Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Archive for avril 2015

Le mot qui compromet irrémédiablement toutes guerres impérialistes: VIETNAM

Posted by Ysengrimus sur 30 avril 2015

Saigon, 1975

Saigon, 1975

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Il y a quarante ans aujourd’hui tombait Saigon, capitale du ci-devant «sud-Vietnam». Se terminait alors minablement ce qui aura été la plus lourdement symbolique et absurde de toutes les guerres de théâtres post-colonialistes du siècle dernier: la guerre du Vietnam. J’avais seize ans au moment de l’annonce à la fois subite et tant attendue de la paix au Vietnam. Ce fut tonitruant. Mes confrères et consœurs collégiens et collégiennes courraient partout dans les corridors de la vénérable institution, ce 30 avril 1975, euphoriques, débordants, colportant la nouvelle joyeuse et sans mélange du retour de la paix, de salles de classe en salles de jeux. La paix, la paix. On s’en tapait passablement, sur le coup, que les ricains se soient rétamés. La paix était revenue et c’était la concorde universelle qui s’imposait aux masses mondiales depuis cette onde de fond venue de la toujours mystérieuse Asie du Sud-Est. Cela nous remplissait d’une pure et simple grande joie. Pour quelques temps, c’est une limpide certitude, nous avons tous été Vietnamiens. Le courage et la détermination historiques de ces quelques millions d’hommes et de femmes restent, on peut le dire aujourd’hui comme on le scandait hier, un modèle, un exemple tout simple tout modeste mais magistral, pour tous les peuples opprimés par des plus puissants, des plus opulents et des plus brutaux qu’eux.

Souvenons-nous, sans lésiner ou chipoter et avec la plus respectueuse des déférences. Dans l’ancienne Indochine française, le colonialisme français vermoulu se fait d’abord sortir fermement par les partisans vietnamiens, à la bataille de Dien Bien Phû (1953). La Chine de Mao Zedong (1993-1976) brille alors comme un soleil ardent et la logique de confrontation du bloc de l’ouest (pro-ricain) et du bloc de l’est (pro-soviétique) est déjà solidement en place. Les Américains prendront donc le relais des Français pour tenter de garder le Vietnam dans le camp occidental. Le pays se retrouve vite coupé en deux, comme la Corée, l’Irlande, le Yémen, l’Allemagne. Hô Chi Minh, (1890-1969) chef du Vietcong fait de Hanoï sa capitale provisoire. Il travaille avec les chinois, tout discrètement. Mais surtout, il est «communiste». Les Américains eux, occupent ouvertement, brutalement, Saïgon et le Vietnam du sud. Dans l’existence de petits pays dits «communistes» comme le Vietnam, tout se joue, à cette époque, dans un monde en guerre froide, au rythme des lourds soubresauts de l’impérialisme américain. Entre 1965 et 1968, les États-Unis renforcent lourdement leur présence au Vietnam. C’est l’époque sinistre de Good Morning Vietnam! Les américains sont pris dans un paradoxe qu’ils ne pourront pas résoudre: comment gagner cette guerre contre des résistants pugnaces, dans la jungle indochinoise, sans la tourner en conflit international généralisé? Comment faire sauter une bombe dans un aquarium sans casser l’aquarium et tout éclabousser? Pour ne rien simplifier, un autre problème devient de plus en plus ardu pour les pouvoirs américains vers 1969-1970. Leur propre opinion publique est désormais bien moins docile et va-t-en-guerre que du temps du Débarquement de Normandie. Bob Dylan (né en 1941) et Joan Baez (née en 1941) chantent contre la guerre et toute la génération du Peace and Love devient Draft Dodgers. En 1975, les américains ne peuvent plus tenir cette équation en équilibre. Ils perdent donc, en catastrophe, la guerre du Vietnam. Saigon est rebaptisée Hô-Chi-Minh-Ville et le Vietnam est unifié et pacifié, sous le drapeau rouge.

Mais c’est alors que VIETNAM va littéralement devenir un mot-clef sociopolitique universel et ce, dès la fin de la guerre. Comme frapper son Waterloo signifie faire face à une défaire aussi cuisante que limpide et définitive, rencontrer son Vietnam se dit désormais de la déroute d’une puissance en conflit avec une contrée beaucoup moins établie ou organisée qui, elle, parviendra, avec patience, méthode, courage et détermination, à emmêler le géant dans les filets strangulatoires de sa guerre de résistance. Depuis que les Américains ont décampé de Saigon, dans le désordre le plus chaotique, on ne conceptualise tout simplement plus la guerre impérialiste moderne de la même façon. Des gens qui se battent chez eux, dans leur hinterland, pour protéger leurs familles, leurs hameaux et leurs communautés peuvent indubitablement vaincre et ce, sur le terrain des opérations tout autant que dans l’opinion du village global. Depuis le 30 avril 1975, les grandes puissances, et particulièrement, l’impérialisme américain, sont circonspects, timorés, fantasques, nerveux, grippés. Les roys n’ont plus leurs aises depuis l’abrupt départ de Louis XVI. Plus rien ne sera jamais comme avant, dans les chancelleries chics. Aussi, les puissances d’agressions et d’occupations contemporaines engagent de plus en plus des ressources colossales pour soulever un caillou dans les guerres de théâtres. Le gâchis financier et humain atteint désormais des proportions pharaoniques, pour des résultats géopolitiques de plus en plus confus, déstabilisants, minus, stériles et nuisibles. N’enthousiasmant plus que le bellicisme d’affaire, les faucons américains font désormais dans la guéguerre toxique, asociale, mercenaire et factieuse. Le Vietnam leur a collé au ventre une trouille durable et emblématique, une allergie sentie au discrédit sociopolitique et socio-historique planétaire. Ceci ne se dément pas au fil du temps qui passe et de la mondialisation qui opère, elle, de plus en plus, dans les espaces de solidarité citoyenne, pas juste dans les petits réseaux feutrés des officines impériales foutues. Le mot VIETNAM synthétise désormais la foutaise futile de toutes guerres impérialistes.

Mais il y a plus, beaucoup plus. L’incontournable message que nous transmet l’héritage historique du Vietnam est d’une actualité brûlante, urgente. Méditons-le donc, un petit peu, sans préjugés d’intox pour changer, ce message de fond. Moi, dans mon enfance, j’ai vu mes premiers cadavres ensanglantés en couleur, lors des couvertures, aux actus, du ronron quotidien de la guerre du Vietnam. C’était aussi saisissant que révoltant. Tragique. Inique. Incompréhensible. Inhumain. Tout, dans la propagande d’époque, cherchait à légitimer la guerre. Cela se faisait grossièrement, frontalement, en proclamant sur tous les tons que, si Saïgon tombait, ce serait le chaos anarcho-communiste absolu et que plus rien n’irait plus au Vietnam autant que dans le reste de cette cruciale portion d’Orient. Et aujourd’hui, le Vietnam est un des pays les plus prospères d’Asie, toujours sous la houlette politique d’un parti dit «communiste». Rien des prédictions propagandistes apocalyptiques du temps ne s’est réalisé. Zéro. Nada. Aujourd’hui les Vietnamiens vivent tranquilles et font leurs affaires sans faire chier personne. Même le napalm ricain n’est plus qu’un lointain souvenir pour eux. Leurs horizons magnifiques sont désormais une de nos destinations touristiques les plus courues. Quelle tonitruante leçon.

