Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

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Archive for the ‘L’Islam et nous’ Category

Je médite l’Islam parce que ce phénomène historique, intellectuel et émotionnel durable, influençant plus d’un milliard d’humains, compte. Je le fais en athée et en philosophe matérialiste mais avec toute la déférence requise. Je ne suis pas un iconoclaste. Je ne suis pas un hagiographe non plus mais je m’intéresse à cette vision du monde pour ce qu’elle dit de l’humain et de son contexte culturel. Salut, solidarité et respect, dans la radicalité de la différence.

Dieudonné et l’Islam

Posted by Ysengrimus sur 15 février 2023

Couverture du TIME du 31 Janvier 1969

Couverture du TIME du 31 Janvier 1969

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Bon, les juifs et les noirs (notamment les musulmans noirs) en compétition pour la palme platine de la victime historique absolue, c’est une affaire passablement plus ancienne qu’on ne le pense. J’en veux pour témoin historique (entre autres) cette première page du TIME datant du 31 janvier 1969. On pourrait longuement développer la captivante question de la lutte contemporaine des cultures de rédemption des ghettos de naguère mais… demain n’est pas la veille car l’irrationalité passionnelle la plus débridée semble régner, en ce moment même, sur ces embrouilles somme toute subsidiaires (mais montées en épingles pour bien éclipser les vraies questions). Chasse en chassé-croisé bourgeoise aux boucs émissaires sur fond de crise du capitalisme oblige. On y reviendra éventuellement, en des temps plus calmes.

La nouvelle mouvance brune. Donc, de nouveau, notre chère vieille France se droitise. La profonde faillite socialiste se finalise, à mesure que la durable trahison macronnienne enferre la société, ne laissant plus d’espoir perceptible. Cessons de se mentir, madame Marine LePen du Zinzin National est en train de devenir une politicienne ordinaire, une figure meneuse de la droite, roide, enflée, «sociale», ronflante, proprette. Un avenir politique conventionnel lui est promis, peut-être même, qui sait, les plus hautes fonctions. Le fait implacable se met donc en place: le RN (ex FN) se positionne sur l’échiquier politicien mainstream. Et pour ce faire, une fois de plus il n’y a pas à se mentir, ce nouveau futur vaisseau amiral du cartel des droites se recentre. La droite décomplexée des uns et des autres lui esquisse doucement un havre d’entrée. Suivons bien le lent mouvement du navire au flambeau tricolore. Mais ledit navire ne sort pas de nulle part. Il s’extirpe, en chuintant plus que bruyamment, de la vieille vase de l’extrême-droite française, croix de feu, OASesque, GUDeuse, militaro-facho-factieuse. En manœuvrant lourdement cap au centre, l’étrave poussive du RN abandonne derrière elle une boue lourde, inorganisée, gluante, fangeuse, tourbillonnante, déroutée, elle aussi, dans sa logique. En faisant de l’humour dans le pur style biaiseux de Dieudonné, on dira que c’est une boue brune… (quoi, brune, comme dans chemise brune, qu’est-ce que vous allez croire, là, eh…).

Dieudonné incarne sémiologiquement cette vieille nouvelle extrême-droite «anti-système», passablement inorganisée mais bien prégnante, ferme, ancienne. Il ne l’articule pas politiquement mais la formule discursivement. Et qu’est-ce qu’elle te dit, la nouvelle mouvance brune, ben d’abord pour s’exprimer comme Dieudonné toujours, elle t’annonce sans ambages qu’elle te pisse à la raie, tu vois. Puis une fois l’éructation du cœur passée, vessée, dispersée, elle retombe, la susdite mouvance, sur les vieilles pattes de ses implicites obscurantistes «classiques», si je puis dire. De nouveau, notre chère France se droitise. Elle l’a déjà fait, elle sait le faire. Il y a de la tradition, même dans ses égouts puants. Des axes sont tracés. Les fondations sont perpétuées. Et le bruit actuel, lui, augmente. Et nos apologues bêlants et hypocrites de la liberté d’expression se portent à la défense de Dieudonné. La complaisance suspecte, la solidarité truquée, tout s’entremêle et c’est le tourbillon brun. On connaît les faits anecdotiques mais, si on fait tout un fromage des droits à la liberté d’expression de Dieudonné, on s’attarde moins sur la configuration rhétorique de ce bateleur, qui reste un communicateur avant tout, avec un message, une ligne. Revoyons brièvement sa stratégie, devenue classique.

Un implicite obscurantiste. Un peu comme le fait, très ouvertement et très cyniquement, une certaine propagande iranienne ciblant l’occident, les attaques «antisionistes» de Dieudonné mobilisent nettement d’importants pans du fond de commerce obscurantiste qui fut celui de toute une tradition vernaculaire française (et européenne). Simplement ici, le brouet s’instille. Il est moins concentré qu’éparpillé, saupoudré, moins matamore que discret, roucoulant, casuiste. Un petit exemple de cette façon insidieuse de s’exprimer. Dieudonné dit (la source vidéo de cette citation est donnée plus bas): Les chrétiens ont été déjà dépouillés de leur religion. On… On a… les églises se sont vidées. Le Sionisme, partout où il arrive, tente déjà d’enlever les valeurs morales du pays. Remplacez ici «le Sionisme», simple maquillage rhétorique de surface, par «la juiverie internationale» et vous retrouvez, mot pour mot, la vieille propagande anti-juive nationalarde du siècle dernier, qui donnait les juifs comme principaux propagateurs de l’athéisme (On a.. on a… On sent qu’il hésite, le Dieudo, à proférer l’énormité d’un athéisme sciemment orchestré par les Sages de Sion. Il ne faut pas aller se démasquer) et, aussi, les juifs comme instance tentant «d’enlever les valeurs morales du pays». Mon ami! On dirait la vieille propagande anti-moderniste des bérets blancs! Et, de fait, presque tous les poncifs anti-juifs se retrouvent, à un endroit ou à un autre, dans le discours de Dieudonné (mais habituellement glissés supppositoirement, hein, en quenelle): les Rothschild, le sionisme rupin conspiro, le peuple élu, la Shoah (Ananas), le Grand Banquier qui nous tiens tous, Fau­risson (converti en bouffon), Pétain (que Dieudonné nous donne comme son président favori… pour la moustache à la Brassens, bien sûr, sans plus), et des noms colorés en pagaille de personnalités médiatiques et politiques d’origine juive, dont la moindre n’est pas François Hollande. Dire et redire le nom d’un juif connu, c’est excellent dans l’implicite. Pas besoin de radoter sans fin qu’il est juif, tout le monde le sait, s’en doute ou le suppose. Et si c’est lui et si Dieudo en parle, c’est que cette personnalité (une de plus! Il en est un aussi!) fait implicitement partie du «système» (qui, lui, ne peut être que sioniste ou pro-sioniste). Ce procédé (nommer des juifs et laisser leur nom «parler», sans plus), tout en dense lourdeur de sous-entendus, est fort ancien. Le raccourci réflexe, bien balisé, de l’obscurantisme traditionnel d’extrême-droite permet d’établir tout un jeu de raccords nerveux irrationalistes et de les marteler, tout en restant parfaitement dans le non-dit et l’implicite. L’exemple cardinal de ce jeu sur les implicites, immanquablement, fut la quenelle. Qu’est-ce que c’était? Un salut ceci inversé non, non, c’est jamais qu’un bras d’honneur cela. Rien de mal. Rien de tangible. Que du mou. On se sent quelque part un peu ridicule de s’offusquer pour si peu. Et de chanter jadis, gauloisement: François la sens-tu qui s’enfile dans ton cul, la quenelle? (sur l’air du Chant des Partisans). Levez-vous de bonne heure pour trouver prise à une poursuite pour propagande haineuse dans le maquis de ce salmigondi potache, mi-sodomite, mi-culinaire. Et pourtant absolument personne n’est dupe. L’implicite ferme est tout aussi intangible que net, limpide. Il est palpable et impalpable en même temps. C’est de l’excellente rhétorique auto-protective. Vous me direz qu’il se fit quand même coller des amendes et que celles-ci s’accumulèrent. Je vous répondrai que s’il avait tout dégobillé comme il le pense vraiment, il serait en taule et pour des années. De se planquer et d’esquiver comme il le fait, il gagne (surtout que les amendes, il les paye pas). Tout est là, quelque part, et comme ça fonctionne, ça se répand dans la lie factieuse désœuvrée et frustrée par les crises. La rectitude politique bâillonnante a produit des monstres glissants d’implicites et Diendonné est un de ceux-là. Et ce n’est pas fini. Interdisez la quenelle et demain, de par le jeu des raccords sous-entendus de l’atelier Dieudonné, un simple ananas sera désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable, limpide et net qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandis un ananas?

De par le jeu des implicites de Dieudonné ceci est désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandis un ananas?

De par le jeu des implicites de Dieudonné ceci est désormais un crypto-signal anti-juif d’autant plus imparable qu’il est anodin. Qui vous poursuivra pour avoir brandi un ananas?

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Une pudeur: la race. Il y a cependant une notion sur laquelle l’irrationalité sociopolitique sciemment promue par Dieudonné reste totalement pudique: la race. La race au sens morphologiquement et épidermiquement racialiste du terme. Techniquement parlant, l’obscurantisme de Dieudonné n’est pas un racisme. Vous avez bien lu. Il faut reconnaître que les contraintes commerciales sont ici tout simplement trop fortes. Dieudonné, dont le père est camerounais, se donne lui-même comme une nègre marron du showbizz qui court toujours pour ne plus avoir à écouter chanter Patrick Bruel jusqu’à la fin, sur le plateau de Michel Drucker (citation libre — inutile de rappeler l’ethnicité de messieurs Bruel et Drucker, la machine des implicites simplistes roule bien. Comme dirait Dieudo: on avance). Aussi, Dieudo ne reprendra pas, comme le faisait par exemple amplement Louis-Ferdinand Céline, le délire de la fusion du nègre et du sémite. Vous voyez tout de suite le couac paradoxal que cela provoquerait dans son vivier. C’est pas soutenable. Cette portion de l’obscurantisme «classique» restera donc pudiquement pliée dans les cartons de l’histoire. Le mot des fachos français de 1930 selon lequel le juif est un nègre ne sera pas repris. Évacuées aussi les autres grossièretés raciales: les formes de nez, le crépu des cheveux, les teintes de peau pour distinguer les youpins (selon le mot de la propagande pétainiste). Pas de critères raciaux négatifs ici. Que des critères raciaux positifs, pour valoriser les gens de souche africaines, esclaves ou non et aussi (surtout) affecter de les dévaloriser, en mimant ou prétendant mimer la vision de l’adversaire (Pour eux, moi, ch’sui qu’un négro… etc…). C’est une caractéristique très profondément originale, moderne, actuelle, rectitudepoliticienne, que cette particularité de non-racisme de fond. La ritournelle des irrationalistes sociopolitiques contemporains se perpétue donc, mais sans le racisme racial (si vous me passez l’indispensable pléonasme, la notion de racisme étant tellement galvaudée): c’est pas de l’antisémitisme, c’est, par autoproclamation dédouanante, de l’antisionisme. Oh, il sait parfaitement ce qu’il fait. Et la pudeur sur la race est d’autant plus cruciale, d’ailleurs, dans la mouvance Dieudonné, pour une autre raison, imparable. Les arabes, fondateurs historiques de l’Islam, sont eux aussi de race ou d’ethnie sémite et ils parlent une langue sémitique. Second grave danger de paradoxe donc, car les arabes ne font absolument pas partie du «peuple élu» (élu… par le dispositif discriminatoire de Dieudonné). La seule solution pour séparer les bons (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, et les anciens du GUD tous unis en quenelle) des méchants (les juif, tous israéliens plutôt qu’israélites désormais, et, en costards et à la télé de préférence), c’est de ne pas ressortir les doctrines racistes/raciales des fachos d’antan. Ne dites pas que Dieudonné est antisémite, c’est une fausseté factuelle. Ne dites pas qu’il est antisioniste non plus, cela le dédouane trop et lui impute une rationalité politique qu’il n’a absolument pas. Dites simplement qu’il est anti-juifs. Ça c’est vrai et ça ne ment pas. Même lui l’admettrais, je crois.

