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Archive for mars 2014

De l’écriture non-figurative à l’écriture semi-figurative, ou encore: Du néo-figuratif en poésie

Posted by Ysengrimus sur 21 mars 2014

Raoul Hausmann - KP'ERIOUM, Poème optophonétique, 1918

Raoul Hausmann – KP’ERIOUM, Poème optophonétique, 1918

Voici KP’ERIOUM. Ce renommé poème graphique du célèbre Dadasophe Raoul Hausmann (1886-1971) va me servir de point de départ critique ici face à une petite confusion dont j’accuse un peu tendrement (mais en l’aimant toujours tout aussi tendrement) notre Tristan Tzara national, le poète gutturaliste-non-lettriste Claude Gauvreau (1925-1971) dit l’Épormyable. Dans un entretien télévisuel en noir et blanc d’autrefois, Gauvreau nous annonce ceci:

Ma poésie repose sur l’image. Évidemment, c’est une image non-figurative. Comme dans les tableaux non-figuratifs, on a une image concrète qui est non-figurative. C’est-à-dire que, dans ma poésie, ce que j’exprime exprime une réalité singulière concrète.

Claude Gauvreau, en 1970, sur le plateau de l’émission Femme d’aujourd’hui, cité dans le documentaire de Jean-Claude Labrecque (1974), Claude Gauvreau, poète, Office National du film, Canada, 17:16-17:36.

Gauvreau parle (au nom de) Gauvreau ici. En effet, pour moi vouloir parler d’une image non figurative, c’est tout simplement comme vouloir parler d’un cercle carré ou de l’eau sèche. Spinoza appelait cela une chimère verbale. Je sers donc à mon respecté compatriote (qui est un des poètes québécois les plus novateurs de la seconde moitié du siècle dernier), la réplique suivante, toute poétique, servie l’autre fois à Paul Éluard:

CHIMÈRES VERBALES
 
Si la terre est bleue comme une orange,
Il va falloir ipso facto que je m’arrange
Pour me faire
Refaire
Une paire
De lunettes,
Monsieur Éluard,
Sans vouloir
Vous parler bête.
 
C’est comme la mouche infinie de Spinoza.
Je ne l’ai pas trop entendue bombiner par là.
Et le cercle carré
De ma prime jeunesse
Il est passé
Dans le même tuyau que l’eau sèche.
 
Une chimère verbale, c’est bien ronflant,
Bien percutant
Mais bon, la poéticité qu’on en dire,
Je dois dire
Qu’elle me rend passablement
Somnolent.
Exiger que je fasse autrement,
Ce serait un peu de me demander
De pousser
Quand je tire.
 
Tiens, ça me rappelle une boutade un peu ridicule
Sur ce cultivateur dont le cheval, très fort, devint fou
Car, portant le nom du mythologique héros,
Il se faisait dire: Avance Hercule
Par le maître qui l’avait ainsi dénommé,
Et passablement dérouté
Itou.
 
La chimère verbale, au mieux, c’est une provoque.
Au pire c’est une aporie,
Dont le sens est opaque, tout gris
Comme le souffle d’une cheminée
Essoufflée, qui suffoque
Et qui ne tire pas sa référence.
 
Avant que je n’entre en transcendance
De par la faiblarde équivoque
D’époque
Que la chimère verbale évoque,
Le Pain de Sucre de Rio
(Qui est un roc)
Sera devenu rance…

Tiré de Paul Laurendeau, L’Hélicoïdal inversé (poésie concrète), 2013.

Le travail poétique de Gauvreau et sa réflexion sur l’art ne se trouvent en rien court-circuités par ce petit moment d’humeur en vers que je viens de vous livrer. Il s’en faut, alors là, de beaucoup. Car, comme il existe de la peinture non-figurative, il existe bel et bien de la poésie non-figurative. Le texte KP’ERIOUM en est un exemple. Évidement, les petits subtils me diront que ce panneau textuel représente figurativement des lettres majuscules et minuscules dans des polices distinctes, concrètes et dénommables, dont on perceptualise l’image mentalement de façon stable. Ma réponse est qu’il le fait bel et bien, mais il fait cela en tant que calligraphie, donc picturalement, pas linguistiquement. Il est donc figuratif comme tableau, pas comme poème… Ce panneau, culturellement inséparable de son printing spécifique (contrairement, de fait, à un vrai texte écrit) est un dessin plus qu’un texte. Si on demande dans quelle langue est écrit KP’ERIOUM, il n’y a pas plus de réponse ou de validité à cette question que si on se demandait dans quelle langue sont écrits Les Demoiselle d’Avignon ou Potato Head Blues. Pour bien buriner cet argument, on va esquinter KP’ERIOUM encore un peu plus, si possible, en le tirant vers ce linguistique qu’il ne livre initialement pas. On va, sans rougir, le philologiser (l’éditer comme texte). D’abord, sur la foi de certaines formes qui sonnent français dans le texte (comme padanou ou noum – inutile de dire qu’elles ne sonnent pas que français), on va présumer que ce texte est écrit «en français» et non dans une langue étrangère que, dans l’acte à la fois de la plus grande poéticité non-figurative et du plus ordinaires et tristounet de tous les malentendus linguistiques, on ne comprendrait pas… On va ensuite, délaver ce poème «français» de toutes ses particularités picturales-typographiques. On va le servir en monochrome typo en reprenant son ordre de présentation par lignes et en accusant ces lignes par une simple lettre majuscule d’ouverture formant lettrine, le reste du texte tombant en minuscules et à police typographique constante. Les espaces entre groupes de lettres deviennent tout naturellement des blancs circonscrivant les «mots» du poème. Rien de sorcier, nous y voici (comme tout philologue qui se respecte, on assume nos hésitations et on les signale):

KP’ERIOUM   [les commentaires entre crochets ne font pas partie du poème]

Kp’erioum    Lp’er   ioum
Nm’   periii   per   no   noum [ce segment est incertain]
Bpretiberreeerrebeee
[la superposition de lettres identiques en indice/exposant est transposée en succession]
Onnoo   gplanpouk
Konmpout   perikoul
Rreeeeeeee   rrrr [incertain]   eeeea
Oapaerrreeee
Mgl   ed   padanou
Mtnou   tnoum   t

Raoul Hausmann, KP’ERIOUM, Poème optophonétique, 1918.

Ceci fait, on peut maintenant dire, toujours sans rougir, ni faillir, ni trembler, ni se dégonfler, que le texte KP’ERIOUM est UN TEXTE NON-FIGURATIF. Cela signifie simplement qu’il est impossible de lui assigner une signification globale (de texte) ou partielle (de mots) en l’état. Ces suites de sons ou de lettres sont sciemment sans sémantique. Il ne leur existe pas de sens ou de référence inter-subjectivement stabilisables. La poésie lettriste (on reviendra plus bas sur les vues de Gauvreau la concernant) a produit ce genre de texte non-figuratif. Ce faisant –et il n’y a rien de mal là-dedans– elle a tiré le textuel en direction du pictural (et corrolairement de l’écrit – pour lire verbalement de la poésie lettriste, ben, euh, faut se lever de bonne heure)…

Pour le bénéfice de la suite de la démonstration, on va maintenant exploiter KP’ERIOUM comme déclencheur d’écriture poétique. On va s’imaginer (de façon sereinement délirante, élucubrante pour ne pas dire carrément canulardière) que cette combinaison de lettres de 1918 est une sorte de sténo ou de crypto-code pour un autre texte. Cette fausseté factuelle va nous permettre d’inventer un texte à partir du panneau d’origine du Dadasophe, en traitant les combinaisons de lettres d’origine comme des abréviations et/ou des paronymies encryptant le texte à naître (le déclenchant, en écriture automatiste ou semi-automatiste, en fait). Mon résultat (tout personnel) est le suivant:

KAPPA  RIOUX  MITAN
 
Kappa Rioux, le compoterium se loue lupus en pierre en chiourme
Nommé périr permis percolémissif non mais l’estompe
Barrir pourrir pour l’éléphant tiberrichon d’annerré d’espérit  hé bé té tiré scié chié
On non (con)note au Nigog planqué le plan aimé d’Anouk
Le kokon mire un pou tire-pousse ni péril de koudre licol
Raréfier et élever la rareté des épées d’hésiter erreur erreur d’errer dans l’Astral
Or agape ni apparte appartenir à l’errance des arrhes éthers
Magali éditons pagayons dans la danse d’Anouk
Au mitan de nous tu nous mis tant.

Il est d’abord important de noter que si j’envoyais KP’ERIOUM à tous les lecteurs et les lectrices d’Ysengrimus en leur disant: Écrivez un poème à partir de ces segments de lettres comme s’ils étaient la sténographie ou un crypto-code d’autre choses. NB: vous n’avez absolument pas à justifier ou à expliquer le décodage (ou tout autre mécanisme créatif) vous ayant mené de KP’ERIOUM à votre produit fini… Eh bien, je me retrouverais avec autant de résultats qu’Ysengrimus a de lecteurs et de lectrices. Je vous annonce ensuite que KAPPA RIOUX  MITAN est UN TEXTE SEMI-FIGURATIF. Il combine des effets de sens et d’images très forts avec du texte non-référentiel, des sons, des phonèmes. Il subvertit la syntaxe et de fait perturbe la lecture conventionnelle sans pour autant basculer dans de l’intégralement illisible ou inintelligible. Il ne raconte pas une histoire bien définie (quoiqu’on puisse en imaginer une ou plusieurs) mais ne bascule pas dans l’intégralement lettriste non-plus. Ceci est, typiquement, le genre de texte poétique que Claude Gauvreau produisait et, si je m’autorise à corriger/rectifier son propos de tout à l’heure, en linguiste, ce qu’il décrivait comme une image non-figurative porterait mieux le nom d’image non-narrative ou d’image non-descriptive. Des images, de fortes images visuelles, jaillissent, comme autant de pops! sémantiques, de chamarres, de marbrures, de zébrures, elles maculent le texte, le poisse, le lacèrent, mais un propos nunuchement figuratif ne nous est pas tenu, une historiette ne nous est pas effectivement  racontée. C’est justement de cette référence ordinaire un peu neuneu (propos, historiette) que le courant poétique dont Gauvreau se réclamait aspirait à faire la corrosion (J’évite ici le mot de subversion que Gauvreau n’aimait pas, le considérant un «concept réactionnaire». Par contre, j’utilise ce mot plus bas, sans bretter plus avant, au sein de mon propos personnel, car le réactionnaire, il est bien là: c’est l’onctueux conformisme ambiant qui ânonne le texte en décodage unilatéral. Il faut donc bien continuer de s’affliger à le décrire et à sereinement promouvoir ce qui le transgresse).

