvre fin d’ethnocentrisme européen. On sait ça, par principe, mais il faut encore prendre une minute ou deux pour s’imprégner du détail mondial de la chose… Énumérons donc d’abord ladite chose par le menu, avant de prendre la mesure des éléments convergents qui sont, eux, d’une remarquable stabilité. On dénombre donc une bonne vingtaine de vastes territoires (aux noms toujours existants ou disparus) qui, depuis le seizième siècle, furent nommés NOUVEAU ou NOUVELLE QUELQUE CHOSE. Enfin, perso, j’en dénombre une vingtaine. Les voici, en ordre alphabétique (liste non exhaustive, en fait. N’hésitez pas à m’envoyer les vôtres. Noter que les noms de bleds comme Newmarket, New Haven, New Moscow ou La Nouvelle Orléans ne sont pas inclus — on parle ici de territoires coloniaux, pas de villes):

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NOUVELLE-ANGLETERRE (New England): Elle comprend, encore aujourd’hui, le Vermont, le New Hampshire, le Maine, le Massachusetts, le Rhode Island et le Connecticut. Ce sont les six colonies anglaises initiales d’Amérique. Le chef-lieu putatif de cet espace fut longtemps Boston (Massachusetts). Il y eut même, au dix-septième siècle une Confédération de la Nouvelle-Angleterre (New England Confederation). Les lieux-dits Nouvelle Angleterre (en français) et New England sont toujours couramment utilisés aujourd’hui.

NOUVELLE-BRETAGNE (New Britain) Ancien nom (largement approximatif) du Labrador et/ou du Nunavik. Appelée aussi Nouvelle-Galles du Sud (la canadienne, pas l’australienne). Une des îles de Papouasie s’appelle aussi Nouvelle-Bretagne.

NOUVEAU-BRUNSWICK (New-Brunswick): Nommé d’après l’Électorat de Brunswick-Lunebourg, ancien apanage du roi d’Angleterre en terre allemande. Ceci forme la province canadienne contenant la partie la plus importante de l’ancienne Acadie (qui fut découpée en trois tronçons par l’occupant anglais). Inutile de dire que cette province canadienne n’est pas spécialement peuplée d’Allemands.

NOUVELLE-CALÉDONIE (Nouvelle-Calédonie): Nommée, par James Cook, d’après la Calédonie, ancien nom latin de l’Écosse. C’est un petit archipel se trouvant non loin de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Elle est tenue par la France depuis 1853. Comme sa constitution coloniale prévoit un éventuel changement de dénomination du territoire, on lui revendique le nom de Kanaky.

NOUVELLE-ÉCOSSE (Nova Scotia): Elle forme la province canadienne contenant la seconde partie la plus importante de l’ancienne Acadie (qui fut découpée en trois tronçons par l’occupant anglais). Inutile de dire qu’elle n’est pas spécialement peuplée d’Écossais. Noter qu’en anglais on ne dit pas *New Scotland mais Nova Scotia, imposant, de façon hautement inhabituelle, dans l’usage, la tournure latine des vieilles cartes.

NOUVELLE-ESPAGNE (Nueva España): Elle comprenait les Philippines, toute l’Amérique centrale, tout le Mexique, le Texas, la Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Nevada, le Colorado et l’Oregon. Territoire immense formé principalement de l’Amérique du Nord Espagnole. La notion est de facto disparue en 1821, quand le Mexique est devenu indépendant, fracturant ce vaste ensemble américain en deux tronçons.

NOUVELLE-FRANCE (Nouvelle-France): Elle comprenait l’Acadie, le Canada, les Pays-d’en-Haut et le Territoire de la Louisiane (qui, lui, comprenait l’équivalent de quatorze états américains actuels, le long des rivières Mississippi, Missouri et Ohio). Elle fut dépecée par la conquête anglaise de 1760 (pour la partie Acadie, Canada, Pays-d’en-Haut) et vendue aux américains par Bonaparte en 1803 (pour la partie Louisiane). Le terme Nouvelle-France n’existe plus, sauf en contexte historique.

NOUVELLE-GALLES DU SUD (New South Wales): Nommée d’après la Galles du Sud, lieu-dit non officiel désignant une région du Pays de Galles (Royaume Uni). Elle fut le point de départ du colonialisme anglais en Australie. Il est intéressant de noter que, sur la carte de l’Australie, la Nouvelle-Galles du Sud occupe à peu près le même espace qu’occupe la Galles du Sud sur la carte du Pays de Galles. Ceci dit, il y a eu aussi, fugitivement, une Nouvelle-Galles du Sud au… nord du Canada.

NOUVELLE-GUINÉE (Nueva Guinea): Nommée d’après la Guinée, sur la présomption d’un explorateur espagnol qui crut, à leur couleur, que les insulaires papous étaient du même type racial que les habitants de la Guinée, en Afrique de l’Ouest. C’est l’archipel de Papouasie, en Océanie, dans l’océan Pacifique.