Et L’Islam. Cela nous amène directement à l’Islam. Le fait est que la nébuleuse hétérogène de la clientèle cible de Dieudo (les arabes, les noirs, les soldats, les pompiers, les détenus, les gardiens de prison, les anciens du GUD, ainsi que leurs épouses, tous et toutes tirés à quatre épingles au Théâtre de la Main d’Or — il fallait voir les images. Elle faisait plus bourgeoise cossue crispée que prolo révolutionnaire, cette discrète mais hilare clientèle), c’est l’ensemble des ingrédients d’une poudre à canon. J’entends par là qu’il y a de l’explosif en latence interne là dedans, comme dans une union «sacrée», éclectique et temporaire de pulsions incompatibles. Ces gens là ne se rejoignent pas vraiment, c’est pas possible. Tous ces factieux blanc-cassis endimanchés, c’est pas des pro-Islam, c’est pas sérieux. Il va falloir que quelqu’un réfléchisse à ce qu’il fait une minute ou deux, quand même, dans ce bazar. Mais lisons plutôt ce que Dieudo raconte justement de l’Islam lorsque, toujours pour me formuler comme lui, je dirai qu’il prend la parole chez ses maîtres de la télévision iranienne (il faut intégralement visionner cette courte vidéo. C’est l’aveu sublime du fond veule, onctueux, obséquieux et jésuite de Dieudonné, présenté ici comme un écrivain et humoriste français).

Alors, un peu justement comme le fait Dieudo, je vais vous asséner trois courtes citations, suivies de trois commentaires de mon cru, dans le pur style Dieudo, eux aussi. Pour bien vous dire ce que j’en pense de ce qu’il dit de l’Islam et vous montrer que l’humour à la Dieudo, j’en fais du pareil. Tapez sur mon cul pour voir si ça fait de la musique et attachez vos ceintures, on part. Dieudo dit, la bouche en cœur:

Le Sionisme a tué le Christ. C’est le Sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain. C’est comme ça qu’est définie, en fait, Marie. Alors que, dans l’Islam, il y a un respect. Non seulement un respect mais Jésus annonce la venue du Prophète.

(055 — 1:11)

Mais elle est où ta faconde irrévérencieuse là, mon Dieudo. Tu sonnes comme une petite vicairette émasculée, tout à coup, de t’offusquer que Marie aie pu un peu se faire du bon temps, dans cette chienne de vie, la pauvresse, là (tu cites pas les sources de ton développement fumeux et imprécis sur Marie. Tant pis. C’est pas mon affaire. Tant qu’à délirer, hé). C’est ton fond colo chrétienne gentille qui remonte là? Tué le Christ…  Il y a un respect… Mais ton Christ, j’en ai rien à cirer, gars. Je lui pisse à la raie, ton Jésus, tu vois. C’est du délire irrationnel vieux chnoque que tu nous susurres là. Ça a mais rien de rien à foutre dans l’espace politique, tout ça. Et ton respect, je le tringle. Bon, les musulmans parlent de Jésus, c’est pas un scoop, figure toi, on le savait. Mais qu’est-ce que ça à voir avec nos crises sociales actuelles, ça, avec la lutte contre le système, pour reprendre ton mot? Délire religieux de vieille calotte onctueuse, mon vieux. Vide de sens intellectuel, pur. De la radote de bénitier. Le sionisme (le vrai petit sionisme politique et historique, pas ta grande gadoue obscurantiste fantasmée, là) a tué des palestiniens, point, gars. Réveille-toi. Soigne toi, hé, tu es malade. Mais Dieudo poursuit:

Les chrétiens ont été déjà dépouillés de leur religion. On… On a… les églises se sont vidées. Le Sionisme, partout où il arrive, tente déjà d’enlever les valeurs morales du pays. Et puis ensuite, l’Islam est arrivé, ce vent qui arrive et qui libère en fait les populations. Et c’est pour ça que de plus en plus de gens vont vers l’Islam.

(1:51 — 2 :22)

Oh mais, le mec. Ça va pas, la tête! Tu vas me raconter que les juifs (ou qui que ce soit en l’occurrence — c’est parfaitement conspiro de prendre la déréliction pour une astuce mitonnée par des «décideurs», peu importe lesquels) m’ont dépouillé de «ma» religion. Mais «ma» religion, je l’ai jetée moi même aux orties, mon gars, figure toi. Et dans un grand mouvement sociétal progressiste que je valorise encore, tu vois. Et j’ai vraiment pas besoin de toi pour la ramener, dans tous les sens du terme. Et je la remplacerai jamais par une autre, surtout pas dans le champs politique, ça c’est moi qui te le dis. Dans l’Islam, il y a un respect… Pas pour les athées, le respect, hein, ni pour les femmes non-patriarcales. J’ai pas besoin d’épiloguer. Ce vent qui arrive et qui libère… Quoi? Mais tu bascules dans le lyrisme gaga et complètement mou du calecif, mon pauvre. Le vent de tes vesses qui libèrent tes boyaux pourris, oui. Comme tu le dis si bien à un peu tout le monde par les temps qui courent: ferme ta gueule. Tu suçotes la fissure de cul de ce journaliste iranien là et, je te le dis, c’est carrément indécent. Tu fais tout juste ce dont tu accuses tous les autres licheux télévisuels. Ferme-la. Fous-nous la paix. Et Dieudo, impavide, dit finalement:

Et c’est ça la force de l’Islam. C’est qu’il semblerait qu’avec le temps, le message originel est garanti. Et c’est pour ça que d’ailleurs ici [en Iran], le pouvoir est bicéphale. Il y a d’un côté les politiques. Et d’un autre côté, on a les sages qui observent et qui donnent leur avis. Malheureusement, tout ça, en France, ça n’existe pas.

(2:58 — 3 :13)

Hein! Le message originel? Quel message originel? Tuez les athées, les femmes insoumises et les juifs? Il est philosophique (sage?), ou politique, le message? Quoi? Quoi?  Les sages qui observent en Iran? L’apologie de la théocratie autoritaire iranienne maintenant? C’est ça le modèle politique qui dansotte au bout de ta quenelle, là? Ben, mon gars, je te dis: non merci. Je te dis que t’es en train de tenter de nous en enfiler toute une. Je te sens pas, là et c’est pas bon signe. Et tu mens, tu mens, dans ce flagornage stérile et vide de ton chrétien fondamental par ton musulman fantasmé. Lit le Coran un petit brin, gars. Ça va te décrasser. Il louvoie pas comme toi, le Coran, tu vois. Texte moyenâgeux sans complexe, il assume son intolérance et il contredit ouvertement l’abbé Dieudo. «Ô, vous qui croyez! Ne prenez pas pour amis les Juifs et les Chrétiens; ils sont amis les uns des autres.» (Sourate V, verset 51). Vlan, et tu l’as dans le cul. Mais alors, tu racontes absolument n’importe quoi pour endormir les gogos, mon minus. Tu perds ton temps et le mien dans tes circonlocutions semi-légendaires de théogonardise de faux syncrétisme de merde, c’est pas croyable. C’est à halluciner.

Aussi, je te dis ceci, pour conclure sur toi et ta mouvance puante et délirante, cher Dieudo. Les conneaux que te traitent en bouc émissaire «humoristique» (pour pas faire face au mouvement sociétal, malsain mais crucial, que, tristement, tu révèles) et qui fantasment de te bâillonner (pour bien se voiler la face) par des astuces juridiques toujours contournables et par des amendes que tu paiera pas, eh ben, eux aussi, ils perdent leur temps et le mien. C’est ton public cible de musulmans français, de noirs de seconde génération et de facho blancs, tous éclectiquement et fortuitement réunis, qui va te péter dans le visage et te pulvériser la gueule, quand l’incompatibilité fondamentale des particules de haine et de déboussolement que tu comprimes dans tes théâtres vont se pénétrer véritablement l’une l’autre et toucher l’étincelle lumineuse de ta pauvre toute petite pensée inane et tant tellement vieillotte. Patatras! Pulvérisé par ses propres chalands, antinomiques, braqués et irréconciliables, le Dieudo. [Rire gras à la Dieudo. Il riait souvent de ses propres boutades, de son rire faussement copain et assez communicatif.]

Le vieil obscurantisme entre-deux-guerres occidental, ouf et re-ouf, on a vraiment pas besoin de l’Iran ou de qui que ce soit d’autre dans le genre, pour venir nous le re-seriner, avec en courroie de transmission, en prime, Dieudonné. Les morts ont enterré les morts qui sont issus en pagaille de tout ça. Foutez-nous la paix, une bonne fois avec vos résurgences cent fois re-maculées et médiatisées (y compris a contrario — ceci NB). Laissez nous vivre un peu. Il est plus que temps qu’on cesse de faire de la politique avec la religion. Il n’en sort jamais rien de bon. Et ça, ben, là, on s’entend tous pour dire que Dieudonné et l’Islam ont en commun de douloureusement le confirmer et le reconfirmer.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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LA PLAIE DU PASSÉ (Adam Mira)

Posted by Ysengrimus sur 15 octobre 2022

Mira-Plaie du passe

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Dans ce recueil de seize nouvelles réalistes et intimistes, on nous invite à voir le monde contemporain à travers le regard d’un palestinien ayant vécu dans un camp de réfugiés jusqu’à l’âge de quarante ans puis ayant subitement immigré, lourdement lacéré des plaies du passé, au Québec et ce, avant d’avoir appris ne fut-ce que les rudiments les plus minimaux de la langue française. L’écriture dépouillée et directe d’Adam Mira nous fait entrer en toute simplicité dans un univers mental et social étonnant, déroutant, à la fois tragique et crucial. D’un récit à l’autre, on rencontre un homme (ou des hommes) ayant vu sa famille massacrée sous ses yeux… ou ayant vu le laitier d’un quartier d’Alger froidement abattu par la soldatesque juste parce qu’il commençait à bosser avant l’aube… ou côtoyant une mère atteinte de quasi-mutisme à cause des cruautés et des privations des camps et de la guerre. La souffrance aiguë, l’arrachement et le profond manque affectif sont omniprésents dans ces récits, à mi-chemin entre fiction et témoignage.