Voici donc, justement, le message que nous impose, toujours avec autant de puissance tranquille, Saïgon, avril 1975. QUAND LA GRANDE PUISSANCE SOI-DISANT SALVATRICE SE FAIT LA MALLE SANS QUE RIEN NE SOIT «RÉGLÉ» SELON SES VUES, LA CATASTROPHE NE SURVIENT TOUT SIMPLEMENT PAS. ELLE S’INTERROMPT, EN FAIT. ET TOUT SE REMET À FONCTIONNER RONDEMENT ET ABSOLUMENT RIEN NE CLOCHE PLUS. Fatalement c’est bien que, pour employer un jargonnage barbant qu’ils ont inventé eux-mêmes, les impérialistes occidentaux FONT PARTIE DU PROBLÈME, PAS DE LA SOLUTION.

Il nous faut aujourd’hui, en tous les points de conflits de ce monde en pleine ébullition des consciences, des Saïgon 1975, des tas et des tas de Saïgon 1975. Il faut que les impérialistes occidentaux sortent des théâtres de guerre. Abruptement. Tout de suite, sans pinailler ni tergiverser. Qu’ils mettent les bouts, point. Tire-toi, barre-toi, casse-toi, taille-toi, arrache-toi, dégage, déboule, cul par-dessus tête, avec armes et bagages ou sans. Immédiatement, inconditionnellement. Zou. Basta. Du vent. Du balai. Qu’ils retournent au bercail, qu’ils rentrent dans leurs terres. Ruban jaune, les gars, fissa, fissa. Qu’ils démobilisent et ne rempilent pas, une bonne fois. On n’a pas besoin d’eux dans les portions du monde en guerre. De fait, c’est quand ils décrissent et vont se foutre le camps qu’elle s’en va elle aussi, la guerre. Et c’est seulement alors que l’on s’entend, que l’on s’organise, que l’on vit un peu et que l’on prospère. Alors, une bonne fois, rembarquez dans vos bateaux, vos coucous, vos carrioles et fouette cocher.

C’est elle par dessus tout, la grande leçon de l’anti-impérialisme objectif, empirique et factuel que nous impose la Paix du Vietnam. Solidarité avec tous les résistants du monde. Courage. Et demain est un autre jour. Le jour ou tous nos Saïgon redeviendront, d’un seul coup d’un seul, tous nos Hô-Chi-Minh-Ville.

Saigon, 2015

Saigon, 2015

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Les CONTES de Jacques Ferron, toujours avec nous, toujours en nous

Posted by Ysengrimus sur 22 avril 2015

ferron

Il y a trente ans pile-poil mourrait Jacques Ferron. Or, ce jour là on me demande qui donc serait LE conteur québécois du vingtième siècle, alliant adroitement tradition et modernité des thèmes et des structures. Voici donc notre homme: Jacques Ferron (1921-1985). Et voici vos ouvrages: ses Contes du pays incertain (de 1962), ses Contes anglais et autres (de 1964), et tous ses contes inédits, taqués ensemble dans la fameuse édition abordable et de grande diffusion BQ (Bibliothèque Québécoise). Précurseur du micro-récit, sorte de hockeyeur de la narration, Ferron se vide en quelques pages, nous laissant des scripts superbement habillées, d’une imagination fébrile, d’un drolatique caustique et d’une drôlerie envoûtante et déroutante. Héritier honorable de Louis Fréchette, d’Honoré Beaugrand et de Pamphile Lemay tout en se montrant un compatriote non surpassé d’Hubert Aquin, de Victor-Lévy Beaulieu, d’André Langevin et de Michel Tremblay, Ferron nous emporte dans un terroir en effiloche, une campagne distordue, fourbue de sa propre bizarrerie, mortifiée et gauchie par la capilotade étrange de son errance historique. Il fut médecin, ses personnages le sont souvent (pas toujours…) aussi. Cela ouvre un angle totalement incongru et charnel qui se coupe dans le vif des chairs de la comédie humaine. Le tout du ton se dégage parfaitement des deux premiers paragraphes du conte Une fâcheuse compagnie qui se lisent comme suit:

J’étais nouveau dans la pratique; par une air de suffisance je cachais les inquiétudes que me causait mon personnage. Un jour je fus appelé à Saint Yvon, un des villages de la paroisse de Cloridorme, dans le comté de Gaspé-Nord. On était en hiver; la mer formait un immense champ de glace avec, ça et là, des trouées noires et fumantes.

Dans les vieux comtés, où règne l’habitant casanier et chatouilleux sur la propriété, on ne partagera jamais avec ses voisins d’autre bétail que les oiseaux du ciel. À Saint Yvon, il n’en va pas de même; on subit l’influence de la mer, qui est à tous et à chacun. Cela donne un régime moins mesquin, favorisant l’entraide et la société. Par exemple, chats et chiens sont aux soins de tout le monde; et les cochons aussi, hélas!

(p. 60)

S’ensuivra une déconstruction fulgurante, digne des gambades les plus paumées de La grande séduction, de la contenance de ce personnage un peu précieux de médecin ambulant, due au fait que les porcs et porcelets du village qu’il découvre ont une inexplicable propension à le suivre partout où il va, fâcheuse compagnie pour l’ego dépaysé et désespérément en maraude, en quête des déférences locales.

Il faut, par-dessus le tas, avoir vécu au Canada anglais pour goûter toute la justesse et la rouerie taquine et satirique du second recueil de l’ouvrage. Les Contes anglais donne à lire, ouvertement ou en filigrane, la vision que le canadien-français des vieilles terres entretient, comme inexorablement, dans sa découverte de la culture de la frontière. Entre Fenimore Cooper, John Steinbeck et Jack Kerouac, les abasourdissantes surprises sociologiques ne manquent pas. Mais le monde des hommes et des femmes de Ferron, c’est encore bien plus que celui de la nouvelle en peinture sociale, figurative, réaliste ou naturaliste. Tant dans le mouvement des plans, le ton et la texture de l’imagerie, que dans le traitement et les thèmes, nous sommes bel et bien dans du conte. Les animaux parlent souvent, se convertissent en formes anthropomorphes, et, si le surnaturel ensorcelé, hostile et menaçant des vieux conteux de pipes d’autrefois n’y est plus, il reste qu’un au-delà biscornu, torve, parfois opulent, parfois miséreux, parfois poétique, parfois carnavalesque se fait souvent sentir.

