Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

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Catherine McKenna en moi

Posted by Ysengrimus sur 1 novembre 2019

Catherine McKenna (Photo: Boris Minkevich)

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Il y a quelque chose d’important qui m’arrive à propos de Catherine McKenna. C’est quelque chose d’indéfinissable, de passablement envoûtant et de particulièrement difficile à saisir. C’est complexe, en tout cas, et c’est véritablement important. J’écoute madame McKenna attentivement, notamment quand elle intervient à la Chambre des Communes du Canada. Pour mes lecteurs et lectrices européens, je signale que Madame McKenna, née en 1971, est députée de la circonscription d’Ottawa-Centre et Ministre de l’Environnement et de la lutte aux changements climatiques du Canada (2015-2019).

Ce que je ressens, plus précisément la portion de Catherine McKenna qui vibre en moi, n’a rien à voir avec une quelconque harmonie des visions politiques ou une toute éventuelle communion idéologique. Au plan intellectuel et doctrinal, madame McKenna (comme madame Freeland, comme Justin Trudeau lui-même) me suscite plutôt des objections que des accords. Que fait madame McKenna au sein du cabinet de centre-droite (Parti Libéral du Canada) de Justin Trudeau? Eh bien, elle développe des considérations à rallonges sur l’urgence des changements climatiques, pour mieux dissimuler les effets environnementaux directs et indirects du foutoir pétrolier canadien. Comme ministre, Catherine McKenna sert la ligne de son parti, qui, l’un dans l’autre, est celle de sauver le gros des apparences de progrès consensuel pour mieux dissimuler au grand public le fait que les politiques mises en place par le parti qu’elle représente (et sert avec rectitude, tonus et discipline) sont des politiques de droite. Ce point est limpide dans mon esprit. Ce n’est pas politiquement ou intellectuellement que Catherine McKenna me travaille de l’intérieur.

Comme individu, sauf son respect, je m’en fiche un petit peu aussi, d’une certaine façon. Mère de trois enfants, dont deux filles, elle fait du cyclisme et de la natation. Bon. Anglophone de langue première, son français est passable, sans plus. C’est la grande canadienne anglaise athlétique et tonique, comme il y en a tant. C’est une avocate de formation qui a varnoussé dans l’international. Rien d’extraordinaire, ni dans les fonds ni dans les combles. Elle a du charisme, par contre. Un bon charisme, en plus. Un charisme frais et sain. Un charisme qui chante. Elle a une façon de se communiquer qui me fascine à chaque fois. Un style tribun, un petit peu, la voix rauque, un sens indéniable de l’effet de manches, mais sans excès. Jolie femme, elle ne flirte pas son interlocuteur. Lindsay Abigaïl Griffith, qui connaît bien la mode et le style, me confie que Catherine McKenna n’en joue pas, qu’elle s’y perd peut-être un peu, même. Tout en elle fait franc, droit et simple. Une canadienne du cru, en somme. Elle est une bonne communicatrice et elle survit passablement aux difficultés incroyablement épineuses des bobards climato-environnementaux qu’elle doit communiquer, redire, marteler, ânonner presque.

Syllogisme. Catherine McKenna travaille les hommes, je suis un homme donc… etc… Elle travaille les hommes, en effet, comme le corrobore une anecdote bizarre qui remonte déjà à quelque temps. Des réacs (masculins naturellement) se sont amusés à la surnommer Climate Barbie (Barbie environnementale ou Barbie climatique) et, pas achalée, elle leur a tenu tête avec brio et intelligence. Elle ne s’est pas laissée faire… sans pour autant trop en faire. Elle a expliqué qu’elle avait deux filles et que, comme modèle maternel, elle jugeait que si ses filles envisageaient une carrière politique, ce ne serait pas pour aller se faire parler de leurs cheveux ou de leur apparence. C’est après cette anecdote, hautement significative du point de vue sociétal, que Catherine McKenna s’est mise à vraiment remuer en moi. De fait, c’est seulement après ça que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à sa signification philosophique, si on peut dire.

Les femmes en politique, notamment au siècle dernier, ont du, au début, se masculiniser et plus ou moins devenir one of the boys. Je ne vais pas épiloguer sur cette question, bien connue. On sort graduellement de cette culture transitoire d’ajustement et on commence à voir émerger des femmes politiques qui féminisent nos espaces de représentations, sans trompette et sans façon. Je me suis donc remis à observer Catherine McKenna, dans l’éclairage biscornu et inattendu qu’ont jeté sur elle ces ineptes masculinistes avec leurs insultes faiblardes crûment révélatrices d’une androhystérie d’époque. C’est la communicatrice (plus que le contenu convenu qu’elle communique) qui ressort, au bout du compte, en madame McKenna. Sans faire ni la chieuse ni la sinueuse, elle dégage un charme indubitable. Dosage de fermeté éloquente et de vulnérabilité non dissimulée. Ça me rappelle quelque chose, mais quoi donc? Je fouille dans ma mémoire encombrée pour essayer de retrouver quelle personnalité publique canadienne ou québécoise cela me ramène en mémoire. Je trouve, finalement: René Lévesque. Oh, oh, Catherine McKenna, quand elle se communique, me fait penser à René Lévesque. Pas simple, ça! Une sensibilité interpersonnelle souple et liante, presque à fleur de peau, côtoyant efficacement un sens oratoire juste, qui frappe net et qui répond à la susdite sensibilité de base, en la répercutant comme un efficace et symétrique effet d’harmoniques.

