Note d’Ysengrimus: Il y a soixante-dix ans pilepoil était publié le roman LE SURVENANT (1945) de Germaine Guèvremont. Quoi de mieux, pour commémorer cela en force, en ardeur et en joie, que de relire la courte mais prenante correspondance du Survenant, sur DIALOGUS. Ici, le travail de pastiche, je le partage avec un inconnu venu des vents que je salue très respectueusement au passage. J’ai fait une partie du Survenant, cet(te) inconnu(e) a fait l’autre (et notamment la fort savoureuse lettre d’acceptation). J’ai joué aussi, ici-dedans, bon nombre des correspondants et correspondantes du Grand-dieu-des-routes, beau dommage. Et, comme d’habitude, des Venants et des Venantes du tout venant ont fait les autres. On a ici une œuvre collective. Lisez sans démêler ou démêlez sans lire, c’est selon le goutteux de tout un chacun… Salut et respects à tous les Grand(e)s Itinérant(e)s du monde.
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LETTRE D’ACCEPTATION DU SURVENANT À L’ÉDITEUR DE DIALOGUS
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Bien le bonswoer msieu Dumontais.
Vous savez chus pas ben élevé pis cultivé, j’ai lâché ma maîtresse, d’école j’veux dire, en cinquième, mé j’sé quand même compter, lire et écrire pas aussi savamment que tout vot’râréopage de DIALOGUS comme que vous dites. Vous m’escusrez don de mé fautes pis de ma tournure de phrase, la terre m’a élevé pis les outardes et le fleuve m’ont entraîné.
J’ai ben aimé lire ce que j’ai pu comprendre. Ben entendu, dieu pis toute cé saint me sont pas des étranges. On n’é un peupe très pieux icitte, pis on les implore souvent. Si j’vous écris cé parsque, quand j’ai descendu le fleuve au début du sciècle dernier pis pris la mer, j’ai abouti à Vineyard pis j’ai rencontré le capt’n Slocum de vot gang. Y ma faite grande impression. Pour moé c’était le grand dieu des mers, mé y’était ben taciturne… On a parlé de cé nombreux voyages et de tout cq’yavait vu. Ensuite j’ai djumppé une barge, rluqué la Liberté, remonté le courant d’Hudson comme un somon, travarsé le lac de not’fondateur à Québec, pis descendu le courant du grand cardinal. Rendu à Sorel, j’ai pris une sacrament de tasse… J’avais assé bourlingué pour me tanner, c’était le temps de me câser pour l’hiver. Ben dégrisé, mon paqueton su le dos, j’ai allongé la jambe vers Sainte-Anne… à la brunante j’étais au chnail du Moine. J’avais juss mangé du résin de grève pis j’avais l’estoma din talon, à drette su la ptit butte, de la lumière et de la boucane dans la cheminée, je m’avancé dans l’allé aux bruits du jappeux puis: toc toc toc… Si je peux agrémenter, cé le bess. Si non neveurmagne.
Venant je signe
Le Survenant
Toujours vivant et non revenant
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1- QUI ES-TU?
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Excuse-moi de te formuler la question de cette manière-là, mais qui es-tu?
Merci à toi!
Issacar
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Ben le bonjour Issa Car
Qui suis-je?
Eh ben pour certains c’est le Venant aux Beauchemin, d’autres c’est le fend-le-vent, le beau marle, le rouget frisé, pas l’enfant-Jésus de Prague, l’aventurier et pis neveurmagne.
Salut.
Le Survenant
Grand-dieu-des-routes
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2- LA BEAUTÉ DES ÎLES
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Cher Survenant!
Je suis native de vot’coin de pays (Sorel) comme vous auriez probablement dit! Grâce aux écritures d’une certaine Berthe Beauchemin, votre vie nous a été racontée, portée à l’écran et c’est un peu par votre biais que notre belle région s’est fait connaître. Saviez-vous que nos belles 103 îles ont été reconnues comme réserve nationale de l’Unesco? De quoi sauvegarder notre végétation et la beauté des ces Îles! Une journée à se promener en bateau sur ces eaux est une des choses les plus relaxantes et agréables durant nos étés! Sur quelle île vous êtes-vous installé le plus longtemps?
Bon retour M. Le Survenant!
Marie Hébert
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Merci ben Marily pour vot’lettre du vingt courant.
D’abord j’voudrais pas vous faire des accroires, çé pas mon coin de pays où chus né, mais cé ben vrai que j’yé passé un bon bout de temps, pis que j’en ai des souvenirs intenses. J’ai pas souvenance de Berthe, c’était p’t-être une ptite cousine de mon ami Didace, ah! Didace. C’est lui qui me comprenait le plus, on a ben ravauder et marauder ensemble dans tous les chenaux et rigolets du coin. Que ce soit par les bons soins d’la Noire de Berthe ou ben de Germaine qu’on m’a raconté çé trop d’honneur pis neveurmagne çé vivant les îles.
