
On ne présente plus la quadrilogie romanesque TWILIGHT de Stephenie Meyer (2005-2008) mais on ne peut manquer de prendre acte (et, dans mon cas, de s’affliger) de la culpabilité feutrée qui semble serrer le cœur de maintes lectrices assidues de ces ouvrages (et de maintes admiratrices de la série cinématographique qui a suivi). De nombreuses femmes adultes, surtout féministes (mais pas seulement), s’inquiètent de ce qu’elles ressentent si vivement, en lisant cette œuvre romanesque à succès, qui fera époque. Or ce que je souhaite dire ici, en toute candeur, c’est juste ceci: l’aphorisme soit féministe n’est en rien synonyme de boude ton plaisir. Car enfin, soyons placidement explicites ici. Ce vampire de roman est mystérieux, beau, jeune, omnipotent, attentif, protecteur, et il se retient de ne pas boire votre sang pour ne pas le moindrement altérer votre réalité fragile et virginale, parce qu’il vous aime juste comme ça, sans moins, sans plus. Il se fout dans la merde avec son monde juste pour vous et il s’en fiche complètement. Il assure superbement. Vous n’êtes pas aimée pour ce que vous faites, performez ou accomplissez mais purement et simplement pour ce que vous êtes. En votre présence, toujours intense et flamboyant, il boue d’ardeur mais se contrôle imperturbablement. Il est terrible, presque terrifiant, mais ses bras sont le plus sûr, le plus doux et le plus tendre de tous les refuges… Vous vous sentez incroyablement bien avec lui… Euh, l’un dans l’autre, c’est pas trop mal, comme tension fantasmatique… Pour peu, on s’y attarderait et on y reviendrait… Je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait laisser une confiserie fine pareilles sur la tablette. Trouvez-pas?
Et alors nous, les pauvres petits hommes, dans l’affaire? Eh bien, qu’on médite le coup un petit peu, pour changer, sur ce qui vous branche, mesdames. La culture populaire n’y manque pas, elle, encore, de VOUS le jeter au visage en permanence, ce qui NOUS branche… Je (au masculin) dispose, en effet (pour rappel), en toute impunité, depuis quelques petits siècles, de personnages masculins (d’aucun d’entre eux des figures majeures de la ci-devant culture universelle) servant sciemment de réceptacles à mes fantasmes de petit gars qui courraille dans les bois ou les ruelles et se roule dans la bouette, en pensant juste à son fun. Laissez moi, de mémoire, vous en énumérer une petite flopée: Peter Pan, Spiderman, Rouletabille, Tom Sawyer, Zorro, Marty McFly, Fanfan Latulipe, Superman, Sinbad le marin, Cartouche, Mowgli, Gilligan, Rocambole, Daniel Boone, Ivanhoë, Tom et Jerry, Totoche, Gallagher, Rahan, Luke Skywalker, Bob Morane, Harry Potter, D’Artagnan, G.I. Joe, Hulk, les cadets de la forêt, Huckleberry Finn, Astérix et Obélix, Captain Jack Sparrow, Goldorak, Tarzan, Hercule, Batman et Robin, Charlot, Robin des Bois, Lone Ranger, les sentinelles de l’air, Spirou, Ali Baba, James Bond, Yogi l’Ours, Albator, Pinocchio, La souris Fievel, la souris Mickey, le Petit Castor, Napoléon Solo et Elya Kuriakin, Thierry la Fronde, Popeye le marin, Bobino, Nasdine Hodja, Sir Lancelot du Lac, Pif le Chien, Davy Crockett, Ned Land, Gavroche, Surcouf, Lucky Luke, Simon Templar, Tintin et Milou, Robinson Crusoé, Fantomas, Green Hornet, Coco le Clown, Bozo le Clown, Patof le Clown, Titus le Petit Lion, Le Roi Lion, le Capitaine America, Tony Stark, Wolverine, Kirk, Spock et McCoy, Barbe Noire, Richard Coeur de Lion, Arsène Lupin, Sherlock Holmes, the Teenage Mutant Ninja Turtles, Dracula, Frankenstein, Casper, Joe 90, Zébulon, Mike Mercury, Captain Scarlet, Captain Tempest, Flash Gordon, Robin Fusée, Touché la Tortue, Grand-Galop-Tire-Vite, Atom Ant, Bullwinkle et Rocky, Roquet-Belles-Oreilles, Gumby et Pokey, Placid et Muzo, Snaglepuss, Squiddly Diddly, Bugs Bunny, Road Runner, Yosemite Sam, Steve Zodiac, Fred Flinstone et Barney Rubble, Underdog, Mighty Mouse, The Herculoids, Thor, Namor, Rambo, Mandrake, Macbeth, Hamlet, le Petit Prince… Ma propre fantasmatique de mec étant fort bien couverte et desservie par cet imposant aréopage de figures cruciales (sans que je n’en fasse le moindre complexe), je crois que la culture universelle contemporaine peut bien se concéder une Isabella Swan, pour les filles (et les garçons), sans trop abuser de notre bande passante intellectuelle. Le fait est que le monde féminin de TWILIGHT ici nous dit: Hommes, soyez envers nous ce que nous voulons que vous soyez envers nous. Cela sonne comme un