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Archive for novembre 2013

L’assassinat politique de JOHN FITZGERALD KENNEDY – un survol parcellaire et ancillaire du corpus kennedologique contemporain

Posted by Ysengrimus sur 22 novembre 2013

JFK et LBJ

John F. Kennedy (JFK) et son futur successeur Lyndon B. Johnson (LBJ) — Cherchez à qui le crime profite…

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Coupe la queue du chien, la tête du chien pourra encore te mordre. Coupe la tête du chien, la queue du chien ne pourra plus rien te faire…

d’après Carlos Marcello (1910-1993), caïd louisianais expatrié à deux reprise sous Kennedy

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Il y a cinquante ans, le président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy (1917-1963) mourrait assassiné, dans ce qui allait devenir l’un des événement les plus cuisants de l’imaginaire collectif américain de la seconde moitié du siècle dernier. Sur le chose kennedologique tout a été dit et autres choses. Mais le problème est que la mémoire chirurgicalement sélective a tendance, comme dans tous les cas de lancinance, à entrer constamment dans le même réseau rituel et à y tourner en boucle. Oublions un petit peu, si vous le voulez bien, la limousine décapotable, et la tête du président qui éclate, et Madame Kennedy à plat ventre sur le coffre arrière, et l’expertise balistique, et le décompte des détonations, et la Commission Warren, et Lee Harvey Oswald et Jack Ruby. Prenons tout simplement un peu de champs en… regardant la télé, comme au bon vieux temps, tout simplement. Une poignée de francs-tireurs (le mot est facile, je sais, mais il fallait que je le place) discrètement irrévérencieux et suavement mythoclastes nous ont donné, en 2011, l’occasion du prendre un petit peu du champ sur la légende et la souffrance, avec le remarquable petit télé-théâtre THE KENNEDYS, du réalisateur canadien Jon Cassar, sur un script de Stephen Kronish.

Jack (Greg Kinnear), Jackie (Katie Holmes) et Ethel (épouse de Robert Kennedy, jouée par Kristin Booth)

Jack (Greg Kinnear), Jackie (Katie Holmes) et Ethel (épouse de Robert Kennedy, jouée par Kristin Booth)

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Archétype de l’empilade graduelle et générationnellement étagée du pouvoir des grandes familles, la délétère concoction kennedyenne a commencé longtemps, très longtemps, avant les tragiques détonations du 22 novembre 1963. Laissons-nous un petit peu emporter par la réflexion que nous instilles ces huit épisodes de quarante-cinq minutes chacun. Il est fortement recommandé de lire (sinon de mémoriser) cette petite fiche de présentation avant visionnement. Elle est un compendium des implicites dont dispose, imparablement et massivement, l’auditoire américain de 2011-2013.

1- A FATHER’S GREAT EXPECTATIONS [LES GRANDS ESPOIRS D’UN PÈRE]. On découvre d’abord Joseph Patrick Kennedy Senior (1888-1969), le pater familias des Kennedy et un des instigateurs mal connus du vaste drame qui s’enclenche. Ancien commis de banque de souche irlandaise ayant racheté l’institution d’épargnes où il bossait, avec du fric emprunté de main à main à sa famille élargie (son père Patrick Joseph Kennedy, 1858-1929, avait été politicien local et propriétaire d’une petite chaîne de tavernes à Boston, officiellement mise à mal par la Prohibition), Joe Kennedy va construire une fortune pharaonique dans les secteurs bancaire, immobilier, industriel (acier), commercial (alcool, pendant et après la Prohibition) et cinématographique (il est, entre autres, à l’origine de la fusion d’entreprises ayant mené à la création du studio RKO). C’est en siégeant sur le comité d’administration de la Bethleem Steel qu’il s’acoquine avec Franklin Delano Roosevelt (1882-1945). Devenu président, ce dernier nomme Joe Kennedy, en 1938, au poste international le plus prestigieux de la diplomatie américaine de l’époque: ambassadeur en Grande-Bretagne. Mais Joe Kennedy commettra l’erreur politique d’adhérer aux vues conciliantes de Chamberlain face à Hitler (la fameuse politique de l’apaisement). Proche du mouvement America First de l’aviateur Charles Lindbergh (1902-1974) et en même temps antisémite avoué, le milliardaire irlandais ira raconter, en pleine Bataille d’Angleterre, que l’ère de la démocratie est révolue. Roosevelt va s’empresser de le dézinguer de son poste d’ambassadeur et Joe Kennedy envisagera alors de se présenter à l’investiture démocrate contre Roosevelt, pour empêcher ce dernier d’obtenir un troisième terme et, surtout, pour devenir, lui-même, président des États-Unis. Après l’échec de cette demi-tentative d’investiture, Joe Kennedy comprend que ses chances présidentielles sont passées. Il va donc très méthodiquement transposer ses espoirs sur ses fils. Cela va se faire dans l’ambiance la plus dynastique imaginable. On envisagera d’abord de promouvoir —et de largement financer— les espoirs présidentiels du fils aîné, Joseph Patrick Kennedy Junior (1915-1944). Avec sa gueule d’acteur et son éloquence naturelle, il a toutes les chances. Il est pilote de bombardiers mais, malgré ses vingt-cinq sorties de combats victorieuses, il est sans médaille. Pendant ce temps, son frère puîné, John Fitzgerald Kennedy (1917-1963) a vu le feu, presque fortuitement, en servant, dans les Îles Salomon, sur un croiseur de patrouille vaguement pilonné par un destroyer japonais et, pour avoir sauvé un camarade, il se retrouve chamarré de la Médaille de la Navy et du corps des Fusiliers marins. Le puîné fait de l’ombre à l’aîné, en quelque sorte. Démobilisé, Joe Junior décide donc de rempiler et s’intègre, en 1944, comme pilote, à l’Opération Aphrodite, une étrange tentative de faire sauter des forteresses canonnières allemandes du nord de la France en les onze-septembrant avec des vieux coucous bourrés d’explosifs, le pilote et le co-pilote étant censés se parachuter in extremis avant l’écrasement volontaire. Joe Kennedy Junior prend place dans le premier avion de ce convoi de kamikazes bizarres et ce dernier pète en vol au dessus de l’Angleterre, tuant Kennedy et son co-pilote (erreur humaine ou autre chose? – le surréalisme du moment est amplifié par le fait que le colonel Elliott Roosevelt, 1910-1990, un des fils de FDR, le suivait à bonne distance dans un Mosquito pour filmer l’opération). Émoi atterré chez nos rupins bostonnais. En bonne cohérence dynastique, le pater familias, assez vite remis de ses émotions, se place alors, pour la future course présidentielle, derrière John alias «Jack» qui, pourtant, a super mal au dos (sa blessure de guerre a compliqué un mal chronique qui était déjà là) est timide, peu confiant, pas très chaud, un tout petit peu bègue et, conséquemment, bien mauvais orateur.

2- SHARED VICTORIES, PRIVATE STRUGGLES [RÉUSSITES COLLECTIVES, ÉCHECS PRIVÉS]. Un John Fitzgerald Kennedy bien vacillant, tenu financièrement et émotionnellement au fond de culotte par son papa Joe, devient membre de la Chambre des Représentants en 1946 et sénateur en 1952. Il fait la connaissance de la jeune photographe new-yorkaise Jacqueline Bouvier (1929-1994), en 1953 et l’épouse un an plus tard (1954). On prend alors conscience d’un gros problème que Joe (papa) et Jack (fiston) ont en commun. Ils sont des coureurs de jupons invétérés, convulsionnaires, acharnés, impénitents et incurables. En cela, ils contrastent totalement avec le troisième fils (et septième enfant) de Joe Kennedy et de Rose Elizabeth Fitzgerald (1890-1995 – la fille d’un ancien maire de Boston, le fin du fin de la gentry de Nouvelle-Angleterre), le bien nommé Robert Francis «Bobby» Kennedy (1925-1968). Ce dernier se marie en 1950 (après cinq ans de fréquentations) avec une solide chicagoane irlando-hollandaise, Ethel Skakel (née en 1928), dont il aura onze enfants. Fidèle comme un pilier de temple, heureux en ménage, amoureux sans mélange, Bobby n’est pas trop enthousiaste des constantes escapades sentimentales de son frère Jack. La mièvre mais lucide Jackie non plus d’ailleurs, qui envisage froidement de lui coller un divorce sur le dos, juste avant la naissance de John Kennedy Junior dit John-John (1960-1999). Maman Rose et surtout papa Joe s’en mêlent et les affaires se rabibochent. Y-a-t’il eu de l’argent engagé dans le coup, c’est pas clair. Il est évidemment pas possible de se présenter au portillon de la gloire électorale avec un candidat présidentiel divorcé. On écrase donc le coup et on comprend vite que ce couple ne sera jamais vraiment une association heureuse. J’en profite pour faire observer que Katie Holmes nous campe une Jackie Kennedy de haute volée et que l’actrice canadienne Kristin Booth nous fait découvrir une Ethel Kennedy éclatante, dont le bonheur conjugal tonique et rayonnant avec son Bobby mettra plus cruellement en relief l’insondable vide amoureux du pâle tandem de convenance Jack-Jackie.

3- FAILED INVASION, FAILED FIDELITY [UNE INVASION RATÉE SUR FOND DE FIDÉLITÉ DÉFICIENTE]. On comprend vite que, ploutocrate assumé et démocrate strictement nominal, Joe Kennedy envisage sans complexe d’être l’éminence grise de cette fameuse présidence à venir. Il a d’abord un tête à tête frontal avec son fils Bobby. Ce dernier est un tout jeune avocat qui ne s’est pas encore mis à la pratique du droit et papa Joe exige de lui qu’il devienne tout de suite, tout simplement, à trente-cinq ans, attorney general des États-Unis (procureur général, ou garde des sceaux, ou ministre de la justice), une fois Jack élu. Sans frémir, Jack le sélectionnera et ce sera cela, rien à redire. Bobby préférerait retourner à Boston pratiquer le droit et s’occuper de sa famille nombreuse, surtout que, pendant la campagne électorale de 1960, Joe, qui coordonne tout depuis son bureau d’affaire, traite Bobby ouvertement comme un pauvre portefaix sans grande envergure. Les deux frères s’insurgent bien un peu, en faisant valoir au père que cela risque de faire chiqué, népotisme et tout et tout. Rien n’y fait. Joe Kennedy impose son idée. Une fois élu, Jack retient son frère Bobby comme attorney general. Celui-ci ne le sait pas encore mais il est un véritable surdoué de la politique qui deviendra littéralement la colonne vertébrale de la présidence Kennedy. Mais la route sera bien raboteuse. Le jeune et irrévérencieux Bobby devra d’abord s’efforcer de mettre au pas l’influent directeur-fondateur du FBI, le tout puissant John Edgar Hoover (1892-1972). Ce dernier dirige la police fédérale américaine depuis 1932 et s’avère être le dangereux potentat, aussi discret que non révocable, d’un véritable état dans l’état. Voici un premier grand ennemi intérieur mortel (noter ce mot) que se feront les Kennedy: le chef du FBI et, à travers lui, un segment important du corps policier conservateur. Comme Jack a déjà l’irrésistible habitude de rencontrer des femmes dans un petit salon discret de la Maison Blanche (Jackie est au domaine familial des Kennedy au Massachusetts avec les enfants), il appert qu’une certaine Judith Campbell Exner (1934-1999), femme de vie perçue comme proche des milieux mafieux, est prise en photo par les sbire de John Edgar Hoover dans les corridors du palais présidentiel. Hoover présente cette série de clichés aux deux frères Kennedy comme pièces à convictions confidentielles et il fait bien sentir qu’elles resteront ainsi confidentielles si (et seulement si) tout se passe correctement. Bobby ne se laissera pas pour autant intimider. Et tandis que Bobby continue de s’efforcer, de jours en jours, de mettre ce rétif mastodonte de grand flic au pas, Jack est subitement confronté à sa première crise internationale majeure (qui sera aussi sa première opportunité de constater que les éléments factieux de son administration ne sont pas les moins dangereux de ses ennemis). Isolé de Bobby en une cellule de crise agissant en temps réel, et sur la foi de rapports fumeux de la CIA en Amérique Latine, Jack se voit forcé d’autoriser l’invasion de la Baie des Cochons (Cuba, 1961) par deux petits milliers de partisans anticastristes (sans appui logistique américain détectable – il s’agit de faire la chose avoir l’air d’une «libération» de Cuba par des cubains). Lesdits partisans anticastristes se font promptement aplatir par les troupes cubaines régulières. C’est un désastre militaire et politique. L’état-major affecte alors de vouloir aller sauver ces vies humaines cruellement broyées par le communisme en envahissant ouvertement Cuba. Bobby, cette fois présent à cette seconde réunion d’état-major, flaire le coup fourré et encourage un Jack, encore vacillant dans ses bottes de commandant en chef, à refuser tout net de procéder à l’attaque frontale sans sommation de cet allié direct de la Russie soviétique, sous prétexte de calfater une opération… quoi, prévue pour sciemment se casser la gueule et déclencher, comme fatalement, l’implication américaine? Sur le conseil de Bobby, Jack procède à un tonitruant mea culpa télévisé qui lui gagne tout de go une opinion publique américaine peu habituée à autant de sincérité ingénue chez ses dirigeants. Et les faucons du Pentagone sont forcés de ranger leur fourbi guerrier jusqu’à la prochaine fois. Voici un second grand ennemi intérieur mortel (noter ce mot) que se feront les Kennedy: l’état-major ardemment va-t-en guerre des années d’avant le conflit du Vietnam ainsi que les services secrets compradore internationaux des USA (la ci-devant CIA, dans laquelle ils feront un grand ménage après le fiasco de la Baie des Cochons). Encouragé en sous-main par papa Joe, Bobby devient le véritable homme-lige de Jack et, sur un ton revêche et ferme, il tient la dragée haute aux flics, aux espions et aux soldoques qui se mêlent encore un peu de prendre les Kennedy pour des petits joueur falots et malléables.