J’y repasse encore de temps en temps, mé j’rtouve pu tout ce qui y’avait failli me retenir pis on ne me reconnaît pus, pis çé pu aussi sauvage… et nerveurmagne faut pas être trop égoïste, la beauté çé comme l’âme, faut la partager… mais faut aussi la protéger. Une journée çé pas assez… que ce soit à rame, à perche, à godille ou ben à l’aviron, faut y retourner… mais l’essentiel faut pas de bruit…
Comme j’vous disais tantôt, j’ai ben ravauder dans les îles. Quand le temps le permettait, j’embarquais sus la verchère du pére Didace, pis je traversais le grand chenal, j’avais mon coin à pointe de l’Île de Grâce, je barbotais comme un plongeur pis ça faisait jaser les habitants de la commune. Ah nerveurmagne. D’autres fois, avec le ptit canot, je dépassais l’île d’Embarras pis je me rendais à cabane à Zoel, j’attrapais queques barbottes à ligne pis on se cuisait une bonne bouillabaisse sur sa ptite truie et ben sûr agrémenté d’un peu de Saint-Pierre. J’en dis trop, les gars de barges sront pas content et pis nerveurmagne ça fait tellement longtemps.
À la vie,
Le Survenant
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Salut Venant,
Germaine était la cousine de Claude-Henri Grignon et je me suis toujours demandé si tu avais déjà «dravé» avec Alexis Labranche. Vous avez tous les deux un peu le même genre.
Guy
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Bonsoer Guy,
Marci pour les histoires de la famille. Eh ben non, j’ai pas dravé avec Jos Branch, j’pense que je tétais encore m’man dans ce temps-là. Pour la drave j’ai plus entendu à propos du ptit Jason, mé y’a pas fait vieux os.
Marci pour ton mot.
Venant
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4- GIBELOTTE
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Survenant,
Je n’en suis pas certain, mais je crois me souvenir que dans le bout de Sorel, on mangeait de la gibelotte et non de la bouillabaisse.
Gaston Guévremont
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Bonsoir Monsieur Guèvremont.
J’vous contrarirez pas en vous disant que vous avez pas tord, mais… Une bonne connaissance à moé, un francé qu’iétait coq s’une barge m’avait donné sa recette de bouillabaisse remodé aux poissons d’icitte, ça fait que quand j’ai mijoté ça pour Zoel, y ma dit: que cé que ste gibelotte que t’as préparé là Venant? Alors neveurmagne, ça peu ben porter deux noms, pas vré?
Le Survenant
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5- TOI ET JÉSUS
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Salut le Venant,
Dans un cours de littérature, ma prof a effectué un parallèle entre toi et le Christ, notamment dans la manière dont tu t’es lavé en entrant chez les Beauchemin, dans ces gens qui venaient de tout le chenail pour t’entendre raconter tes histoires, dans ta chasteté, malgré toutes les mignonnes qui t’auraient voulu pour homme… Angelina par dessus toutes. J’avais trouvé ce lien intéressant. T’en penses quoi toi, de te faire comparer à Jésus dans les grandes écoles modernes? La barre est haute, non?
Amicalement,
M
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Salut à toi,
Mignonne ou Madeleine, chus pas ben ben dans les bondieuseries même si j’porte mon ptit crucifix… c’est ti plus dur d’aimer que d’être aimé? L’histoire de Jésus m’avait fait une ben grosse impréssion au ti cathéchisme, alors je penserais que cé pas rassurant d’être trop voulu… Ah Angélina, tente moé pas. J’ai pas grand pouvoir sus le futur pi les comparaisons dans les grandes écoles, je connais pas d’autres façons pour me laver les mains et de raconter les nouvelles, ces races de monde prendront ben la meilleure partie qui voudront, alors le saut de l’ange, neveurmagne.
Ben respectueusement,
Survenant
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6- CETTE ÎLE
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Très cher Survenant,
Ce que j’aurais aimé causer un moment avec vous! Vous, personnage fictif de Germaine Guèvremont que j’apparente à Zorba le Grec de Nikos Kazanzaki et à ce Dompteur d’ours d’Yves Thériault. Tous trois, vous représentez l’Homme, l’homme différent des autres hommes en ce que vous ignorez le poison de la routine. Tous trois, vous dérangez, vous suscitez tout à la fois amour et haine… Dieu pour les uns, diable pour les autres. Qui étiez-vous donc, cher Survenant?