slogan féministe de parfaite tenue, ça, non? Je trouve, pour ma part qu’il faut aller y voir, en compagnie de nos gamines préférablement, et cesser de se fier sur ce que nous racontent les folliculaires. Un petit exemple. Comme Stephenie Meyer, l’autrice de TWILIGHT (née en 1973) est une membre assez ostensible de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (en un mot: les Mormons), on a promptement accusé son œuvre de faire de la propagande religieuse. Oh, le fallacieux raccourci de ceux et celles qui n’ont ni lu ni visionné. Si un filigrane religieux s’était manifesté dans TWILIGHT, je crois que je l’aurais détecté (car cela m’horripile souverainement) et je doute que, avec une autrice mormone ou sans, TWILIGHT puisse être considéré comme le The Matrix (fadaise crypto-religieuse de choc) des années 2005-2010… Après tout, l’origine ethnoculturelle ou religieuse de l’autrice, on s’en tape un peu pas mal (au sens où c’est le texte et le discours cinéma qui comptent, pas la biographie du troubadour). Auguste Rodin était légitimiste et antidreyfusard, cela ne transparaît pas dans ses sculptures. Jack Kerouac votait Nixon, cela ne fait pas de The Dharma Bums un brûlot républicain. Les choses sont plus complexes et nuancées que ça.
Concentrons-nous plutôt sur le personnage-phare de TWILIGHT et sur les hantises qu’il incarne. Le vampire Edward Cullen véhicule et engendre une exaltation romantique et l’assouvissement de fantasmes de protection, de mariage-à-la-fin et de représentations archaïques encore fortement enfantines (genre contes de fées, en fait). C’est bien plus de ça qu’il s’agit que d’un conservatisme autopromotionnel au ras des mottes. Il y a indubitablement une dimension chevaleresque de ce personnage. Mais il y a plus, disons la chose comme elle est. Les initiées sauront vous le dire. Le choix, déchirant mais fatal, qu’il faut un jour faire, en soi-même, entre Edward Cullen (le vampire) et Jacob Black (le loup-garou), c’est fondamentalement, le choix entre l’homme réel et l’homme fantasmé. L’homme de chair que l’adolescente devra côtoyer à la ville ou l’homme glacial de la tour d’ivoire de ses rêves. Sa tour à elle, au demeurant… Jacob est une émanation du monde. Edward est sa création à elle… Elle choisit le second. J’y vois indubitablement un aspect libérateur du cadre mental et fantasmatique féminin. Permettez-moi de m’en expliquer par un petit détour canadien. Un de nos vieux romans du terroir québécois (écrit en 1913, par un homme, Louis Hémon) s’intitule Maria Chapdelaine. Maria vit avec ses parents dans le bois, à Péribonka. Je vous coupe les détails, pour vous dire simplement que cette bonne fille de colons canadiens hésite entre deux hommes (trois, en fait, mais bon, je résume). Eutrope Gagnon, paysan rangé qui représente la continuité du train de la vie familiale conventionnelle et François Paradis, coureur de bois mystérieux et terrible qui trappe le loup et le castor avec les indiens, comme dans le très vieux temps de la colonie. Vous goûterez la similitude du dilemme ici. Pas celle du choix, par contre. François Paradis disparaîtra dans une tempête de neige et Maria Chapdelaine, contre le choix profond de son coeur, se rangera avec Eutrope Gagnon et restera une bonne fille de la terre. Il s’agissait alors quand même de dire à nos petites canadiennes de ne pas trop rêver… Or les adolescentes de la culture TWILIGHT prennent exactement la direction opposée. Elles ne se contentent plus de l’homme réel que l’histoire locale (en faillite) leur impose. Elles choisissent sciemment l’homme de rêve, dans sa dureté glaciale et son archaïsme délirant. Ce faisant, c’est l’assouvissement sans concession de rien d’autre que leur propre ego qu’elles choisissent en fait, par-dessus l’abnégation raisonnable et socialement docile d’une Maria Chapdelaine. N’y voir qu’une pulsion conservatrice à cause du côté dominateur et protecteur du type retenu simplifie cruellement le topo, je trouve. La torsade fait/fiction est plus subtile que ça ici. C’est Maria Chapdelaine qu’on forçait, de facto, dans le conservatisme linéaire et l’apologie de la continuité de la vraie vie, petite et chiante, avec le ci-devant «gars bon pour elle» (autoproclamé), en lui verrouillant soigneusement ses fantasmes archaïsants. Ici, notre adolescente moderne ne transige pas, ne compose pas, en fait. Elle se prend en main dans l’assomption de la légitimité inconditionnelle de ses fantasmagories les plus hirsutes.