4- BROKEN PROMISES AND DEADLY BARRIERS [DES PROMESSES ROMPUES ET DES OBSTRUCTIONS MORTELLES]. Petit recul dans le temps. On se retrouve à Chicago, en 1960. Joe Kennedy travaille alors par tous les moyens à la réussite de la campagne présidentielle de son petit Jack. Joe se rend à une rencontre feutrée tenue dans un bistrot borgne avec Salvatore «Sam» Giancana (1908-1975), important caïd de la mafia chicagoane. Joe voudrait que Sam use de son influence dans les syndicats, le patronat et tous les replis divers de la bonne et moins bonne société de Chicago pour aider Jack à remporter l’Illinois. Le pégreux italien n’est pas chaud chaud: il préfère le candidat républicain, Richard Milhous Nixon (1913-1994), plus compatible avec sa propre sensibilité sociale, pour dire les choses pudiquement. Les deux hommes (Joe et Sam) se quittent sans parvenir à un accord mais ils restent en contact via le canal de communication d’un truchement fort improbable en la personne du chanteur de charme Frank Sinatra (1915-1998). Il semble qu’éventuellement Sinatra en tartine plus épais que le client n’en demande, en faisant accroire à Sam Giancana qu’une entente a été conclue via Joe avec les Kennedy et qu’une administration Kennedy laisserait les opérations mafieuses du clan Giancana intactes. Giancana lance donc finalement sa machine d’influence dans la balance, au profit de la candidature de Kennedy. Quand, après la victoire, Bobby, ministre de la justice ardent, rigoriste et doctrinaire, décide le plus important coup de filet sur les grandes opérations pégreuses de l’histoire américaine, Sam Giancana fait jouer, tout naturellement, son réseau pour réclamer l’impunité que semblait lui avoir pourtant promis, via Sinatra, ce cher papa Joe, au bon temps du moment Illinois de la campagne électorale. Maldonne. Embrouillamini. Sinatra en a trop mis. On s’est mal compris. Rien de ce genre n’avait jamais été promis. Sinatra se fait vertement savonner par Joe Kennedy. Bon, ce dernier cherche bien, d’autre part, à influencer Bobby, à lui faire mettre la pédale douce sur la pègre, mais celui–ci reste intraitable. La mafia sera mise au pas sous son administration et ce, en commençant par ses caïds les plus puissants. Un point, un petit blanc. Sam Giancana finira éventuellement à ricaner de gêne face aux questions que lui posera en rafale l’intransigeant Bobby, présidant personnellement sa vigoureuse commission d’enquête sur le crime organisé. Voici un troisième grand ennemi intérieur mortel (noter ce mot) que se feront les Kennedy: le crime organisé et, à travers lui, la portion criminellement corrompue du corps administratif. Assez vite une table d’écoute téléphonique, mise en place par les services de John Edgar Hoover, et captant une conversation passablement acide entre Sam Giancana et un autre mafieux du nom de John Roselli (1905-1976), fait surface dans le bureau des Kennedy. Elle incrimine Joe Kennedy, en laissant supposer qu’il a pu cultiver des ententes de coulisses avec la pègre pour aider Jack à remporter l’Illinois en 1960. Dans une des scènes les plus puissantes de ce télé-théâtre, Jack et Bobby convoquent leur père Joe à Washington et, désormais hommes d’état d’abord fils ensuite, ils exigent que Joe leur dise la vérité sur cette sombre affaire et puis ensuite, ils coupent tous liens avec lui, pour éviter de compromettre leur croisade en cours contre le crime organisé, pour ne pas dire la crédibilité intégrale de toute la présidence. Les créatures semblent alors s’autonomiser de leur créateur. Ceci dit, cet intense purisme anti-crime n’empêche pas Jack Kennedy de bien virevolter aux frontières de la chose criminelle lui-même. Souffrant de maux de dos chroniques, il devient un des patients assidus du terrible Doctor Feelgood (Max Jacobson – 1900-1979), médicastre mondain peu regardant qui gave les personnalités qu’il traite d’injections d’amphétamines et autres potions suspectes, imparablement illicites (sa licence médicale sera révoquée peu avant sa mort, en 1979). Critiqué pour ce genre de solution curative peu reluisante, Kennedy aura ce mot: «Même si c’est de la pisse de cheval qu’il m’injecte, je m’en fiche. Ça fonctionne et c’est tout ce qui compte». Jackie se met aussi aux injections d’amphétamines du Docteur Sentezvousbien et elle devient la super première dame qui pète le feu. Et pendant ce temps, les soviétiques bâtissent un mur à Berlin et l’état-major va-t’en-guerre pousse sur les Kennedy pour qu’on fonce sauver les pauvres berlinois du carcan communiste. Bobby n’a pas à aboyer trop fort contre les factieux cette fois-ci. Le président Kennedy est déjà plus solide dans sa fermeté anti-belliciste. C’est une bonne chose, car il va vachement en avoir besoin sous peu.

5- MORAL ISSUES AND INNER TURMOIL [ENJEUX MORAUX ET TOURMENTS INTÉRIEURS]. Nous sommes maintenant en 1961-1962. Les tensions raciales culminent dans le sud des États-Unis, tant et tant que Jack doit faire appel à son vice-président, le très omnipotent et fort ombrageux texan Lyndon Baines Johnson (1908-1973) pour qu’il tienne la délégation des congressistes sudistes en contrôle. Le président Kennedy, qui a déjà eu le front d’embaucher le tout premier membre des services secrets de race noire, en la personne d’Abraham Bolden (né en 1935), entend maintenant permettre à l’étudiant universitaire afro-américain James Meredith (né en 1933) de s’inscrire à la très ségréguée Université du Mississippi. Comme il est le premier noir à le faire, c’est le foutoir au Mississippi ainsi que dans la délégation sudiste du Congrès. Le bouillant Bobby, libéral et anti-raciste jusqu’au trognon, ne porte pas le vice-président Johnson dans son cœur et ne se gène pas pour vertement l’intimer à bien garder le contrôle de ses Jim Crow rageurs. Les sudistes du Congrès ne prennent vraiment pas de bonne grâce ce rappel à l’ordre «universel» des droits civiques qui rouvre les vieilles plaies sécessionnistes. Voici un quatrième grand ennemi intérieur mortel que se feront les Kennedy: le vice-président TEXAN (noter ce mot) Lyndon B. Johnson et sa solide phalange de suppôts sudistes. Comme les choses dégénèrent et tournent à l’émeute dans le sud, le président Kennedy finit par envoyer la garde nationale et James Meredith s’inscrit en fac flanqué d’une escouade de constables, au grand dam de ses compatriotes blancs. 1961, c’est aussi l’année où Joe Kennedy, âgé maintenant de soixante-treize ans, est frappé d’une attaque de paralysie cérébrale qui le laissera grabataire, muet et estropié jusqu’à la fin de ses jours. Rose, en le voyant ainsi, se remémore sa première fille et seconde enfant Rose Marie «Rosemary» Kennedy (1918-2005), une déficiente mentale fort agitée que Joe fit lobotomiser en 1941 croyant que cela la calmerait. Oh, cela la calma indubitablement… au point qu’elle ne reconnut plus jamais son père ni sa mère et, aujourd’hui, vingt ans plus tard (1961), sa mère Rose garde sur la patate l’affaire de sa fille transformée en légume, à son insu en plus. Les rapports de maman Rose avec Joe perdurent avec de plus en plus d’amertume accumulée pendant toutes ces années, sur cette histoire sordide de lobotomie. Le grabataire est soigné par son ancienne secrétaire et amante, la douce, sinueuse et patiente Michelle. S’autoproclamant porteuse de la vengeance divine, Rose se fait un devoir de saquer Michelle, de placer le grabataire, pas content et fort boudeur, chez une vague cousine à eux et de voir la suite venir, dans une ambiance glauque, morose, et pas marrante du tout. Rupins fétides, combien de secrets haineux et gangrénés portez vous bien serrés, en vos cœurs si noueux, sous vos plumeux jabots de marque.

6- ON THE BRINK OF WAR [À DEUX DOIGTS D’UNE GUERRE]. Ce qu’on nous montre ici, c’est que Nikita Khrouchtchev (1894-1971) n’est PAS le terrible ennemi mortel (ne pas noter ce mot) que l’époque voulait tant voir en lui. C’est la fameuse crise des missiles à Cuba. Les américains mettent Cuba non pas sous blocus (ce qui serait illégal eu égard aux lois internationales) mais en quarantaine [sic]. Il s’agit d’empêcher les navires soviétiques convoyant des composants de silos à fusées nucléaires d’accoster sur l’île. L’île est encerclée par une flotte américaine incorporant de vagues éléments internationaux auto-légitimants. Un avion espion américain est abattu au dessus de Cuba et la tension est à son maximum. Les va-t-en guerres de l’état-major poussent de toutes leurs forces sur le président et là, Kennedy, en pleine possession de ses moyens, décide d’utiliser le bras belliqueux et d’ouvertement rouler des mécaniques devant les cocos. Subtilement empathique, Kennedy mise que Khrouchtchev est un peu pris comme lui et arrivera, si on lui en laisse le loisir, un peu comme lui aussi, à ramener ses faucons à l’ordre. Kennedy lance donc un ultimatum ferme à Khrouchtchev: toute tentative de fournir des armes balistiques à Cuba sera perçu comme une agression sur les États-Unis menant à une réplique intégrale. Khrouchtchev finit par céder à l’ultimatum, non sans en rajouter dans le crescendo dramatique. Les fusées russes de Cuba sont démantelées avant le démantèlement des fusées américaines de Turquie (initialement Khrouchtchev exigeait le contraire) et ouf, on se calme. C’est la détente… Jackie, apprenant d’Ethel qu’il s’agit là d’une crise si grave que tout le monde rentre la tête dans les épaules en attendant la Bombe, laisse les enfants au Massachusetts et rentre pronto rejoindre Kennedy à la Maison Blanche. Cela les rabiboche un peu et leur fait minimalement oublier un irritant antérieur qui avait bien frustré Jackie un peu auparavant. Jack et Jackie participaient alors, à la Maison-Blanche, à un concert bénéfice pour lever des fonds électoraux. Comme le piano classique le barbe bien, Kennedy s’arrange alors pour qu’un sbire vienne lui demander de quitter le lieu du concert, sous un faux prétexte «présidentiel». Il va, en fait, aller s’installer dans un petit cinéma de poche secret et y visionner le Spartacus de Kubrick, en attendant d’être rejoint, en ce discret espace, par la femme du monde Mary Pinchot Meyer (1920-1964) qui n’était même pas sur la liste des invités de la soirée bénéfice. C’est d’avoir eu à se taper les invités à mille dollars le couvert toute seule et d’avoir eu vent de cette nouvelle escapade juponnière que Jackie s’était initialement barrée en Nouvelle-Angleterre avec les mouflets. Quand Caroline (née en 1957) demande à Jackie ce que Kennedy raconte à la télé, au moment de la détente de la crise, Jackie répond, admirative quand même: «Ton papa vient de sauver le monde».

7- THE COUNTDOWN TO TRAGEDY [LE COMPTE À REBOURS TRAGIQUE]. En 1962, tout va mal. L’actrice de cinéma Marilyn Monroe (1926-1962) veut que le président Kennedy divorce de Jackie et l’épouse, elle, comme il le lui a, semble-t-il, promis, dans l’ardeur de la passion. Elle lui téléphone des dizaines de fois par jour. Paniqué (notamment avec la réélection qui s’en vient), Jack demande à Bobby d’aller raisonner la blonde capiteuse. Bobby, qui s’est déjà fait draguer à fond par la star scintillante quelques années auparavant, aura ce mot: «C’est pas si simple pour moi, Jack. Je vis dans le monde réel, moi. Un monde où votre épouse est de fort mauvaise humeur quand vous revenez d’être allé rendre visite à Marilyn Monroe»… Bobby se fait effectivement fameusement enguirlander par Ethel mais pas à cause de Monroe, plutôt à cause de ce foutu Jack qui lui fait toujours torcher les plâtres à lui, Bobby, après ses gaffes juponnières. Ethel juge que Bobby devrait laisser Jack prendre la responsabilité de ses frasques, pour une fois. Mais Bobby ira voir Marilyn Monroe. Il la menacera même ouvertement de bien se faire emmerder par le pouvoir si elle ne se décide pas à poser ses rames sur le rivage (comme disait Renaud: c’est une image). Sur la route des vacances avec leur famille nombreuse, Bobby et Ethel apprennent ensuite, au radio, le suicide de Marilyn Monroe (1962). Le choc symbolique est immense: plus rien ne sera comme avant. Et, en 1963 aussi, tout va mal, politiquement cette fois-ci. C’est le bordel au Texas. Le Parti Démocrate est au bord du schisme et l’hostilité envers le président Kennedy est palpable partout, dans le grand état à l’étoile solitaire. Kennedy se rend donc à Dallas (Texas) pour tenter de remettre les choses en ordre dans son parti. Les mesures de sécurité sont renforcées. On craint explicitement le geste ouvertement disgracieux. Mais tout semble s’engager rondement. Les foules semblent enthousiastes de la visite du président qui est accompagné de son épouse (1963). On en arrive aux images cultes. Le télé-théâtre s’en tient ici prudemment à la version d’un Lee Harvey Oswald (1939-1963), tireur isolé. Mais, le temps de quelques secondes, on nous donne quand même à voir l’image hantise de la course des témoins en direction du fameux talus gazonné (grassy knoll) se trouvant DEVANT la limousine présidentielle au moment du carton final. Cette allusion à un second tireur sera fugitive ici mais indubitable aux yeux de tous kennedologue minimalement averti. L’effondrement de Joe Kennedy lorsqu’il apprend l’assassinat de son fils sera lui, plus lourd et ostensible. On va pas pleurer pour lui, par contre, allez…

Des policiers et des citoyens courant en direction du fameux muret du talus gazonné (grassy knoll) immédiatement après le passage de la limousine transportant Kennedy qui, lui, vient juste de se prendre une seconde balle dans la tête, apparemment tirée de tribord avant droit. Cette photo d’une action collective spontanée en direction de l’endroit où se trouverait un second tireur tend à fortement infirmer l’action inane d’un individu isolé ayant, lui, tiré dans le dos depuis la fenêtre du sixième étage d’un entrepôt ne figurant pas ici…

Des policiers et des citoyens courant en direction du fameux muret du talus gazonné (grassy knoll) immédiatement après le passage de la limousine transportant Kennedy qui, lui, vient juste de se prendre une seconde balle dans la tête, apparemment tirée de tribord avant droit. Cette photo d’une action collective spontanée en direction de l’endroit où se trouverait un second tireur tend à fortement infirmer l’action inane d’un individu isolé ayant, lui, tiré dans le dos depuis la fenêtre du sixième étage d’un entrepôt ne figurant pas ici…

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8- THE AFTERMATH: A FAMILY’S CURSE OF MISFORTUNE AND HEARTBREAK [APRÈS LE DRAME: LE SORT MALHEUREUX ET CRÈVE-CŒUR D’UNE FAMILLE]. Bobby Kennedy est dévasté. Pour lui, c’est le gouffre existentiel. Il juge, en conscience, que le président, son frère, s’est fait descendre parce que lui, Bobby, s’est mis à dos, en trois ans, par son ardeur, son outrecuidance et son arrogance, le FBI, la CIA, l’état-major, la vice-présidence, les congressistes sudistes, le dense et opaque peloton des fonctionnaires corrompus, et la pègre. Le vice-président Lyndon B. Johnson, devenu président à la place du président, nettoie la Maison-Blanche avec deux grandes pincettes diplomatiques, une pour Bobby et une pour Jackie. Jackie, relogée ailleurs, se met assez vite à fréquenter le milliardaire Aristote Onassis (1906-1975) qui «pourra la protéger, elle et ses enfants, dans son île». Pour des raisons qu’il faudra un jour élucider, Lyndon B. Johnson, qui avait gagné haut la main les élections post-kennedyiennes de 1964, ne briguera pas l’investiture démocrate en 1968. Bobby décide alors de se présenter et on est bien obligés de se dire que s’il devenait président, il rouvrirait ipso-facto le dossier du meurtre de son frère, hâtivement ficelé et scellé, sur fond de tireur unique aux motivations individuelles romantico-marxisantes, par la Commission Warren (qu’avait rapidement mis en place Johnson, retirant pronto le dossier des mains du ministère de la justice, qui restait encore un peu l’univers de Bobby). En 1968, Robert Kennedy perd l’investiture en Oregon, la gagne en Californie. Et il se fait descendre, à coups de pistolet, le soir de sa victoire en Califo, par un tireur planqué dans la foule de ses admirateurs de l’hôtel Ambassador de Los Angeles (ledit tireur, le jordano-palestinien Sirhan Sirhan, né en 1944, se fera pincer sur place et est encore en tôle au jour d’aujourd’hui – Notons qu’ici aussi l’hypothèse d’un second tireur a été envisagée). Joe Kennedy meurt au bout de son rouleau, l’année suivante (1969). Rose Kennedy mourra en 1995, Rosemary (la lobotomisée) en 2005, et Ted Kennedy, le grand absent de ce télé-théâtre, en 2009, d’un hautement symbolique cancer du cerveau. Voilà.