Il partit donc. L’automne était avancé. Bientôt la neige tomba et la drôle de maison, se détachant de Fontarabie, se mit à flotter; elle passa lentement au dessus de la génération perdue, arche dérisoire, barque des impuissants, au dessus du bonhomme au fond du déluge, qui brandissait son terrible bâton.

(p. 157)

Jacques Ferron, plus que quiconque, donne la mesure de ce que sont le pitch et le rythme d’un récit court. Timing is everything et les circonlocutions crochues et adroites du scénario en miniature se marient ici avec une vigueur et un coloris de l’expression qui gardent constamment en alerte et pèlent l’imaginaire du lecteur interloqué, comme le conquérant dérouté pela jadis, sans trop le savoir ou le vouloir, en se retirant comme une eau saumâtre, le fond cuisant de nos pays incertains…

Jacques Ferron (1993), Contes, BQ, Coll. Littérature, Montréal, 295p [Édition originale: 1968].

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Les principes de la théorie de la relativité d’Einstein expliqués par la poupée Barbie

Posted by Ysengrimus sur 18 avril 2015

Barbie-Architect

Il y a soixante ans pile-poil mourrait Albert Einstein (1879-1955). Qui de mieux aujourd’hui que la poupée mannequin Barbie pour nous expliquer les principes de la pensée de ce grand scientifique. Lisons plutôt (tiré du corpus de DIALOGUS, officine de Barbie).

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Bonjour Barbie,

Je me demande ce que tu penses de l’opinion que les autres ont de toi; es-tu, comme la plupart des gens le croient, superficielle et refaite de partout?

Merci!

Marie-Christine

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Refaite de partout… Franchement, Marie-Christine, c’est vexant. Je ne suis refaite de nulle part. Je suis moi-même. Je ne fais certainement pas la promotion de la chirurgie esthétique. Celle-ci, en effet, est une violence contre nature imposée aux femmes par des abrutis cruels qui, vu leurs sales gueules, ne se la sont certainement pas appliquée à eux-mêmes! Je suis athlétique, sportive, coquette et autonome. Je suis prête à cultiver une discussion de fond avec toi sur n’importe quel sujet. On va bien voir si je suis superficielle. Non mais, oh…

Barbie

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Je voulais seulement savoir si l’idée des gens était vraie… je me demandais seulement…

Marie-Christine

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Excuse-moi. Je me suis emportée. Je suis désolée. Je ne suis pas superficielle. Je suis intelligente, Marie-Christine, je suis très intelligente. Je peux t’expliquer la théorie de la relativité de mon bon ami monsieur Einstein, si tu veux. Pas les formules et le charabia, mais le principe. Tu pourras l’expliquer à toutes tes amies après. C’est si simple et si intelligent. Ce sera certainement une façon moins agressive de répondre à ta question. Tu veux?

Barbie

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Je veux bien!

Marie-Christine

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Très bien! (Je suis toute excitée). Imagine une perle de collier qui roule sur le bord de ta coiffeuse. Tu la vois. Une jolie perle blanche qui roule. Pense ensuite à une variable physique dans son mouvement: sa vitesse. La perle accélère, ralentit, s’arrête, roule de nouveau si tu la chiquenaudes. Sa vitesse de roulement sur le bord de ta coiffeuse est inévitablement variable. Plus précisément: elle est relative, car elle dépend de la force de ta chiquenaude (pour son accélération) et de la force d’inertie de la surface de ta coiffeuse (pour sa décélération). Si la vitesse de roulement de la perle est relative, le reste semble constant. Son poids ne change pas quand elle roule, et le temps ne change pas non plus autour d’elle. Le poids de la perle et le temps dans lequel elle roule sont des constantes, du moins à nos yeux limités de femme et de poupée. Avec cela, tu as la mécanique de Newton: vitesse relative, mais poids et temps constants. Prends la même perle et amène-la sur la lune, elle est six fois moins lourde, amène là sur Jupiter, elle est vingt fois plus lourde. Lâche-la dans une navette spatiale, elle n’a plus de poids. C’est que le poids, comme la vitesse, n’est pas constant. Il dépend de l’astre sur lequel la perle se trouve. C’est que le poids n’est pas une réalité toute seule comme ça. Il est la relation gravitationnelle entre deux masses (celle de la perle et celle de la planète où elle se trouve). Le poids de la petite masse est RELATIF à celui de la grosse masse. Il n’y a pas plus de poids stable qu’il n’y a de vitesse stable. La vitesse est relative aux forces en présence, le poids est relatif aux masses en présence. Newton avait déjà pressenti cela.

Mais c’est alors que le très gentil Monsieur Einstein survient et applique un raisonnement tout simple. Si la vitesse est relative aux forces et le poids qu’on croyait constant est relatif aux masses, je suis obligé d’envisager que TOUT EST RELATIF et qu’il n’y a pas de constante physique en fait. Il était facile d’observer directement que la vitesse est relative aux forces. Il suffit encore de faire rouler la perle directement sur la surface de ta coiffeuse puis ensuite de la faire rouler sur ton mouchoir. La seconde fois, elle roulera moins loin à cause de la force d’inertie de ton mouchoir. On fait fréquemment cette expérience dans la vie. C’est la notion de vitesse constante que Newton a dû abstraire. Dans un monde où tout accélère et ralentit, il a dû imaginer une perle volant dans l’espace sans friction. C’était déjà une très bonne abstraction pour un homme du 18ième siècle. Elle est prouvée aujourd’hui en apesanteur. Il est en effet moins facile d’observer que le poids est relatif aux masses. Pour cela il faut aller taper une balle de golf sur la lune ou se lancer un tube de dentifrice dans une navette spatiale. Newton n’a pas pu faire cela. Sa physique fonctionne donc à poids constant, malgré le fait que Newton a compris par des calculs que le poids dépendait des masses en présence via la gravité. Monsieur Einstein, aussi avec des calculs, sans pouvoir observer non plus, s’est attaqué à la plus stable des variables physiques: le temps. Il s’est dit: si toutes les constantes physiques sont en fait variables, le temps n’y échappe pas. Il est aussi relatif. À quoi? À la vitesse. Quand on se déplace à très haute vitesse, le temps change… C’est difficile à accepter mais les contemporains de Newton avaient autant de difficulté à visualiser une bille flottant dans l’apesanteur. Ils l’imaginaient constamment en train de tomber vers le «sol». Dans une navette spatiale, il n’y a plus de sol.

Toutes les constantes physiques sont en fait des variables relatives dans un monde où tout change. C’est pour cela que la théorie de Monsieur Einstein s’appelle la théorie de la RELATIVITÉ GÉNÉRALISÉE. Il est mort en 1955 et n’a pas pu connaître l’horloge atomique. Celle-ci mesure des fractions infimes de secondes. On en laisse une par terre, on en met une dans un avion. On les actionne en même temps. L’horloge de l’avion, quand il atterrit, n’indique plus exactement la même heure que l’horloge au sol. La vitesse de l’avion a altéré son temps. Le temps n’est pas stable, c’est une corrélation entre des vitesses, et les vitesses sont des corrélations entre des forces, et les forces sont des corrélations entre des masses, et… etc. Tout est OBJECTIVEMENT relatif… Simple et génial comme principe, non?