Poussons l’affaire d’un cran en avant et envoyons maintenant aux lecteurs et lectrices d’Ysengrimus ou à leurs semblables la consigne suivante: Écrivez un texte narratif (récit) ou argumentatif (démonstration) ou mixte (narratif ET argumentatif) à partir de ces segments de lettres comme s’ils étaient la sténographie ou un crypto-code d’autre choses. NB: vous n’avez absolument pas à justifier ou à expliquer le décodage (ou tout autre mécanisme créatif) vous ayant mené de KP’ERIOUM à votre produit fini… Ces consignes, admettez le avec moi, sont quand même mille fois plus marrantes que celles de l’OULIPO. Voici donc, toujours construite canulardièrement à partir de la crypto-sténo qu’on s’imagine KP’ERIOUM être, ma petite historiette tristounette (c’est un mixte, argumentatif-narratif):

KARL NOUS TUE

Karl, le compère qui coordonne notre organisation humanitaire, de fait, perd le sens de l’organisation humanitaire, Énumérer et dénommer les périls et les pertes en permanence laisse beaucoup de ressentiment. Cela étire la bernique errance et encourage l’écoeurement.

On avait initialement un plan, un grand plan qui, certes, était un peu le souk mais bon… Soudain, Karl se pose en omniscient et le plan est kapout. Je crois que le péril qui menace notre organisation, c’est Karl. Redire, répéter, réitérer, rappeler que ça va mal, cela nous mine. On peut pas dire que la perspective s’en trouve embellie d’emblée. Cette mégalomanie de l’époque de nos débuts n’est pas dans nous intrinsèquement. Montrez-nous et taraudez en nous le moyen de TENIR.

Ceci est UN TEXTE FIGURATIF. On peut aussi dire, sans complexe, un texte en langage ordinaire. Il signifie, relate, raconte, rapporte, argue. Il est dotée d’un macro-sémantique (sémantique de texte) et d’une micro-sémantique (sémantique de mot, dite aussi sémiotique). Chaque mot d’ailleurs est employé dans son sens usuel et, sans être totalement absentes, les arabesques stylistiques sont réduites à un minimum rendant le propos acceptable comme texte indubitablement ordinaire. Son caractère fictif ou réel n’est pas un enjeux à ce point-ci (Qui est Karl? Qu’est-ce qu’il fout vraiment? On s’en tape). On voit donc qu’on a trois niveaux très nets dans la figuration pouvant se construire ou se déconstruire avec des textes. Le niveau NON-FIGURATIF (Kp’erioum), le niveau SEMI-FIGURATIF (Kappa Rioux mitan), et le niveau FIGURATIF (Karl nous tue). Je ne vois vraiment pas comment on pourrait décrire les choses autrement. Inutile de dire que, dans les textes modernes de toutes natures, ces trois niveaux tendent désormais toujours un peu à se mixer entre eux lors de la production.

Disons un mot de la susdite production, justement. L’exercice auquel je viens de vous convier est, en fait, le contraire diamétral de comment la poésie semi-figurative des cent dernières années s’est effectivement engendrée. Partir d’un texte non-figuratif (type KP’ERIOUM) pour produire un texte semi-figuratif (type KAPPA  RIOUX  MITAN) et/ou un texte figuratif (type KARL NOUS TUE) n’est pas la façon dont les choses se sont effectivement faites en poésie concrète à partir, disons, du début du siècle dernier. Quand elle se construisait sur la base d’un texte pré-existant (ce qui n’est qu’une procédure d’engendrement parmi des centaines d’autres, en poésie semi-figurative, produite de façon automatiste ou non), la poésie exploratoire à visée semi-figurative a plutôt eu tendance à faire passer le texte du figuratif au semi-figuratif (nous, on vient de faire tout juste le contraire, passant du non-figuratif au semi-figuratif et/ou figuratif). Cette tendance, historiquement attestée et qui n’est absolument pas une contrainte absolue (juste une tendance empiriquement observée since then…) la joue comme en rencontrant la consigne suivante (je la formule en assumant désormais que vous êtes familiers avec les distinctions que j’ai introduit): Écrivez un poème semi-figuratif à partir d’un texte narratif (récit) ou argumentatif (démonstration) ou mixte (narratif ET argumentatif – ici ce point de départ sera le texte KARL NOUS TUE) comme s’il fallait le brouiller, en dériver, le déchiqueter, l’esquinter, le corroder, le subvertir. NB: vous n’avez absolument pas à justifier ou à expliquer le cheminement, le travail de dérive, le bizounage pataparonymique (ou tout autre mécanisme créatif) vous ayant mené de KARL NOUS TUE à votre produit fini… Voici alors mon résultat:

KARAKALLA  ET  ORNICAR

Karakalla, la compote se contorsionne nonono canoa opposition égalitaires, essai des sens septisemés en oppositions égalitaires. D’éléphant d’annellé d’espérit péripathétique pépette pertinence jactance flaciseté qu’éléphant, rosard blanc. Lola, Martine, Monique, vos robes flacottantes en l’étuve et dans le vent. Cela étire la bernique errance et encourage l’écouragement.

Ornicar à salamant plaplapla de flan. Engrangeons nos graines de dissertes à fond de cales de bantouk pour les gibbons… Vlan, Karakalla or ni pose pause non au KKK chirgie. Ra péripéti pripathé an cas Karakalla. Redingote déçue-épite, aérémitée, emballécépliée que ce sarreau se noircisse à l’encre de Chine. Raplapla de rappeler que le parterre sent, s’ouvres, putrifie et sera soldé. Castaga et melon imparti qui irise ironique les danse de l’Ithaque incadescent. Mornifle et monégasque bastarache veuillez frotter vos marimbas en nos appartenirs.

C’est en travaillent dans cette direction là, par exemple, que Raymond Queneau a produit les cent (100) récits de ses fameux Exercices de style (1947), construits à partir d’une narration figurative anecdotique originale. La règle oulipiste ou pata-oulipiste invitant à remplacer chaque mot lexical d’un texte figuratif par son prédécesseur ou successeur du dictionnaire, pour allègrement en barboter la signification initiale, procède du même type de dynamique. Les observations de Claude Gauvreau nous obligent ensuite à faire un petit ménage pour bien distinguer entre texte automatiste, texte concret, texte semi-figuratif et la somme touffue de leurs corollaires et antonymes. Ils sont en intersection. Cela demande clarification. Il importe, pour arriver à une telle clarification, de bien établir dans quel angle on regarde le texte qu’on analyse ou qu’on produit. Trois distinctions s’imposent alors.

1) En regardant le texte dans l’angle de sa production, on distingue les TEXTES RÉVISÉS des TEXTES AUTOMATISTES. Un texte automatiste, dans son principe, c’est juste un texte produit dans la spontanéité (digressante ou non) du moment, sans révision. On ne le corrige pas. Il sort et ensuite il est, tel quel. On appuie sur le bouton et il part. Inutile de dire que, de nos jours, il nous est donné de lire des texte automatistes qui ne sont pas nécessairement semi-figuratifs ou non-figuratifs (bon nombre d’échanges sur blogues journalistiques sont dans cette situation. Ils sont du langage ordinaire mais ne peuvent plus êtres révisés une fois lâchés). Voulez-vous maintenant un superbe exemple d’écriture automatiste non-figurative dans notre vie ordinaire (sinon dans celle de Gauvreau ou de Tzara)? Vous décidez de vérifier si votre nouveau traitement de texte fonctionne correctement et, pour ce faire, vous tapez en mitraille n’importe quelles touches…

Pqowir0c[n cvpp;P[QPWMEV[OUDW,’XA’20EW9][-KA

(Je viens juste de le faire, en pitch automatiste. Il n’y a eu aucune révision de ceci. Je n’ai ajouté que l’italique et le gras).

Vous finissez alors éventuellement avec un résultat qui est passablement similaire à celui de KP’ERIOUM mais qui n’est pas placé comme KP’ERIOUM qui est, lui, par contre, très probablement un dispositif révisé. Notez, incidemment, que le caractère automatiste ou révisé d’un texte est indétectable sur le produit fini. Comme cela porte sur un acte de production, il faut observer le producteur en action et/ou prendre ses aveux sincères sur la question pour conclure au caractère automatiste ou révisé d’un texte. C’est beaucoup moins évident à dégager qu’il n’y parait et –fait capital- c’est parfaitement indépendant du genre ou du style de texte produit.