The Kennedys

Notre premier contact irrévérencieux avec le drame est donc désormais bien en place. Prenons maintenant connaissance d’un certain nombre de sources vidéo traitant de ces problèmes historiques, tout en cultivant simplement le postulat que l’assassinat de Kennedy est un événement politique longtemps avant d’être un problème pour détectives ou experts en enquêtes criminelles. Visionnons, visionnons. Il en sortira toujours quelque chose.

JON CASSAR ET STEPHEN KRONISH, THE KENNEDYS, TÉLÉ-THÉÂTRE AVEC GREG KINNEAR, KATIE HOLMES, BARRY PEPPER, KRISTIN BOOTH, TOM WILKINSON, DIANA HARDCASTLE, TROIS-CENT-SOIXANTE MINUTES. Ce télé-théâtre canado-britannico-américain se distingue par la qualité savoureusement mythoclaste de son déploiement et l’ambiance suavement plouto-fétide de son exposé. De l’application discrète, adéquate, utile, divertissante et satisfaisante des procédés narratifs et descriptifs du feuilleton populaire à une thèse politico-historique (huit épisodes de quarante-cinq minute, en anglais – voir mon résumé supra – une v.f. est disponible).

LE FILM ZAPRUDER, 1963. Tourné par le cinéaste amateur Abraham Zapruder (1905-1970), ce court métrage semi-fortuit de l’intégralité de l’assassinat de Kennedy fut un des documents filmiques les plus visionnés, cités et décortiqués de toute l’histoire cinématographique contemporaine (une minute, trente-quatre secondes, muet).

THE KENNEDY ASSASSINATION: BEYOND CONSPIRACY, BBC. L’articulation la plus achevée de la version confirmationiste de l’explication. Un tireur isolé, le «marxiste» Lee Harvey Oswald, a fait le coup dans l’ambiance exacerbée de la Guerre Froide, par strictes convictions personnelles (sans implication soviétique ou cubaine) et par narcissisme romantique exacerbé (on fournit une biographie troublante et détaillée d’Oswald). Il fut ensuite tué par un tenancier de cabaret d’effeuilleuses impulsif, Jack Ruby, qui voulait venger le président. L’exposé est passablement convainquant et contrebalance solidement et efficacement la thèse d’un assassinat politique de nature intérieure. Les dimensions politique (la guerre froide, entre autres) et même artistique (le film JFK de 1991 d’Oliver Stone, avec Kevin Cosner dont l’impact de masse est un peu surestimé ici) sont analysées dans l’angle confirmationniste. L’idée d’une conspiration est, en gros, une croyance collective relayée et futilement perpétuée par quelques franc tireurs politiques et des artistes (une heure trente, en anglais).

ÉPISODE DE L’ÉMISSION DU HISTORY CHANNEL INTITULÉE INVESTIGATING HISTORY. TITRE DE L’ÉPISODE: THE JFK ASSASSINATION. Un exposé neutre, efficace et limpide des deux thèses OFFICIELLEMENT [sic] retenues, celle d’un tireur unique tirant de haut et de l’arrière et celle de deux tireurs, le premier, et un second tirant de l’avant (cette seconde hypothèse confirmant implicitement l’existence d’une conspiration). Réalisé en marge du colloque ayant eu lieu pour le quarantième anniversaire de l’assassinat de Kennedy, ce reportage a la qualité de faire un tri particulièrement probant entre les hypothèses irréalistes et les hypothèses réalistes pour ce qui en est des détails concrets et criminologiques (forensic) du meurtre. L’exposé donne aussi un aperçu intéressant des maladresses et/ou malversations susceptibles de s’être manifestées lors de l’enquête immédiate, ainsi que de l’impact culturel ou mythique de cet événement sur la culture américaine et mondiale contemporaine (quarante-cinq minutes, en anglais).

ÉPISODE DE L’ÉMISSION DU HISTORY CHANNEL INTITULÉE INVESTIGATING HISTORY. TITRE DE L’ÉPISODE: THE GUILTY MEN. L’analyse défendant l’hypothèse qui, cherchant bien simplement à qui le crime profite, suit une filière texane remontant, dans une dynamique toute protowatergatesque, à Lyndon B. Johnson (LBJ) et à un certain nombre de gros bonnets du secteur pétrolier texan. On commence par une courte biographie peu louable de Lying Lyndon (Lyndon le menteur). On y apprend, entre autres, que LBJ aurait commandité un certain nombre de meurtres crapuleux et/ou politiques dans le Texas natal de ses débuts politiques. On rencontre aussi les hommes du vice-président, des avocats austinois influents, sbires intelligents et méthodiques, d’une fidélité indéfectible. Un système de corruption est en place passant par des relais qu’on liquide froidement s’ils deviennent nuisibles. Ce système se perpétuera même pendant la vice-présidence de LBJ. Derrière lui se profilent les nababs du secteur pétrolier texan qui n’aiment pas la politique énergétique qu’annonce Kennedy, à laquelle s’ajoutent les contrariétés classiques causées par Jack et Bobby à la CIA, au secteur militaro-industriel et aux différents agents texans de corruption gouvernementale. Mais le principal problème de LBJ est que certains de ses grands sbires des vingt années précédentes font face, en 1961, à la justice pour les affaires de corruption de ses jeunes années et qu’il risque d’être entaché par ces enquêtes. Si on pouvait attirer Kennedy dans un piège texan, LBJ échapperais à ceux qui le tourmentent ainsi. Des témoignages d’une domestique et de la maîtresse de LBJ laissent croire que le jour de l’assassinat, LBJ était clairement au courant des événements qui se préparaient. Dans les jours qui suivent l’assassinat, LBJ, maintenant président, téléphone à l’attorney general du Texas et à certains enquêteurs pour insister sur la culpabilité exclusive d’Oswald et l’absence de machination ou de conspiration. Ensuite lui et le directeur du FBI Hoover ont impunité pour étouffer l’affaire et il peut rapidement inverser certaines des décisions sensibles de Kennedy, en rapport avec la guerre du Vietnam, le crime organisé, la politique énergétique etc. Pour conclure, on nous annonce que l’empreinte digitale d’un des sbires de LBJ impliqué dans un des meurtres antérieurement commandités par lui au Texas (et ultérieurement mort sans témoin dans un accident de voiture sur une route texane, en 1971) se retrouve sur une des boites de carton de l’entrepôt scolaire d’où Kennedy sera assassiné. On enterre aussi cette preuve. Quand finalement, LBJ renonce «mystérieusement» à briguer un second mandat, probablement gagnant, et se retire dans ses terres texanes, il devient rapidement profondément dépressif. On le fait suivre étroitement par des psychiatres et les rapports écrits de ces médecins n’ont jamais été rendus publics.  (quarante-cinq minutes, en anglais).

JFK: THE CASE FOR CONSPIRACY, 1993. Une analyse critique détaillée des conditions concrètes (surtout criminologiques, logistiques et balistiques) de l’assassinat du président Kennedy. Le documentaire débute sur une présentation en temps réel du reportage d’époque, audio et vidéo, du déplacement de la limousine présidentielle depuis l’aéroport de Dallas jusqu’au lieu de l’assassinat. Il s’agit en fait d’un montage chronologique de tous les documents visuels disponibles. La ruée de la populace vers le talus gazonné (grassy knoll), lieu présumé de positionnement du second tireur, est particulièrement frappante. L’attention du documentaire se concentre justement sur les nombreux témoignages confirmant la présence d’au moins un second tireur. L’hypothèse d’un tir frontal est explorée et la position de la blessure arrière (au dos ou à la gorge) est remise en question. On fait observer qu’elle était certainement située plus bas dans le dos du président. Les photos d’autopsie ayant été remplacées par des croquis lors du dépôt du rapport d’enquête initial, leur comparaison les unes avec les autres est accablante pour les conclusions de la Commission Warren. La théorie de la cartouche unique ou cartouche magique (magic bullet) est fermement mise à mal. Le gouverneur John Connally, grand objecteur de l’hypothèse de la cartouche unique, témoigne même avoir été touché après le président, ce dernier probablement initialement frappé lui-même de face, à la gorge. La dernière balle, elle, vient indubitablement de l’avant. Elle projette des portions de crâne et de cervelle vers l’arrière et Jackie Kennedy grimpe sur l’arrière de la carrosserie de la limousine pour récupérer les morceaux de crâne et de cervelle. Les témoins (notamment les médecins texans ayant pratiqué l’autopsie) parlent d’une blessure de sortie à l’arrière inférieur de la tête. Les photos d’autopsie montrent une blessure de sortie à l’avant supérieur de la tête. Elles ont été altérées. Les témoins visuels de l’autopsie sont formels. Les témoignages et la démonstration de l’exposé étayent solidement la thèse d’au moins un second tireur ainsi que la thèse d’une profonde altération des documents photographiques d’autopsie, justement pour ne pas supporter cette thèse. Les témoins visuels du temps viennent ensuite confirmer la thèse d’une tête qui explose d’avoir été frappée par une cartouche venant de l’avant. On revoit aussi la cavalcade réelle ou présumée de Lee Harvey Oswald à la lumière d’une photo montrant une présence au sixième étage de l’entrepôt, trente seconde après les coups de feu. On discute aussi en détail les traces visuelles laissées par l’homme-chien noir (black dog man), et l’homme à l’insigne (badge man), deux tireurs présumés, cachés derrière le muret du talus gazonné. Quand les flics et le public sont partis à leur poursuite, des types en noir genre service secret leurs auraient dit de se disperser. Les tests balistiques et auditifs effectués en 1979 vont dans le sens de trois ou quatre tireurs dont au moins un se trouvant derrière le muret du talus gazonné. Il est clair que la vérité n’a pas encore pleinement fait surface sur les détails immédiats de cet assassinat historique (une heure quarante-deux minutes, en anglais).

AMERICAN EXPOSE – WHO MURDERED JFK, 1988. Une analyse «des conspirations» sur une ton une peu hollywoodien (incluant des reconstitutions dramatiques) mais non sans mérite pour faire sentir les complications du nid de frelons des versions. L’exposé s’ouvre sur une galerie de portraits louches suivie d’un résumé de la présidence de Kennedy. On passe ensuite à une portion d’entrevue avec la veuve de Lee Harvey Oswald. Au fil de l’émission, elle reviendra épisodiquement et dira avoir été manipulée par la Commission Warren. Elle ne croit pas que son mari était un petit saint mais ne croit pas non plus qu’il ait tué Kennedy, dont il pensait du bien. On concentre ensuite l’attention de l’analyse sur John Rosselli (graphie avec deux S, ici), un tueur à gage de la pègre. Il semble que la CIA et le FBI envisagent d’abord, vers 1959, de lui confier l’assassinat de Fidel Castro, en misant sur les réseaux pégreux toujours présents à Cuba, notamment dans le petit monde, en cours de démantèlement, des casinos. On nous explique que le président Kennedy faisait une fixation sur Castro (qui venait justement tout juste de prendre le pouvoir par les armes, en 1959) et sur sa croissante filière prosoviétique. Certains tueurs malchanceux vont même se faire épinglés par l’armée cubaine. Les diverses tentatives ratées d’assassinats politiques sur Castro mènent au désastre de la Baie des Cochons, mal planifié par la CIA. C’est donc alors le conflit ouvert entre Kennedy et ladite CIA. Les espions sont frustrés de voir des politiciens leur jouer dans les cheveux en concluant des ententes, au risque de leurs vies, à eux, sur le terrain d’opérations. Les politiciens sont contrariés par les maladresses des réseaux d’information. La pègre pour sa part est chassée de Cuba par le régime Castro et se niche en Floride. Sam Giancana entre alors en scène. Il a aidé les frères Kennedy à se faire élire en 1960 et se retrouve ensuite avec leur politique anti-pègre sur le dos. Jimmy Hoffa est furax aussi. D’autre pégreux laissent entendre que tuer la tête du chien rend sa queue inoffensive. Certains de ces pégreux sont texans. La CIA et la pègre vont établir leur jonction à Dallas. L’assassin de Lee Harvey Oswald, le tenancier de bar d’effeuilleuses Jack Ruby avait des liens profonds avec la pègre. Oswald lui même avait des liens dans l’espionnage (c’est un ancien fusilier marin ayant participé à des missions sensibles, notamment au Japon) et dans la pègre (notamment à la Nouvelle-Orléans). Son épouse est la nièce d’un officier du KGB (sur le plateau, elle corrigera cette affirmation en se donnant plutôt comme nièce d’un employé du Ministère de l’Intérieur). Oswald a, en plus, frayé à la fois avec les castristes et les anti-castristes. Contrairement à la croyance, Ruby et Oswald se connaissaient parfaitement. Ils se sont rencontrés plusieurs fois avant le crime. Rose Cherami, une serveuse du tripot de Ruby, qui s’est fait nuitamment jeter en dehors d’une voiture en Louisiane, raconte, un soir, aux médecins qui la rafistolent, que le président va être assassiné. On explore ensuite les informations confirmant un coup de feu venu du talus gazonné (grassy knoll). Un flic a même vu un type en costard qui lui a montré une carte d’identité des services secrets dans le stationnement derrière la fameuse clôture du talus gazonné. On explore ensuite la ressemblance entre trois clochards épinglés sur la voie ferré et trois assassins politiques notoires. On passe ensuite au meurtre d’Oswald par Ruby, en creusant les connections pégreuses de ce dernier. On en revient finalement à ces assassins malchanceux de 1959 capturés par les cubains, pour explorer une éventuelle connexion entre Castro et la pègre. On envisage que cette dernière aurait pu assassiner Kennedy par effet de reflux des tentatives d’assassinats antérieures de Castro par la pègre. L’idée est la suivante: Castro épingle ses assassins pégreux et, en échange de leur sortie de l’île vivants et avec en poches les avoirs saisis des casinos de leur(s) caïd(s), il descendent Kennedy. On aurait une réplique du berger à la bergère par Castro via une entente sur l’honneur avec la pègre, en quelque sorte. On en revient alors à John Rosselli et à ce qu’il savait sur les assassins autres qu’Oswald. Il finira par faire de fines allusions et… par se faire descendre lui-aussi, ainsi que Sam Giancana et une flopée d’autres témoins. Mais pourquoi enterrer l’affaire? Parce que Lyndon B. Johnson craignait une guerre mondiale si Castro était incriminé. Vous imaginez l’air idiot du topo en plus: un Goliath glabre et tonitruant se faisant terrasser par le petit David barbu et latin qu’il s’était lui-même promis d’écrabouiller. Pas fort, ça, pour l’image de la puissance de l’Amérique. Après l’échec de la Baie des Cochons et l’affaire des fusées cubaines, c’était tout simplement pas tenable. On la jouera donc au tireur isolé, exalté et marxisant certes, mais au moins bien de chez nous. Cet exposé échevelé part indubitablement dans toutes les directions et joue bien trop des effets sensationnels. Mais il permet, l’un dans l’autre, de prendre connaissance des grandeurs et des limites de l’hypothèse d’un assassinat de Kennedy astucieusement et malicieusement orchestré par nul autre que Fidel Castro… (une heure trente-deux minutes, en anglais).