Ta Barbie

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Merci!

J’ai bien aimé la façon dont tu me l’as expliquée.

Marie-Christine

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Le trouble persistant que semble nous susciter THE TROUBLE WITH HARRY

Posted by Ysengrimus sur 10 avril 2015

troublewithharry

Vermont, 1955 (il y a donc de cela soixante ans pile-poil). Un paysage d’automne enchanteur, bucolique, paradisiaque, incroyablement siècle dernier. Petit village dans une vallée, petite chapelle, petit promontoire de colline, petit port d’arme prohibé (nos valeurs morales sur les flingues se sont diamétralement inversées, en deux générations, on s’en avise tout juste, ici). Le vieux capitaine Albert Wiles (Edmund Gwenn, parfaitement onctueux) parle tout seul dans la nature, d’une voix douce, feutrée, sereine, amorale. Il assure, pour nous, la narration commentée des petites choses qui lui arrivent. Il chasse le garenne (c’est encore un acte libertaire et libérateur, en son temps, que de chasser en catimini un gibier qu’on dégustera, avec une arme qu’on astiquera soi-même). C’est bizarre d’ailleurs, car le bon capitaine chasse le garenne à la carabine. Pas facile, ça. Il faut savoir viser plus juste qu’à la chevrotine… Trois cartouches sont tirées. Une dans la pancarte prohibant et le port d’armes et la chasse (ah, le doux flingue libertaire de jadis!). Une dans une boite de conserve qui passait par là. Une troisième… Le capitaine Wiles se trouve subitement un peu perturbé par un homme bien mis, assez classe d’allure, étendu sereinement dans l’humus automnal. C’est Harry Worp (rôle inexorablement muet tenu par Phillip Truex. Hitchcock dut un peu se chamailler avec la production pour que le cadavre de Harry soit joué par un vrai acteur  –  ce dernier ne fut d’ailleurs pas crédité à l’époque. L’Histoire a heureusement retenu son nom). Or il y a indubitablement un petit problème ennuyeux concernant Harry. Il est raide mort. Sans nécessairement s’énerver, on s’autocritique toujours un petit peu dans ce genre de situation, face à ce genre de découverte. Le capitaine Wiles pense indubitablement à sa troisième cartouche, dont il ne retrace pas exactement la trajectoire. Balle perdue, pour tout dire. Pas pour tout le monde visiblement. L’élasticité de notre morale prend cependant vite le dessus sur tout autre sentiment. Le capitaine Wiles s’apprête donc à discrètement escamoter Harry, qui fait vraiment tache sur ce promontoire de colline aux couleurs vives et contrastées. C’est alors que jaillit de nulle part Mademoiselle Ivy Gravely (Mildred Natvick), dame mûre, roide, stoïque, contenue. Elle émet alors ce que la légende décrit comme la réplique préférée d’Hitchcock, de tous les films… d’Hitchcock: What seems to be the problem, Captain Wiles? Le pauvre capitaine Wiles, qui était déjà en train de tirer Harry par les pieds, n’en mène vraiment pas large. Le film d’Alfred Hitchcock qui sera son plus gros succès au guichet de tous les temps, vient de camper sa toute drolatique ambiance d’ouverture.

Au village, le peintre Sam Marlowe (John Forsythe, masculin jusqu’au bout des ongles) discute ses petits problèmes avec madame Wiggs dite Wiggy (Mildred Dunnock), la bonne tenancière du magasin général qui lui fait crédits sur crédits, parce qu’il est un génie artistique. Ce peintre, décontracté et indolent, n’arrive à caser aucune des jolies croûtes jacksonpollockesques qu’il exhibe sur un bel étal, près de la rue principale du village. Il y a d’ailleurs lieu de noter, entre ce superbe paysage d’automne du Vermont et ces toiles particulièrement léchées et saisissantes, une véritable jouissance de la couleur, dans la cinématographie de ce film spécifique. Même la pointe des chaussettes de Harry (il s’est fait chaparder ses chaussures par un vagabond, peu après sa mystérieuse mort) est d’un rouge éclatant. Il faut le dire aussi, nous sommes bien les seuls, au jour d’aujourd’hui, à comprendre l’inspiration artistique du peintre Marlowe. Qu’à cela ne tienne, le voilà qui se rend sur le promontoire de colline qui, du reste, semble devenu un véritable hall de gare depuis qu’Harry y gît, raide mort. Le peintre inspiré fera même un portrait du macchabée, en écorniflant cette situation incongrue qui ne semble en rien lui faire perdre sa faconde débonnaire. L’artiste établira évidemment sa jonction avec le pauvre capitaine Wiles et l’aidera à creuser une fosse pour y bazarder Harry. Le problème Harry rebondira cependant intégralement, quand le petit Arnie Rogers (Jerry Mathers, âgé de sept ans à l’époque) trouvera un garenne de bonne taille indubitablement percé d’une cartouche. La troisième cartouche du capitaine Wiles! Ce dernier n’a donc rien à voir avec le passage de Harry de vie à trépas. Le peintre Marlowe est de plus en plus intrigué par tout ceci et décide de fouiller la question. C’est la mère du petit Arnie, Jennifer Rogers (une Shirley MacLaine de vingt-et-un ans, campant gaillardement son tout premier rôle) qui croit avoir assommé Harry, avec une bouteille de lait. Le capitaine Wiles fait aussi ses découvertes. C’est Mademoiselle Ivy Gravely qui croit l’avoir assommé avec une de ses chaussures de marche. Le problème avec Harry c’est que, devant son drame, tout le monde introspecte son propre petit monde coupable, croyant sincèrement avoir quelque chose à voir dans la mort violente du susdit Harry qui, du reste, n’était visiblement pas un petit saint, surtout dans son interaction avec les dames. Le sheriff adjoint Calvin Wiggs, le fils de la tenancière du magasin général (joué par Royal Dano – ce lumpen-constable un peu obtus subira ouvertement le mépris de classe des autres, d’ailleurs), va s’en mêler, ainsi qu’un deus ex machina fort improbable, comme tous ses semblables. Et l’histoire, autant que la compréhension de ses tenants et de ses aboutissants, va se complexifier, sans qu’on perde ce ton calme et patiemment méthodique des rythmes villageois séculaires, qui regardent passer le traintrain des choses comme un mystérieux et fantasmagorique fleuve tranquille.