2) En regardant la portée de généralisation du texte, on distingue les TEXTES ABSTRAITS des TEXTES CONCRETS. Texte abstrait: Une idée vraie doit s’accorder avec l’objet qu’elle représente (Baruch de Spinoza). On y comprend des notions, des concepts, on en dégage des catégories générales que l’on corrèle dans un développement dont on endosse ou rejette le principe, que l’on peut même juger faux ou vrai, original ou rebattu, limpide ou abstrus, beau ou laid même, sans que rien d’ouvertement empirique ne se dégage et monte en nous, depuis le sens (explicite ou même implicite) du texte. Texte concret: La mouche est morte au clair de lune sur un vieux journal empaillé (Raymond Queneau). On voit, on sent, des percepts. Même bizarres ou distordus, ils tiennent dans notre esprit comme une photo, un film, une coupe de fruits, un aquarium, un ready made ou un dessin. C’est empirique, spécifique, charnu, ponctuel. On jouit (ou ne jouit pas) de l’image. Elle s’impose sensuellement. La distinction texte abstrait/texte concret concerne intégralement la sémantique du texte et, en ce sens, cette distinction ne peut opérer que sur du texte semi-figuratif ou figuratif. Inutile d’ajouter que des segments abstraits et concrets peuvent parfaitement co-exister dans un texte unique. Une intersection largement attestée dans toutes nos cultures entre texte concret et texte abstrait c’est le texte symbolique ou allégorique. Il y en a des tas. Le bec de rubis de la colombe de la paix picore le plastron d’or et de fer du dieu Mars (René Pibroch) est un parfait exemple de ce type d’intersection. On y retrouve des images empiriques précises, une narration concrète, visualisable, rejoignant, sans surprise abstraite, un choc de symboles culturels renvoyant à des notions convenus d’une large portée sapientiale ou argumentative.

3) En regardant le texte dans l’angle de la subversion de la figuration, on distingue alors nos TEXTES FIGURATIFS, SEMI-FIGURATIFS et NON-FIGURATIFS qui, eux, n’ont désormais plus de secrets pour vous. Le texte figuratif occupant la part du lion du discours ordinaire, il est toujours intéressant de se poser la question de la présence des textes semi-figuratifs ou (même) non-figuratifs dans notre vie ordinaire. La banalisation et l’apprivoisement de plus en plus serein des sensibilités dadaïstes et surréalistes en publicité, en rhétorique médiatique, en journalisme, dans les livres de recettes, les almanachs, les grandes murales urbaines, les magazines de sport et de mode, le journal du matin, Cyberpresse et le Carnet de Jimidi font que la cause «ordinaire» du texte exploratoire est loin d’être entendue sur une base de marbre. Claude Gauvreau et Tristan Tzara sont plus que jamais toujours avec nous et… il ne me reste plus qu’à vous laisser, en point d’orgue, une petite crotte de ma propre démarche poétique.

LE NÉO-FIGURATIF EN POÉSIE. L’exercice auquel je me suis adonné ici à partir du texte du Dadasophe est un exercice fondamentalement néo-figuratif. Il consiste à retravailler des textes ou des segments de texte ayant avancé très loin vers le non-figuratif et, en leur réinsufflant des gouttes de couleur référentielle, sans me gêner pour les faire se recentrer un petit peu vers la pulsion lyrique ou baroque qu’autorise le semi-figuratif. Ma démarche poétique, dans un recueil comme L’Hélicoïdal inversé (poésie concrète), est celle que j’ai cultivé ici en passant de KP’ERIOUM à  KAPPA  RIOUX  MITAN (plus que celle qui avait consisté à passer de KARL NOUS TUE à KARAKALLA  ET  ORNICAR). L’esprit de Claude Gauvreau plane sur mon approche néo-figurative en poésie. L’Épormyable affirme en effet (contre l’opinion de certains critiques et commentateurs du temps) n’avoir jamais poussé son exploration poétique jusqu’au lettrisme.

Pour ce qui est du lettrisme, je tiens à dire que je ne suis pas lettriste, parce que, dans mon optique, le lettrisme s’identifierait plutôt à l’abstraction géométrique en peinture et que moi, j’ai toujours été un abstrait lyrique ou un abstrait baroque, comme on voudra, ou un automatiste, ou autre chose qu’une critique très perceptive pourrait définir mieux que moi.

Claude Gauvreau, en 1970, sur le plateau de l’émission Femme d’aujourd’hui, cité dans le documentaire de Jean-Claude Labrecque (1974), Claude Gauvreau, poète, Office National du film, Canada, 17:50-18:16.

J’espère modestement avoir ici un peu émis cette critique après avoir, toujours aussi modestement, été le poète que j’ai envie d’être.

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SOURCE

Jean-Claude Labrecque (1974), Claude Gauvreau, poète, Office National du film, Canada, 56 minutes, 47 secondes.

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LA REINE MARGOT (1994) avec Adjani et Auteuil. Un imbroglio-foutoir qui vaut vraiment le coup. Par ici, renseignez-vous…

Posted by Ysengrimus sur 15 mars 2014

Il y a vingt ans sortait en salles La reine Margot de Patrice Chéreau. Un film extraordinaire de force, de puissance et de cruauté mais aussi un scénario compliqué, presque tarabusté, bien pâle reflet pourtant des événements historiques incroyablement complexes qu’il évoque. Aussi on excusera le contenu sourcilleusement détaillé de ce commentaire, qu’il ne serait vraiment pas inutile de lire avant visionnement, ne fut-ce que pour s’y retrouver un peu dans ce fouillis sanglant de dentelles et de rapières, où s’enchevêtrent en rafale, l’Histoire de France, la fiction d’Alexandre Dumas père (le roman sur lequel se fonde le scénario date de 1845) et la plus vigoureuse des cinématographies contemporaines.

Nous sommes en 1572 et un Charles IX chevelu et névropathe (joué par Jean-Hugues Anglade) règne sur la France, sous l’œil attentif et combinard de sa mère Catherine de Médicis (veuve d’Henri II et ex-régente de France, jouée par Virna Lisi) et de son frère Henri, duc d’Anjou (pressenti pour devenir roi de Pologne mais, en fait, futur Henri III, joué par Pascal Greggory). L’Europe est abruptement divisée par le clivage religieux et social qui fonde les Guerres de Religions. Les Pays-Bas, les duchés et palatinats germaniques, l’Angleterre sont protestants. Le Portugal, l’Italie et l’Espagne sont catholiques. La France, elle, oscille entre les deux tendances, la conservatrice et la réformiste, et c’est ce qui fait que la crise est si aiguë et prendra, chez elle, des dimensions de guerre civile. Il y a, en France, des Catholiques et des Huguenots (protestants français, sectateurs de Luther et surtout du suisse francophone Calvin). Dans les sphères politiques françaises, les catholiques occupent la vieille structure monarchique en grande partie décadente, libertine et putréfiée, tandis que les protestants sont représentés dans les secteurs des administrations militaires et civiles actives, du commerce et de l’aristocratie ducale. Un duché spécifique, qui se trouve aux frontières de l’Espagne catholique, est justement sur le point d’être rattaché à la couronne de France. C’est le duché, ou «royaume», de Navarre. Bon, c’est un vieux procédé qu’on entend faire jouer ici, en fait. On marie le roi de Navarre (Henri Bourbon de Navarre, futur Henri IV, joué par Daniel Auteuil) à une des sœurs du roi Charles IX, Marguerite de Valois (future Marguerite de Navarre, puis Marguerite de France, Isabelle Adjani). Ainsi, le petit duc provincial, paysan, «pyrénéen», entrera dans la famille de la Maison de France et son domaine se trouvera graduellement rattaché à la couronne de France, soit par alliance, soit par descendance. Tout le monde est à peu près consentant dans la manœuvre sauf que, dans ce cas-ci, il y a un obstacle de taille: la Navarre est intégralement protestante. Ce qui, pour l’Anjou, le Poitou, la Champagne etc n’avait été qu’un jeu assez aisé d’alliances et de combines de palais, revêt soudain, ici et maintenant, une douloureuse importance nationale. La Navarre est huguenote jusqu’au petit linge, intégriste, rigoriste, et tous ses noblaillons, Henri de Navarre le premier, se promènent en costumes noirs austères et courtes fraises blanches serrées, en citant dieu à tout bout de champ et en ne se cachant pas de vouloir profondément réformer le Royaume de France avec l’appui, notamment, des marchands d’Amsterdam. C’est bien commode cinématographiquement d’ailleurs, la faconde et la tenue de ces sectateurs. On reconnaît les protestants dans le foutoir de ce film ainsi, simplement: ils sont en noir. Gardez l’œil ouvert, car il y a foule et les corps, souvent sanglants, se dénudent bien vite. Les types en noir, ce sont les huguenots. Les catholiques, eux (et elles!), déliquescence oblige, sont en multicolore, en bariolé et, eux aussi, en sanguinolent. Ce n’est que nus et sanglants qu’ils se ressemblent tous, au bout du compte.

Tout commence donc le 18 août 1572. Des milliers de protestants navarrais sont montés à Paris pour le mariage de Marguerite de Valois, la catholique, et d’Henri de Navarre, le protestant. Ça tiraille sec. C’est un mariage de convenance, parfaitement exempt de sentiments amoureux et auquel Marguerite consent contre son grée. Il se complète, pour Henri, d’une abjuration de sa foi réformée à laquelle il consent, lui aussi, de bien mauvaise grâce (Si Paris vaudra en 1589 une messe, Marguerite en 1572, c’est autre chose). Le tableau politique plus large est, en plus, vachement compliqué, pour ne pas dire ouvertement emmerdant. On est au bord d’une guerre avec l’Espagne. Charles IX est coincé entre deux batteries de conseillers. D’un côté, les intégristes catholiques, duc de Guise (joué par Miguel Bosé) en tête, ne veulent pas partir en guerre contre la séculaire Espagne catholique. De l’autre le puissant amiral de Coligny (joué par Jean-Claude Brialy), champion de la Réforme en Europe, proche du roi, tient dans ses mains une bonne partie de l’administration militaire (huguenote) et pousse Charles IX à la guerre contre la grande puissance espagnole, gardienne de l’ordre ancien. Tout se rejoint et ça tiraille vraiment sec. Le mariage de la fille décadente de Catherine de Médicis et du petit roitelet provincial, que ses lieutenants en noir aux regards ardents accusent de frayer avec la pourriture, exacerbe les tensions du moment. Six jours après ce mariage impopulaire, suite à une série de combines douteuses impliquant Catherine de Médicis et dans lesquelles l’amiral de Coligny se prend un coup de mousqueton dans le buffet, se met en place un des grands traumatismes historiques de l’histoire de Paris: le Massacre de la Saint-Barthélemy. Six milles huguenots sont trucidés, éventrés, équarris, massacrés dans les rues de la capitale. Cette boucherie, cinématographiquement fort ostensible (avis aux cœurs sensibles), est indubitablement un des superbes temps forts du film. Il semble bien que, quelques siècles plus tard, on veuille bel et bien encore expier cette ineptie sanglante de jadis.

