Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Archive for janvier 2014

Lénine (1870-1924), chef de la révolution prolétarienne en Russie

Posted by Ysengrimus sur 21 janvier 2014

Lénine à la tribune

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Il y a quatre-vingt dix ans pile-poil mourrait Vladimir Illich Oulianov (Lénine). J’admire le penseur matérialiste, vif et direct, mais aussi, immensément, la figure historique de l’homme politique. Les raisons de cette admiration ont été magnifiquement formulées, dans un court texte coup de poing, écrit en 1918, par Anatoli Lounatcharski (1875-1933) qui fut un des proches collaborateurs de Lénine, dans les premières années de la Révolution Bolcheviste. Cela reste le commentaire commémoratif idéal pour bien continuer de faire claquer l’indéfectible drapeau rouge (et, corolairement, de bien faire chier le bourgeois)…

CHEF DE LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE

Les historiens idéalistes, tout comme les philistins, inclinaient et inclinent à penser que ce sont les grandes personnalités qui font l’histoire. Et tout d’abord les personnalités investies du pouvoir: les rois et les ministres. Et si, au cours du développement de leur pensée, ils se trouvent en présence de personnalités marquantes, de révolutionnaires parvenus au sommet du pouvoir, ils attribuent la révolution elle-même, pour une grande part, à l’énergie, à l’astuce et à l’art des chefs.

Pour l’histoire marxiste, les événements historiques sont régis par d’importants processus sociaux indépendants de toute volonté, en dernier ressort par les péripéties de la lutte des classes dont la force relative et les aspirations sont déterminées par leur rôle dans la production sociale à chaque moment donné.

D’aucuns en déduisent que le marxisme n’attribue aucun rôle dans l’histoire aux grands hommes. Que tout simplement il ne reconnaît pas les grands hommes. Cependant ne serait-il pas étrange d’attribuer au marxisme de ne pas reconnaître le rôle des grands hommes, le marxisme qui justement tire son appellation du nom d’un grand homme?

La science marxiste et, plus encore, la pratique marxiste accordent une grande importance à la personnalité. C’est avec une attention soutenue que le Comité central de notre Parti, avant de sanctionner une désignation à un poste tant soit peu responsable, examine la personne proposée du point de vue de ses traits de caractère et de ses capacités d’organisation.

Les marxistes ne sont pas des partisans du spontané. Sachant qu’on ne peut pas faire une révolution, que celle-ci éclate, nous comprenons parfaitement que la révolution peut être inorganisée, chaotique, mais que, d’autre part, dans une grande mesure, elle peut se dérouler régulièrement, éclairée par la conscience sinon de tous ses participants au moins de son avant-garde organisée. La puissance du prolétariat, classe révolutionnaire, tiens justement au fait que, à la différence de la paysannerie, il se laisse mieux organiser et qu’on trouve plus facilement dans son sein des organisateurs.

Le prolétariat est la classe qui organise; il a dû conquérir le pays et maintenant il doit l’ordonner. Il ne peut, certes, accomplir son travail sans un certain état-major central où se réunissent les informations venues de tous côtés et d’où partent dans tous les sens des directives concertées, où s’accumule l’expérience la plus précise, où se cristallise le plan à appliquer. Et encore, cet état-major, nécessairement à plusieurs têtes, pour procéder de façon harmonieuse, doit posséder un cerveau et une volonté unificateurs privés de toutes autorité juridique; cet état-major ne se rapproche donc en rien d’un monarque ou d’un dictateur, mais détient son autorité grâce à sa riche expérience, à son caractère ferme et à sa perspicacité.

Les révolutions populaires rejettent à la surface de larges couches de la population jusque-là privées de pouvoir. On conçoit que parmi ces hommes nouveaux, se trouvent, par voie de sélection, des personnalités hautement douées.

Ajoutons que le mouvement révolutionnaire, tant qu’il est encore dans la clandestinité, est dirigé par des personnes d’un courage supérieur et pratiquement à toute épreuve, que ces personnes sortent d’une dure école de conspiration et de lutte farouche; vous saurez alors pourquoi les grandes révolutions ne peuvent ne pas avoir des chefs de grande valeur.

Le monde ne connaît aucune révolution plus vaste que la révolution sociale en Russie, aucune révolution qui ait été préparée au cours d’une lutte si longue. Aussi pouvait-on prévoir qu’à la tête de cette révolution se trouveraient des personnalités d’un grand talent politique et d’une fermeté de caractère exceptionnelle.

Ce n’est pas par hasard qu’un grand homme se trouve à la tête de notre Parti. Le talent et la volonté inébranlables de cet homme, Lénine,  sont l’expression de l’âme pleine et de l’envergure de notre révolution aussi que des dons exceptionnels et particuliers de son principal moteur: la classe ouvrière. Il doit en être ainsi.

A. LOUNATCHARSKI

Anatoli Lounatcharski (1875-1933), académicien, éminente personnalité de la culture soviétique. Il adhéra à l’organisation social-démocrate à l’âge de dix-sept ans, collaborait sous la direction de Lénine aux journaux bolchéviques Vpériod et Prolétari. Après la Révolution d’Octobre, il exerça, au cours de longues années, les fonctions de commissaire du peuple à l’Instruction de la R.S.F.S.R. Lounatcharski était un orateur et un publiciste de marque, un historien de la littérature russe et ouest-européenne. On lui doit des œuvres dramatiques et de brillants ouvrages critiques sur la littérature soviétique.

Tiré de Récits sur Lénine, 1968, Éditions du Progrès, Moscou, pp 3-7.

Le LÉNINE d’Andy Warhol

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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

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Entretien avec une québécoise d’origine libanaise portant le voile

Posted by Ysengrimus sur 15 janvier 2014

Qui merite respect

Paul Laurendeau (Ysengrimus): Fatima Massoud, vous êtes de Laval, je suis des Basses-Laurentides. J’ai eu le plaisir de vous rencontrer, en compagnie de votre mari, quand, en compagnie de mon épouse, nous faisions nos courses au beau petit marché en plein air de Saint Eustache. D’abord merci d’avoir accepté cet entretien.

Fatima Massoud: Mais de rien. C’est avec plaisir.

P.L.: On peut donc dire de vous que vous êtes une citoyenne ordinaire québécoise, née à Tripoli (Liban) et immigrée au Québec à l’âge de quatre ans avec votre frère, qui en avait six, votre père et votre mère.

