
Les clichés expressifs d’écriture, mes amis, que c’est passionnant. C’est assez mystérieux aussi. Moi, je les adore. Je sens que je frémis, que je frétille au moment de me mettre à en parler. Oh, oh, attention aux excès savants. Je veux les approcher dans un angle frais, libre et foufou. Je ne veux pas me foutre de la poire de ceux qui les utilisent (dont moi!) et je veux pas faire de l’étymologie à rallonge pour les motiver ou les décortiquer. Je veux juste les faire rouler sous nos yeux comme on fait avec des billes scintillantes ou des gros dés de bois. C’est très daté et très circonscrit tous ces clichés expressifs d’écriture. Les miens ne seront pas les vôtres vu qu’on a pas lu (ou écrit…) exactement les mêmes livres. C’est là une des nombreuses jubilations de la gigantale chose clichéesque.
Bon alors, je vous annonce en grande pompe que les clichés apparaissant dans les œuvres écrites de fiction, comme bien d’autres idiotismes d’ailleurs, sont soit narratifs soit descriptifs et que, pour bien faire ressortir ce fait jouissif, je vais me concentrer ici strictement sur certains clichés d’expression qu’on retrouve dans nos BD et nos romans de gares mais pas dans notre vie (à l’exclusion, donc, des expressions idiomatiques monstrueusement clichés qu’on retrouve à tous bouts de champs dans la vie courante, comme avoir du pain sur la planche, battre le fer quand il est chaud, etc — ceux là, on en reparlera une autre fois). Mais regardons ça, tout de go, plutôt. Vous allez vite voir de quoi il s’agit. En ordre alphabétique, hostique.
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BATTRE LA CHAMADE: Cela se dit du cœur sous l’effet d’une émotion intense, ou de la peur ou d’un essoufflement. Je meurs d’envie de rechercher l’étymologie de cette chamade mais je vais me retenir à deux mains encore un peu, de façon à bien jouir d’un fait inusité et suavement incongru. C’est le suivant. Une portion significative des clichés expressifs incorpore des éléments démotivés étymologiquement ou, pire, carrément inconnus. Et comme on relaie le cliché sans vérification, en toute cuistrerie euphorique, on opère comme des sortes de perroquets littéraires. Mon cœur bat la chamade à l’idée que cette croquignole de chamade, personne sait exactement ce que c’est mais tout le monde en cause. Quelle suave musique que la musique caquetante du psittacisme Belles-Lettres.
(UNE) BLONDE VÉNITIENNE: Voici un cas analogue au précédent. Évidemment vénitienne c’est «qui est originaire de Venise», pas besoin d’être Pierre Larousse pour s’en aviser. Mais qu’est-ce que ça goupille avec la blondeur des cheveux, là, mystère opaque. Il est aussi possible de tirailler sans fin sur la nature de cette blondeur. Moi, je la vois platine pétant mais il va se trouver des pisses-froids pour y voir plutôt une sorte de blond un peu sale ou éteint, ou encore tirant sur le roux. C’est là un souque à la corde référentielle infini, hein, vu qu’on sait pas de quoi on parle, au fin fond du fond! C’est donc là une autre chose qu’il faudra un jour tenter de vérifier. Impénétrable, le cliché expressif n’en reste pas moins implacablement stable et n’échappera pas aux contraintes de ses constantes. Ici, les cheveux pourront varier de teinte certes, mais ils seront inévitablement longs. Une blonde vénitienne ratiboisée, ça gaze tout simplement pas. Notez aussi que c’est obligatoirement une femme. Un *blond vénitien, même vercingétoriquesque, ça gaze pas trop non plus. Curieux, hein.