Malgré le fait que ma mère et mon père m’aient rendu visite pendant plusieurs années, ils ne m’ont jamais pris dans leurs bras, ils ne m’ont jamais fait de câlin. Chaque fois que je voyais quelqu’un devant moi qui recevais une tendresse ou un câlin, la jalousie envahissait mon cœur. J’avais soif d’amour, j’avais besoin de vivre le reste de ma vie entre les câlins et les tendresses!

La dimension cuisante et poignante des drames évoqués dans cet ouvrage est donc subtilement équilibrée par le ton prosaïque, tranquille et limpide du traitement. Le résultat est à la fois très authentique et d’une étrangeté presque décalée, le tout restant solidement installé dans l’ordinaire et le quotidien (même le quotidien bizarre des camps). Un autre facteur particulièrement savoureux et insondablement sympathique entre en ligne de compte au fil de ces historiettes en forme de miniatures. C’est celui de la langue. Le (ou les) personnage(s) mis en scène doit avancer pas à pas dans l’apprentissage de la langue française. Et, par moment, il nous en parle, il en fait le sujet direct et explicite de certains de ses récits. Apprendre consciencieusement le français lui suscite d’ailleurs un mal inattendu à… la langue, justement… la langue l’organe, on s’entend. En travaillant méthodiquement son français, entre autres devant le miroir, notre personnage doit tellement ajuster son appareil phonateur qu’une douleur linguale assez durable se met en place (la nouvelle s’intitule: La langue me faisait mal). Comme quoi, oui, il faut souffrir de la bouche aux pieds, pour s’intégrer. Mais on a ici une petite lancinance bien bénigne va, comparée à celle de ces plaies du passé qui vous rendent presque suicidaire. L’intégration et l’ajustement culturel sont, avec le déracinement et le fardeau durable qu’imprime en nous la Storia, les principaux thèmes de cette suite d’attachants récits. Le monde ordinaire, surtout le contexte quotidien occidental, y est regardé avec un sourire mi-serein mi-taquin mais aussi à travers une singulière lentille, une dense lentille de larmes, en fait. Titre des seize textes: Un automne lugubre. Lutter en français. Mes tentatives de suicide! La langue me faisait mal. J’ai déniché un travail. La femme suspecte et les deux samaritains. La Blanche! Je suis tombé amoureux d’une japonaise. À la recherche de Nadia. Histoire d’une maison. Bénévole indésirable. République bananière. La plaie du passé. Un voyage à travers le temps. De la part d’une princesse célibataire. Chez les frères Castro.

Écrivain réaliste donc, sorte de mémorialiste émotionnel, Adam Mira ne néglige cependant pas la dimension symbolique dans certains de ses récits. Parfois c’est une maison qui parle de son passé (Histoire d’une maison), parfois c’est nulle autre que la Mémoire de l’Humanité qui disserte sur elle-même (Un voyage à travers le temps). Une autre de ces nouvelles (De la part d’une princesse célibataire) est un véritable conte oriental. La reine d’un petit oasis se cherche un mari. Pour attirer vers elle les hommes ayant le plus de prestance, de stature, de noblesse d’âme et de conversation, elle va organiser un grand concours de composition et de récitation de poésie. Tous les apprentis baladins de l’horizon vont se rameuter.  Mais…

Je ne vous en dis pas plus… sauf pour dire que le monde est si beau et que le monde est si cruel. Tel est le message fondamental du recueil de nouvelles La plaie du passé.

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Adam Mira, La plaie du passé, Montréal, ÉLP éditeur, 2016, formats ePub ou Mobi.

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C’EST L’OPIUM DU PEUPLE — PHILOSOPHIE DU FAIT RELIGIEUX (Paul Laurendeau)

Posted by Ysengrimus sur 18 septembre 2022

Opium du peuple

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Cet ouvrage propose une analyse athée du fait religieux, dans un angle philosophique. L’exposé se donne comme exosquelette l’intégralité de la fameuse tirade de l’opium du peuple de Karl Marx. Les trois paragraphes de ce commentaire célèbre de 1843 ont donc été soigneusement découpés en vingt titres de chapitres qui annoncent autant de segments d’un développement philosophique homogène sur la religion et la religiosité.

Cet exposé s’adresse au premier chef aux athées, surtout ceux et celles qui ont le cœur gonflé d’une ardeur irréligieuse, au point d’en avoir mal. Les gens qui croient à une religion peuvent lire cet ouvrage aussi, bien sûr, mais ils n’y sont pas ouvertement invités et ils risquent de s’y sentir parfois un petit peu bousculés. Par moments, ça pète un peu sec… Or l’auteur n’est pas ici pour ferrailler avec les dépositaires du culte ou leurs ouailles. Ça ne l’intéresse pas de faire ça. Paul Laurendeau (Ysengrimus) est ici avant tout pour dire ce qu’il pense, pas pour faire du prêchi-prêcha à rebours. L’ouvrage s’adresse aussi aux gens qui doutent de leur statut de religionnaire et qui ressentent un besoin pressant de mettre un peu d’ordre dans leurs pensées, sur cette vaste question.

Non seulement la religion est l’opium du peuple, mais elle reste, l’un dans l’autre, un objet d’un grand intérêt intellectuel. Qu’on l’approuve ou qu’on la réprouve (l’auteur de cet ouvrage est du nombre de ceux qui la réprouvent), il reste que la religion est un phénomène incontournable de l’histoire humaine. Aime, aime pas, elle est encore avec nous. Il faut donc encore en parler.

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Paul Laurendeau, C’EST L’OPIUM DU PEUPLE — PHILOSOPHIE DU FAIT RELIGIEUX, chez ÉLP éditeur, 2022, formats ePub, Mobi, papier, 230 p.

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Religion et morale… encore un mot, si vous me permettez

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2021

Le dieu-morale est une fiction anthropomorphe (pour ne pas dire: andromorphe)

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Un argument qu’on entend constamment de la part des théogoneux contre l’athéisme a à voir avec la ci-devant dimension morale de la religion. Selon cet argument, du reste assez éculé, religion et morale seraient intimement connectées et l’athéisme serait soit immoral, soit amoral, ou encore il manquerait tout simplement de la décence la plus élémentaire. Cet argument d’une synonymie quasi complète entre athéisme et dépravation est souvent répété, en ritournelle, de façon un peu mécanique, sans que les implications philosophiques qui le sous-tendent ne soient regardées avec le sérieux requis. On va en dire encore un mot ici car il s’agit-là d’une conception à la fois bien mal contestée et faussement évidente. Et la chose révolte suffisamment l’entendement athée pour que, la mort dans l’âme, je me sente obligé d’y revenir.

La question de savoir s’il y a un raccord automatique entre religion et morale est une histoire assez ancienne mais qu’il serait, quand même, abusif de qualifier d’insondablement séculaire. En réalité, les enjeux de cette question prennent corps plus précisément au moment de la lente mise en place du monothéisme. Il ne s’agit pas ici de reprendre toute cette problématique mais simplement de bien insister sur le fait que les religions les plus moralisantes, les plus susceptibles de formuler des exigences comportementales et éthiques de la part de leurs religionnaires, sont les monothéismes. Dogmatisme religieux, exclusivité de l’unicité divine, et rigorisme moral se sont un jour rencontrés et s’accompagnent depuis lors. Les monothéismes sont en effet directement chevillés à l’existence d’une autorité, religieuse et/ou politique, dont la priorité est de régir les comportements des religionnaires. Ces derniers peuvent en venir graduellement à être considérés comme des nationaux, des citoyens, des compatriotes, à mesure que les grandes étapes historiques se déploient. Mais elle perdure de façon tenace, la volonté sourde et vieillotte de les maintenir soumis à un roi et à une foi.

Alors regardons un petit peu cette question de l’identification intempestive entre religion monothéiste et morale. Ce qu’il faut observer attentivement et que les théogoneux devront admettre, s’ils cultivent cet argument moralisant, c’est qu’on est ici dans une situation d’instrumentalisation autoritaire de l’être suprême. Dans cette mise en place du dieu-morale, l’être suprême, nécessairement anthropomorphe (et même carrément andromorphe), apparaît comme une autorité omnisciente, omnipotente, dotée, donc, d’une capacité de surveillance maximale. C’est le grand frère en quelque sorte, ou le père, qui commande et maintient en sujétion une piétaille irresponsable, implicitement brouillonne et potentiellement trublionne. On comprend parfaitement que ce genre d’être suprême pourra très facilement, dans cette conception largement infantilisante de la religiosité, apparaître comme le dépositaire exclusif des comportements moraux. En effet, ce qu’on observe ici c’est la mise en place où la perpétuation du dieu patron ou du dieu gendarme, autrement dit d’un être suprême dont la capacité à avoir bien en main l’intégralité des comportements des religionnaires fonctionne comme garant du moralisme revendiqué par les théogonies monothéistes.