C’est alors qu’on va basculer de l’Histoire de France aux incroyables extravagances de fiction qu’elle suscita dans l’œuvre romanesque d’Alexandre Dumas, père (1802-1870). Cela ne va rien simplifier. Marguerite (notons au passage que le surnom la reine Margot date du siècle de Dumas père, pas de celui de Marguerite de Valois. Conclueurs, concluez) va vivre côte à côte son devoir d’épouse politique et monarchique envers un roi protestant, Henri de Navarre, et sa passion amoureuse et fougueuse envers un jeune aristocrate, protestant aussi, son amant rencontré (et sauvagement baisé) dans les ruelles aux caniveaux sanglants de Paris, la nuit de la Saint-Barthélemy. L’amant en question, c’est le bien nommé Joseph-Hyacinthe Boniface de Lerac de la Mole (personnage fictif basé sur plusieurs personnages réels et joué dans le film par Vincent Perez). Ça va aimer et ça va saigner dans tous les sens, mes ami(e)s, sous le signe des passions les plus folles, celles que les déferlantes historiques exacerbent. La stylisation épique d’Alexandre Dumas père nous impose, en plus de cette histoire d’amour flamboyante, par-dessus le tas, pour ainsi dire, un face à face impitoyable entre deux personnages masculins tonitruants: le susdit La Mole, le protestant fougueux, intègre et généreux et son ennemi vigoureusement redondant, le soudard catholique Coconnas (joué par Claudio Amendola), rencontré et combattu la nuit du massacre et devenu, au fil des péripéties, l’ami inséparable. Le symbole simple (un peu de simplicité n’est pas pour nuire, dans toute cette pagaille) opère honorablement. Le Royaume de France se compose donc d’un catho populacier et d’un huguenot chic qui survivent à tout, se retrouvent toujours et ne pourront tout simplement pas se dégluer l’un de l’autre. Notons finalement le rôle, parfaitement fictif aussi quoique fort attachant, d’Henriette de Nevers (jouée par Dominique Blanc), fidèle dame de compagnie de la reine Margot et dont la force discrète s’exprimera, le soir du drame, en brandissant une dague sous le nez des soudards catholiques donnant l’assaut dans la chambre des dames (ils cherchent le protestant La Mole qu’ils ont vu entrer au palais et que Margot cache), en une ligne superbe de simplicité drolatique : Pour ma part, je suis catholique aussi et j’ai justement ici un couteau…

Marguerite de Valois (Isabelle Adjani) et sa suivante Henriette de Nevers (Dominique Blanc)

Deux autres figures qui colleront solidement l’une à l’autre, malgré tout ce torrent qui les déchire et les ballotte dans tous les sens, ce sont finalement Henri de Navarre (Auteuil) et Marguerite de Valois (Adjani). Ce film, qui est une tempête d’individualités passionnées et de foules en délire, nous narre pourtant la primauté du devoir sur la passion, de la sagesse sur la folie, de l’esprit d’équipe sur l’individualisme exacerbé. Il faut avoir le cœur bien accroché et être fin prêt à se laisser bouleverser dans le sang et la panique la plus hirsute. Ah, ah, tout au long du récit, Auteuil et Adjani, suivez-les, mais suivez-les bien. Ce sont eux qui vont nous transporter au dessus de tout. C’est que ce que cette trame complexe, bigarrée, violente et tempétueuse étudie fondamentalement, c’est la mise en place d’un rapport de fraternité/sororité inversé (qui répond froidement à l’inceste implicité des deux frères de Margot envers leur sœur). Henri et Marguerite c’est l’union (presque) platonique renouvelée, purifiée, indéfectible, initialement réfractaire puis consentie dans l’épreuve, entre un homme et une femme que le sang n’unit pas et que l’amour ne démonte pas. Marguerite sauve la vie d’un Henri intégralement déboussolé, dans les magouilles meurtrières et empoisonnées de la cour. Henri rétablit chez une Marguerite à la fois frivole et avachie le sens sublimissime du devoir d’état. Non, ne perdez jamais de vue, dans cette tourmente torrentielle, Adjani et Auteuil. Ils ne sont pas les amoureux (ça, c’est Adjani et Perez), il ne sont pas le frère et la sœur (ça c’est Adjani et Anglade). Ils sont quelque chose d’immense logé juste entre les deux. Ils sont les alliés politico-religieux qui, au dessus d’absolument tout, par delà le clivage France/Navarre, catholique/protestant, décadence/rigorisme, reine/roi, femme/homme, au détriment de leurs vies de personnes, de leurs amours torrides, de leurs amitiés féminines ou viriles, de leurs allégeances de chapelles, de leurs individualités, se rejoignent et finalement fusionnent. On est emportés (emportés et purifiés en Navarre…) dans une mise en place fascinante et solidement originale de le compréhension transcendante du devoir historique qui s’impose crucialement à tous, face aux sacrifiés, face aux survivants, face aux postérités.

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La reine Margot, 1994, Patrice Chéreau, film franco-italien avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Virna Lisi, Dominique Blanc, Pascal Greggory, Vincent Perez, Claudio Amendola, Miguel Bosé, Jean-Claude Brialy, 162 minutes (abrégé en 144 minutes pour le marché américain).

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Six stéréotypes sexistes tombés en désuétude

Posted by Ysengrimus sur 8 mars 2014

femme conduisant une voiture

Il faut prudemment apprendre à se méfier du pessimisme militant. Le pessimisme militant fouette ou croit fouetter les troupes en s’appuyant, explicitement ou implicitement, sur ce bon vieil aphorisme que l’on impute à Napoléon Bonaparte: Il n’y a rien de fait tant qu’il reste des choses à faire. Cet énoncé de principe est plus rhétorique que programmatique, on observera (mis au pied du mur de sa logique interne, l’empereur devrait pourtant admettre qu’il est en train de nous dire que le boulot n’est jamais fait, qu’il ne se passe rien, en somme!). Et pourtant, sur la foi d’un tel axiome, nos militant(e)s pessimistes nous servent le développement suivant, dont il ne faut d’ailleurs pas minimiser le mérite (mais simplement bien circonscrire la portée): Notre cause ne doit pas s’asseoir sur ses lauriers. Il est illusoire de s’imaginer que tout est acquis. Concentrer une attention excessive aux réussites minimise le progrès qu’il reste à accomplir. Ce n’est qu’un début, continuons le combat. Pour un (comme disaient les vieux, s’il en reste encore), je suis le premier à endosser pleinement, avec l’excellent Ernesto Che Guevara, l’idée force voulant que la révolution est comme une bicyclette: si elle n’avance pas, elle tombe. Mais je tiens aussi au principe selon lequel si cette allégorie guevariste est si belle et si juste, c’est justement parce que la bicyclette roule vers l’avant, et à bon rythme encore.

Un certain nombre de simili-militantes «féministes», servantes objectives de l’ordre établi, cultivent ouvertement l’affectation oiseuse (fondant leur positionnement de vraies-bourgeoises-fausses-martyres) qu’est ce pessimisme militant. Il s’agit alors de promouvoir rien de moins qu’une sorte de mysticisme occulte de la perpétuation, pesante, onctueuse et inexorable, de l’ordre mâle par d’autres moyens. Franchement, cela confine ouvertement et sciemment au fatalisme le plus démobilisateur imaginable. Les quatre ou cinq sœurs aînées de ma maman (qui, née en 1924, était la benjamine d’une famille de quatorze enfants) ont vécu quelques années de leurs vies adultes sans avoir le droit de vote à leurs élections favorites: les élections québécoise (le droit de vote des femmes au Québec date de 1940). Ma douce mère est devenue infirmière circa 1944. Elle et ses collègues ont du mettre en place leur expertise et leur professionnalisme à une époque où les nurses étaient considérées comme des putains et des filles à soldats. Elles ont été confrontées à des bigots de la calotte et à des réfractaires de tous crins qui refusaient de se faire soigner par les dames en blanc portant la coiffe, simplement parce qu’elles se maquillaient, écoutaient les nouvelles à la radio et fumaient, pendant leurs pauses café. N’allez pas dire à ma vieille mère que les choses n’ont pas progressé pour les femmes, de son vivant! Elle vous raconterait des histoires inimaginables, inconcevables, mais pourtant vraies. Je pense à elle et à son bel héritage progressiste et ce, tous les jours, huit mars inclusivement.