NOUVEAU-HAMPSHIRE (New Hampshire): Nommé d’après le comté de Hampshire (Angleterre). Colonisé depuis 1623, ce fut la première province américaine à déclarer son indépendance de la Grande-Bretagne. Noter que la forme Nouveau-Hampshire apparaît sur de vieilles cartes françaises.

NOUVELLES-HÉBRIDES (Nouvelles-Hébrides): Nommées d’après les Hébrides, îles écossaises. C’est aujourd’hui le Vanuatu, en Océanie.

NOUVELLE-HOLLANDE (Nieuw-Holland): Portion occidentale de l’Australie, elle abritait la colonie néerlandaise qui fit face à la colonie anglaise de Nouvelle-Galles du Sud, installée, elle, de l’autre bord du continent. Les Néerlandais prirent l’Australie en tenaille, au dix-septième siècle, et y installèrent une colonie insulaire à l’est, nommée d’après une de leurs provinces (Nouvelle-Zélande) et une colonie continentale à l’ouest, nommée d’après une autre de leurs provinces (Nouvelle-Hollande). Le nom Nouvelle-Hollande désigna même, pour un temps, l’intégralité du continent australien. Le nom fut abandonné en 1824 par les Britanniques, au profit d’Australie. Il y eut aussi une Nouvelle-Hollande en Amérique du Sud, entre 1630 et 1654. Elle fut conquise et annexée au Brésil par les Portugais.

NOUVELLE-IRLANDE (New Ireland) Une des îles de Papouasie que les explorateurs avaient pris initialement pour une partie de la Nouvelle-Bretagne. Son nom latin fut un temps Nova Hibernia, d’après Hibernia, le nom latin de l’Irlande.

NOUVEAU-JERSEY (New Jersey): Nommé d’après l’île anglo-normande de Jersey (Royaume Uni). C’était initialement des comptoirs néerlandais établis à l’ouest de la rivière Hudson, en face de l’île de Manhattan, tenue, elle aussi, par les Néerlandais au dix-septième siècle. Noter que la forme Nouveau-Jersey apparaît sur de vieilles cartes françaises.

NOUVEAU-LEÓN (Nuevo León): Nommé d’après le Nuevo Reino de León lui-même nommé d’après le Royaume de León (Espagne médiévale — royaume disparu en 1230). Le Nuevo León est un des trente-et-un états des États-Unis Mexicains. Il est intéressant de noter que le Nuevo Reino de León, le territoire administratif de l’Empire Espagnol dont cet état mexicain tire son nom actuel fut donc initialement nommé d’après un royaume européen (le Royaume de León) qui lui-même n’existait plus depuis plus de trois siècles, quand le susdit Nuevo Reino de León fut établi (en 1582).

NOUVELLE-LUSITANIE (Nova Lusitânia): Nommée d’après la Lusitanie (ancien nom du Portugal). Ce nom de Nouvelle-Lusitanie a fugitivement désigné tout le Brésil mais il s’agit en fait surtout de la Capitainerie de Pernambouc. C’est la désignation la plus rapprochée que l’on trouve pour un *Nouveau Portugal. Le nom Brésil s’est cependant imposé tôt, en fait, renvoyant aux essences d’arbres qu’on pouvait extirper de ce territoire.

NOUVEAU-MEXIQUE (Nuevo México): Le Nouveau-Mexique moderne, qui est un état américain, n’est pas nommé d’après le Mexique moderne (qui lui-même prend ce nom en 1821). Les occupants espagnols du Vieux Mexique (désignation qui existe aussi, mais qui est rétrospective) tenaient en sujétion les mexicains (mexicas, c’est-à-dire les Aztèques). Ils crurent qu’au nord du vieux pays mexicain, de l’autre bord du Rio Grande, se trouvaient de nouveaux territoires aztèques ou mexicains, opulents et disponibles. Ils parlèrent donc, dès 1563, d’un Nouveau-Mexique. Ils n’y trouvèrent aucun Aztèque mais le nom resta.

NOUVELLE-NÉERLANDE (Nieuw-Nederland): Entre 1614 et 1674, une importante colonie néerlandaise (capitale: La Nouvelle-Amsterdam) se trouvait dans les états actuels de New York, du New Jersey, du Delaware (et partiellement en Pennsylvanie et au Connecticut). On parlait usuellement de New Netherland en anglais mais plutôt de Nouvelle-Hollande en français (à ne pourtant pas confondre avec les colonies du même nom en Australie et au Brésil). Les noms latins de cette colonie sont assez intéressants aussi: Nova Belgica ou encore Novum Belgium. Les anglais la combattirent rudement et la rayèrent définitivement de la carte coloniale en 1674.