Voyons Isabella Swan maintenant, justement, la principale protagoniste identitaire des romans. Elle n’est pas un personnage si mou et soumis que ça, contrairement, encore une fois, à ce que l’on nous chante de ci de là, dans nos papelards. Trop faible, humaine, il lui est parfaitement impossible de jouer au baseball avec les vampires. Bon, oui, elle est fragile, frémissante, mais elle n’est pas inconstante. Elle assume. Elle assure. Elle tient le coup. Fluctuat nec Mergitur (elle est battue par les flots mais ne sombre pas). Et les gamines qui la suivent tiennent le coup aussi, et elles nec mergitur aussi, et elles assument aussi leur droit au rêve fou et privé et à la rencontre fondamentale, et sans entrave, avec leurs aspirations les plus abracadabrantes. En tout cas, des millions de jeunes femmes ont tranché, sans transiger, elles non plus. TWILIGHT, c’est avant tout un phénomène de masse. Un des cadres de représentation imaginaire de toute une jeunesse. De fait, dans la tranche d’âge initialement atteinte (sinon visée), il y a que les jeunes gars pour râler contre… ça aussi c’est passablement parlant, du reste. Ils traitent Edward Cullen de pédé (pour rester décent et ne pas dire pire. Il faut lire leurs forums. Ma vieille masculinité vacillante ne pavoise pas à cette lecture là). Ce vampire falot, aimé inconditionnellement par Isabella Swan, est bien plus que ce que ces descriptions injurieuses de petits mecs tentent de circonscrire (dans tous les sens du terme). Le premier des grands Hommes-Objets total (pas juste niaisement physique), Edward Cullen, c’est l’homme, comme créature de rêve imaginée par la femme de demain. Et, comme tel, il n’a pas que des amis au sein de la meute aboyante des portes-bites d’aujourd’hui… Ne nous mentons pas à nous-même. Il y a une solide part d’explosif féminin dans tout ça. Culture intime de filles, pur sucre. Et justement, bien, ça dérange… Contre Bella Swan, on a, par exemple, voulu argumenter le caractère plus volontaire, libérateur et affirmé, de personnages féminins de la culture populaire contemporaine comme Lara Croft ou la princesse Leia Organa. Il y a effectivement chez celles-ci une solide et lumineuse manifestation de l’aptitude à jouer franco de port sur le terrain de jeu des gars, avec des flingues de gars, des motions de gars, des aspirations et des priorités de gars, la bonne vieille logique antique des gars. Elles ne sont pas plus (ou moins) folles qu’un gars, quoi. Tout bon. Rien à redire. Mais je ne peux m’empêcher de considérer hautement important désormais les personnages, par exemple, comme Belle (de La Belle et la Bête de Disney, 1991) qui restent dans leur monde de filles et font monter celui-ci avec elles dans les priorités de notre sensibilité. Des personnages filles qui mettent les affaires de filles, les hantises et obsessions de filles, les défauts et déviations de filles, et l’espace mental fille au centre de l’enjeu, et ce, tous azimuts, personnages, intrigue, décors et costumes. Je crois qu’Isabella Swan fait exactement ça (trip de soumission et fantasmes de docilité inclusivement, et pourquoi non, si c’est sereinement assumé et privé), et la réponse mondiale n’y est pas pour rien.
