Le Carnet d'Ysengrimus

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Archive for the ‘Civilisation du Nouveau Monde’ Category

LA MAGIE DE DANIEL T. (film documentaire de Nicolas de la Sablonnière, 2019): Certainement magnifique, mais, bon… pas si magique

Posted by Ysengrimus sur 1 juin 2023

Magie de Daniel T.

Moi, ce que j’aime, c’est les peintres qui me surprennent, tsé…
Daniel T. Tremblay

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YSENGRIMUS — Nicolas de la Sablonnière, dit Delasablo, poursuit la réflexion sur les artistes marginaux qu’il a amorcée dans ses précédents documentaires, Tomahawk et Planète Bol. On nous présente aujourd’hui un peintre saguenéen du nom de Daniel T. Tremblay. Le monsieur est littéralement et très exactement un peintre obsessionnel. Il travaille sur toutes les surfaces, principalement à l’acrylique. Il configure géométriquement ses œuvres picturales, notamment en utilisant des étampes et des stencils. Les bombes aérosol de peinture lui servent à disposer ses motifs, d’une façon nette et prompte, et cela lui suscite de la satisfaction. De fait, il peint avec tout, brosses, pinceaux, jet direct ou flageolant de couleurs. Son corpus est gigantesque. Non seulement il peint avec tout, mais il peint sur tout. En effet, une des caractéristiques remarquables de cet artiste, c’est qu’il peint sur à peu près n’importe quels objets. Il peint sur de la toile, sur une porte de garage, sur des portes d’armoires, sur des pots de fleurs, sur les quatre faces de morceaux de bois parallélépipédiques, sur des tables de restaurants qu’il trouve dans le recyclage, sur des guitares, sur des sacs, sur la poubelle de sa cuisine, sur sa boite à lettres. Tout, pour Daniel T. Tremblay, est susceptible de se trouver réinvesti par la couleur et les configurations formelles.

La peinture de Daniel T. Tremblay peut être semi-figurative ou non-figurative. Il n’hésite pas une seconde à qualifier ses œuvres de décoratives. Ses représentations de faciès sont saisissantes. Comme le signale monsieur Tremblay, ceux-ci nous regardent toujours de face, jamais de profil. Le corpus est extrêmement diversifié, constamment renouvelé. Le travail est exploratoire. Convulsionnaire. Maladif. Compulsif. Et les œuvres de s’accumuler, après trente ans de production. Elles se comptent par centaines, possiblement par milliers. Les tableaux et objets peints par Daniel T. Tremblay sont entreposés dans différents endroits. L’attitude généreuse de quelques bons samaritains, que l’on rencontre tout au long du film, fait que le gros de son corpus n’est pas perdu, disons, pour l’instant. Pas perdu mais pas inventorié, non plus… C’est un vrac… soigneusement et respectueusement emballé, mais un vrac tout de même. Monsieur Tremblay se diffuse peu mais il produit beaucoup. Le sens visuel remarquable de Nicolas de la Sablonnière, qui est lui aussi peintre, nous permet ici évidemment de découvrir le cheminement d’un artiste parfaitement passionnant. La caméra capture les couleurs, poursuit les formes, rencontre et fait valoir les matériaux, étudie les variantes infinies de l’œuvre. L’exploration. La magie. Voici que monsieur Tremblay, à la ville, tombe en arrêt devant un ci-devant truc en métal de la ville pour tenir les arbres [sic]. C’est une de ces grilles circulaires disposées au sol, tout contre la surface terreuse, et qui attend un arbre qui n’est pas encore planté et encadré par elle. Monsieur Tremblay, en gaminet blanc, bombe cette grille métallique d’une bonne couche de peinture noire et se couche à plat ventre dessus. Un motif grillagé pour gaminet est né. Applaudissements approbatifs des quelques badauds témoins de la scène.

Les choses qui, dans la présentation d’ouverture du documentaire, semblent s’amorcer tout doucement, presque sereinement, vont, à mesure où on va avancer dans la compréhension de la situation et du cheminement de cet artiste, se mettre à sérieusement grincer. C’est que Daniel T. Tremblay en est venu, comme fatalement, à être envahi, dévoré, submergé, tourmenté par son art. Et cela a littéralement foutu sa vie en l’air. Sa vie maritale en l’air, sa vie familiale en l’air, ses conditions financières en l’air, son équilibre psychologique en l’air. Il est ce qu’on appelait autrefois un maniaco-dépressif. On parle aujourd’hui plutôt de bipolaire. Je ne me gêne pas pour le dire. Je suis bipolaire et je me soigne. Il faut bien comprendre que les gens qui sont dans ce genre de situation, comme monsieur Tremblay nous l’explique dans le documentaire, passent par des phases d’activités intensives (picturales, dans son cas) qu’on appelait autrefois les phases de manie. Et celles-ci sont suivies d’intenses phases d’affaissement dépressif. Le tout est susceptible d’engendrer des comportements déviants de toutes natures, notamment des comportements violents. On découvre que la conjointe de monsieur Tremblay a été obligée de le quitter. C’est une artiste, elle aussi. Une artisane verrière. On la rencontre. Elle nous parle, sur un ton serein et lucide, de l’homme et du peintre. Lors d’une descente aux enfers corrélée à la production d’un grand tableau, Monsieur Tremblay a posé des gestes violents. Conséquemment, il a fait un séjour en prison et en institution psychiatrique. Son ex-conjointe nous évoque donc la réalité d’un artiste littéralement bouffé par son art. Ce peintre hyper-productif ne cultive aucun des gestus institutionnels habituels. Il vend peu. Il est mal connu. Maintenant, il vit seul, entouré de son œuvre. Je les aime, mes tableaux, dit Daniel T. Tremblay. Et il est clair que de les produire chez lui, en son monde, et de les savoir autour de lui a beaucoup d’importance pour lui.

Un fait particulièrement intéressant et relativement nouveau dans le triptyque documentaire de Delasablo, sur les artistes marginaux, si on compare avec les deux artistes précédemment évoqués, c’est que monsieur Daniel T. Tremblay a une doctrine picturale élaborée et formulée. Il a une vision de l’art et une analyse de son héritage artistique. Il les présente, les exprime. Il fait les musées et les expositions, seul ou avec ses vieux comparses. Quand on lui propose de comparer l’œuvre et l’impact de deux peintres saguenéens, il sait parfaitement quoi dire. Il a des grands peintres de référence. Paul-Émile Borduas, Riopelle, Frère Jérôme sont pour lui des figures déterminantes, plus cruciales même que les peintres européens ayant élaboré l’art moderne. Incidemment, et très modestement, Daniel T. Tremblay nous dit que s’il n’y avait pas eu de Riopelle, il n’y aurait pas eu de Daniel T. Tremblay. Tant et si bien qu’en écoutant ce personnage diversifié, non seulement on découvre et saisit mieux comment il travaille, mais on prend aussi connaissance d’une visée compréhensive sur l’art pictural. Cette doctrine des Beaux-Arts va d’ailleurs, au cours de l’exposé cinématographique, prendre un tournant tout à fait intéressant. À 1:08:30 se présente une sorte de film après le film ou de film dans le film. On voit apparaitre le titre Les face-à-face avec Christiane Cardinal. Et, à partir de ce moment-pivot du film, on va rencontrer d’autres artistes, la majorité d’entre elles, des femmes (dont, justement, Christiane Cardinal). On va aussi visionner leur corpus de tableaux, adéquatement échantillonnés par la caméra. Avec ces femmes artistes, Daniel T. Tremblay interagit, directement, simplement. Il va voir leur travail dans leurs studios, discute avec elles. Les voici qui comparent leurs techniques. Ils se parlent les uns des autres. En un graduel crescendo, on les voit s’accumuler, se retrouver, se regrouper, casser la croute ensemble. Et le tout se conclut dans une exposition entre amis, assurée par Daniel T. Tremblay, chez lui. Les médias locaux couvrent alors l’événement. La magie opère quand même un peu.

On prend pleinement la mesure de ces deux dimensions, celle du peintre solitaire, convulsionnaire, crispé sur son travail et celle de l’amateur d’art éclairé, rasséréné, calmé, pondéré et qui interagit respectueusement et intelligemment avec d’autres artistes. Ces deux facettes de l’artiste et de l’homme Tremblay sont montrées, intriquées et complémentaires. La cinématographie de Delasablo continue d’être parfaitement satisfaisante. Les couleurs sont nettes. La colorisation opère, discrètement et bien. Les dispositifs spatiaux extérieurs sont joliment découpés, maisons, rues, rivière, parcs. Les intérieurs sont à la fois intimistes et originaux. L’appartement d’un peintre. On a, sous les yeux, en fait, trois corpus d’œuvres d’art, distincts et complémentaires. Celui du peintre qu’on découvre, celui des autres artistes qu’il côtoie ou commente, et celui du documentariste qui nous guide dans cette double découverte. Ledit documentariste sait parfaitement dominer sa présentation. Ses questions d’entrevue sont brèves, senties, limpides. Verbalement et visuellement, il expose son propos avec maîtrise et justesse. Le montage est efficace. La présentation visuelle des choses vaut, pour elle-même. On sent, en visionnant ce film, que Delasablo aime faire du cinéma. Dans de beaux moments finement croqués, on voit Daniel T. Tremblay en train de faire son épicerie, de se préparer à manger, de manger ce qu’il s’est préparé, de passer son aspirateur, de prendre ses pilules multicolores et de recycler son pilulier pour l’intégrer à une œuvre d’art. On le voit en train de peindre aussi, évidemment. Sous le regard d’une caméra amie, monsieur Tremblay vaque à organiser sa petite vie. Il reçoit la visite de son ex-conjointe et de son fils. On les accompagne dans leur repas et leur conversation sur les idylles de bals de finissants et les crises historiques de l’art québécois. La cinématographie de Nicolas de la Sablonnière est toujours très heureuse et très sûre. Cela nous donne à prendre connaissance, encore une fois, d’un exposé solidement amené. Cet opus a, de plus, la qualité indéniable de nous fournir l’exaltation artistique, visuelle et esthétique qu’il entend livrer, tout en nous imprégnant de la cohérente continuité de la subtile réflexion delasablienne sur les grandeurs et les affres de l’art non-institutionnel. Qu’en est-il des artistes marginaux? Qu’en est-il de leur vie et de celle de leurs pairs? Qu’en est-il de leur lancinante souffrance? Et qu’en est-il de leur existence ordinaire, quotidienne? Que se passe-t-il, en dehors des circuits de gloriole et du spectacle bourgeois de l’art? Rien de si magique, en fait… On le sait tant tellement trop bien… et c’est justement pour ça qu’il faut tant tellement qu’on nous le montre.

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LA MAGIE DE DANIEL T., Nicolas de la Sablonnière (dit Delasablo), 2019, Antarez films et Gene Bro Prod, film documentaire de 131 minutes.

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LE CŒUR AU LARGE — POÉSIE ET AUTRES JONGLERIES (Diane Boudreau)

Posted by Ysengrimus sur 21 mai 2023

frene-en boise

Et vous, où est votre demeure?
(p. 63)

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La démarche poétique de Diane Boudreau se poursuit, dans une ambiance discrète de remise en question implicite et explicite des errances de la ratiocination. Il ne faut pas trop penser de façon froide et calculée. Il ne faut pas trop réfléchir de façon configurée. Il faut découvrir les vertus sapientales du laisser aller. Les pulsions naturelles qui nous ouvrent à la poéticité de l’être et de l’expression doivent moins être suscitées que préservées. Elles sont en nous. Elles y sont, n’y touchons pas trop. Cette vision, méthodiquement spontanéiste, traverse toute l’œuvre de Diane Boudreau, mais dans Le cœur au large, la formulation de ladite vision accède presque à une dimension de manifeste. Car effectivement, l’autrice ne se gêne plus pour bien faire sentir les ficelles, tant dociles qu’indociles, de ce qui peut se manifester au sein de son écriture. On ne dit pas spécialement des choses nouvelles, ici. On dit tout simplement les choses que l’on sent. Et la question de savoir si ces choses dites sont innovantes, ou novatrices, se pose moins que celle de savoir si Expression et Émotion se rencontrent adéquatement et dénichent ensemble leur verve vive. Tributaire d’une pensée excessivement construite, la tête au timon, ne doit pas empêcher de s’épancher… le cœur au large. Non pas des choses nouvelles, donc, mais d’une manière nouvelle.

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Fragments de juin (1)

Je ne fais que secouer les braises
et ne vous apprends rien de plus
que vous ne sachiez déjà,
si ce n’est la confiance.
La fleur s’ouvre au soleil.

Une tête savante pourrait empêcher le cœur de s’ouvrir
et gâcher une vie,
comme une fleur trop lourde pour sa tige.

Ai dû apprendre à me méfier des spécialistes, des intellectuels.
Pourtant, j’en suis…

Ai donc appris à douter de moi-même,
laissant plus grande place à l’intuition
sage et rebelle.
(p. 72 — typographie et disposition modifiées)

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Une fois reconnue et mise en forme, explicitement ou implicitement, la vision selon laquelle il n’y a pas vraiment de poésie de tête et que l’expression doit se donner une dimension constructiviste minimale, sinon volontairement limité, l’étape, qui se met en place, c’est celle mobilisant l’intuition. Une certaine dimension automatiste se profile alors, dans la vie comme dans l’écriture. Et ici, je me permets de m’approprier une métaphore subconsciente qui percole, chez l’autrice. Effectivement, dans un poème très vif et très frais, Diane Boudreau évoque une jeune fille jouant au foot (soccer). En mirant la chose attentivement, on finit par comprendre et par décoder que cette jeune fille s’adonne, certes, à un sport construit, articulé, balisé et formulant ouvertement des objectifs. Mais, en fait, on a ici la poétesse elle-même, qui, dans le cadre disposé et en en mobilisant tout la flexibilité… fonce, avance, selon son intuition. Elle n’élabore pas. Elle n’échafaude pas. Elle joue.

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Elle joue

Elle joue
Sous un soleil d’Atlante
la sueur suinte dans son cou

Elle joue
Sous une pluie battante
ses pieds dérapent dans la boue.

Vite évaluer, penser, agir
Parfois le geste est propulsé
coup de pied donné
tête percutée sur le ballon qui vire
avant même que la volonté agisse
que la pensée surgisse

Présence, réflexes, vives intuitions
s’activent et la supporte

Elle joue avec passion.
(p. 25 — typographie et disposition modifiées)

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Dans la dynamique ludique, va se mettre en place la dimension verbale de la démarche. Mais cette dernière devient subitement plus secondaire, ancillaire. Notre sacro-saint verbe se configure de plus en plus comme quelque chose de cerné, en monde. Notre volonté d’expression établit sa jonction avec des reflets, des réalités et des faits profonds, qui ne sont pas nécessairement langagiers. Oui, quelque part, d’avoir beaucoup travaillé des mots et du langage, on finit par bien stabiliser l’autonomie du factuel. On détecte que tout cela, finalement, porte sur notre connaissance du monde et, à travers le filtre de ladite connaissance du monde, elle-même mâtinée et habillée de langage, ce qui est en cause, c’est l’être. L’être et le faire. Bien loin de blablater et de dégoiser, ce qui finit par frapper le cœur, et le ramener du large, c’est pas la parole mais l’action. L’action. L’action. L’action.