NOUVELLE-PROVIDENCE (New Providence): Île des Bahamas qui s’appelait initialement Providence et qui fut renommée New Providence pour la distinguer d’une île nicaraguayenne portant elle-même le nom de Isla de Providencia et qu’on appelle parfois, rétrospectivement, en anglais Old Providence.

NOUVEAU-QUÉBEC (Nouveau-Québec): C’est l’ancien nom de l’immense territoire nord du Québec, utilisé notamment avant que le Labrador ne soit unilatéralement annexé à Terre-Neuve en 1927. Ce nom a fini par disparaître au profit de Nunavik.

NOUVELLE-SUÈDE (Nya Sverige): C’était une colonie suédoise qui s’installa en 1638 dans l’embouchure de la rivière Delaware. Les Suédois eurent une notable présence américaine dont le fait d’arme le plus spectaculaire est celui d’avoir été le premier envahisseur euro-américain à acheter officiellement l’île de Manhattan à la nation aborigène locale pour une pile de sacs de blés. Au Delaware, la Nouvelle-Suède disparut quand elle fut absorbée par la Nouvelle-Néerlande, en 1655.

NOUVELLE-YORK (New York): Nommée d’après York, siège du comté du Yorkshire (Angleterre). On fera observer qu’ici, on nomme d’après un bled et non d’après un comté (autrement, on aurait eu *New Yorkshire comme on a eu New Hampshire). Noter que la forme Nouvelle-York apparaît sur de vieilles cartes françaises. Je retiens ce nom de ville ici parce qu’il est aussi le nom d’un état américain majeur, l’ancien cœur de la Nouvelle-Néerlande. Après avoir été pris, une première fois, aux Néerlandais, en 1667, le territoire fut alloué par le roi d’Angleterre au duc d’York.

NOUVELLE-ZÉLANDE (Nieuw-Zeeland): Nommée d’après la province de Zélande (Pays-Bas). Ce duo d’îles pris initialement par les Néerlandais, au dix-septième siècle, puis conquis par les Britanniques est aujourd’hui un pays d’Océanie. Notons qu’il porte aussi un nom maori: Aotearoa.

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Alors maintenant, parlons d’abord des phénomènes marginaux ou anecdotiques. Ce sont les cas où le terme NOUVEAU catalogue un territoire limitrophe, auquel il faut faire allusion pour implicitement l’annexer ou s’en démarquer: Nouveau-Mexique, Nouvelle-Providence, Nouveau-Québec. C’est Nouvelle-Providence qui est le plus anecdotique des trois, l’île ayant, en plus, été renommée en se faisant ajouter le qualifiant Nouvelle. D’autre part, la Nouvelle-Guinée est un cas unique aussi, carrément bizarre et incongru, puisque la Papouasie y est littéralement donnée comme une version littéralement nouvelle de la Guinée, pour des raisons dont l’ethnocentrisme est patent. L’état mexicain du Nuevo León se rapproche, quant à lui, du modèle dominant (se nommer d’après un territoire européen dont on revendique l’héritage) mais il est marginal, voire incongru, vu que son désignatif renvoie à un royaume qui était déjà disparu depuis des siècles, au moment de la dénomination initiale. En retirant ces cas marginaux ou anecdotiques, on se rapproche de la fonction symbolique et sémiologique stable du désignatif NOUVEAU ou NOUVELLE QUELQUE CHOSE qui est de nommer d’après un territoire européen contemporain de la dénomination, choisi, dans le terroir du colonisateur, pour sa charge symbolique (générale ou particulière) et ce, en toute ostensible indifférence envers les réalités toponymiques et ethnoculturelles locales.

Arrivons-en alors aux espaces coloniaux mondiaux où a fleuri le NOUVEAU. La démarcation est ici criante. Rien en Afrique, rien en Asie et, évidemment, rien en Europe. Les deux cibles de choix pour ce mode très particulier de toponymie invasive furent quasi exclusivement l’Océanie et les Amériques. Voyons d’abord la première (je ne parle plus des cas atypiques déjà mentionnés au paragraphe précédent). L’Océanie hérite de: Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Galles-du-Sud, Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Hollande, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Zélande. Mazette, le beau cas! On a ici que des noms de provinces, de régions, ou de sous-régions. Aucune grande entité nationale colonialiste d’époque ne semble avoir souhaité se renouveler en Océanie.

Et nous atterrissons finalement devant le terrain de jeu privilégié du NOUVEAU: le ci-devant Nouveau Monde. Alors donc, dans les Amériques, on retrouve, en pagaille, comme pour l’Océanie, des noms de provinces, de comtés, de région, ou de sous-régions: Nouvelle-Bretagne, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, New–Hampshire, Nouvelle-Hollande, New-Jersey, New-York. Il s’agit encore, massivement, de dénommer selon le terroir anecdotique d’origine de telle ou telle figure coloniale.