C’est une réflexion sur l’intendance feutrée de la culpabilité collective, cette affaire, en fait. C’est aussi une analyse des tendances profondément amorales qui existent tout naturellement en chacun de nous. Les trois personnes croyant ou ayant cru avoir joué un rôle dans la mort de Harry, le capitaine Wiles, Mademoiselle Gravely et Jennifer Rogers vont souder une complicité de plus en plus solide, dont le peintre Sam Marlowe sera le tonique ciment. Le sheriff adjoint Calvin Wiggs fournira cette raideur constabulaire qui fait infailliblement remonter toutes nos circonlocutions coupables à la surface (L’autorité, c’est le gendarme. Pas de gendarme, pas d’autorité). L’enfant Arnie Rogers incarnera le risque constant de se couper et de tout éventer. Et Harry… eh bien, Harry, ce sera le problème, naturellement. Ce qui est particulièrement savoureux dans ce film, suavement théâtral, c’est que l’analyse des tendances amorales de tous ces gens ordinaires, confrontés à l’extraordinaire, ne s’effectuera pas seulement dans le déploiement de leurs actions mais aussi dans le ton de leurs interactions. Le jeu particulièrement étrange et décalé de Shirley MacLaine donnera à cette dynamique un relief patent, confinant ouvertement au bizarre. Une jeunesse, une nervosité de tempérament co-existent, en Jennifer Rogers, avec un calme singulier, irréel, comme insouciant devant la réalité, éventuelle ou effective, de l’entrée dans le crime. Le problème posé par Harry, fondamentalement, c’est celui posé par l’homicide involontaire. Dans une situation d’homicide involontaire, on fait quoi? On enterre le cadavre pour s’éviter des emmerdements excessifs ou on l’exhume pour s’éviter une accusation de préméditation que le simple geste de dissimulation fabrique, comme inexorablement, plutôt qu’elle ne la révèle.

Le traitement de cette question incongrue est ici tout léger et il volette sur les ailes éthérées d’une direction d’acteurs particulièrement adroite et judicieuse. Mais cette légèreté de ton et de traitement ne doivent pas faire illusion. Le problème abordé ici, frontalement, nous suscite des bouffées d’angoisse pures et denses. The trouble with Harry, c’est surtout, par-dessus tout, du Hitchcock à l’état pur.

The trouble with Harry, 1955, Alfred Hitchcock, film américain avec Edmund Gwenn, John Forsythe, Mildred Natvick, Mildred Dunnock, Shirley MacLaine, Royal Dano, Jerry Mathers et Phillip Truex (dans le rôle de Harry), 99 minutes.

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Jésus dans le Coran II: la vie et la «mort» d’Îsâ Ibn Maryam

Posted by Ysengrimus sur 5 avril 2015

oiseau dans les mains

Les musulmans surnomment le prophète Îsâ Ibn Maryam (Jésus fils de Marie), le messie. Je vais donc préférer ici ce terme à l’hellénisant christ («oint» en grec) qui n’a pas de statut dans le texte coranique. J’ai déjà évoqué la naissance du fils de Marie, selon l’Islam. Dans l’esprit des pâques, je veux me concentrer ici sur la vie et la «mort» du messie, dans le Coran. On sait déjà (si on a lu le texte Jésus dans le Coran I) que Jésus n’est pas dieu, qu’il n’est pas le fils de dieu et qu’il ne fait pas partie d’une trinité, divine ou autre, attendu que dieu est unique. Voyons maintenant ce que Jésus fait effectivement de ses journées, ce qui ne sera pas grand-chose, en fait, car le Coran parle l’un dans l’autre assez peu de ce prophète, pourtant donné comme majeur.

Jésus (Îsâ), ou Jésus, fils de Marie, (Îsâ Ibn Maryam) est l’avant-dernier prophète de l’Islam. Comme tel, il annonce, ouvertement et explicitement, la venue du dernier prophète, le Saint Prophète Mahomet.

Jésus, fils de Marie, dit:
«Ô fils d’Israël!
Je suis, en vérité le Prophète de Dieu
envoyé vers vous
pour confirmer ce qui, de la Tora, existait avant moi;
pour vous annoncer la bonne nouvelle
d’un Prophète qui viendra après moi
et dont le nom sera ‘Ahmad».
 
Mais lorsque celui-ci vint à eux
Avec des preuves incontestables,
ils dirent:
«Voilà une sorcellerie évidente!»

(Le Coran, Sourate 61, Le rang, verset 6, traduction D. Masson)

La fameuse bonne nouvelle messianique c’est donc, d’abord et avant tout, la venue, future et triomphale, de Mahomet. Jésus est donc lui-même un prophète majeur qui vient rectifier la Tora et annoncer l’Islam. Le détail explicite de sa quête n’est pas toujours clairement fourni mais on discerne assez nettement que Jésus est aussi, de fait, un humain ordinaire. Si quelque chose le caractérise nettement, dans sa mission messianique, c’est le fait qu’on ne tient pas trop compte de son message prophétique quand il le prêche et qu’on se détourne fort abruptement de lui. Pour tout dire, Jésus parle un peu dans le vide et cela fait indubitablement monter l’ire divine.

Lorsque le fils de Marie leur est proposé en exemple,
ton peuple s’en détourne;
ils disent:
«Nos divinités ne sont-elles pas meilleures que lui?»

Ils ne t’ont proposé cet exemple que pour discuter.
Ce sont des amateurs de disputes.
 
Lui n’était qu’un serviteur
auquel nous avions accordé notre grâce
et nous l’avons proposé en exemple aux fils d’Israël.

Si nous l’avions voulu,
nous aurions fait, d’une partie d’entre vous,
des anges,
Et ils vous remplaceraient sur la terre.

Jésus est, en vérité, l’annonce de l’Heure.
N’en doutez pas et suivez-moi.
Voilà un chemin droit!

Que le Démon ne vous écarte pas.
Il est votre ennemi déclaré.
 
Lorsque Jésus est venu avec des preuves manifestes,
il dit:
«Je suis venu à vous avec la Sagesse
pour vous exposer une partie des questions
sur lesquelles vous n’êtes pas d’accord.
Craignez Dieu et obéissez-moi!

Dieu est, en vérité,
mon Seigneur et votre Seigneur.
Adorez-le!
Voilà un chemin droit!»

(Le Coran, Sourate 43, L’ornement, versets 57 à 64, traduction D. Masson)

L’indifférence humaine face aux prophéties messianiques pousse dieu (dont le Coran cite les paroles) à faire rouler le bon vieux thème de l’éradication de la race humaine et de son remplacement par des anges. Et, l’un dans l’autre, quoi qu’il en soit des heurs et des malheurs de son prêche sur terre, Jésus porte en fait un message à la fois rectificateur (pour vous exposer une partie des questions sur lesquelles vous n’êtes pas d’accord) et annonciateur. Disert comme pas un, parlant en verbe depuis la petite enfance, Jésus est aussi crucialement dépositaire d’un texte révélé: l’évangile. L’évangile ici n’est pas le récit ex post des aventures et mésaventures du messie en ce bas monde mais bien le texte sacré qu’il détient par avance, dont il est le messager, et qu’il est chargé, par dieu, de révéler.