Prenons un exemple. Il sera musulman en l’occurrence mais la situation concrète est loin d’être une exclusivité musulmane. Nous voici aux environs de l’an 900. Un marchand arabe approche tout doucement son navire des côtes d’un territoire qui sera un jour le Pakistan. Il rencontre un personnage local et se met à discuter commerce avec lui. Notre marchand arabe a besoin de se ravitailler, vu qu’en fait il se rend encore plus loin, vers l’Asie extrême-orientale nommément, genre en Indonésie ou quelque chose comme ça. Pour sa part, notre pakistanais (nous l’appellerons ainsi par commodité) observe que ce batelier marchand a de magnifiques objets à vendre ou à échanger, des soieries, des parfums, des métaux précieux, des outils, des armes. Le contenu de ce navire fin et élancé apparaît comme parfaitement mirifique. La discussion commerciale s’engage. Or, à un certain moment, le marchand arabe, qui veut, lui, récupérer des viandes salées, du blé, des légumes, et autres denrées alimentaires, pour pouvoir continuer son voyage, tient au pakistanais des propos insolites. Il lui dit des choses comme: mais là attention, tu ne dois surtout pas me tricher sur les quantités car, tu sais, Dieu nous voit. Il observe tout ce qu’on fait. Oh, mon petit dieu statuaire, Bouddha ou Ganesh, c’est selon, est planté à la périphérie du village et il ne discerne rien de ce qui se passe ici, lui répond le pakistanais, qui est un idolâtre assez vague et peu soucieux de corrélation entre sa divinité et une éventuelle moralité du commerce. Le marchand arabe se rembrunit: quoi, tu n’adhères pas aux vues selon lesquelles il y a un Dieu unique, omniscient et omnipotent? Alors bon, attention, là les copains, on remballe tout. Je fais pas affaire avec des mécréants qui ignorent la surveillance que Dieu, unique et omniprésent, exerce sur le sain commerce. Notre pakistanais, qui ne veut pas perdre l’affaire, dit alors: non, attention, houlà, faut pas le prendre sur ce ton-là. Calmons-nous, discutons. Qu’est-ce que c’est que ce Dieu? Parle-moi un peu de Lui, ça m’intrigue… Notre pakistanais se dit bien qu’un personnage avec un navire aussi performant et des marchandises aussi somptuaires bénéficie certainement des avantages que fournissent certaines accointances surnaturelles, alors, bon, il faut voir. Notre arabe explique que, oui. Dieu, dont le prophète Mahomet est l’ultime messager, existe pour tous et… etc… Le pakistanais dit: je vois, je vois… donc un Dieu unique, omniprésent, scrutateur, et qui gère et assure l’intendance de tous nos comportements, incluant naturellement le bon commerce. Mais alors, dit toujours le pakistanais, et votre système de castes dans tout ça? Et l’arabe répond: système de castes?… je comprends pas trop ce que tu me marmonnes-là. Bien oui, tu sais, la séparation obligatoire des différents groupes humains et leur soumission servile et éternelle aux autorités aristocratiques? Non, non, c’est de la superstition brahmanique, ton affaire, là, ça fonctionne pas comme ça. Nous sommes tous identiques devant Dieu et si tu vas prier à la mosquée, tu peux parfaitement prier à côté d’un grand chef de guerre ou d’un riche marchand et tout fonctionnera parfaitement. On ne se soumet qu’à Dieu, pas aux humains ou à leurs castes. Il y a pas de castes, en fait. Tout le monde est égal devant Dieu. Le pakistanais trouve tout cela vraiment très intéressant, tant théologiquement que sociologiquement, si on peut dire. Et, de fil en aiguille, finalement, notre futur converti comprend que s’il veut pouvoir continuer d’avoir des transactions commerciales avec un marchand arabe qui pourrait parfaitement aller accoster et négocier ailleurs, il se doit de rencontrer ses priorités religieuses, au demeurant passablement transversales, souples et plutôt simples. Lesdites priorités religieuses sont intimement chevillées aux contraintes morales du voyageur de commerce monothéiste. Dieu nous voit. Il est donc l’arbitre implicite et omnipotent du bon marchandage.

C’est assez tôt, dans ce qu’il convient d’appeler l’Histoire universelle, que la corrélation entre religion monothéiste et moralisme s’est mise en place. Bien évidemment, il faut comprendre que ce genre de représentation philosophique fonctionnait parfaitement dans une dynamique moyenâgeuse, où les rapports de force étaient très aigus, les conflits locaux fréquents, la ripaille et les pillages habituels, et où quiconque rencontré sur le chemin ou sur les mers apparaissait comme un ennemi potentiel. Inutile d’insister sur le fait que nous fonctionnons de nos jours dans une société beaucoup plus profondément organisée et implicitement policée. Le principe qui persiste cependant ici est bel et bien que le théogoneux contemporain établit une fusion rigoriste, vermoulue, et non questionnée entre autorité divine et morale. Autrement dit, la bonne morale ronron fonctionnerait parce qu’un grand contrôleur universel veillerait sur nous et verrait à régenter ce qui se passe.

Implacablement, les impairs factuels, les manifestations flagrantes d’incompétence divine et les incapacités effectives de cet être fictif à régenter réellement les comportements moraux ont trouvé des explications lourdes, tortueuses et lentes, au fil des siècles. On parla de punitions, de mansuétude, de miséricorde, de fatalité du mal, de voies divines tortueuses et impénétrables, de tout ce qu’on voudra. Le principe stable était que, dans le regard de l’héritage religieux, nous n’adoptons une attitude morale que parce que nous sommes régentés par une instance surnaturelle. Il s’agit en fait d’une morale transcendante, au sens où la morale nous est imposée de l’extérieur par une puissance abstraite, définie axiomatiquement, et à laquelle on ne peut ni confronter notre regard critique ni échapper. Il faut se soumettre. Et, pour sûr, ceux qui profiteront maximalement d’un tel dispositif moral seront nul autres que les porte-paroles, autoproclamés et hargneux, de cette puissance tutélaire aussi lourdingue que non-étayée.

L’objection fondamentale à cette explication sommaire de la moralité par une surveillance divine réside dans l’attitude civique de la pensée athée. La pensée athée, dans son émergence historique au cours des derniers siècles, accompagne les grands mouvements sociaux révolutionnaires, réformistes, progressistes. Le résultat intellectuel et moral de ces immenses développements historiques en vient, par bonds, à émietter la croyance en une autorité transcendante, en charge de monter la garde, au nom d’une espèce de gendarmisme éthéré et diffus. La morale religieuse à l’ancienne finit remplacée par une moralité immanente émanant implicitement du monde social même. On a bel et bien affaire ici à la confrontation finale entre la morale venue du ciel et la morale jaillie de terre. Et, sur cette question, quoi qu’on veuille en penser, le choix de l’Histoire mondiale est clairement fait.

Je tiens à dire à mes compatriotes de toutes croyances religieuses: s’il vous plaît, une bonne foi(s), cessez de nous casser les oreilles avec votre conception archaïsante de la morale. Du fait d’être religieux, vous n’avez pas le monopole de la sensibilité éthique. Au contraire, vous avez surtout le monopole d’un certain autoritarisme abstrait et d’une certaine légitimation de vos propres croyances locales par un être suprême fictif, qui sert en fait de caisse de résonnance à une vision du monde qui est, d’autre part, aussi ordinaire et terrestre que la mienne. Il est de plus en plus urgent de retirer la question du débat moral de celle du débat religieux. Ces deux problèmes sont des problèmes séparés. Et la question philosophique de savoir si oui ou non (en réalité: non) un être suprême, diaphane et spirituel, a créé le monde matériel et en assure la cohérence doit être posée en termes ontologiques et non axiologiques. Il faut formuler cette question de façon rationnellement spéculative et à l’exclusion de toutes considérations de pragmatique morale. Il faut impérativement remplacer la question est-ce que dieu est une bonne chose? par la question est-ce que dieu existe? Que voulez-vous, redisons-le: l’Histoire a tranché. Les questions morales sont désormais assumées par les lois mais surtout par un consensus collectif de rigueur civique qui, malgré les hauts cris de certains thuriféraires de la régression mentale à tous crins, progresse et prend de plus en plus une dimension planétaire. Oui à la morale immanente. Non au dieu transcendant. Continuons de rester calmes et de discuter ces questions sans s’énerver. Après tout, toutes ces abstractions et ces élucubrations légendaires, intellectuellement héritées, ne valent vraiment pas la peine qu’on en vienne aux mains.

En somme, ce que je tiens à dire fermement à mes vis-à-vis religieux, c’est que l’athéisme n’est pas une immoralité. Il y a une moralité athée et cette moralité est civique. Elle est immanente. Elle est implicite. Elle est collective. Elle est évolutive. Sa qualité de rationalité supérieure réside dans le fait de ne pas requérir le gestus fallacieux du grand gendarme universel, du pion de collège cosmologique toisant, en ronchonnant, des enfants turbulents et sans conscience articulée. La moralité athée, comme résultat de l’organisation de la riche et complexe vie sociale contemporaine, c’est le mode de vie éthique du présent et de l’avenir.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Samarcande. Oui, mais…

Posted by Ysengrimus sur 1 mars 2021

SAMARCANDE (Ouzbékistan). NOTE: cette illustration publicitaire n’est pas de Moshe Berg

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Ysengrimus: Alors, le tourisme, c’est la mondialisation du monde foutu. Ne s’y affirme que les aventures soigneusement ficelées et circularisées de la redite. Cette situation est si intégrale qu’il existe même, depuis belle lurette, une activité touristique de la fuite des circuits touristiques. Un off Brodway du tourisme, en quelques sortes, tout aussi bidon que l’autre, naturellement. Qu’il soit extrême, écolo, sportif, naturiste, gastronomique, historique ou ethnographique, le tourisme reste la quintessence, de plus en plus ouvertement avouée, de la société du spectacle. Rien ni personne ne montre le monde, tant que la dynamique touristique impose sa loi. Le seul tourisme candide et honnête est le tourisme ouvertement pillard, c’est-à-dire celui qui accapare sans se complexer le soleil, les plages, les fruits exotiques et les paysages pittoresques, en en niant et en en boutant la vie historique. Le tourisme, c’est le vol de la partie de la propriété qui ne s’exporte pas donc ne se soutire pas. Tout tourisme tue l’agriculture (vivrière ou compradore) autant qu’il tue les juntes. En un mot, le tourisme est une théorie du spectacle faite chair, roc, vieilles pierres, lac et rivière, et qui étrangle discrètement tout développement. C’est que le matérialisme touristique est l’antithèse ouverte et scandaleusement bourgeoise du matérialisme historique. Donc, ceci dit et bien dit, Moshe Berg tu reviens d’Ouzbékistan et plus précisément de Samarcande et je crois comprendre que l’artiste visuel en toi a mieux réagi à l’expérience que le sociologue de la terrible chose touristique.

Moshe Berg: Exactement. Très bien dit.

Ysengrimus: Parle-nous en donc un petit peu.

Moshe Berg: J’avais un contrat de dessins architecturaux en Asie Centrale et ce déplacement était strictement pour raisons professionnelles et non touristiques. Pour faire simple, je suis arrivé dans la capitale ouzbèke Tachkent depuis Berlin (six heures de vol). Les ouzbeks sont sympas, liants, accueillants. On en trouve assez facilement qui parlent allemand ou anglais. J’ai pris le TGV pour Samarcande (deux heures de trajet, depuis Tachkent). Je n’avais pas beaucoup de temps et on m’avait chargé de faire des plans et des croquis (pas de photographies) de certains des ouvrages architecturaux de la partie historique de cet ancien relai central de la vieille route de la soie. C’est une ville légendaire, aussi ancienne que Rome, qui me fait rêver depuis mon enfance, et l’idée de la découvrir dans sa matérialité solide me faisait vraiment une très grosse impression.