F.M.: Une personne tout à fait ordinaire. Pas intellectuelle et pas politique.

P.L.: Vous travaillez dans le secteur hospitalier.

F.M.: Oui, je suis technicienne de laboratoire dans… disons dans un hôpital de la grande région métropolitaine. Je n’ai pas besoin d’en dire plus sur mon employeur?

P.L.: Non, non, c’est amplement suffisant. Secteur hospitalier, dans le parapublic. Vous seriez donc directement affectée par la « charte ».

F.M.: Tout à fait.

P.L.: Vous êtes québécoise pur poudre. Vous avez été scolarisée à l’école publique. Je vous ai entendu parler, vous parlez un français québécois très semblable à celui de mes enfants. Quelle langue parlez-vous à la maison?

F.M.: Avec papa et avec mon frère c’est en français, coupé de mots arabes. Quand je suis seule avec maman, c’est plutôt en arabe. Maman parle un excellent français, mais elle tient à ce que mon frère et moi gardions notre arabe.

P.L.: Et, du fond du coeur, Fatima, je lui donne raison. C’est une grande langue de culture.

F.M.: Merci.

P.L.: Vos parents conversent entre eux en arabe?

F.M.: Oui, oui, toujours, quand ils sont seuls. Ils passent au français si on a des invités francophones.

P.L.: C’est la diglossie dans les chaumières montréalaises à son meilleur. Et avec votre mari, c’est en arabe aussi, ça, j’ai eu le plaisir de le constater au marché de Saint Eustache. Arabe libanais, dans tous les cas?

F.M.: Oui, oui, arabe dialectal du Liban dans tous les cas. J’ai d’ailleurs beaucoup de difficulté avec l’arabe classique. Je lis le Coran fort difficilement. Je comprends pas tout.

P.L.: Vous le lisez souvent?

F.M.: Rarement, peu et mal. Vous savez, je vais vous avouer un truc que peu d’arabes de la diaspora oseront admettre. Il y a pas beaucoup de musulmans par ici qui lisent vraiment le Coran. La langue du texte est rendue difficile à à peu près tous les arabophones. J’ose même pas imaginer comment s’arrangent avec ça les musulmans qui ne sont pas arabes.

P.L.: Vous êtes musulmane sunnite.

F.M.: Oui.

P.L.: Alors, on voit souvent sur Montréal des libanaises, des algériennes, des marocaines qui se disent ouvertement musulmanes mais ne portent pas le voile. Vous expliquez ça comment?

F.M.: Le port du voile est pas une obligation religieuse. C’est pas un des piliers de l’Islam. On va tendre à le porter si on va à la mosquée mais autrement tu peux ne pas porter le voile et être une pratiquante en bonne et due forme.

P.L.: Alors Fatima, cela nous amène à la question cruciale. Pourquoi portez-vous le voile?

F.M.: C’est un petit peu compliqué à expliquer…

P.L.: Bien sûr que c’est compliqué. C’est justement pour compenser le simplisme ambiant qu’on en parle. Sentez-vous parfaitement à l’aise.

F.M.: Ma famille a quitté le Liban à cause de la guerre. Mes parents, surtout ma mère, ont été très éprouvés. Ma mère a perdu deux frères et un troisième de mes oncles est resté infirme à cause des bombardements. Il y a eu aussi des viols, des atrocités, surtout dans les villages reculés. Je suis née dans la deuxième plus grande ville du pays mais maman vient d’un village de l’ouest du pays. Maman adore son pays et je respecte profondément cet héritage, même si je le connais trop mal.

P.L.: Le Liban est étroitement limitrophe de la Syrie, elle-même, en ce moment, en guerre civile. Cela doit amplifier les inquiétudes.

F.M.: Beaucoup. Vous avez raison de le mentionner. Il est pas possible de parler du Liban sans parler de la Syrie. On va pas entrer la dedans là, c’est trop compliqué, trop douloureux aussi. Ce qui est important c’est que mes parents ont quitté une terre, des amis et des villes et villages qu’ils adoraient à cause de conflits armés dont ils avaient rien à faire. On émigre pas par plaisir, Paul, on émigre, et, donc, immigre, poussés par une nécessité qui nous arrache à notre vie.

P.L.: Je comprends parfaitement. Et je sens aussi le profond respect que vous avez pour vos parents et pour votre héritage.

F.M.: Voilà. Bon… maintenant… Maman considère qu’une femme décente doit couvrir ses cheveux en public. Je ne me présenterais pas, en public ou en privé, en compagnie de maman, tête nue. Ce serait de l’indécence et une agression ouverte envers elle. Maman a cette conception de la pudeur et elle me l’a transmise. Je la respecte. C’est une affaire corporelle et vestimentaire. Une affaire de femmes.

P.L.: Mais la religion?

F.M.: Ne vous faites pas plus nono que vous n’êtes, Paul. J’ai lu votre excellent texte Une fois pour toute: le voile n’est pas un signe religieux et je sais que, contrairement à bien d’autres, vous comprenez parfaitement qu’on porte le voile pour des raisons culturelles. Mais il faut insister —et là votre texte ne le fait pas assez— sur le fait qu’on le porte pour des raisons familiales aussi, par respect pour notre groupe familial, notre communauté rapprochée, qui est une diaspora blessée mais fière, qui tient à son héritage.

P.L.: Cela nous amène à l’autre facette du problème. Certaines femmes —d’aucunes d’origine moyen-orientale— disent que l’obligation du port du voile serait une brimade patriarcale. Vous porteriez le voile par soumission à l’homme.

F.M.: Expliquez aux gens qui disent ça la choses suivante. L’homme auquel je me soumets, c’est mon mari. Lui seul. Allah est grand, et je me donne entièrement à mon mari par amour pour lui et par respect de nos lois. Il est le seul que j’autorise à voir mes cheveux, comme le reste de ma nudité. Je suis sienne. Il est l’homme de ma vie, pour toujours. Ma chair lui fournira ses enfants. Tout ça, c’est là…  Mais nous avons nos petits différends.

P.L.: Comme n’importe quel couple moderne…

F.M.: Voilà. Et il y a un de ces différends que je voudrais bien que vous fassiez découvrir à vos lecteurs ET LECTRICES.

P.L.: Je vous écoute et je sens que ça va les passionner.

F.M.: Bien, mon mari me dit : «Tu vas pas aller perdre ta job pour des histoires de voile. T’auras qu’à faire ce qu’ils te disent. Enlever le voile le jour pour aller au travail et tout sera dit.»