Mais finalement, on va constater que les six grands occupants euro-américains ont tous été prêts à ouvertement (et souvent fort anciennement) engager le nom prestigieux de leur espace national strict dans une dénomination Nouveau-quelquechosesque désignant (exclusivement ou non, principalement en tout cas) leurs possessions américaines. Cette toponymie sciemment néonationale concernera donc, par ordre croissant de puissance: les Suédois (Nouvelle-Suède), les Néerlandais (Nouvelle-Néerlande), les Français (Nouvelle-France), les Portugais (Nouvelle-Lusitanie), les Espagnols (Nouvelle-Espagne), les Anglais (Nouvelle-Angleterre). Six occupants euro-américains sur six ont donc choisi de porter ce coup toponymique aussi hasardeux que majeur et fumant, avec le nom de leur cher pays. Il n’est pas spécialement évident qu’ils se soient singés entre eux, en plus, mais allez savoir… En tout cas, sur cette question dénominative, tout le monde est logé à la même enseigne. Voilà un autre indice, si nécessaire, du fait que le colonialisme euro-américain, c’est ôte toi de là que je m’y mette, kif-kif bourricot, du pareil au même et que passer d’une nation à l’autre, en ces matières, c’est jamais que chipoter dans les nuances du crime. Il est quand même passablement spectaculaire de mater ce fait incroyablement stable et cela oblige à finalement regarder en face la fonction sémiologique radicalement effective de cette dénomination de Nouveau Monde: nier explicitement qu’il y ait eu quelqu’un d’autre qui vivait là avant.

Cette propension effaceuse et négatrice (le fin du fin de l’ethnocentrisme, vous ne me direz pas) va tapageusement se perpétuer quand les puissances coloniales vont, en plus, se mettre à se trucider entre elles. Éliminée la Nouvelle-Suède, plus rien de nouveau ne subsiste. Éliminée la Nouvelle-Néerlande, on troque New-Amsterdam pour New York et on continue. Dépecée la Nouvelle-Espagne et Mexique, Californie, Arizona, Texas etc prennent leur place, chacun dans son coin. Dépecée la Nouvelle-France et l’Acadie se trouve submergée de Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Écosse (toujours pour nier qu’il y avait quelqu’un là avant). Reste finalement au sommet du tas, la Nouvelle-Angleterre, ni plus fine ni moins fine que tous les autres, seul nouveau colonisateur disposant encore du lieu-dit néonational le désignant dans les Amériques. Parlant.

On mentionnera en conclusion, crucialement, les manifestations de résistances culturelles qui commencent solidement à pointer face à tout ce faux nouveau. Des territoires plus anciens recouvrent leur nom d’origine ou le revendiquent: Acadie (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse auxquels s’ajoute l’Île-du-Prince-Édouard), Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Kanaky (Nouvelle-Calédonie), Nunavik (Nouvelle-Bretagne, Nouveau-Québec), Papouasie (Nouvelle-Guinée), Vanuatu (Nouvelles-Hébrides). Que dire de plus?…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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La laïcité, otage de notre ethnocentrisme

Posted by Ysengrimus sur 7 avril 2019

Le projet de loi 21 sur la laïcité est sur le point d’être soumis â l’Assemblée Nationale du Québec. Il prévoit que le port des ci-devant signes religieux sera interdit pour les employés de l’état en position d’autorité, comme les policiers, les juges, les gardiens de prisons, et les enseignants des écoles primaires et secondaires. Dans les faits, c’est le redémarrage en trombe du bon vieux harcèlement institutionnalisé des femmes voilées. Les 7 du Québec vont vous formuler ici, une bonne fois, leur position éditoriale sur cette question.

Lâchez-moi avec les figures d’autorité. Ce projet de loi inique postule de façon axiomatisée et sans contrôle, la notion autoritaire de figure d’autorité. Le pléonasme s’impose parce que l’autorité est une notion qu’il est fort malsain de postuler sans contrôle. Un policier n’est pas une autorité pour moi. C’est un type particulier de fonctionnaire civil, membre d’un corps constitué et chargé d’un certain nombre de fonctions de protections (d’ailleurs souvent abusées — les policiers sont les Pinkertons de la bourgeoisie, tout le monde le sait). Un juge est un agent de diffusion et d’imposition du droit bourgeois. Son pouvoir n’a rien à voir avec de l’autorité, au sens fondamental du terme. Une enseignante fait partie d’un appareil idéologique d’état dont l’autorité est inexistante (barouettée qu’elle est entre une bureaucratie scolaire trouillarde et des parents hélicoptères arrogants et arrivistes qui passent de plus en plus leur commande de pizza en traitant l’école comme une sorte de structure de gardiennage inféodée à leurs propres fantasmes autocrates). Mon hygiéniste dentaire, mon infirmière de première ligne et Robert Bibeau (directeur des 7 du Québec) ont plus d’autorité sur moi que tous ces guignols. La première parce que sa parole a une influence directe sur la qualité de mes dents, la seconde parce que sa pensée a une incidence profonde sur le tonus de mon corps, le troisième parce que sa vision du monde et son ascendant intellectuel influent mes conceptions, et mon action en conséquence. La notion inepte de figure d’autorité de ce projet de loi est un comédon bourgeois, solidement tributaire des dérives anti-démocratiques contemporaines les plus virulentes.