Comparer cette grande gigue anglophone, blonde et tonique de ce siècle à un René Lévesque, petit bonhomme québécois, chafouin et ratoureux du siècle dernier, est une saillie hautement inattendue. Vous me le concéderez. Mais c’est ça aussi, le Canada, la rencontre percutante et imprévue entre deux solitudes qui ne s’étaient pas trop vues au départ. L’analogie est d’ailleurs fort féconde, dans les deux sens. Il y avait, l’un dans l’autre, quelque chose de très féminin dans René Lévesque et je suis prêt à admettre, sans trop trembloter, qu’il annonçait hier les Catherine McKenna de demain. Dans cette rencontre, il y a bien la cigarette du vieux nationaliste qui vieillit assez mal. Catherine McKenna ne s’envelopperait pas de ces volutes là.

Ce que j’essaie de dégager, à coup d’analogies maladroites, de rapprochements hasardeux, et de tâtonnements empiriques et exploratoires, c’est qu’il y a quelque chose chez Catherine McKenna, femme publique, qui est à la fois ordinaire, banal, pris pour acquis et extrêmement important, beaucoup plus important que les petites lignes politiques qu’elle dessine et schématise du mieux qu’elle peut. Ces dernières, elles, resteront emberlificotées dans son temps historique (comme les lignes politiques de René Lévesque sont restées emberlificotées dans le sien). Ce qu’il y a de si suavement crucial dans cette femme politique, si je peux finir par mettre le doigt dessus, c’est du naturel. Voilà. Catherine McKenna est une femme politique et elle l’est de façon toute naturelle. Elle reste elle-même. Elle reste femme. Elle se domine comme telle, sans résidu. Elle est femme en politique comme Barack Obama fut noir en politique. On oublie la femme et le noir et on fait de la politique, tout naturellement, sans flafla.

D’autres femmes du peloton Justin Trudeau de 2015-2019 représentent aussi une telle réalité. On va pas toutes les nommer. C’est là un trait transversal d’époque, de toutes façons. Du côté des réacs aussi (les conservateurs parlementaires), il y a des femmes calibrées comme ça, tout autant. Au NPD et chez les Verts aussi. C’est bien d’une tendance sociétale qu’on parle. La tendance: femme en politique au naturel. Mais je trouve que, de ce peloton 2015-2019, c’est indubitablement Catherine McKenna qui remue le plus profondément en moi. Encore une fois: pourquoi? Elle est d’une intelligence moyenne, d’une cohérence politique assez étroite mais elle tient parfaitement. Non seulement elle est une femme politique mais elle est une femme politique ordinaire. Elle banalise inexorablement la féminité en politique. Toute la féminité, sans résidu et sans concession ni sur le centre ni sur la périphérie de la culture intime en cause. C’est important. Comme tous les événements ordinaires d’un progrès historique tranquille, c’est crucial, capital.

Nos androhystériques réactionnaires ne s’y sont pas trompés, finalement. Cochons qui s’en dédit, ils ont flairé les truffes du progrès social fondamental porté de façon toute ordinaire par Catherine McKenna. C’est elle qu’ils ont attaquée. Ils ont senti, en elle, le danger pour l’ordre patriarcal contre lequel ils se recroquevillent encore. C’est bien pour ça qu’ils se sont mis à farfouiller en s’énervant. Ils ont essayé de remettre Catherine McKenna dans une petite boite de carton et de cellophane. Oh, la futile tentative. Je leur dédis ici un petit mème, tiens, pour qu’ils ne se sentent pas pleinement inutiles, au sein du processus qui continue d’inexorablement se déployer.

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Catherine McKenna qui remue en moi, c’est la féminisation ordinaire de nos représentations politiques et politiciennes, finalement. La fin des token women, la fin aussi des wonder women. Pour être une femme en politique, il n’est plus nécessaire ni de faire le service ni de faire des merveilles. Il s’agit tout simplement d’être une citoyenne et de fréquenter l’agora.

Il nous faut plus de femmes comme Catherine McKenna en politique. Elle incarne ce que nous tendons à devenir collectivement, dans nos bons coups comme dans nos nunucheries. Il faut l’écouter parler, l’observer se dire. Ce sera pour constater que se manifeste en elle une profonde aptitude à représenter ce que nous sommes, sans malice et sans extraordinaire. Le fait est que 52% de ce que je suis manquait et manque encore largement à la Chambre des Communes. C’est bien pour ça que Catherine McKenna remue si fortement en moi, finalement. C’est qu’elle œuvre à sortir de cette prison archaïque que je lui suis, bien involontairement.

Catherine McKenna

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Le Levant, segment central du Croissant Fertile

Posted by Ysengrimus sur 1 avril 2019

croissant-fertile

 

Au Moyen-Orient, c’est de longue date qu’on distingue l’espace désertique de l’espace fertile. Il y a là une formulation géographique et géopolitique profonde aussi enracinée que celle qui fonda par exemple la mise en place de l’Europe. Les territoires du Levant, comme ceux du reste du Croissant fertile, sont devenus arabes il y a quatorze siècles, sous les califats d’Abou Bakr et d’Omar. La finalisation de la conquête de l’ancienne Syrie romaine par les Arabes eut lieu en l’an 635 de notre ère. Des tribus arabes y vivaient d’ailleurs en fait longtemps avant les premières invasions romaines. Quelques années avant la conquête de la Grande Syrie, l’Irak avait été prise aux Perses par les Arabes. Il est indubitable que le Levant est principalement de civilisation arabo-musulmane et ce, depuis des siècles. D’autres cultures y existent mais il n’y a pas à rougir de leur assigner un statut strictement résiduel (et hautement auto-légitimant pour le confusionnisme occidental, toujours soucieux de bien se faire mousser en jouant les faux arbitres de toc entre les peuples).