P.L.: Et votre père?

F.M.: Mais mon père il est plus dans le calcul, Paul. Je suis la femme de mon mari, vous comprenez. Si mon mari me dit de lâcher mon boulot pour rester à la maison avec nos enfants, je le fais. C’est lui, ici, le fameux homme aux commandes auquel s’en prennent les femmes féministes qui n’admettent pas que le voile est avant tout une affaire de femmes.

P.L.: Je vous suis, je vous suis.

F.M.: Papa, c’est pas compliqué. Papa, c’est pas un homme compliqué. Il s’occupe pas trop de ces choses là. Il m’aime comme je suis. Simplement, quand maman souffre, papa pleure.

P.L.: Je vous suis clairement. Donc votre mari dit: «t’auras qu’à enlever ton voile». Et vous refusez.

F.M.: Voilà. C’est là notre petit différend matrimonial. Il est pas mal hein?

P.L.: Ah, il est fortiche. On le voit pas souvent dans les médias, celui-là!

F.M.: Oh non! Et pourtant, il le faudrait. Il faudrait le dire plus que c’est pas parce que je suis voilée que je suis soumise. J’ai mon caractère et je bénéficie, moi aussi, de la modernité occidentale, sur ces questions.

P.P.: Mais alors, pourquoi ne pas enlever votre voile, Fatima. Si votre mari approuve?

F.M.: Mais j’irai pas bosser tête nue, comme une fille en cheveux, devant tous ces gens qui sont pas mes intimes. C’est contre tous mes principes de pudeur. Vous iriez au boulot en slip ou en camisole, vous?

P.L.: Non.

F.M.: Regardez. Et comprenez aussi mon mari, ici. Les hommes immigrants, traditionnellement, s’ajustent plus aux sociétés receveuses. Ils composent, ils louvoient. Ils veulent pas faire de trouble. Ils s’ajustent beaucoup plus qu’on vous le fait croire. Les femmes, elles, composent moins. Elles restent à la maison et gardent la langue et les coutumes. Le voile, c’est ma mère, c’est mon passé, c’est mes coutumes familiales, c’est ma décence, c’est mon respect et c’est mon droit.

P.L.: Et ce droit, vous entendez le défendre?

F.M.: Oui. La Charte Canadienne des Droits me protège. Notre communauté est déjà très active pour voir à la faire appliquer. Bon, ça fait un peu fédéraliste, là, je le sais….

P.L.: Oh moi, je suis un internationaliste. J’avoue, de surcroît, que quand la bêtise est provinciaste, je la joue fédéraste et que quand la bêtise est fédéraste, je la joue provinciaste. Pas de quartier. Deux ennemis valent mieux qu’un, disait Mao…

F.M.: Moi je suis profondément québécoise, toutes mes amies sont québécoises et mes amies qui m’aiment vraiment m’aiment avec mon voile et me prennent comme je suis.

P.L.: Et les gens sur la rue?

F.M.: Oh, leur attitude a empiré depuis que ces histoires de «charte» sont entrées dans l’actualité.

P.L.: C’est vrai donc.

F.M.: C’est très vrai. Et, hélas, la plupart du temps ce sont des femmes qui m’agressent. On a même tiré sur mon voile dans le métro. Je n’avais jamais vécu ça avant, et ça fait vingt-cinq ans que je porte le voile ici, à Montréal et à Laval.

P.L.: Un beau gâchis ethnocentriste qu’ils nous ont mis là. Et, pour conclure, que diriez-vous à ces femmes, vos compatriotes?

F.M.: Bien d’abord, je constate avec joie que vous avez mis au début de cet article l’image que je vous avais fait parvenir.

P.L.: Absolument. Très belle image.

F.M.: Je dis respectueusement à mes compatriotes québécois et québécoises: regardez cette image. Elle parle de l’égalité des femmes.

P.L.: Vous êtes pour l’égalité des femmes?

F.M.: Totalement pour. Je suis pour l’égalité de la femme et de l’homme. Mon mari aussi. Mais je suis aussi pour l’égalité des femmes ENTRE ELLES, face à leurs droits. Cette image dit: pas de citoyenne de seconde zone. Toutes les femmes sont souveraines sur leur apparence corporelle et ont LE DROIT de décider elles-mêmes quelle partie de leur corps elles montrent et quelle partie de leur corps elles cachent en public. Et ce droit, c’est un droit individuel, culturel, non religieux et que je vais défendre, simplement mais fermement, pour moi, pour ma mère et pour mes filles.

P.L.: Vous aurez toujours mon entière solidarité là-dessus. Merci de ce passionnant et éclairant échange.

F.M.: Merci à vous et à l’été prochain avec nos conjoints, au marché de Saint- Eustache.

P.L.: C’est un rendez-vous. On dansera sur les lambeaux de la «charte»!

F.M.: Joyeusement. Je serai alors de tout coeur laïque, mais toujours voilée.

P.L.: Pied de nez!

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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SAPERLIPOPETTE et quelques autres de nos savoureux clichés expressifs d’écriture…

Posted by Ysengrimus sur 7 janvier 2014

saperlipopette

Les clichés expressifs d’écriture, mes amis, que c’est passionnant. C’est assez mystérieux aussi. Moi, je les adore. Je sens que je frémis, que je frétille au moment de me mettre à en parler. Oh, oh, attention aux excès savants. Je veux les approcher dans un angle frais, libre et foufou. Je ne veux pas me foutre de la poire de ceux qui les utilisent (dont moi!) et je veux pas faire de l’étymologie à rallonge pour les motiver ou les décortiquer. Je veux juste les faire rouler sous nos yeux comme on fait avec des billes scintillantes ou des gros dés de bois. C’est très daté et très circonscrit tous ces clichés expressifs d’écriture. Les miens ne seront pas les vôtres vu qu’on a pas lu (ou écrit…) exactement les mêmes livres. C’est là une des nombreuses jubilations de la gigantale chose clichéesque.

Bon alors, je vous annonce en grande pompe que les clichés apparaissant dans les œuvres écrites de fiction, comme bien d’autres idiotismes d’ailleurs, sont soit narratifs soit descriptifs et que, pour bien faire ressortir ce fait jouissif, je vais me concentrer ici strictement sur certains clichés d’expression qu’on retrouve dans nos BD et nos romans de gares mais pas dans notre vie (à l’exclusion, donc, des expressions idiomatiques monstrueusement clichés qu’on retrouve à tous bouts de champs dans la vie courante, comme avoir du pain sur la planche, battre le fer quand il est chaud, etc — ceux là, on en reparlera une autre fois). Mais regardons ça, tout de go, plutôt. Vous allez vite voir de quoi il s’agit. En ordre alphabétique, hostique.