Le signe religieux, notion vaseuse. J’ai démontré ailleurs que le voile n’est pas un signe religieux. J’ai aussi fait observer que le kirpan est, lui, un signe religieux et qu’il est nuisible non comme signe religieux mais bien comme arme offensive. On ne va pas revenir là-dessus. C’est ici, juste ici, que notre ethnocentrisme s’installe confortablement, comme un pacha vautré sur son lit d’évidences bouffies. Sans analyse, ethnographique, historique ou autre, et du haut de notre chaire bien pensante de petit occidental étroit, on décrète implicitement que l’objet visible ceci ou cela (toujours d’origine exotique — ceci NB, les crucifix passent habituellement sous le radar) est un signe religieux. Pourtant, quand on donne vraiment la parole aux musulmanes, elles nous expliquent bien souvent que le voile est porté pour des raisons ethnoculturelles procédant assez fréquemment de la pudeur élémentaire. Mais nous, sourds ne voulant rien entendre, on décrète plutôt, dans le mouvement, le statut de signe de ces différents artefacts vestimentaires. On les traite alors comme on traiterait le macaron d’un militant politique ou la pancarte d’un homme-sandwich. Cettte sémiologisation de l’exotisme vestimentaire est un pur ethnocentrisme déguisé, rien de plus. On en revient, assez ouvertement, à la vieille logique de l’uniforme. On réintroduit des particularités unilatérales de conformité d’apparence, vieille lune réactionnaire que l’on croyait définitivement disparue de nos sociétés depuis les patatras juvénilistes des belles années yéyé. Nous sommes donc en train de solidement régresser sur un des droits de la personne le plus profond, celui de la tenue vestimentaire, qui procède de l’intimité corporelle longtemps, très longtemps avent de procéder des cultes. L’indice le plus criant qu’il n’y a rien de théologico-mystique dans tout ceci et que tout y procède en fait de la vie ordinaire la plus prosaïque, est révélé par le fait que ce sont principalement les femmes qui font l’objet d’attaques sur ceci. Ben oui… dans nos cultes patriarcaux malodorants, les femmes ne sont jamais des curés ou des imams, vous aviez pas remarqué? Elles ne sont jamais que des citoyennes ordinaires. Et, de tous temps, la résistance des femmes s’est manifestée dans l’intendance de leur apparence physique. Et de tous temps, elles ont été attaquées sur ce point par le phallocratisme classique. Ce type d’attaque et de traitement en bouc émissaire se perpétue aujourd’hui, tout simplement. Or, où sont nos féministes quand il s’agit de défendre le libre arbitre vestimentaire de nos compatriotes musulmanes?

Blâmer le Canada anglais. Nos compatriotes québécois du cru, eux, surtout ceux d’obédience droitière, se gargarisent dans les nuances byzantines du multiculturalisme et de l’interculturalisme. Cette distinction, creuse et verbaliste, est un moyen malsain pour nos compatriotes du cru d’accuser le Canada anglais d’être trop permissif et de nous imposer un laxisme communautariste que serait anglo-saxon, et dont nous ne voudrions pas, par essence. C’est la vieille analyse voulant que le Canada anglais se serve perfidement des immigrants pour nous assimiler et nous emmerder. Il va falloir se réveiller et sortir un petit peu de nos lubies victimaires d’autrefois. L’occupant colonial canadien (copieusement méprisable d’autre part — là n’est pas la question) nous impose quoi finalement: une charte des droits assortie d’un solide mécanisme de clause dérogatoire. Ce mécanisme permet, sur des questions fondamentales, à une province de déroger de la charte des droits pour des raisons procédant, disons, des intérêts supérieurs de la nation (ici, la nation québécoise). La clause dérogatoire est ici automatiquement déclenchée au sein même du libellé du projet de loi 21. Autrement dit, le toutou rouge et blanc anglo-canadien va devoir rester à la niche et ne pourra pas nous imposer sa logique multiculturaliste disjointe de la nôtre (si disjonction il y a, tant que ça). Alors cessons de blâmer le Canada anglais. Il est hors du coup sur ce coup. Par contre, nos nationaleux petits-bourgeois vont devoir allumer leurs lumières sur un point. C’est que le Québec a, lui aussi, sa propre charte des droits fondamentaux, amplement singée sur celle du Canada anglais. Dans sa logique bourgeoise, aussi implacable qu’inepte, la nation québécoise ne pourra pas invoquer une clause dérogatoire contre sa propre charte des droits. C’est pas possible, c’est la nôtre, l’occupant colonial n’a rien à y voir. Et ça, le gouvernement québécois ne le dit pas trop fort. Les lamentations judiciaires (car lamentations judiciaires il y aura, sur le moyen et le long terme) n’auront qu’à s’appuyer sur une interprétation juridique de la charte québécoises des droits et libertés, sans que les anglo-canadiens n’aient rien à y voir. Le problème droit-de-l’hommiste de toute cette question reste donc entier. Même avec le Canada anglais hors du coup, la bombe à retardement des tribunaux reste entièrement amorcée.