(DES) CHEVEUX D’ÉBÈNE: Là, contrairement aux deux cas précédents, quand même, on visualise. Les cheveux sont d’un noir profond et ce, malgré le fait qu’on ne puisse pas trop dire des yeux d’ébène… Force est effectivement d’admettre que des dents d’ébène irait bien mieux mais là, ce serait plus du tout un cliché, plutôt une image force. Pour le coup, ceux qui se demandent c’est quoi un cliché descriptif, ben c’est tout juste ça: des cheveux d’ébène. Une image rebattue, belle certes, mais blêmasse, fixe ou figée, tuée un peu, comme les mourantes d’Edgar Allan Poe. C’est une visualisation fixe, falote, qui dépeint (sans raconter). Cliché descriptif. Maintenant parlons vrai ici. Qui d’entre vous a déjà vu ou touché de la vraie de vraie ébène? Pas moi en tout cas. Pour que ce cliché ne soit pas trop creux, il faudrait que celui qui nous le sert au jour d’aujourd’hui soit au moins ébéniste. C’est jamais le cas. C’est que, fondamentalement, le cliché n’est pas le résultat d’un acte informé. Comparez, pour élément de preuve, avec des cheveux (d’un noir) de charbon. Comme on sent le charbon plus intimement, l’image est plus forte, plus crue, moins éthérée, moins clichée. Ceci dit, des cheveux de nuit reste passablement cliché aussi, alors que la nuit n’est un mystère pour personne. Pas facile, tout ça.

Une statuette d’ébène
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(DES) CHEVEUX DE JAIS: Le cliché n’est pas le résultat d’un acte informé, disais-je. Et je ne croyais pas si bien dire. Jusqu’à tout de suite, jais pour moi, c’était tout juste comme chamade. Savais pas du tout ce que c’était. Mais là, tant pis pour mon petit parti pris non étymologisant de tout à l’heure, il faut quand même que je m’informe un brin sur ce dont il retourne. Ça me démange bien que trop. Attention, clic, clic… voici, clic, clic… Tiens donc… Le jais naturel, c’est un type de bois fossile. Encore du bois pour les cheveux, bien, bien. Il y a aussi un jais artificiel fait de verre. Saviez ça vous? Moi non. Et le mystère s’épaissit, clic, clic… cliche, cliche… si le jais artificiel est noir comme… de l’ébène, le jais naturel, lui, est souvent plutôt brun foncé. Houlà, appelez des cheveux bruns des cheveux de jais et voyez comment on vous traitera. Pas très bien, je le crains. Déclicher le cliché ouvre tout un monde touffu d’arguties. Allez-y donc secouer le buisson des traditions. Non, mon idée de départ reste la meilleure. Vaut mieux pas documenter trop, ça tue la jouissance, ça effiloche le fun en masse. Finalement si les yeux de jade sont possibles (je les adore!), les yeux de jais, encore une fois, c’est pas fort fort. Mais qu’est-ce que c’est que ces matières dures, ligneuses et/ou minérales, que l’on réserve à l’ondoiement fugace et fin des chevaux. Ah, là, là.

Du jais brut (c’est un type de bois fossile, en fait)
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(LE) CŒUR AUX LÈVRES: Celui-là, j’adore. C’est quand on se sent nauséeux. Mais bizarrement il faut des conditions narratives particulièrement extraordinaires pour que le cliché apparaisse. Une petite gueule de bois chafouine du matin, genre début de grossesse ne suffit absolument pas (ou alors c’est que vous êtes enceinte d’un diable romanesque). Il faut un cadre plus grandiose. Souvent, c’est parce qu’on marche dans les égouts de Paris (c’est pas un cliché ça, Paris. C’est juste une pure merveille) et/ou qu’on découvre le cadavre putride d’un figurant (jadis) intime mais sur le point d’être abruptement remplacé dans nos fantasmes par un des personnages principaux. Là, oui là, on a le cœur aux lèvres. Il y a la variante le cœur au bord des lèvres, mais je l’aime moins. Pour les toqués de rhétorique à l’ancienne (j’en suis!), ceci est une hyperbole, c’est-à-dire une image amplifiée, excessive, presque extravagante. Le personnage n’a pas vraiment le cœur qui lui remonte physiquement dans la bouche, encore que, avec la culture narrative zombi contemporaine, cette image vermoulue pourrait en venir à singulièrement renouer avec certains des éléments de sa littéralité.
(MON) CŒUR SAIGNE: Une autre hyperbole. Il y a d’ailleurs souvent des hyperboles — des hyperboles usées pour tout dire — dans le sac à malice des clichés expressifs. Vous vous souvenez de la belle chanson de Renaud. Et quand j’pense à lui, mon cœur saigne. Adieu, La Teigne… Alors, ce qui est piquant avec ce cliché spécifique c’est que, contrairement à tous les autres, qui se prennent plus que pesamment au sérieux, celui-ci incorpore un élément d’insidieuse ironie. Quelqu’un qui dit à l’autre Oh, Juju, mon cœur saigne! se paie un peu sa poire, en fait. C’est comme un cliché dans le cliché en quelque sorte. Un deuxième degré du cliché. Très spécial. Et cela doit certainement être corrélé au fait que ce cliché là se conjugue bien difficilement au passé. Après le départ de Juju, mon cœur saignait. Pas fort. On dirait un retour sanglant au littéral. C’est encore pire au futur. Quand Juju partira, mon cœur saignera. Vraiment bizarre. Non il faut plus ou moins avoir l’interlocuteur devant soi (même figurativement, comme Renaud avec La Teigne qui, en fait, vient de mourir) pour lui dire mon cœur saigne, en riant de lui un petit peu, en coin, quand même.