ROBERT STONE, OSWALD’S GHOST. En donnant la parole à une brochette de commentateurs (dont le sénateur Gary Hart) et en exploitant une intéressante série de documents visuels et sonores d’époque, on suit la capture de Lee Harvey Oswald, notamment à l’aide d’entretiens avec des policiers du temps. Oswald nie alors toute culpabilité et affirme qu’il est soupçonné parce qu’il a vécu en Russie. On revoit le surréaliste point de presse d’Oswald au moment de sa capture. On décrit Dallas comme un dangereux bastion de la droite. Ses journaux sont vitrioliques contre le président. L’idée d’un gauchiste tuant le président à Dallas fait bien des sceptiques. Son assassinat ultérieur par Jack Ruby rend la chose encore moins crédible. Le fait que ce second meurtre ait lieu en direct à la télé nous fait entrer ouvertement dans l’incroyable. On commence à rechercher une conspiration très tôt après les événements. Castro, la CIA, le KGB. On nous présente ensuite la Commission Warren dont la fonction, notamment aux vues de Lyndon B. Johnson était ouvertement de calmer le jeu. On présente ensuite le témoignage d’Abraham Zapruder. Son court film ne fut pas présenté à la télé à l’époque et l’idée d’un second tireur ne fut donc pas envisagée dès le début. On nous présente ensuite la trajectoire de Margaret Oswald, la mère d’Oswald, qui donnait son fils comme un agent du FBI. Elle engage un avocat pour défendre les intérêts post-mortem de son rejeton. C’est ensuite la trajectoire de la veuve d’Oswald. On évoque la reconstitution du meurtre par la Commission Warren. Comme des arbres bouchaient la vue du tireur, réduisant fortement la possibilité de tirs répétés, on envisagea l’hypothèse de la cartouche unique ou cartouche magique (magic bullet). Cette version est massivement reçue par les médias institutionnels du temps mais Lyndon B. Johnson ne crut jamais à l’hypothèse du tireur isolé. On détaille les hypothèses d’assassinats politiques ruminées par Lyndon B. Johnson. Les ouvrages critiquant le rapport Warren et envisageant une conspiration font des succès de librairie en rafale et ce, très tôt. L’hypothèse de la cartouche magique est battue en brèche. L’effet Vietnam et le scepticisme des années soixante face aux institutions politiques et médiatiques font le reste. Une avalanche de bouquins sont donc écrits. La hantise balistiques des six seconds in Dallas s’amplifie, se cristallise, se sacralise. On envisage trois tireurs distincts. On décrit ensuite la démarche d’accusation du fameux Jim Garrison qui ramène la question plus large d’un assassinat politique. Lyndon B. Johnson craint d’être vu comme le fomenteur de la conspiration que l’on envisage maintenant. Garrison produit un témoin qui prétend avoir conspiré avec Oswald. On entend le ruban où parle ce témoin, sous penthotal. En faisant dériver son enquête sur les homosexuels de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison discrédite son intervention en la tirant vers ses hantises personnelles. Il la bidouille ensuite en embarquant des histoires de numérologie là dedans. Il complète le tableau en y allant de la doctrine auto-protectrice voulant que quiconque s’objecte à lui fait partie de la conspiration pour masquer la vérité sur la mort de Kennedy. On passe alors à l’assassinat de Martin Luther King et à celui de Bobby Kennedy pour renforcer l’ambiance d’inquiétude conspirationniste. Les USA sont un pays de magouilles et de pourriture comme les autres. Ils ne sont plus la démocratie à l’eau de rose du mythe auto-sanctifiant de l’après-guerre. La confrontation des versions éclate au son de la guitare de Jimmy Hendrix… et Nixon est élu en 1968. Nixon démissionne en 1974 et on commence à voir plus clair dans les magouilles internationales de la CIA et de la pègre sur d’autres dossiers. Les problèmes sentimentaux de Kennedy avec une jeune femme connue de la pègre sont aussi découverts et versés au dossier… et au fantasme. Conclusion: Ah si Oswald, ce marxiste exalté si fin, si articulé, qui rêvait, pour lui, d’un grand procès-spectacle comme celui d’Hitler en 1924, avait pu parler au lieu de se faire descendre par un lampiste de la pègre qui connaissait si bien les flics de Dallas… On mentionne finalement celui qui chercha à formuler une théorie unifiée: Oliver Stone. Mais rien n’a pu vraiment confirmer à ce jour l’articulation d’une conspiration. Cette dernière pourrait être un pur produit élucubrant de la rage et de la révolte des annèes 1960. (une heure vingt-deux minutes, en anglais)

TARGET MAFIA – THE KENNEDYS AND THE MOB, 1993. Un des exposés les plus limpides traitant de l’hypothèse pégreuse sur l’assassinat de Kennedy. En 1979, la Commission d’Enquête sur les Assassinats (de Kennedy et de King) conclut à la forte possibilité d’une filière mafieuse pour l’assassinat du président Kennedy. Ce reportage décrit les liens complexes et paradoxaux entre les Kennedy et la pègre. Le père du président, Joe Kennedy avait été bootlegger et investissait massivement dans le jeu et le vice, tout en cultivant une image d’homme d’affaire réglo de façade. Ayant raté sa carrière politique à cause de ses vues chamberlainistes, il devient la bailleur de fond de la fulgurante carrière politique de son fils Jack. Cette assise sciemment ploutocrate fait que le futur président Kennedy pourra cultiver un idéalisme puriste, le genre de hauteur vertueuse que d’autres candidats ne peuvent pas se payer quand ils fricotent de ci de là pour financer leurs campagnes électorales. Cet idéalisme éthéré se manifestera notamment de par la participation des deux frères Kennedy à la Commission McLellan sur le crime organisé. Le pégreux Jimmy Hoffa et ses sbires trouvent bien ironique de se faire attaquer sur cette commission par les enfants de leur semblable en chapeau haut de forme, Joe Kennedy. Un caïd mafieux qui est donné comme ayant beaucoup d’importance ici, c’est Carlos Marcello (1910-1993). Il est un vieux bandit de souche qui est le parrain des pègres texane et louisianaise et un de ses Q.G, se trouve justement à Dallas… Les allégations de liens entre Joe Kennedy et la mafia dans le financement de la campagne de son fils en 1960 sont multiples et persistantes. En Virginie Occidentale et en Illinois, il semble bien que la pègre ait donné la petite poussée qui manquait pour que Kennedy l’emporte. Il semble aussi que la CIA et la pègre (cette dernière frustrée de la perte de ses casinos sur l’île de Cuba) se soient entendus pour tenter d’assassiner Castro. Une des maîtresses de Kennedy, Judith Campbell Exner, prétend même avoir servi de truchement entre Jack Kennedy et la pègre et avoir même relayé des sommes d’argent entre eux. Après l’échec de la Baie des Cochons et l’affaire des fusées de Cuba, les anticastristes se sentent trahis par Kennedy. La pègre aussi. Bien des alliances deviennent alors possibles, au sein d’un tel vivier social. On veut la peau de Jack et de Bobby qui font la vie dure à la mafia et ne veulent plus rien faire à Cuba. Carlos Marcello produit alors sa phrase historique sur la tête de chien (la tête, c’est Jack, la queue, c’est Bobby). Coupe la queue du chien, la tête du chien pourra encore te mordre. Coupe la tête du chien, la queue du chien ne pourra plus rien te faire… On suggère que Lee Harvey Oswald fut donc une couverture pour les tueurs de Carlos Marcello, conformément aux procédures de la mafia sicilienne. On développe alors sur les liens entre Oswald et la pègre de sa ville natale: la Nouvelle Orléans. Son oncle était gérant d’un restaurant appartenant justement à Carlos Marcello. Et Jack Ruby, l’assassin faussement spontané d’Oswald, était un pégreux intégral (notamment ancien porte-paquets pour Al Capone) avec d’avantageux contacts dans la police municipale de Dallas. Son action ne fut pas improvisée. Il fallait éliminer Oswald qui en savait trop et s’était fait pincer trop vite. Mais, si c’est la pègre qui a manigancé l’assassinat de Kennedy, il sera difficile de vraiment le corroborer, car ces gens ne parlent jamais et meurent avec leurs secrets, pas toujours de mort naturelle au demeurant. (quarante-cinq minutes, en anglais).

THE JFK ASSASSINATION: A COMPLETE OVERVIEW Exposé d’un psychologue sur la mystique collective Kennedy, sur la possibilité tangible d’un second tireur, sur le grand nombre de morts non-naturelles de témoins (des chiffres «épidémiologiques» sont fournis à ce sujet) et sur les pour et les contre des différentes hypothèses. Les hypothèses suivantes sont soupesées: meurtres par Lyndon B. Johnson, par la mafia, par la diaspora anticastriste. Le conférencier se réclame de la psychologie jungienne et s’efforce d’analyser le mythe Kennedy dans cet angle. L’exposé se termine sur la fameuse dualité Lincoln/Kennedy. Le tout a parfois un goût fort douteux de mauvaises sciences humaines de toc… (une heure dix minutes, en anglais).

RFK – BLOODLINE ASSASSINS, 2013. Seule le première heure de ce documentaire-fleuve présente quelque intérêt ici. On y explique que Robert «Bobby» Kennedy a ouvertement combattu la pègre et promu les droits civiques pour les afro-américains et que Sirhan Sirhan n’a jamais admis avoir fait le coup de feu, affirme ne se souvenir de rien, et qu’il ne s’intéressait pas à la politique. On nous fait ensuite revivre la couverture de l’assassinat de RFK en montrant les contradictions entre la version des grandes agences de presse et certains des entretiens captés à chaud avec les témoins visuels. On fait observer que des photos ont été détruites et des témoins sensibles discrédités. On discute le cas de la jeune fille dans une robe à pois (the girl in the polka dot dress) qui se serait exclamée «nous l’avons tué!» en s’adressant à un homme l’accompagnant. On nous fait entendre l’échange verbal passablement effarant révélant le procédé d’intimidation de la témoin ayant rapporté ce fait. On mentionne un officier de police ayant croisé un couple âgé à la sortie de l’Hôtel Ambassador ayant vu la fille à la robe à pois et son accompagnateur se félicitant d’avoir tué Robert Kennedy. Le même constable signale que la radio de la police tomba en panne pendant trois quarts d’heure au moment du meurtre. Un fait hautement inusité l’amenant à ne pas douter de l’implication de la CIA. Le médecin légiste Thomas Noguchi (né en 1927) affirme que Robert Kennedy a été flingué de l’arrière, à la nuque et littéralement à bout portant. On cherche à lui faire changer sa déposition. Comme il refuse, on lance une campagne de salissage contre lui dans les médias. La version officielle est que RFK fut flingué de l’avant à une distance de quelques pieds. On évoque un gardien de sécurité récemment embauché, un certain Thane Eugene Cesar, qui détestais les Kennedy et avait des connections avec la CIA. Ce soir là, armé d’un flingue identique à celui de Sirhan Sirhan (retrouvé au fond d’un lagon en Arkansas, des années après), il aurait tiré sur des gens, dont Kennedy, de derrière. Dans l’esprit du film The Manchourian candidate (1962), on évoque alors l’histoire d’un assassin programmé hypnotiquement pour oublier son crime. Si Sirhan s’est retrouvé dans ce cas, il ne peut avoir agi seul. On l’a donc hypnotisé par après pour fouiller sa mémoire. En vain. Sirhan avait un cahier de notes dans lequel on lisait «RFK must die», possiblement une manifestation de compulsion hypnotique. La question du fameux lavage de cerveau et d’expériences de la CIA le concernant, est alors amplement abordée (notamment dans le seconde heure du documentaire – on s’étend sans fin sur le massacre de Jonestown en 1978, notamment). Longuette et digressante, cette portion du développement est nettement élucubrante et de moindre intérêt. On suit ensuite la piste d’un certain Enrique «Hank» Ernandez qui semble incarner la connexion intime entre la police de Los Angeles (LAPD) et la CIA circa 1968. Il contribua à la fois à l’enquête sur le terrain du meurtre de Bobby Kennedy et à l’intimidation de témoins. Un autre coupable possible serait David Morales (1925-1978), un agent de la filière des anti-castristes florido-cubains travaillant pour la CIA dans le cadre élargi de ses combines contre Castro. Entre 1960 et 1963, Bobby Kennedy, méfiant depuis la Baie des Cochons, ne laissait pas beaucoup de marge de manœuvre à ces personnages et cela, selon certains témoins, les frustrait beaucoup et leur enleva certainement l’envie qu’il revienne aux affaires. Morales aurait été un peu partout: du site de l’assassinat de JFK, au Vietnam, en passant par la Baie des Cochons, le Chili et, oui, oui, l’Hôtel Ambassador… Il serait l’auteur du fameux commentaire: I was in Dallas when we got that motherfucker and I was in Los Angeles when we got the little bastard…  (deux heures vingt minutes, en anglais).

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Voilà donc pour ce petit tableau parcellaire et ancillaire. En conclusion, moi des tireurs isolés dans des cas comme ceux de Jack et Bobby, j’achète pas. Ce sont là des assassinats politiques, point-barre. Reste maintenant à désenchevêtrer l’écheveau des responsabilités. Un jour viendra. Je reste optimiste. Je ne suis pas trop refroidi par l’entreprise d’un projet unifié des théories. J’y vois la vérité historique vrillant son chemin lentement, en coulant par ses mille interstices. Mon idée est donc que toutes ces versions ne sont pas toutes incompatibles les unes avec les autres. Le tableau pourrait se formuler comme suit. La pègre s’est chargée de la logistique immédiate de l’action, fournissant notamment les tireurs. Le FBI hooverien et les services secrets se sont chargés de l’encadrement lointain, de l’intendance du cover up et de la mise en place de la version officielle. Lyndon B. Johnson a donné son imprimatur et fut, bien sûr, celui à qui le crime profita. Il fut aussi, via la Commission Warren et la neutralisation du bureau de Bobby Kennedy, un des promoteurs les plus assidus de la version du tueur isolé parce qu’il avait besoin d’une impunité présidentielle sans tache pour se décoller ses enquêtes texanes de sur le dos mais aussi parce qu’il craignait, bien simplement, qu’on préconise une hypothèse soviéto-cubaine crédible (on nous en échantillonne quelques-unes ici) et qui aurait fait paraître les USA faibles et peu en contrôle des aspects les plus sensibles de leur sécurité intérieure. Quant à Bobby, son retour aux affaires aurait signifié une réouverture de l’enquête sur la mort de son frère. Aucune des instances mouillées jusqu’au trognon dans la première affaire ne voulait de cela. On l’élimina.