Nous avons envoyé, à la suite des prophètes,
Jésus, fils de Marie,
pour confirmer ce qui était avant lui, de la Tora.

Nous lui avons donné l’Évangile
où se trouvent une Direction et une Lumière,
pour confirmer ce qui était avant lui de la Tora:
une Direction et un Avertissement
destinés à ceux qui craignent Dieu.
 
Que les gens de l’Évangile jugent les hommes
d’après ce que Dieu y a révélé.
Les pervers sont ceux qui ne jugent pas les hommes
D’après ce que Dieu a révélé.
Nous t’avons révélé le Livre et la Vérité,
pour confirmer ce qui existait du Livre, avant lui,
en le préservant de toute altération.

(Le Coran, Sourate 5, La table servie, versets 46 à 48, traduction D. Masson)

Jésus est donc chargé de rectifier le texte sacré qui lui est antérieur. C’est l’essence de sa mission. Elle est communicative et textuelle, avant tout. On voit bien qu’en réalité ce que la Coran fait, c’est qu’il mahométise l’avant-dernier prophète de l’Islam (comme il tend d’ailleurs à le faire, dans une certaine mesure, avec tous les autres prophètes, en fait). Cela se joue au prix d’une étrange distorsion de ce que peut être ou ne pas être l’évangile (pas les évangiles, hein, car, dans la présentation coranique, il n’y qu’un évangile et c’est une sorte de proto-Coran que prêche Jésus). Dans la même dynamique, les gens de l’Évangile, ce sont ceux qui ont fini par adhérer à la parole enseignée par le messie. Ils sont peu nombreux (ce sont surtout les apôtres, en fait) car le prêche messianique est donné comme, à toutes fins pratiques, raté. Même ouvertement islamisé de cette manière, Jésus va garder malgré tout un certain nombre de ses solides traits légendaires antérieurs. Ainsi, par exemple, il dispose très ouvertement d’aptitudes magiques. Fortifié par l’Esprit de sainteté, il a l’autorisation de dieu pour faire du hocus-pocus en masse, et il y va à fond.

Dieu dit :
«Ô Jésus fils de Marie!
Rappelle-toi mes bienfaits à ton égard
et à l’égard de ta mère.
Je t’ai fortifié par l’Esprit de sainteté.
Dès le berceau, tu parlais aux hommes
Comme un vieillard».

Je t’ai enseigné le Livre, la Sagesse,
La Tora et l’Évangile.

Tu crées, de terre, une forme d’oiseau
—avec ma permission—
Tu souffles en elle, et elle est: oiseau
—avec ma permission—

Tu guéris le muet et le lépreux
—avec ma permission—
Tu ressuscites les morts,
—avec ma permission—

J’ai éloigné de toi les fils d’Israël.
Quand tu es venu à eux avec des preuves irréfutables,
ceux d’entre eux qui étaient incrédules dirent:
«Ce n’est évidemment que de la magie!»

J’ai révélé aux Apôtres:
«Croyez en moi et en mon Prophète».

Ils dirent:
«Nous croyons!
Atteste que nous sommes soumis».

Les Apôtres dirent:
«Ô Jésus, fils de Marie!
Ton Seigneur peut-il, du ciel,
faire descendre sur nous une Table servie?»

Il dit:
«Craignez Dieu, si vous êtes croyants!»

Ils dirent:
«Nous voulons en manger
et que nos cœurs soient rassurés;
nous voulons être sûrs que tu nous a dit la vérité,
et nous trouver parmi les témoins».

Jésus, fils de Marie, dit:
«Ô Dieu, notre Seigneur!
Du ciel, fais descendre sur nous
une Table servie!

Ce sera pour nous une fête,
—pour le premier et pour le dernier d’entre nous—
et un Signe venu de toi.

Pourvois-nous des choses nécessaires à la vie;
Tu es le meilleur des dispensateurs de tous les biens».

Dieu dit:
«Moi, en vérité, je la fais descendre sur vous,
et moi, en vérité, je châtierai d’un châtiment
dont je n’ai encore châtié personne dans l’univers
celui d’entre vous qui restera incrédule après cela».

Dieu dit:
«Ô Jésus, fils de Marie!
Est-ce toi qui a dit aux hommes 
«Prenez, moi et ma mère, pour deux divinités,
en dessous de Dieu?»

Jésus dit:
«Gloire à toi!
Il ne m’appartient pas de déclarer
Ce que je n’ai pas le droit de dire.

Tu l’aurais su, si je l’avais dit.
Tu sais ce qui est en moi,
Et je ne sais ce qui est en toi.
Toi, en vérité, tu connais parfaitement
Les mystères incommunicables.

Je ne leur ai dit
que ce que tu m’as ordonné de dire:
«Adorez Dieu,
mon seigneur et votre seigneur!»

J’ai été contre eux un témoin,
Aussi longtemps que je suis resté avec eux,
et quand tu m’as rappelé auprès de toi,
C’est toi qui les observais,
Car tu es témoin de toute chose.
 
Si tu les châties…
Ils sont vraiment tes serviteurs.
 
Si tu leur pardonnes…
Tu es, en vérité, le Puissant, le Juste».

(Le Coran, Sourate 5, La Table servie, versets 110 à 118, traduction D. Masson)

Repris un certain nombre de fois au fil des sourates, l’épisode de l’oiseau tirée de la boue et amené à la vie par Jésus provient d’un ensemble d’évangiles apocryphes ayant amplement circulé dans le nord de l’Afrique, notamment en Éthiopie. Pour ce qui est de la Table servie (qui a donné son titre à la sourate V), elle est une astucieuse version miraculée et sublimée de la Cène qui permet de gommer tous les facteurs pratiques annonciateurs de la passion en recentrant le propos sur ce repas miraculeux que dieu, toujours bien contrarié par tout ce manque de foi, fait descendre du ciel pour démontrer sa puissance aux seuls vrais disciples ayant suivi le messie, tout en ne prenant pas Jésus ou Marie pour des divinités: les apôtres. Cependant, il n’y aura pas de mise à table effective, pas de reniement de Pierre, pas d’annonce de la trahison de Judas. Et pour cause… une rectification cultuelle majeure se met ici spectaculairement en place. C’est tout simplement que, selon le Coran, Jésus n’a pas été crucifié et n’est pas ressuscité après supplice, ledit supplice n’ayant tout simplement pas eu lieu. On laisse plutôt entendre que dieu a solennellement rappelé Jésus auprès de lui, comme c’est le cas, par exemple, du prophète Isaïe dans l’ancien testament. Toute la séquence pascale de la quête du messie est une sorte de vaste entourloupette, aux yeux de la tradition coranique. Cette entourloupette, elle aussi, ne manqua pas de déclencher l’ire punitive de dieu:

Nous les avons punis
parce qu’ils n’ont pas cru,
parce qu’ils ont proféré
Une horrible calomnie contre Marie
et parce qu’ils ont dit:
« Oui, nous avons tué le Messie,
Jésus, fils de Marie,
Le Prophète de Dieu».