(AVOIR L’) ESTOMAC DANS LES TALONS: Encore une hyperbole. Qui va dire ça dans la vraie vie? Paul Personne en personne, my son, et personne d’autre… Et pourtant, on le comprend tous, tout de suite. On le connaît tous même, non? Non? C’est le fait d’avoir vraiment très faim. Elle est quasiment antithétique du cœur aux lèvres, cette hyperbole là. Ici c’est pas l’organe de la vie qui remonte, c’est l’organe de la dalle qui descend, comme pour mieux annoncer son vide sidéral. Souvent utilisée en exclamatives vocatives. Tu, viens? J’ai l’estomac dans les talons! Dire «souvent utilisé dans ceci ou dans cela» c’est se payer la poire de la petite populace en mondovision car enfin, j’insiste plus que pesamment sur ce point, connaissez-vous un être humain vivant de chair et d’os ayant jamais utilisé ce tour sublime? Voyez comment la culture française est. Elle a poussé l’art culinaire à des summums corroborés au Patrimoine de l’UNESCO. Elle crève la dalle et se sustente avec toute la subtilité sophistiquée requise… et trouve moyen, par dessus le tas, de décrire l’état qui fit sa gloire d’un tour archi-pétant, quoique irrécupérablement confiné dans la cassette étroite de ses romans de gares.
(LE) FRONT BARRÉ D’UNE RAIE VERTICALE: Voici un autre magnifique cliché descriptif. Le plus vrai, le plus pur peut-être. Il y a pas de transposition hyperbolique ou métaphorique ici. Ça se veut directement empirique, perçu, sensible, descriptif au sens fort. Le gars (ou la fille mais, bizarrement c’est souvent un gars) est perplexe, ou sceptique, ou dubitatif ou tourneboulé pour une raison ou pour une autre et on ne nous parle pas de ses émotions. Non, non, motus sur son monde intérieur. Le tout se manifeste par l’apparition d’une barre sur son front. J’ai souvent voulu la vérifier dans le miroir, celle-là. Ce fut là toute une aventure que la ligne du temps finit par infléchir cruellement. Jeune, je n’arrivais pas à stabiliser la barre verticale du front. Vieux, le front est bien plus large, plus haut surtout, plus luisant. Il n’y apparaît désormais que des barres horizontales et à ce jour, c’est pour m’en débarrasser que j’aimerais bien trouver une combine, descriptive ou autre. J’ai jamais réglé le cas de ce cliché là dans le monde de la praxis mais force est d’admettre que l’image, à défaut de se vérifier, ne manque pas d’un certain percutant.
FUSILLER DU REGARD: C’est une métaphore, sire… Sauf que, grande nouvelle, elle ne marche pas. Et je vais pas me gêner pour m’en expliquer. Fusiller quelqu’un, au sens littéral, cela se fait, inévitablement, simultanément et à plusieurs — exclusivement un peloton d’exécution, pour tout dire. On imagine vos collègues de bureau, tous alignés, et vous servant le même regard lourd de reproche. Voilà une métaphore, sire, qui tiendrait minimalement la route. Or c’est pas ça qui se passe. On se fait toujours fusiller du regard par un individu seul, vous avez pas remarqué? De fait, *flinguer du regard irait bien mieux mais bon, on s’en passe… à moins que les deux yeux de l’individu isolé vaillent comme un peloton d’exécution miniature à deux flingues. Vraiment tiré par un autre cliché au sujet des cheveux… Oh, je sens que je m’égare. Non ce cliché-ci est parfaitement bancal et, comme il faut lui servir ce qu’il mérite, je dois faire observer que je n’oublierai jamais la façon jubilante dont Yvon Deschamps le renouvela et le subvertit dans un de ses savoureux monologues. Je vous l’dis, si ses yeux avaient été des fusils, a s’tirait dans l’nez, a r’gardais d’même. Quel plaisir que de ramener un cliché à la vie, surtout quand il cloche au départ.