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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

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La messe dominicale catholique romaine dans un village québécois des Basses-Laurentides (fiche anthropologique de terrain)

Posted by Ysengrimus sur 15 novembre 2013

La chapelle du village de Saint Eustache dite Église des Patriotes, vue depuis le lit de la Rivière des Mille Iles

La chapelle du village de Saint Eustache dite Église des Patriotes, vue depuis le lit de la Rivière des Mille Iles

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La grand-messe dominicale matinale à Saint Eustache (Québec, Canada) dans la vision de l’anthropologue observateur Reinardus-le-goupil (rapport d’observation pieusement consigné en son nom par son papa, Ysengrimus-le-loup). Moi, Reinardus-le-goupil, je me propose de mettre ici en perspective relativiste un geste cérémonial hebdomadaire qui paraîtra ordinaire voire banal à bon nombre de mes compatriotes, il s’agit de celui de la messe dominicale. Ma position est que, dans le contexte social contemporain, cette cérémonie ne peut plus être prise pour acquis culturellement et, conséquemment, mérite amplement qu’on l’observe avec le regard de l’anthropologue. Né à Toronto (Canada) en 1993, j’ai été élevé dans un cadre idéologique complètement athée. Je n’ai donc jamais participé à des activités de nature religieuse. La petite série d’observations anthropologiques présentée ici est donc le résultat de mon tout premier contact avec cette cérémonie ecclésiastique dominicale collective qu’on dénomme usuellement, la messe. Je me suis proposé de participer à l’expérience en adoptant maximalement le comportement extérieur des pratiquants catholiques. Le matin du dimanche 13 novembre 2011, je n’ai donc pas pris de petit déjeuner (comme le font les paroissiens se rendant à la messe matinale, pour ménager l’ingestion de l’hostie consacrée comme premier nutriment dominical), ai vêtu des habits plus formels qu’à l’accoutumé et me suis rendu, en compagnie d’Ysengrimus-le-loup (athée lui aussi, mais dont les allures faussement paroissiennes me servirent de camouflage sociologique) à l’église catholique romaine du village le plus proche de mon domicile, le village de Saint-Eustache (Québec), au nord de l’île de Laval.

Les canadiens francophones (dont le plus grand nombre sont les québécois) forment 2% de la population de l’Amérique du Nord. Ils sont la seule communauté nationalement homogène de ce continent qui soit de religion catholique romaine. Les autres catholiques nord-américains forment des diasporas immigrantes de souche anciennes (irlandais, italiens) ou plus récentes (immigrants latino-américains). Le catholicisme est donc un des traits ethnoculturels majeur du peuple québécois (et des canadiens francophones en général) et ce, depuis le 17ième siècle. Il est aussi important de noter que ce trait culturel important entre aussi, tout doucement mais inexorablement, dans l’Histoire. Depuis la Révolution Tranquille (1960-1966) la déréliction a fait, au Québec, des pas de géant. Il est donc indéniable que l’observation d’une messe traditionnelle dans un village québécois est aussi l’étude d’une pratique rituelle qui est, en fait, en voie de disparition. Des signes visibles de déclin se manifesteront d’ailleurs au cours de l’exercice étudié. Nous en reparlerons.

Le site. Cette cérémonie dominicale du trente-troisième dimanche des temps ordinaires a eu lieu il y a deux ans et deux jours, soit le dimanche 13 novembre 2011 de dix heure à dix heure cinquante du matin en la chapelle de la paroisse Saint Eustache, située au 123 rue Saint Louis, sur la place historique du vieux village de Saint Eustache (Québec).

Description du lieu: il s’agit d’une des grandes chapelles patrimoniales du Québec. Érigée en 1780-1783, la vaste construction à deux clochers (les cloches ne sonneront pas, en ce dimanche) est notamment dotée, sur son fronton, d’une statue de bronze vert de Saint Eustache, patron des chasseurs, datant de 1906. Classée monument historique, cette vaste chapelle de pierre est vouée à la mémoire des patriotes de 1837-1838 (bataillon Jean-Olivier Chénier). Une plaque commémorative devant le parvis rappelle que 150 patriotes s’y réfugièrent lors des rébellions de 1837 et que la façade fut canonnée par le régiment de deux mille hommes du lieutenant-gouverneur John Colborne (contrairement à la croyance populaire, il ne reste plus de trace visible aujourd’hui de cette canonnade sur la façade du bâtiment).

Disposition des objets qui s’y trouvent: la vaste enceinte intérieure de la chapelle est dotée d’un chœur monumental flanqué latéralement de deux grands tabernacles blancs et d’un certain nombre de hautes statues religieuses peintes. Le chœur est séparé de la nef par une barrière de bois peint. Le mobilier liturgique et l’autel datent des années 1838-1844. La voûte latérale du choeur est décorée de grandes peintures religieuses datant des années 1874-1890. Les quatorze stations du chemin de croix datent, pour leur part, de 1925. Le perchoir de prêche cylindrique d’origine est encore en place presque au centre de la nef (les officiants n’y monteront cependant pas en ce dimanche, parlant plutôt derrière un lutrin portatif avec micro, à l’extrême centre avant du chœur, loin devant le vieil autel). Les paroissiens s’assoient sur de longues banquettes de bois vernis, sans coussinage et dotées d’un long prie-dieu pliant qui, lui, est coussiné. On peut parfaitement distinguer, dans le jubé arrière, les immenses tuyaux du grand orgue Brodeur (amélioré par la maison Casavant et Frères en 1910 et en 1954). Le grand orgue ne sera pas joué, on lui préférera un petit orgue électrique situé dans la partie avant cour du chœur, autour duquel se regroupera la chorale.

L’ambiance: le matin du dimanche 13 novembre 2011, l’ambiance dans ce lieu de culte catholique villageois en est une de solennité respectueuse emprunte de bonhomie, de calme et de décontraction. Il est clair que les paroissiens s’adonnent ici à une activité coutumière n’ayant rien d’exceptionnel pour eux. Vu la vastitude des lieux et le nombre de participants, la présence de l’anthropologue observateur que je suis et de mon sbire paternel n’a tout simplement pas été remarquée.

Les participants. La nature de l’exercice (caractère habituel et coutumier de la messe dominicale) fait que l’identité d’aucun des participants ne fut explicitement révélée ou annoncée lors de la cérémonie. Les seules personnes ayant été désignées nominalement sont les défunts auxquels la cérémonie était dédiée, selon l’usage. Il est de plus indubitable, aux yeux d’un observateur extérieur, que la quasi-totalité de ces participants se connaissant entre eux, au moins de vue, même s’il est clair aussi que des étrangers à la communauté peuvent assister à la grand-messe matinale sans que rien ne permette d’attirer spécialement l’attention sur eux ou sur leur intrusion, d’ailleurs tolérée sinon encouragée.

Caractéristiques des participants (âge, sexe, origine): les participants étaient tous de race caucasienne et présumément tous de souche canadienne française et résidents du village de Saint Eustache et de ses environs. Les hommes et les femmes se répartissaient de façon sensiblement égale parmi les paroissiens groupés dans la nef. Les marguilliers étaient tous de sexe masculin. Les laïcs aidant à la cérémonie étaient de sexe masculin et féminin (avec cependant une certaine prépondérance masculine). Les membres de la chorale étaient de sexe féminin (deux tiers de la chorale) et masculin (un tiers de la chorale). La directrice de chorale et l’organiste étaient des femmes. Les deux officiants étaient de sexe masculin et l’officiant principal a rappelé qu’il était curé de cette paroisse depuis plus de quarante ans. De fait, la quasi-totalité des participants de cette cérémonie avaient entre cinquante et quatre-vingt ans. On retrouvait une minorité de quadragénaires ou trentenaires. Il n’y avait absolument personne en bas de vingt-cinq ans (à l’exception de moi, l’anthropologue observateur).

Nombre: remplie environ à la moitié de sa capacité, la grande chapelle de la paroisse de Saint-Eustache contenait environ deux cent personnes, le matin du dimanche 13 novembre 2011. La chorale était formée d’environ vingt personnes, les marguilliers et les laïcs aidant à la cérémonie étaient au nombre de trente environ. Il y avait deux officiants et aucun enfant de chœur.

Activités des participants: les participants procédaient aux activités reliées à leur rôle dans la cérémonie selon les étapes du rituel, implicitement connu et reconnu par l’intégralité des participants. Les paroissiens regroupés dans la nef suivaient les étapes du rituel en se guidant au sujet de ces dernières dans le petit livre de messe portatif Prions en Église et en répondant les formules eucharistiques selon un rituel codé. Aucun propos improvisé n’était tenu par les paroissiens. Les marguilliers (reconnaissable à l’écharpe lisérée de jaune et de blanc leur chamarrant la poitrine) assumaient les hautes fonctions subalternes de la cérémonie, dont notamment la remise des hosties aux communiants. Ils procédaient en silence ou en utilisant des formules rituelles codées. Les laïcs aidant à la cérémonie (non identifiés par un signe vestimentaire mais reconnaissables par le fait qu’ils se tenaient dans le chœur ou qu’ils manipulaient des objets rituels comme le crucifix, ou utilitaires comme les paniers pour la quête) assumaient les basses fonctions subalternes de la cérémonie, notamment en se tenant dans la procession d’ouverture et en passant la quête. Les deux premières lectures eucharistiques furent aussi effectuées par des laïcs, dont une femme, et ne furent accompagnées d’aucun commentaire de leur part. Les membres de la chorale (regroupés autour du petit orgue dans la partie avant cour du chœur, les femmes vêtues de blanc à l’avant, les hommes vêtus de noir à l’arrière) chantaient les prières ou hymnes fournis avec leurs notations musicales dans le livre de messe portatif. La directrice de chorale dirigeait les chanteurs ainsi que les paroissiens dans les chants (les paroissiens étant habituellement invités à chanter les refrains, ce qu’ils faisaient selon leur grée). L’organiste accompagnait la chorale et les paroissiens dans les prières chantées et les hymnes sauf, une fois, à l’ouverture de la messe, lors de l’interprétation instrumentale accompagnant l’entrée de la procession. L’officiant principal, vêtu d’une toge verte et blanche, a ouvert la cérémonie et l’a assurée dans toutes ses étapes codées, mais sans hésiter à prendre toutes libertés par rapport au contenu du livre de messe (retrait de certaines sections, ajout de commentaires particuliers, etc). Il assura aussi la première partie du sermon (la plus longue) et émaillait, sans aucune hésitation, tout son texte rituel de propos improvisés. L’officiant subalterne, vêtu d’une toge rouge et blanche, a clôt la cérémonie et assuré la seconde partie du sermon (la plus courte). Presque aucun texte improvisé n’est venu de l’officiant subalterne, un homme assez âgé qui semblait agir comme une sorte d’invité de marque de l’officiant principal.

Raison de la présence des participants en ces lieux: tous les participants avaient en commun de procéder collectivement, dans une situation de concertation tacite basée sur l’habitude réflexe que confère la coutume, à la réalisation du rite catholique de la messe. L’accord tacite entre les participants fut intégral. Aucune divergence ne s’est manifesté entre eux au cours de cet exercice très nettement codé et laissant peu de place à l’improvisation et aucune place au débat.

Ce que font les participants (actions verbales et manuelles): Les participants produisent collectivement une cérémonie se subdivisant principalement en trois parties. 1) la liturgie de la parole, 2) l’homélie ou sermon, 3) la liturgie eucharistique. Dans la liturgie de la parole, trois courts textes bibliques sont lus. Le premier texte, tiré du Livre des proverbes, explique comment une femme est fidèle à son mari et travaille docilement pour lui. Le second texte, tiré de la première lettre de saint Paul au Thessaloniciens, explique que la soumission au Christ sera subite voire brutale vu que ce dernier viendra imposer son ordre comme un voleur. Le troisième texte (le seul lu par l’officiant principal), tiré de L’évangile selon saint Mathieu relate une parabole du Christ où il explique à ses disciples que la soumission fidèle à un maître se compare à l’aptitude, pour trois serviteurs distincts, de faire fructifier ou de ne pas faire fructifier des talents (une sorte de monnaie d’argent de l’Antiquité). La lecture de ces trois textes est entrecoupée de prières et de récitatifs déclamés ou chantés. Lors de l’homélie, l’officiant principal dégage une réflexion des trois lectures et en tire un développement qu’il relie à l’actualité contemporaine. Ainsi, par un calembour un peu inévitable, les talents ne sont plus des pièces d’argent mais des aptitudes, si bien qu’on transforme un texte faisant initialement l’apologie de la fructification marchande ou financière en un salut aux indignés de Wall Street, Toronto, Montréal etc, faisant fructifier leurs aptitudes à changer le monde. L’officiant inclut dans son homélie des considérations sur son cheminement personnel et celui de certains paroissiens (un hommage particulier est formulé pour les diacres, des sortes d’officiants religieux qui ne sont pas des prêtres). L’officiant exprime aussi, à plusieurs reprises, le regret que la paroisse Sainte Marguerite Bourgeoys soit en train de mettre fin à ses opérations, faute de fidèles. Finalement la liturgie eucharistique est une séquence codée de prières, de chants, de manipulations d’objets sacrés par l’officiant principal (absorption d’une gorgée de vin dans le calice, préparation des ciboires, bris de la grande hostie, nettoyage du calice avec un linge blanc) et de récitatifs, débouchant sur la communion des fidèles et sur l’invitation, faite par l’officiant subalterne, à se retirer dans la paix du Christ.

Manière de faire: la cérémonie s’ouvre sur l’entrée d’une procession, l’installation en position centrale des deux officiants et la disposition des marguilliers et des laïcs aidant à la cérémonie autour de l’autel, le tout au son de l’orgue. L’ostentation rituelle est amplifiée par les interventions codées de la chorale qui chante certaines des prières en invitant les fidèles à participer aux chants. La quasi-totalité des comportements est fixe et consignée dans le petit livre de messe portatif. C’est l’homélie qui inclut le plus grand nombre d’éléments improvisés, apanages exclusifs des deux officiants et occasion de manifester leur bonhommie, leur imagination, voire leur humour. Un court moment de la liturgie eucharistique consiste à se donner la paix. Se produit alors une brève séquence d’interaction spontanée de chaque paroissien avec ceux ou celles qui l’entoure dans les bancs de la nef.

Avec qui chacun interagit: la principale interaction est celle du prêtre avec ses ouailles. Le prêtre déclame et les ouailles répondent. La directrice de la chorale interagit, avec ses choristes ainsi qu’avec les paroissiens, en appliquant strictement la procédure d’un chef d’orchestre commandant son orchestre. Il est important de noter que les seuls échanges informels ont lieu avant la cérémonie (interactions interpersonnelles de certains paroissiens avec les deux officiants qui font même l’accolade et la bise à certain) et après la cérémonie (conversation joyeuse et dynamique de petits groupes de paroissiens sur le parvis, après la sortie de la messe).