Déréliction ou polarisation? Alors, revenons au hockey de base, comme on dit si bien chez nous. Que voulons-nous, dans toute cette histoire? Ethnocentrisme et malhonnêteté intellectuelle à part, à quoi aspirons-nous? Eh bien, notre petit consensus historique local est qu’on s’est assez fait mourir le cœur à sortir les curés du Québec (qui régnèrent, selon le modus vivendi d’une intendance théocratique coloniale typiquement victorienne, de 1840 à 1960), c’est pas pour laisser les mollah les remplacer. Ce qu’on veut, ce qu’on souhaite donc, c’est que notre déreliction sociétale, bien engagée depuis un demi-siècle, poursuive son cours tranquillement, sans se faire perturber par les effets indésirés d’une conjoncture migratoire. Il est important de comprendre ce point. Ceci n’est pas une croisade. La notion promue (hypocritement ou sincèrement) c’est la notion de laïcité, pas celle de christianité. Alors, on veut que tout le monde, immigrants inclus, découvre les vertus d’une civilisation permissive, non-cœrcitive, égalitaire, civique, et articulée en rationalité. Ce genre de programme civilisationnel (osons le mot), militant (pourquoi pas) doit se donner une méthode. Il faut, en un mot, que, graduellement, et par delà les réflexes autoprotecteurs typiques des diasporas déracinées, nos compatriotes de branches aient envie d’embrasser nos valeurs pluralistes et laïques, sereinement et sans crispation. Pensez-vous vraiment, en saine intendance, qu’une intervention autoritaire grossière et frontale de type projet de loi 21, va réaliser cet objectif? C’est de la bien mauvaise sociologie que de s’imaginer ça. On va tout simplement fabriquer des martyrs, et confirmer nos compatriotes de branches de la nécessité toxique et hautement malsaine d’invoquer l’autorité victimaire. On voulait la déreliction sereine et graduelle, on va se retrouver avec la polarisation abrupte et crispée. Ainsi, une portion significative de nos compatriotes qui auraient pu s’intégrer sans trompettes vont maintenant se braquer et résister, passivement ou activement, à notre vision du monde. C’est la perpétuation de l’Effet Drainville. Les extrémistes des deux bords vont adorer le projet de loi 21. Sa méthodologie déficiente va avoir l’effet contraire de ce qu’il affecte de souhaiter. On se prépare un bon lot d’emmerdements futurs et de radicalisations inutiles, évitables, pinailleuses, et non avenues. Il aurait fallu faire de l’extinction sur la question du voile. Il aurait fallu dire: je ne suis ni pour ni contre le voile, je suis pour le libre arbitre authentique. Ma compatriote musulmane veut garder son voile, elle a ma solidarité. Elle veut retirer son voile, elle a ma solidarité. Je l’accompagne patiemment et respectueusement dans sa réflexion intérieure, dans un sens ou dans l’autre, sans plus. Maintenant, on tourne le dos à ça. Maintenant, on prétend arracher le voile autoritairement alors qu’il suffisait simplement d’attendre qu’il tombe tout doucement de lui-même.