Angélina, un des personnages-clé de ce roman, vous appelle si joliment Grand-Dieu-des-Routes; Amable, personnage falot, jaloux, vous qualifie de fend-le-vent. C’est à travers les yeux d’Angélina que l’auteure vous décrit: «… le Survenant exprimait le jour et la nuit: l’homme des routes se montrait un bon travaillant capable de chaude amitié pour la terre. L’être insoucieux, sans famille et sans but, se révélait habile artisan de cinq ou six métiers… Non seulement adroit à l’ouvrage et agréable aux filles, mais encore habile à se battre et aussi fort qu’un boeuf.» Qu’exiger de plus d’un homme?
Vous aurez permis au père Didace de transgresser les diktats de la religion du curé et de finir un veuvage étouffant. Vous aurez permis à Angélina —la boiteuse— de se croire femme, femme qu’un homme peut aimer. Vous aurez réveillé le village. Pour un temps, plusieurs se sont mis à rêver. Quel beau cadeau leur avez-vous fait! Mais, que cachaient donc vos mémorables soûlographies, cet attachement à «la bouteille» presque aussi fort que votre amour des femmes? D’où vous vient ce refus de l’amour passionné d’Angélina, de l’amitié de Didace? Pourquoi ce départ sans même un adieu?
Itinérant comme Zorba, comme le Dompteur d’ours, vous habiterez longtemps notre inconscient collectif. Je me demande même, si Charles Dumont, ce poète chanteur songeait à vous en écrivant ce refrain?
Passager clandestin
De l’amour quotidien
Interdit de séjour
Des banales amours
Passager clandestin
Voyageur incertain
Est-ce qu’il existe une île
Au bout de votre exil?
Cette île aurait-elle pu exister pour vous?Madeleine Gousy
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Bonjour
Le Survenant a existé et existera toujours, que ce soit l’île des gauchers ou l’île à la dérive, c’est un cri d’humanité, encore plus maintenant où tous semblent devenir l’outil de leurs outils… La mouvance est le salut…
Humainement,
Survenant
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7- ANGELINA DANS SA FENÊTRE
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Bonjour Monsieur le Survenant,
Quand j’étais collégienne, une fille qui pleurnichait la face dans le cadre de la vitre du corridor aux amoureux parce que son gars varnoussait ailleurs puis s’occupait pas d’elle, on appelait ça une Angélina-dans-sa-fenêtre… Vous y êtes pour quelque chose?
Cégismonde Lamothe
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Le bonsoir,
Non j’y suis pour rien… Le destin cé le destin. Y’en a qui rgardent passer, dé s’autres qui passent. Nervermagne. Chacun son chemin.
Grand-dieu-des-routes
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C’est-tu du niaisage ça, en monde! «Le cossin c’est le cossin». Franchement! Pas assez homme pour er’connaitre ses torts envers Angélina, en plus. Never more, oui! Peut ben avoir une belle ptite gueule de frau. Rien en arrière, par exemple. Amanché d’même t’es-t-aussi ben d’aller t’cacher pis d’pu survenir en nulle part.
Cégismonde —en criss— Lamothe
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Soir monde en criss…
J’ai ben jonglé à ta lettre de bêtise, y répondre en pareil, gueule de frau tête de fru, mé, ça mène à rien… Je me souviens, quand j’étais ti gars, de l’histoir’du pendu, qu’y avait un fond de vrai… la belle ne l’aimait pas, té clever tu devine le reste… As-tu déjà pensé que c’était pas la noire que je cherchais…
Survenant. Non redresseur de tord.
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Tu m’pinces au coeur là, Surprenant, euhh… Survenant. Tu m’fesses dans mite là. J’en chique la guénille un peu là. Mes airs de Rose Latulipe sapre leu camps à terre un peu là.
Une aut’? Tu… tu vrai ça? C’est… c’est qui tu cherchas après, mon pau’ ti-coune?
Cegismonde, la méméreuse sué bords
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Airs de Rose,
J’te contredirai point dans tes qualificatifs à toé… le yable aurait ben dû t’les amener… J’pense ben que té pire que la mére du pot au beurre noir, toujours un ti mot pour plaire… Té une vré créature, curieuse sans bon sens, mé jte le dirai pas…
À diou va,
Survenant
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Eï non, eï Survenant. Tu vas pas m’chier dins mains d’même! Juss un ti prénom, Survenant. Juss un ti boutte de prénom pi j’te sak patience. Si tu mel’dit m’a t’confier in vieux secret d’sorciére. M’a t’apprendre comment susciter les Jacks Mistigris. C’est toujours utile de pouvoir app’ler les Jacks Mistigris à son secours pour in interlope dans ton genre, qui passe grand temps tou seu su des ch’mins pas sûrs sûrs. Deal?