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Total élan

Action action action

Pour elle
au vif du quotidien
l’amour ne se dit pas tant par les mots
mais par les gestes
gestes
gestes

milliers de gestes offerts
dans un total élan
pour les siens
chaque jour

Amour amour amour.
(p. 19 — typographie et disposition modifiées)

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Les actions sont colossalement multiples. Diversité historicisée. Mais il faut bien s’aviser du fait qu’elles sont aussi très lourdement engoncées dans leurs limitations. Limitations matérielles, naturelles, bien sûr, mais aussi l’imitations sociales, historiques, collectives. Et cet implicite lancinant est toujours présent, chez Diane Boudreau. La société, étendue, est sous-tendue de rapports de forces. Et ces rapports de force ont tendance à impacter sur ce qui nous définit et sur ce. que notre intervention d’existence s’efforce d’être. Et il y a, entre autres, les limitations que subit le travail, le bel ouvrage. Des instances sourdes, dont les motivations restent souvent fort questionnables, bidouillent le bel ouvrage. Et cela résiste. Et la question se pose de savoir ce qu’il restera de ce que l’on a voulu faire. Face à cette situation, que nous connaissons tous et dont nous vivons tous, Diane Boudreau perpétue une vision optimiste, prométhéenne, sororale. Si tous les gars et les filles du monde pouvaient se donner la main, on arriverait à en construire, des choses belles et significative…

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Tôt le matin

Tôt le matin
tu pars
construire des chemins
qu’ils détruiront le lendemain

Tu le sais
et tu n’y peux rien

Mais va, je t’aime
je pense à toi

Qui sait
peut-être que demain
la terre
aura tourné

Si dix millions de femmes espèrent
dix millions d’hommes y croient
peut-être que la terre…

il est tard
Allez… va!
(p. 33 — typographie et disposition modifiées)

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La conscience, mise en forme poétique, des réalités socio-historiques, même si elle se formule largement dans l’implicite, ne laisse pas la poétesse trop éloignée des grands cycles. Un cycle tout particulier qui prend une importance saillante, dans le recueil du jour, c’est le cycle naturel des saisons, et le jeu stable des métaphores qu’il emporte comme une brise devenant bise. Une portion significative de ce recueil rétablit le rapport, si contrasté et si accusé dans notre beau pays nordique, avec le rythme des saisons. Et, bien sûr, la saison qui reste primordiale, dans la définition de l’être de cette francophonie qui a tant su s’épingler et se perpétuer au nord, c’est l’hiver.

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Hiver

Enfin la lumière
enfin la froidure
la neige blanche et pure

La vie nous fait cadeau
de la blancheur du monde

Gros bas de laine
de toutes les couleurs

foulards, mitaines
emmaillotées d’amour

chocolat chaud
douce chaleur autour

foyer de pierre
où danse la lumière

Noël
(p. 53 — typographie et disposition modifiées)

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Mais, bon enfin, que nous vaut l’hiver, si n’apparaît pas, dans son espace de la boucle du cycle, la dimension et la dynamique qui lui permet de se définir et d’exister. Que serait l’hiver sans son frère, sont contraires, l’été. Et lui aussi mérite d’être évoqué car, et cela échappe trop souvent à nos bons amis de la francophonie-monde, l’été québécois est d’une intensité peu commune. Il peut laisser, lui aussi, son impact, discret mais solide sur le tout du cheminement. Nous l’assumons, l’été, lorsqu’il s’agit, imparablement, de circuler sur le cerceau des saisons, sans s’y trouver cerné.

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Dormance

Un peu de paix
sous le soleil

Et le silence

Bonheur discret
des matins de juillet

Y aspirer déjà dans la dormance
et la froidure cristalline
de l’hiverqui s’attarde indûment

(p. 45 — typographie et disposition modifiées)

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L’univers de Diane Boudreau, dans son rapport au cycle des saisons, nous amène finalement à perpétuer notre conscience du cycle de la vie, même. Ce cycle, on ne le voit jamais de la même manière, le matin, le midi, et le soir. Bon, admettons-le, Diane Boudreau est plus du soir que de quoi que ce soit d’autre. Et sa conception, tout en maternité, tout en sororité, tout en filialité féminine, l’amène, bien sûr, à se définir en ce que sera. Il s’agit du support et de l’appui des instances par les autres instances, lorsque s’impose le poids, inexorable, du soir de la vie. Et de se dire, par l’appel.

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J’appellerai

Elle avait pris grand soin de moi
ma mère
sa vie durant…

Quand vint le temps
j’ai pris soin d’elle.

Aujourd’hui, qui veille sur moi?
Ma fille
elle qui n’a pas d’enfant.

Alors
lorsqu’elle aura mon âge…

J’appellerai le vent
la pluie et le soleil

la neige et les forêts
les pics et les sarcelles…

je les appellerai
et ils prendront soin d’elle.
(p. 29 — typographie et disposition modifiées)

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Le recueil de textes Le cœur au large Poésie et autres jongleries contient 40 poèmes et 2 miniatures en prose. Il se subdivise en trois petits sous-recueils, disposés thématiquement: Cœur scellé (p 9 à 29), Souvenances (p 31 à 41), Humeurs saisonnières (p 43 à 56), et Pensées du soir (p 57 à 75). Ces textes sont suivis d’une table des matières (p. 76 à 77), d’une table des illustrations (p. 78) et d’une page de remerciements (p. 79). Le recueil est précédé d’un exergue, d’une préface de l’autrice intitulée Laisser une trace (p 6 à 7). L’ouvrage est illustré d’un tableau paysager (première de couverture, en couleurs) et de onze dessins et photos en noir et blanc.

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Diane Boudreau, Le cœur au large Poésie et autres jongleries, Diane Boudreau, 2021, 80 p.

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Extrait de la quatrième de couverture de Hélène Bédard (typographie et disposition modifiées):

« Le cœur au large » c’est comme une musique qui vous étreint, vous enveloppe, vous réchauffe, vous amène au large et laisse en vous des traces…  

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ÉVIDENCE CRIANTE (Version française de DEAD GIVEAWAY)

Posted by Ysengrimus sur 6 mai 2023


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ÉVIDENCE CRIANTE
(Version française de DEAD GIVEAWAY)

J’ai su que quelque chose clochait vraiment
Quand il s’avéra que cette jolie jeune fille blanche
Se jetait, comme ça,
Dans les bras
D’un homme noir…
Évidence criante!
C’était une évidence criante!

Ce voisin, il avait une sacrée paire de couilles
Car on le voyait tous les jours.
On a mangé des grillades avec ce type
Et on aurait jamais pu imaginer
Que cette fille était dans sa maison.

Elle a dit: aidez-moi à sortir de là.
Alors j’ai entrouvert la porte
Mais c’était pas possible d’entrer.
On pouvait que passer
La main par l’encoignure.
Alors on a défoncé
À coups de pieds
Le bas de la porte.
Et elle est sortie.
Et elle a dit:
Il y a d’autres filles dans cette maison.
Appelle le 911.
Et ils ont pincé le type au Macdo.

J’ai su que quelque chose clochait vraiment
Quand il s’avéra que cette jolie jeune fille blanche
Se jetait, comme ça,
Dans les bras
D’un homme noir…
Évidence criante!
C’était une évidence criante!

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Il y a dix ans aujourd.hui, à Cleveland (Ohio), monsieur Charles Ramsey (notre photo) a sauvé mademoiselle Amanda Berry (ainsi que trois autres personnes) qui était séquestrée chez un de ses voisins et ce, depuis dix ans (2003-2013). La culture internet avait alors fabriqué, depuis l’entretien impromptu de monsieur Ramsey sur la question, la ballade humoristique DEAD GIVEAWAY. En hommage respectueux de ce moment vernaculaire à la fois charmant et héroique, je vous livre ici la version française de cette ballade.

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MOI, JE RESTE — HISTOIRE D’UN DEUIL (Anna Louise Fontaine)

Posted by Ysengrimus sur 15 avril 2023

Anna-louise-fontaine-fondatrice

On m’a souvent dit que j’avais du talent pour la chute des poèmes, les mots de la fin. Ainsi, je voudrais terminer cette histoire d’amour en beauté. Que tous sachent qu’elle n’a rien de banal  (p. 101).

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Dans ce dense ouvrage, son quatrième, Anna Louise Fontaine est fermement décidée à prendre en charge son discours et ce, sans artifice. Le moment est venu de prendre la parole. Pas pour les autres. Pas pour revendiquer la justice sociale et dénoncer la folie du système. Non! Pour m’exprimer. Sans craindre de ne pas être acceptable. Avec mon ombre et ma lumière. Sans avoir peur d’être jugée ou rejetée. Monstrueuse ou insignifiante. D’être trop ou pas assez (p. 80). Elle se formule enfin ici, la décision explicite de prendre ses distances avec les contraintes de conformité factuelle et interpersonnelle et d’assumer enfin que les choses se disent et s’écrivent dans l’angle, et sous un point de vue, et selon les perspectives d’une sensibilité actualiste qui vibre subjectivement. De toute façon, tout le monde se raconte des histoires (p. 169). Une telle option ne libère pas nécessairement l’autrice de la sensibilité de ses lecteurs et lectrices ou de leur regard. Effectivement, il est très important, pour l’écrivaine en crise, de communiquer ce qui se passe, de se formuler à travers le canal de ses ressentis et de dire ce qui doit être dit, frontalement, même si c’est douloureux. Il y a là une aspiration très profonde, devant laquelle commence même à se dégager un certain regard critique. Peut-être est-ce que je projette mon propre désir. J’avoue écrire pour les autres. Qu’ils sachent que leur aventure n’est pas si différente de la mienne. Si les quelques réponses que j’ai pu trouver peuvent leur servir, ne serait-ce qu’à ne pas se sentir seul, je n’aurai pas écrit en vain. S’ils se reconnaissent dans mes paroles, ils douteront peut-être moins d’eux-mêmes (p. 103). Nous sommes bel et bien dans une situation où des choses ardues seront dites et ce, d’une manière difficile. Le développement est principalement en prose, une prose très sobre, très sentie. La phrase est courte, limpide, sûre. Il y a bien quelques poèmes qui émaillent la présentation, mais ceux-ci ne sont pas aussi déterminants que dans les autres ouvrages de l’autrice. Le prosaïque domine ici. Tenons-nous le pour dit.

On nous présente, dans cet ouvrage, la mise en place journalière des étapes inexorables d’un deuil. Le résultat ultime sera la conquête d’une paix intérieure, l’accession à une sérénité. Voilà. C’est donc à l’émergence cuisante et acide d’un bien être post-mortem qu’on nous convie. Cher Charles, cette fois-ci je ne compte pas me rebiffer. J’accepte ta mort, tout comme le temps qu’on a vécu ensemble. Et je danse sur la musique du présent. Je me sens vivre si fort que je n’ai plus peur de la mort. Je me libère de tout ce qui m’enchaînait. Je prends mon envol comme un cerf-volant quittant les mains qui voulaient le diriger. Je vais danser dans le vent, avec sa brise. Je me libère de la mort, parce qu’elle n’est que la peur de vivre (p. 248). Tout est dit. Rien ne s’esquive. Simplement, le fait est que ce bien-être post-mortem devra s’acquérir de haute lutte. En réalité, il y aura un chemin extrêmement douloureux et sensible à parcourir. Ce sera long, durable, contraignant. Il faudra se donner le temps de stabiliser un résultat perceptuel et émotionnel pas du tout évident, au départ. Se donner tout le temps. Mais le temps prend son temps (p. 208). On évoque le conjoint ayant partagé la vie de l’autrice pendant quinze ans. Charles, c’est un vieil ami. C’est pas nécessairement le premier partenaire de vie et c’est un personnage qui, comme l’autrice elle-même, révèle des caractéristiques sociologiques dument stabilisées. Les deux émanent d’un univers calmement imbu de confort émotionnel… justement, cette tranquillité acquise qui s’effiloche subitement, avec la proximité de la mort. Charles et moi sommes issus du même piège qui nous a valorisés avant que nous ayons pu découvrir notre propre valeur (p. 34). Même s’il est jeune en temps réel, on a ici affaire de fait à un couple âgé, un couple étant subrepticement entré dans le campement bien connu des accommodements et des ajustements. Nous sommes dans ces mondes et dans ces temps où aimer, désormais, c’est… accepter d’aimer. J’avais accepté de l’aimer malgré ses travers et ma place à négocier chaque jour. Je me fichais pas mal du regard d’autrui, des revendications féministes et des jugements psychanalytiques. Comme son ex, je l’aimais malgré moi, malgré tout (p. 169). On en vient vite à sentir que l’autrice vit, en fait, un certain nombre de problèmes procédant de la perte de soi et de l’absorption par l’autre, à l’intérieur de ce couple. La personnalité du susdit Charles était certainement densément présente et assez envahissante. Or, soudain, tout à coup, cette persona mirifique, elle se craquèle et s’effiloche, avec la proximité de la mort et l’effet corrosif de la maladie qui la ronge. Cela entraîne un ensemble de questionnements qui touchent à la fois le rapport de couple et la vie personnelle de l’autrice. Où est ma vie à moi? Il m’arrive même de me demander si je l’aime encore. Qu’est-ce qu’aimer signifie dans ce contexte? Être au service de l’autre? Répondre à ses désirs, alors que je ne suis plus attentive aux miens? L’impatience me guette. La honte aussi, de faire passer mes besoins avant les derniers souhaits d’un mourant (p. 124). Indubitablement, ici, en cette crise de fin de vie, on perd ses repères conventionnels et on en vient à entrer, assez frontalement, dans des questionnements, notamment au sujet de cette curieuse merveille fripée et problématique que prétend, toujours un peu malgré nous, être l’amour. Je ne me rappelle plus ce que j’aimais de lui. Je me demande parfois si celui que j’aime n’est pas déjà mort et ce que je fais là, à répondre aux exigences d’un pauvre dément. La maladie n’a pas seulement pris son énergie et sa santé, elle m’a volé mon amoureux. Ce soir, je suis bien triste. Notre histoire m’échappe. Elle est remplacée par une caricature. Ce soir, je suis furieuse. Mon amour est mort. Ce soir, je suis bien seule (p. 150). On fait pourtant face ici à une opportunité, cruelle, virulente, fatale, pour l’autrice de réorganiser sa pensée, de reconfigurer sa vision et de s’installer dans une dynamique où finalement la place donnée à l’autre sera graduellement remplacée par la place que l’on se donne à soi, selon une logique autonome qui, implacablement, prendra corps. J’ai le choix des souvenirs que je me fabrique, de ce que j’ai aimé en lui et de ce que j’ai détesté. Et j’ai à jamais la possibilité de me rappeler de cette relation comme d’un grand amour. Qu’importe ce qui n’était pas parfait. Je n’en retiens que ce qui me plaît. De toute façon, nous créons notre réalité et celle de nos souvenirs. J’avais besoin d’écrire, de danser et d’aimer… et comme Charles passait là… par hasard ou peut-être pas… (p. 159). L’homme qu’on quitte, c’est l’homme d’un temps et c’est aussi ce temps qu’on quitte. L’homme que la vie nous force à abandonner, à cause de la douleur et du déclin dû à l’agonie, va se trouver graduellement remplacé, en nous, en notre être, par le souvenir qu’on décide d’en instaurer et ce, tant dans la joie que dans la peine.  C’est ce que je garderai en souvenir. Un homme qui dansait pour se libérer des ténèbres (p. 143). Et c’est l’ensemble des luttes, des conflits et des difficultés d’ajustement qui se rappellent à nous, dans cette vaste aventure de réécriture des rapports à l’autre. Quand on a trop soif, l’amour peut nous tuer. Familles disloquées, projets avortés, coups du sort assénés par des femmes incapables d’aimer plus fort que leurs blessures (p. 17). Bousculé ainsi d’avoir vécu, voici que les choses se précipitent et que Charles est aussi bousculé, du simple fait de devoir mourir. C’est que s’installe maintenant l’intensité de la problématique constante des délais. En combien de temps, les choses vont-elles se boucler? Combien de capsules d’énergie temporelle devra-t-on encore engager? Comment faire pour marcher chacune des dalles, pour descendre chacune des marches du torve escalier du déclin vers le décès et vers le deuil. On ne veut pas que cet emploi du temps change, on veut qu’il reste stable, prévisible, adéquatement annoncé, configurable. Or, ce qui avait été dit initialement vaut-il toujours? Ou alors se laisse-t-on suavement surprendre par la contrariété que nous suscite le fait que, contre toutes attentes, la mort se met à temporiser. Le médecin a parlé de quelques mois encore. Trois peut-être. Ça me paraît beaucoup de jours à ne vivre qu’en fonction de Charles. Je dois absolument me débarrasser de cette impression. Si je n’y trouve plus aucun plaisir, j’ignore quel sera ma décision. Je sais qu’elle sera difficile à prendre (p. 139). Osera-t-on tout dire? Ah mais meurt donc, maudit verrat, c’est moi que tu tues, de te trainer en crépuscule, comme ça.