Le sultan turc Sélim Premier s’empare (entre autres territoires) du Levant en 1517 en vainquant les mamelouks d’Égypte. Commence alors la longue et douloureuse administration ottomane de ces populations, qui durera jusqu’à la fin de la première guerre mondiale (1918). C’est ensuite le colonialisme occidental, brutal et autoritaire, tout en la jouant moraliste et civilisationnel, qui mettra en forme les dispositifs frontaliers contemporains. La France hérite de l’intendance de la Syrie et du Liban, l’Irak et, un peu plus tard l’Arabie (devenue «Saoudite»), revenant â l’Angleterre. C’est en 1948 que le problème israélio-palestinien prendra la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Ce segment de la question est archi-connu.

La tribu arabe des Qays et celle des Yaman peuplent le Levant grosso modo depuis l’époque de la Syrie romaine. Si des conflits intestins entre ces deux grands groupes ethno-politiques arabes sont couramment rapportés au cours de l’histoire, il reste que la distinction entre ces deux tribus n’est pas si nette et qu’elle repose largement sur le folklore. Utilisées autrefois pour asseoir le pouvoir colonial, ces divisions vernaculaires ne semblent plus avoir vraiment cours et pèsent bien moins lourd que les frontières nationales dictées par le souvenir des guerres mondiales et perpétuées dans la mouvance des différents nationalismes arabes post-coloniaux (ou néo-coloniaux, c’est largement la même chose, en fait) du siècle dernier. Notons que les Assad (fils et père) et Saddam Hussein furent, en leur temps, des baasistes occidentalisants que l’Occident s’empressa pourtant de mettre abruptement dans le tordeur quand ils se mêlèrent de devenir trop ouvertement nationalistes, justement.

Il est assez patent que la mouvance politico-militaire actuelle va, elle, dans la direction d’une dissolution des frontières nationales post-coloniales, surtout de la frontière entre la Syrie et l’Irak (mais aussi la délimitation nord de l’Arabie Saoudite). La profonde sensibilité ethnoculturelle du Levant tend à formuler l’espace «national» profond comme suit. Les options militaires actuelles vont aussi dans cette direction:

 

Levant

 

L’Occident, pour des raisons oléo-impériales assez évidentes, ne peut supporter ou endosser ce genre de découpage, aussi subversif que fatal. La propagande occidentale va donc s’évertuer à désunir au maximum le Levant. Et pour ce faire elle va s’évertuer à mythologiquement le désarabiser. C’est pour cela qu’on n’entend parler, en ce moment chez nos folliculaires, que de chrétiens d’Irak, de Coptes, de Kurdes, d’Araméens et autres Chaldéens (on parle pas trop de «juifs» par contre, car cela vend très mal par les temps qui courent – des tribus juives peuplent pourtant le Levant depuis des temps immémoriaux). L’Armée islamique du Levant (qui a depuis un petit moment éjecté Al Qaïda de ses rangs) peut, d’autre part, de plus en plus difficilement être qualifiée de «terroriste». Dans le fantasme que l’Occident se construit en la matière, le «terroriste» doit apparaître comme une sorte de nihiliste, fauteur de troubles inane, tête brûlée absurdiste et intransigeant poseur de bombes (bombes posées préférablement, pour que le personnage reste un croquemitaine crédible, en Occident même). On peut difficilement traiter sur ce ton et de cette façon des conquérants besogneux et respectueux de leur hinterland qui se tiennent sagement en rangs et œuvrent à faire reculer des frontières d’autre part fort mal légitimées.

Hilary Clinton reprochait autrefois à Barack Obama de ne pas avoir assuré une présence assez ferme en Syrie, ce qui aurait permis à l’Armée du Levant d’occuper le champ laissé vide par la déplorable mollesse impériale US en cours d’essoufflement. Il est piquant de constater qu’on croirait presque entendre Ronald Reagan faisant des reproches du même genre à Jimmy Carter au sujet de la Révolution Islamique d’Iran, circa 1979-1980. Madame Clinton et Monsieur Obama sont-ils toujours du même parti? L’avenir électoraliste ricain nous le dira. Il faut bien dire que l’Armée du Levant pose des problèmes byzantins (il fallait que je la fasse) aux interventionnistes américains. Contre Al Qaïda, contre le Hezbollah et l’Iran (qu’elle considère comme ses principaux ennemis régionaux, plutôt qu’Israël), contre l’autorité d’Assad sur la Syrie, critiques du sectarisme étroit des dirigeants irakiens actuels (avec lesquels les américains ont aussi eu des mots), l’Armée du Levant, de par sa nouvelle donne un peu holistique, n’était pas exempte de charmes pour l’administration américaine mijaurée, hésitante et anti-belliciste d’Obama. Évidemment, pour l’instant, les réflexes impériaux jouent au quart de tour contre ces ci-devant «djihadistes»: protection compulsive des frontières saoudiennes, maintient réflexe de la partition Irak-Syrie, perpétuation sentimentale du Liban et, évidemment, tenue à bout de bras du sacro-saint dispositif Jordanie-Palestine-Israël-Gaza-etc. Mais il est clair que les cartes sont en train de sérieusement se rebrasser et ce, d’une façon originale et, pour une fois, pour faire changement, potentiellement restabilisante. Les américains vont y penser. Ils ne vont probablement pas agir dans la bonne direction pour l’instant mais ils vont sourdement y penser. La logique du Levant est en train ni plus ni moins que de leur coller un sacré frelon dans la tête.