Cégismonde «pâl au Maudit» Lamothe
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Son ptit nom c’est Sakmouépatience, pis son nom de batèche c’est Blasse. Sakmouépatience Blasse. Tu clair ça, la Monde en monde?
Survenant
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8- D’OU VIENS-TU?
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D’où viens-tu, Survenant?
Louis Martineau
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Comme tu dis si ben mon Louwis j’ai pas mal trotté par route de terre ou ben d’eau, trottant encor cé bin la cause de mon retard. Tu sais bin qu’la souvenance des histoires r’viennent avec un ti boire… Ça pourrait ête la route à tabac, la morue des Sablons, les fers de la Gatineau, la tristesse de Maria ou les chantiers de la Clova… Mé pour ta question cé par le chemin des Patriotes.
Grand-dieu-des-routes
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Vinyenne, Survenant, tu vas pas m’niaiser de même! Si tu veux pas m’parler d’youss que tu rsous, palle-moé au moins in ti brin d’ta trajectoère. Su quelle sorte de route que t’as trotté avant de rsoude au Ch’nal-du-Moène?
Louis Martineau
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Ben voyons Louis!
Les Écureux donnent pas leux cachettes! De l’aval et de l’amont du chemin qui marche, du nord ou ben du sud, l’Acayenne même le sé pas….
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Alors d’Où sé qu’je viens?
Louis Martineau
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Chus toujours là…
Grand dieux des routes
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Pis t’as fait quoi: la drave, le bûchage, le cassage du tabac, les tanneries, les shoppes de sciage?
Ti-Oui
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Cé right true Louis, pis encore plus trente-six de plus… Si t’étais pas loin j’pense ben que j’t’offrirais une ptite shot de la veuve, ma souvenance rviendrait. Quand j’jongle à toute cté années, dé fois chu nostalgique, comme la noire à sa fenêtre… j’me dis que j’aurais plus de mousse si, mais… je pense pareil à bohémienne… Et pis nervermagne, pas de regrets on né comme on né, je demeure…
Survenant
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9- QU’EST-OU QU’O L’E QU’TCHOU GARS? [QU’EST-CE DONC QUE CET INDIVIDU]
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Mé c’ment qu’te caouses, mon gars? À chaque cot’ quand i t’entends, i cré tantôt qu’té dou Poétou, coume moé, tantôt qu’te veï d’mé logne; i pourrais pas dire d’avour. I é ou moins ène chaouse à t’dire: les étranghers, et pis encore les étranghers qu’étant poé de ché nous, i les aimons pas. I te d’mandrons poèt: «D’avour te veï?» ou «D’avour te surveï?», i prendrons nos fourches é i te courrons apras. Veï poé vouler nos poumes itchi.
L’père Matthieu, dans sa farme dou Poétou.
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Je regrette que le père Matthieu ait voulu envoyer à DIALOGUS une lettre rédigée dans son dialecte poitevin. Malgré la proximité de ce parler avec ceux du Québec, il pourrait surgir des problèmes d’intercompréhension; aussi ai-je jugé préférable de placer ici une traduction en un français plus digne d’un site comme celui-ci. J’ose espérer qu’on m’en saura gré.
Louis Roubiac, dialectologue
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«Mais comment parlez-vous, mon cher? À chaque fois que je vous entends il me semble, ou bien que vous venez du Poitou, comme votre serviteur, ou bien que vous arrivez de plus loin; je ne saurais dire de quel endroit. Il est au moins un point que je veux vous préciser: les étrangers, et pire encore les étrangers qui viennent d’ailleurs, nous ne nous sentons aucune affection à leur endroit. Nous ne vous demanderons point: «D’où venez-vous» ou encore «D’où survenez-vous?», nous saisirons nos fourches et nous courrons à votre poursuite. Ne venez point dans nos parages dérober nos pommes.
Matthieu, dans sa ferme du Poitou»
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Ben le salut l’pér Mattiou
On a ben dé vieux malcomodes icitte itou. Le grand dieux dé routes sé comment lé s’amadoué, piqué une ptite pom cé pas ben grave… z’êtes pas si radin en Poitou… d’aprés lé dire P’êtr ben qu’un étrange s’confondrait vec vous’otre. Si tu voué un grand gaillard blanc pi rouquin dans le coin, sors pas ta pique tu suites, faudré causé: d’in coup qu’on aurait in brin d’parenté!