On l’a dit, en ouverture: aujourd’hui on va pas se mentir. Côtoyer le conjoint agonisant c’est aussi faire face aux stigmates d’aliénation que cela fait puruler en soi-même. Au premier chef se manifestent les sempiternelles culpabilités anciennes, corrélées par agglutination au drame de la mort, y compris dans la dimension fortuite de ce dernier. Du même coup, se réveille cette vieille croyance d’avoir été responsable de la crise cardiaque de mon grand-père. Bien que je sache que c’est folie de croire pareille chose, la blessure s’ouvre et me fait encore souffrir (p. 175). Mais, plus profondément, ce qui s’installe, c’est la conscience douloureuse du fait qu’on ne peut rien, qu’on ne peut pas empêcher la fatalité qui s’impose et que d’avoir cru être la démiurge des forces qui nous dominent amène tout simplement à faire entrer l’humilité par toutes les portes du fort. Car c’est une illusion que de croire sauver les autres. Un remède à l’angoisse de ne servir à rien. La seule aide que je puisse apporter, c’est regarder l’autre avec confiance et l’aimer selon les élans de mon cœur. Sans me poser trop de questions (p. 63). Oh, si cette conscience est si douloureuse, c’est bien que les angoisses fondamentales qui touchent le caractère objectif et intensif de l’existence globale reculent, assez vite et assez mesquinement, devant les petites remises en question, plus chenues, plus serrées, plus ternes du rapport subjectif et intersubjectif entre les êtres ordinaires. Les culpabilités qui s’installent alors, en une dimension douloureusement autocritique, ne sont pas bien rigolotes à contempler. Encore plus profondément est enfouie une autre culpabilité. Celle d’avoir été dominée, d’avoir cédé devant tes colères et d’avoir enduré tes sarcasmes à peine voilés sur ma conception du monde et de la vie. J’en ressens une honte que j’ai peine à nommer. C’est pourtant cette dévalorisation qui m’a poussée à me définir et qui m’a obligée à m’affirmer. Dans cette confrontation, j’ai trouvé la force de m’exprimer et de manifester ma différence. Ce qui semblait me condamner à m’écraser a fini par me donner confiance. Je me suis choisie (p. 237). Et c’est au tour de la continuité de la vie, de la dimension de réflexion aigre du bilan critique, de déployer la crise du rapport de couple aux vues d’une sensibilité féminine contemporaine. Reste alors le fatras des obligations journalières et crépusculaires qui, de par la mort et de par l’agonie, se désossent, se décarcassent, se démolissent. Autrefois, on se mariait obligée si on se retrouvait enceinte avant le mariage. Eh bien, je ne veux pas vivre obligée pour répondre aux normes, aux attentes, aux besoins des autres. Et je ne veux plus me sentir coupable (p. 48). Et toc. Toute la virulence critique à l’égard du conjoint même s’installe désormais. Elle est non-coupable. Et les différences de vision du monde jaillissent. Ayant déterminé le cercles des tensions, du simple fait de mourir, le couple subvertit ses conventions. JE deviens veuve. Il faut que JE s’en accommode. Et, après tout, eh bien, je serai débarrassée de cette partie de lui qui s’imposait à moi. D’une façon qui, bon, n’était pas toujours plaisante, vu qu’elle procédait du débat de fond, de la guerre ouverte des idées. Il m’a toujours trouvée naïve avec mes médecines vibratoires et ma foi dans les forces de guérison, surtout les invisibles, celles qu’on n’a pas encore mesurées. Je n’osais même pas en parler de peur d’être raillée (p. 128). Évidemment, notre autrice oscille et se balance dans les différents stigmates douloureux que lui suscitent ce terrible affranchissement semi-involontaire. Après tout, elle est tellement nourrie par le besoin que les autres puissent avoir d’elle… que la disparition de l’autre l’amène quand même à se demander si ce n’est pas, carrément, sa propre fonction d’existence, qui disparait avec l’autre, et de par l’autre. Quelle relation puis-je avoir avec les autres s’ils n’ont pas besoin de moi? Quand je n’ai rien à apporter que moi-même? Encore une fois, pour apprendre à aimer, je dois repartir à zéro (p. 33). Et repartir à zéro, devant le mur livide séparant ici la vie de la mort, c’est fatalement prendre à bras le corps la problématique fondamentale de l’être.

On en vient, crucialement, à rejoindre les questionnements métaphysiques que la douleur cuisante et décapante du deuil active ou réactive en soi. Qu’en est-il, notamment, du surnaturel et de notre rapport à ce dernier?  Charles est maintenant mort et, pourtant, il ne disparait pas si facilement que ça. Je conserve un doute. Pourtant, je sens ta présence, ténue, il est vrai, lointaine, mais réconfortante. Qu’en dirait un psy? Étapes du deuil. Déni. Communication avec l’au-delà. Ou mystères de l’amour et de la mort? Peu importe. Chacun sa vie, chacun sa mort, chacun son histoire (p. 179). La mort de l’autre, de surcroit, cela nous force inexorablement à penser à notre propre mort, à s’y préparer, à s’y apprêter, à vivre la crise permanente de cette glauque rencontre à venir. Et on en vient à se demander si on ne cherchera pas un petit peu à tricher cette ultime joute. J’ai beau imaginer ce moment depuis fort longtemps, je suis loin d’être certaine que je saurai laisser venir la mort sans offrir de résistance. L’instinct de survie est si puissant. Ce sera plus facile quand je n’aurai plus rien à dire, que je me connaîtrai de fond en comble et qu’il sera temps de passer à un autre mystère. À vrai dire, je n’en sais rien du tout (p. 148). D’autre part, si ces choses étaient déterminées, s’il y avait quelque chose de supérieur qui nous dépasse, peut-être que cela nous permettrait de pouvoir suggérer un cadre de compréhension pour tout ce fourbi terrifiant. Et, justement, ne fusse que pour calmer un peu la révolte de notre entendement face à cette situation illusoirement sécurisante, on aime parfois à se dire qu’il y a quelque chose d’organisé, quelque chose qui nous autorise un peu de nous réclamer d’une signification fondamentale. Existe-t-il un Plan? Ou les choses se déroulent elles au hasard? Si tout est écrit, qu’en est-il de notre liberté? Quel est l’auteur qui aurait prévu tous les dénouements? Abritons-nous chacun un réalisateur qui veut mener son œuvre à terme? Ou alors, existe-t-il une version sublime de nous-mêmes à laquelle nous nous comparons quand les circonstances nous y forcent? Y parvenons-nous ou, en tant que création inachevée, errons-nous sans percevoir les indices semés sur notre chemin? (p. 70). Incontestablement, on entre en cosmologie. On s’oriente inévitablement vers les choses supérieures et, depuis cette chaise étroite sur les abords d’un lit d’hôpital, on cogite. Et, au fond, comment le rejoindre autrement, ce terrible cosmos? C’est un peu comme lorsque je regarde les nuages jusqu’à réaliser que je suis sur une planète qui tourne dans l’espace. Mourir, c’est se libérer de limites. Je tente d’abolir les miennes, de m’alléger des contraintes matérielles pour accéder à cette liberté sans frontière. Tu m’en donnes le goût (p. 201). Et, après la Cosmologie, voici qu’entre en ligne de compte l’implacable Sociologie. Non seulement nous baignons dans un univers matériel qui nous submerge, nous enveloppe, et face auquel on ne peut que se questionner à propos des provignements qu’il a peut-être… mais nous sommes aussi cernés dans un dispositif collectif intersubjectif. Il en est indubitablement porteur, lui, de cette signification au brasier de laquelle on tient tellement à se réchauffer. Cette flamme qu’on partage avec d’autres. La vie est-elle communication? Serait-elle amour? Humanitude sans doute (p. 74). Cosmos et Société, faut-il obligatoirement mourir ou voir mourir pour un peu se décider à vous appréhender? Bon, on parle beaucoup du monde réel, de la réalité objective, du fait que tout s’impose à nous comme si cela venait de l’Extérieur, de Creux et de Loin. Et si, au fond, cela venait de l’Intérieur? Même la douleur. Même la mort. Même sa compagne de route terrible, la lente maladie… Mais n’importe quelle maladie répond à notre subconscient. De mon point de vue, la cause première n’est jamais physique. Ce qui m’intéresse, c’est de retracer le déclencheur psychologique (p. 157). Et, entre monde cosmologique, monde sociologique, réalité intime de la psychologie intérieure, on en revient de toute façon au centre du cercle, celui d’où émane tout le tout du tout de la réflexion et du tout du discours. Ego. Revenons à cette fameuse question. Qui suis-je? Que répondre qui ne soit des faits ou des actes? Je suis de l’amour qui cherche à aimer. Je suis un élan qui tente de s’envoler. Je suis une danse sans but. Sans raison. Sans limite. Je suis la vie incarnée par défi, par jeu, par curiosité. Je suis. Et je suppose que c’est suffisant (p. 41). Suffisant, on sait pas. Nécessaire, en tout cas.

Entre les étapes du cheminement du deuil dans leur dimension ordinaire, puis la crise maritale qu’elles révèlent, puis l’extase métaphysique problématique et contrastée qu’elles imposent, on finit par accéder à la radicalité d’affranchissement que toute cette lancinance instaure. Et alors… est-ce que c’est qu’on se rassérène ou est-ce que c’est qu’on abandonne? Je ne sais plus très bien faire la différence entre démission et lâcher prise (p. 27). Il n’y a rien à redire. Un deuil au soir de la vie, c’est fatalement un bilan de vie. Et cela oblige à se demander si on devrait pas, nous autres aussi, le refermer, le grand livre de cette susdite saudite vie. Et ça, c’est toujours quelque chose qui se joue avec une très nerveuse ambivalence impressionniste. J’ai parfois l’impression d’avoir assez vécu. Que le reste de mes jours est un cadeau à savourer. J’ai fini par admettre qu’il n’y a rien à faire. Je n’ai qu’à être au présent. Je laisse en héritage, à mes enfants et les leurs, les monstres de mon passé, un à un apprivoisés et les blessures guéries et pardonnées. Ils pourront ne garder en mémoire que l’amour et le courage des générations qui les ont précédés. Car cela seul existe, en dehors des illusions (p. 162). Par bonds, les choses cessent d’exister autour de nous et l’on se voit dans l’obligation de se dire que c’est un monde en métamorphose qui, graduellement, nous entoure et qu’il est de moins en moins méritoire de chercher à s’y agripper. C’est notre propre existence qui s’étiole. Et cela nous insensibilise vachement, quelque part. D’ailleurs, je ne souffrirai que si je désire des choses qui n’existent plus (p. 189). Bon évidemment, bien sûr, il y a la pérennité, il y a le rapport à l’écriture, il y a le fait de laisser des traces scripturales de l’expression de nos émotions et de nos savoirs. Quelques notes nous survivront à peine le temps de notre mémoire et broderont sur nos cils les perles de nos souvenirs attendris et infidèles (fragment d’un poème, p. 68). Sauf que, qu’en est-il vraiment de toute cette dynamique? Elle aussi, elle ne peut revêtir qu’une dimension incroyablement éphémère, fallacieuse, douteuse, illusoire, transitoire. Et le fait est, finalement, au bout du compte, qu’après le tourment coupable de l’autrice, après le destin tragique de Charles, après les tours insondables du moyeu de la roue de cette vie qui continue, que reste-t-il d’autre que d’aspirer à être soi et à enfin respirer l’air, le bon air simple qui remplit nos poumons et nous ramène à cette vieille notion fripée, esquintée, historicisée. Celle du bonheur. Être heureuse, parce que je m’en octroie le droit. Être confiante, parce que c’est mon choix physique, psychologique, spirituel, politique. Même s’il est insensé. C’est mon pari pour le sens de ma quête. Être satisfaite, parce que tout est un cadeau, une grâce accordée. Je ne ferai plus taire l’enfant que je suis restée, qui réclame sans cesse de grandes aventures. Aucun moment n’est anodin et il peut m’entraîner dans les plus folles enquêtes. C’est le même fruit qu’hier, à goûter, là, encore dégoulinant de saveur. J’entends ceux qui se plaignent, mais je leur donnerai ce goût de liberté à vivre sans hésitation. Car il n’y a plus une seconde à perdre, avant de partir en voyage. Pas un seul doute à considérer, avant de déclarer que je suis exaucé (p. 54). Vivons, oh oui, vivons. Ça ne vient quand même pas de se terminer pour tout le monde…

On dispose donc maintenant, émanant de cette autrice, des opus suivant (au moins). Un ouvrage portant sur sa crise personnelle (Les démons de la sorcière, 2012), un ouvrage portant sur l’agonie de sa mère (Comme deux cerfs-volants, 2014), un ouvrage portant sur l’accompagnement d’une patiente psychiatrisée (Folle à délier, 2017), et maintenant un ouvrage portant sur les étapes journalières la menant vers le deuil de son conjoint. Alors, après quatre puissants ouvrages de ce type, Anna Louise Fontaine va, je pense, devoir faire un petit peu une sorte de bilan. Elle pourrait, mettons… se dire qu’elle pourrait possiblement maintenant envisager de varier les thématiques. Nous sommes, en effet, ici dans un monde de fixations, de scotomes, de hantises. Dans Comme deux cerfs-volants, l’autrice encadre… donc… l’agonie de sa vieille mère. Et maintenant, la voici qui encadre l’agonie de son conjoint Charles. L’analogie patente entre ces deux thèmes lui est-elle venue à l’esprit? Euh… je pense que… euh… oui. Lisons. Je reconnais chez Charles, dans ses yeux, dans ses paroles, ce que je voyais chez ma mère à mesure qu’elle s’éloignait de nous. Comme s’il cherchait à suivre ses propres pensées (p. 113). Au temps de sa maladie, ma mère m’a avoué que son plus grand bonheur aurait été que je reste sans cesse à ses côtés. Je devine que Charles veut la même chose (p. 137). Comme pour ma mère, je pense que ce moment n’arrivera jamais pour vrai. La force de mon amour n’y peut rien (p. 143). Je ne veux pas me mentir. Il y a bien quelque chose qui me relie à Charles, mais quoi au juste? La même chose qui m’a gardé près de ma mère confuse pendant trois ans. Ce goût de lui faire sentir qu’elle n’était pas abandonnée, qu’elle n’était pas seule? Comme elle, Charles ne voudrait jamais que je le laisse seul. Jour et nuit, il me voudrait à ses côtés (p. 153). On en vient à comprendre que, quelque part, Anna Louise Fontaine, fait la même chose… qui est, comme elle nous le signale en toute sincérité, de trimer à aider les autres pour se définir elle-même. Aussi, corollairement, comme fatalement, elle écrit, plus ou moins, toujours le même livre. Il serait peut-être temps qu’elle se dise que les pages, nombreuses, de cette série de douleurs récurrentes, sont maintenant tournées. Il est bel et bien encapsulé dans la camera obscura, désormais, ce scotome si douloureux pour l’œil et pour l’émotion. C’est rédigé, c’est plié, c’est broché et on pourrait peut-être sérieusement envisager de traiter d’autres thèmes ou, pour dire la chose plus prosaïquement, de passer à autres choses. Mais… mais… mais… Mais ce n’est pas ainsi que ça se passe. Il ne suffit pas de cacher une douleur pour qu’elle disparaisse (p. 12). En matière d’écriture, très souvent effectivement, l’obsession fonde l’action. Et pourtant, il y a une écrivaine remarquable dans cette autrice et on sent qu’elle a encore des choses à nous dire, distinctes de celles qui se sont manifestées dans la séquence de ses quatre derniers ouvrages. Elle est ainsi, par exemple, très juste et très fine dans l’évocation de l’enfance. Peut-être qu’un jour elle se décidera à nous amener rejouer avec elle au ballon chasseur, sous le soleil tranquille des Trente Glorieuses. Et sa première quadrilogie sera alors à percevoir un peu comme un lot d’ouvrages introductoires. Une sorte de mise en forme, crevant des abcès, et amenant vers une écriture justement plus heureuse, déjà si densément latente entre les lignes des stries du deuil présent. Comme à la fin des vacances, lorsque je devais quitter ma cousine adorée. Je retournais à l’école que je voyais comme une prison où purger ma peine jusqu’au prochain été de rire et de liberté. Oh, bien sûr, j’avais quelques amies et du plaisir à jouer au ballon chasseur à la récréation. Mais j’avais laissé le paradis derrière moi. Je suppose que mon deuil ressemblera à la rentrée de septembre. Je reprendrai mes activités, mais il manquera ce qui donne du pétillant au vin et du sourire aux yeux (p. 132). Bien dit, je seconde. Mais aussi… je nuance.