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BATTRE LA CHAMADE: Cela se dit du cœur sous l’effet d’une émotion intense, ou de la peur ou d’un essoufflement. Je meurs d’envie de rechercher l’étymologie de cette chamade mais je vais me retenir à deux mains encore un peu, de façon à bien jouir d’un fait inusité et suavement incongru. C’est le suivant. Une portion significative des clichés expressifs incorpore des éléments démotivés étymologiquement ou, pire, carrément inconnus. Et comme on relaie le cliché sans vérification, en toute cuistrerie euphorique, on opère comme des sortes de perroquets littéraires. Mon cœur bat la chamade à l’idée que cette croquignole de chamade, personne sait exactement ce que c’est mais tout le monde en cause. Quelle suave musique que la musique caquetante du psittacisme Belles-Lettres.

(UNE) BLONDE VÉNITIENNE: Voici un cas analogue au précédent. Évidemment vénitienne c’est «qui est originaire de Venise», pas besoin d’être Pierre Larousse pour s’en aviser. Mais qu’est-ce que ça goupille avec la blondeur des cheveux, là, mystère opaque. Il est aussi possible de tirailler sans fin sur la nature de cette blondeur. Moi, je la vois platine pétant mais il va se trouver des pisses-froids pour y voir plutôt une sorte de blond un peu sale ou éteint, ou encore tirant sur le roux. C’est là un souque à la corde référentielle infini, hein, vu qu’on sait pas de quoi on parle, au fin fond du fond! C’est donc là une autre chose qu’il faudra un jour tenter de vérifier. Impénétrable, le cliché expressif n’en reste pas moins implacablement stable et n’échappera pas aux contraintes de ses constantes. Ici, les cheveux pourront varier de teinte certes, mais ils seront inévitablement longs. Une blonde vénitienne ratiboisée, ça gaze tout simplement pas. Notez aussi que c’est obligatoirement une femme. Un *blond vénitien, même vercingétoriquesque, ça gaze pas trop non plus. Curieux, hein.

(DES) CHEVEUX D’ÉBÈNE: Là, contrairement aux deux cas précédents, quand même, on visualise. Les cheveux sont d’un noir profond et ce, malgré le fait qu’on ne puisse pas trop dire des yeux d’ébène… Force est effectivement d’admettre que des dents d’ébène irait bien mieux mais là, ce serait plus du tout un cliché, plutôt une image force. Pour le coup, ceux qui se demandent c’est quoi un cliché descriptif, ben c’est tout juste ça: des cheveux d’ébène. Une image rebattue, belle certes, mais blêmasse, fixe ou figée, tuée un peu, comme les mourantes d’Edgar Allan Poe. C’est une visualisation fixe, falote, qui dépeint (sans raconter). Cliché descriptif. Maintenant parlons vrai ici. Qui d’entre vous a déjà vu ou touché de la vraie de vraie ébène? Pas moi en tout cas. Pour que ce cliché ne soit pas trop creux, il faudrait que celui qui nous le sert au jour d’aujourd’hui soit au moins ébéniste. C’est jamais le cas. C’est que, fondamentalement, le cliché n’est pas le résultat d’un acte informé. Comparez, pour élément de preuve, avec des cheveux (d’un noir) de charbon. Comme on sent le charbon plus intimement, l’image est plus forte, plus crue, moins éthérée, moins clichée. Ceci dit, des cheveux de nuit reste passablement cliché aussi, alors que la nuit n’est un mystère pour personne. Pas facile, tout ça.

Une statuette d’ébène

Une statuette d’ébène

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(DES) CHEVEUX DE JAIS: Le cliché n’est pas le résultat d’un acte informé, disais-je. Et je ne croyais pas si bien dire. Jusqu’à tout de suite, jais pour moi, c’était tout juste comme chamade. Savais pas du tout ce que c’était. Mais là, tant pis pour mon petit parti pris non étymologisant de tout à l’heure, il faut quand même que je m’informe un brin sur ce dont il retourne. Ça me démange bien que trop. Attention, clic, clic… voici, clic, clic… Tiens donc…  Le jais naturel, c’est un type de bois fossile. Encore du bois pour les cheveux, bien, bien. Il y a aussi un jais artificiel fait de verre. Saviez ça vous? Moi non. Et le mystère s’épaissit, clic, cliccliche, cliche… si le jais artificiel est noir comme… de l’ébène, le jais naturel, lui, est souvent plutôt brun foncé. Houlà, appelez des cheveux bruns des cheveux de jais et voyez comment on vous traitera. Pas très bien, je le crains. Déclicher le cliché ouvre tout un monde touffu d’arguties. Allez-y donc secouer le buisson des traditions. Non, mon idée de départ reste la meilleure. Vaut mieux pas documenter trop, ça tue la jouissance, ça effiloche le fun en masse. Finalement si les yeux de jade sont possibles (je les adore!), les yeux de jais, encore une fois, c’est pas fort fort. Mais qu’est-ce que c’est que ces matières dures, ligneuses et/ou minérales, que l’on réserve à l’ondoiement fugace et fin des chevaux. Ah, là, là.

Du jais brut (c’est un type de bois fossile, en fait)

Du jais brut (c’est un type de bois fossile, en fait)

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(LE) CŒUR AUX LÈVRES: Celui-là, j’adore. C’est quand on se sent nauséeux. Mais bizarrement il faut des conditions narratives particulièrement extraordinaires pour que le cliché apparaisse. Une petite gueule de bois chafouine du matin, genre début de grossesse ne suffit absolument pas (ou alors c’est que vous êtes enceinte d’un diable romanesque). Il faut un cadre plus grandiose. Souvent, c’est parce qu’on marche dans les égouts de Paris (c’est pas un cliché ça, Paris. C’est juste une pure merveille) et/ou qu’on découvre le cadavre putride d’un figurant (jadis) intime mais sur le point d’être abruptement remplacé dans nos fantasmes par un des personnages principaux. Là, oui là, on a le cœur aux lèvres. Il y a la variante le cœur au bord des lèvres, mais je l’aime moins. Pour les toqués de rhétorique à l’ancienne (j’en suis!), ceci est une hyperbole, c’est-à-dire une image amplifiée, excessive, presque extravagante. Le personnage n’a pas vraiment le cœur qui lui remonte physiquement dans la bouche, encore que, avec la culture narrative zombi contemporaine, cette image vermoulue pourrait en venir à singulièrement renouer avec certains des éléments de sa littéralité.