Ysengrimus: Tu n’as pas été déçu.

Moshe Berg: Par le site physique, absolument non. J’ai pu dessiner ce que je recherchais, en le captant dans des angles inattendus et surprenants. Le plus complexe à reproduire, à rendre adéquatement, ce furent les teintes. Ce pays est largement désertique et la lumière du soleil y a une facture toute particulière. Il coule presque comme un liquide subtil, ce rayon de soleil ouzbek. Cela a certainement inspiré les architectes et les coloristes qui ont imprimé les teintes et motifs extraordinaires sur ces façades et ces colonnades. Il y a de cela des siècles. Bon, mes croquis et dessins sont sous copyright. Je ne peux pas les partager ici, avec ton monde. Mais mes notes de travail sont libres de droit. Tu crois qu’elles intéresseraient tes lecteurs et lectrices?

Ysengrimus: Eh comment. Garroche-nous ça, mon petit vieux.

Moshe Berg: Eh bien, On va faire comme ça. Tu appelles les lieux historiques et je te lis ma fiche de travail.

Ysengrimus: Bon pour moi. Alors voici, Moshe m’a donc envoyé par courriel séparé une liste de toponymes aussi colorés que leurs façades et je les lui relance ici, un après l’autre, comme autant de respectueuses balles molles.

Moshe Berg: Vas-y.

Ysengrimus: La Place Régistan.

Moshe Berg: C’est le point central du Samarcande monumental. C’est comme un immense parc architectural, mirifique mais mort. C’est superbement aménagé, propre, colossal, mais inerte et truffé de touristes orientaux et occidentaux. C’est la partie de la ville sur laquelle on voudrait tellement pouvoir rêver, sauf que plus on la découvre plus le rêve tourne au cauchemar. La réflexion bifurque vite. Elle passe assez rapidement de la grande histoire séculaire au petit tourisme contemporain. J’ai horreur du tourisme, Ysengrimus, et je sais que tu me comprends. Ton excellent commentaire d’ouverture le confirme.

Ysengrimus: Oui, absolument. Poursuivons, poursuivons… La Madrasah Tilya-Kori.

Moshe Berg: Une madrasah c’est une grande université coranique, en pays turco-persique. Il s’agit donc ici d’un ouvrage doté d’un portail immense avec une vingtaine de plus petits portails encastrés dans la façade. Devant, il y a un tout petit parc ombragé, avec des bancs. On peut s’y assoir pour faire des croquis. Très agréable. C’est comme un préau gigantesque. La construction nous entoure. À l’intérieur de l’immeuble, le dôme du plafond est doré et bleu. C’est magnifique.

Ysengrimus: La Madrasah Ulugh Beg.

Moshe Berg: L’ouvrage a sept petits portails encastrés et un grand portail monumental. Il y a deux colonnes, aux pourtours de façade, dont une qui a l’air un petit peu de pencher. Il y a aussi des colonnes en arrière de l’immeuble. Le tout est dans des teintes de gris et de bleu avec de grandes inscriptions en alphabet arabe, en blanc. Ce sont principalement des motifs de cercles et de losanges qui ornent ces façades. Il y a aussi ces fameux dômes turquoise si typiques ici. Ils sont superbes.

Ysengrimus: La Madrasah Sher Dor.

Moshe Berg: Elle ressemble aux deux autres sauf pour les motifs de son portail qui incorporent deux magnifiques tigres persans, avec des biches et des gros faciès humains blancs. L’impression de majesté de ses portails est impressionnante. Au sommet de la portion intérieure des portails, quand on se place juste dessous, la pierre semble s’effilocher et pendouiller comme du papier. Extraordinaire. Ça ne ressemble à rien de connu. Dominantes de turquoise et d’ambre. Les dômes turquoise sont incroyablement éblouissants.

Ysengrimus: La Mosquée Bibi-Khanym.

Moshe Berg: Elle, elle est plus austère. Un seul portail, dédoublé vers son dedans, en un plus petit portail. Moins de bleu sur la façade. Son intérieur, par contre, est sublime. Il y a ici aussi cet effet de plafond en effiloche de papier mais là, c’est en blanc et en doré. Somptuaire. Un vitrage ornementé laisse bien entrer la lumière. Il y a de beaux arbres devant cette mosquée désertée de fidèles, dans laquelle les touristes entrent sans se déchausser. Du reste, une portion extérieure et intérieure de cet immeuble est partiellement en ruine. Cela rend son grand drame historique oublié encore plus poignant.

Ysengrimus: La Nécropole Shohizinda.

Moshe Berg: C’est une véritable niche à touristes. Il faut dire que le puissant bleu des façades est magnifique et qu’il pénètre littéralement en nous, comme un mystérieux élixir. Bleu, bleu, turquoise, bleu. On dirait de l’eau se dressant massivement à la verticale et montant à l’assaut du ciel. Ces façades sont plus minces et cela rend les dômes plus proéminents. C’est sublime (mais totalement gâché par ce maudit surtourisme).

Ysengrimus: Le Mausolée Gour Emir.

Moshe Berg: Il est plus svelte que les autres ouvrages, avec un parc devant et un drôle de dispositif au sol (devant, lui aussi) qui ressemble à quelques chose comme des bases de ruines aménagées. Son dôme turquoise est très proéminent et son plafond intérieur bombé semble en or, avec un drôle de lustre qui pend au centre. L’effet papier effiloché plafonnier semble maintenant bruisser dans de l’or. Il y a des sortes de cercueils en marbre au sol, dont un, noir, contient Timour en personne… du moins c’est ce que les guides touristiques nous racontent.

Ysengrimus: La Mosquée Kazrat Khizr.

Moshe Berg: Elle est architecturalement originale, par rapport au reste. Elle est de couleur crème et est dotée d’une étrange esplanade surélevée, à colonnades, qui la fait presque ressembler à une titanesque hacienda espagnole. Ses dômes ne sont pas turquoise mais couleur crème aussi. Des motifs géométriques complexes décorent certaines de ses colonnes très pâles. Les touristes la submergent godasses aux pieds, elle aussi, en toute impunité.

Ysengrimus: L’Observatoire Ulugh Beg.

Moshe Berg: C’est une façade totalement isolée qui est suivie d’une sorte d’immense corps de limace vallonnant. C’est dans cet ouvrage que se retrouve la titanesque structure incurvée du machin astronomique qui servit à Ulugh Beg, le petit-fils de Timour, à mesurer tout un tas de distances d’étoiles. Je te jure que c’est sidéralement impressionnant et je te supplie de ne pas me demander comment ça fonctionne.

Ysengrimus: Et pan dans les dents. Fin de l’énumération. Je viens de traduire tout ceci de l’anglais (ceux qui connaissent Moshe savent qu’il est de Duluth, Minnesota) et j’en suis fort content. On poursuit. Alors?

Moshe Berg: Alors, la nuit, ils te mettent le paquet. Ils illuminent tout ça, en grande. C’est somptuaire mais, encore une fois, c’est mort. Bon, en plus de la Place Régistan et des autres sites susmentionnés, il y a un marché, le Bazar de Siyab. On nous y sert, entre autres, les grands petits stéréotypes historico-touristiques locaux: la soie, le papier artisanal, le pain ouzbek, les épices colorées. Et vlan. Le restant, c’est une ville parfaitement ordinaire. Normale. Plutôt tranquille. Et c’est tout. Tu viens ici de faire le tour de la Samarcande utile, mon bon ami.

Ysengrimus: Utile surtout pour les entreprises touristiques, on dirait.

Moshe Berg: Tout à fait. Les gens, ici aussi, comme dans la capitale, sont charmants, polis, courtois, souriants. Mais ici, ils sont justement très branchés tourisme. Ils t’attendent et ils te baratinent. Tout est beau mais faux. Du toc. La vieille ville dont je viens de te décrire la toute funéraire splendeur plastique est séparée des faubourgs vivants par un mur. Les gens ordinaires ne détiennent pas vraiment leur ville historique. Ils ne l’investissent pas. Samarcande est un grand fantasme révolu devenu petite trappe à touristes.

Ysengrimus: Oui, il semble d’ailleurs que des propos critiques assez acerbes aient été tenus justement sur ce que tu décris.

Moshe Berg: Ça ne m’étonne pas une seconde.

Ysengrimus: Alors Moshe, l’un dans l’autre, Samarcande, la mystérieuse. Satisfecit?

Moshe Berg: Oui, mais…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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COMMENT JE SUIS DEVENU MUSULMAN (Théâtre du Rideau vert, Septembre 2019)

Posted by Ysengrimus sur 21 septembre 2019


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On va d’abord poser nos protagonistes. Ysengrimus (votre humble serviteur, 61 ans), Reinardus-le-goupil (son fils), la Dame à la Guitare (épouse de Reinardus) et Clef de Sagesse (grande amie de l’épouse de Reinardus). Ces trois jeunes gens (26 ans en moyenne) ont eu la gentillesse de m’inviter à auditionner la pièce de théâtre Comment je suis devenu musulman de Simon Boudreault, au Théâtre du Rideau vert (Septembre 2019).

Comprenons bien maintenant l’armature philosophique et intellectuelle du solide petit quatuor critique qui s’est mis en branle ce soir là, au milieu des spectateurs du grand dispositif scénique historique de madame Filiatrault. Clef de Sagesse et la Dame à la Guitare sont toutes les deux des kabyles algériennes de seconde génération, étudiantes au second cycle en Science Santé. Reinardus-le-goupil, étudiant à Polytechnique, est un athée explicite fraîchement islamisé pour fins maritales (il vient de convoler avec sa douce moitié). Quant à Ysengrimus, votre humble serviteur, il reste le modeste auteur de l’ouvrage L’Islam, et nous les athées, présentation critique de la culture musulmane ayant les occidentaux rationalistes pour lecteurs cibles. Reinardus-le-goupil me glisse à l’oreille, juste avant la levée du rideau: Ce sont mes beaux-parents qui m’ont recommandé ça… à cause de la similarité de situation entre le principal protagoniste et moi. Je ne sais pas du tout ce que ça vaut. Si ça se trouve, c’est nul. La dent scintillante, je lui réponds: même nul, ça promet d’être sociologiquement hautement intéressant. Et le spectacle démarre.

Que dire. L’intention est bonne. L’effort est louable. L’écriture et la conception sentent un peu la lampe mais elles ne sont pas exemptes de mérites. La mise en scène est imaginative et enlevante et la distribution est parfaitement satisfaisante. Il y a incontestablement de bons moments et ce, tant pour les théâtreux que pour les philosophes (le quiz comparatif de l’image de la femme dans les grandes religions est dévastateur. Les numéros promo-gadget de l’historique du Frère André et de l’agence de voyage des pèlerinages sont savoureux). Malgré les réserves que je vais devoir malheureusement formuler, ce spectacle, marrant et —redisons-le— bien intentionné, vaut incontestablement le détour.