Suggestion respectueuse d’un lecteur assidu et ami de tout le corpus. Il faut en venir à se dire, bon, finalement, il y a la musique et toutes ces chansons. De si jolies choses à jouer, à chanter. Bon, finalement, il y a la gastronomie. De si bonnes choses à déguster. Et toutes ces choses ne sont jamais que de merveilleux fruits et de merveilleuses rhapsodies, sans plus. Ils nous attendent. Avouons-le. Moi, je reste. Et après tout, la vie charnue, savoureuse et harmonique, eh bien elle reste avec moi… Pourquoi ne pas désormais en profiter? Y compris en continuant de si voluptueusement nager dans des torrents d’encre.

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Anna Louise Fontaine (2021), Moi, je reste — Histoire d’un deuil, Éditions Le Baladin, 263 p.

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LES CENT-TRENTE-HUITARDS — CHRONIQUES DU COLLÈGE DE L’ASSOMPTION (par Paul Laurendeau)

Posted by Ysengrimus sur 21 mars 2023

Cent-trente-huitards

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Fondé en 1832, le vénérable collège de L’Assomption sur L’Assomption, Québec, Canada) numérota pieusement ses promotions estudiantines. Moi (né en 1958, âgé de douze ans en 1970) et la bande de drilles et de drillettes évoquée dans cet ouvrage sommes donc de la cent-trente-huitième promotion du collège de L’Assomption (1832 + 138 = 1970). Et cela fait de nous, comme irrésistiblement, de fervents promoteurs du nombre aléatoirement chanceux de 138…

Notre monde collégien est un monde largement révolu, ancien, vermoulu, vénérable. Déjà amplement perdu dans les brumes du temps, ce petit univers, translucide et fendillé comme un vieux bibelot, est pourtant si profondément inscrit au fond de nous que bon, le moment est venu pour lui de se dire, un petit peu, comme ça, à la ronde… avant de totalement et définitivement se griffonner sur le papier à musique, bruissant et fluide, de l’Histoire. Notre univers estudiantin de fin d’enfance se raconte donc dans cet ouvrage, un petit peu pour les autres et beaucoup pour nous-mêmes. Je remercie chaleureusement tous mes confrères et consœurs de collège qui fabriquent et configurent, littéralement et textuellement, la trame serrée de ce petit recueil de chroniques. Les identités des protagonistes, les farfelu(e)s comme les austères, les sibyllin(e)s comme les univoques, les tondu(e)s comme les hirsutes, ont été subtilement altérées dans ce livre, de façon à soigneusement préserver le droit inaliénable de tous et de toutes à la discrétion la plus élémentaire. Mais autrement, de ce foisonnant monde collégien d’autrefois, tout se dit ici, tout se contemple par le petit bout de la lorgnette, ou presque.

Segment concret de notre patrimoine collectif, portion briquetée de la petite histoire comme de la grande, le collège de L’Assomption se doit fatalement d’assumer… un peu beaucoup… son chaloupeux héritage. Il est partiellement relayé via les tessons anecdotiques, les émoussés comme les acérés, les doux comme les aigre-doux, qui gisent… notamment… entre ces modestes pages. Les voix qui se rameutent ici, au petit bonheur la chance, ahanent l’énormité des petites choses anciennes, en tournoyant, un peu aléatoirement, comme dans une vieille danse contrite. C’est le tango du collège qui prend les rêves au piège et dont il est sacrilège de ne pas sortir malin (Jacques Brel, 1929-1978)…

La distance du temps est effectivement une invitation implicite à reprendre un peu en main notre place dans l’Histoire. Cela suscite un certain nombre d’observations, tant factuelles que fondamentales. Les observations factuelles, d’abord. Première année de secondaire: 1970. Les cent-trente-huitards sont entrés au collège de L’Assomption exactement quatre ans après la fin de la Révolution Tranquille, au sens strict du terme (1960-1966). Dernière année de cégep: 1977. Nous avons terminé notre formation au collège de L’Assomption moins d’un an après l’élection du premier Parti Québécois (novembre 1976) et l’année de la proclamation de la Loi 101 (1977). Cela nous localise dans ce fameux espace historique très spécial des années 1970.

Les observations fondamentales, maintenant. D’abord, quiconque se souviendra de cette époque-là aura ce qui suit aussi en mémoire. Nous sommes arrivés au collège tout juste après la tempête des années 1960. Le cours classique venait de s’effondrer. Et toutes sortes de bizarreries hybrides se manifestaient, un peu partout, dans la vie ordinaire du collège. Ces intrigantes curiosités montraient assez bien que la génération antérieure, la génération des baby-boomers 1.0. (nés entre 1945 et 1955), était passé par là, charriant sa tempête historique. On pourrait avancer de nombreux exemples. Je n’en citerai qu’un seul, suavement insolite. On entre dans une vieille et vaste chapelle intérieure, avec des colonnades imposantes, qui visiblement exerça jadis des fonctions cérémonielles et religieuses. Or cette immense chapelle s’appelle «la grande discothèque». Alors, c’est très bizarre, pour notre regard et nos oreilles de douze ans, de voir l’architecture surannée de cet espace monumental, avec les décorations pieuses, et tout et tout… et ça s’appelle «la grande discothèque». Le cardinal Paul-Émile Léger (1904-1991) est même venu nous haranguer, en 1970, dans cette ci-devant grande discothèque. Et tout le monde s’en foutait. Les plus vieux le niaisaient à voix basse, en évoquant son fantasme raté d’être le premier pape canadien-français. Surréaliste. Ambiance sociale de transition, je vous en file mon carton. Le cardinal Léger à la grande discothèque du collège, bonjour le choc abrupt de deux époques. C’est seulement après un certain temps qu’on se rend finalement compte que cet espace a été fraîchement renommé, entendre débaptisé-yéyé dans les années 1960, «grande discothèque». Tout cela pour dire que notre arrivée au collège a pris corps sur les ruines d’une tempête sociale historiquement récente, dont on pouvait encore voir certains branchages cassés pendouiller.

Mais il y a plus, bien plus. Maintenant qu’on dispose de la distance historique, on se doit de faire observer que les années 1960 ne furent pas seulement une période d’effervescence et d’émancipation de la jeunesse. Ce fut aussi, au Québec, Révolution Tranquille oblige, l’époque de la mise en place d’un vaste système scolaire public, laïc. Réforme du cours primaire, du cours secondaire, instauration des cégeps. Et ce qu’on doit comprendre, c’est que cet immense système d’instruction publique, allant du primaire au cégep, était tout nouveau, tout beau, tout neuf, lorsque nous sommes entrés au collège de L’Assomption, en 1970. Il n’était donc, à ce moment-là, plus vraiment possible d’aller stagner dans un collège privé, comme ça… sur l’erre d’aller… Désormais, c’était un choix à faire. Le collège privé était maintenant en compétition avec un système public efficace, performant, novateur, intellectuellement progressiste et gratuit.

On avait beau dénigrer ledit système public, on ne pouvait pas vraiment s’empêcher de sentir sa puissance, toute fraiche. «Chez nous, c’est différent, tout ce qu’y a ailleurs, on l’a pas icitte»… c’est surtout cette situation nouvelle que ce slogan détourné commentait… Ils avaient les ressources que nous n’avions pas, ou plus. Et tout cela a eu une forte incidence sur la nature et la dynamique de l’enseignement auquel nous avons été confrontés, au collège. Les curés n’étaient plus triomphants. Ils étaient aux abois. Ils se devaient de se mettre à la page, pour continuer d’attirer leur clientèle payante, aspirant désormais à un enseignement moderne, pour leurs enfants (le tout débouchant sur autre choses que des carrières traditionnelles et vieillottes). Sans ce renouvellement, les enfants des temps nouveaux seraient tout simplement partis dans le système public. Subite émulation par la compétition, si vous voyez le topo en action. Cela a créé une espèce d’effervescence de modernisation, au collège. C’était… faire pop ou mourir. Nous en avons, je pense, amplement bénéficié.

Un autre élément, absolument crucial pour le 138ième cours très spécifiquement, c’est celui que, pour parler moderne, on appellera la double cohorte. Il y a des gens qui avaient fait la septième année du vieux système primaire, il y a des gens qui ne l’avaient pas fait. J’étais du second groupe. Le 138ième cours fut donc le premier cours où, au moment de la sélection, la cohorte était double. Autrement dit, se mélangeaient ensemble des gens ayant fait la vieille septième et des gens n’ayant pas fait la vieille septième. Alors, vous commencez par couper de votre cohorte ceux qui n’ont pas les moyens (le collège privé, ça reste, hélas, un privilège de classe). Et, même quand vous ne gardez que les riches, vous vous apercevez que vous avez un plus grand cheptel étudiant que d’habitude, dans lequel vous pouvez appliquer votre tyrannique dynamique sélective. C’est à mon avis ce qui fait que la 138ième promotion ressort pour ses qualités intellectuelles (si c’est le cas… il faudrait voir ce que les autres promotions en disent). Elle a tiré les atouts involontaires d’une situation de double cohorte et ce, dans un contexte social où s’imposait une modernisation forcée et forcenée de l’enseignement privé, au beau risque d’une dynamique scolaire désormais progressiste et compétitive.

De telles conditions historiques ont transformé notre aptitude collective à faire reculer le pouvoir abusif des curés, même au sein des institutions qu’ils contrôlaient, en nécessité de survie pour le fourgage de la camelote desdits curés. Ajoutons, en saupoudre, les autres éléments circonstanciels. La Crise d’Octobre, les alertes à la bombe (dont une au collège), la montée du nationalisme, la québécisation avancée de la culture, la solidification de l’art de masse. Et cela nous amène à nous dire que le 138ième cours, qui est, en fait, un cours s’étant déployé pendant les cruciales années 1970, a émergé d’une conjoncture historique exemplaire et extraordinaire. L’impact progressiste de cette époque charnière a, je pense, encore énormément d’influence sur l’intégralité de nos sensibilités et de nos intellects d’ex-collégiennes et d’ex-collégiens contemporains. Je parle et reparle de tout cela, sans nostalgie aucune mais avec beaucoup de tendresse, dans ce petit ouvrage. Bonne lecture.

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Paul Laurendeau, Les cent-trente-huitards (Chroniques du Collège de l’Assomption), Montréal, ÉLP éditeur, 2023, formats ePub, Mobi, papier.

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JOURNAL D’UN BIBLIOTHÉCAIRE DE SURVIE (par Charles Sagalane). AMÉRICANITÉ DU TERRITOIRE ET JAPON CATALAUNIQUE

Posted by Ysengrimus sur 15 mars 2023

sagalane-survie

Cette petite flamme en moi que je nomme survie, qu’éclairera-t-elle? Le goût de l’aventure. L’appel du territoire. L’amour des livres. Le compagnonnage littéraire. Voilà de quoi se chauffe un poète promeneur. N’allons pas plus loin. (p. 368)

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L’ouvrage de plus de 400 pages que l’on découvre aujourd’hui est d’une singulière originalité. D’abord, ce qu’il faut absolument comprendre, c’est qu’il s’agit d’un journal de voyage. Ne cherchons pas les filaments filandreux de je ne sais quelle intrique. Ne cherchons surtout pas des vols, des meurtres et autres POLARisations éparses et tant tellement de vogue. N’y cherchons surtout pas un mystère trivial à dénouer attendu que le profond mystère qui s’y déploie est tout, sauf trivial. Nous sommes dans ce que Bertolt Brecht aurait appelé un récit épique. Tout ce qu’on observera et découvrira, tout ce à quoi l’on assistera, dans cet opus, est, tout simplement, la démarche ordinaire du bibliothécaire de survie qui a le temps et qui le prend. J’ai tout le temps de ruminer. En surface, au gré de mes pérégrinations, je pose des bibliothèques et me nourris du territoire. Je trappe des lecteurs, rencontre des écrivains. Mais sous ma croûte personnelle, n’y aurait-il pas quelque lave qui sommeille? (p. 292) Le bouillonnant bibliothécaire de survie, dont nous lisons donc ici le dense journal de voyage, opère surtout dans la nature immémoriale de l’Amérique du Nord continentale. Bon, je vous épargne les subtils détails géographiques et topographiques. Complexes, précises, méthodiques, ses trajectoires sur le territoire sont partiellement assumées, partiellement fantasmées, par le bibliothécaire de survie. Vous découvrirez ce dense feuilleté de nuances ès espaces, à la lecture. Pour rester simple, disons que deux mondes des surfaces se démarquent, celui de la sylve et celui de la ville. Il est effectivement fort intéressant de constater que les contraintes de la mise en place intempestive de bibliothèques de survie… disons… sur l’ile de Montréal (pp 165-168) ne sont pas les mêmes que les contraintes de la construction de petites bibliothèques de survie dans les vastes espaces forestiers et lacustres de notre immense territoire. Que voulez-vous, dans la nature, ce sont les forces… bien… naturelles qui compromettent la frêle pérennité de l’étagère aux littératures. Dans l’espace urbain, ce sont plutôt les forces… disons… sociologiques, bureaucratiques, règlementaires. Je ne vous en chuchote pas plus. Vous découvrirez, à la lecture, ce mystère fondamental de la trajectoire sociale des voyageurs. On peut dire… conséquemment… sans trop de risques de se tromper, que le scripteur ici présent en est venu à faire son choix. Il a balancé un temps entre la bibliothèque de survie urbaine, portée sur le dos chambranlant du ou de la factotum de service, dans le contexte fatal du tapage des rues agitées de l’Urb, et la bibliothèque de survie naturelle, enfoncée profondément à l’intérieur de paysages titanesques où ne repasseront fatalement que quelques improbables privilégiés du portageage et du voyageage, aux profils très analogues à celui du géopoète lui-même. Oh… Le choix est fait, le choix est fait, le choix est fait… Ce sera le petit espace intérieur, épinglé dans les grandes iles et les grandes sylves. Qui sait ce que les tamias joueurs, les chouettes malicieuses, et les géopoètes auront glissé à l’intérieur? (p. 244)

Walking library

L’improbable bibliothèque de survie de l’Urb a vécu

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Les bibliothèques de survies de Charles Sagalane seront donc principalement des tablettes de livres dressées sur des îles, lacustres ou fluviales, et dans le bois. Une portion cruciale de la démarche consistera conséquemment à renouer avec l’esprit spécifique des aborigènes nord-américains. Sans ambivalence, il faut absolument altérer notre compréhension et notre perception du monde, de façon à donner au voyage terrestre, fluvial et lacustre la grande dimension d’intimité globalisante qu’il requiert. Cela doit se faire tant pour la survie du voyageur que pour la nôtre. Pour survivre, l’humain du 21e siècle devra apprendre à retrouver ce contact salutaire avec les forces qui l’entourent (p. 245). Il y a d’ailleurs, chez notre scripteur, cette aptitude très profonde, et très indigène justement, à densément s’imprégner du paysage. Établir la fusion fondamentale entre textes, textualités, et réalités de l’espace que l’on traverse, dans l’intimité du voyage canotier ou pédestre. L’univers forestier, notamment hivernal, ne transige pas, dans la force de son esprit. Ému par cet esprit sûr, en profonde communion avec les lieux, je m’abandonne au trajet et voit poindre l’inukshuk enneigé. Qu’a-t-il besoin de nos lettres, cet être aux prises avec les paragraphes de branches (p. 216). L’inukshuk dit tout, mais toujours en silence… entre les branches. Et une distance critique obligatoire s’installe évidemment, en rapport avec la façon dont la culture contemporaine, occidentale, assure l’intendance de la dynamique aborigène. Le scripteur ne se gênera pas pour signaler les bizarreries, les incongruités et même les éléments révoltants pouvant émerger dans l’univers drolatique et sardonique des ci-devant réserves indiennes. Ce qui porte aujourd’hui le statut et le nom peu glorieux de «réserve» n’en a même plus l’ambition: au bord du fleuve, le territoire de la Première Nation malécite de Viger est réduit au terrain d’un bungalow… Je m’y recueille un moment. J’aimerais tant que le cours des peuples soit réversible, comme le mascaret. Qu’une immense vague de bon sens remonte le flot des erreurs humaines et que l’on redonne les bords de Cacouna au Peuple de l’aube (pp 108-109). Rendons donc, une bonne fois si possible, à Anthropos ce qui est à Anthropos.