(MON) CŒUR SAIGNE: Une autre hyperbole. Il y a d’ailleurs souvent des hyperboles — des hyperboles usées pour tout dire —  dans le sac à malice des clichés expressifs. Vous vous souvenez de la belle chanson de Renaud. Et quand j’pense à lui, mon cœur saigne. Adieu, La Teigne… Alors, ce qui est piquant avec ce cliché spécifique c’est que, contrairement à tous les autres, qui se prennent plus que pesamment au sérieux, celui-ci incorpore un élément d’insidieuse ironie. Quelqu’un qui dit à l’autre Oh, Juju, mon cœur saigne! se paie un peu sa poire, en fait. C’est comme un cliché dans le cliché en quelque sorte. Un deuxième degré du cliché. Très spécial. Et cela doit certainement être corrélé au fait que ce cliché là se conjugue bien difficilement au passé. Après le départ de Juju, mon cœur saignait. Pas fort. On dirait un retour sanglant au littéral. C’est encore pire au futur. Quand Juju partira, mon cœur saignera. Vraiment bizarre. Non il faut plus ou moins avoir l’interlocuteur devant soi (même figurativement, comme Renaud avec La Teigne qui, en fait, vient de mourir) pour lui dire mon cœur saigne, en riant de lui un petit peu, en coin, quand même.

(AVOIR L’) ESTOMAC DANS LES TALONS: Encore une hyperbole. Qui va dire ça dans la vraie vie? Paul Personne en personne, my son, et personne d’autre… Et pourtant, on le comprend tous, tout de suite. On le connaît tous même, non? Non? C’est le fait d’avoir vraiment très faim. Elle est quasiment antithétique du cœur aux lèvres, cette hyperbole là. Ici c’est pas l’organe de la vie qui remonte, c’est l’organe de la dalle qui descend, comme pour mieux annoncer son vide sidéral. Souvent utilisée en exclamatives vocatives. Tu, viens? J’ai l’estomac dans les talons!  Dire «souvent utilisé dans ceci ou dans cela» c’est se payer la poire de la petite populace en mondovision car enfin, j’insiste plus que pesamment sur ce point, connaissez-vous un être humain vivant de chair et d’os ayant jamais utilisé ce tour sublime? Voyez comment la culture française est. Elle a poussé l’art culinaire à des summums corroborés au Patrimoine de l’UNESCO. Elle crève la dalle et se sustente avec toute la subtilité sophistiquée requise… et trouve moyen, par dessus le tas, de décrire l’état qui fit sa gloire d’un tour archi-pétant, quoique irrécupérablement confiné dans la cassette étroite de ses romans de gares.

(LE) FRONT BARRÉ D’UNE RAIE VERTICALE: Voici un autre magnifique cliché descriptif. Le plus vrai, le plus pur peut-être. Il y a pas de transposition hyperbolique ou métaphorique ici. Ça se veut directement empirique, perçu, sensible, descriptif au sens fort. Le gars (ou la fille mais, bizarrement c’est souvent un gars) est perplexe, ou sceptique, ou dubitatif ou tourneboulé pour une raison ou pour une autre et on ne nous parle pas de ses émotions. Non, non, motus sur son monde intérieur. Le tout se manifeste par l’apparition d’une barre sur son front. J’ai souvent voulu la vérifier dans le miroir, celle-là. Ce fut là toute une aventure que la ligne du temps finit par infléchir cruellement. Jeune, je n’arrivais pas à stabiliser la barre verticale du front. Vieux, le front est bien plus large, plus haut surtout, plus luisant. Il n’y apparaît désormais que des barres horizontales et à ce jour, c’est pour m’en débarrasser que j’aimerais bien trouver une combine, descriptive ou autre. J’ai jamais réglé le cas de ce cliché là dans le monde de la praxis mais force est d’admettre que l’image, à défaut de se vérifier, ne manque pas d’un certain percutant.

FUSILLER DU REGARD: C’est une métaphore, sire… Sauf que, grande nouvelle, elle ne marche pas. Et je vais pas me gêner pour m’en expliquer. Fusiller quelqu’un, au sens littéral, cela se fait, inévitablement, simultanément et à plusieurs — exclusivement un peloton d’exécution, pour tout dire. On imagine vos collègues de bureau, tous alignés, et vous servant le même regard lourd de reproche. Voilà une métaphore, sire, qui tiendrait minimalement la route. Or c’est pas ça qui se passe. On se fait toujours fusiller du regard par un individu seul, vous avez pas remarqué? De fait, *flinguer du regard irait bien mieux mais bon, on s’en passe… à moins que les deux yeux de l’individu isolé vaillent comme un peloton d’exécution miniature à deux flingues. Vraiment tiré par un autre cliché au sujet des cheveux… Oh, je sens que je m’égare. Non ce cliché-ci est parfaitement bancal et, comme il faut lui servir ce qu’il mérite, je dois faire observer que je n’oublierai jamais la façon jubilante dont Yvon Deschamps le renouvela et le subvertit dans un de ses savoureux monologues. Je vous l’dis, si ses yeux avaient été des fusils, a s’tirait dans l’nez, a r’gardais d’même. Quel plaisir que de ramener un cliché à la vie, surtout quand il cloche au départ.

JOINDRE LE GESTE À LA PAROLE: Ceux qui se demandent ce qu’est un cliché narratif. En voici un. C’est une cheville entre deux événements se succédant avec rapidité. Ici, l’un de ces événements est verbal, l’autre est gestuel. Pas besoin d’être Émile Littré pour s’en aviser. C’est un des nombreux antonymes du fameux meanwhile back un the jungle [pendant ce temps, dans la jungle] des ricains. Sauf que, vous me croirez si vous voulez, cette cheville de récit n’est un passe-partout narratif universel qu’en apparence. Dans les faits vrais de l’usage cliché effectif, il introduit le passage d’une parole MÉCHANTE à un geste ODIEUX. Demandez moi pas pourquoi, c’est comme ça, c’est tout. Voyez plutôt. Il grommela qu’il ne se laisserait pas faire et, joignant le geste à la parole, il tira un pistolet du tiroir de la commode et le pointa vers Epsilon. Excellent. On visualise tout de suite. Par contre dans Il lui déclara son amour et, joignant le geste à la parole, il l’embrassa fougueusement… ça fonctionne beaucoup moins bien. Bizarre quand même, vous me direz pas. C’est assez marrant, ces contraintes d’usage. Rien n’y échappe dans la langue hein, pas même les clichés les plus éculés.