Ce que serait la vraie laïcité. Entre démagogie électoraliste et ethnocentrisme déguisé en grande idée, c’est pas de la laïcité qu’on aurait ici. La vraie laïcité consiste historiquement, dans nos civilisations, à retirer le pouvoir religieux des structures hospitalières (ça, c’est fait depuis l’après-guerre environ) et scolaires (ça c’est pas fait du tout). Aussi, si vous voulez un vrai projet de loi laïc, concevez-en un qui abolisse l’intégralité du financement public des écoles confessionnelles de tous tonneaux, protestantes et cathos inclues. Mieux, dans une vraie laïcité robespierriste ou léniniste, les écoles confessionnelles deviendraient tout simplement illégales et seraient démantelées au profit d’un système intégralement public et athée. On n’y est pas, au Québec. On en est loin. Or, quand on mentionne ce que serait la vraie laïcité effective à nos petits droitiers locaux, là c’est: mais les systèmes catho et protestant sont protégés par la constitution canadienne. On ne nous laissera jamais faire ça. Ah bon? Et la clause dérogatoire, elle est à géométrie variable? On est prêts à brandir le nonobstant de la clause dérogatoire quand il s’agit d’agresser stérilement nos compatriotes musulmanes dans leurs droits intimes. Mais quand il serait temps de mettre en éclisse les vraies structures malodorantes de propagande religieuse que sont les réseaux scolaires confessionnels, là, il y a plus personne, et surtout, plus de courage politique pour invoquer la susdite clause dérogatoire en faveur d’une vraie laïcité systémique. Alors lâchez-moi ici avec la laïcité, notion d’ailleurs empruntée tardivement aux français et fort mal dominée localement (on leur a piqué le mot sans assumer vraiment, comme ils le firent, la radicalité de la chose). La soi-disant laïcité, au nom de laquelle nous sautillons tous comme des cabris, n’intéresse pas vraiment nos gouvernementaux. Elle est ici tout simplement l’otage de notre ethnocentrisme, rien de plus.

Le capitalisme raffole des chicanes sociétales. Le projet de loi 21 est une ineptie d’un mur à l’autre. Il ne rencontrera pas ses objectifs (réels ou proclamés) et il va foutre la division, sans plus. Or, quand vous perpétuez des divisions de ce type dans une société de classe, c’est la majorité des masses que vous divisez contre elle-même. Or diviser les masses, dans les sociétés industrielles et post-industrielles, c’est diviser le prolétariat, toujours. Le capitalisme raffole de ce genre de chicanes sociétales. Tour le monde perd son temps avec ça, s’empoigne, chichine, monte au front en tous nos militantismes de toc, et rien n’avance pour ce qui en est de la seule lutte utile sous nos deux hémisphères: la lutte des classes. Ne cherchez pas la raison de cette promotion étatique de la distraction ethnocentriste. Elle ne sert même pas les convulsionnaires droitiers qui en vibrent de travers et finiront aussi couillonnés que les autres. Ce genre de disputes de chiffonniers, au propre et au figuré, sert le Capital, rien d‘autre. C’est une agitation de somnambules qui ne prépare qu’une seule chose: des réveils difficiles.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Le Levant, segment central du Croissant Fertile

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2019

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Au Moyen-Orient, c’est de longue date qu’on distingue l’espace désertique de l’espace fertile. Il y a là une formulation géographique et géopolitique profonde aussi enracinée que celle qui fonda par exemple la mise en place de l’Europe. Les territoires du Levant, comme ceux du reste du Croissant fertile, sont devenus arabes il y a quatorze siècles, sous les califats d’Abou Bakr et d’Omar. La finalisation de la conquête de l’ancienne Syrie romaine par les Arabes eut lieu en l’an 635 de notre ère. Des tribus arabes y vivaient d’ailleurs en fait longtemps avant les premières invasions romaines. Quelques années avant la conquête de la Grande Syrie, l’Irak avait été prise aux Perses par les Arabes. Il est indubitable que le Levant est principalement de civilisation arabo-musulmane et ce, depuis des siècles. D’autres cultures y existent mais il n’y a pas à rougir de leur assigner un statut strictement résiduel (et hautement auto-légitimant pour le confusionnisme occidental, toujours soucieux de bien se faire mousser en jouant les faux arbitres de toc entre les peuples).

Le sultan turc Sélim Premier s’empare (entre autres territoires) du Levant en 1517 en vainquant les mamelouks d’Égypte. Commence alors la longue et douloureuse administration ottomane de ces populations, qui durera jusqu’à la fin de la première guerre mondiale (1918). C’est ensuite le colonialisme occidental, brutal et autoritaire, tout en la jouant moraliste et civilisationnel, qui mettra en forme les dispositifs frontaliers contemporains. La France hérite de l’intendance de la Syrie et du Liban, l’Irak et, un peu plus tard l’Arabie (devenue «Saoudite»), revenant â l’Angleterre. C’est en 1948 que le problème israélio-palestinien prendra la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Ce segment de la question est archi-connu.

La tribu arabe des Qays et celle des Yaman peuplent le Levant grosso modo depuis l’époque de la Syrie romaine. Si des conflits intestins entre ces deux grands groupes ethno-politiques arabes sont couramment rapportés au cours de l’histoire, il reste que la distinction entre ces deux tribus n’est pas si nette et qu’elle repose largement sur le folklore. Utilisées autrefois pour asseoir le pouvoir colonial, ces divisions vernaculaires ne semblent plus avoir vraiment cours et pèsent bien moins lourd que les frontières nationales dictées par le souvenir des guerres mondiales et perpétuées dans la mouvance des différents nationalismes arabes post-coloniaux (ou néo-coloniaux, c’est largement la même chose, en fait) du siècle dernier. Notons que les Assad (fils et père) et Saddam Hussein furent, en leur temps, des baasistes occidentalisants que l’Occident s’empressa pourtant de mettre abruptement dans le tordeur quand ils se mêlèrent de devenir trop ouvertement nationalistes, justement.