Jean-François (Jean-François Pronovost), québécois du cru, catholique non pratiquant et athée de fait, et sa conjointe Maryam (Sounia Balha), musulmane culturelle d’origine marocaine, attendent un bébé. Les voici donc qui jonglent, sans enthousiasme réel, avec l’idée de se marier. Se profilent alors deux univers. L’univers de la certitude contrite des obligations maritales, le papa (Belkacem Lahbaïri) et la maman (Nabila Ben Youssef) de Maryam. L’univers de l’aquoibonisme occidental en déréliction avancée quoiqu’incomplète, nommément le papa (Michel Laperrière), fidéiste vieux genre, et la maman (Marie Michaud) agnostique et cancéreuse, les parents divorcés de longue date de Jean-François. On nous sert alors le tourbillon habituel des comédies de boulevard, dans une version rencontre des cultures. Dans le contexte d’explosions émotives type des situations pré-maritales de tréteaux, tout le monde se met à débloquer et à se lancer dans les grandes mises au point champion d’usage. L’intensité joue d’excès. Le programme critique mobilise la caricature. C’est ici que le risque s’installe. Le beau risque? Voire. Le risque, en tout cas.

C’est que la caméra, la tête de lecture, est tenue par l’homme occidental. Lapidaire, Reinardus-le-goupil dira, un peu plus tard: ça reste un show de blancs. Et pourtant cette caméra, cette lecture, cette écriture se veulent équilibrées, symétriques et omniscientes. Qu’en est-il? De fait, le spectacle donne à voir une schématisation accusée de la culture québécoise, pognée entre ses références catholiques lourdingues et vieillottes et une déréliction aussi galopante que mal dominée. Ça ne passe pas toujours. C’est parfois trop gros. Mais Ysengrimus, 61 ans, sait faire jouer le filtre et ne craint pas de se faire fourguer, sur son propre bagage ethnologique, de la soupe de stéréotypes (sauf que, qu’en est-il de la perception de ses trois jeunes hôtes?). Et, d’autre part, on nous montre aussi, comme au premier degré, des femmes musulmanes entre elles (notamment pendant le hammam… ça, monsieur Boudreault, ça s’appelle une prosopopée et c’est toujours, oh, oh, hautement risqué), ou encore la famille musulmane (de souche marocaine) dans son intimité. Les débats y font rage. On découvre un univers tendre et intense mais dévoré par le conservatisme et ravaudé par les contraintes de conformité sociale. Un univers des apparences. Qui se soucie de la vérité? dira à Jean-François, son nouveau beau-père. Et Jean-François, poussant des rideaux pour tenter de voir sa promise en habit de mariée se fait gueuler dessus en arabe par des femmes que l’on ne voit pas. Qui sont-elles? Existent-elles réellement dans le monde réel, celui du réel?

Au sortir de la pièce, je me suis tourné vers la Dame à la Guitare et Clef de Sagesse et je leur ai dit directement: Mesdemoiselles, mon jugement final sur ce spectacle va dépendre de vous. Sur tout le segment concernant la culture musulmane, je suis totalement dans le noir. Que me sert-on ici exactement: du truculent ou du stéréotype? La réussite ou l’échec de ce genre d’exercice se joue sur ce point-là et sur aucun autre, dans mon regard. Car les hypertrophies caricaturales présentées au sujet de la culture québécoise, je sais parfaitement les discerner et les dominer. C’est le traitement de la culture musulmane qui est en jeu ici, pour moi. Sur toutes ces questions sensibles, je n’ai vraiment pas envie de me faire servir un Minstrel Show. Clef de Sagesse m’a alors demandé: Qu’est ce que c’est que ça? Ma réponse: Tu sais, une roulotte de saltimbanques où des acteurs noirs, ou pire des acteurs blancs peints en noir, sautillent et nous re-servent à nous blancs, la confirmation de nos stéréotypes de blancs sur les noirs. Le beau visage de Clef de Sagesse s’est alors rembruni.

Et mon échantillon sociologique s’est alors fragmenté. Sans hésiter, Clef de Sagesse annonce qu’elle considère que le traitement des principaux traits de la culture musulmane a été trivialisé, esquissé sur un ton toc, superficiel et exempt d’analyses effectives. Elle citera notamment l’explication que le père de Maryam produit de la signification du pèlerinage à la Mecque, ramené, assez grossièrement effectivement, à quelque chose qui coûte vachement cher et est donc sensé livrer une rédemption efficace et indubitable de tous les péchés, quelle que soit leur gravité. Le cheminement intérieur associé au pèlerinage et sa signification profonde sont perdus, dira Clef de Sagesse. Je me suis senti insultée. La Dame à la Guitare, plus critique de son héritage culturel, signalera quelques bons moments, notamment les engueulades anti-patriarcales de Maryam avec son papa. La Dame à la Guitare dira avoir eu mille fois ce genre d’empoigne avec son propre paternel. Mais elle rejoindra Clef de Sagesse sur le point du charriage et de la superficialité des comportements et des idées et déclarera, elle aussi, avoir senti qu’on se payait sa poire ou l’insultait un peu, par moments. Inutile de dire, les petits amis, que l’analyse de ces deux personnalités intelligentes et nuancées tue cette production raide à mes yeux. Il va sérieusement falloir revoir la copie, monsieur Boudreault. Les humains ne sont pas des marionnettes.

Reinardus-le-goupil n’est pas resté en retrait. Après tout, bondance, ceci est censé raconter son histoire, articuler son regard, du moins partiellement… Athée, bien athée, élevé dans un cadre athée (et certainement pas «non pratiquant» de quelque culte culturellement transmis que ce soit), mon goupil est resté insatisfait face à cette présentation tronquée et courtichette du jeune athée virulent et compulsif qui ne croit en rien (foutaise canonique sur l’athéisme), n’a pas fait la synthèse, et apparaît plus comme un iconoclaste mouche du coche picossant au talon les grandes religions plutôt que comme l’agent puissamment relativisant et historicisant qu’il est effectivement. Ici aussi, l’athée est caricaturé, trivialisé. Il est traité de façon grossière et simpliste. Il n’est pas analysé. Je seconde Reinardus-le-goupil entièrement sur ces points.

On s’efforce de renvoyer les religions dos à dos, en méthode, mais au bout du compte, c’est encore l’athéisme qui y perd. La Dame à la Guitare nous fournira la conclusion synthèse la plus juste. Le fait de caricaturer et de miser sur les effets dramatiques de l’excès a eu un coût pour tout le monde. Toutes les cultures se sont trouvées esquissées à gros traits et personne n’y a finalement vraiment trouvé son compte. Je donne 7/10 pour l’effort et les bonnes intentions mais je me demande quand même… à part m’avoir un petit peu amusé et diverti, qu’est ce que ce show m’apporte, au bout du compte?

Perso, je crois que ce show pétri de bonne conscience vise discrètement à rassurer les occidentaux (ici, les québécois) à propos des immigrants musulmans. Si vous allez voir cette pièce de théâtre, écoutez attentivement l’accent de Maryam. Cette jolie marocaine, très typée arabe (et jouée superbement), parle français comme une québécoise de souche. Elle a la langue d’une pure laine intégrale. Le message est bien là, latent, gentil-gentil, imperceptible mais net. Bien de chez nous, surtout. La superficialité en est la clef. Vous énervez pas trop le poil des jambes avec nos immigrants musulmans. Ils vont peut-être nous islamisouiller un peu, comme ça, à la surface des choses, pour rencontrer leurs propres contraintes de conformité ridicules et vieillottes… mais au fond, c’est nous qui allons bel et bien les assimiler, à la fin de la course. Écoutez et observez attentivement Maryam, la seule immigrante de seconde génération de tout cet opus, ce sera pour constater que c’est une québécoise, maritalement, comportementalement, idéologiquement et discursivement, pleinement convertie et que sa culture marocaine, elle n’en veut plus vraiment. Une autre victoire pour la bonne vieille ligne doctrinale du Théâtre du Rideau vert.

Mon échantillon sociologique, jeune, tonique, brillant, autonome et sourcilleux, ne rencontre ce programme que fort imparfaitement. Enfin, la barbe un peu aussi. Qui veut se faire assimiler, finalement? Pas les québécois ou les québécoises, en tout cas. Or, sur ce point, nous sommes TOUS ET TOUTES québécois et québécoises ici… Poils aux sourcils…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Requiem pour Capharnaüm

Posted by Ysengrimus sur 21 juillet 2019

Capharnaüm
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Requiem pour Capharnaüm

Entends ton requiem, Capharnaüm grotesque
Au pavé abreuvé de cervelles à képi.
Vers ton corps, fourmillant de noire soldatesque,
Un canon tire sans répit.
Le vent a charrié sur ton front de muraille
Des poudreries brûlantes, des odeurs de sang.
Ton minaret pointu, baïonnette en bataille,
Déchire le soleil levant.

Entends ton requiem, Capharnaüm symbole.
Dans tes rues, des gamins (ils ont la mort au front!)
Comme Gendarme sots, violents comme Guignol
Se chamaillent pour un ballon.
Ta matrice est pourrie, tes seins saignent de guerre.
Quand même ton enfant essuie un vieux couteau.
À quoi bon te l’emplir de finesses cachères
S’il se vide pour un drapeau?

Entends ton requiem, Capharnaüm humaine,
Riche bourg de l’Honneur et bas-fond de la Plaie.
Si, du canon, bientôt s’envolera l’haleine
Au parfum d’éphémères paix,
S’éteint, s’allume, meurt et brûle ton brasier
Où se fondent fusils, où se cuisent chairs blêmes.
Tu ne guériras pas ta peste dédoublée.
Attends ton dernier requiem.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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La laïcité, otage de notre ethnocentrisme

Posted by Ysengrimus sur 7 avril 2019

Le projet de loi 21 sur la laïcité est sur le point d’être soumis â l’Assemblée Nationale du Québec. Il prévoit que le port des ci-devant signes religieux sera interdit pour les employés de l’état en position d’autorité, comme les policiers, les juges, les gardiens de prisons, et les enseignants des écoles primaires et secondaires. Dans les faits, c’est le redémarrage en trombe du bon vieux harcèlement institutionnalisé des femmes voilées. Les 7 du Québec vont vous formuler ici, une bonne fois, leur position éditoriale sur cette question.