Mais empruntons à Anthropos aussi. Osons. Sans flagosser. Ainsi un élément définitoire de tout cet exercice sera la constance tranquille et la stabilité onctueuse de ce que j’appellerai l’analogon japonais. Charles Sagalane est fou de Japon. Il est imprégné très profondément de cette culture et de cette réalité, tant dans la dimension littéraire que dans la dimension historique, voire ethnologique de cette dernière. Notre scripteur se veut très ouvertement un occidental culturellement nipponisé. Et pourtant, il est très conscient du fait que, oh mon ami, ce n’est pas là une chose simple. N’est pas Japonais qui veut. Pour être parfait, restez simple professerait Sensei (p. 313). Qui est donc ce susdit sensei? On y revient dans une seconde. Pour le moment avisons-nous simplement du fait que ce fou de Japon, perdu à l’intérieur d’une dynamique profondément nord-américaine de voyage, fait infuser au fond de soi la densité de ses références japonaises. Ce faisant, il en valorise les éléments à la fois les plus fondamentaux et les plus simples, les plus usuels, les plus dépouillés. Mais les Japonais ont l’art de ritualiser l’ordinaire (p. 245). Il y aura, donc, à l’intérieur de cette œuvre journalière, un filigrane, profond, senti, tissé dans un ensemble très explicite et très précis de références, à la façon japonaise. Cela déterminera radicalement l’art de ressentir les réalités, de les lire, de les dire. Il se manifestera même une sorte de transposition nipponisée de la réalité canadienne. Il en est ainsi, par exemple, sans rire, de la feuille d’érable canadienne. Je comprends qu’au drapeau canadien flotte une feuille rouge d’érable. C’est le symbole le plus fertile de notre territoire. Notre kôyô à nous. Dans l’œil des coureurs des bois que nous avons été, ces grandes mains tendues, rouges, ont plus de sens que les délicats pétales roses des cerisiers tardifs (p. 163). Tout le journal de voyage sagalanien sera émaillé de ce type particulier d’analogon. Tout, dans l’émotion fondamentale vécue, au cours des différentes étapes du voyage, est imprégnée de Japon, ce grand absent du présent voyage empirique. Chez un gastronome subtil comme Charles Sagalane, cela inclut évidemment la nourriture. Je vis mon Japon comme je le peux. Souvent par le ventre (p. 165). Et cela inclut aussi, évidemment, un certain nombre de détails de la topographie. La chose japonaise se joue tant dans la profondeur immémoriale la plus intime des vastitudes naturelles que… en ville… où on se fait annoncer, ce jour-là, que le mont Royal reçoit cinq millions de visiteurs par année. Parce que le mont Royal est notre Fuji. Sa puissance tellurique nous défend de l’urbanité envahissante (p. 176). L’autre mont Fuji intellectuel et textuel ne quittant jamais l’horizon imaginaire de Charles Sagalane, ce sera le grand maître à penser de tout l’exercice. Et le spécialiste, intemporel et inconditionnel, du haïku, le sensei de tout à l’heure, nul autre que le poète Matsuo Bashô (1644-1694). Littéralement, il accompagne intellectuellement et flotte au-dessus de notre bibliothécaire de survie, comme une sorte de mâne ou de petit saint lige. Quel incroyable moment de poésie! Bashô doit en rigoler sur son nuage (p. 183). Est-ce parce que ce poète du Grand Siècle a quitté notre monde l’année même de la publication de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), lui-même si intempestivement élagué en certaines de nos instances vermoulues? En tout cas, ce maitre du haïku est avec nous. Il nous survole, à chaque instant de cette traversée des espaces. Et il sera toujours mobilisé au service d’une émotion intense et calme. Et, pour le coup, toute cette dynamique japonaise cruciale, s’avère, en fait, un des thèmes centraux de l’ouvrage. Ce rapport au Japon, donc à la langue japonaise, va d’ailleurs nous amener à toucher, imparablement aussi, aux délicates questions de traduction littéraire, très importantes pour l’auteur. Et là, on nous restitue, en toute spontanéité et comme fatalement, la bonne vieille hypothèse ethnolinguistique de Sapir et Whorf (chaque langue découpe son propre costume dans l’étoffe du réel). On rêve toujours implicitement de cette douçâtre hypothèse, dont on voudrait tant qu’elle nous apporte les plus suaves délectations. Ajoutons à mes délectations le concept de komorebi. L’un de ces termes intraduisibles: preuve que chaque langue découpe son propre costume dans l’étoffe du réel. On pourrait parler de «soleil filtrant à travers les feuilles des arbres». Plus généralement, le mot désigne l’interaction de la lumière et de la feuillaison qui filtre sous les arbres… (pp 245-246) Ma foi, le syntagme soleil filtrant à travers les feuilles des arbres, c’est aussi pétant qu’un mot unique et, bon, qui jugera de la radicale profondeur des mots et des syntagmes, dans le sein du fond des choses textuelles? Mais, enfin, laissons là messieurs Sapir et Whorf, que Charles Sagalane n’a pas explicitement inclus dans son aréopage d’inspiratrices et d’inspirateurs (pp 409-413). Touchons plutôt du doigt les personnages et complices (p. 416) qui entrent dans cette nippo-danse avec lui. Effectivement, les différents écrivains et écrivaines avec lesquels Charles Sagalane entre en interaction pour configurer son grand-œuvre bibliothécaire jouent, eux aussi, le jeu Japon. Tout ce qui se passe ici fonctionne un petit peu comme une sorte de bataille des Champs Catalauniques du Japon. Au-dessus du monde réel, biblio-colporteur, voyageur et nord-américain, flotte l’âme japonaise, qui poursuit et amplifie le mouvement et ses émotions, dans le monde aléatoire des brumes aériennes, tout comme l’avaient fait autrefois les belligérants magnifiés des Champs Catalauniques… Ainsi, une des autrices, comparse de Charles Sagalane, a bien capté cette affaire d’analogon nippon catalaunisant. Elle propose même de créer un équivalent du hanami japonais, période où la vie quotidienne se suspend à contempler la floraison rose des cerisiers. «Nous pourrions l’appeler notre Pommami» (p. 192). Pourquoi pas, au point où on en est, parmi nos pommiers en fleurs… Cette stable fascination pour le Japon et pour la chose japonaise se manifestera même dans le cas des objets ordinaires manipulés par l’écrivain, au cours de son travail et de sa quête. Cela nous donne à découvrir un certain nombre de petites réalités concrètes, délicieusement prosaïques, comme par exemple, bien, les calepins d’écriture de marque Midori. Le propos s’amuse alors chafouinement à devenir quasi-promotionnel.  Étonnamment, les Midori sont les seuls carnets qui n’ont jamais perdu de feuilles sous mon usage. Ils endurent le canot, les temps humides, le froid et les voyagements sans se détériorer. Je les ouvre à répétition, totalement, sans jamais leur rompre le dos. Sur le granit des îles, ils me servent d’oreiller et de bateau de thé. Comme si leur concepteur avait deviné qu’un bibliothécaire de survie était un rude esthète. Les Japonais, qui ont l’art de l’emballage, ne peuvent s’empêcher de leur adjoindre une couverture de papier paraffiné que je m’empresse de mettre au recyclage. Je me suis plutôt procuré un protège-carnet cartonné qui recueille les souvenirs du Plaza Hôtel et du Hungry Sumo. À mon arrivée, une couverture de cuir prendra le relai — sa couleur d’ambre extraite au fil des jours (p. 315). Pas à dire, on entre bel et bien ici dans une sorte de relation ironique avec le discours publicitaire. Cela prend toute sa dimension bouffonne lorsque, sans sourciller et sans transitionner, l’écrivain nous parle de l’automobile avec laquelle il assure, en méthode, un certain nombre de ses relais de transition entre les périodes de voyages intimes dans la nature. Et évidemment, l’automobile en question, elle est implacablement de marque japonaise et j’ai été frappé par l’évidence: je conduis un véhicule japonais. La Subaru —puisqu’il faut bien l’appeler par son nom— ne se limite pas à son intelligence électronique, ses fluides hydrauliques et sa mobilité à explosion. Il faut lui reconnaître une aisance tenace, une fidélité sans défaut. Quand nous faisons corps sur les voies droites et sans fin des Prairies, elle m’apprend un bonheur de survie inédit: la transe quasi immobile de rouler (p. 295). Japon littéraire, Japon publicitaire, Japon moderne, Japon ancien, tout se rejoint.

Ce savoureux effet Japon nous amène à un autre point extrêmement intéressant et solidement exprimé dans l’ouvrage, celui du profil social du scripteur même. Ce qui est est. Il a voyagé. Il a vu le monde (dont le Japon). Et surtout, notre voyageur se connait. Il connait ses grandeurs, il connait ses limites et il les assume. Il sait d’où il vient, il l’exprime et il se dit. Il est écrivain. Il est poète. Il est communicateur. Il est tertiarisé. Et il ne s’explique pas. Ses justifications, eh bien elles se déploient, par elles-mêmes, dans son œuvre écrite, d’ailleurs superbement maitrisée. Notre scripteur ne cultive pas de velléités pseudo-populaires. Il ne joue pas à être ce qu’il n’est pas. Au contraire, il assume sa position de classe sereinement et ce, avec les conséquences que cela implique. Par exemple, cette fameuse automobile japonaise justement, qu’il doit inévitablement utiliser de temps en temps pour compléter certains des segments de ses voyages… revoyons la bourdonner sur l’horizon clair, un petit peu. C’est une automobile qui fonctionne à la gazoline. Cela porte son lot de conséquences. Elle toussote et crache un peu, je l’avoue, mais je compenserai ses crachats en crédits carbone (p. 294). Tout est dit, ici, sans trop ostensiblement se dire. Partez-moi pas sur les crédits carbones… Ce qui compte surtout ici, c’est la présence diffuse de cette conscience du fait que, oui, il y a des particularités de classes. Elles sont dans le scripteur même. Et elles sont répercutées et très honnêtement répertoriés. Lorsque le bibliothécaire de survie fait référence à certaines de ses rencontres, il est donc très explicite sur le fait que tous les braves gens qui participent à son exercice héroïque de diffusion livresque sont un peu coulés dans le même métal que lui. On aura remarqué que les gens de lettres que je rencontre se ressemblent. Ils défendent un fonds commun de liberté créative (p. 319). Notre scripteur ne se définit pas ouvertement comme un commerçant, mais… il y pense un petit peu. L’idée de vendre des livres… beaucoup de livres… vient parfois voleter dans sa réflexion. La chose pécuniaire ou subventionnaire se rumine discrètement, de temps en temps et ce, tout en restant très explicite sur le fait qu’on a de l’idéal. L’idéal n’est pas de vendre un millier d’exemplaires (p. 247). Oh, oh… La conscience autocritique de classe se manifeste de façon particulièrement aiguë et réussie, chez notre scripteur, lorsqu’il prend intimement contact avec cette mystérieuse mine de granit cachée quelque part au fin fond de son pays d’origine. Il pense alors à feu son grand-père, Jean-Charles, le tailleur de granit. Et c’est là que, tout simplement et de façon fidèlement figurative, il exprime la conscience du fait que, oui, il y a bel et bien eu accession de classe sur trois générations. Et s’est bel et bien opérée là, une appropriation du confort, dans le passage de ce que fut son grand-père vers ce qu’il est, lui, devenu. Une occupation de luxe, où je traite la survie avec la nonchalance d’un enfant comblé. Je suis poète, cher Jean-Charles. Et je navigue parmi les choses sans trop m’y enfoncer. Le granit n’est pas si lourd quand on le fréquente où il dort, dos arrondi, embelli de lichens et veiné de petits atocas. Il n’empoussière pas l’intérieur. Ce n’est qu’un outil de plus dans la patiente révélation du monde. Gâté, je reste lucide. C’est grâce à votre labeur de journalier que je suis ici (pp 201-202). Tout est dit, dur comme la pierre, franc comme l’or.

On est donc ici franco dans un exercice d’écrivain, un exercice de poésie, un exercice qui ne rougit pas de cette gratuité, en son originalité. Et, journalerie journalière du journal, l’exercice se déploie, se décrit. Il se dit, se donne… mais sans bassement rendre des comptes. Or, qui dit poéticité, dit sonorités. Ne suivant pas la cadence, je m’imprègne simplement des sonorités de l’inuktitut. C’est la langue d’un pays sans arbres (p. 227). Notons, ou rappelons… et c’est hautement intéressant… que le rapport établi par Charles Sagalane à la sonorité ne va pas jusqu’au rapport établi à la musique. L’unique manifestation de cette dernière, dans tout l’opus, apparaît sous la forme incongrue d’un tintamarre curieux. Et ce dernier donne nettement le sentiment insolite que l’auteur préfère les sons naturels du silence des vastités aux sons… disons… artificiels. Quand Nietzsche affirme que sans la musique la vie serait une erreur, il n’avait pas songé à la radio tonitruante d’un équipage à plein gaz… Par bonheur, les humains contemplent, lisent, écrivent; sinon, ils produisent du bruit. Le hors-bord se perd au loin. L’eau achève de remuer (pp 204-205). Foin des effets de bastringue nietzschéens, donc. Tout ceci, finalement, porte sur l’écriture textuelle, ses ficelles, sa dentelle… ses silences aussi. Et si on se pose la question de ce que fait ce livre, la réponse coule de source. En réalité, fondamentalement, il nous parle de lui, de lui le livre. II nous parle de l’écriture de nul autre que de lui-même. On notera, par exemple, toute l’énergie avec laquelle le scripteur configure le moment cardinal et ultime de se mettre à l’écriture du livre (pp 335-336). Et on finit par évoluer dans un espace, un dispositif où tout écrit. Tout le monde écrit, tous les êtres écrivent. Même les chevreuils, sibolaque. J’ai appris que les chevreuils écrivent d’un trait direct et sans ratures. À qui entend leur syntaxe de sabots, ils relatent la forêt avec une justesse infaillible. On ne les verra pas se perdre à fouiller le coin (p. 217). L’objet d’écriture le plus fondamental et le plus crucial est évidemment un objet d’écriture japonais. C’est-à-dire le haïku, au sujet duquel on produit une réflexion très articulée et très développée, qui n’est pas sans rappeler celle que nous avait déjà livré Jack Kerouac, en compagnie de Ray Smith et de Japhy Ryder dans son célèbre ouvrage The Dharma Bums (1958). Nous revoici donc en la lancinante compagnie de ces petits poèmes de 17 syllabes qui en ont tant à dire. Quand il faut tenir le monde en. 17 syllabes, le kigo se charge du décor. Toile de fond. Perspective qui campe le tableau. Un seul mot, distillé à dessein, et l’exacte fragrance embaume toute la pièce. La première familiarité que le lecteur prend avec les haïkus, c’est de les voir regroupées par saison. C’est à cela aussi que servent les kigo. Découvrant Bashô au gré des florilèges, j’ai réalisé bien plus tard que ses haïkus étaient inscrits dans le déroulement d’un journal ou d’une suite poétique. C’est dire si le haïku, même dans une trame serrée, conserve son autonomie. Il voyage seul, comme une île. Aux lectrices et lecteurs de survoler la prose de mes Relations pour accoster sur quelques vers, selon les jours et les saisons (pp 379-380). Descripteur très explicite sur sa réflexion, très sensible et très senti sur sa démarche, notre scripteur écrit des haïkus en boucles et, aussi, il revient en boucles sur les problèmes de traduction littéraire. Bon, en termes de traduction, je me sens un petit peu obligé de lui rappeler quand même un fameux aphorisme que l’on doit au grand linguiste français Émile Benveniste. Je glose ici librement. La défaite de la traduction, c’est le mot et le texte court. La victoire de la traduction, c’est la phrase et le texte long. Effectivement, la traduction des petits mots et des textes courts ne gagnera jamais complètement. Alors que la traduction texte à texte, sur la longueur, gagnera toujours. Absolument tout se joue dans les volumes, en traduction. C’est que, comme le disait si bien Hegel, s’il nous manque des mots, nous forgerons des tournures pour le dire… et cela, fatalement, requiert du temps et de la surface. C’est cette problématique du volume des textes qui fait que l’on se doit de dominer délicatement les problèmes de traduction, quand on travaille sur des poèmes orientaux de 17 syllabes. Charles Sagalane nous présente, avec brio, un solide échantillon de ses problèmes de traduction de textes courts (pp 100-103). C’est encore et toujours l’effet Japon qui flotte sur l’exercice ciselé où il a fait ses armes de poète et de traducteur. Et, justement, sur les obsédantes micro-questions de précision linguistique et lexicale, je vais devoir poser une petite crotte (ce que je ne fais habituellement jamais en recension. Mais ici le plaisir ami est vraiment trop vif. Je suis certain qu’on me la pardonnera). Comme cet ouvrage est superbement écrit, ciselé, impeccable… Comme il est rédigé dans une langue qui est de la soierie… Et… surtout… comme je n’y ai trouvé qu’une erreur lexicale unique… Je ne me priverai pas du plaisir chafouin de la partager avec vous, invitant respectueusement l’auteur à remplacer ce mot, abruptement fautif mais totalement isolé dans l’intégralité de son opus, lors d’une réédition. Cherchez ici l’erreur. La discernez-vous? On évoque un patelin qui s’appelle Cap Éternité. Ça ne s’invente pas. Attention, action. Le symbole a de l’ampleur. La formule, du panache. Ce patronyme de cinq syllabes est imparable dans un haïku. Cap Éternité (p. 363). Eh, bien, il s’agit ici en fait d’un toponyme, pas d’un patronyme. Un patronyme, c’est pour les noms de personnes. Oh, oh… machigaï… Mais, ceci dit, bon, on va pas en faire une fondue non plus, hein… L’ouvrage est d’autre part parfaitement impeccable, du point de vue de notre sacro-sainte conformité scribe, orthographique et toutim. Il se lit merveilleusement, en plus. Suavement, aisément. Donc, plus un mot-lexème sur cette petite défaite de mot-lexème, comme aurait pu le dire autrefois sensei Benveniste.