À la revoyure,
Venant
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Bonsoir père Mathieu
Je reviens tout juste de chez Évangéline, mon ancienne maitresse d’école du rang IV. Bien entendu je lui ai montré vos écrits. Tout en flânant aux alentours, ma surprise fut grande en voyant des 200 et 250 ans de fondation avec, vous l’aurez deviné, des noms d’ancêtres venant du Poitou. Évangéline m’a confirmé ses origines poitevines, mais étant survenu toute jeune dans sa région, elle ne m’a rien révélé sur le Survenant. Il y avait dans la région bien des «Races de monde». Alors père Mathieu rangez piques et fourches et sortons l’eau de feu ou de vie.
Survenant
P.S. Ma maîtresse m’a grondé en voyant mon verbe et m’a un peu correctionner…
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Ol é bé vréï itchu! Étchuse-moué. I avé poé pensé qu’i pouvions béï êt’ cousins. Mais o changhe tout’. Te comprends: les étranghers tchi v’nant poué d’ché nous, o faout s’méfier. Les frères et les surs, on est toujours brouillé avec à caouse des tchestions d’héritaghe. Mais in cousin, o l’é poué d’même! Alors te pé v’ni, surtout’ pendant l’hivarte, i avons poué grand chaouse à faire é i nous mettrons ou couin do fû pour que te racontes dou zistouères. Et pi, entre nous: t’en as pas assez d’survenir itchi pi là? T’as pas envie d’avouér ta ferme à toué? Eh bin j’vais ten dire ène boune: l’père Mathurin, mon voésin, l’a qu’ène feuille; o l’é poué in prix d’biâté, mais o l’ét ène solide gaillarde tchi travaille dur. É ale pourra t’apporter ène farme, dou vaches, in tractur é pié d’aout’ chaouses; i pé t’envoéyer les photos, poué d’la feuille mé dou reste.
I t’attends cousin
Père Matthieu.
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Comme je l’avais fait une première fois, je vous envoie une traduction en français; ainsi le public cultivé qui lit DIALOGUS aura-t-il plus de facilité à comprendre.
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Mais cela est vrai. Veuillez recevoir mes excuses. Il ne m’était pas venu à l’esprit que nous pouvions être cousins. Voilà qui change tout. Comprenez, je vous prie: avec les étrangers qui viennent d’ailleurs il est nécessaire de se tenir sur ses gardes. Nous sommes toujours en froid avec nos frères et nos soeurs pour des querelles de succession. Mais avec un cousin il en va autrement. Alors vous pouvez venir, surtout pendant l’hiver: le travail n’est pas pressant, nous nous installerons devant l’âtre pour que vous régaliez l’auditoire de vos récits. Et puis, que cela soit dit en confidence: n’êtes-vous point las de surgir brusquement à un endroit puis à un autre? N’avez-vous point envie de posséder une ferme à votre nom? Eh bien, j’ai une suggestion intéressante à vous faire: mon voisin, le père Mathurin, n’a qu’une fille; il ne s’agit point d’une rivale de Vénus mais c’est une rude travailleuse. Elle pourra vous apporter une ferme, des vaches, un tracteur, et la liste n’est pas close. Je suis à même de vous envoyer les photos, non de la jeune fille mais de tout le reste. Je vous attends, mon cher cousin.
Monsieur Matthieu
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Ben le bonjour cousin Mattiou.
J’accueil vos s’excus, vous pouviez point sawoir, j’pense ben qu’Je dvais pas êt’le seul à galvauder par mers, monts et vals, la parenté y’en a quasi partout. Pis aussi le patrimoine on sé jamais, yé tellement en dettes que dé fois vaut mieux pas y succédé. Ya pas frousse à avoir avec moé. J’aimerais ben r’soude chez vous, pt’êt ben dans l’an qui vient… Nous ôtes icitt en hiver çé ben tranquil din farme itou, pis y’a pu de chantier, y rest que dé curepic dans le bois, comme çé le temps dé fêtes, ça fait qu’on se visit’pis qu’on festoye: du pâté, dla tourtiére, du cipail du ptit blanc un peu caribou, une ptit danse carré pis ça contitue à gauch pi à drette, faut êt’un vrai gargantua pour vivre icitte. Ast’heur citte on se calme en gârdant passer la poudrerie sous lé pagé de clôture, pis le feu de l’âtre nous réchauffe.
Concernant vos entremets à propos dla file de vot voisin, Je vous rmercie grandement, j’espére ben que vous êt’pas compromis avec msieu Mathurin, faudra pas vous met’en brouille à cause de moé. Ya déjà icitte une créature qui me charche le troube parce qui parrait qu’Je rfuse çé zavance. Une farme à mon nom avec tout’le roulant pi le reste ça mé djà arrivé dans le temps ya tré longtemps faudra que je remcontre vot’msieu Bovais pour savoir coment s’en sortir maintenant, dans le temps çétait déjà ben dure… pi j’écoute le parleur mécanic ça pas pas encor maintenant en tout cas… Yé déjà le moment dvous laisser ya encore la fêt à soir à survenir.