C’est que ladite logique du Levant est assez imparable. Elle s’assoit sur des fondations historiques, culturelles, ethnologiques et géopolitiques qui s’imposent à l’esprit finalement assez naturellement. L’opinion mondiale est lasse des guerres de théâtre, du post-colonialisme mal déguisé, du Moyen-Orient déstabilisé et du sempiternel abcès israélo-palestinien. Si des dirigeants pondérés, industrieux et articulés, peuvent se lever au Levant, il va vite se trouver des hommes et des femmes de bonne volonté pour juger, en conscience, qu’ils méritent leurs chances bien plus que bien d’autres qu’on tient à bout de bras depuis des années et qui ne font que de la merde. C’est original, c’est rafraîchissant, c’est novateur, c’est fertile… et c’est vraiment une affaire à suivre.

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam et nous, les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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Qu’est-ce que le populisme?

Posted by Ysengrimus sur 7 juillet 2017

Populisme-Coca

Le président Obama, à la fin du sommet dit des Trois Amigo (juillet 2016), s’est lancé dans un développement bizarroïde et auto-justificateur qu’il a qualifié lui-même, d’un ton boudeur et blasé, de bougonnade (rant). «Si vous me permettez, j’aimerais dire une dernière chose parce que ça vire en boucle dans un bon nombre de questions posées en ce moment. Il s’agit de cette fameuse affaire du populisme.» Il a ensuite suggéré qu’on jette un coup d’œil pour se renseigner (ce qu’il n’a visiblement pas fait lui-même) sur la signification de la notion de populisme. Il y voit en effet le fait de représenter les intérêts des hommes et des femmes du commun. Sur la base de cette définition superficielle et bébête, il s’est alors mis à se justifier. Il a expliqué qu’il s’était lancé en politique pour aider les gens, pour s’assurer que le nécessiteux ait les mêmes chances de succès que le rupin, que la mère travailleuse dispose de garderies fiables, que le système fiscal soit équitable, que les babis aient une éducation décente… etc… etc… Faites lirer les violons. «Now, I suppose that makes me a populist» a-t-il ouvertement insisté.

Et de poursuivre: «Quelqu’un d’autre n’a jamais démontré le moindre respect pour les travailleurs, ne s’est jamais battu pour la justice sociale, n’a jamais fait l’effort de permettre aux enfants pauvres d’avoir leur chance dans la vie, ou de disposer de soins de santé (de fait le quelqu’un en question a ouvertement œuvré contre les opportunités économiques pour les travailleurs et les gens ordinaires). Un tel quelqu’un ne devient pas soudainement un populiste sous prétexte qu’il tient des propos controversés pour engranger des votes. Ceci n’est en rien la mesure du populisme. C’est du nativisme, ou de la xénophobie ou pire encore. Ou alors c’est tout simplement du cynisme.» Obama a ensuite justifié son intervention en 2008 lors du rachat de certaines compagnies ricaines de bagnoles. Il a limoné en expliquant qu’il ne faisait pas plaisir à la bourgeoisie en effectuant ces rachats agressifs et unilatéraux mais qu’il les avait fait quand même pour le bien commun et non pas pour faire plaisir à tel groupe spécifique ou tel autre. Et bla… et bla…. et blablabla.

Alors… bon… passons sur la conception bourgeoise, ou centriste, ou radical-bourgeoise de la justice sociale et de la lutte, réelle ou feinte, pour le souverain bien d’un Obama en fin de trajectoire et concentrons notre attention sur la définition du populisme qui sous-tend la bougonnade auto-justificatrice de ce jour là. Il est assez net que, dans l’esprit de ce politicien sans science politique, populisme s’oppose ici à élitisme. Dans ce type de sociologie simplette, binarisée et réactionnaire dont les américains ont le sublime secret, le populiste travaille pour le peuple et l’élitiste travaille pour l’élite, point final. Cherchez pas plus loin. Et, manichéisme axiologique gnagnan oblige, l’un est un bon et l’autre est un méchant. Et Obama de se vexer de ne pas lui, être qualifié de populiste, donc de bon.

Le problème ici est qu’Obama politicien se pose en acteur sur la société, alors que la notion de populisme renvoie, elle, à une façon de penser la société. Il s’agit moins de savoir qui on sert (ou prétend servir) que qui on est. Le populisme est une ontologie qui s’ignore, bien longtemps avant d’être une pragmatique qui s’assume. La vieille notion de PEUPLE (catégorie descriptive centrale du populisme) est une notion unificatrice mais non organisatrice, simplificatrice mais non descriptive, nivelante, globalisante, abstraite, volontariste, simpliste et creuse. Le populiste, le vrai tribun populiste, nie ouvertement ou implicitement que le peuple (tout le peuple, «ses» élites inclusivement) soit traversé de contradictions internes, de guerres intestines, de conflits radicaux, de rapports de forces définitoires. Niant la contradiction, ce que le populiste nie fondamentalement c’est la réalité motrice de la lutte des classes.