Et puis revenons, pour conclure, si vous le voulez bien, à cet exercice du journal de voyage, dans ce qu’il a de fondamental. Ce que l’on rencontre très intimement, très profondément, dans cet ouvrage extrêmement original, c’est, tout simplement et tout prosaïquement, une version moderne et rafraichie des particularités de la survie. Il s’agit là d’une réalité qu’on connaît beaucoup moins qu’avant. On en perd la touche, alors que nos ancêtres sont censés être des voyageurs, des coureurs de bois et des gens ayant tapissé comme ça toute l’Amérique de leur savoir-faire polymorphe et de leur curiosité sagace. Or, justement, Charles Sagalane, pour avoir sué sang et eau à suivre les pistes ardues et tortueuses de ces mythiques escogriffes que rien n’arrêtait, connait solidement son affaire. Et il est très explicite sur l’admiration qu’il a envers ses prédécesseurs voyageurs. Qu’elle me paraît incroyable, l’endurance des ouvreurs de pistes, voyageurs et trailblazers de notre continent! Ils faisaient en canot ce que je peine à réaliser en auto (p. 328). Toujours lucide et toujours serein, notre bibliothécaire de survie connaît les grandeurs et les limites de son exercice. Il sait qu’il besogne dans l’éphémère. Il sait que ses livres vont finir aux quatre vents, bizounés, éparpillés tout partout, déchirés par la tempête, submergés par les saisons, congelés par la neige, équarris par l’étouffante chaleur estivale, altérés par les inondations et… lus quelque peu. Nous sommes ici dans la beauté cruciale et incontournable de la miniature d’action et du résultat précaire. Une telle aventure possède une essence précaire qui en fait la valeur (p. 50). Fatalement, la matérialité des faits nous rattrape. Et le scripteur déploie subtilement cette aptitude à bien faire sentir l’effet corporel et intime du voyage. Il se blesse un pied, au tout début de sa trajectoire. Et graduellement, il imprime en nous l’intensité rocailleuse de la survie. Elle se manifeste tant en matière de nourriture, que de transport, que de belles lettres. En survie, même le livre a un poids. Les grands bourlingueurs le savent, qui privilégient la lecture en papier bible, les éditions de poche dont on se déleste et les formats numériques (p. 66).

Et alors, bon, puisque l’auteur émaille le tout de son ample démarche biblio-portageuse des haïkus (de lui ou de ses pairs) que le voyage et la survie lui rappellent ou lui inspirent, je crois que, de ma modeste personne, après avoir longuement médité moi-même l’intégralité de ce texte somptuaire, je me dois de faire le plus grand des petits choix, à mon tour. Aussi, je me suis demandé… lequel est le haïku sagalanesque qui nous fait le coup subtil de résumer, en quelques syllabes senties, l’intégralité de l’aventure, tant matérielle qu’intellectuelle, du ci-devant bibliothécaire de survie. Et, catalaunique jusqu’au bout des tifs, j’opte finalement pour celui-ci: étagère pleine chaque théière possède la forme du thé (p. 169, disposition modifiée). Et ici, c’est toujours moi qui cite, mais, cette-fois-ci c’est aussi moi qui parle… pour dire… Pas un de mes haïkus ne peut rivaliser avec cela (p. 163).

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Charles Sagalane, Journal d’un bibliothécaire de survie, Éditions la Peuplade, coll. Récit, 2021, 421 p.

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POÉSIE ET JEUX LITTÉRAIRES DE SIORIS

Posted by Ysengrimus sur 7 mars 2023

 
De tes vécus, tu as franchi
Plus qu’une vie à l’image
De tes passions et fantaisies
Sioris

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L’architecte, scénariste et poète Paul Henri Denis Sirois [dit Sioris] fait circuler, ces temps-ci (2020-2021), sous le manteau, dans les Basses-Laurentides, le recueil de ses Poésie & jeux littéraires. Déjà, en partant, il y a ceux qui en seront et ceux qui n’en seront pas car, mutin et matois comme un singe, selon sa manière, Sioris procède à une distribution sélective et hautement parcimonieuse de son œuvre, artisanalement éditée. Cette fois-ci, j’ai eu droit à mon exemplaire avec dédicace personnalisée. J’en ai tiré un plaisir indubitable. Sioris est un poète très libre, labile, moiré, qui assume la variation des formes de notre patrimoine poétique avec souplesse, décontraction, originalité et bonheur.

Ainsi, d’abord, notre bon ami de la chose verbale n’hésite pas une seconde, quand cela lui chante (et quand cela rencontre la cohérence thématique exigée) à mobiliser une facture de versification toute classique. Quand la tristesse, la lassitude intérieure et le deuil doivent parler, rien ne vaut la petite touche baudelairienne, qui est toujours un peu avec nous.

LETTRE POSTUME À LISE MARCEAU

J’étais tenaillée de mes fatigues physiques
Assise au fauteuil lourd de mes rêves absents
Un minet à mon cou ronronnant doucement
Sous les lueurs du soir et pensées nostalgiques
J’aimais m’inoculer de bizarres musiques

J’ai toujours adoré plein de silence à vivre
En des appartements devenant un ilot,
Où parfois mon cœur seul s’abreuvait de sanglots
Refermant ma vie, comme celle d’un vieux livre,
En plongeant dans l’honneur des vertus à poursuivre

Que m’importaient l’amour, la plèbe, les chagrins
Ils vivaient tous en moi et cela m’attristait,
Noyant mon existence triste dans la paix,
Pour voir se dérouler mes ennuis assassins
Dans la pénombre où chantait l’âme, son refrain.

J’étais celle dont la vie fut une prière
J’étais celle qui voulait rire sans mentir
Apprenant lentement à ne pas dépérir
Mais mon âme lassée, comme sous une pierre,
Appelait vainement une ombre familière.
(p. 72, dans Portraits d’amitié)

Admettez avec moi que Nelligan n’aurait pas fait mieux que ça. Même quand il évoque le malheur, Sioris est indubitablement heureux de versifier. Et il va, de surcroit, ne pas hésiter à solidement forcer la poéticité dans l’angle du répétitif, du récursif et de l’incantatoire. Il y a, chez ce versificateur, une aspiration sentie à dominer la redite bien tempérée et à lui faire expurger cette dimension de lancinance ondoyante qui tire infailliblement la richesse de la pauvreté.

ÊTES-VOUS SI PAUVRES?

Est-elle si pauvre
Votre existence,
Qu’il ne vous reste plus
Qu’un goût rance
De souvenance?

Est-elle si pauvre
Votre souvenance
Que vous en avez oublié
Même l’enfance…
Son innocence?

Est-elle si pauvre
Votre innocence
Que vous n’en gardez plus
Que l’aberrance
Ou l’ignorance?

Est-elle si pauvre
Votre ignorance,
Que vous ne savez même plus
Sa provenance…
Son existence?

Êtes-vous si pauvre?
(p. 48, dans Les jeux littéraires de Sioris)

Voilà qui est volontairement redondant, méthodiquement étagé, limpide et parlant. La redite peut donc bel et bien se concentrer et buriner, marteler la question sociale et l’interrogation acide. La redite peut aussi s’ouvrir en éventail ou en ombelle et aller chercher toutes les facettes, physico-culturelles et socio-historiques, de l’objet d’inspiration. Il n’est pas dit que la disposition du vers ne rencontrera pas la diversité du fait.

LES MAINS

Graveur et peintre allemand
Mains jointes en prières
Comme celle de Dürer

Érigeant des bâtiments
Mains de charpentiers
Édifiant des cités

Pour réparer nos souliers
Mains des cordonniers
Pour aider les pauvres gens

De leurs gestes en excès
Mains des sourds-muets
Dans leurs signes non verbaux

De ses doigts au bout des mains
Mains d’un musicien
Sur les touches d’un piano

Dans les paumes d’un artiste
Mains d’un ébéniste
Caressant le bois ouvré

Sous le joug des policiers
Mains du délinquant
Lorsqu’elles sont menottées

Dans les bras de sa maman
Mains d’un nouveau-né
Agrippant un doigt aimant

Pour la solidarité
Mains au poing levé
Refusant l’abnégation

Comme celles des docteurs
Mains des spécialistes
Coiffeurs ou décorateurs

Enlaçant leurs cœurs joyeux
Mains des amoureux
En marchant main dans la main
(pp. 126-127, dans Textes variés au fil des années)

Un fait s’impose alors, graduellement, à la lecture: Sioris chante, en fait. Aussi, on ne se surprendra pas du fait qu’il a mis en forme un certain nombre de… chansons, justement. D’ailleurs, dans le cas de ces dernières, il ne se contente pas de les mettre en forme. Il les met aussi en scène. Dans la chanson parlée et chantée qu’il dédie tendrement à son fils, Sioris dicte une tonalité du jeu (du jeu d’un acteur-chanteur). Pour chacune des strophes de la ballade suivante, un peu comme dans la musique italienne de la Renaissance, un ton est dicté. Dans l’ordre: moment parlé, chant doux, chant fort, moment parlé derechef, chant doux derechef…

À MON FILS

Mon fils! N’écoute pas les gens parler
Lorsqu’ils ne savent pas te consoler,
Écoute plutôt parler ton cœur,
Car lui seul connait ton bonheur.

Mon fils! Ne pleure pas le temps passé,
Car on ne peut vraiment pas le changer,
Sèche les larmes dans ton cœur,
Pour ne pas noyer ton bonheur.

Mon fils! Crois en l’amour, ta liberté,
Même si parfois tu sembles enchainé,
Tu as les talents de ton cœur,
Ceux de tes passions et bonheurs.

Mon fils! Crois en demain, ta destinée
Et ne doute pas qu’on puisse t’aimer.
Sème en toi les élans du cœur,
Ils sont les fruits de ton bonheur.

Mon fils! Marche toujours avec fierté,
La tête haute dans l’adversité,
Mais n’oublie jamais ton bonheur,
Sur les longs chemins de ton cœur.
(p. 81, dans Chansonnettes, Contes et comptines)

Bonheur, cœur… il suffit ensuite d’avoir un enfant et le texte se construit. Et on observera, par la suite, de plus en plus, qu’à la fascination ludique du versifié et, voire, du rimaillé, oui ou non scandé, s’ajoute, chez Sioris, un indubitable bonheur des images. Je ne vais pas tout vous livrer. Simplement, dans les deux fragments suivants, pistez attentivement les anges qui déploient leur feuilleté bruissant, immaculé et ailé, tout en s’associant à des animaux et aussi à de petites aventures gastronomiques et gustatives, au sein desquelles on ne les attendait pas nécessairement. Gâteau des anges?

Au beau jardin des ailes d’anges,
Leurs flammes d’or fleuries d’orange,
Près d’un marais, dans sa margelle
Et d’un bassin où l’eau ruisselle.
Et puis soudain, le vent s’affole,
Et des oiseaux, soudain, s’envolent.
Un bruit confus… presque diffus,
Un vent malin… d’ombre qui tue.
(p. 103, extrait, dans Textes variés au fil des années)

Ces mondes parfois étranges
Où les chevaux sont des anges
Et les fraises ont goût d’orange,
Où les chats sont des oiseaux
(p. 22, extrait, dans Poèmes d’inspiration ou Poésie d’influence)

La longueur des textes de ce recueil varie amplement. Si Sioris sait faire couler sinueusement le poème long, il a aussi une particulière aptitude à faire triompher le texte court. Ami fidèle des haïkus et des sonnets, il sait mobiliser toutes les formes poétiques dans certains textes brefs et fulgurants qui s’amusent à scintiller devant l’œil, en une mystérieuse verroterie lumineuse, bien jalouse du secret de sa propre valeur.

SOLEIL EN FLEURS

Le grisant soleil
Explosant en parcelles
Sa fleur d’étincelles
Étiole, ensorcelle
En neige de perles
Sa féerique ombelle
En pleurs de soleil
(p. 54, dans Les jeux littéraires de Sioris)

Après ses remerciements (p. 4), son avant-propos (p. 9), un texte d’ouverture intitulé Le chant du cygne (p. 11), et un prologue en forme d’entretien avec soi-même (p. 13), Sioris nous livre ses quasi-pastiches dans Poèmes d’inspiration ou Poésie d’influence (p. 16), ses astuces de constructions littéraires (sonnets inversés, versifications aléatoirement ou méthodiquement réversibles, etc) dans Les jeux littéraires de Sioris (p. 42), l’évocation de ses amitiés, acquises ou perdues, dans Portraits d’amitié (p. 70), son rapport éminemment textuel à la musique et à la mélopée dans Chansonnettes, Contes et comptines (p. 78), et finalement le trop plein que lui livrèrent les muses dans Textes variés au fil des années (p. 100). Le recueil est parsemé de discrets petits dessins, d’inspiration parfois animalière, parfois humaine, parfois architecturale, parfois formaliste, qui font subtilement sentir un net compagnonnage du poète avec les autres formes d’art.

À lire indubitablement… si possible… car ne passera pas entre toutes les mains…

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Paul Henri Denis Sirois, Poésie & jeux littéraires de Sioris, in-plano avec reliure spirale, Saint-Eustache, chez l’auteur, 2020, 130 p.

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LE ROI DE MIGUASHA (Isabelle Larouche)

Posted by Ysengrimus sur 7 février 2023

Elle a bien ri quand je lui ai raconté les rêves dans lesquels je me transforme en poisson. Toujours dans l’eau, à traverser lacs et rivières, à la nage ou en apnée, sans jamais m’épuiser. Angèle m’a initiée aux siens, ses rêves à tire-d’aile, m’a-t-elle décrit, où elle est légère dans des cieux changeants, Ang’ailes d’oiseaux n’a jamais peur de tomber dans ses songes aériens.
(Tallulah, chapitre 12, pp 130-131)

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L’autrice québécoise Isabelle Larouche se consacre depuis plusieurs années à la littérature jeunesse. Son volumineux corpus est un excellent terrain d’exploration pour nous faire découvrir que les ouvrages destinés à la jeunesse ne font pas réfléchir que les jeunes. Cela se manifeste surtout quand des questions sociales et sociétales sont abordées. Dans deux villages limitrophes de Gaspésie, vivent deux jeunes filles de treize ou quatorze ans. L’une est Québécoise (de souche Acadienne), l’autre est de la nation Micmaque. Les deux jeunes filles ne se sont jamais rencontrées. Nous sommes de plain-pied dans une autre de ces dynamiques des deux solitudes, ce trait si typiquement canadien.