Grand-dieu-des-routes
P.S. À propos de «La complainte de la nuit» Évangéline consulte tous ses amis érudits, ça ne chaume pas dans les chaumières, E.N. nous a mis sur les dents.
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10- EN 2005, QUI SERAIS-TU?
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Je voudrais savoir qui tu serais si tu existais en 2005, à quel personnage te rapporterais-tu le plus? Merci à l’avance pour ta réponse.
Vanessa
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Depuis toujours je suis moi. Le Survenant a toujours existé ad vitam aeternam, c’est comme le comte de Saint-Germain et le Fantôme qui marche, mais en mieux, alors je reformule ta question: «que sommes-nous en 2005?» Des hommes et des femmes libres et différents «en quête» de l’inaccessible. Beaucoup d’artistes et de poètes en sont, des circumnavigateurs, des aviateurs de brousse et déjà de jeunes étudiants et étudiantes. En nommer pourrait être discriminatoire ou préjudiciable.
Survenant
P.S. Revu par Évangéline, maîtresse d’école du Rang quatre
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11- LA COMPLAINTE DE LA NUIT
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Sais-tu que souvent je t’envie:
Au moins tu es toujours en vie
Et mieux vaut être Survenant
Que revenant.
Pour les mines émerveillées
Qui t’entourent dans les veillées
Tu fais le joyeux compagnon
Jamais grognon.
Tel peut crier à l’anathème
Mais tu sais qu’une fille t’aime
Et voudrait bien pour l’avenir
Te retenir.
Un jour, pourtant, la route est belle,
Tu t’en iras, calme rebelle,
Et le soir tu t’endormiras
Dans d’autres draps.
Mais s’il arrive que tu sentes
Que des âmes évanescentes
Pour te guider sur ton chemin
Prennent ta main,
Si leur voix te disent: «C’est l’heure,
Prends pitié d’un garçon qui pleure»,
Laisse-les diriger tes pas
N’hésite pas.
Près des croix de mon cimetière
Viens passer une nuit entière;
Tu réciteras du Rimbaud
Sur mon tombeau;
Alors dis-toi si, par la brune,
Tu vois, dans un rayon de lune,
Passer l’ombre d’un korrigan:
«C’est Nelligan»..
C’est du gros pètage de bretelles
Du flafla d’intellectuel
Mais ca s’laisse lire comme de raison
Dans l’fourgon,
Dans charette ou ben dans machine.
Ça soulage pas les maux d’échine
Ça fait jusse accrère qu’on vous aime.
C’t’in powème…Survenant
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12- ONCLE ZÉPHYR
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J’aimerais connaître le patois de l’oncle Zéphyr dans les émissions du Survenant. Merci
Claude
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Su ton raspect, Ti-Claude. Chu pas dans mes grandes illuminations de me figurer de quossé que peuvent aitre c’tes susdites «émissions du Survenant». J’ose en sulement m’adonner à espérer que ces émissions seillent pas trop flatulentes à narine du bon monde du fond de l’alentour. Pis quossé ajouter d’aut’ que de faittte en effet, Zéphyr pale dans son patois, pis qu’on l’a toujours standé d’même.
Tourelou,
Venant
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13- LA MAISON QUE TU AS VU EN RÊVE
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Dis donc, le Survenant, tu crois avoir déjà vu en rêve la maison de Didace. Tu n’aurais pas aimé t’installer là avec la Angélina, et puis la Phonsine et le si gentil Amable —comme il porte bien son nom, celui-là!— ? Sûrement que Didace t’aurait accepté comme un Beauchemin, tu crois pas?
Alex
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Tôrnon, je vas te dire Alex que la chambranle de flagossage de ce que je rêve c’est rien de moins que comme une tempête… surtout quand c’est une shotte de bagosse de trop qu’a knocké le bonhomme pis qui l’a couché drette endormi en travers des tracks du chantier ou ailleurs. Y a ben des engeances de Jack Mistigris pis de trente-six autres types de créatures là-dedans mais que le diable m’enfourche si j’ai déjà rêvé de la maison du père Didace du-dedans ou du-dehors, pis ça, avant comme après que j’y aille été rien de moins que modeste Survenant. Quant à l’idée de m’installer puis de me settler en famille, mets dans ta pipe dret-là qu’avant de seulement l’envisager je voudrais me retrouver en compagnie des Jack Mistigris pis des esquelettes de mes pires cauchemars de boisson ou dans une géhenne sempiternelle.