(ÊTRE EN) NAGE: Un autre cliché descriptif et une autre hyperbole. Pas besoin d’être Paul Robert pour observer que le protagoniste ne peut absolument pas être en nage parce qu’il sort de la douche, ou du bain, ou d’un lagon, ou d’une rivière ou d’une piscine. Il ne peut évidement pas être en nage s’il est en train de nager (c’est comme pour sans doute… y a toujours un doute). Il ne peut être en nage que s’il sue à grosses gouttes. Et encore, ce sera préférablement s’il fait chaud dans l’endroit (le local, le pays) ou il se trouve ou, à la très grande rigueur, s’il est fiévreux. Peu d’usages vocatifs sui-référentiels, genre: monte la clime, je suis en nage. Très usité comme introducteur d’intervention salvatrice. Mon pauvre ami, laissez-moi vous aider. Vous êtes en nage. Très contraint encore une fois. Bien creux mais bien contraint. Qui dit ça dans la vraie vie? J’ai déjà entendu des gens qui avaient chaud dire Je suis en lavette ou même Je suis en navette. Mais d’en nage point. Même les imageries aqueuses et maritimes doivent jeter l’ancre un jour ou l’autre, je suppose.

(ÊTRE) PLUS MORT QUE VIF: Voici un autre cas confirmant magistralement qu’avec sans doute… y a toujours un doute. Si on avait le malheur, habituellement mal avisé en matière de clichés, de prendre celui-ci au sens littéral, ce serait tragique. On serait implacablement au chevet d’un agonisant ayant au mieux 40% de chances de survie, ce qui n’est pas beaucoup, toutes sommes faites (pour les synchronistes purs, notons toujours que vif est un petit mot archaïsant signifiant ici vivant — comparer avec mort ou vif). Sauf que cela ne se passe jamais. Allez imaginer un médecin faisant état de la lente agonie du mari en disant à l’épouse Madame, j’ai le regret de vous annoncer qu’il est plus mort que vif. Ça ne fonctionne pas du tout. Il aurait vraiment l’air de se payer la poire de la dame. En fait, le cliché envoie ici exactement le message contraire. Dans un bon roman de gares, quand le type est dit plus mort que vif, c’est qu’il est sauvé. Il s’est fait brasser un peu pas mal mais il va s’en tirer. Y a eu plus de peur que de mal, en somme. Plus mort que vif, Epsilon s’empara du téléphone et signala le numéro à douze chiffres de l’hôpital. Pas mal du tout comme virtuosité à la pianote, pour un mort-vivant…

PRENDRE SES JAMBES À SON COU: Cliché narratif. Que j’ai dont lutté cognitivement pour essayer de visualiser celui-ci. Ça veut dire se casser très vite, détaler comme un lapin (images beaucoup plus perceptibles). Alors là, vous me direz pas, c’est carrément du dadaïsme. Je vois un grand personnage mou, éjarré, comme dans les tableaux de Dali, qui fait des enjambées si amples, grandes, vastes que ses guibolles interminables et flasques se tortillonnent autour de son encolure amaigrie. Il prend ses jambes à son cou. Ça tient encore, c’est pictural, presque inspirant. Mais alors, mon perso, comment arrive-t’il à détaler, à fuir, à s’esquiver fissa? C’est problématique, ça. Normalement, il devrait s’immobiliser, s’effondrer, s’avachir. Le cliché devrait signifier se figer sur place, perdre ses moyens. Pensez-vous. J’ai ensuite essayé le coup, cognitivement toujours, avec un grand herbivore genre gnou ou taureau des tableaux de Picasso. Les jambes avant (les jambes arrières, on n’y pense même pas) s’avancent très loin vers le point de fuite et se rapprochent inévitablement du garrot, surtout si la tête cornue se baisse pour mieux foncer… mais après ça, ça se perd. Non celui-là, je le sens vraiment pas. Il est hautement paradoxal et ça me perturbe fort. Il a dû fumer un gazon qui avait dû fumer quelque chose…

SAPERLIPOPETTE: Oh, que le Grand Crique me croque, c’est tout un exercice d’introspection cataclysmique pour retrouver, dans mon esprit encombré de souvenirs et hanté de langueurs, un usage effectif de saperlipopette. Y a eu que des bandes dessinées, je pense pour me le mettre vraiment sous le nez, en usage. Je ne vois pas ça dans un roman. Y a eu Brassens aussi, naturellement, la si fameuse Ballade des jurons mais ça, ça compte pas vraiment. C’est du métalinguistique, diraient les linguistes, pour dire que c’est une énumération au second degré, presque une compilation de clichés, de laquelle j’ai d’ailleurs appris la variante saperlotte, plus lascive quelque part, plus vicelarde, plus hot, hot… Cela replace cette affaire dans un espace un peu plus adulte, un peu plus coquin, un peu moins enfantin (enfin «enfantin» dans nos lubies d’adultes… vu que les mioches, ils s’en fichent éperdument de saperlipopette et du reste, ne nous y trompons surtout pas). C’est, l’un dans l’autre, qu’il y a quelque chose de bizarrement fort infantile (infantilisant pour l’adulte de notre temps, en fait), finalement, dans ce cliché là. Rien ne s’arrange quand me revient le souvenir d’un gros roy bougon et bébé-lala d’un conte télévisé niaiseux de mon enfance, dont le juron geignard et pleurnicheur était la variante hautement déclichéante Patate à roulette!

SUER SANG ET EAU: La grande hyperbole de l’effort physique. Les vingtiémistes subtils et songés y verront une référence (in)dubitablement churchillienne. Comme à peu près tous ses braves camarades clichés, celui-ci débarque avec son lot inattendu de petites contraintes rigolotes. Ainsi, il est utilisé presque toujours au passé, J’ai sué sang et eau pour te retrouver ta valise, ou au présent de narration renvoyant à un fait passé (il cultive alors une sorte de petit effet générique), Moi, bonne poire, je me rue à la gare, je sue sang et eau pour te retrouver ta valise et toi, tu fais quoi. Tu boudes. On ne le retrouve à toutes fins pratiques jamais en situation de constat immédiat. Cela lui barre l’usage vocatif. Mais tu sues sang et eau, mon pauvre reste bizarre. Cela pourrait avoir à voir avec la mention hyperbolique du sang — mention hyperbolique et absence empirique, cela va sans dire. On dirait que cette touche sanglante (il y a assez souvent du sang dans les clichés) force ce cliché là à rester cantonné dans un univers de chimère beaucoup plus compatible avec du passé dépassé qu’avec un présent fluide, palpable, poissant et immédiat.