Malgré ces observations (ou… à cause d’elles), on a continué de culpabiliser à la grosse planche. On a voulu faire valoir que TWILIGHT serait de la littérature rapide comme le McDonald’s est de la restauration rapide… De fait, oui, pour TWILIGHT, comme pour le MacDo, l’impact populaire est absolument crucial dans la réflexion. Et indubitablement, on ne parle pas Art ou Génie ou Chef-d’Oeuvre (personne n’a prononcé ces mots du reste) ici, mais culture de masse. Et un succès de masse de cette ampleur ne requiert pas uniquement un jugement critique acéré du type de celui qu’ont exprimé, tout à fait légitimement, bon nombre de lectrices. Il demande aussi une explication sociologique, une description, une analyse. Prenons l’exemple des restaurants McDonald’s, justement. Voici une intervention culinaire remontant à l’entre-deux-guerres qui a réussi à devenir un objet ethnoculturel mondial majeur (aujourd’hui déclinant, mais quand même), y compris dans des pays disposant d’une tradition culinaires hautement plus sophistiquée, et ce, avec quoi, quatre sandwichs et un chausson aux pommes… C’est étroit, ça, comme surface de glace pour patiner. Il y a quand même là un phénomène qui requiert un minimum d’explication, et ladite explication est certainement ethnologique ou sociologique avant d’être gastronomique (berk…). Similis mutandis pour TWILIGHT… Ledit TWILIGHT, c’est un succès majeur et son impact est planétaire, pour un produit littéraire qui, entendons-nous, n’est pas Madame Bovary et un produit cinématographique qui n’est pas Citizen Kane.
Qualité artistique à part, rejeter n’est pas jouer… Il faut quand même sonder un peu le signal factuel, sociétal, temporaire aussi, circonscrit dans son époque, que TWILIGHT nous envoie. Et je ne suis pas certain du tout de la teneur des indices intellectuels qui se manifestent ici. Et je trouve que dire que toutes ces gamines en liesse lisent, et visionnent, et font des blogs, des forums et des scrapbooks parce qu’elles tombent sous le coup d’une résurgence néo-conservatrice crypto-mormone, franchement, c’est quand même un peu trop court et fataliste. Il y a une condescendance là dedans, presque un mépris, dont je me méfie. Moi, le trip de filles, j’y suis favorable, fortement favorable. Je trouve que, eh ben, ça nous change, un petit peu, ça nous bouscule dans nos certitudes et nos consensus encore massivement phallocentriques, ça nous rafraîchit et nous subvertit…. Et, pour faveur, prière de ne pas imputer ici à l’observateur modeste (que je suis), les typages (y compris les stéréotypes) qui sont dans le monde social lui-même. Gros trip: Bella Swan et Edward Cullen se marient. Oh, là là… Ici, on a crié à la pulsion rétrograde. Les hauts cris, on les pousse d’ailleurs pas mal (et souvent fort hâtivement) pour les autres traits du trip de fille dans la culture de masse actuelle, la culture de masse jeune et ce, même quand TWILIGHT n’est pas du tout en cause. Attention, entendons-nous et soyons bien clairs. Trip de fille signifie ici discours fille, pensée fille, philosophie spontanée fille, espace mental fille et certainement pas ghetto à fille ou truc POUR fille qu’on marginalise fille. Importante distinction… C’est progressiste ça, pas rétrograde. Car enfin, il y a aussi des critères qui sont internes à l’œuvre analysée. Dans Le Petit Prince, c’est bien un trip de gars qu’on a, en ce sens que le personnage par lequel on appréhende le monde est un gars (deux gars, en fait, le petit prince lui-même et l’aviateur-auteur-en-Je, qui nous en parle) et c’est aussi lui qui nous présente la femme/la rose, compagne esquissée, fantasmée dans un angle de vision totalement masculin, par le susdit petit prince, de par le regard typant de sa perspective exclusive. Dans TWILIGHT, c’est pas moi qui décide ça, l’autrice est une femme, le personnage portant le regard et vivant les dilemmes est une femme (c’est donc Edward Cullen et consort qui, cette fois-ci, sont fantasmés dans un angle de vision féminin), le public réceptacle est féminin et soudain… patatra, Terreur & Culpabilisation on craint le gros méchant stéréotype et on se réclame subitement du consensus massif sur le rejet de la typification sexuelle des jouets (poupées Barbie, etc…) pour bien s’occulter la polarisation effective des sexages dans l’univers social de l’adolescente début de siècle. Mais souhaiter n’est pas décrire…