Commentaire critique. Il est assez évident que la grande chapelle de Saint Eustache est déjà partiellement un musée évoquant le faste des activités dominicales d’antan. Les cloches ne sonnent plus, le grand orgue du jubé ne joue pas, le perchoir de prêche n’accueille plus un officiant omnipotent invectivant vigoureusement ses ouailles. Le texte sacré, souvenir d’un dispositif autoritaire profondément immoral, opprimant les femmes, les distraits et les indifférents, est réinterprété d’une façon doucereuse qui renie sa dimension autoritaire et réactionnaire d’origine. En ce dimanche, on a trouvé moyen de transformer une apologie de l’argent en appuis aux adversaires de la finance. Les vieillards de ce village se rendent à la messe comme des robots, un peu par réflexe conditionné ou par nostalgie des activités de leur jeunesse. Ils écoutent un officiant aux cheveux blancs parler de communautés qui ferment leurs portes faute de paroissiens et de la lente disparition des croyants. À travers une petite célébration catholique de villages, c’est l’effet lentement mais irrémédiablement autodestructeur et corrosif de la déréliction que l’on observe, comme on regarde, impuissant, un organisme agonisant mourir de vieillesse, quand il a fait son temps. La religion qui disparaît, sans que nulle violence extérieure ne s’exerce sur elle, c’est la confirmation toute simple de l’athéisme qui, comme son nom l’indique, n’est rien d’autre que l’absence de dieu et la conscience rationnelle avancée que cette absence impose à la pensée.

Un exemplaire récent du petit livre de messe portatif hebdomadaire PRIONS EN ÉGLISE

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IBN SAOUD (1887-1953), le Saoud de «Saoudite» dans Arabie Saoudite

Posted by Ysengrimus sur 9 novembre 2013

empire-ottoman

La Péninsule Arabique ou Arabie se subdivise aujourd’hui en huit états dont la majorité sont côtiers. Dans le sens des aiguilles d’une montre, en descendant le Golfe arabo-persique (vers le sud-est), puis la mer d’Oman (vers le sud-ouest) puis en remontant la Mer Rouge (vers le nord-ouest), ce sont: le Koweit, Bahrein, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, le Sultanat d’Oman, le Yémen, la Jordanie. Au centre de cet ensemble disparatement découpé se trouve le huitième état de la Péninsule Arabique, l’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite n’est pas l’Arabie. Elle est ce qu’il en reste après que le rapport des forces coloniales et post-coloniales se soit divisé cette péninsule aujourd’hui hautement stratégique.

Il y a soixante ans pile-poil mourrait Ibn Saoud (1887-1953) le Saoud de «Saoudite» dans Arabie Saoudite. C’était un jeune chef arabe de vingt-sept-ans, au futur hautement prometteur, en 1914, quand tenait encore en place fragilement la pince de l’Empire ottoman se lovant autour de la partie nord de la Péninsule Arabique. Comme l’indique notre carte (zone rose foncée), avant la Première Guerre Mondiale qui allait parachever le démantèlement de leur empire, les Turcs tenaient encore (outre leur Turquie natale), dans le sens des aiguilles d’une montre toujours. le gros de la berge de l’Arabie donnant sur la Mer Rouge (incluant La Mecque et Médine, cet espace s’appelle le Hejaz), la Jordanie, la Palestine, le Liban, la Syrie, l’Irak, le Koweit (celui-ci de plus en plus encadré par les Britanniques), la berge de l’Arabie donnant sur le Golfe arabo-persique jusqu’au Qatar. Les Britanniques avaient une assise déjà fort solide sur (zone rose pâle et beige sur la carte) les Émirats Arabes Unis (dont Dubaï), Le Sultanat d’Oman et le Yemen (dont le port d’Aden). Dans le langage colonial anglais cette immense zone côtière de la pointe de la péninsule s’appelait tout simplement Oman. Rappelons que le Canal de Suez, reliant la Mer Rouge à la Méditerranée était encore une «zone internationale» (il ne passera aux Occidentaux qu’en 1918 et le restera jusqu’à sa saisie par Nasser en 1956 – pour l’instant la mer Rouge est donc, officiellement du moins, ouverte à la navigation de toutes obédiences) et surtout, capital, on n’a pas encore découvert d’hydrocarbures dans cet immense espace (les premières découvertes de gisements de pétrole auront lieu en 1938). Le centre désertique de la Péninsule Arabique, futur cœur de l’Arabie Saoudite (c’est en ce centre que se trouve Riyad, la capitale actuelle) apparaît, en 1914, comme un état tampon d’importance stratégique secondaire entre l’Empire Ottoman déclinant et l’Empire Britannique en cours de continuation de consolidation.

Notre affaire va donc se jouer entre deux dispositifs compradore périphériques se tiraillant pour le contrôle des tribus nomades des divers émirats caravaniers commerçant la gomme arabique d’oasis en oasis au centre de ce vaste espace de dunes. Le jeu de pendule entre les Ottomans et la puissante tribu arabe dont sera issue Ibn Saoud, les Wahhabites, est passablement ancien. Un Premier État Saoudien (de 1744 â 1818) sera mis en charpie par un général arabo-égyptien roulant avec les Turcs. Un Second État Saoudien (de 1824 à 1891) est défait par le clan arabe des Al Rachid, toujours soutenu par les Ottomans. Et, cette fois-ci, les Saoud ne pourront désormais plus reprendre le dessus comme force indépendante. Dix ans avant la première guerre mondiale, en 1904, Abdelaziz Al Rachid (1897-1906) tient l’émirat de Haïl au centre de la péninsule. C’est toujours un compradore des Ottomans mais son pouvoir est désormais fragile. L’ascendant des Turcs est usé, affaibli par l’histoire et les traditions de luttes, désormais amplement mythologisées. La montée d’Ibn Saoud se jouera d’abord sur la scène locale. Prise de Riyad en 1902, avec une poignée de compagnons, victoire en 1906 à la bataille de Rawdat Muhanna où l’émir Al Rachid est tué, prise de l’immense oasis d’Al-Hasa en 1913. En 1914, dans un ultime effort de récupération, les Ottomans confirment l’émergence intérieure d’Ibn Saoud en le nommant préfet du Nedj, la vaste zone centrale de la péninsule, comprenant Haïl et Riyad. Mais, choisissant le maître moderne chic contre le maître ancien honni, Ibn Saoud passe un pacte étroit avec les Britanniques dès 1915. Son ascension est alors assurée. Prise de Haïl en 1921 (et mise à terme de la dynastie concurrente pro-ottomane des Al Rachid), prise de La Mecque en 1924 (et éviction du chérif anti-ottoman Hussein ben Ali), unification du royaume saoudien en 1932. Entre 1902 et 1932, un demi-million de personnes ont été tuées dans la guerre régionale ayant permis aux Wahhabites de positionner Ibn Saoud comme sultan. Leur victoire est leur défaite. En 1945, les Américains prennent le relais des Britanniques dans l’encadrement de la pétromonarchie naissante (faussement renaissante). Le ci-devant Troisième État Saoudien n’a plus rien à voir avec les deux premiers. Quand Ibn Saoud meurt en 1953, il ne reste plus rien de la sauvagerie autonomiste des Wahhabites. Et, pour faveur, qu’on ne me parle pas ici d’ «Islamie». Les Anglais chrétiens ont été préférés sans le moindre complexe aux Turcs musulmans. Qu’on ne me parle pas non plus de panarabisme. Hussein ben Ali (1856-1931), allié de la première heure des Britanniques, initiateur de la grande révolte arabe anti-ottomane et chérif de La Mecque fut bouté hors de sa capitale comme un malpropre. De ses deux alliés de circonstance (Ibn Saoud et Ben Ali) le néo-colonialisme occidental joua d’ajustement et choisit le plus utile à ses intérêts exclusifs, and god save Lawrence of Arabia. L’Arabie Saoudite ne peut se poser aujourd’hui en championne de l’islamisme et du panarabisme qu’en occultant soigneusement le tout de son histoire récente. Le fait qu’elle finance colossalement à peu près tout ce qui se traîne de réactionnaire et de théocrate dans le grand Moyen-Orient ne change rien à la marche implacable des faits passés et futurs. L’Arabie Saoudite n’est pas l’Arabie.

Ibn Saoud et sa dynastie contemporaine (ainsi que les divers sultanats et émirats toc, néo-coloniaux et compradore des pourtours de la péninsule) personnifient l’inexistence intrinsèque de l’Arabie Indépendante. L’Arabie Saoudite, dans sa conception actuelle (qui est au bord d’une fracture majeure), est l’incarnation la plus achevée imaginable d’un état viscéralement compradore maintenu artificiellement dans un vaste dispositif d’arriération sociale cyniquement ploutocratisé, par un impérialisme extérieur, pour les pires raisons: les pétrolières et les gazières. La révolution qui s’y prépare ne sera pas éternellement irlandisée, benladenisée, voyoutée, exportée, marginalisés, étouffée, dévoyée, détournée par le néo-colonialisme américain. Le jour où cette révolution anti-monarchique (anti… Saoudienne, pour tout dire) prendra l’expansion qui l’attend (toutes les petites monarchies artificielles du Golfe arabo-persique et de la mer d’Oman seront notamment balayées comme des fétus), le couvercle de la marmite américaine sautera et nous prendrons la mesure spectaculaire d’une modification majeure de la géopolitique régionale encore plus déterminante et novatrice (et cuisante… et radicale… et dérapante…) que ne l’avait été la révolution républicaine iranienne de 1979.

Cela ne fera pas que des heureux (même chez les musulmans)…

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Il y a cinquante ans Ellington, Mingus et Roach venaient de nous jouer MONEY JUNGLE

Posted by Ysengrimus sur 5 novembre 2013

moneyjungle

L’homme au chapeau sur la photo c’est Duke Ellington (1899-1974), un des plus grands compositeurs de Jazz du siècle dernier (compositeur de Jazz, un cuisant paradoxe qu’il fut un des seuls à vraiment dominer). Il décide au début des années 1960 de sortir de la cachette orchestrale et de livrer ses principales compositions à nu, au piano, en compagnie d’une petite section rythmique. Cette «petite» section rythmique sera formée de deux monstres. L’homme aux lunettes, penché sur le piano, c’est Max Roach (1924-2007), batteur percussionniste inclassable, arythmique, puissant, grinçant, installé solidement dans les cymbales (habituellement… mais, langueur ellingtonienne et gravité de ton mingusarde obligent, ce ne sera pas le cas ici). C’est un subversif, un original profondément personnel et tellement tellement musical. Sa batterie est un instrument de musique, au sens fort et cruel du terme. Il fut le grand batteur de l’ère du bebop. Le gros boudeur penché sur son instrument dans le fond, c’est Charlie Mingus (1922-1979), contrebassiste immense, génial, mais aussi, le plus fidèle adorateur d’Ellington, son véritable héritier musical, le seul à avoir fait pénétrer durablement la subtilité minimaliste ellingtonienne dans le bebop. Mingus est un bopper aussi et il boude. Il boude Max Roach…

Le drame se dessine. Né en 1899, Ellington est vieux (63 ans, ici). Sa musique est vieille aussi. Les années 1920 qui ont vu ses débuts crépitants et flamboyants sont si loin. Mais Ellington a dirigé des orchestres pendant plus de quarante ans. Humain, tellement humain, il a le sens de ses instrumentistes comme personne. Son flair orchestral lui dicte une urgente combinaison musicale Roach-Mingus. Pas une combinaison de caractères, une combinaison musicale. Goûtez le rapport des forces. Pour la jeunesse et la modernité d’interprétation, Roach et Mingus sont ensemble contre Ellington, le vieux pianiste de salles de danse qui a, en plus, tout composé et impose son livret parce que l’histoire du Jazz a imposé son livret comme celui de personne d’autre, un point c’est tout. Pour la compréhension de la simplicité pourtant si complexe, du dépouillement pourtant si mystérieux de l’œuvre ellingtonienne, Mingus et Ellington sont ensemble contre Roach. Mingus amplifie l’œuvre d’Ellington, la déploie, la complète, la maximalise, l’assouvit, la sublime. Pour la subversion et le ton frondeur, deux des nerfs cruciaux de la pulsion en Jazz, Ellington et Roach sont ensemble contre Mingus. Mingus veut servir l’œuvre d’Ellington. Roach, et surtout Ellington lui-même, veulent la faire voler en éclats.

La tension de cette série d’enregistrements est extraordinaire. Trois instruments seulement. Tout est audible, rien ne se perd. Même l’oreille inexpérimentée entre en Jazz. Ellington joue, clavier bien tempéré de toujours, minimal, lent, si simple, si évident, mais si riche de tout cet héritage de rag et de stride subtilement dominé. Il joue, puis graduellement, comme toujours, comme du temps du mirifique Duke Ellington Orchestra, il s’évapore, il se latéralise, il devient inexorablement l’accompagnateur de ses accompagnateurs. Mingus s’envole, armaturant le canevas ellingtonien, le déployant en une draperie sonore complexe, inspirée, orchestrale, post-bop, polymorphe. On sent le bois puissant de la contrebasse vibrer dans nos thorax. Mingus est partout. Dans le même mouvement, Roach déchiquette cette belle draperie. Il en fait des lambeaux dans les tambours du haut et, juste un tout petit peu, dans les cymbales. Tout est tendu. Tout se déglingue. Tout est lent, audible, explicite. Synthèse et Crise. En un mouvement unique, Duke Ellington a flanqué son piano brumeux et intemporel du plus puissant des iconolâtres et du plus féroce des iconoclastes. La rengaine entre-deux-guerres, ressassée au ralenti, en sort servie mais distordue, racornie mais rafraîchie, terrassée mais pérennisée. C’est le Jazz.

Si une vie n’écoute qu’un seul disque de Jazz, ce sera Money Jungle, et cette vie sera comblée.

Money Jungle, enregistré en 1962, sorti en 1963, Duke Ellington (piano), Charlie Mingus (contrebasse), Max Roach (batterie), 13 plages (dont 2 initialement inédites), Blue Note, 57 minutes.

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De l’ordinateur comme objet mythique à l’ordinateur comme objet pratique: une chronologie sélective en deux phases

Posted by Ysengrimus sur 1 novembre 2013

Big Brother is all of us… [Big Brother, c’est nous tous…]

Nouveau dicton populaire

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L’ordinateur fut l’un des objets les plus mal anticipés qui soit. Le voyant pourtant venir de fort loin, on a passé presque un siècle à fantasmer l’impact qu’il était voué à avoir sur nos vies et, dans cette immense futurologie ratée, on n’a à peu près rien vu de ce qui venait vraiment. C’est parfaitement atterrant. J’aimerais ici vous convoquer à une petite chronologie sélective en deux phases. Elle est, certes, marquée au coin d’une trajectoire culturelle et technologique toute personnelle (surtout lors de la première phase, où je picore un peu au hasard dans le gargantuesque cloaque de la culture sci-fi du temps, en matière d’ordinateurs et de computation – c’est quand même pas tout le monde qui a lu et relu pieusement Les bulles de l’Ombre Jaune). Mais il s’agit ici indubitablement d’une sélection de faits significatifs en ce qui concerne les dimensions mythique (première phase) et pratique (seconde phase) de l’ordinateur dans notre vie collective. Matez-moi un peu ça. Le contraste entre les deux dimensions de la bécane (la mythique et la pratique) est hurlant.