Mais ils ne l’ont pas tué;
Ils ne l’ont pas crucifié,
Cela leur est seulement apparu ainsi.

Ceux qui sont en désaccord à son sujet
restent dans le doute;
ils n’ont pas une connaissance certaine;
ils ne suivent qu’une conjecture;
ils ne l’ont certainement pas tué,
mais Dieu l’a élevé vers lui:
Dieu est puissant et juste.
 
Il n’y a personne parmi les gens du Livre,
Qui ne croie en lui avant sa mort
et il sera un témoin contre eux
le Jour de la Résurrection.

(Le Coran, Sourate 4, Les femmes, versets 156 à 159, traduction D. Masson)

On nous rappelle fermement qu’il n’y a qu’une seule et unique résurrection dans le calcul, celle qui concernera tout le monde et les autres quand les temps seront révolus. On nous signale aussi, tout aussi fermement, que les gens du Livre (les monothéistes abrahamiques juifs et chrétiens, associés au message de la Bible mais mal avisés dans leurs croyances gauchies) auront Jésus en personne qui plaidera ou témoignera contre eux, au jugement dernier. Pour le reste de la passion ou de la non-passion, c’est le flou artistique (Cela leur est seulement apparu ainsi…). Et le torrent des interprétations fluctuantes n’arrange rien. Le choix qui ressort le plus nettement de la documentation exégétique coranique sur cette question de la passion c’est celui voulant que, comme aussi dans certains évangiles apocryphes, le messie ait été remplacé par un sosie (éventuellement rendu identique au messie par dieu), genre Simon de Cyrène ou autre, qui aurait été supplicié à sa place. Je vous épargne les différentes versions —toutes spéculées hors-Coran— du faux supplice du messie, plus tocs les unes que les autres. Le tout est digne d’une véritable intrigue policière à tiroirs.

Le texte coranique obéit ici à deux priorités majeures. La première c’est celle de continuer de dédiviniser le messie. Il faut éviter qu’il ressuscite comme dans le canon chrétien. Notons que ce problème là serait en fait «théologiquement» (si vous me passez le mot) soluble. Il suffisait d’une autorisation de plus d’Allah et l’affaire passait, sous couvert d’omnipotence divine et de soumission absolue de ses malléables et serviles créatures, comme pour le petit oiseau de boue et la table garnie descendue du ciel. On aurait pas été à ça près. La seconde priorité coranique qui opère ici, par contre, est plus délicate car elle est moins théologique que narrativo-thématique. Le Coran voit systématiquement à éviter de placer les prophètes dans la moindre situation susceptible de flétrir leur dignité. Un supplice romain, politique, juridique, populacier, bruyant, poisseux, malpropre, sanglant, longuet, tout ça ternit et brouillonne l’image prophétique et n’est pas recevable en Islam. On est, encore et toujours, dans ce rigorisme hagiographique si typique des textes musulmans. La chute du récit messianique s’ensuit logiquement: pas de crucifixion, pas de résurrection, pas de propos tenus sur une mort éventuellement naturelle de Jésus, élévation isaïquesque au ciel, ça vient de s’éteindre. L’hagiographe coranique unificateur est un champion du ballet d’esquive.

C’est une différence radicale des dispositifs fondamentaux de représentations entre Christianisme et Islam qui affleure ici. Le Christianisme est la religion geignarde et rampante de la victime des institutions humaines (romaines) faisant l’objet d’une rédemption divine dans la chair. L’Islam est la religion triomphante et jubilante de la graduelle mais inexorable victoire théocratique (arabe) de la parole révélée et de sa ribambelle d’annonciateurs fatalement concertés. Aucun prophète de l’Islam ne pourra apparaître comme un perdant, une victime, un flagellé, un supplicié, un ensanglanté, un cadavre. Ça ne colle tout simplement pas. C’est pas dans le son, pas dans le ton, pas dans le thème et c’est donc Jésus et toute la tradition rédemptrice qu’il mythologise ailleurs qui devra s’édulcorer et prendre sa place de bon et discret séide dans la succession des anticipateurs-annonceurs de la quête de Mahomet.

Le statut de Jésus dans l’Islam est finalement particulièrement intéressant et révélateur du fait que les religions reposent sur des thématiques mythiques stables, dogmatiques (au sens essentiel de ce terme) et que tout mouvement dans ces thématiques ne se fait pas sans des distorsions majeures et un vaste chambardement de tout l’ensemble. Malléabilité légendaire et rigidité doctrinaire peuvent parfaitement co-exister, les religions le confirment magistralement. On ne dira jamais assez qu’elles sont des phénomènes intellectuels et ethnologiques intéressants, surtout à cause de leur regrettable et durable impact de masse. Il s’agit simplement, pour l’observateur athée philosophiquement interpellé par leur prégnance, de les regarder se putréfier doucement (déréliction), s’engluer ensemble sans cohérence interne (syncrétismes) ou se corroder les unes après les autres sous prétexte de se moderniser (ratiocination et courte rationalité naïve des phases réformées).  Jésus dans l’Islam est le cas d’espèce le plus captivant pour nous du tout de cette problématique du syncrétisme et du développement légendaire par grandes phases.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Clin

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2015

En québécois, un CLIN c’est quelqu’un qui vous regarde avec un air constamment ahuri et, par extension, tout simplement, justement: un ahuri, un conneau, un simple d’esprit…

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La vieille forme québécoise Clin n’apparaît plus guère, en québécois moderne, que dans l’expression ti-clin (ou tit-clin). Utilisé vocativement (Quessé tu penses que tu fais là, ti-clin!) ou nominativement (C’est une ben bonne idée mais les ti-clins du bureau vont-tu suivre?), cette tournure désigne une personne d’une intelligence et d’une stature jugée, disons, fort moyenne par ses pairs. Ti-Clin (ou Tit-Clin) peut aussi être le surnom d’une personne spécifique, plus usuellement, encore une fois, l’ahuri du village. Le remarquable groupe folklorique québécois Le Rêve du Diable, qui fête cette année ses quarante ans révolus de glorieuse existence, nous dépeint, sans ambivalence, les caractéristiques comportementales d’un (petit) clin.

Ti-Clin veut se marier

J’voudrais me marier, j’sais pas du tout comment
J’ai beau tout essayer, je suis trop ignorant
Je me suis présenté à la porte d’un couvent
«Que vous êtes pas gêné, allez allez vous-en!»

J’étais dans une veillé, chose qui arrive pas souvent
Je voulais m’dégêner, je vous le dis franchement
C’était une femme mariée, elle avait des enfants
L’mari est arrivé «BANG», j’ai perdu deux dents.

Je suis un bon garçon, mais je suis malchanceux
J’veillais chez Madelon, ah que j’étais heureux
J’lui demande pour m’embrasser, elle m’a répondu «NON!»
L’bonhomme est arrivé: «Passe la porte mon garçon».