Le politicien populiste sera donc d’abord un bourgeois ou un homme du peuple roulant pour les bourgeois. Cela ne lui semblera nullement contradictoire… justement. Pas de lutte de classes cela veut dire pas de conflit existentiel dans l’idée paradoxale d’un rupin plein aux as prétendant mener la plèbe en guenilles vers ses lendemains qui chantent. Le populiste est moins anti-élitiste qu’anti-classe. Il n’analyse pas la société qu’il prétend diriger. Il la prend d’un bloc, en se guidant comme d’instinct sur son idéologie dominante (qui, subconsciemment ici, reste toujours l’idéologie de la classe dominante). L’ennemi de classe étant nié, il restera à stigmatiser l’ennemi national, l’ennemi populaire (du moment), l’ennemi de race, l’agneau pascal inamical, l’ennemi fantasmé sur tous les axes imaginaires permettant à la propagande populiste d’enterrer soigneusement la lutte des classes dans la gadoue xéno, nationaleuse et ethnocentriste. Oui, monsieur Obama, le fait de tenir des propos xéno vous rend populiste, incontestablement. Mais c’est pas pour les raisons mal formulées que vous ne conceptualisez aucunement dans votre rhétorique tristounette, tout en les déplorant tout de même. C’est plutôt que la fabrication martelée et martelante de l’ennemi imaginaire soude illusoirement le Peuple en lui masquant ses cuisantes luttes internes au profit de cette fleur au fusil fallacieuse et matamore qui, justement, sert tellement les élites. Disons la chose dans la langue de nos bons ricains, la seule qu’ils décodent vraiment. It is the oldest trick in the book…

Corollairement et accessoirement, l’amalgame populiste se fait autant dans l’intellect que dans le sociétal. Aussi, le politicien populiste n’aime pas plus la pensée critique (entendre la sociologie philosophiquement fondée, c’est-à-dire principalement sinon exclusivement le matérialisme historique, marxiste surtout) dans les têtes qu’il n’aime la lutte des classes dans l’action. Le politicien populiste est donc, corollairement et accessoirement, un solide et tonitruant anti-intellectuel. Regardez-le simplement interagir avec les journalistes, même les journalistes croupions qui lui lancent des balles molles. Ce sera pour constater que le politicien populiste préfère la phraséologie à la pensée. Il ne fait pas cogiter. Il fait rêver. Ce n’est pas une intendance sociétale qu’il avance. C’est un show. Le politicien populiste ne fait pas cela par bêtise d’ailleurs. Il fait cela par rouerie. Il sait, d’instinct ou autrement, que la pensée fondamentale est contradictoire. Il se tient loin d’elle donc, lui préférant le ci-devant sens commun ou bon sens, ce caramel unilatéral et superficiel apte, un temps, à figer les crises historico-sociales, les empêchant temporairement de fendiller le vernis de surface de tout programme politicien simpliste.

L’affectation des élitistes co-optés et désillusionnés genre Obama face au populisme durillon est assez parlante à son sujet, de fait… une fois qu’on en a saisi les ressorts. L’Obama crépusculaire se réclame ostentatoirement du populisme. Il dit: pourquoi dites-vous que le populiste c’est l’autre quand le vrai ami du peuple c’est moi? C’est qu’Obama est assez astucieux pour comprendre que le populisme, c’est la planque élitaire parfaite, finalement. Mazette, s’il n’y a plus de bourgeois, plus de prolétaires, plus de paysans, plus de banquiers, d’industriels, de commerçants, d’aigrefins militaro-industriels, de lobbyistes, de financiers, de clochards… S’il n’y a plus que Nous, le Peuple, c’est bien que, le temps de l’union sacrée du moment, c’est la nuit et que tous les chats son gris. Le bourgeois, qui cherche de plus en plus désespérément à se couler dans la masse, n’en demandait pas tant. Le populisme est toujours bon à prendre pour la bourgeoisie. Il transforme le petit peuple en soldat de ses intérêts de classe aveuglé par la démagogie et le scintillement illusoire des boucs émissaires antinationaux, anti-américains, anti-blancs, anti-nous…

Ceci dit, il reste que ce qui est est. Le Peuple n’existe pas plus comme notion socio-historique que la Race. C’est un artefact bourgeois dont la fonction est exclusivement de servir de base à un consensus de classe toc, rapace, tape-à-l’œil et mensonger. La limpidité et la tonitruance de la démagogie populiste parlent d’elles-mêmes. La démagogie populiste s’y montre telle qu’elle est. Le citoyen calme, informé, le travailleur imprégné de ses priorités civiques ordinaires n’y adhère pas. C’est que le populisme reste ancré dans une idée de la nation qui est fondamentalement archaïsante. Ce n’est pas une idée progressiste. Aussi, quand Obama pleurniche de ne pas, lui, se voir qualifié de populiste, il tourne ouvertement le dos au progrès social qu’il aurait pu éventuellement autrefois incarner. Lui aussi, à sa façon, comme Bill Clinton ayant (soi-disant) fumé du cannabis sans l’inhaler, il a parlé au peuple sans vraiment l’incarner. Obama a autrefois nié être socialiste. Aujourd’hui il rêve d’être étiqueté populiste. Ces deux manifestations de science politique déficiente en lui posent déjà les jalons du jugement sévère que l’Histoire s’apprête à porter sur ce faux progressiste en costard. Populiste, mais oui il l’est, comme tous les thuriféraires bourgeois de la toute ploutocratique classe politique américaine. Et cela ne fait en rien de lui ou de ses semblables les bons gars et les bonnes filles populaires tributaires de cette axiologie simplette et gnagnan qu’on cherche tant à nous faire bouffer par tous les orifices.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Il y a cinquante ans: IN THE HEAT OF THE NIGHT