Les deux jeunes filles sont scolarisées, chacun de son côté, et leurs passions naturelles les dirigent tout doucement vers le haut savoir. Angèle est une ornithologue en herbe très compétente. Tallulah se passionne pour la plongée (en apnée, faute de moyens) et s’intéresse aux mystères de la géologie et de la paléontologie sous-marines. Chacune dans leur institution scolaire respective, elles remportent le prix couronnant leurs projets scientifiques de fin d’année. Et quel prix! Il s’agit d’une grande tournée en autocar, muséologique et touristique, de la province de Nouvelle-Écosse, en compagnie d’une bande allègre et tonique de jeunes bidouilleurs et bidouilleuses de projets scientifiques, dans leur genre. Surprise sidérée. Redéfinition imprévue d’un été. Révolution des tranquillités.

C’est que les deux jeunes filles vivent chacune dans leur petit monde. Elles sont intimement pétries de leur riche héritage ancestral, l’un acadien, l’autre micmac (des héritages qui se rejoignent en plusieurs points, d’ailleurs). Jusqu’à nouvel ordre, elles vivent amplement dans leur tête. Angèle, qui a des nausées récurrentes dans tous les véhicules de transport (au point de ne pas prendre l’autobus scolaire pour se rendre à l’école), ne s’imagine vraiment pas faire le tour d’une grande province maritime en autocar et d’aller, en prime, en point d’orgue, voguer sur une goélette de course, le Bluenose II. Tallulah lutte timidement avec son si problématique trilinguisme. Elle parle peu le micmac, la cruciale langue de ses ancêtres qu’elle ne voudrait pourtant pas perdre, elle parle peu le français, langue de communication fort présente dans le grand espace gaspésien. Elle s’exprime surtout en anglais et, de fait, elle ne s’exprime pas tellement. Tallulah a, en effet, tendance à rester silencieuse, en attendant que ça passe. Elle ne s’imagine vraiment pas partir en voyage avec une bande de verbo-moteurs hypervitaminés, tous très contents d’avoir gagné un prix scientifique et d’en jacasser sans fin. Ainsi, chacune dans son coin, les deux jeunes filles vont passer à deux doigts de décliner cette aventure. C’est leurs parents qui vont les forcer à se redresser un petit peu tout de même sous le licou de la vie.

L’alternance des sensibilités et des émotions intérieures de ces deux jeunes filles est judicieusement exposé par Isabelle Larouche, notamment grâce à un procédé d’écriture simple, quoique hautement original, et d’un efficace esthétique très satisfaisant. Jugez-en. L’ouvrage est formé de dix-huit chapitres et il est intégralement écrit en JE. Entendre: les deux jeunes filles écrivent, chacune à son tour, en JE. Elles disent toutes les deux JE, dans le coin de leur être, c’est-à-dire chacune dans leur espace textuel strict. L’espace d’Angèle, ce sont les chapitres portant la numérotation impaire. L’espace de Tallulah, ce sont les chapitres portant la numérotation paire. À la lecture, on s’installe très promptement dans cette dynamique pendulaire des points de vue, et elle nous fait avancer avec subtilité, sagacité et sagesse dans l’alternance de ces deux regards spécifiques, à la fois si différents et si semblables. La dynamique  et le rythme du récit étant ce qu’ils sont, on détecte vite qu’on se dirige tout doucement vers une rencontre. Sentant l’avancée vers ladite rencontre, je me souviens de m’être (futilement) inquiété en me demandant qui donc détiendrait le JE au moment du télescopage des deux sensibilités de nos deux protagonistes? Inquiétude non avenue attendu que la réponse en est: tout le monde. Les deux personnages ont continué de dire JE, chacune dans son sous-ensemble de chapitres spécifiques. Le parallélisme des deux discours répondra tout tranquillement, et jusqu’au bout, à l’inexorable perpendicularisation des deux destinées. Angèle et Tallulah partent donc pour ce voyage estival, combinant éducation et tourisme. Solitaires dans la foule, au début, elles en viennent graduellement à se trouver, se rencontrer, se découvrir. Angèle entretient initialement (notamment aux pp 50-51)  des préjugés assez tenaces au sujets des gagnants de prix scientifiques scolaires… et pourtant…

Tallulah n’est pas une fille comme les autres. En tout cas, elle balaie tous les préjugés que je me faisais sur les gagnants de concours scientifiques! C’est une rebelle au cœur tendre, avec un air légèrement mystérieux que j’aime bien. Recluse, elle observe le monde, comme si elle vivait dans sa tête. J’en suis certaine, son imagination regorge d’histoires aussi farfelues et fantastiques que celles qui se cachent dans la mienne. Elle est comme un poisson au fond de son bocal. Et si on s’approche trop près d’elle, elle file comme une anguille! Pourtant, dès le premier jour, et malgré nos différences langagières, j’ai tout de suite été attirée vers elle, comme si j’avais deviné qu’on était faites pour s’entendre, C’est fou! Elle habite dans le village voisin du mien. Comment se fait-il que nous ne nous soyons jamais rencontrées auparavant?
(Angèle, chapitre 11, p. 117)

Tallulah appréhende, plus que tout, les contraintes inextricables du blablabla social sans fin. Et cependant… et justement…

Angèle commence à connaître ma routine matinale et elle s’en accommode sans rechigner. Elle se contente de me sourire avant de faire ses ablutions. Elle n’est pas une fille compliquée et cela me va très bien. La preuve, nous avons besoin de peu de mots pour nous comprendre. J’imagine que c’est ainsi, avoir des affinités avec quelqu’un. Une chose est certaine, elle est la seule personne du groupe qui me plaît et avec qui j’aimerais peut-être devenir amie. Je suis de nature solitaire et secrète, mais avec Angèle, je me sens de moins en mois farouche. C’est pour cela qu’en entrant dans l’autocar, je lui fais un petit sourire et un signe pour l’inviter à partager ma banquette.
(Tallulah, chapitre 10,  p. 103)

Les deux jeunes filles deviennent donc tout doucement amies, pendant le voyage. On observera donc que l’autrice, l’illustratrice, et les deux principales protagonistes de cet ouvrage sont des femmes. Cela nous donne à entrer dans l’univers, de plus en plus formulé et tangible, de la culture intime féminine. De fait, les garçons sont assez périphériques dans cette aventure. Ce sont les deux frères turbulents et enquiquineurs d’Angèle. C’est le grand demi-frère charmant mais évaporé de Tallulah. C’est le mystérieux amoureux, très éventuel et très arlésienne, qu’Angèle nie fermement avoir (p. 18). C’est le grand-père conteur de peurs de Tallulah et les persos inquiétants qu’il fait danser devant ses yeux. Ce sont les papas bien tempérés des deux jeunes filles. Ce sont finalement les garçons du voyage de tourisme scientifique qui se barbent sur les vieilles pierres et le fatras historique, justement exactement l’univers de recherche et de réflexion au sein duquel Angèle et Tallulah se rejoignent (pp 122-123). Ceci est un livre fille, bénéficiant d’une écriture et d’illustrations fille. Cela n’en fait pas pour autant un livre juste pour filles, car les garçons et les hommes apprennent et s’enrichissent beaucoup en le lisant. Féminisation ordinaire de nos espaces mentaux, mes beaux.

Et le roi de Miguasha, dans tout ça, c’est pas un homme, lui, alors?  Même pas. C’est un poisson. Et pas la première friture venue, encore. Un seigneur. Une référence. Un poiscaille préhistorique de conséquences, vu qu’il semble bien qu’il soit nul autre que celui qui, des centaines de millions d’années avant ses descendants (dont nous sommes), a commencé à prendre des petits respires dans l’atmosphère et à se faire des os de bras et de jambes en devenir, en tendant à ramper sur les plages (pp 109-110). Tant et tant que, à la fois d’eau et d’air, le susdit roi de Miguasha sera, lui, crucialement, ce point d’intersection paléontologique entre la fille-poisson (Tallulah) et le fille-oiseau (Angèle). C’est effectivement ce fossile intermédiaire indubitable qui scellera l’amitié des deux jeunes filles, non sans une rencontre imprévue et commune avec une petite aventure incorporant un très grand danger.

L’ouvrage est agrémenté de huit illustrations, une en couleur (page couverture) et sept en noir et blanc, de l’illustratrice Jocelyne Bouchard. Certaines de ces illustrations d’intérieur de livre font écho à la passion ornithologique du personnage d’Angèle et, de ce fait, elles donnent à découvrir le solide travail de dessinatrice animalière de Jocelyne Bouchard.

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Fiche descriptive de l’éditeur:
À la suite d’un concours de sciences à l’école, Tallulah fait la rencontre d’Angèle. Elles gagnent toutes les deux le premier prix dans leur école: un voyage. Au fil des kilomètres, les deux jeunes filles découvriront que leurs ancêtres à toutes les deux ont une histoire commune: en 1755, la famille d’Angèle habitait à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse. Mais lors du Grand dérangement, la déportation des Acadiens, ceux-ci ont cherché à se cacher dans la forêt. C’est alors qu’une famille micmaque les aurait aidées…  et Tallulah est une descendante directe de cette Nation.

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Isabelle Larouche (2018), Le roi de Miguasha, Éditions du Phœnix, Coll. Premières Nations, Montréal, 190 p [Illustrations: Jocelyne Bouchard].

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AU-DELÀ DU REGARD (Claire De Pelteau)

Posted by Ysengrimus sur 15 janvier 2023

Les trois soeurs Marion Gerard

je quête fébrilement les mots
la parole à conquérir
avant que le jour n’appartienne
à la mémoire des fables
(p. 94)

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La poétesse Claire de Pelteau récite ses vers et médite le monde et ce, dans un même souffle. De Erik Satie à Mohandas Ghandi, en passant par Riopelle et Dorion, les rappels qu’elle instaure touchent différentes facettes de notre existence civique et sociale. Elle explore ces personnalités et ces réalités en rendant solidement compte des impacts qu’ils importent en elle, en nous. De la même façon, et sur le même ton, la poésie s’ouvre ici à la géographie et à la géopolitique du grand village monde qui nous englobe. Il est de plus en plus limpide que cette poétesse d’une très grande culture et d’une profonde sororité humaine entend une multitude d’appels…

L’appel

Au-dessus des plaines des montagnes des vallées
une voix résonne
au-delà des rivières des fleuves des océans
une voix résonne
par-dessus les toits les mosquées les villes
une voix résonne
c’est l’appel… l’appel à la prière au Moyen-Orient.

Une vive émotion m’enveloppe
je redécouvre la voix humaine
la voix de la parole de la modulation de la plainte
Cette voix résonne
douce tendre
sourde grave
envoûtante
elle raconte s’immisce chante psalmodie supplie

C’est l’appel… qui rallie et engendre l’échange
l’appel du berger rassemblant le troupeau
celui du loup hurlant à la meute
du cor en profonde forêt
du clairon réunissant les soldats
de l’horloge tintant  l’heure
des clochers bourdons des églises
du gond vibrant au recueillement

L’appel à la vie premier cri de la naissance
celui de l’amour cristallisant la passion
celui de ta voix devenue mienne
qui me réchauffe m’habite et m’inspire
l’appel d’aujourd’hui celui de demain

Une voix résonne et je comprends
de tout temps… jamais ne s’éteindra l’appel.
(p. 70)

C’est dans la rencontre du monde que s’exprimera le rapport crucial à la pulsion de l’écriture. En exprimant un tel rapport, c’est dans un style vif et nerveux que le déploiement textuel fait sentir la relation qui s’établit à la totalité des différents replis de l’univers, replis de la nature et replis de l’histoire. Et, avant tout et par-dessus tout, ce raccord ébloui à la totalité de l’être qui intrigue, c’est lui le plus dense, le plus fort. Il règle et régule la pulsion poétique et mène à la décision, incontournable, fatale et fondamentale, d’écrire.

Ravissement

Un soleil vermillon
aux éclats du ciel
creuse la rivière

Engloutir l’aube
s’y abreuver
un seul voyage existe
celui de la lumière

Sur mon île ton visage
ton souffle en mon parcours
tu m’effleures m’absorbes
je dévie le silence

Écrire

Une vague une vie
un départ un retour
continuellement
le phare nous le rappelle
mais le port nous ancre

les jours ne dérivent plus
ils oscillent
la nature m’invente
elle murmure

Des rubans de paroles
diffusent mes saisons
croître aux semences de vie
tel est le sens.
(p. 143)

Au sein dense et profond de nos luttes philosophiques entre le subjectif et l’objectif se configure ce qui devra se dire, se réciter, se retourner. Dans cette lutte, entrecroisant l’être des mondes et l’être de soi, ce sera donc l’immense réalité à la fois complexe, intangible et polymorphe qui frappera tant la perception que son rendu verbal. Frappe, terrible torrent sur le rocher pensant. La poésie exprime et expurge de plein fouet. Le monde l’imbibe. Le fait l’imprègne. On en vient à ne plus postuler benoitement l’habitude du frisson mondain. On recommence à le sentir entrer en nous, comme autrefois, comme en enfance. Et une fois cette réalité objective profondément intériorisée, socratiques, l’humaniste autrice en arrive à conclure et à décider que, finalement, c’est à travers le réceptacle de soi que se canalise la pulsion textuelle en émergence.

Jaillir

La clarté déploie ses ailes
l’oiseau toujours en vol
l’humain en va-et-vient
on disperse le temps
on découpe l’espace

Pourquoi faut-il toujours partir
à la quête à la recherche
du nébuleux du merveilleux
se cache-t-il si loin là-bas
ou jaillit-il au fond de moi?
(p. 91)

Le rapport à la force intellectuelle s’établit et, ce faisant, il s’humanise. Pour une autrice de cette génération, la puissance de la configuration de la pensée, fatalement, prends corps dans un certain rapport à l’homme… j’entends à l’être humain de sexe masculin. Celui-ci, bien sûr, se trouve dans la situation fréquente, comme l’avait observé autrefois la tendre épouse de Monsieur Teste, de déployer sa stature sous la formes bruissante et convenue d’un aigle intellectuel. Un tel aigle intellectuel exerça, en son temps, une fascination sentie. Et la poétesse assume sereinement cette vibration aussi ancienne que crépusculaire et elle n’hésite pas un seul instant à joyeusement s’en imprégner.

L’aigle pensant

Il fut si grand l’aigle pensant
ailes envoutantes
ailes vibrantes
m’y suis perdue

Un an de vie à partager
et je plongeai passionnément
pour découvrir et parcourir
l’énigme d’être

Rarissime fut cet aigle
que j’ai vertige de survivre
tant et pourtant il me féconde
m’accompagne m’actualise

Il prolifère l’art de vivre
de percevoir de ciseler
de parcourir et d’émerger
finalement de se mieux dire
osez osons

Il fut si grand l’aigle pensant.
(p. 40)

Voici que s’ouvre alors le vaste portail des émotions sentimentales et des pulsions de désir envers l’autre sexe. Lesdites émotions sentimentales sont torrentielles, multiples, méthodiquement thésaurisées et finement diversifiées, dans le présent corpus poétique. Elles ont une dimension très importante dans cette écriture. Entre autres, on lit ici une voix de femme qui exulte sur les hommes. Cette autrice au riche héritage intime écrit sur ses relations amoureuses passées et présentes. Elle nous fait partager ce qu’elle ressent, quand elle est solidement imprégnée de la force de l’intime.

