
Lady Macbeth (Francesca Annis) et Macbeth (Jon Finch) dans le film THE TRAGEDY OF MACBETH de Roman Polanski (1971)
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Mon fils aîné Tibert-le-chat est un shakespearien consommé. Il sent cette dramaturgie et cette écriture très intimement et comme tout naturellement. Entrer dans le monde du drame shakespearien en sa compagnie est toujours une promenade merveilleuse. En fait, Shakespeare au cinéma, c’est une grosse affaire père-fils dans notre maisonnée. Quand leur mère (très légitimement allergique à toute cette brutalité de mâles moyenâgeux qui dégoisent en s’entretuant) est absente, on ressort nos disques shakespeariens et on s’y enfonce en mangeant du poulet et en se prenant la tête.
Il existe une cinquantaine d’adaptations cinématographiques et télévisuelles de Macbeth (la plus ancienne datant de 1911, la plus récente, de 2006) et nous ne les avons pas vues toutes, loin s’en faut, tout simplement parce que nous avons jeté l’ancre dans celle de Roman Polanski. Pourquoi donc? D’abord pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le réalisateur lui-même. Parlons franchement, il faut, même aux anglophones, un disque avec les sous-titres des sourds (ceux qui vous donnent le texte anglais donc, ce qui permet de suivre le dialogue, un peu comme sur un sing-along… C’est très commode. Recommandation expresse). Il faut aussi pouvoir pauser et discuter le coup. Dans notre cas, c’est Reinardus-le-goupil ou moi qui réclamons une pause et c’est Tibert-le-chat qui nous explique ce qui se trame. Un pur régal. Maintenant, pourquoi The Tragedy of Macbeth spécifiquement? Eh bien d’abord, à cause de l’année: 1971. Les adaptations plus vieilles m’agacent parce que le traitement dramatique est trop archaïque, le jeu trop théâtral, trop pesant, trop mytholâtre, trop LaurenceOlivieresque ou RichardBurtonesque. Les adaptations plus récentes agacent mes fils à cause de la présence d’effets spéciaux, d’animatrons, de décors à l’ordi et de différentes formes de distorsions visuelles. En 1971, de vrais acteurs se battent encore avec des armes crédibles, dans des châteaux véridiques, qu’ils attaquent sur des chevaux vivants, qui galopent sur des plaines effectives et trottent dans des marécages aux éclaboussements boueux réels… Cela change immensément la qualité de l’expérience. J’assouvis ma pulsion moderniste dans le jeu plus naturel et dépouillé des acteurs de Polanski, mes fils assouvissent leur pulsion archaïque dans le traitement très cru et simple des intérieurs et des extérieurs de la superbe cinématographie de Polanski, et un équilibre heureux se crée. Pourquoi The Tragedy of Macbeth spécifiquement? Il y a une autre raison majeure: Polanski lui-même, justement. Polanski m’agace très fréquemment. Je trouve que c’est un misogyne qui vampirise la femme plus souvent qu’à son tour. Il représente indubitablement le côté sombre de la féminisation de l’homme et ce problème, que Polanski domine pourtant si magistralement comme réalisateur et comme acteur dans Le Locataire (1976), finit souvent en eau de boudin lassante de simplisme et de facilité dans plusieurs de ses productions. Mais ici… oh… oh…
Macbeth (joué fort subtilement par Jon Finch), Polanski nous le fait puissamment comprendre, est un général écossais subitement hanté par des pulsions féminines. Cela débute avec la rencontre qu’il fait, après une bataille décisive, en compagnie de son compagnon d’arme Banquo (campé solidement par Martin Shaw), de trois sorcières devineresse (incarnées magistralement, folles et terribles, par Maisie MacFarquhar, Elsie Taylor et Noelle Rimmington). Disons les choses comme Polanski les dirait, le venin féminin s’instille alors sous la peau de Macbeth et le consume. La prédiction des sorcières le rendra envieux, jaloux, méfiant, ambitieux, insensible, et son épouse (Francesca Annis, une Lady Macbeth hautement polanskienne) parachèvera l’œuvre qui mènera au meurtre fatal du roi Duncan (Nicholas Selby) et à la ruine de l’Écosse indépendante. Lors de la seconde visite aux sorcières, Polanski nous sert une sorte de sabbat souterrain où la chair des bougresses répond brutalement à la colère dérisoire et beuglante d’un Macbeth, foncièrement docile, qui boit leur mixture et se damne. Macbeth s’habille ensuite de plus en plus comme un efféminé décadent et paranoïaque. Et c’est une bande de couillus tonitruants: Macduff (terrifiant de puissance masculine sous les traits carrés de Terence Bayler), Malcolm et toute la bande, alliés aux anglais, qui devront se charger de le mener vers une mort sanglante, minimalement honorable et maximalement virile.
L’équilibre dramatique imparable et la puissance narrative si riche de Shakespeare pondèrent la misogynie compulsive de Polanski et la fait travailler superbement au service bien tempéré du drame. La cinématographie unique de Polanski, sa façon si singulière de filmer le corps des hommes est des femmes, rehausse la fable shakespearienne et l’imprime de façon profonde, vive et cuisante, dans la sensibilité moderne. C’est un alliage singulièrement réussi de deux dynamiques, de deux traitements, de deux mondes, qui d’autre part, pour des raisons distinctes, ont raté leur cible plus souvent qu’à leur tour. Il faut jouer le jeu. Il faut se plonger dans la sauvagerie de ces temps où les hommes étaient des hommes forts et les femmes étaient des femmes manipulatrices. Polanski nous fait comprendre Shakespeare. Shakespeare grandit Polanski. Shakespeare habille. Polanski dénude. Lady Macduff (Diane Fletcher) capture son enfant poignardé nu par les soudards de Macbeth. Lady Macbeth, nue aussi, sombre par sursauts dans la folie coupable. La nudité tremblante de Lady Macbeth perdant la raison fit d’ailleurs plus ou moins époque et suscita, semble-t-il, quelques froncements de sourcils en 1971 (je n’en sais trop rien, pour le coup, j’étais plus jeune que mes fils et ma vielle téloche à lampes, sans lecteur de disque ne traitait pas ce type de thème…). Mais surtout, tous ces nus polanskiens, incomparables, mais aussi en fait bien pudiques selon les critères contemporains, signifient enfin quelque chose. Quelque chose de douloureux, de cruel et de vrai. Et le cri mortel de Lay on, Macduff! et le duel bringuebalant qui s’ensuit, nous placent devant tout le dérisoire de la force et du droit face à la vengeance et à toutes les perversités fielleuses de la décadence des rôles.
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Roman Polanski dirigeant Francesca Annis (en Lady Macbeth)
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The Tragedy of Macbeth, 1971, Roman Polanski, film américano-britannique avec Jon Finch, Francesca Annis, Martin Shaw, Terence Bayler, John Stride, Nicholas Selby, Diane Fletcher, Maisie MacFarquhar, Elsie Taylor, Noelle Rimmington, 140 minutes.
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