JOINDRE LE GESTE À LA PAROLE: Ceux qui se demandent ce qu’est un cliché narratif. En voici un. C’est une cheville entre deux événements se succédant avec rapidité. Ici, l’un de ces événements est verbal, l’autre est gestuel. Pas besoin d’être Émile Littré pour s’en aviser. C’est un des nombreux antonymes du fameux meanwhile back un the jungle [pendant ce temps, dans la jungle] des ricains. Sauf que, vous me croirez si vous voulez, cette cheville de récit n’est un passe-partout narratif universel qu’en apparence. Dans les faits vrais de l’usage cliché effectif, il introduit le passage d’une parole MÉCHANTE à un geste ODIEUX. Demandez moi pas pourquoi, c’est comme ça, c’est tout. Voyez plutôt. Il grommela qu’il ne se laisserait pas faire et, joignant le geste à la parole, il tira un pistolet du tiroir de la commode et le pointa vers Epsilon. Excellent. On visualise tout de suite. Par contre dans Il lui déclara son amour et, joignant le geste à la parole, il l’embrassa fougueusement… ça fonctionne beaucoup moins bien. Bizarre quand même, vous me direz pas. C’est assez marrant, ces contraintes d’usage. Rien n’y échappe dans la langue hein, pas même les clichés les plus éculés.
(ÊTRE EN) NAGE: Un autre cliché descriptif et une autre hyperbole. Pas besoin d’être Paul Robert pour observer que le protagoniste ne peut absolument pas être en nage parce qu’il sort de la douche, ou du bain, ou d’un lagon, ou d’une rivière ou d’une piscine. Il ne peut évidement pas être en nage s’il est en train de nager (c’est comme pour sans doute… y a toujours un doute). Il ne peut être en nage que s’il sue à grosses gouttes. Et encore, ce sera préférablement s’il fait chaud dans l’endroit (le local, le pays) ou il se trouve ou, à la très grande rigueur, s’il est fiévreux. Peu d’usages vocatifs sui-référentiels, genre: monte la clime, je suis en nage. Très usité comme introducteur d’intervention salvatrice. Mon pauvre ami, laissez-moi vous aider. Vous êtes en nage. Très contraint encore une fois. Bien creux mais bien contraint. Qui dit ça dans la vraie vie? J’ai déjà entendu des gens qui avaient chaud dire Je suis en lavette ou même Je suis en navette. Mais d’en nage point. Même les imageries aqueuses et maritimes doivent jeter l’ancre un jour ou l’autre, je suppose.
(ÊTRE) PLUS MORT QUE VIF: Voici un autre cas confirmant magistralement qu’avec sans doute… y a toujours un doute. Si on avait le malheur, habituellement mal avisé en matière de clichés, de prendre celui-ci au sens littéral, ce serait tragique. On serait implacablement au chevet d’un agonisant ayant au mieux 40% de chances de survie, ce qui n’est pas beaucoup, toutes sommes faites (pour les synchronistes purs, notons toujours que vif est un petit mot archaïsant signifiant ici vivant — comparer avec mort ou vif). Sauf que cela ne se passe jamais. Allez imaginer un médecin faisant état de la lente agonie du mari en disant à l’épouse Madame, j’ai le regret de vous annoncer qu’il est plus mort que vif. Ça ne fonctionne pas du tout. Il aurait vraiment l’air de se payer la poire de la dame. En fait, le cliché envoie ici exactement le message contraire. Dans un bon roman de gares, quand le type est dit plus mort que vif, c’est qu’il est sauvé. Il s’est fait brasser un peu pas mal mais il va s’en tirer. Y a eu plus de peur que de mal, en somme. Plus mort que vif, Epsilon s’empara du téléphone et signala le numéro à douze chiffres de l’hôpital. Pas mal du tout comme virtuosité à la pianote, pour un mort-vivant…