TOURNER LES TALONS: Magnifique cliché narratif parfaitement défraîchi mais imperturbablement grandiose tout de même. Pas besoin d’être Walter von Wartburg, par contre, pour observer qu’un marcheur pressé effectuera habituellement un virage à cent-quatre-vingt degrés plutôt sur la paume des pieds que sur les talons. Tourner les semelles serait mille fois plus adéquat mais, bon, force est d’admettre que cela perdrait un petit quelque chose de chic (de convenu aussi, naturellement). Donc on s’en passe, hein. Pour la bonne bouche référentielle, j’ajouterai, non sans ardeur, qu’il ne m’est arrivé littéralement de tourner les talons (au sens de «tourner sur les talons») que lorsque que j’ai pris un (trop court) cour de danse à claquette. Et encore, hein, comprenons que c’était du pur et du littéral. Je n’ai pas quitté la salle de danse (comme l’aurait exigé le cliché qui, pour les technicistes de la chose, est une métalepse). J’ai simplement viré de bord, dans une chorégraphie. Ce cliché-ci est utilisé en usage narratif exclusivement. On a: Epsilon tourna les talons mais pas vraiment le vocatif-impératif: Toi, tourne les talons et rentre chez-toi. Il semble aussi que cela ne puisse s’appliquer qu’à un individu seul. L’armée romaine tourna les talons est assez bizarre et je suis pas certain que c’est parce que les bidasse des sept collines allaient nu-pieds ou en sandales (si tant est).

(ÊTRE) TREMPÉ JUSQU’AUX OS: C’est tellement l’hyperbole chiante que c’en est l’exemple d’hyperbole bateau que l’on retrouve habituellement dans les petits précis de rhétorique. Il est cucul parce qu’il est rebattu mais quand on s’astreint pieusement à le déclicher, on lui dégage finalement une surprenante qualité empirique. C’est en Angleterre (où il pleut vraiment beaucoup — ça c’est un cliché qui est aussi un fait brut) que je m’en suis un jour avisé. On devient tellement humecté, poissé, mouillé de cette eau glaciale qui vous tient de partout et vous enserre qu’on reste avec l’impression toute empirique, toute subjective, toute fantasmée que les os de notre squelette sont effectivement affectés. C’est d’ailleurs fort contrariant et fort triste. C’est sans doute pour cela que je préfère à ce cliché là un de ses confrères français moins connu mais parfaitement savoureux: (être) trempé comme une soupe. Je le trouve comique, actantiellement problématique, et il a une façon parfaitement onctueuse et nourricière d’interpeller mon imaginaire.

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On pourrait en énumérer tant d’autres. Ne vous gênez surtout pas pour m’apporter les vôtres. Ah, bon sang de bonsoir, vive les clichés de l’expression écrite. Longue vie et de multiples mutations de phénix aux clichés descriptifs et narratif. On les dénigre vraiment par trop. On les méprise ouvertement et c’est vraiment pas fin. Ils sont grotesques. Ils sont acculturants (en ma qualité de québécois, tous ces clichés expressifs hexagonaux. c’est de la franchouillardise galopante et hirsute). Ils sont rebattus. Mais qu’est ce qu’ils nous font jubiler. C’est pas pour rien qu’ils reviennent constamment. C’est vraiment qu’on les sent vachement, quelque part. Ils sont en nous. Je les adore, je les endosse, je vais même (parfois, le plus rarement possible — seulement quand ça me vient vraiment) jusqu’à les relayer, les perpétuer, les redire, leur user les savates encore un coup, comme s’ils étaient encore un de ces beaux jours d’été de l’enfance, juste pour le plaisir.

Mademoiselle Danielle Lloyd est une blonde vénitienne. Oui? Non?

Mademoiselle Danielle Lloyd est une blonde vénitienne. Oui? Non?

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Faites-vous du journalisme citoyen de type TÉLEX?

Posted by Ysengrimus sur 1 janvier 2014

Bon, c’est déjà tendance de dire que le cyber-journalisme citoyen piétine. On cherche ostentatoirement des explications. On ne se gène pas pour le dénigrer dans le mouvement, ça fait toujours ça de pris. On suggère qu’il est trop de la marge et de la basse fosse. Qu’il fait dans la crispation systématique et la résistance par rejet en bloc. On lui reproche son sempiternel périphérisme. Personnellement, je pense que si le cyber-journalisme citoyen piétine et végète (ce qui reste encore en grande partie à prouver au demeurant), ce n’est pas à cause de son périphérisme, ou de sa marginalité, ou de sa résistite aiguë. Je crois plutôt que c’est le mimétisme qui, lentement, le tue.

Formulons la chose concrètement, sans apparat. Tout commentateur citoyen lit le journal du matin. C’est fatal. On s’informe à l’ancienne aussi. Nos coutumes ordinaires ne se déracinent pas comme ça. Y a pas de mal à ça, au demeurant. On parcoure les titres, on lisotte nos chroniques (honteusement) favorites. On se laisse instiller l’air du temps d’un œil, en faisant au mieux pour dominer la situation. On tressaute, comme tout le monde, au fait divers sociologiquement sensible du moment (il nous fait inévitablement tressauter, c’est justement pour ça qu’il est sociologiquement sensible). Alors, de fil en aiguille, entre la poire et le fromage, on accroche l’ordi portable et on commente à chaud. C’est si doux, si fluide, si facile. Comme on a du bagou et peu de complexes, première affaire que tu sais, un billet est né. Quelques clics supplémentaires et zag, le voici, sans transition, dans l’espace public. Se rend-on compte seulement de ce qui vient de nous arriver, en rapport avec le journal du matin? On vient tout simplement de lui servir la soupe en le glosant gentiment, en le répercutant, sans malice et sans percutant.