Posted by Ysengrimus sur 15 mai 2017

Virgil Tibbs (Sidney Poitier)

Virgil Tibbs (Sidney Poitier)

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Virgil Tibbs (Sidney Poitier) vient d’aller rendre visite à sa mère à Brownsville au Mississippi et il rentre maintenant chez lui, dans le nord. En pleine nuit, il attend sa correspondance ferroviaire abstraite pour Memphis (Tennessee) sur le quai de la gare fermée d’un bled paumé du nom de Sparta (Mississippi). Il se fait alors remarquer par un constable local enquêtant à l’emporte-pièce sur un meurtre qui vient tout juste d’avoir lieu dans le patelin. Un noir inconnu en costard et cravate assis avec une valise sur le quai d’une gare déserte? Il n’y a aucun doute possible dans l’idéologie du coin, c’est l’assassin. Virgil Tibbs se fait donc braquer, fouiller et amener, sans ménagement ni vérification d’identité, au poste de police de Sparta. Il ne s’insurge pas mais il ne fraternise pas non plus. Il répond froidement au dédain raciste par le mépris de classe. C’est le début de son aventure dans la chaleur de la nuit qui sera en même temps, pour lui, une cavale au fin fond des campagnes et une sorte d’étrange et cauchemardesque recul dans le temps historique.

Bill Gillespie (Rod Steiger) est le chef de la police de la petite commune de Sparta. Il est évidemment peu doté en ressources, peu avancé intellectuellement, instable émotionnellement et il en est parfaitement conscient. C’est un bon gros gars du sud qui s’efforce de garder son patelin en ordre en évitant que ses hommes, aussi peu ressourcés que lui, fassent trop de gaffes dans les coins. Bill Gillespie est bien emmerdé, ce soir là. On vient d’assassiner, dans son patelin, un gros industriel de Chicago qui était sensé ouvrir une usine devant assurer mille nouveaux emplois locaux. Et voici qu’on lui amène un noir en costard en affirmant tout net qu’il est le meurtrier. C’est un grand gaillard hautain à l’accent du nord, qui dit whom et qui est originaire de Philadelphie (en Pennsylvanie, hein, pas Philadelphia, Mississippi, si vous captez la nuance). Pataquès et maldonne. Non seulement ce noir est un officier de la très respectée Police Municipale de Philadelphie mais en plus c’est un expert en homicides, ayant notamment ses entrées au FBI.

Les deux hommes n’ont rien en commun. Leur répulsion mutuelle est immédiate. Pour clarifier la situation, on téléphone au supérieur hiérarchique de Virgil Tibbs. Ledit supérieur hiérarchique, après une conversation avec Bill Gillespie, a son employé au bout du fil. Virgil Tibbs se fait dire par son supérieur que comme il a de toute façon raté son train, il est prié de se mettre au service de la force municipale de Sparta pour mener l’enquête sur ce meurtre. Virgil Tibbs s’insurge. Il ne veut rien savoir de travailler avec ces culs terreux. Il retourne attendre son train à la gare. Quelques heures passent et Bill Gillespie se retrouve aussi avec de sérieux problèmes avec sa hiérarchie. Il se fait dire par le maire de la commune que la veuve de la victime du meurtre est furax et que si ce crime n’est pas adéquatement élucidé, on peut dire adieu à l’usine aux mille employés. Gillespie est incapable de résoudre ce mystère seul… et il le sait. Tibbs s’en voudrait à mort de désobéir à son chef et de laisser tomber une enquête qui l’intrigue déjà passablement… et il le sait aussi. Les deux hommes vont se sentir implacablement obligés de collaborer, en passant par-dessus tout ce qui les horripile et tout ce qui les oppose, psychologiquement et sociologiquement.

Imaginez Barack Obama et Donald Trump obligés de travailler main dans la main sur une question sensible concernant l’Amérique profonde. Main dans la main… Lequel des deux protagonistes aurait alors la main dans la marde? Ne répondez pas trop vite parce que c’est vraiment pas si simple. Ce film extraordinaire, du canadien Norman Jewison (né à Toronto en 1926), a obtenu l’Oscar du meilleur film en 1967, en pleine crise des droits civiques. Cinquante ans plus tard, il n’a pas pris une ride. Et les deux protagonistes vont donc mener l’enquête. Je ne vous dirai rien de celle-ci pour ne pas gâcher votre plaisir de visionnement. Elle est enlevante, complexe, riche en rebondissements et elle n’a, elle aussi, pas pris une ride, malgré la savoureuse patine du temps enrobant désormais ce grand classique du cinéma américain. On réussit ici à combiner magistralement un thriller policier et un drame social. C’est une superbe rencontre de genres.