PRENDRE SES JAMBES À SON COU: Cliché narratif. Que j’ai dont lutté cognitivement pour essayer de visualiser celui-ci. Ça veut dire se casser très vite, détaler comme un lapin (images beaucoup plus perceptibles). Alors là, vous me direz pas, c’est carrément du dadaïsme. Je vois un grand personnage mou, éjarré, comme dans les tableaux de Dali, qui fait des enjambées si amples, grandes, vastes que ses guibolles interminables et flasques se tortillonnent autour de son encolure amaigrie. Il prend ses jambes à son cou. Ça tient encore, c’est pictural, presque inspirant. Mais alors, mon perso, comment arrive-t’il à détaler, à fuir, à s’esquiver fissa? C’est problématique, ça. Normalement, il devrait s’immobiliser, s’effondrer, s’avachir. Le cliché devrait signifier se figer sur place, perdre ses moyens. Pensez-vous. J’ai ensuite essayé le coup, cognitivement toujours, avec un grand herbivore genre gnou ou taureau des tableaux de Picasso. Les jambes avant (les jambes arrières, on n’y pense même pas) s’avancent très loin vers le point de fuite et se rapprochent inévitablement du garrot, surtout si la tête cornue se baisse pour mieux foncer… mais après ça, ça se perd. Non celui-là, je le sens vraiment pas. Il est hautement paradoxal et ça me perturbe fort. Il a dû fumer un gazon qui avait dû fumer quelque chose…
SAPERLIPOPETTE: Oh, que le Grand Crique me croque, c’est tout un exercice d’introspection cataclysmique pour retrouver, dans mon esprit encombré de souvenirs et hanté de langueurs, un usage effectif de saperlipopette. Y a eu que des bandes dessinées, je pense pour me le mettre vraiment sous le nez, en usage. Je ne vois pas ça dans un roman. Y a eu Brassens aussi, naturellement, la si fameuse Ballade des jurons mais ça, ça compte pas vraiment. C’est du métalinguistique, diraient les linguistes, pour dire que c’est une énumération au second degré, presque une compilation de clichés, de laquelle j’ai d’ailleurs appris la variante saperlotte, plus lascive quelque part, plus vicelarde, plus hot, hot… Cela replace cette affaire dans un espace un peu plus adulte, un peu plus coquin, un peu moins enfantin (enfin «enfantin» dans nos lubies d’adultes… vu que les mioches, ils s’en fichent éperdument de saperlipopette et du reste, ne nous y trompons surtout pas). C’est, l’un dans l’autre, qu’il y a quelque chose de bizarrement fort infantile (infantilisant pour l’adulte de notre temps, en fait), finalement, dans ce cliché là. Rien ne s’arrange quand me revient le souvenir d’un gros roy bougon et bébé-lala d’un conte télévisé niaiseux de mon enfance, dont le juron geignard et pleurnicheur était la variante hautement déclichéante Patate à roulette!
SUER SANG ET EAU: La grande hyperbole de l’effort physique. Les vingtiémistes subtils et songés y verront une référence (in)dubitablement churchillienne. Comme à peu près tous ses braves camarades clichés, celui-ci débarque avec son lot inattendu de petites contraintes rigolotes. Ainsi, il est utilisé presque toujours au passé, J’ai sué sang et eau pour te retrouver ta valise, ou au présent de narration renvoyant à un fait passé (il cultive alors une sorte de petit effet générique), Moi, bonne poire, je me rue à la gare, je sue sang et eau pour te retrouver ta valise et toi, tu fais quoi. Tu boudes. On ne le retrouve à toutes fins pratiques jamais en situation de constat immédiat. Cela lui barre l’usage vocatif. Mais tu sues sang et eau, mon pauvre reste bizarre. Cela pourrait avoir à voir avec la mention hyperbolique du sang — mention hyperbolique et absence empirique, cela va sans dire. On dirait que cette touche sanglante (il y a assez souvent du sang dans les clichés) force ce cliché là à rester cantonné dans un univers de chimère beaucoup plus compatible avec du passé dépassé qu’avec un présent fluide, palpable, poissant et immédiat.