Moi, je ne regrette pas que nos ados libres contemporaines préfèrent ceci plutôt que cela. Je constate la préférence et cherche à en comprendre les causes, point barre. Enfin, mazette, au tribunal un peu morose de nos (auto)critiques, c’est toujours les filles qui perdent au change. Dans Le Petit Prince, la femme est stéréotypée (pauvre elle!), dans TWILIGHT, si elle est fascinée par l’œuvre, elle cède encore au stéréotype (encore une fois, pauvre elle!). Mais, oh, Macbeth aussi, c’est stéréotypé, hein. Prière de ne pas insidieusement le traiter comme neutre, en sexage ou autrement. Quant à Belle (celle de Walt Disney ou même celle de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, du conte de fée d’origine), que j’invoquais tout à l’heure, si moderne qu’elle soit, elle n’échappe pas au stéréotype, elle non plus. Son gros nounours est autoritaire et elle cède bien craintivement devant sa fureur. Elle s’amourache d’un geôlier pas mal égoïste, avec ses petits problèmes à régler pour lui d’abord. Même l’abnégation apparente des gens/objets de maison s’avère elle aussi fort intéressée au succès des amours de Belle. Au moins Edward Cullen a des principes supérieurs et Bella Swann, l’un dans l’autre, n’est pas sa prisonnière et l’aime librement. Bon, on pourrait débattre longuement les tendances de typage, les mérites et démérites des Belle et des Bella et nos jugements de valeur et prises de parti, au sein de chaque analyse, auraient une fort solide assise. On doit par contre observer que Rouletabille et Touché la Tortue n’ont jamais passé par pareil filtrage dubitatif… Les petits gars tripaient sans se mortifier ad infinitum, leurs mères les laissaient s’amuser, et tout était dit… Aussi, moi, je rejette l’affirmation oiseuse suivante: «Ma petite, TWILIGHT c’est bonbon, typé, mormon, faiblard…Prend donc La Belle et la Bête, c’est supérieur et meilleur pour ton élévation intellectuelle autant que pour le grand progrès sociologique de la pensée»… C’est là tout simplement une formulation qui ne figure nulle part dans le cadre de représentation que je me donne pour décrire les objets ethnoculturels.
La vie est si courte. L’enfance, encore plus courte. Cessez de vous faire du mouron, mesdames, et jouissez pleinement, entre vous et avec vos mères, vos filles et vos petites-filles, de TWILIGHT, les romans (écris par une femme) et les films (le premier mis en scène par une femme). Ces grandes œuvres populaires sont des traits de la culture intime des femmes contemporaines et, de ce fait, elles méritent notre attention la plus soutenue et notre déférence la plus complète. Moi, TWILIGHT, pour les jeunes et les moins jeunes, je dis tout simplement: pourquoi pas?
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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Jésus dans le Coran I: la naissance de Îsâ Ibn Maryam
Posted by Ysengrimus sur 25 décembre 2014
Et celle qui était restée vierge…
Nous lui avons insufflé de notre Esprit.
Nous avons fait d’elle et de son fils
Un Signe pour les mondes.
(Le Coran, Sourate 21, Les Prophètes, verset 91, traduction D. Masson)
Dans la tradition coranique, Marie accouche du messie Îsâ (Jésus) seule dans le désert, sous un palmier solitaire
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Les musulmans surnomment le prophète Îsâ Ibn Maryam (Jésus fils de Marie), le messie. Je vais donc préférer ici ce terme à l’hellénisant christ («oint» en grec) qui n’a pas de statut dans le texte coranique. On reparlera éventuellement de Jésus comme prophète, meneur d’un groupe de disciples et thaumaturge, dans l’Islam. Dans l’esprit de la nativité, je veux me concentrer ici sur la naissance du messie dans le Coran. C’est pas triste et c’est surtout très intriguant.