Venant. Libre pis à tous vents
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14- QUE CHERCHES TU?
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Survenant,
Que cherches-tu en voyageant ainsi, inlassablement, sur les routes? As-tu pensé que le bonheur que tu poursuis pourrait être trouvé en-dedans de toi? À moins que tu ne cherches à te fuir…
Francine
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Francine, ma belle fendante, pense pas que j’couraille apras queuk bonheur foufou en épivarde ou quek paradis pardu fardoché vas savouer comment dins breumes des rangs fermiers pis des routes de portage, rapport qu’tu srais complètment dins pétates avec ça. Pour c’quyen est d’fuir le chien errant qu’est dans mes culottes, t’as ben assez d’jarnigoine de jugeotte pour t’aviser qu’c’est pas ça entoute étou rapport qu’c’est yienk pas faisable en monde in affaire pareille. Dis toé que s’t’apras la libarté qu’j’charche comme tit mouton apras ses méres. La libarté. La libarté pure. Pis ça, ça’s’trouve pas en restant immobile enteur quat’cléons à bailler aux corneilles.
Su vot’respect, tout mon respect,
Venant
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15- UN MET DE SOREL
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Je n’aime pas déranger les gens, surtout les légendes comme vous Survenant, mais est-ce que la «gibelotte» est un mets de chez vous? À moins que j’me trompe, n’est-ce pas du poisson bouilli?
Pierre
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M’a’t’dire mon Pierre, j’ai varnoussé dans trente-six métiers, trente-six miséres pis entre autres jobbines que j’me sus déjâ ramassé pour faire ya eu rien en moins que cook de chantiers. Je peux juss t’en dire que le nom gibelotte est employé pour tant de sortes de concoctions diverses bord en bord d’la province que si fallait qu’tu timbes dans l’lot de tsa t’en finirais drett neyé. J’ai ben peur de pas savoir t’en dire pluss quessa sus l’item.
Lâche pas l’charchage pour autant pis tourelou,
Venant, fend le vent
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Oui, t’as bin raison, mais j’mé trompé j’voulais dire «ratatouille». C’é pas d’la barbotte ça? Continue à meubler nos souvenir d’enfance! Merci!
Pierre
J’y pense-là Survenant, pourquoi tu parles fort de même?
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Pour fend’le vent, mes Pierre. Est bin bonne. Fa l’bon garçon mon p’tit copain. Coudon y’é déyou mon verre? J’en vois deux… Jette tes cartes.
Venant
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T’es tu trompé de question, Venant?
Pierre
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Non, j’me sus trompé d’bouteille…
Venant
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Incorrigible Venant!
Mais tu n’as pas répondu à ma question, Venant, c’est quoi de la ratatouille?
Ti-Pierre
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Une magnierre de mangeaille de je ne sais trop. Gosse les criyatures pour des patentes pareilles.
Venant
GOUINES COQUINES DE CE MONDE (Corinne LeVayer)
Posted by Ysengrimus sur 15 juillet 2015
Voici cent cinquante poèmes érotiques lesbiens qui assument sereinement leurs prises de positions et l’ardeur sans ambivalence de leur explicite. Ce recueil s’inscrit dans une dynamique ouvertement libertine, homosexuelle, femme (au sens, classique désormais, de l’écriture femme), tout en cultivant la touche féministe requise et, surtout, tout en parlant ouvertement et très librement d’amour, de béguins, de passion, d’intimité sexuelle et de séduction. Et on en parle ouvertement et crûment.
Il n’y a pas d’ambivalence, tant sur le propos que sur sa formulation. Machos égocentriques et mijaurées pusillanimes, s’abstenir… L’exercice, remarquablement mené, se déploie en une versification irrégulière syncopée, sinueuse et coupante, un peu comme un solo jazzique de contrebasse ou de piano (l’auteure joue d’ailleurs ces deux instruments). Imaginez, pour la forme (pour la forme, hein, pas pour le contenu!), pour la structure poétique, une fusion, hachée et chantante, entre un grand ancien du vers irrégulier (Jean de Lafontaine) et un grand moderne de l’imagerie atonale en vrac (Jacques Prévert). Plus moderne qu’ancienne dans son écriture, en fait, Madame LeVayer cite pourtant, au nombre de ses inspirations: Clément Marot, Pierre de Ronsard (on sait que ce dernier ne dédaignait pas la poésie érotique), François de Malherbe, Vincent Voiture, Edgar Allan Poe et, bien sûr, Sappho. Ces cinq poètes et cette poétesse font d’ailleurs l’objet d’une très courte adaptation moderne/lesbienne chacun. Ces petits pastiches-pochades sont parfaitement savoureux et magnifiquement dominés (surtout ceux de Poe et de Sappho). Mais là, attention, il ne faut pas aller se leurrer au jeu, obligé et parfois trompeur, des références et des sources d’inspiration. La poésie de Corinne LeVayer est en fait, immensément et sidéralement originale, fraîche, vraie, neuve. Si elle invoque, de ci de là, les nymphes, les fées, l’imagerie bucolique et trois ou quatre figures lesbianisables de la mythologie antique (Diane, Atalante, Minerve et, dans une moindre mesure et indirectement, Astarté), cette poésie, d’un ciselé et d’une vigueur remarquables, s’inscrit plutôt, ouvertement et nettement, dans une modernité urbaine évoquant les boites de nuit lesbiennes, la consommation de drogues dures (comme la cocaïne ou les amphétamines), la prostitution homosexuelle, et le jazz (sont d’ailleurs mentionnés, avec un amour sans mélange, les seuls hommes qu’on daigne laisser entrer en ce cénacle: Charlie Mingus, Jimmy Blanton, Thelonious Monk, Miles Davis). L’évocation verbale, parfois dansante, parfois gutturale, toujours vive et juste, de la musique est particulièrement précise, inspirée et sentie.