J’appelle cyber-journalisme de type TÉLEX l’action d’un repreneur de titres qui répercute la nouvelle du moment en croyant, souvent de bonne foi, l’enrober d’un halo critique. Ce susdit halo critique, bien souvent aussi, est une simple redite clopin-clopant des éditos conventionnels que notre journaliste de type TÉLEX n’a, au demeurant, pas lu. Les carnets de type TÉLEX existent depuis un bon moment (voir à ce sujet ma typologie des blogues de 2009) et certains d’entre eux sont de véritables exercices-miroirs de redite perfectionnée des médias conventionnels. Gardons notre agacement bien en bride, sur ceci. Plagiat parfois, la redite ne l’est pas toujours. Les Monsieur Jourdain de la redite sont légions. Que voulez-vous, on ne lit pas tous les éditos, fort heureusement d’ailleurs. On les redit bien souvent sans le savoir. Et le fait de s’y substituer, sans les lire, ne fait pas moins de soi la voix d’un temps… de la non-avant-garde d’un temps, s’entend.

La propension TÉLEX en cyber-journalisme citoyen rencontre d’ailleurs un allié aussi involontaire qu’inattendu: les lecteurs. Vous parlez du sujet que vous jugez vraiment crucial, sensible, important, vous collectez trente-deux visites. Vous bramez contre l’ancien premier ministre du Québec, prudemment retourné à la pratique du droit, Jean Charest (qui, au demeurant, ne mérite pas moins, là n’est pas la question), vous totalisez en un éclair sept cent cinquante sept visites, dans le même laps de temps. Ça prend de la force de caractère pour ne pas, à ce train là, subitement se spécialiser dans le battage à rallonge du tapis-patapouf. Give people what they want, cela reste une ritournelle qui se relaie encore et encore sur bien des petits airs. Automatiquement accessible, dans une dynamique d’auto-vérification d’impact instantanée, il est fort tentant, le chant des sirènes du cyber-audimat. Beaucoup y ont graduellement cédé, dans les huit dernières années (2006-2014). Et la forteresse cyber-citoyenne de lentement caler dans les sables actualistes rendus encore plus mouvants par ce bon vieux fond de commerce indécrottable de nos chers Bouvard & Pécuchet.

Je ne questionne pas les mérites intellectuels et critiques de la résistance tendue et palpable du polémiste cyber-journalistique. Il est sain, crucial même, de nier (au sens prosaïque et/ou au sens hégélien du terme) la validité du flux «informatif» journalier. C’est exactement au cœur de ce problème que mes observations actuelles se nichent. À partir de quel instant imperceptible cesse-t-on de critiquer le traitement ronron de l’actualité et se met-on à juste le relayer? À quel moment devient-on un pur et simple TÉLEX? Le fond de l’affaire, c’est que l’immense majorité des commentateurs citoyens n’est pas sur le terrain et c’est parfaitement normal. Tout le monde ne peut pas être en train de vivre à chaud le printemps arabe ou la lutte concertée et méthodique des carrés rouges québécois. Le journaliste citoyen n’est donc pas juste un reporter twittant l’action, il s’en faut de beaucoup. C’est aussi un commentateur, un analyste, un investigateur incisif des situations ordinaires. On notera d’ailleurs, pour complément à la réflexion, que les luttes, les rallyes, les fora, les printemps de toutes farines ne sont pas les seuls événements. Il est partout, l’événement. Il nous englobe et il nous enserre. Il nous tue, c’est bien pour ça qu’on en vit. Et le citoyen est parfaitement en droit universel de le décrire et de l’analyser, ici, maintenant, sans transition et sans complexe, dans ce qu’il a de grand comme dans ce qu’il a de petit. Il y a tellement énormément à dire. La force de dire est et demeure une manière d’agir, capitale, cruciale, précieuse. La légitimité fondamentale de ce fait n’est nullement en question. Ce qui est mis ici à la question, c’est le lancinant effet d’usure journalier, routinier. Le temps a passé et continue de passer sur la cyberculture. Les pièges imprévus de la redite chronique de la chronique vous guettent au tournant. Les échéances éditoriales vous tapent dans le bas du dos, que vous soyez suppôt folliculaire soldé ou simple observateur pianoteur de la vie citoyenne. Le premier éclat cyber-jubilatoire passé, ne se met-on pas alors à ressortir le vieux sac à malices journalistique, en moins roué, en moins argenté, et surtout en moins conscient, savant, avisé?

Retenez bien cette question et posez-là à votre écran d’ordi lors de votre prochaine lecture cyber-journalistique. Ceci est-il juste un TÉLEX, relayé de bonne foi par un gogo le pif étampé sur le flux, soudain intégralement pris pour acquis, du fil de presse? Que me dit-on de nouveau ici? Que m’apprend-on? Que subvertit-on en moi? Où est le vrai de vrai vrai, en ceci? Comment se reconfigure mon inévitable dosage d’idées reçues et de pensée novatrice dans cette lecture? Suis-je dans du battu comme beurre ou dans du simplement rebattu, ici, juste ici? Les impressions qu’on m’instille sur l’heure sont-elles des résurgences brunâtres hâtivement remises à la page ou des idées procédant d’une vision authentiquement socialement progressiste? Le fait est que, tous ceux qui on les doigts dansottant sur les boutons résultant du progrès ne sont pas nécessairement des agents de progrès… Il s’en faut de beaucoup.

La voici ici, justement (puisqu’on en cause, hein), mon idée force. Je vous la glose en point d’orgue et, pour le coup, n’hésitez pas à ne pas l’épargner. Mirez la sans mansuétude et demandez-vous si je la relaie, ouvertement ou insidieusement, du journal du matin (ce qui est la fonction essentielle d’un TÉLEX, gros être machinal, déjà bien vieillot et qui ne se pose pas de questions). Le cyber-journalisme citoyen ne piétine pas quand il résiste et se bat. Le cyber-journalisme citoyen se met à piétiner quand, entrant imperceptiblement en mimétisme, il se met à relayer ce qu’il aspirait initialement à ouvertement contredire, nommément la ligne «informative» des grandes agences de presse qui, du haut de leurs ressources perfectionnées et de leurs pharaoniques moyens, continuent d’ouvertement servir leurs maîtres. Le problème central, existentiel (n’ayont pas peur des mots), du cyber-journalisme citoyen n’est pas qu’on le marginalise (par acquis technique, rien sur l’internet ne se marginalise vraiment), c’est qu’on le récupère, en le remettant, tout doucement, dans le ton-télex du temps…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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