D’abord vous me bazardez le bœuf, l’âne, les bergers, les rois mages, la crèche et, SURTOUT, Joseph. Car Marie est toute seule ici, et elle est si importante, si centrale, qu’une des sourates du Coran, la XIX, est intitulée Maryam, alors qu’aucune sourate n’est intitulée Îsâ (Jésus). La XIX est d’ailleurs la seule sourate portant comme titre le nom d’une femme et, de fait, qui plus est, Marie est purement et simplement la seule femme nominalement désignée dans le Coran (vous avez bien lu — les autres femmes mentionnées dans le Coran sont des «épouses de…» sans prénom explicité). Tout ici est donc très nettement recentré sur Marie, fille de Imran qui garda sa virginité (Le Coran, Sourate 64, verset 12 — Le Imran en question c’est l’équivalent de Joachim, père de Marie. Le Coran fait remonter leur filiation à Aaron, frère de Moïse). Et d’abord et avant tout, malgré cette solide filiation, Marie s’est volontairement séparée des siens:
Pas de famille ni de mari pour Marie. La contradiction évangélique drolatique consistant à assigner une longue filiation à Joseph alors qu’il n’est même pas le père charnel du messie est ici éliminée. Cette filiation disparaît totalement, Joseph inclusivement. De fait c’est sur les particularités de la naissance de Marie, que le Coran se concentre, notamment dans la sourate III qui s’intitule La famille de Imran. Il y a une nette propension à la matrilinéarité dans tout ce dispositif messianique. Mais surtout, et c’est incontournable, Marie est une «fille-mère» de plain pieds, sans situation de couple de façade pour atténuer la bizarrerie de la situation. Elle va en payer le prix.
Deux personnages prennent ici, d’autre part, un relief singulier, ce sont Zacharie et «son épouse» (Élizabeth), parents de Yahya ibn Zakariya (Jean, fils de Zacharie. C’est Jean le Baptiste). De fait, le vieux Zacharie apparaît comme la seule figure masculine humaine dans l’entourage de Marie. Cette dernière, jeune vierge, est servante au temple de Jérusalem, justement sous l’autorité du vieux Zacharie, qui est prêtre au même temple. Des anges viennent au temple annoncer privément à Marie qu’elle va enfanter. Celle-ci demande aux anges comment c’est possible, attendu qu’elle est sans conjoint. Mais lisons plutôt:
Les anges expliquent donc que ce qui se prépare c’est un enfantement qui résulte de la seule volonté de dieu qui, lui, fait tout ce qu’il veut, et ça vient de s’éteindre. Comme la vieille Élizabeth tombe aussi enceinte (dans son contexte marital, elle), une analogie s’établit entre le couple crucialement mythique d’Abraham et Sarah (cette dernière étant tombée enceinte d’Isaac à quatre-vingt-dix ans. Abraham est une figure fondatrice en Islam) et le couple de Zacharie et Élizabeth. Dans le cas de la naissance du messie, par contre, c’est au façonnement originel d’Adam par le créateur, que le Coran fera plutôt allusion (Oui, il en est de Jésus comme d’Adam auprès de Dieu: Dieu l’a créé de terre, puis lui a dit «Sois!» et il est. Sourate 3, verset 59). Un écho du miracle marital d’Abraham et de Sarah (dans le cas de l’annonciateur du messie), un écho —bien distinct— du façonnement divin d’Adam (dans le cas du messie), le distinguo s’impose. Et tout ça, c’est pour dire que dieu crée Jésus certes, mais il n’insémine pas Marie.
Comprenons clairement, en effet ici, que cette grossesse de Marie est intégralement virginale, ex nihilo, sans géniteur mâle. C’est un miracle, sans moins, sans plus. Capital: né d’une vierge, comme Adam de la bouette donc, de par la toute simple puissance de dieu sur le monde matériel, Jésus n’est pas le fils de dieu (Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un prophète; les prophètes sont passés avant lui. Sourate 5, verset 75). Dieu, être spirituel et irréductiblement unique, n’a pas de fils. Oubliez ça, donc: la trinité (Ceux qui disent: «Dieu est, en vérité, le troisième de trois», sont impies. Sourate 5, verset 73) et la divinité messianique (Ceux qui disent: «Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie», sont impies. Sourate 5, verset 17). Ce sont là des scories idolâtres et superstitieuses que nos monothéistes carrés, logiques, systématisants et cohérents de musulmans retirent du canon.