Alors je vais m’installer plus près de nous encore et vous dire deux mots de six (6) stéréotypes sexistes immenses, qui bercèrent mon enfance et ma jeunesse (je suis né en 1958) et qui sont complètement tombés en désuétude aujourd’hui. Ce que je vous raconte là, je l’ai vu de mes petits yeux vu et entendu de mes petites oreilles entendu. Que voulez-vous, on revient toujours de bien loin sans vraiment trop le savoir. Enfin… les hommes et les femmes de ma génération confirmeront si nécessaire… Voici:

1)      Il y a des tâches «biologiquement» typiquement féminines. Un de mes profs de fac circa 1977 cultivait la certitude tranquille que les femmes étaient psycho-praxéiquement fondamentalement plus aptes à plier le linge que les hommes. Ce magister à l’ancienne, déjà un peu retardataire en son temps, que mes consoeurs féministes du temps qualifiaient de phallocrate militant, se basait pesamment sur tout un fatras social-darwiniste pour légitimer cette rhétorique de la spécialisation du doigté féminin dans les ci-devant tâches de manipulation fine. Si l’époque contemporaine ne se gène plus pour parler haut et fort de ce que les femmes préfèrent faire (surtout en matière de loisirs et de plaisirs), plus personne de sérieux ne juge que des tâches, professionnelles ou domestiques, puissent être intrinsèquement ou «biologiquement» dévolues à un sexe plutôt qu’à l’autre.

2)      Les femmes vont voter en bloc pour un candidat «bel homme». Il faut avoir entendu les gros couillus d’autrefois qui n’aimaient pas Jean Lesage ou Pierre Trudeau bramer et déplorer que leur épouse allait annuler leur vote, juste à cause de l’allure photovisuelle ou télévisuelle du personnage. La question de savoir si l’apparence physique des candidats masculins a déjà effectivement été un vecteur électoral, auprès de l’électorat féminin d’une époque, reste ouverte, concédons-le. Mais une certitude est bien installée au jour d’aujourd’hui. Cela ne se fait pas ou plus. La question de savoir si les femmes vont voter pour une candidate par mimétisme féminin est, elle aussi, de plus en plus questionnable. Les femmes votent au programme, point, et la démagogie électorale en est de plus en plus consciente. Il suffit de lire les plates-formes des partis de toutes obédiences pour nettement s’en aviser. Indubitablement, Justin Trudeau n’est pas sorti de l’auberge…

3)      La femme ne sait pas conduire une voiture. Bon, admettons-le, ma maman (née en 1924) pesait sur le gaz d’un pied et sur le frein de l’autre et quand elle avait le malheur de faire ces actions simultanément, la petite voiture d’appoint [sic] se retrouvait au garage. Mais, déjà à l’époque, la personne qui riait le plus d’elle pour ça, c’était ma sœur (née en 1957), conductrice émérite depuis 1975 environ. Les farces plates réactionnaires (au sujet) de femmes-ne-sachant-pas-conduire formaient pourtant, malgré ma sœur au volant (contre ma mère), un véritable paradigme humoristique à l’époque (un peu comme nos plaisanteries de belges ou de blondes). Toute une génération de femmes a bien subit la pression du bullying masculin au volant. C’est fini. La femme au volant est un acquis tranquille et les contrariétés phallo-routières d’autrefois sont inimaginables, même pour les femmes de ma génération. Elles doivent fouiller dans leur mémoire pour revoir ces horreurs.

4)      La jupe est un vêtement plus féminin que le pantalon. J’entends encore un de mes copains de collège claironner ça à la cantonade, l’année de l’élection du premier Parti Québécois (1976). Le commentaire masculin sur la tenue vestimentaire des femmes, à cette époque, n’était pas un acte intime mais bel et bien un gestus social. Les comportements ont subit une mutation profonde sur la question vestimentaire depuis. Les femmes se sont appropriées toutes les tenues, prouvant qu’aucune n’était «plus» ou «moins» féminine. And today… ben bien des hommes se languissent en cachette, rêvant d’enfiler des jupes et de monter dans des talons aiguilles. La fameuse révolution de l’unisexe, lancée tapageusement circa 1970-1973, n’a plus rien de révolutionnaire. Elle est de fait une banalité factuelle des plus prosaïques… pour les femmes à tout le moins.

5)      «Pour gagner le cœur d’un homme, il faut commencer par son estomac». Cet aphorisme, qui sonne aujourd’hui comme une absurdité hirsute, fut longtemps la ritournelle de la séduction bon teint, vue dans l’angle féminin. Il fallait se prouver à marier pour plaire et, en cela, les aptitudes de servante accomplie occupaient une position centrale. Je vous épargne les développements concernant la transposition sexuelle de cet aphorisme. La parade de séduction a connu une révolution aussi profonde, radicale, originale et novatrice que la division sexuelle du travail. Il faudra un jour blablabla-bloguer la question suivante: que faire pour gagner le cœur d’un homme? Les filles répondront en explicitant toutes leurs astuces d’échéphiles pour capter, saisir et décoder la culture intime de la bête curieuse masculine (ni supérieure ni inférieure mais, quand même, bien bizarre). La cuisine utilitaire et la tenue de maison ne feront certainement pas partie, alors, de l’équation séduction…

6)      L’intuition féminine. Il faudra un jour écrire une histoire ethnographique de la mythologisation autour de ce concept vide. Il fut un temps, mesdames, où l’outillage perfectionné de la rationalité ordinaire était un apanage exclusivement masculin. Le cogito féminin ne disposait que d’un seul gadget pour se faire valoir alors, l’intuition. Comme il fallait, de surcroît, bien ménager l’ego mâle, une combine intelligente de fille ne devait susciter (de sa part ou de la part de quiconque) qu’une exclamation unique, monocorde, monadique: Ah, l’intuition féminine! On l’as-tu entendue celle-là, dans le temps! Comme l’intuition est une irrécupérable foutaise gnoséologique (ceci n’est pas un déni de son éventuelle existence mais bien un constat de sa nullité intellectuelle tendancielle), l’intelligence des femmes ne s’insulte plus elle-même en se planquant derrière ce camouflage aussi surfait que parfaitement asexué.

Voilà… Alors, ne le nions pas: comme la bicyclette de Guevara, les choses avancent. Même malgré nous et à l’encontre de nos résistances, pas toujours spectaculairement mais implacablement, elles progressent. Le monde change. Et ce qui s’inscrit le plus solidement dans l’irrémédiable le fait souvent avec la plus éthéré des dispersions sociologiques, sans trompettes. Il y a bien de l’imperceptible, et de l’impondérable, et de l’impalpable dans ce qui procède du mouvement historique par grandes phases.

Bon huit mars à toutes et à tous. Continuons le combat et… gardons un œil acéré sur tous nos pessimismes.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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UN QUÉBEC POLÉMIQUE (Dominique Garand, Laurence Daigneault Desrosiers, Philippe Archambault)

Posted by Ysengrimus sur 1 mars 2014

Quebec-polemique

Ysengrimus (Paul Laurendeau): Dominique Garand, vous publiez avec deux collaborateurs (Laurence Daigneault Desrosiers et Philippe Archambault) un ouvrage intitulé Un Québec polémique – Éthique de la discussion dans les débats public (Hurtubise, 2014, 450 p.). L’ouvrage, dont le titre est très explicitement le programme, comprend huit chapitres et trois annexes et on va prendre le temps de le retraverser ici, un petit peu, tranquillement, entre nous, car il y a là beaucoup de choses susceptibles d’intéresser les lecteurs et les lectrices du Carnet d’Ysengrimus. Dans votre Introduction (pp 15-31) vous signalez la présence (pour ne pas dire l’omniprésence) d’un désir de pouvoir supplantant l’aspiration à une vérité effective et vous exemplifiez, souvent savoureusement, sa manifestation dans l’agora du débat public québécois. Assumant une prise de parti implicitement prescriptive, vous invoquez l’Éthos comme motivation (tendancielle autant que déficiente) et angle d’analyse de l’appréhension du polémique proposé par votre équipe. Qu’est-ce que c’est donc que cet Éthos crucial qui semble manquer autant à votre objet qu’à nos consciences? Parlez-m’en donc un petit peu, que je m’en inspire au mieux, en ouverture d’échange avec vous.

Dominique Garand: L’Ethos est une notion très ancienne, proposée par Aristote dans sa Rhétorique. Il en fait l’un des piliers de tout discours persuasif, avec le Logos et le Pathos. Aristote a compris que le Logos, c’est-à-dire les arguments démonstratifs en bonne et due forme, ne peut assurer à lui seul l’efficacité du discours. Ce dernier doit en outre émouvoir (on a là le Pathos) et il doit être tenu par une personne digne de confiance, une personne en d’autres termes qui nous apparaît à la fois vertueuse et compétente. Il importe de préciser que pour Aristote, cette mise en confiance de l’auditoire doit s’opérer dans le discours même, en dehors de toute considération sur l’individu en tant que tel. Les rhéteurs latins, comme Cicéron et Quintilien, ont quant à eux intégré à la notion des éléments extra-discursifs comme la réputation préalable de l’orateur, la reconnaissance dont il jouit avant même de prendre la parole (est-il, par exemple, titulaire d’un diplôme? a-t-il de l’expérience dans le domaine dont traite son discours? etc.). Cela peut même déborder sur des données comme la race, le sexe, l’âge, la  profession, et ainsi de suite. Dans notre livre, nous avons recensé toutes ces «qualités» et nous avons tenté de montrer de quelle manière elles pouvaient conditionner la réception d’un discours. Dans votre question, vous évoquez un «manque» que notre livre chercherait à pointer du doigt. J’aimerais qu’on ne se méprenne pas sur ce manque. En réalité, tout discours est pétri d’Ethos, donnée incontournable puisqu’une prise de parole ou une prise de parole met inévitablement en scène une figure d’énonciateur. Ce qui manque, c’est la reconnaissance de cette composante, la reconnaissance entre autre du rôle que l’Ethos peut jouer dans les débats. Je viens de soutenir qu’une image de l’énonciateur peut être dégagée de tout discours. Or, il arrive que cette dimension plus ou moins implicite se mette à occuper le devant de la scène et que la personne de l’énonciateur devienne l’objet même du débat. C’est particulièrement le cas dans l’échange polémique où l’adversaire se voit bien souvent visé dans ce qu’il est, tout autant sinon plus que dans les thèses qu’il défend. Dans ce cas, la construction de l’Ethos se dédouble en un Ethos valorisé (celui de l’énonciateur) et un Ethos dévalorisé, qu’on appellera donc un Anti-Ethos, qui est une figuration de la personne de l’opposant.