Lâchez-moi avec les figures d’autorité. Ce projet de loi inique postule de façon axiomatisée et sans contrôle, la notion autoritaire de figure d’autorité. Le pléonasme s’impose parce que l’autorité est une notion qu’il est fort malsain de postuler sans contrôle. Un policier n’est pas une autorité pour moi. C’est un type particulier de fonctionnaire civil, membre d’un corps constitué et chargé d’un certain nombre de fonctions de protections (d’ailleurs souvent abusées — les policiers sont les Pinkertons de la bourgeoisie, tout le monde le sait). Un juge est un agent de diffusion et d’imposition du droit bourgeois. Son pouvoir n’a rien à voir avec de l’autorité, au sens fondamental du terme. Une enseignante fait partie d’un appareil idéologique d’état dont l’autorité est inexistante (barouettée qu’elle est entre une bureaucratie scolaire trouillarde et des parents hélicoptères arrogants et arrivistes qui passent de plus en plus leur commande de pizza en traitant l’école comme une sorte de structure de gardiennage inféodée à leurs propres fantasmes autocrates). Mon hygiéniste dentaire, mon infirmière de première ligne et Robert Bibeau (directeur des 7 du Québec) ont plus d’autorité sur moi que tous ces guignols. La première parce que sa parole a une influence directe sur la qualité de mes dents, la seconde parce que sa pensée a une incidence profonde sur le tonus de mon corps, le troisième parce que sa vision du monde et son ascendant intellectuel influent mes conceptions, et mon action en conséquence. La notion inepte de figure d’autorité de ce projet de loi est un comédon bourgeois, solidement tributaire des dérives anti-démocratiques contemporaines les plus virulentes.

Le signe religieux, notion vaseuse. J’ai démontré ailleurs que le voile n’est pas un signe religieux. J’ai aussi fait observer que le kirpan est, lui, un signe religieux et qu’il est nuisible non comme signe religieux mais bien comme arme offensive. On ne va pas revenir là-dessus. C’est ici, juste ici, que notre ethnocentrisme s’installe confortablement, comme un pacha vautré sur son lit d’évidences bouffies. Sans analyse, ethnographique, historique ou autre, et du haut de notre chaire bien pensante de petit occidental étroit, on décrète implicitement que l’objet visible ceci ou cela (toujours d’origine exotique — ceci NB, les crucifix passent habituellement sous le radar) est un signe religieux. Pourtant, quand on donne vraiment la parole aux musulmanes, elles nous expliquent bien souvent que le voile est porté pour des raisons ethnoculturelles procédant assez fréquemment de la pudeur élémentaire. Mais nous, sourds ne voulant rien entendre, on décrète plutôt, dans le mouvement, le statut de signe de ces différents artefacts vestimentaires. On les traite alors comme on traiterait le macaron d’un militant politique ou la pancarte d’un homme-sandwich. Cettte sémiologisation de l’exotisme vestimentaire est un pur ethnocentrisme déguisé, rien de plus. On en revient, assez ouvertement, à la vieille logique de l’uniforme. On réintroduit des particularités unilatérales de conformité d’apparence, vieille lune réactionnaire que l’on croyait définitivement disparue de nos sociétés depuis les patatras juvénilistes des belles années yéyé. Nous sommes donc en train de solidement régresser sur un des droits de la personne le plus profond, celui de la tenue vestimentaire, qui procède de l’intimité corporelle longtemps, très longtemps avent de procéder des cultes. L’indice le plus criant qu’il n’y a rien de théologico-mystique dans tout ceci et que tout y procède en fait de la vie ordinaire la plus prosaïque, est révélé par le fait que ce sont principalement les femmes qui font l’objet d’attaques sur ceci. Ben oui… dans nos cultes patriarcaux malodorants, les femmes ne sont jamais des curés ou des imams, vous aviez pas remarqué? Elles ne sont jamais que des citoyennes ordinaires. Et, de tous temps, la résistance des femmes s’est manifestée dans l’intendance de leur apparence physique. Et de tous temps, elles ont été attaquées sur ce point par le phallocratisme classique. Ce type d’attaque et de traitement en bouc émissaire se perpétue aujourd’hui, tout simplement. Or, où sont nos féministes quand il s’agit de défendre le libre arbitre vestimentaire de nos compatriotes musulmanes?

Blâmer le Canada anglais. Nos compatriotes québécois du cru, eux, surtout ceux d’obédience droitière, se gargarisent dans les nuances byzantines du multiculturalisme et de l’interculturalisme. Cette distinction, creuse et verbaliste, est un moyen malsain pour nos compatriotes du cru d’accuser le Canada anglais d’être trop permissif et de nous imposer un laxisme communautariste que serait anglo-saxon, et dont nous ne voudrions pas, par essence. C’est la vieille analyse voulant que le Canada anglais se serve perfidement des immigrants pour nous assimiler et nous emmerder. Il va falloir se réveiller et sortir un petit peu de nos lubies victimaires d’autrefois. L’occupant colonial canadien (copieusement méprisable d’autre part — là n’est pas la question) nous impose quoi finalement: une charte des droits assortie d’un solide mécanisme de clause dérogatoire. Ce mécanisme permet, sur des questions fondamentales, à une province de déroger de la charte des droits pour des raisons procédant, disons, des intérêts supérieurs de la nation (ici, la nation québécoise). La clause dérogatoire est ici automatiquement déclenchée au sein même du libellé du projet de loi 21. Autrement dit, le toutou rouge et blanc anglo-canadien va devoir rester à la niche et ne pourra pas nous imposer sa logique multiculturaliste disjointe de la nôtre (si disjonction il y a, tant que ça). Alors cessons de blâmer le Canada anglais. Il est hors du coup sur ce coup. Par contre, nos nationaleux petits-bourgeois vont devoir allumer leurs lumières sur un point. C’est que le Québec a, lui aussi, sa propre charte des droits fondamentaux, amplement singée sur celle du Canada anglais. Dans sa logique bourgeoise, aussi implacable qu’inepte, la nation québécoise ne pourra pas invoquer une clause dérogatoire contre sa propre charte des droits. C’est pas possible, c’est la nôtre, l’occupant colonial n’a rien à y voir. Et ça, le gouvernement québécois ne le dit pas trop fort. Les lamentations judiciaires (car lamentations judiciaires il y aura, sur le moyen et le long terme) n’auront qu’à s’appuyer sur une interprétation juridique de la charte québécoises des droits et libertés, sans que les anglo-canadiens n’aient rien à y voir. Le problème droit-de-l’hommiste de toute cette question reste donc entier. Même avec le Canada anglais hors du coup, la bombe à retardement des tribunaux reste entièrement amorcée.

Déréliction ou polarisation? Alors, revenons au hockey de base, comme on dit si bien chez nous. Que voulons-nous, dans toute cette histoire? Ethnocentrisme et malhonnêteté intellectuelle à part, à quoi aspirons-nous? Eh bien, notre petit consensus historique local est qu’on s’est assez fait mourir le cœur à sortir les curés du Québec (qui régnèrent, selon le modus vivendi d’une intendance théocratique coloniale typiquement victorienne, de 1840 à 1960), c’est pas pour laisser les mollah les remplacer. Ce qu’on veut, ce qu’on souhaite donc, c’est que notre déreliction sociétale, bien engagée depuis un demi-siècle, poursuive son cours tranquillement, sans se faire perturber par les effets indésirés d’une conjoncture migratoire. Il est important de comprendre ce point. Ceci n’est pas une croisade. La notion promue (hypocritement ou sincèrement) c’est la notion de laïcité, pas celle de christianité. Alors, on veut que tout le monde, immigrants inclus, découvre les vertus d’une civilisation permissive, non-cœrcitive, égalitaire, civique, et articulée en rationalité. Ce genre de programme civilisationnel (osons le mot), militant (pourquoi pas) doit se donner une méthode. Il faut, en un mot, que, graduellement, et par delà les réflexes autoprotecteurs typiques des diasporas déracinées, nos compatriotes de branches aient envie d’embrasser nos valeurs pluralistes et laïques, sereinement et sans crispation. Pensez-vous vraiment, en saine intendance, qu’une intervention autoritaire grossière et frontale de type projet de loi 21, va réaliser cet objectif? C’est de la bien mauvaise sociologie que de s’imaginer ça. On va tout simplement fabriquer des martyrs, et confirmer nos compatriotes de branches de la nécessité toxique et hautement malsaine d’invoquer l’autorité victimaire. On voulait la déreliction sereine et graduelle, on va se retrouver avec la polarisation abrupte et crispée. Ainsi, une portion significative de nos compatriotes qui auraient pu s’intégrer sans trompettes vont maintenant se braquer et résister, passivement ou activement, à notre vision du monde. C’est la perpétuation de l’Effet Drainville. Les extrémistes des deux bords vont adorer le projet de loi 21. Sa méthodologie déficiente va avoir l’effet contraire de ce qu’il affecte de souhaiter. On se prépare un bon lot d’emmerdements futurs et de radicalisations inutiles, évitables, pinailleuses, et non avenues. Il aurait fallu faire de l’extinction sur la question du voile. Il aurait fallu dire: je ne suis ni pour ni contre le voile, je suis pour le libre arbitre authentique. Ma compatriote musulmane veut garder son voile, elle a ma solidarité. Elle veut retirer son voile, elle a ma solidarité. Je l’accompagne patiemment et respectueusement dans sa réflexion intérieure, dans un sens ou dans l’autre, sans plus. Maintenant, on tourne le dos à ça. Maintenant, on prétend arracher le voile autoritairement alors qu’il suffisait simplement d’attendre qu’il tombe tout doucement de lui-même.

Ce que serait la vraie laïcité. Entre démagogie électoraliste et ethnocentrisme déguisé en grande idée, c’est pas de la laïcité qu’on aurait ici. La vraie laïcité consiste historiquement, dans nos civilisations, à retirer le pouvoir religieux des structures hospitalières (ça, c’est fait depuis l’après-guerre environ) et scolaires (ça c’est pas fait du tout). Aussi, si vous voulez un vrai projet de loi laïc, concevez-en un qui abolisse l’intégralité du financement public des écoles confessionnelles de tous tonneaux, protestantes et cathos inclues. Mieux, dans une vraie laïcité robespierriste ou léniniste, les écoles confessionnelles deviendraient tout simplement illégales et seraient démantelées au profit d’un système intégralement public et athée. On n’y est pas, au Québec. On en est loin. Or, quand on mentionne ce que serait la vraie laïcité effective à nos petits droitiers locaux, là c’est: mais les systèmes catho et protestant sont protégés par la constitution canadienne. On ne nous laissera jamais faire ça. Ah bon? Et la clause dérogatoire, elle est à géométrie variable? On est prêts à brandir le nonobstant de la clause dérogatoire quand il s’agit d’agresser stérilement nos compatriotes musulmanes dans leurs droits intimes. Mais quand il serait temps de mettre en éclisse les vraies structures malodorantes de propagande religieuse que sont les réseaux scolaires confessionnels, là, il y a plus personne, et surtout, plus de courage politique pour invoquer la susdite clause dérogatoire en faveur d’une vraie laïcité systémique. Alors lâchez-moi ici avec la laïcité, notion d’ailleurs empruntée tardivement aux français et fort mal dominée localement (on leur a piqué le mot sans assumer vraiment, comme ils le firent, la radicalité de la chose). La soi-disant laïcité, au nom de laquelle nous sautillons tous comme des cabris, n’intéresse pas vraiment nos gouvernementaux. Elle est ici tout simplement l’otage de notre ethnocentrisme, rien de plus.