Des ordinateurs, circa 1970

Des ordinateurs, circa 1970

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PHASE 1: L’ORDINATEUR COMME OBJET MYTHIQUE

1818: le roman Frankenstein, or the modern Prometheus de Mary Shelley, présente une version scientiste du vieux mythe du Golem (un perso fabriqué de main d’homme qui devient potentiellement dangereux). L’impact de ce roman, et de ses sous-produits littéraires et cinématographiques, sur l’imaginaire de masse du siècle suivant sera tonitruant.

1928: la compagnie IBM (International Business Machines) fait breveter la fameuse carte perforée à quatre-vingt colonnes, devenue depuis l’archétype du genre. J’ai vu de mes yeux, dans ma jeunesse (circa 1978, cinquante ans plus tard donc), un gros ordi de bureau aspirer une pile de ces cartes. On savait pas exactement ce que ça foutait mais qu’est-ce que c’était impressionnant à voir aller.

1936: introduction, dans un article scientifique, de la machine de Turing. C’est une réflexion sur la proto-computation (ladite machine n’exista jamais que sur papier).

1947: des mathématiciens américains, britanniques et français réunis en congrès à Nancy (France) commencent à conceptualiser le programme de travail de la cybernétique, pour le moment une affaire de matheux pas trop claire. Apparition de la notion de bug. La légende veut qu’un insecte se serait coincé dans le dispositif d’un grand ordinateur expérimental, causant des avaries. Marginale dans la période mythique (cette dernière étant hautement réfractaire à l’idée du moindre pépin amenant l’ordinateur à «se tromper»), la notion de bug est devenue courante (voire galvaudée) avec la banalisation de l’ordi comme instrument ordinaire.

1949: le roman 1984 de George Orwell popularise l’idée d’une dictature omnisciente, centralisée, hautement scrutatrice (Big Brother is watching you) et surtout, reposant largement sur un support technologique, machinal, et parfaitement nuisible à la liberté de conscience et d’action.

1950: le recueil de nouvelles I, Robot, d’Isaac Asimov popularise l’idée du robot anthropomorphe, serviteur puissant, toujours potentiellement menaçant, et susceptible de prendre intempestivement les commandes de la vie sociale, au risque de la rendre machinale et insensible. L’idée de robotique (et les fameuses trois lois fondamentales de la robotique) remonte à ces textes de science-fiction.

1954: la compagnie IBM lance son premier grand ordinateur commercial. Ce n’est évidemment pas un objet destiné au grand public.

1955: invention du premier langage informatique par IBM, le FORTRAN.

1956: fondation officielle d’une discipline de recherche vouée à un essor durable (et à un bonheur variable): l’intelligence artificielle.

1957: apparition, dans des publications scientifiques (d’abord en allemand puis en français), du mot informatique (construit sur mot-valise à partir des mots information et automatique). Si le mot est désormais formulé, ça doit être que la chose s’en vient…

1961: mise en marché, par le conglomérat Coca-Cola, de la boisson gazeuse citronnée Sprite. «Quel rapport?» me direz vous. Tout un rapport. De fait, on fera longtemps croire au consommateur que le nom Sprite fut généré aléatoirement, une lettre après l’autre, par un ordinateur. Cette foutaise, présentant le ci-devant «cerveau électronique» comme une sorte de marmite de sorcier semi-magique, se joindra à une longue et tortueuse série de procédés rhétoriques mythifiant ouvertement le rôle calculatoire voire «intellectuel» de l’ordinateur. «Après avoir mis tous ces chiffres dans les ordinateurs du ministère des finances, ils nous ont transmis les résultats suivants…» C’est aussi à cette époque que se met à circuler l’idée voulant que l’ordinateur ne fasse jamais d’erreur, que ce soit l’humain qui le programme qui soit le seul à se tromper. Inutile de dire qu’il ne reste plus grand-chose de cette culture canulardière computationnelle depuis que l’ordi est devenu un objet de tous les jours.

1962-1963: le dessin animé The Jetsons met en vedette une famille futuriste de 2062, se déplaçant en voiture-aéronef et vivant dans une maison technologique (c’est le pendant futuriste des Flinstones). Au nombre des personnages, on retrouve Rosie, un robot bonne d’enfant qui fait la bise aux gamins, en les mettant au lit, avec sa bouche fixe laissant sur la joue la sensation d’un petit aspirateur.

1963: la compagnie Honeywell lance son premier grand ordinateur commercial. Dans ces années là, un ordinateur (computer), dans la vision qu’on en a, c’est un gros appareil mural avec des bobines tournant aléatoirement, des types en sarreau blanc ou des dames très sérieuses se tenant devant, et on est dans les bureaux souterrains secrets du Pentagone, de la NASA ou de General Electric.

1965: début de l’hégémonisme intellectuel de la Grammaire Générative Transformationnelle de Noam Chomsky. Elle imposera la chape de plomb d’une mythologie machiniste qui pèsera de tout son poids sur les sciences humaines universitaires pendant au moins trente ans. Inutile de dire que la grammaire-machine chomskyenne ne fut jamais réalisée.

1965-1968: la série télévisée à succès Lost in space raconte les pérégrinations de la famille Robinson perdue dans l’espace dans son vaisseau-soucoupe, le Jupiter II. Le robot serviteur de la famille signale les dangers en criant Danger! Danger! Mais il peut parfois aussi être déprogrammé par un traître et se retourner contre la famille. Il frappe alors le gros ordinateur de bord scintillant de ses larges pinces et tout pète dans un flot décourageant de flammèches et de boucane.

1966: l’épisode de Star Trek intitulé What are little girls made of? introduit, pour la toute première fois, la notion d’androïde (android), qui sera amplement reprise, notamment, au sein de ladite saga Star Trek, avec les personnages des androïdes Data et Lore (dans Star Trek: the next generation). Ici (en 1966) l’androïde, fabriquée de main d’homme, s’appelle Andrea et elle est pleinement opérationnelle pour la réalisation de l’intégralité des fonctions biologiques humaines (le mythe de Pygmalion s’enchevêtre dans l’affaire — je vous passe les détails)… On rencontre aussi l’androïde Ruk, gaillard frankensteinesque, baraqué, costaud et peu amène. Véritable ordi pleinement anthropomorphe, surhumain mais aspirant tendanciellement à l’humanité (I am not a computer! s’exclamera un de ces personnages), l’androïde apparaît comme un dangereux serviteur qui, si on en perd le contrôle, peut faire des ravages. Lors de telles crises, il faut finaudement éberluer l’androïde en le tirant vers ses tendances humaines et/ou en lui instillant des émotions non machinales sur fond inquiétant de paradoxes insolubles.

1967: le compositeur de musique électroacoustique Pierre Henry crée la bande musicale du ballet Messe pour le temps présent du chorégraphe Maurice Béjart. L’étrange pétarade électronique de Psyché Rock et de Jéricho Jerk change radicalement notre perception du son musical qui jouera désormais dans le petit radio de la cuisine. Un an plus tard (1968), l’album Switched-On Bach de Walter/Wendy Carlos nous donne à entendre, pour la toute première fois, du Jean-Sébastien Bach joué sur cette nouvelle invention d’un certain Robert Arthur Moog, le clavier synthétiseur. Deux ans plus tard (1969), l’album Moog plays the Beatles de Marty Gold fera avancer cette sonorité nouvelle d’un cran plus profond au sein des âmes mélomanes. Dans les deux décennies qui suivront, des instruments de musique programmables de plus en plus sophistiqués vont faire leur apparition. Le piano électrique, le mellotron et le ci-devant synthétiseur de Moog (pour s’en tenir ici aux plus vénérables — les tous premiers n’étaient pas spécialement computarisés. On avait, ici encore une fois, largement affaire à de l’informatique fantasmée) vont imposer leurs sonorités pimpantes et machinales dans la musique populaire. Frisson angoissé. À cause de l’aptitude imitative de certains de ces claviers électroniques, il va vite se trouver des voix pour annoncer la disparition prochaine des guitares, des cuivres, des bois et du piano à cordes. Une futurologie ratée de plus. On attend encore (et je ne vais pas pleurer ce ratage là — ordi et musique font aujourd’hui très bon ménage, l’un servant l’autre magistralement, pour le plus grand bonheur de l’oreille et de la diversité artistique la plus riche imaginable).

1968: dans le célèbre long métrage 2001: A space Odyssey de Stanley Kubrick, l’ordinateur central de bord d’une mission spatiale vers Jupiter, invisible (parce qu’omniprésent), doucereux et déférent (il s’appelle Hal et a une voix feutrée inoubliable), constate froidement que les cosmonautes du navire nuisent aux opérations et, donc, il les tue calmement, un par un, comme si c’était des parasites. On le débranche à temps, mais ça passe juste. La même année, dans l’épisode de Star Trek intitulé The Ultimate computer, on propose au capitaine James T. Kirk de se faire remplacer par un ordinateur central qui contrôle son navire. Cela fout le bordel meurtrier dans la flotte de la Fédération des Planètes et il faut finir par débrancher l’ordinateur M5, que son inventeur, un peu savant-fou sur les bords, traite comme son enfant. Il va sans dire que le tout ne se fait pas sans casse car l’ordinateur en question n’a tout simplement pas de bouton interrupteur…

1970: dans le roman de la série Bob Morane intitulé Les bulles de l’ombre Jaune, Henri Verne transporte ses héros, agents de la ci-devant Patrouille du Temps, en l’an de grâce 3222. Ils arrivent alors à Niviork (New York), inquiétante mégapole en ruine (suite à un conflit nucléaire) dont toutes les activités sont coordonnées par un gigantesque cerveau électronique central nommé Ibémé (on apprend éventuellement que ce nom dérive d’IBM). Sorte de Baal abstrait au sommet d’une pyramide à degrés, Ibémé assure l’intendance de cycles obligatoires de sacrifices humains. Il faudra donc le détruire car il est parfaitement nuisible à la vie humaine.

1974-1978: la série télévisée The six million dollar man lance et popularise le mythe de l’homme bionique, un être humain accidenté qu’on retape et améliore en le réparant avec de la technologie programmée, amplifiant ses capacités physiques (et éventuellement mentales). De la femme bionique à la civilisation Borg, en passant par RoboCop et le Terminator, ce concept de fusion entre l’humain et la machine aura une riche postérité mythique.

1975: la compagnie Commodore commence à produire ses premiers terminaux à clavier. On parle alors beaucoup, sans trop comprendre à quoi ça rime, de puces (chips). Ce gros clavier avec écran penché, dont les touches font clac, clac, clac, on se demande ce que ça fout exactement et on y découvre surtout… des jeux.

1976: la compagnie Control Data embauche du prolo en masse à Montréal. Le principal boulot offert est celui de key-punch. Il s’agissait de dactylographier des données sur des machines à cartes perforées ressemblant un peu à de vieilles calculatrices de table.

1977, 1980, 1983: la première trilogie Star Wars de George Lucas renoue avec les thèmes échevelés, irrationalistes et manichéens du space opera et ne place pas vraiment la problématique de l’ordinateur en position centrale. On y rencontre cependant deux personnages de soutien qui contribueront pour la première fois à significativement renouveler l’image mythique de l’ordi. Le robot C-3PO est un droïde de protocole anthropomorphe, parlant 6,000 formes de communication. En dehors de cela, c’est un trouillard, un geignard et un ignare, mais il est difficile de ne pas le trouver insondablement attachant, tellement humain, en un mot, pour lâcher le mot. Beaucoup plus déterminant aux fins de la thématique, le robot non-anthropomorphe R2-D2 est un droïde d’entretien ne s’exprimant que par cyber-pépiements. Il est rien de moins qu’un super-terminal portatif autonome car il peut, de sa propre initiative ou sur demande, communiquer harmonieusement avec tous les mainframes imaginables, y compris ceux de l’ennemi. Mais surtout, en observant attentivement sa remarquable trajectoire, on découvre que R2-D2 est un serviteur discret, efficace jusqu’à l’omnipotence, sagace jusqu’à l’omniscience, et doté d’une extraordinaire élévation morale. Devenu une icône culturelle en soi, le droïde R2-D2 est incontestablement la première manifestation fortement positive et laudative d’une vision respectable, sereine et éthique de l’ordi, dans le grand cinéma de masse.

1978: un confrère, étudiant de fac en informatique de gestion, nous annonce triomphalement à la cantonade que, dans dix ans, tout le monde devra connaître un ou deux langages de programmation et que ce sera certainement FORTRAN et COBOL qui domineront ce nouveau champ de savoir populaire. L’explosion ultérieure du user-friendly (sans parler de l’apparition, chez les informaticiens, du Pascal, du C, du C++ du SQL, du Java, du Dot-net et j’en passe) rendra cette prédiction parfaitement inopérante, justement dans la décennie où elle était censée se réaliser.

1979: un jeune Ysengrimus de vingt-et-un printemps pianote sur un ordi pour la première fois de sa douce vie, dans une obscure salle de terminaux de la fac où il étudie. C’est justement un terminal. Le lettrage est vert fluo, il faut taper toutes sortes de codes cryptiques pour «entrer» dans le ci-devant mainframe et on a aucune idée de ce qu’on fout là exactement quand on y arrive. Inoubliable.

1980: la compagnie Atari introduit les premiers ordinateurs avec clavier et écran ne requérant pas qu’on pianote une litanie de commandes en code avant de se déclencher. Ils bootent (comme on disait alors) automatiquement sur allumage (tout un soulagement au demeurant) et servent surtout pour des jeux vidéo et la constitution de bases de données rudimentaires.

1981: apparition du robot industriel, servant notamment à l’assemblage des voitures. Cet appareil perfectionné de chaîne de montage portera un coup durable au fantasme asimovien du robot anthropomorphe. Désormais, un robot, c’est un type perfectionné de machine-outil utilisé dans l’industrie et non un compagnon domestique avec des yeux et une bouche pour parler. Et un androïde, bien ça n’existe tout simplement pas.

1982: le film de science-fiction Blade Runner de Ridley Scott incorpore des androïdes intégralement anthropomorphes en pagaille mais surtout, il met en scène une technologie de recherche d’informations préfigurant assez astucieusement l’Internet.

la machine de l’année pour 1983: le PC... L'ordi emménage...

La machine de l’année pour 1983: le PC… L’ordi emménage…

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PHASE 2: L’ORDINATEUR COMME OBJET PRATIQUE

1982: Mise en place graduelle du Minitel en France.

1983: popularisation du micro-ordinateur ou ordinateur personnel (PC pour personal computer). On apprend tous à jouer au grille-pain avec les disquettes et à enchâsser le rouleau de papier symétriquement déchiquetable dans l’engrenage des imprimantes-mitraillettes. Démarre alors la compétition entre MacIntosh (Apple) et ce qu’on appelle alors les clones d’IBM (derrière lesquels se profilera Microsoft). Le film WarGames de John Badham est le premier long métrage à succès mettant en vedette un hacker (il passe à deux doigt de déclencher un conflit nucléaire en prenant le simulateur guerrier logé dans le grand ordinateur Pantagoneux qu’il parasite pour un jeu vidéo).