Y.: Très bien. Et cela nous mène directement au chapitre premier de votre ouvrage dont le titre est Pierre Foglia et Jean Larose: Scénographies discordantes. Ce chapitre, d’ailleurs passionnant, nous ramène circa 1994 et analyse une empoigne épique du temps entre un journaliste et chroniqueur, Pierre Foglia et un ponte mi-médiatique mi-universitaire, Jean Larose. Bon, la passe d’arme est analysée amplement, les lecteurs et les lectrices pourront aller voir ça. C’est le cas typique du journaliste (faussement) philistin et (vraiment) populaire crêpant l’universitaire (faussement) savant et (vraiment) élitaire. Un cas d’espèce, en quelque sorte. Bien québécois, en plus (les Français ne feraient pas du tout ça comme ça). Mais il y a ici un fait intrigant qui est solidement relié à l’Ethos tel que vous venez de nous le décrire (surtout le traitement qu’en font les romains du reste, que je soupçonne, mythologie des credentials oblige, d’être passablement plus proche du nôtre que celui d’Aristote). Ce fait, c’est ce que vous nous signalez à propos de l’univers mondain d’un de ces protagonistes. Vous nous expliquez (p. 37) que, dans un contexte culturel et institutionnel élargi n’ayant à peu près rien à voir avec le débat analysé, Jean Larose va, en une petite décennie (1994-2004), se trouver dépouillé de ses différents objets de prestige, perdant notamment son émission littéraire radiophonique et ses différents points de contact avec le grand public, via les médias. Cela m’amène quand même à me demander, Ethos à la romaine oblige, si la victoire ou la défaite polémique ne se joue pas en dernière instance dans le monde social et de façon finalement passablement autonome du débat verbal même, de son contenu, de sa dynamique propre. Dans la joute entre Foglia et Larose, finalement, l’un dans l’autre, c’est le perdant sociologique qui a perdu, sans moins sans plus.

D.G.: Remarque pertinente. L’issue de nos débats est-elle jouée d’avance au gré de forces qui dépassent notre pouvoir de penser et la puissance de notre parole? Vous voyez qu’en suivant cette pente, on peut facilement tomber dans le nihilisme. C’est une voie que je refuse, par principe. Le regard sociologique nous place devant des constats que nous devons regarder en face, mais qui ne devraient pas nous paralyser. Après tout, ce «pouvoir des maîtres de la société», de ceux qui tiennent les ficelles, il prend aussi racine quelque part, il est analysable (vous êtes marxiste, Ysengrimus, vous savez donc que ça ne suffit pas mais que c’est déjà beaucoup). Ce qu’il faut voir aussi, dans le cas qui nous occupe, c’est que les forces qui ont fini par sortir Larose du jeu (partiellement) étaient déjà présentes avant sa sortie de 1994. Et c’est précisément contre elles qu’il a pondu ce brûlot, en tirant dans toutes les directions et peut-être pas de la manière la plus avisée (mon chapitre pointe du doigt quelques pièges auxquels il a succombé). Par la suite, il a polémiqué plus directement avec la direction de Radio-Canada. La Société d’État a eu le dessus, c’est certain, ce qui ne veut pas dire que Larose soit un perdant dans l’absolu. Il a continué d’occuper la fonction qui lui était dévolue, celle d’enseigner. Je pense aussi qu’il a misé sur le temps, c’est en tout cas une ambition qui se laisse lire dans son pamphlet: je perds maintenant, mais les générations futures me donneront raison. Le principe est beau, mais je ne crois pas qu’il ait réussi sur ce plan. Il lui a manqué une œuvre littéraire qui aurait été la manifestation évidente de cette souveraineté de la parole qu’il revendiquait. La souveraineté, c’est un peu comme Dieu, on ne peut l’évoquer en vain ; et on ne peut se l’attribuer comme un attribut, un signe de pouvoir. C’est un état qui exige un saut dans le vide, un faire conséquent. Lorsqu’on se contente de l’appeler de ses vœux, c’est parfaitement stérile et même nuisible. Voilà pour Larose (qui, soit dit en passant, n’est pas un faux savant, il est au contraire plutôt érudit, mais il s’est gouré en tant que stratège, il n’a pas choisi les bonnes cibles). Qu’en est-il maintenant de Foglia? A-t-il remporté le combat? On peut dire qu’il a sauvé la face, oui, devant son lectorat. Mais plus fondamentalement, son combat, quel est-il? S’il voulait faire passer son lecteur à un niveau supérieur de compréhension des choses, il est hasardeux d’affirmer qu’il ait réussi. La société québécoise n’a rien gagné non plus à cet échange. Je vous rappelle que nous sommes en 1994, un an avant le Référendum sur la souveraineté, vous savez? Celui qui a été perdu par quelques votes… Nos deux belligérants s’affichaient alors souverainistes… Ça leur (et ça nous) fait une belle jambe, n’est-ce pas!

Y.: Cette jambe, c’est justement la cuisse de Jupiter dont ils jaillissent, en fait, ces personnages polémiqueurs de notre agora commune. Foglia, Larose ayant fait leur tour de piste, votre second chapitre, L’Ethos dans tous ses états — Exposé théorique mettant en scène Pierre Falardeau et quelques autres polémistes en fait danser d’autres sur le tréteau. Face à cette succession de personnages, incroyablement contrastés et colorés, on pense de plus en plus infailliblement à la persona, ce vieux masque du théâtre antique qui montait sur scène, exécutait son gestus et hurlait ses lignes, sans jamais montrer son vrai visage (ou celui de son modeste marionnettiste). On peut aussi évoquer les fameux types de la Commedia dell’Arte, suavement prévisibles et, de ce fait, toujours appréciés pour ce qu’ils sont et attendus tels qu’en eux-mêmes (votre analyse est d’ailleurs très théâtralisée). Les types (aussi au sens des personnes) en viennent, comme fatalement, à prendre une remarquable densité. Conséquemment, il n’est pas surprenant que ce second chapitre théorique incorpore une typologie des cibles au sein de laquelle la cible individuelle occupe une place honorable (pp 110-116) et surtout un développement crucial concernant l’argument ad hominem (pp 121-126) que tout le monde réprouve mais que tout et chacun pratique avec ardeur et constance. Vous semblez d’ailleurs lui reconnaître une certaine légitimité sourde quelque part à celui-là. Qu’en est-il?

D.G.: Je suis content que vous fassiez allusion au théâtre, voire à la Commedia dell’Arte. Comme vous l’avez constaté, je parle souvent de la mise en scène de soi dans tous ces débats. J’utilise aussi abondamment la notion de scénographie que j’emprunte à Dominique Maingueneau et qu’il a lui-même empruntée, cela va sans dire, au langage du théâtre. Lorsqu’on regarde de près les procédés des polémistes, et en particulier les procédés à l’aide desquels ils se mettent en valeur, ou à partir desquels ils dévalorisent leurs adversaires, on voit de fait apparaître des constantes, des types. On constate aussi leur remarquable redondance, comme si le langage du combat peinait à inventer de nouvelles formes (Pierre Falardeau représente à ce sujet un cas à part, en raison de l’outrance verbale, parfois poétiquement intéressante, qu’il a développée. Dans son cas, d’autres problèmes se posent que je n’exposerai pas ici.). La description des types et de ces procédés canoniques a été relativement facile. Je veux dire par là que même s’il fallait y mettre du temps et de la minutie, cela ne me confrontait pas à d’immenses problèmes intellectuels. Tout autre est le problème de l’argument ad hominem, un vrai casse-tête, vous vous en doutez bien, dans le cadre d’une réflexion qui se donne pour horizon l’éthique de la discussion. Dans un premier temps, il faut écarter toutes les idées reçues que nous entretenons à ce sujet. «Voyons comment ça intervient dans la réalité des débats», telle fut d’abord la méthode préconisée. Or, il nous a sauté aux yeux que malgré tous les dénis et propos moralisateurs sur l’argument ad hominem, il affleure constamment de manière souvent bien insidieuse. Dans un deuxième temps, force a été de constater qu’il paraissait parfois légitime, dans les nombreux cas où un individu est imputable non seulement de ce qu’il dit, mais aussi de ce qu’il fait et de ce qu’il est par rapport à ce qu’il prétend être. Il est légitime par exemple de traiter un autre de «menteur» si l’on démontre qu’il ment. La frontière éthique se joue là: il faut savoir démontrer. Mais ce n’est pas tout! La perspective éthique se double d’une perspective que nous dirons «pragmatique»: on ne mène pas un combat pour avoir l’air moral, mais pour gagner, et l’argument ad hominem, voire l’injure s’ils sont bien dosés, peuvent s’avérer efficaces. Si l’on ne veut pas succomber à l’angélisme, il faut aussi prendre cette dimension en considération. Cela n’est que suggéré dans le livre, mais j’envisage la mise en place d’une éthique qui irait au-delà du simple «respect de l’autre et des conventions de la logique argumentative», éthique dont je vois l’actualisation chez un Gombrowicz, ou encore dans le tout récent pamphlet, pourtant d’une extrême virulence, lancé par Stéphane Zagdanski contre Philippe Sollers («Pamphlilm»).