Le capitalisme raffole des chicanes sociétales. Le projet de loi 21 est une ineptie d’un mur à l’autre. Il ne rencontrera pas ses objectifs (réels ou proclamés) et il va foutre la division, sans plus. Or, quand vous perpétuez des divisions de ce type dans une société de classe, c’est la majorité des masses que vous divisez contre elle-même. Or diviser les masses, dans les sociétés industrielles et post-industrielles, c’est diviser le prolétariat, toujours. Le capitalisme raffole de ce genre de chicanes sociétales. Tour le monde perd son temps avec ça, s’empoigne, chichine, monte au front en tous nos militantismes de toc, et rien n’avance pour ce qui en est de la seule lutte utile sous nos deux hémisphères: la lutte des classes. Ne cherchez pas la raison de cette promotion étatique de la distraction ethnocentriste. Elle ne sert même pas les convulsionnaires droitiers qui en vibrent de travers et finiront aussi couillonnés que les autres. Ce genre de disputes de chiffonniers, au propre et au figuré, sert le Capital, rien d‘autre. C’est une agitation de somnambules qui ne prépare qu’une seule chose: des réveils difficiles.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Le Levant, segment central du Croissant Fertile

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2019

croissant-fertile

 

Au Moyen-Orient, c’est de longue date qu’on distingue l’espace désertique de l’espace fertile. Il y a là une formulation géographique et géopolitique profonde aussi enracinée que celle qui fonda par exemple la mise en place de l’Europe. Les territoires du Levant, comme ceux du reste du Croissant fertile, sont devenus arabes il y a quatorze siècles, sous les califats d’Abou Bakr et d’Omar. La finalisation de la conquête de l’ancienne Syrie romaine par les Arabes eut lieu en l’an 635 de notre ère. Des tribus arabes y vivaient d’ailleurs en fait longtemps avant les premières invasions romaines. Quelques années avant la conquête de la Grande Syrie, l’Irak avait été prise aux Perses par les Arabes. Il est indubitable que le Levant est principalement de civilisation arabo-musulmane et ce, depuis des siècles. D’autres cultures y existent mais il n’y a pas à rougir de leur assigner un statut strictement résiduel (et hautement auto-légitimant pour le confusionnisme occidental, toujours soucieux de bien se faire mousser en jouant les faux arbitres de toc entre les peuples).

Le sultan turc Sélim Premier s’empare (entre autres territoires) du Levant en 1517 en vainquant les mamelouks d’Égypte. Commence alors la longue et douloureuse administration ottomane de ces populations, qui durera jusqu’à la fin de la première guerre mondiale (1918). C’est ensuite le colonialisme occidental, brutal et autoritaire, tout en la jouant moraliste et civilisationnel, qui mettra en forme les dispositifs frontaliers contemporains. La France hérite de l’intendance de la Syrie et du Liban, l’Irak et, un peu plus tard l’Arabie (devenue «Saoudite»), revenant â l’Angleterre. C’est en 1948 que le problème israélio-palestinien prendra la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Ce segment de la question est archi-connu.

La tribu arabe des Qays et celle des Yaman peuplent le Levant grosso modo depuis l’époque de la Syrie romaine. Si des conflits intestins entre ces deux grands groupes ethno-politiques arabes sont couramment rapportés au cours de l’histoire, il reste que la distinction entre ces deux tribus n’est pas si nette et qu’elle repose largement sur le folklore. Utilisées autrefois pour asseoir le pouvoir colonial, ces divisions vernaculaires ne semblent plus avoir vraiment cours et pèsent bien moins lourd que les frontières nationales dictées par le souvenir des guerres mondiales et perpétuées dans la mouvance des différents nationalismes arabes post-coloniaux (ou néo-coloniaux, c’est largement la même chose, en fait) du siècle dernier. Notons que les Assad (fils et père) et Saddam Hussein furent, en leur temps, des baasistes occidentalisants que l’Occident s’empressa pourtant de mettre abruptement dans le tordeur quand ils se mêlèrent de devenir trop ouvertement nationalistes, justement.

Il est assez patent que la mouvance politico-militaire actuelle va, elle, dans la direction d’une dissolution des frontières nationales post-coloniales, surtout de la frontière entre la Syrie et l’Irak (mais aussi la délimitation nord de l’Arabie Saoudite). La profonde sensibilité ethnoculturelle du Levant tend à formuler l’espace «national» profond comme suit. Les options militaires actuelles vont aussi dans cette direction:

 

Levant

 

L’Occident, pour des raisons oléo-impériales assez évidentes, ne peut supporter ou endosser ce genre de découpage, aussi subversif que fatal. La propagande occidentale va donc s’évertuer à désunir au maximum le Levant. Et pour ce faire elle va s’évertuer à mythologiquement le désarabiser. C’est pour cela qu’on n’entend parler, en ce moment chez nos folliculaires, que de chrétiens d’Irak, de Coptes, de Kurdes, d’Araméens et autres Chaldéens (on parle pas trop de «juifs» par contre, car cela vend très mal par les temps qui courent – des tribus juives peuplent pourtant le Levant depuis des temps immémoriaux). L’Armée islamique du Levant (qui a depuis un petit moment éjecté Al Qaïda de ses rangs) peut, d’autre part, de plus en plus difficilement être qualifiée de «terroriste». Dans le fantasme que l’Occident se construit en la matière, le «terroriste» doit apparaître comme une sorte de nihiliste, fauteur de troubles inane, tête brûlée absurdiste et intransigeant poseur de bombes (bombes posées préférablement, pour que le personnage reste un croquemitaine crédible, en Occident même). On peut difficilement traiter sur ce ton et de cette façon des conquérants besogneux et respectueux de leur hinterland qui se tiennent sagement en rangs et œuvrent à faire reculer des frontières d’autre part fort mal légitimées.

Hilary Clinton reprochait autrefois à Barack Obama de ne pas avoir assuré une présence assez ferme en Syrie, ce qui aurait permis à l’Armée du Levant d’occuper le champ laissé vide par la déplorable mollesse impériale US en cours d’essoufflement. Il est piquant de constater qu’on croirait presque entendre Ronald Reagan faisant des reproches du même genre à Jimmy Carter au sujet de la Révolution Islamique d’Iran, circa 1979-1980. Madame Clinton et Monsieur Obama sont-ils toujours du même parti? L’avenir électoraliste ricain nous le dira. Il faut bien dire que l’Armée du Levant pose des problèmes byzantins (il fallait que je la fasse) aux interventionnistes américains. Contre Al Qaïda, contre le Hezbollah et l’Iran (qu’elle considère comme ses principaux ennemis régionaux, plutôt qu’Israël), contre l’autorité d’Assad sur la Syrie, critiques du sectarisme étroit des dirigeants irakiens actuels (avec lesquels les américains ont aussi eu des mots), l’Armée du Levant, de par sa nouvelle donne un peu holistique, n’était pas exempte de charmes pour l’administration américaine mijaurée, hésitante et anti-belliciste d’Obama. Évidemment, pour l’instant, les réflexes impériaux jouent au quart de tour contre ces ci-devant «djihadistes»: protection compulsive des frontières saoudiennes, maintient réflexe de la partition Irak-Syrie, perpétuation sentimentale du Liban et, évidemment, tenue à bout de bras du sacro-saint dispositif Jordanie-Palestine-Israël-Gaza-etc. Mais il est clair que les cartes sont en train de sérieusement se rebrasser et ce, d’une façon originale et, pour une fois, pour faire changement, potentiellement restabilisante. Les américains vont y penser. Ils ne vont probablement pas agir dans la bonne direction pour l’instant mais ils vont sourdement y penser. La logique du Levant est en train ni plus ni moins que de leur coller un sacré frelon dans la tête.

C’est que ladite logique du Levant est assez imparable. Elle s’assoit sur des fondations historiques, culturelles, ethnologiques et géopolitiques qui s’imposent à l’esprit finalement assez naturellement. L’opinion mondiale est lasse des guerres de théâtre, du post-colonialisme mal déguisé, du Moyen-Orient déstabilisé et du sempiternel abcès israélo-palestinien. Si des dirigeants pondérés, industrieux et articulés, peuvent se lever au Levant, il va vite se trouver des hommes et des femmes de bonne volonté pour juger, en conscience, qu’ils méritent leurs chances bien plus que bien d’autres qu’on tient à bout de bras depuis des années et qui ne font que de la merde. C’est original, c’est rafraîchissant, c’est novateur, c’est fertile… et c’est vraiment une affaire à suivre.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam et nous, les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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Vingt proverbes arabes

Posted by Ysengrimus sur 21 août 2018

Le Souk, par Elizabeth Carolan

Le Souk, par Elizabeth Carolan

 

Nous avons tous un détracteur et un adulateur.

 

Je préfère l’inimitié du sage à l’amitié de l’ignorant.

 

Aime et montre. Hais et cache.

 

La constance des injustices fait la justice.

 

Les conjectures du sage sont préférables aux certitudes de l’ignorant.

 

Une perte évidente est préférable à un profit lointain.

 

Le voleur prudent ne dérobe rien dans la rue qu’il habite.

 

Jette de la boue sur un mur. Soit elle restera collée, soit elle laissera une trace…

 

Seule ta main arrivera à essuyer les larmes de ton visage.

 

Celui qui mange le miel doit envisager la piqûre des abeilles.

 

Si deux personnes te disent que ta tête n’est plus sur tes épaules, tâte la donc…

 

Traite ton fils adulte comme ton frère.

 

Un oiseau dans ma main plutôt que dix sur un arbre.

 

Quand tu frappes, blesse. Quand tu nourris, rassasie.

 

Il voudrait un chat en bois qui attrape les souris et ne mange pas.

 

Si tu es aimé du capitaine, tu peux t’essuyer les mains dans les voiles.

 

Tu me parles d’un poisson qui crachait du feu. Je te réponds que l’eau où il vit aurait éteint les flammes.

 

Les peuples ont la religion de leurs rois.

 

Le rassasié rompt le pain bien trop lentement pour l’affamé.

 

Qui vivra verra mais qui voyagera verra d’avantage.

 

 

Source: Joseph Hankí (1998), ARABIC PROVERBS, with side by side English translations, Hippocrene books, New York, 129 p. [les traductions françaises sont de Paul Laurendeau]

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