En plus, le cheminement psychologique de Virgil Tibbs et de Bill Gillespie fait proprement accéder cet opus à une dimension philosophique. D’abord, il faut dire que, pour un enquêteur noir qui farfouille dans ce petit hinterland sudiste pour y dénicher un assassin du cru, la situation est dangereuse, explosive même. De la poudre à canon. La réalité évoquée est d’ailleurs si tangible que Sidney Poitier (le vrai Sidney Poitier, l’acteur) a refusé d’aller jouer dans le sud. Faisant valoir qu’il n’irait pas se faire écharper chez les culs terreux pour un film, il a exigé et obtenu que le gros de l’opus soit tourné à Sparta mais à Sparta, Illinois, dans le nord donc. Son personnage, Virgil Tibbs, n’a pas cette chance. À tous les coins de rue, il risque de se faire assommer, dans la chaleur de la nuit, par ces blancs hargneux arborant le drapeau sudiste sur leurs plaques minéralogiques. Pour Virgil Tibbs, c’est une perte complète de ses références ordinaires, une descente aux enfers. Il se fait interpeller boy (alors qu’à Philadelphie on l’appelle Monsieur Tibbs) et on lui brandit des barres de fer au dessus du chef et lui pointe des flingues sous le nez plus souvent qu’à son tour. Bill Gillespie n’est pas en reste pour ce qui est de la déroute morale. Il se rend vite compte que cet afro-américain nordiste, roide et flegmatique, est un limier hors-norme. Gillespie se retrouve donc dans la posture paradoxale, politiquement emmerdante, et fort irritante pour sa psychologie sommaire ainsi que pour celle de ses commettants, de protéger paternalistement ce noir antipathique qui lève les pistes comme un surdoué et marche à la victoire. Les deux hommes ne fraterniseront pas. La distance est trop grande. Mais ils verront clair malgré tout et ils arriveront ainsi à comprendre froidement leur intérêt mutuel et à le faire opérer au mieux.

Pour Virgil Tibbs, Bill Gillespie est un raciste irrécupérable. Minable, lumpen, limité intellectuellement et matériellement par sa condition de classe, ce chef de police villageois miteux à casquette anguleuse et lunettes fumées jaune pipi est du mauvais côté de l’histoire, point. Virgil Tibbs le méprise copieusement et le lui fait bien sentir. Et, d’autre part, pour Bill Gillespie, Virgil Tibbs est un colored, donc fondamentalement un nègre et, même en costard, beau parleur et surdoué, un nègre reste un nègre, c’est-à-dire quelqu’un qui, même s’il est le plus malin, travaille pour les blancs, finit par la boucler au bout du compte, et le reste n’est que littérature. Bon, Virgil Tibbs se fait gifler par un planteur. Il le gifle en retour. Et quoi? Croit-il rétablir une injustice séculaire par ce geste intempestif? Non que non. Pragmatique, c’est bien lui qui finira par dire en privé à l’avorteuse noire des tréfonds du hameau que la prison pour les colored et la prison pour les blancs, c’est tout simplement pas la même prison. Et elle, elle lui répliquera que les blancs l’ont dévidé de tout ce qu’il avait en lui, et l’ont retourné contre lui-même. Mais, mais mais… toujours d’autre part, Bill Gillespie peut bien ironiser, rire du prénom Virgil et railler les compétences de cet expert tout en les exploitant, il reste que ce noir en costard de Philadelphie, simple officier, fait plus en une semaine que le chef de police Gillespie ne fait en un mois. Et quand ceci est dit, tout est dit. Nous sommes en Amérique. L’argent est le baromètre froid et inerte de tout ce qui est définitif socialement et ici l’argent a très explicitement parlé en faveur du professionnel noir urbain contre le col bleu blanc campagnard.

In the heat of the night, c’est le film qui nous dit que rien n’est résolu mais que tout est soluble. Notre histoire contemporaine récente a magnifié ce film et amplifié sa problématique. Aujourd’hui, un brillant et éloquent constitutionnaliste noir peut devenir président des États-Unis et, qu’à cela ne tienne, un aigrefin blanc mal coiffé, trapu, véreux, sexiste et fort en gueule lui succédera sans sourciller, et la galère de voguer continuera. Comment cela est-il simplement possible? Visionnez In the heat of the night et vous vous imprégnerez douloureusement de l’explication au sujet de ce tragique dead lock civilisationnel. Ce film vaut un traité d’histoire américaine et un cours de sociologie américaine, à lui tout seul.

Le tout se joue, en plus, au cœur d’une prestation d’acteurs et d’actrices à vous couper le souffle. La complicité de travail entre Sidney Poitier (1927-2022) et Rod Steiger (1925-2002) n’a eu d’égal que la force de leur prestation pour camper deux irréconciliables ennemis séculaires en situation d’active paix armée. Tous les acteurs et actrices de soutien sont remarquables aussi. On regarde ce film-culte perché au bout de son strapontin, la gueule béante. Un magnifique morceau du grand cinéma du siècle dernier.

In the heat of the night, 1967, Norman Jewison, film américain avec Sidney Poitier, Rod Steiger, Warren Oates, Lee Grant, Larry Gates, James Patterson, 109 minutes.

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Bill Gillespie (Rod Steiger)

Bill Gillespie (Rod Steiger)

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La «démocratie» électorale américaine comme obstruction bourgeoise systématique