Je frappe chez mon voisin pour faire une commission
Il me dit mon Ti-Clin tu es un bon garçon
J’voudrais marier ma fille au fils d’un habitant
Elle est fine et gentille tu seras ben content.

Je ne l’ai pas mariée car elle n’a pas voulu
J’vous dis qu’a décroché dès qu’a m’a aperçu
«T’as l’air d’un vrai tata, jamais j’te marierai»
J’ai pris mon p’tit paquet, pis j’me suis en r’etourné.

Vous qui êtes mariés dites-moi donc comment
Que vous avez trouvé les filles de votre temps
Moi j’ai tout essayé je suis trop innocent
J’voudrais me marier, j’sais pas du tout comment.

Le Rêve du Diable, Résurrection, Tamanoir, 1996.

Portrait parlant et éloquent, me direz-vous. Maintenant, qu’est-ce que c’est dont que ce clin et, surtout, comment peut-il enrichir notre réflexion fondamentale sur les choses et les êtres? Eh bien, tenez-vous bien, c’est tout simplement le même clin que dans clin d’œil ou dans le verbe cligner (des yeux). Imaginez un olibrius, comme celui de la photo supra, la bouche ouverte qui cligne des yeux compulsivement comme la poupée Fanfreluche, quand vous essayez de lui expliquer quelque chose. C’est lui, l’ultime clin…

Il y a donc, dans la sagesse vernaculaire ancienne, une corrélation entre ne pas voir clairement (visuellement) et ne pas comprendre les enjeux d’une situation. Pour bien exemplifier ceci, je ne résiste pas à l’envie de convoquer le vieil ennemi d’Ysengrim, le goupil Renart. Dans le second chapitre du Roman de Renart, le goupil cherche à capturer Chantecler, le coq. Or, imaginez-vous donc, que le père de Chantecler, que Renart prétend avoir bien connu, s’appelait Chanteclin, ce qui signifie littéralement «celui qui chante les yeux fermés». Cela ne s’invente tout simplement pas. Renart cherche donc, ce jour là, à attraper le coq Chantecler, fils de Chanteclin et, lorsqu’il le rate, car l’autre se méfie pas mal du goupil, Renart cherche à invoquer la fougue artistique de l’héritage comportemental de Chanteclin à son exclusif avantage. Matez-moi ça.

Renart voit avec dépit qu’il a manqué son coup; et maintenant, le moyen de retenir la proie qui lui échappe? «Ah! mon Dieu, Chantecler,» dit-il de sa voix la plus douce, «vous vous éloignez comme si vous aviez peur de votre meilleur ami. De grace, laissez-moi vous dire combien je suis heureux de vous voir si dispos et si agile. Nous sommes cousins germains, vous savez. »

Chantecler ne répondit pas, soit qu’il restât défiant, soit que le plaisir de s’entendre louer par un parent qu’il avait méconnu lui ôta la parole. Mais pour montrer qu’il n’avait pas peur, il entonna un brillant sonnet. «Oui, c’est assez bien chanté,» dit Renart, «mais vous souvient-il du bon Chanteclin qui vous mit au monde? Ah! c’est lui qu’il falloit entendre. Jamais personne de sa race n’en approchera. Il avoit, je m’en souviens, la voix si haute, si claire, qu’on l’écoutait une lieue à la ronde, et pour prolonger les sons tout d’une haleine, il lui suffisait d’ouvrir la bouche et de fermer les yeux. — Cousin,» fait alors Chantecler, «vous voulez apparemment railler. — Moi railler un ami, un parent aussi proche? ah! Chantecler, vous ne le pensez pas. La vérité c’est que je n’aime rien tant que la bonne musique, et je m’y connois. Vous chanteriez bien si vous vouliez; clignez seulement un peu de l’œil, et commencez un de vos meilleurs airs. — Mais d’abord» dit Chantecler, «puis-je me fier à vos paroles? éloignez-vous un peu, si vous voulez que je chante: vous jugerez mieux, à distance, de l’étendue de mon fausset. — Soit » dit Renart, en reculant à peine, «voyons donc cousin, si vous êtes réellement fils de mon bon oncle Chanteclin.»

Le coq, un oeil ouvert l’autre fermé, et toujours un peu sur ses gardes, commence alors un grand air. «Franchement», dit Renart, «cela n’a rien de vraiment remarquable; mais Chanteclin, ah! c’était lui: quelle différence! Dès qu’il avait fermé les yeux, il prolongeait les traits au point qu’on l’entendait bien au delà du plessis. Franchement, mon pauvre ami, vous n’en approchez pas.» Ces mots piquèrent assez Chantecler pour lui faire oublier tout, afin de se relever dans l’estime de son cousin: il cligna des yeux, il lança une note qu’il prolongeait à perte d’haleine, quand l’autre croyant le bon moment venu, s’élance comme une flèche, le saisit au col et se met à la fuite avec sa proie.

Le Roman de Renart, Gallimard, Folio Classique, 1986, p. 34-35 [ré-édition de Les aventures de Maître Renart et d’Ysengrin son compère mises en nouveau langage, traduction en prose modernisée du poème anonyme du XIIe siècle, établie par A. Paulin Paris en 1861]

Ne vous inquiétez pas trop pour Chantecler, ses yeux se rouvriront bien vite et il trouvera une combine ultérieurement pour s’échapper de la prise de Renart. Mais une autre observation s’impose ici. Chantecler s’écrit fort souvent Chanteclerc. Cela nous entraîne directement sur la piste de deux sens possibles pour le nom des coqs dans le monde de Renart et d’Ysengrim. Premier sens possible (descriptif): (Il) chante clair («Il chante fort») fils de (Il) chante clin («Il chante les yeux fermés»). Deuxième sens possible (impératif): Chante, (mon) clerc! («Chante, mon savant!») fils de Chante, (mon) clin! («Chante, mon sot»). Le clerc phrasidoteur est le fils d’un sot qui n’y voit goutte, ou encore: celui qui pérore d’une voix forte descend de celui qui ne voit pas clair. Rien de nouveau, dans la satire moyenâgeuse au sujet justement… des clercs.

L’un dans l’autre, il est limpide ici que le clin, c’est celui qui a les yeux fermés et qui, ce faisant, ne voit pas le danger tapi au fond du tableau global. Le Ti-Clin de la chanson du Rêve du Diable rate son coup parce qu’il ne discerne pas les écueils de sa vie sociale. Et Renart œuvre insidieusement, en fait, à vérifier si Chantecler est aussi sot (aussi clin…) que Chanteclin, dont on devine, avec tristesse, qu’il n’est pas mort de vieillesse…

Le clin d’oeil n’est pas chez nos ancêtres, comme dans la sensibilité moderne, signal de connivence mais plutôt, plus abruptement, indice de pure bêtise… surtout si on cligne des deux yeux. Méditons cette leçon. Il faut indubitablement garder l’œil ouvert et VOIR… à ne pas faire un clin de soi…


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