TOURNER LES TALONS: Magnifique cliché narratif parfaitement défraîchi mais imperturbablement grandiose tout de même. Pas besoin d’être Walter von Wartburg, par contre, pour observer qu’un marcheur pressé effectuera habituellement un virage à cent-quatre-vingt degrés plutôt sur la paume des pieds que sur les talons. Tourner les semelles serait mille fois plus adéquat mais, bon, force est d’admettre que cela perdrait un petit quelque chose de chic (de convenu aussi, naturellement). Donc on s’en passe, hein. Pour la bonne bouche référentielle, j’ajouterai, non sans ardeur, qu’il ne m’est arrivé littéralement de tourner les talons (au sens de «tourner sur les talons») que lorsque que j’ai pris un (trop court) cour de danse à claquette. Et encore, hein, comprenons que c’était du pur et du littéral. Je n’ai pas quitté la salle de danse (comme l’aurait exigé le cliché qui, pour les technicistes de la chose, est une métalepse). J’ai simplement viré de bord, dans une chorégraphie. Ce cliché-ci est utilisé en usage narratif exclusivement. On a: Epsilon tourna les talons mais pas vraiment le vocatif-impératif: Toi, tourne les talons et rentre chez-toi. Il semble aussi que cela ne puisse s’appliquer qu’à un individu seul. L’armée romaine tourna les talons est assez bizarre et je suis pas certain que c’est parce que les bidasse des sept collines allaient nu-pieds ou en sandales (si tant est).
(ÊTRE) TREMPÉ JUSQU’AUX OS: C’est tellement l’hyperbole chiante que c’en est l’exemple d’hyperbole bateau que l’on retrouve habituellement dans les petits précis de rhétorique. Il est cucul parce qu’il est rebattu mais quand on s’astreint pieusement à le déclicher, on lui dégage finalement une surprenante qualité empirique. C’est en Angleterre (où il pleut vraiment beaucoup — ça c’est un cliché qui est aussi un fait brut) que je m’en suis un jour avisé. On devient tellement humecté, poissé, mouillé de cette eau glaciale qui vous tient de partout et vous enserre qu’on reste avec l’impression toute empirique, toute subjective, toute fantasmée que les os de notre squelette sont effectivement affectés. C’est d’ailleurs fort contrariant et fort triste. C’est sans doute pour cela que je préfère à ce cliché là un de ses confrères français moins connu mais parfaitement savoureux: (être) trempé comme une soupe. Je le trouve comique, actantiellement problématique, et il a une façon parfaitement onctueuse et nourricière d’interpeller mon imaginaire.
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On pourrait en énumérer tant d’autres. Ne vous gênez surtout pas pour m’apporter les vôtres. Ah, bon sang de bonsoir, vive les clichés de l’expression écrite. Longue vie et de multiples mutations de phénix aux clichés descriptifs et narratif. On les dénigre vraiment par trop. On les méprise ouvertement et c’est vraiment pas fin. Ils sont grotesques. Ils sont acculturants (en ma qualité de québécois, tous ces clichés expressifs hexagonaux. c’est de la franchouillardise galopante et hirsute). Ils sont rebattus. Mais qu’est ce qu’ils nous font jubiler. C’est pas pour rien qu’ils reviennent constamment. C’est vraiment qu’on les sent vachement, quelque part. Ils sont en nous. Je les adore, je les endosse, je vais même (parfois, le plus rarement possible — seulement quand ça me vient vraiment) jusqu’à les relayer, les perpétuer, les redire, leur user les savates encore un coup, comme s’ils étaient encore un de ces beaux jours d’été de l’enfance, juste pour le plaisir.

Mademoiselle Danielle Lloyd est une blonde vénitienne. Oui? Non?
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Lénine (1870-1924), chef de la révolution prolétarienne en Russie
Posted by Ysengrimus sur 21 janvier 2014
Lénine à la tribune
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Il y a quatre-vingt dix ans pile-poil mourrait Vladimir Illich Oulianov (Lénine). J’admire le penseur matérialiste, vif et direct, mais aussi, immensément, la figure historique de l’homme politique. Les raisons de cette admiration ont été magnifiquement formulées, dans un court texte coup de poing, écrit en 1918, par Anatoli Lounatcharski (1875-1933) qui fut un des proches collaborateurs de Lénine, dans les premières années de la Révolution Bolcheviste. Cela reste le commentaire commémoratif idéal pour bien continuer de faire claquer l’indéfectible drapeau rouge (et, corolairement, de bien faire chier le bourgeois)…
Le LÉNINE d’Andy Warhol
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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec
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Posted in Citation commentée, Commémoration, Lutte des classes, Monde, Vie politique ordinaire | Tagué: Anatoli Lounatcharski, chef révolutionnaire, communisme, Histoire, Lénine, marxisme, révolution, Révolution Bolcheviste, révolution russe, Russie, Vladimir Illich Oulianov | 19 Comments »