Il est assez patent que la mouvance politico-militaire actuelle va, elle, dans la direction d’une dissolution des frontières nationales post-coloniales, surtout de la frontière entre la Syrie et l’Irak (mais aussi la délimitation nord de l’Arabie Saoudite). La profonde sensibilité ethnoculturelle du Levant tend à formuler l’espace «national» profond comme suit. Les options militaires actuelles vont aussi dans cette direction:

 

Levant

 

L’Occident, pour des raisons oléo-impériales assez évidentes, ne peut supporter ou endosser ce genre de découpage, aussi subversif que fatal. La propagande occidentale va donc s’évertuer à désunir au maximum le Levant. Et pour ce faire elle va s’évertuer à mythologiquement le désarabiser. C’est pour cela qu’on n’entend parler, en ce moment chez nos folliculaires, que de chrétiens d’Irak, de Coptes, de Kurdes, d’Araméens et autres Chaldéens (on parle pas trop de «juifs» par contre, car cela vend très mal par les temps qui courent – des tribus juives peuplent pourtant le Levant depuis des temps immémoriaux). L’Armée islamique du Levant (qui a depuis un petit moment éjecté Al Qaïda de ses rangs) peut, d’autre part, de plus en plus difficilement être qualifiée de «terroriste». Dans le fantasme que l’Occident se construit en la matière, le «terroriste» doit apparaître comme une sorte de nihiliste, fauteur de troubles inane, tête brûlée absurdiste et intransigeant poseur de bombes (bombes posées préférablement, pour que le personnage reste un croquemitaine crédible, en Occident même). On peut difficilement traiter sur ce ton et de cette façon des conquérants besogneux et respectueux de leur hinterland qui se tiennent sagement en rangs et œuvrent à faire reculer des frontières d’autre part fort mal légitimées.

Hilary Clinton reprochait autrefois à Barack Obama de ne pas avoir assuré une présence assez ferme en Syrie, ce qui aurait permis à l’Armée du Levant d’occuper le champ laissé vide par la déplorable mollesse impériale US en cours d’essoufflement. Il est piquant de constater qu’on croirait presque entendre Ronald Reagan faisant des reproches du même genre à Jimmy Carter au sujet de la Révolution Islamique d’Iran, circa 1979-1980. Madame Clinton et Monsieur Obama sont-ils toujours du même parti? L’avenir électoraliste ricain nous le dira. Il faut bien dire que l’Armée du Levant pose des problèmes byzantins (il fallait que je la fasse) aux interventionnistes américains. Contre Al Qaïda, contre le Hezbollah et l’Iran (qu’elle considère comme ses principaux ennemis régionaux, plutôt qu’Israël), contre l’autorité d’Assad sur la Syrie, critiques du sectarisme étroit des dirigeants irakiens actuels (avec lesquels les américains ont aussi eu des mots), l’Armée du Levant, de par sa nouvelle donne un peu holistique, n’était pas exempte de charmes pour l’administration américaine mijaurée, hésitante et anti-belliciste d’Obama. Évidemment, pour l’instant, les réflexes impériaux jouent au quart de tour contre ces ci-devant «djihadistes»: protection compulsive des frontières saoudiennes, maintient réflexe de la partition Irak-Syrie, perpétuation sentimentale du Liban et, évidemment, tenue à bout de bras du sacro-saint dispositif Jordanie-Palestine-Israël-Gaza-etc. Mais il est clair que les cartes sont en train de sérieusement se rebrasser et ce, d’une façon originale et, pour une fois, pour faire changement, potentiellement restabilisante. Les américains vont y penser. Ils ne vont probablement pas agir dans la bonne direction pour l’instant mais ils vont sourdement y penser. La logique du Levant est en train ni plus ni moins que de leur coller un sacré frelon dans la tête.

C’est que ladite logique du Levant est assez imparable. Elle s’assoit sur des fondations historiques, culturelles, ethnologiques et géopolitiques qui s’imposent à l’esprit finalement assez naturellement. L’opinion mondiale est lasse des guerres de théâtre, du post-colonialisme mal déguisé, du Moyen-Orient déstabilisé et du sempiternel abcès israélo-palestinien. Si des dirigeants pondérés, industrieux et articulés, peuvent se lever au Levant, il va vite se trouver des hommes et des femmes de bonne volonté pour juger, en conscience, qu’ils méritent leurs chances bien plus que bien d’autres qu’on tient à bout de bras depuis des années et qui ne font que de la merde. C’est original, c’est rafraîchissant, c’est novateur, c’est fertile… et c’est vraiment une affaire à suivre.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam et nous, les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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