Y.: On ne mène pas un combat pour avoir l’air moral, mais pour gagner. C’est certainement un des leitmotiv qui sous-tend la situation, cette fois–ci assez douloureuse, évoquée dans le chapitre trois, signé Philippe Archambault et intitulé Qui se souvient d’Esther Delisle — Une controverse exemplaire, un exemple à ne pas suivre. Ici nos types de commedia y vont carrément. Ils optent pour un instrument qui leur est cher: la batte du zanni. En un mot: l’argument massue. C’est vrai qu’on en rêve de cet argument assommoir fatal qui enfoncerait l’adversaire dans le sol, irréversiblement clin et muet. Ici l’argument massue exploré incorpore frontalement de l’ad hominem compact dans sa machine infernale autoprotectrice. Il se formule comme suit: «Lionel Groulx était un antisémite et si vous vous objectez à ça, bien vous êtes aussi antisémites que lui…» (p. 168). Mais… par un effet de rebond digne des plus criards de tous nos dessins animés, c’est la personne qui a lancé l’argument qui finit enfoncée par sa propre massue au point de tout simplement disparaître de l’espace symbolique. Est-ce là un fait strictement conjoncturel (procédant de cette série d’échanges spécifiques de 1991, sur un sujet fatalement sensible et hautement susceptible de devenir virulent) ou ne se retrouve t’on pas devant une mécanique plus dialectiquement sentie, celle selon laquelle l’argument fatal l’est autant sinon plus pour l’argumentation même ou pour celui ou celle qui la porte? Pour vraiment couler l’adversaire faut-il aller jusqu’à saborder l’intégralité du navire du débat même? Est-ce que vaincre finalement, c’est faire taire tous les partis sur une question?

D.G.: L’affaire Esther Delisle nous donne l’exemple d’un débat où le point Godwin fut touché en une réplique et quart. Échafaudé sur du faux (ou plutôt sur du faussement vrai ou du vrai falsifié), il a vite plongé l’échange dans l’irréalité. L’objet du débat était plus imaginaire qu’autre chose. Philippe Archambault expose avec clarté comment le «débat» a été orchestré par certains médias à des fins sensationnalistes. La revue L’Actualité ouvre le bal en faisant état d’une thèse de doctorat que son jury menace de rejeter. Depuis quand les médias s’intéressent-il d’aussi près aux affaires universitaires? Mais le journaliste flaire une histoire comme on les aime, mettant en vedette une jeune doctorante persécutée du fait qu’elle aurait mis le doigt sur le refoulé du nationalisme: l’antisémitisme et le caractère fascisant du père de cette idéologie québécoise, Lionel Groulx. Des spécialistes ont beau démontrer par a + b que la thèse contient des erreurs factuelles et méthodologiques, les jeux sont faits dès le départ et les rôles sont assignés. À partir de là, l’irréalité ne fait que s’accroître de son ombre: percevant que la cible visée par la thèse est moins Lionel Groulx que le nationalisme québécois, les défenseurs de ce mouvement montent aux barricades et cherchent à défendre la mémoire de celui dont ils n’avaient jamais même pensé se réclamer. L’auteure de la thèse, Esther Delisle, ricane dans son coin au moindre soubresaut d’un adversaire indigné, persuadée de se trouver du côté de la «vérité qui choque» (axiome sophistiquement renversé en: ça choque, donc c’est vrai). Vous dites que l’épisode s’est avéré douloureux et c’est un fait. Ce débat s’est développé dans un climat d’hystérie pour la simple raison qu’il a été mené comme un procès: le but recherché consistait moins à mettre en lumière des faits du passé (l’idéologie des années 30) qu’à culpabiliser par association l’ensemble du mouvement nationaliste. Au moment où le Parti Québécois reprenait le pouvoir en promettant la tenue d’un référendum, un débat implanté sur de telles prémisses ne pouvait se dérouler dans un climat serein. Et l’analyse de Philippe Archambault tend à montrer comment Delisle a été habile à piéger ses opposants dans une double contrainte que vous avez bien résumée.

Y.: Et cela va nous amener implacablement vers le polémiste comme porte-parole, réel ou fantasmé, légitime ou fallacieux, d’un groupe, d’une communauté, d’un peuple. Le chapitre quatre intitulé L’affaire Mordecai Richler: discours collectifs et parole dissidente est signé Laurence Daigneault Desrosiers. On y suit les aventures ferailleuses et assez amères d’un écrivain ashkénaze montréalais de renommée internationale dont il a été, entre autres, dit qu’il donnait sciemment une mauvaise image du Québec aux yeux des anglophones du reste du continent. Tournant autour du débat linguistique au Québec, la complexe série d’échanges et d’interactions analysées ici ne met plus face à face des grandes individualités spectaculaires (quoique un peu creuses, un peu showbizz) mais les représentants, volontaires ou non, de communautés spécifiques, portant avec elles leur passé historique collectif, et obligées de disposer explicitement l’exercice identitaire au cœur du déploiement argumentatif (p. 222) un peu comme on étend bien son linge sur la corde si on veut qu’il sèche correctement. Soudain, ce ne sont plus des cabots qui pugilisent. Ce sont des hérauts qui se confrontent sur des principes directeurs engageant des communautés entières. Et la polémique, à défaut de gagner en profondeur, gagne certainement en gravité et en généralité (au bon et au mauvais sens du terme). À mesure qu’on avance, qu’on se fait doucher par les nuances et les distinguos en déferlante, dans cet exposé spécifique, une question devient absolument lancinante. Les porte-paroles sont-ils intégralement légitimes? Les discours collectifs sont-ils obligatoirement indubitables ou ne reste t-on pas finalement prisonniers, plus la crise de l’adéquation de la représentation s’intensifie, du halo brumeux et peu clair d’imputations sommaires menant directement vers les préjugés mutuels les plus rebattus se redisant tout simplement en ritournelle?

D.G.: Le cas de Mordecai Richler, brillamment analysé par Laurence Daigneault Desrosiers, montre qu’on n’est jamais tout à fait maître de son Ethos. Même un écrivain aussi indépendant que Richler, qui a toujours pris la parole en son propre nom, se voit rattrapé par des représentations collectives. Il devient représentant à son corps défendant: de la communauté juive, des  anglophones du Québec. Il faut dire qu’il l’a un peu cherché, lui qui a succombé à la tentation de généraliser en produisant un portrait global du Québécois francophone. Mais sa posture polémique, autour de 1992, a mis mal à l’aise à peu près tout le monde. Malgré le prestige qui l’entourait en tant qu’écrivain de réputation internationale, on a vu ses communautés naturelles peu enclines à le coopter. Ses adversaires aussi se mirent à parler «collectivement», comme si les Ethos individuels s’éclipsaient tout à coup derrière des Ethos collectifs. Richler est-il devenu un bouc émissaire, c’est-à-dire celui contre qui se déchaîne la collectivité et autour duquel elle reconstruit sa cohésion? On aimerait le croire, mais n’idéalisons pas à outrance: je ne crois pas personnellement qu’il ait su totalement protéger sa souveraineté individuelle contre le pouvoir de récupération des collectivités. Ses interventions iconoclastes n’ont finalement pas tranché le nœud gordien: les Ethos collectifs sont restés immuables.

Y.: Et c’est justement vers les souverainetés individuelles que nous ramène en partie, après ce dense et controversé parcours, le chapitre cinq intitulé Jacques Pelletier et Jean Larose: débattre ou combattre. Revoici donc Jean Larose qui remonte sur scène. Il fait face ici à un nouveau zanni, Jacques Pelletier. Le trait original dans ce cas ci, c’est qu’ils sont du même champ institutionnel et qu’il ne serait conséquemment plus possible d’imputer leur difficulté à dialoguer à des variations de corps de représentations intellectuelles ou à des lectorats distincts. Et pourtant, ça continue de ne pas aller très bien… Le développement particulièrement piquant ici est celui s’intéressant à la création de complices (pp 296-299). Il y a bien alors une sorte de rétablissement du partenaire collectif mais ici on cherche à se l’assimiler sans nécessairement prétendre le représenter, implicitement ou explicitement. On semble plutôt croire l’avoir convaincu ou à tout le moins interpellé, titillé. En prenant connaissance de ces développements, on en vient à se demander s’il n’y a pas en fait une sorte de dialectique des constitutions de complicités se problématisant en deux pôles, un premier pôle qui serait de l’ordre de ce que les sociolinguistes appellent le we-code («Vous, mes complices, joignez-vous à moi. Je vous représente, nous sommes ensemble»), puis un second pôle qui, lui, serait de l’ordre du they-code («Ceux-ci et ceux-là sont VOS complices. Vous roulez pour eux. Ils vous appuient et cela vous démasque»). Le créateur de complices semble discrètement intégrer ses complices à lui et ouvertement accuser l’autre d’avoir les complices qui ne sont pas les siens. Ceci semble en plus se jouer, dans l’échange, en un mouvement unique. Qu’en est-il?

D.G.: Vous identifiez précisément la particularité de la controverse analysée dans ce chapitre. Dans le cas de Mordecai Richler, on était en présence d’un individu sommé de rendre des comptes à des communautés que son intervention, pourtant, ne conviait pas. Dans le cas de la querelle entre Jean Larose et Jacques Pelletier, les communautés qui se heurtent sont construites par les discours eux-mêmes. Pelletier élabore un univers référentiel où se trouve définie une «droite culturelle» formée de nostalgiques de la culture classique, élitiste et parisienne, dont son adversaire, Jean Larose, serait le plus pur représentant. Pelletier convie ses complices de la gauche à rejeter cette posture «réactionnaire». Larose, pour sa part, construit un univers référentiel transhistorique où s’affrontent une conception souveraine de la littérature et une conception qui, au contraire, l’asservit à un programme idéologique. Pelletier fait partie de ceux qui réduisent la littérature à des enjeux mesquins, d’où un appel lyrique lancé aux jeunes générations de fuir un tel enrégimentement. Mais la caractérisation du monde de l’autre connaît des amplifications surprenantes. Larose, par exemple, multiplie les amalgames entre Pelletier et la pensée fasciste, entre la gauche de son adversaire et la gauche totalitaire. Pelletier, de son côté, recourt à la tactique de la réduction: Larose n’est pas à la hauteur des modèles dont il se fait le héraut. Comme vous l’avez remarqué, l’adversaire est ici rejeté sur la base de ses relations, du «réseau» auquel il participe. On n’est pas très loin de ce sophisme communément appelé «l’argument par le partisan». Il s’agit non seulement de démoniser directement la personne de l’autre, mais de mettre en scène un univers moral globalement négatif dont l’autre serait l’incarnation exemplaire.