Voici donc une des jeunes vierges servantes du temple de Jérusalem qui tombe enceinte. Cela la fout pronto dans la merde. On la prend pour une fille de petite vertu et personne ne veut l’aider ou se compromettre avec elle et ce, même après la naissance de son bébé. C’est ce dernier, miraculeusement disert et verbeux comme un vieux sage dès sa naissance, qui, dans bien des cas, devra tirer sa maman de la merde:
Initialement, le drame de Marie, c’est donc le drame de la volonté divine radicale mais ouvertement incomprise et rejetée par les hommes et les femmes de son temps. Le mur d’incompréhension qui attend Jésus, Marie s’y heurte déjà frontalement. La mère du messie aura donc été obligée d’accoucher fin seule, loin de tout ce qui est humain, et dans des douleurs intenses. C’est la fugitive mais magnifique scène du palmier solitaire au désert, un grand classique islamique:
Ici le babil explicite de Jésus, on sait pas trop d’où il sort mais de nombreux exégètes coraniques disent que le bébé babille déjà, en fait, depuis le sein de la mère. Enfin, quoi qu’il en soi, Jésus, le Verbe [sic], est cohérent dès la nativité et sa cohérence c’est que depuis le début il est miraculé et parle et que ce qu’il exprime formule le message de la volonté divine. Il est assez patent que, comme il le fait dans le cas de tous les prophètes sensibles (Ibrahim, Ismaël, Moussa, Youssouf, etc) et de leur entourage familial ou tribal, la discours narratif coranique désambiguïse et ratiocine ce qu’il concède ou ne concède pas du récit antérieur. Le principe correctif est simple et unitaire: les prophètes (et leurs familles) sont moralement droits, et dieu est omnipotent mais exclusivement spirituel et extrahumain. La virginité de Marie sera donc soigneusement épurée, tant de par l’élimination intégrale de Joseph et de toute son ambivalente affiliation que, surtout, de par la non-paternité divine. Et quand la vertu de Marie sera remise en question, c’est Jésus bébé lui-même qui remettra la pendule des jugements moraux à l’heure, sans ambivalence ni concession. On est déjà dans ce rigorisme hagiographique si typique des textes musulmans. Ici il se déploie, ouvertement argumentatif, en réécrivant, édulcorant et distillant l’eau trouble de la légende. Tout ce qui concerne un prophète (et Îsâ en est un de plain pied, en Islam) se doit d’être moralement sans tache (d’où la lancinante solitude maritale de Marie). Et l’intégrité divine ne se commet pas avec ses créatures (d’où la non-paternité d’Allah et la non-divinité messianique). Une fois ce cadre moraliste et doctrinal posé et postulé, en tant qu’objet curieux, hocus-pocus, miraculeux mais soumis à dieu, Jésus peut faire à peu près n’importe quoi et autre chose, comme parler explicitement bébé et/ou depuis le ventre maternel. Plus tard il sera thaumaturge, magicien et miraculé un peu dans tous les sens, comme dans les évangiles canons ou apocryphes, MAIS cela se manifestera non pas comme indice de sa divinité mais bien de sa soumission comme serviteur et créature de dieu. Sur cette question de la non-filiation divine du messie, la «voix de dieu» coranique ne se gène pas d’ailleurs, quand il le faut, pour tonner, en se faisant pesamment rectificatrice:
On reparlera, à Pâque, de la non-résurrection de Jésus (en Islam). C’est pas triste ça non plus, de fait digne d’un roman policier. En attendant méditons là bien celle là, quand même: Marie comme mère intégralement (miraculeusement) monoparentale, qui donne même —fait hautement inhabituel— son propre nom à son fils (Îsâ Ibn Maryam pas Ibn Youssouf) et qui accouche seule, seule contre tous, cosmos, entrailles, société, au désert, sans support ou encadrement patriarcal aucun (seulement la sollicitude divine, relayée verbalement par son fils naissant, et à laquelle elle s’abandonne sans concession). Dieu n’est pas un homme, pas un conjoint, pas un père, pas un fils. C’est une entité exclusivement spirituelle maximalement désanthropomorphisée et qui ne communique que par l’intermédiaire d’un de ses prophètes.
Une femme est la souche unique, cruciale et exclusive d’un très grand prophète, l’avant-dernier prophète de l’Islam en fait. Il faut dire qu’on l’attendais pas celle là, chez nos soi-disant machos coraniques!
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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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