En plus de recevoir de plein fouet une poésie déconcertante et fascinante par sa puissance, sa sensualité torride, sa verve criée et sa formidable volubilité de formulation, libertaire et crâneuse, on vit aussi, de surcroît, une singulière expérience de poésie narrative. Chacun de ces cent cinquante poèmes lesbiens peut se lire isolément, comme le permet classiquement toute expérience poétique élémentaire. Lire ces poèmes (très souvent des portraits de femmes, parfois des évocations descriptives passives ou contemplatives, parfois des micro-récits singulièrement fluides et vifs, toujours surprenants) en les butinant dans le désordre est déjà en soi une jubilation fort intense. Mais le fait est que ces textes s’agencent aussi dans un ordre de déploiement construisant une combinaison agencée de miniatures et mettant en place, par touches, un récit plus large.
Nous suivons donc Corinne qui est contrebassiste dans un petit quintet de jazz qui se nomme, sans complexe, THE SWINGING DYKES (jeu de mot: les gouines qui ont du rythme et/ou les gouines qui changent constamment de partenaires sexuelles). Ledit quintet se produit dans un bastringue lesbien (traduction, ma foi fort heureuse, pour dyke joint) qui s’appelle Le Lutin Rouge et se trouve non loin du port d’une ville côtière non nommée (l’auteure travailla de nombreuse années comme musicienne et productrice de spectacles à Atlantic City, New Jersey). Ces musiciennes, toutes homosexuelles, terminent habituellement la soirée en draguant et/ou se prostituant (uniquement avec des femmes, de discrètes bourgeoises la plupart du temps). Dans un tourbillon de joie bruyante et bigarrée, rendue partiellement grotesque et artificielle par l’effet des drogues dures qui neigent à profusion, on rencontre l’interlope et internationale faune de femmes venues s’encanailler ou se retrouver, ouvertement ou secrètement, dans cette boite de nuit homosexuelle portuaire. De texte en texte, des liens se nouent entre les cinq musiciennes (Lydie au cornet, Élouade à la clarinette, Doudou à la batterie, Inferno au piano et Corinne, notre narratrice, à la contrebasse) et avec le flot fantastique, polymorphe et planétaire, des gouines coquines urbaines, prolétariennes ou mondaines, venant se trémousser au son de ce be-bop nerveux, pour femmes seulement. Des idylles se nouent et se dénouent, des conflits éclatent, des débats sur l’homosexualité, le consumérisme sexuel, l’inconscient phallolâtre, les fantasmes lesbiens et les modes capillaires se formulent ouvertement et se tranchent aussi net. Reconnue parmi ses pairs pour sa langue bien pendue et son aplomb indémontable, Corinne est une libertine, mais une libertine qui menace…
De plus en plus éreintée, esquintée, démontée, lasse, taraudée par la drogue et l’affaiblissement inexorable de ses grandes mains de musicienne, Corinne ne cherche pas du tout le grand amour. Cela, on le sait tous et toutes, est souvent le meilleur moyen de le trouver et de voir sa vie d’autrefois abruptement fracassé par lui… Je ne vous en dis pas plus.
Ce recueil étonnant, extraordinaire, unique, se lit d’une traite. La passion, la folie, l’homosexualité, la drogue et la musique nous y prennent au corps, du début à la fin. À ne pas mettre entre toutes les mains ou entre toutes les oreilles… seulement les mains les plus agiles, seulement les oreilles les plus exercées.
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Corinne LeVayer (2012), Gouines coquines de ce monde, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.
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