1983-1989: les années traitement de texte. On pourrait aussi dire: les années WordPerfect. La souris et les icônes, nées chez Apple, puis reprises intempestivement par Microsoft, s’imposent durablement comme complément du clavier. On apprend tous à cliquer

1984: apparition télévisuelle de Max Headroom, donné comme le premier personnage artificiellement généré (en fait un acteur lourdement maquillé — les effets d’ordi étaient encore très marginaux). La création de personnages et de mondes engendrés artificiellement connaitra, en vingt ans, une véritable explosion, notamment dans l’univers cyclopéen du jeu vidéo. Certaines de ces figures (on pense par exemple à Lara Croft ou aux Sims – l’énumération serait trop longue ici) deviendront de véritables icônes culturelles. Apparaîtra avec eux une notion (qui a été largement galvaudée et barouettée): le virtuel.

1986: dans le film Jumpin’ Jack Flash de Penny Marshall, la protagoniste voit, avec ébahissement, des messages s’écrire sur son terminal d’ordinateur sans que ses mains ne touchent le clavier. Un espion en détresse l’appelle à l’aide, à travers les arcanes du système. Ce film est un des premiers à incorporer l’envoi de quelque chose comme des courriers électroniques comme élément central de son intrigue.

1990: apparition de la procédure de retouches photographiques Photoshop. En deux décennies, il deviendra possible d’effectuer artisanalement le type de montages photos que seuls la CIA et le KGB pouvaient se permettre dans les décennies antérieures. Mais assez vite aussi, les retouches photos, privées et publiques, vont se généraliser au point de susciter un net désenchantement du public. Bientôt, le trucage d’images par ordinateur sera partout et, conséquemment, ne leurrera plus personne. La retouche photo deviendra donc graduellement un procédé jugé fort négativement et certaines personnalités la subissant iront jusqu’à intenter des poursuites légales pour altération de leur image publique.

1991-1997: décollage en force d’Internet dans les différents pays. C’est le temps des arcanes encore mystérieuses du  www, du http, du dot-org et du dot-com. On se familiarise tous avec les hyperliens, qui font passer, en un éclair, d’un site à l’autre. Apparaissent aussi certaines envolées d’enthousiasme oratoire qui font sourire aujourd’hui comme cyber-espace ou autoroutes de l’information. Un certain pessimisme s’exprime aussi. On trouve l’Internet encore bien vide de contenu et surfer le net est alors perçu comme une fixation un peu schizo vous isolant de la vie sociale.

1993-1999: âge d’or du courrier électronique, des «listes» électroniques (sur lesquelles on a tous, un jour ou l’autre, posté un message privé par erreur) et… des pourriels (spam) qu’il faut effacer un par un, soi-même. Les premières binettes (emoticon) font leur apparition pour facialiser l’interaction et réduire la sécheresse des messages. C’est aussi le boom des légendes urbaines colportées par courriels pyramidaux et des petites amusettes iconiques fixes ou mobiles qu’on s’envoie entre amis. Un curieux constat se généralise. Les gens se conspuent souvent par courriel, même sur des listes collectives. C’est comme si le maintien de la fulgurance de l’échange combiné à la disparition des contraintes du face à face libéraient les pulsions rageuses. Il va falloir apprendre à dominer ce nouveau canal d’échange et… à se dominer en lui. Des formes laborieuses d’autocensure collective se mettent en place, à cette fin, comme notamment le fameux Point Godwin, un aphorisme de culture vernaculaire se formulant, un peu pompeusement, comme suit: Toute cyber-discussion dont le ton monte voit la probabilité qu’un des participants y fasse référence à Hitler ou au nazisme tendre vers 1. (Quand un participant finit par oser mentionner Hitler ou le nazisme, pour quelque raison que ce soit, et même sans agressivité, on l’enguirlande en lui mentionnant, d’un air hautain, qu’il vient d’atteindre le Point Goodwin). Certaines listes d’échanges électroniques deviennent éventuellement tellement fliquées par leurs modérateurs qu’elles en meurent tout simplement d’inanition.

1994: le très étrange feuilleton ReBoot, créé à Vancouver (Canada) par Gavin Blair et toute une équipe, est la première série télévisée constituée exclusivement d’animations par ordinateur (chaque épisode dure une demi-heure, la série durera jusqu’en 2001). La même année, le film The Mask de Chuck Russell incorpore étroitement jeu d’acteur et effets visuels conçus par ordinateur. Un an plus tard (1995) le premier long-métrage du triptyque Toy Story de la compagnie de cyber-animation Pixar fera un tabac en salles. Des voix annoncent alors la disparition de l’acteur et de l’actrice au profit de l‘animatron informatique. Inutile de dire qu’on attend toujours, quelques vingt ans plus tard, la concrétisation de cette nouvelle prédiction hasardeuse.

1995: lancement du MP3 qui, en cinq ans, va révolutionner la façon de saisir la musique sur un support, de la consommer et de la pirater. Une durable bataille de copyright s’ensuit qui perdure encore. Apparition graduelle du webcam (enfin une anticipation Star Trek va finir par factuellement se réaliser: la vidéophonie). Lancement du site de vente aux enchères eBay. Il deviendra rapidement un incontournable mondial de la cyber-brocante et il rebondira régulièrement dans l’actualité pour la rareté ou l’incongruité des objets qu’on y trouve. Certains cinéastes ont même déclaré avoir acheté le gros des décors de leurs films d’époque sur eBay.

1995 puis 1998: lancement par Microsoft de la série des systèmes d’exploitation Windows.

1995-2000: intensification de la peur du bug de l’an 2000. Âge d’or des site web non-interactifs (les couleurs vives, les micro-animations papillonnantes) et guerre des premiers fureteurs (Netscape, Explorer, etc). On apprend tous à bookmarquer. Pour se partir un site web alors, il fallait savoir programmer en HTML et explicitement obtenir la permission de se nicher (d’être hébergé) sur un serveur spécifique. Pas facile.

1998: lancement du moteur de recherche Google. En moins de dix ans il surclassera ses six ou sept concurrents (Lycos, Yahoo, Copernic, etc). On apprend tous à googler. La curieuse petite comédie sentimentale You’ve got mail de Nora Ephron raconte l’histoire de deux cyber-tourtereaux qui se connaissent (en personne) et se font, en fait, grise mine dans la vie réelle tout en tombant amoureux en ligne. Première incorporation du cyber-anonymat (et de sa dualité) dans l’intrigue d’un film.

2000: le fameux bug de l’an 2000 est vite éventé. Débuts de la technologie et de la philosophie de l’open source. Le jeune hacker Mafiaboy lance sa série d’attaques informatiques et se fait pincer après avoir causé son lot de dégâts. Le virus ILOVEYOU infecte des dizaines de millions d’ordis à travers le monde. On découvre que ces petites amusettes visuelles qu’on peut se faire envoyer par courriel et qui nous déridaient tant dans la décennie précédente peuvent être malicieuses. On apprend, la mort dans l’âme, à effacer ces attachements sans les ouvrir.

2001: lancement de Wikipédia. Il est maintenant possible à tous d’intervenir directement sur Internet. En une décennie, cependant, Wikipédia renoncera graduellement à son ouverture intégrale.

2001-2003: la généralisation de la technologie du wiki (la mise en ligne instantanée) voit la fin de la technicité ésotérique de la mise en ligne et le début des sites interactifs. Il devient de plus en plus facile de se partir un site web gratuitement. L’impact de masse de ce fait sera vite palpable.

2002: lancement du fureteur Firefox. Disparition de Netscape. La guerre des fureteurs se calme.

2003: lancement de la plateforme WordPress, de MySpace (qui sera éventuellement surclassé par Facebook), de Skype et du site de réseautage professionnel LinkedIn. Apparition semi-spontanée de 4chan et de /b/, le ci-devant «trou du cul de l’Internet», viviers de toute une culture vernaculaire cryptique, extrême, initiatique et cynique qui sera une source majeure de cyber-harcèlements anonymes, de hackings illicites et l’un des grands ateliers d’engendrement du phénomène du mème.

2004: lancement de Facebook, dont on peut dire, sans exagérer, qu’il est le principal support technologique d’une véritable révolution ethnoculturelle mondiale. L’Internet désormais est le vecteur d’un intensif réseautage social. Il ne s’agit plus de s’isoler du monde mais de profondément s’y raccorder.

2005: lancement de YouTube. En cinq ou six ans, il deviendra le vecteur incontournable de la célébrité sans intermédiaire et de la hantise du «devenir viral».

2006: lancement de Twitter, qui passera vite d’une structure de micro-suivage à une sorte de fil de presse instantanéiste mondial. Lancement de Wikileak que les tartuffes médiatiques dénoncent bruyamment mais consultent (et citent) intensivement.

2007: apparition du iPhone d’Apple. L’année suivante (2008), il est possible de l’utiliser en wifi, (technologie sans fil) sans obligation de raccord à un ordinateur. Le téléphone, ce vieil instrument désormais intégralement renouvelé, devient alors une partie profonde de l’identité d’une personne. Mais, désormais, il vous relie à votre réseau social (incluant votre employeur) et ce, en permanence. Cela représente déjà comme une sorte de poids, pour certains…

2008: débuts discrets du Carnet d’Ysengrimus. La typologie des blogues qu’il propose en 2009 tient toujours, malgré la graduelle mise en jachère de nombreux cyber-carnets.

2009: on recommence doucement à parler de robots anthropomorphes et à en montrer dans des foires technologiques. Le film Moon de Duncan Jones incorpore à son scénario l’interaction d’un humain, seul sur une base lunaire, avec un robot semi-anthropomorphe du nom de Gerty. Ouvertement et très ostensiblement réminiscent du Hal de 2001: A Space odyssey et initialement sourdement inquiétant de par cette réminiscence, Gerty (auquel l’acteur Kevin Spacey prête sa voix) s’avère un serviteur prompt, affable, stylé, attentionné, respectueux, sans malice, et cocassement expressif. Fermant, quarante ans plus tard, le cycle inquiet ouvert par Hal, le robot Gerty incarne magistralement le passage de l’ordi Golem fantasmé à l’ordi instrument quotidien, banalisé, ordinaire et ami. Apparition du Bitcoin (monnaie virtuelle) qui, en quelque années, quittera le monde du jeu vidéo, se verra accepté par maint cyber-commerçants, et soulèvera tangiblement la question juridico-financière des transactions et des mises en circulation de fonds libellés en monnaie virtuelle.

2005-2010: âge d’or des blogues. On pourrait aussi dire: les années troll. Graduellement Twitter et Facebook vont assumer des fonctions qu’assumaient initialement les blogues personnels. Mise en place imperceptible du slow-blogging. Contestation croissante du cyber-anonymat par les cyber-médias officiels. On apprend tous à éviter au mieux de nourrir la cyber-provoque (Don’t feed the Troll!). Certains cyber-intervenants s’identifient très étroitement à la seconde identité que leur confère leur pseudonyme.

2010-2013: Il est devenu naturel de jauger le profil social ou sociologique d’une personne par sa présence ou son absence en la constellation des cyber-dispositifs (premières pages Google, Facebook, LinkedIn, 4chan, blogues personnels, etc). La notion de réseaux sociaux et de médias sociaux est désormais une idée ordinaire. Et l’ordi est désormais, tout naturellement, un outil de documentation, un aide mémoire et un instrument de raccord social.

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Il est assez patent qu’on est passé de l’ordinateur Golem à l’ordi connecteur social. Quel que soit le jugement qu’on porte sur la portée intellectuelle et ethnoculturelle des faits que je retiens ici comme exemplaires (et make no mistake: beaux ou laids, grandioses ou riquiqui, ils sont exemplaires), il s’avère que l’anticipation formulée dans la première phase rate totalement son coup pour ce qui est de prévoir les immenses phénomènes sociologiques de la seconde phase… Qui ira encore, après un ratage aussi tonitruant, appeler un roman de science-fiction un roman d’anticipation? Anticipation mon fion. La seule à avoir vraiment anticipé, c’est Mary Shelley (1797-1851), et c’est sur ce sur quoi on allait collectivement fantasmer qu’elle a anticipé, rien de plus. Les œuvres du vingtième siècle ayant déliré les androïdes, les robots et les ordinateurs n’ont finalement pas anticipé grand-chose de factuel (et la notion d’uchronie est bien plus adéquate pour les décrire — cela ne s’est pas passé et ne se passera jamais). Ces oeuvres ont simplement exprimé des hantises qui étaient bien plus celles de leur temps que celles du futur. La grande peur post-orwellienne de l’ordinateur déshumanisant rappelle bien plus la réification industrielle et/ou usinière (pour ne pas mentionner la rigidité politique —rigidité des blocs— issue de la guerre froide) du siècle passé. On voit co-exister un peu éclectiquement, dans la première phase, spéculation universitaire (largement exploratoire, décrochée et, disons la choses comme elle est, en grande partie stérile aussi) de l’informatique et du cybernétique et fiction populaire de l’inhumain ordinateur totalitaire et du méchant robot fauteur de troubles. On hypertrophie aussi les pouvoirs de l’ordinateur. On en fait un «cerveau électronique». On lui impute, dans cette phase mythique, et ce, au plan du bobard le plus ouvertement foutaisier, des aptitudes fantastiques, merveilleuses, formidables. On sait, dans la phase pratique, qu’il ne détiendra pas de telles facultés avant fort longtemps, si jamais. Parallèlement, presque en autarcie industrielle (car, dans ce temps là, l’ordinateur domestique, on y croyait pas trop), apparaissent les cartes perforées, les grands ordinateurs, les premiers microprocesseurs à clavier, les terminaux aux lettrages fluo. Ils vrillent leur chemin vers la vie ordinaire sans que le public sache encore exactement à quoi ils servent exactement. Il semble bien que personne ne pouvait vraiment le prévoir, en fait. La révolution des mœurs qu’ils enclencheront sera, de fait, une surprise totale.

En gros donc, aux vues de la phase mythique, l’ordinateur déshumanise et il faut le débrancher pour sauver l’humanité. Ce qui se réalisa est le contraire, presque le contraire diamétral. J’ai pas besoin de vous faire (ou de vous imprimer) un dessin. Au jour d’aujourd’hui, l’ordi nous raccorde et est un des instruments incontournables de la culture collective mondiale. Il est aussi devenu cet implacable curseur social au moyen duquel on se juge lapidairement les uns les autres (votre-employeur-brother ne s’y est pas trompé), on se passe les antennes sur le dos, on se rencontre, on se découvre, on se masque et se démasque, on collabore, on fomente de grands projets collectifs, au mépris des distances et des limitations venues justement de ces pouvoirs centralisés qu’on imputa, à grand tort, à l’ordinateur mythique de jadis (lesdits pouvoirs, politiques et économiques, toujours menaçant mais incroyablement archaïque, dépassés, réacs, sont désormais, aussi, tendanciellement passablement anti-ordi). Tout comme le M5 aveugle de Star Trek, le grand ordinateur collectif d’aujourd’hui n’a pas de bouton interrupteur et ce, malgré Joe Lieberman et bien d’autres qui souhaiteraient pouvoir l’éteindre à leur guise. C’est pas possible encore, mais pour combien de temps… mais n’anticipons pas! Conclusion, conclusion: bon, continuons de préparer l’avenir et gardons un œil prudent et autocritique sur toutes nos futurologies. Elles parlent de nous, ici, en fait, et pas toujours dans les meilleurs termes. Et, comme c’est pas fini, l’ordi, eh ben, il y en a encore pas mal à dire…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec.

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