Y.: Le tout en grande partie de bonne foi, d’ailleurs. Pire que la mauvaise foi: la bonne foi. C’est justement cette dernière qui fait qu’un objet particulièrement crucial, dans l’univers que vous analysez, fait son apparition dans le chapitre six intitulé L’affaire LaRue: un malentendu productif?… et c’est le malentendu justement. Ici, comme ailleurs dans l’ouvrage mais avec cette fois une particulière vigueur critique, le théoricien —le métapolémiste, si j’ose dire— que vous êtes prend parti sur des effets intellectuels de fond. Il y a eu malentendu, cafouillage, maldonne. Time out! Stop c’est magique! Ce débat spécifique n’aurait pas du s’incurver de cette manière, prendre cette tangente. La rédaction de ce chapitre ne vous a-t-elle pas donné l’impression d’avoir découvert un monstre… ou alors sommes-nous de toute façon dans un corpus dont autant la virulence que la spécificité renouvelée fait que tout est monstre?

D.G.: Cette polémique, j’en ai d’abord été le témoin estomaqué au moment où elle avait cours, en 1997. Je vous confie qu’elle fut le point de départ du livre que vous tenez entre vos mains. Comment en étions-nous arrivés à vivre un tel psychodrame? Comment pouvions-nous atteindre un tel degré d’irréalité? Vous parlez de monstruosité, le terme est bien choisi: les dénonciations d’antisémitisme et de fascisme fusaient, un observateur étranger à l’affaire aurait pu croire, à la lecture de certains articles, qu’Hitler était revenu, alors que le point de départ de la chicane était une courte conférence dans laquelle une auteure d’ici, Monique LaRue, s’interrogeait sur les mutations du concept de «littérature québécoise» à l’ère des «écriture migrantes»… Présumée coupable, la malheureuse auteure de la conférence, aidée d’amis venus à sa défense, devait prouver qu’elle n’était pas fasciste, mais les plaidoyers en sa faveur furent si nombreux et unanimes que l’attaquant y vit une preuve du caractère foncièrement totalitaire de la société québécoise! Vous vous demandez dans quel état j’ai pu écrire ce chapitre? Je vous dirai que j’ai dû fournir un effort considérable pour m’en tenir à un acte d’observation. J’ai pu vérifier combien il est difficile de garder le cap sur un minimum de rationalité dans un contexte où ça s’emballe jusqu’au délire. Même quinze ans plus tard, il est ardu de ne pas céder à la logique folle d’un discours paranoïde. C’est ainsi que je le nomme devant vous, mais vous remarquerez que je me suis interdit de le faire dans mon analyse puisque j’aurais ainsi donné l’impression de prendre position (c’est la stratégies du fou, il nous pousse à bout pour ensuite mieux nous reprocher d’être contre lui). Je m’en suis donc tenu aux faits, ce dont je me félicite.

Y.: Ça se laisse lire en tout ça, quelles que soient les conclusions qu’on en tire. Je me garde le chapitre sept pour la toute fin. Passons donc tout de suite au chapitre huit intitulé Affaire Cantat: une controverse publique aux dimensions multiples. Moi, c’est indubitablement cette affaire-là qui me rend le plus émotionnel… Et la question qu’elle me suscite est la suivante et nulle autre. Est-il possible d’avancer l’argument le plus innommable qui soit en ne disant strictement rien et en mettant tout simplement un compositeur-arrangeur sous contrat pour un spectacle? Peut-on dire toute sa haine des femmes les lèvres bien closes et en se couvrant complètement? N’est-ce pas l’abjection absolue et la parade argumentative absolue dans le même mouvement que cette si troublante affaire Cantat? Dites-moi…

D.G.: J’aimerais mieux comprendre ce qui vous trouble dans cette histoire… La décision de Wajdi Mouawad de faire monter sur scène un homme qui a tué son amante?

Y.: Surtout le puissant et inattaquable infratexte misogyne que cela véhicula dans le cas d’une production dramatique intitulé Des femmes. Absolument. Mais je ne suis pas ici pour vous asséner mes vues personnelles sur les thématiques suspectes et les angles textuels biaiseux de Lionel Groulx ou de Wajdi Mouawad… et encore moins pour polémiquer avec vous. Sur l’Affaire Cantat, donc, vous nous dites que…

D.G.: Contrairement aux autres polémiques du livre, analysées à distance de plusieurs années,  celle-ci a été abordée  à chaud, alors  que  ses  échos  se  faisaient encore entendre. Vous aurez  remarqué que le parti pris analytique du livre (aborder les querelles du point de vue des  rapports interpersonnels) est ici renversé: j’ai écarté tout ce qui touchait à la mise en scène de soi et de l’autre pour ne retenir que  le contenu  des  propositions. Ce chapitre permet donc de  s’y retrouver dans le dédale des thèmes et sous-thèmes que l’affaire a générés. Au fond, la préoccupation est la même: il s’agit de suivre le parcours d’un objet de débat, les bifurcations  qu’il emprunte, les nœuds qu’il rencontre, ce qui est oublié en cours de route… Vous avez raison de le signaler, cette polémique a pour point de départ un projet artistique provocateur (faire monter sur scène, dans le cadre d’une œuvre théâtrale portant sur la violence faite aux femmes, un artiste déjà condamné pour le meurtre de son amante), et non un discours. Le public était donc convié à interpréter un geste dont l’intention a mis du temps à lui être expliquée. Geste, qui plus est, qui amalgamait la fiction et la «vie», ce qui nous resitue dans l’orbite de cet Ethos indistinct des propositions plus spécifiquement rationnelles. L’autre particularité de cette polémique est qu’elle a connu une fin: ceux qui s’opposaient à la présence  sur scène de Bertrand Cantat ont gagné, non parce que leurs arguments étaient plus puissants, mais parce que la direction du TNM,  sentant le danger, a décidé de faire marche arrière.  Cela réglé, les discussions ont cessé subitement. Il m’importait donc de rappeler la série de questions morales,  civiques,  juridiques  et esthétiques laissées en plan.

Y.: Voilà. Vous résumez très bien l’esprit de ce chapitre traitant avec doigté d’une question difficile et qui, personnellement, est un de mes préférés. Pour le reste, bon, ce sera à l’histoire de trancher. La suite de l’ouvrage est formée d’une conclusion générale, intitulée Redéfinir l’éthique de la discussion et de trois annexes (Fonction de l’ethos dans la formation du discours conflictuel ; Nomenclature des aspects rattachée à l’ethos et la bibliographie). Cela nous permet finalement de nous jeter sur le dessert du loup, le chapitre sept, intitulé. Le blogue, espace public de discussion? Dans ce chapitre jouissif, qui porte sur le gargantuesque continent polémique contemporain des blogues (journalistiques notamment), j’ai la joie d’annoncer à mes lecteurs et lectrices que vous parlez, entre autres, du Carnet d’Ysengrimus en termes ma fois, fort sympas. Il faut aller lire ça (pp 376-380). C’est donc à l’observateur théoricien qui comprend bien la dynamique interactive, même celle du cybermonde, pour l’avoir analysée à fond que je demande joyeusement, en conclusion, comment vous sentez-vous sur Le Carnet d’Ysengrimus?

D.G.: Votre Carnet, cher Ysengrimus, fait la démonstration que le cyberespace offre la possibilité de débats intelligents, approfondis et structurés. La condition première, que vous remplissez admirablement, est l’engagement actif du blogueur, qui prend le soin de répondre à ses interlocuteurs, de les ramener dans le sujet quand ça tend à déraper. Le contrat que vous avez établi avec ceux qui vous suivent est très clair, vous avez pris soin de fixer les règles du jeu. C’est donc un espace de discussion bien géré. De plus, les billets demeurent accessibles, je peux réagir à un post publié deux ans auparavant. On est donc très loin du consommer-jeter-oublier qui prévaut sur les blogues des grands journaux. On ne se présente pas sur votre blogue pour se faire voir, mais bien pour se mesurer à une pensée. Il faut dire que la vôtre est passablement organisée; vos interventions sur tel ou tel sujet s’appuient sur des présupposés philosophiques que vous avez pris soin de définir, de sorte que circuler sur votre Carnet, c’est visiter plusieurs étages d’un même édifice, des fondations jusqu’aux combles, sans oublier le jardin où il vous arrive de folâtrer. Il s’agit maintenant de voir comment vous pourriez élargir votre bassin d’interlocuteurs. Si j’ai pu contribuer à vous en amener quelques-uns, je m’en réjouis, mais sans doute faudrait-il que vous vous commettiez davantage dans les médias à large diffusion.

Y.: Un jour peut-être… en attendant, puisqu’on est entre nous (or so it seems…), je vous dis grand merci Dominique Garand d’être venu partager le fruit de vos recherches avec nous par ici. Place maintenant à la discussion…

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Dominique Garand, Laurence Daigneault Desrosiers, Philippe Archambault (2014), Un Québec polémique – Éthique de la discussion dans les débats public, Hurtubise, Communication et Littérature — Cahiers du Québec, Montréal, 450 p.

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