Dormir ensemble

La vie nous courtise
pourquoi s’éteindre?
Demeurons vastes ramures

Franchir le crépuscule
saisir la nuit
précieux souffle de l’errance

Parfums subtils
aux clartés de tendresse
à la fusion des corps

L’impromptu d’un bercement
aux manèges habiles
tendres si tendres ballades

Dénudés insouciants choyés
Dormir à deux enlacés
Dormir ensemble.
(p. 110)

Exploration sentimentale en éventails, en rhizomes. Comment peut-on déployer une réflexion sur l’amour sans toucher la question, toujours sensible et valide tant pour les hommes que pour les femmes, du regret d’amour? Les passantes de Brassens, Les patineuses de Latraverse sont toujours un peu avec nous, quand il est temps de se dire qu’il aurait tant fallu, cette fameuse fois-là, exprimer les choses. Si on les avait formulées, ces choses de l’amour, peut-être aurait-on pu esquiver un certain nombre de tragédies profonde, de drames cuisants.

Mon jardinier

Il était beau mon jardinier
et je l’aimais et je l’aimais
pour ses clients Monsieur Beauchamp
mais la main verte il se nommait

Je l’aperçus chez Monsieur l’Maire
Il labourait platebandes et terres
Et mille fleurs y jaillissaient
ah! quel talent il lui fallait

Quand mon terrain fut abîmé
par les travaux d’un bulldozer
un jour sa carte lui demandai
Il vint alors collaborer

il fit terrasse de pierres plates
poussière de roche et cailloux blancs
Il y planta muguets et lis
pensées lavande myosotis

Il ajouta grandes pampas
iris rosiers et mousse tendre
et nous parlions parlions de plantes
il était beau mon jardinier

Secrètement je l’attendais
il me plaisait et je l’aimais
comme un ami ou comme un fils
je ne sais plus qui aurait su

Puis vint l’automne feuilles et vents
et tant de plantes à protéger
narcisses jonquilles à planter
Et nous parlions déjà printemps

Ne lui ai dit que je l’aimais
de par pudeur de par réserve
quarante-huit ans d’âge il avait
et soixante ans là où j’étais

Puis je partis quelques semaines
quand je revins c’était la fin
il s’était pendu… qui l’aurait cru
point me pardonne de m’être tue

Pour ses clients Monsieur Beauchamp
Mais la main verte il se nommait
il était beau mon jardinier
et je l’aimais et je l’aimais.
(p. 44)

Sur une musique triste et dense, celle-là, on aurait pu la chanter. La poésie s’écrit de toutes façons ici comme pour faire des chansons. Comme pour enfiler des perles de ritournelles, le texte reste ici toujours un peu en compagnie des rythmes, des mélodies, des flonflons. On renoue avec une poésie qui est conçue explicitement pour être récitée verbalement. Conséquemment, elle pourrait fort aisément être mise en musique et, oui, faire des chansons d’une très grand force. Il n’y a rien à dire d’autre que de la chanson, dans ces textes, il y en a.

Il y a

Il y a dans la mer
toutes les éclosions de vie
qu’il nous faut honorer

Il y a dans la végétation
les molécules de la survie
qu’il nous faut protéger

Il y a dans le secret des choses
l’énigme vibrante
qu’il nous faut saisir

Il y a dans la découverte
toutes les connaissances
qu’il nous faut parfaire

Il y a dans le rêve
tant d’espérance
qu’il ne faut pas interrompre.

Il y a dans l’homme
une soif d’absolu
qu’il nous faut apprivoiser

Il y a dans la vie
vagues montantes descendantes
toutes marées à parcourir

Il y a dans la mort
ce passage inconnu
d’une appartenance au cosmos… il y a… il y a…
(pp 95-96)

Solidement et en méthode, le travail sur la répétition scandée, bien établi chez cette poétesse, est toujours installé dans une harmonie, dans une dynamique feutrée et joyeuse qui nous rappelle que, quelque part, ce qui se dit se chante. On sait ici assurer l’intendance de la redite, de la ritournelle et de la répétition constructrice de textualité. À la fois toujours convenue et toujours rafraîchi, le pendule précieux sait balancer et sait revenir. Après tout, il en est de notre pensée écrivante comme d’un clavier bien tempéré. Ses routines stabilisables savent toujours rencontrer nos mains. Codes de gestes, codes de mots, même moulage.

Nos mains

Nos mains ensemencent la vie
mains d’une clé porte close porte ouverte
mains de la pâte à pétrir
mains du fil à l’aiguille de la laine à la soie
mains de la plume aux pages de brume
main dans la main sur le chemin,
mains offertes et caressantes
mains effleurées ou mains croisées
nos mains de grâce
content et racontent toutes choses
épisodes multipliés d’une vie partagée.
(p. 88)

Tout est remanié, retouché, dominé avec le doigté du savoir fin sur les choses. Tout est frais, ou plutôt rafraichi, renouvelé, réjuvéné, retravaillé, matois, tonique. Le recueil de poésie Au-delà du regard contient 80 poèmes. Il se subdivise en six petits sous-recueils: La parole révèle (p 13 à 25), Les rencontres apprivoisent (p 27 à 51), Les peuples racontent (p 53 à 81), La poésie illumine (p 83 à 101), L’amour éblouit (p 103 à 125), et Mes îles voyagent (p 127 à 146). Ils sont précédés d’une préface de Jean-Paul Richer (pp 9-11), et suivis de trois annexes, soit la notice biographique de la poétesse Claire de Pelteau (pp 149-150), une bibliographie des ouvrages auxquels a contribué Claire de Pelteau (p 151) et la notice biographique de l’artiste peintre Marion H. Gérard (p 153). Le tout se termine sur une table des matières (pp 155-157). Le recueil est illustré de la reproduction d’une peinture à l’acrylique intitulée Odyssée 2012 de Marion H. Gérard, en première de couverture.

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Claire De Pelteau, Au-delà du regard – Poèmes et réflexions, Éditions Le grand fleuve, 2012, 157 p.

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Miracle fictionnel (et dialectique rationnelle) sur la 34ième rue

Posted by Ysengrimus sur 25 décembre 2022

Susan Walker (Natalie Wood) et Kris Kringle (Edmund Gwenn)

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Susan, I speak French but that doesn’t make me Joan of Arc…
Doris Walker

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Il y a soixante-quinze ans sortait ce qui reste probablement le plus intelligent (et charmant) film de la Noël jamais réalisé, Miracle on 34th Street. La 34ième rue, à New York, est un espace hautement symbolique et largement mythique. Rue de l’Empire State Building, c’est aussi la perspective où se trouvent les grands magasins Macy’s (toujours existant) et Gimbels (disparu, lui, en 1987). Nous sommes en 1947, c’est le tonique début des Trente Glorieuses, tout respire la prospérité et la jubilation commerçante. Et la modernité trépidante de la situation ne se désavoue en rien, soixante-quinze ans plus tard. La Noël décline tout doucement, comme fête traditionnelle, et elle est graduellement bouffée par le consumérisme cynique et tapageur.

Doris Walker (Maureen O’Hara) est cadre chez la maison mère du Macy’s de New York et c’est elle qui est en charge de l’organisation de la célèbre Parade Macy’s de l’Action de Grâce. Au moment du lancement matériel et pratique de la parade, elle découvre que le pauvre type qu’elle a embauché pour jouer le Père Noël est ivre mort. Sur la rue où va démarrer la parade, Doris tourne la tête dans toutes les directions et se retrouve nez à nez avec un charmant vieux monsieur à barbe blanche. Elle l’embauche sur le tas, pour remplacer son soiffard. Elle ne se rend pas compte qu’elle vient, en toute simplicité, dans l’urgence, d’embaucher le seul et unique vrai Père Noël. Et le récit démarre…

Toute la jubilation de l’exercice intellectuel qui se met alors en branle consiste à assumer que nous vivons dans un monde ordinaire, pratico-pratique, ricain, moderne et turbulent. Simplement au sein de cette effervescence usuelle, le Père Noël existe, discret mais entier. C’est un monsieur âgé qui vit dans une maison de retraite et qui se nomme Kris Kringle (un des noms mythiques du Père Noël chez les anglophones et les néerlandophones américains). Ce monsieur Kris Kringle (Edmund Gwenn) est un bon citoyen placide et amène. Simplement, la commercialisation de la Noël lui fait froncer ses sourcils neigeux. Il accepte donc de devenir ainsi Père Noël de magasin, chez Macy’s, pour relever le défi consistant à perpétuer la magie enfantine de la Noël, dans le tintamarre contemporain, si possible. Vaste programme.

Doris Walker, divorcée et mère monoparentale bien de son temps, a une fille de huit ans, la petite Susan Walker (Natalie Wood, particulièrement convaincante), qu’elle élève seule et éduque dans le cadre explicite et ferme d’un cartésianisme des plus terre à terre. La petite Susan Walker va dans une école de surdoués et elle ne perd ni son temps ni celui de sa mère avec le fantastique, le féerique ou l’enfantin. Elle évolue donc, sous la houlette sourcilleuse de sa maman, dans un monde où il est inculqué aux petites filles bien éduquées et adéquatement équilibrées intellectuellement que le Père Noël n’existe pas. Or, miracle fictionnel oblige, vu que, dans le présent espace narratif, il existe, certaines manifestations empiriques, subtiles mais imparables, vont mettre graduellement le cartésianisme maternel à rude épreuve, en forçant la mise en place d’une rationalité dialectique plus profonde, celle incorporant l’inattendu et l’imprévu dans l’enceinte de la réflexion.

Le promoteur tout involontaire de cet assouplissement contraint des visions du monde va s’incarner en la personne de l’avocat Fred Gailey (John Payne). Ce dernier croit, spontanément et sans le moindre dogmatisme particulier, au Père Noël et, surtout, aux vertus cognitives et intellectives des histoires de géants et des contes de fées, dans l’esprit enfantin. Voisin et ami de Doris, puis devenu, dans des circonstances que vous découvrirez, bon pote de monsieur Kringle, Fred va rapidement assumer que le doux barbu est, en toute simplicité toujours, le Père Noël et que, bon, c’est comme ça que ça se passe dans le temps des fêtes. Pas tout à fait comme ça, au demeurant. Car les choses vont vite devenir assez délicates à manœuvrer pour monsieur Kringle.

C’est que notre bon Père Noël de grand magasin n’en fait qu’à sa tête. Son chef de rayon lui remet une liste de jouets à pousser. Monsieur Kringle ignore cette liste et recommande plutôt à la clientèle les meilleurs jouets, même si ceux-ci sont vendus par la concurrence. Au moment où son chef de rayon s’apprête à lui tomber sur le dos pour une telle indolence, ledit petit chef se heurte rapidement à une force inattendue: l’enthousiasme massif des clientes qui, satisfaites des bons conseils de monsieur Kringle, se déclarent désormais fidélisées à Macy’s. L’affaire tourbillonne vite et remonte jusqu’au bureau du patron, Rowland Hussey Macy en personne (qui, quoi que mort en 1877, revit ici en une prestation modernisée fort réaliste, assurée par Harry Antrim). La formule Kringle est promptement adoptée. Désormais Macy’s sera le magasin humain qui recommandera les meilleurs jouets, d’où qu’ils viennent. Mais, d’autre part, Doris consulte la fiche d’employé de monsieur Kringle, pour constater qu’il s’y est dénommé Kris Kringle et qu’il a mis ses rennes comme membres de sa famille à contacter en cas d’urgence. Doris doute maintenant de la santé mentale de l’individu et elle voudrait discrètement le congédier. Une tension s’installe. Le populaire Père Noël de Macy’s est aimé de la haute direction autant que du public mais Doris et ses collègues sont réfractaires à mettre les enfants en contact avec quelqu’un qui pourrait bien être un fou, même un fou placide.

L’affaire va prendre une toute autre ampleur quand monsieur Kringle, sommé de décliner sa véritable identité, va refuser tout net de nier qu’il est le Père Noël. Les choses vont alors promptement se judiciariser. Kris Kringle va devoir démontrer légalement son identité et, ce faisant, dans le mouvement, établir l’existence objective (ou à tout le moins intersubjective, disons, institutionnelle) du Père Noël. Une fois de plus: vaste programme. Et comme tout se retrouve devant le tribunal de New York, la tâche démonstrative va incomber à l’avocat défenseur de monsieur Kringle, nul autre que… son nouveau pote, Fred Gailey.

Dans les intellects, la tension s’installe aussi. Doris aime de plus en plus tendrement ce vieil homme inoffensif, si gentil et si délicat avec sa petite fille. Matoise, la petite Susan pousse le sens du défi rationaliste (enrobé déjà amplement d’un émerveillement enfantin renouvelé) en demandant au Père Noël un cadeau titanesque, quasi-irréaliste. Attente en anticipations tendues. Enfin, magique ou non, cet homme est charmant, et Doris Walker s’en voudrait de plus en plus de lui susciter des ennuis juridiques. Et —aussi— elle est forcée, en toute logique ratiocinante, d’encadrer intellectuellement les étranges et infimes manifestations de mystère s’accumulant, en gravitant, autour du vieux bonhomme. Doris chemine graduellement dans la dialectisation de sa rationalité.

Car c’est quoi, au fond, la rationalité ordinaire. C’est rien d’autre qu’un rajustement des prémices axiomatiques aux faits empiriques adéquatement colligés. Si nous sommes au cinéma et, quand, dans ce cinéma d’autrefois, le Père Noël existe et fait partie du personnel, l’exigence d’une rationalité dialectique est d’ajuster l’analyse aux faits s’imposant à nous. Il faut agir ainsi, de manière à organiser lesdits faits conceptuellement, en toute adéquation. C’est ce qu’on ferait sans hésiter pour Superman, Wonder Woman ou Pikachu, n’est-ce pas? Alors…

Synthèse tranquille de l’auto-émerveillement et de la rationalité de l’américanité triomphante d’après-guerre, ce film savoureux, irrésistible, se déploie dans le cadre du réalisme fantastique insolite. Pas de magie tapageuse ici, pas de miracles ostentatoires, mais du mystère insidieux, du bizarre suave, de l’incongru taquin. Les Américains montrent aussi ici leur efficace et sidérante aptitude à l’autodérision. Ils ironisent sur leurs institutions avec un mordant et un modernisme qui coupe le souffle. Car, en cette quête collective d’une reconnaissance institutionnelle du Père Noël, tout le monde passe le terrible test tellement Nouveau Monde du pragmatisme philosophique: le juge, le grand patron de magasin, le gouverneur de l’état, le procureur du district, le fonctionnaire des postes. Tout le monde apparaît plus ou moins comme un opportuniste intersubjectiviste qui préférera, au fond, se couvrir le cul plutôt que d’oser nier l’existence du personnage fictionnel auquel le peuple tient tant. Dans cet imbroglio des vérités, la femme, la mère monoparentale et sa fille, apparaissent comme des figures centrales, nouvel épicentre de la problématique vériconditionnelle qui reste, de plus et entre autres, celle de l’intendance d’une paternité (ou grand-paternité) bien tempérée. Le vrai miracle dans cet opus, c’est celui d’arriver à traiter subtilement et intelligemment des questions sociétales profondes, en une réflexion philosophique pertinente et durable, dans le cadre restreint et insondablement sympathique d’un conte de Noël. Savoureux, intemporel, irrésistible. Ces développements, aussi intelligents que désopilants, sont incroyablement actuels et il reste étonnant qu’ils aient été formulés avec autant d’acuité, il y a quand même trois quarts de siècle. À voir, avec ses enfants (et si vous tenez à éviter le noir et blanc, toujours mal aimé, il y a lieu de noter qu’il existe une honorable version colorisée, datant de 1985).

Par contre, attention: MÉFIEZ VOUS DES IMITATIONS. Ce film a fait l’objet d’un grand nombre de remakes télévisuels (celui de 1955 est disponible sur YouTube. Il est à la fois trop fidèle et trop succinct. Il est moins bien dirigé. Ne pas le regarder, il vous gâcherait l’original) et cinématographiques, notamment en 1973 (disponible sur YouTube aussi, à éviter soigneusement, trop fébrile) et en 1994 (Un four, un ratage parfaitement désolant. À fuir). Évitez-moi soigneusement ces sous-produits fallacieux et maladroits. Tenez-vous en à la précieuse version originale de 1947. C’est la seule qui vaille le détour.

Miracle on 34th Street, 1947, George Seaton, film américain avec Maureen O’Hara, Natalie Wood, Edmund Gwenn, John Payne, Harry Antrim, Mary Field, 96 minutes.

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