Posted by Ysengrimus sur 4 juillet 2016

Sur les questions électorales, la constitution américaine fonctionne comme une horlogerie abstraite implacable. Tout y est organisé de façon à ce que la classe politique ne puisse pas faire dépôt, comédon, caillot, et, ainsi, coller, se déposer, perdurer. Les élections sont à dates fixes (si un président meurt ou est destitué, son vice-président termine le mandat — impossible, donc, soit d’étirer un mandat pour affronter une conjoncture contraire, soit de déclencher des élections anticipées pour profiter d’une conjoncture favorable), les mandats présidentiels sont restreints à deux (Franklin Delano Roosevelt tira sur la corde un peu trop dans les années de guerre et on vit, par le 22ième amendement, à ce que ça ne se reproduise pas), le dispositif bicaméral est intégralement électif (pas de sénat nommé et inamovible, donc), le bipartisme est solidement institutionnalisé (fausse alternance politique, centre-droitisme et continuité de fait). Tout, dans ce dispositif, semble conçu pour assurer un roulement bien huilée de la classe politique. À cela s’ajoute, et la notion n’est pas banale, le fait que le président, un civil, est le commandant en chef des armées (ce rôle ne revient à un militaire que si ce dernier troque la gabardine galonnée pour le costard présidentiel — notons d’ailleurs qu’il y a eu un bon lot de bidasses gradés devenus de non-négligeables présidents: George Washington, Andrew Jackson, Ulysse Grant, Dwight D. Eisenhower, pour ne nommer que les plus éminents). La constitution américaine est un automate transcendant, hautement perfectionné, visant, sans malice apparente, à protéger la république des putchs, des juntes, des grands guides politiques inamovibles, des patriciens non-élus, des politburos de sarcophages sempiternels, des dictateurs parano et tentaculaires genre Richard Nixon… On veut que le personnel politique roule, change, se renouvelle. Et il le fait effectivement. C’est que la machine le broie, le concasse, le remplace, le redeem, le reconfigure.

Fondamentalement bourgeoise, affairiste, yankee trader et toutim, la culture politique américaine véhicule une longue tradition de rejet convulsionnaire face à tout ce qui est appareil étatique, classe politique, carcan gouvernemental. Les stentors du mouvement de droite du TEA PARTY sont très explicites et très ostensibles sur cette question. Leur pesante référence au fameux BOSTON TEA PARTY (équivalent américain de la Prise de la Bastille ou de la mutinerie du cuirassé Potemkine) est particulièrement malhonnête, au demeurant. En 1773, du thé anglais en ballots arrive par navires dans le havre de Boston. Ce thé, provenant des Indes en passant par le centre de l’Empire, est déjà taxé. Tu l’achètes, la taxe est automatiquement intégrée dans le prix de vente et c’est non négociable. Les bostonnais du temps sont hautement réfractaires à l’idée de payer des taxes à des personnages qu’ils n’ont pas élu. Ils exigent —comme d’autres ports coloniaux du continent l’avaient fait auparavant avec succès d’ailleurs— que ce thé pré-taxé soit tout simplement rembarqué pour l’Angleterre. Devant le refus des autorités coloniales, un commando jette nuitamment les ballots de thé dans la rade de Boston. On préfère détruire le produit de consommation plutôt que de payer dessus une taxe implicite à une puissance (déjà perçue comme) étrangère. Sauf que les bostonnais de 1773 ne refusaient aucunement de payer la taxe si les avoirs financiers allaient aux personnages qu’ils avaient élu ou allaient élire. En se référant abusivement à cet incident historique symbolique, la grosse droite ronflante contemporaine fait donc passer une appropriation du pouvoir de taxation par un état républicain naissant pour un rejet sans alternative ET de la taxation ET de l’état. C’est du bricolage historique médiocre et de la calomnie pure. En un mot, les tea-partiers contemporains transforment le fameux slogan, tonitruant mais malgré tout subtil, NO TAXATION WITHOUT REPRESENTATION en NO TAXATION tout court, biaisant totalement, de ce fait, l’idée d’organisation et de répartition des richesses fondant leur si chère république… Inutile de redire que, ce faisant, ils mettent leur rejet hargneux et égoïste des responsabilités les plus élémentaires de la vie civile au service, encore une fois, de la sempiternelle bastonnade à l’américaine du politique, de l’étatique, du gouvernemental.

Culture politique de l’anti-politique, donc… on ne se refait pas. Et on a bel et bien une situation où une machinerie constitutionnelle précise et perfectionnée, conçue au départ pour protéger les institutions électives du dépôt encrassant et freinant d’une classe politique nomenklaturesque, finit par basculer dans un autre type d’obstruction, bien plus lourd et nuisible: celui de la classe bourgeoise même. Il est d’abord assez évident, quand on regarde la facture électorale (grosso-modo un milliard de dollars par candidat présidentiel en 2012, le chiffre montant à six milliards quand on inclut les diverses aventures électorales de représentants et de sénateurs, lors du même scrutin), que l’électoralisme américain est désormais profondément et durablement ploutocratisé. Ce qu’il faut bien voir, c’est combien la structure fondamentale du dispositif constitutionnel, conçu initialement pour protéger la bourgeoisie coloniale de jadis du frein du politique, s’inverse et sert aujourd’hui à la bourgeoisie même pour contrôler les leviers politiques. Il faut du fric, et conséquemment des amis puissants, pour arriver à émerger dans un système constitutionnel si glissant, si fluide, ne donnant prise à aucune assise politicienne durable, se présentant devant l’électorat tout les vingt-quatre mois, sans faute (une législative, une présidentielle, une législative, une présidentielle – même les guerres mondiales n’ont pas empêché cette clepsydre de continuer de palpiter sans heurt). La constitution américaine, dans son intendance électorale permanentisée, se protège bel et bien d’un Tito ou d’un Perón, mais c’est au prix de rendre un Barack Obama, élu puis réélu tout à fait dans les formes, totalement inopérant. Il est bloqué, certes, par l’électorat sudiste crétin, qui roule pour le Parti Républicain en confondant niaisement conservatisme social et conservatisme fiscal. Il est coincé, certes, par l’obstruction systématisée émanant du bras de fer bicaméral (sénat démocrate, chambre républicaine – cohabitation à rallonge, souque à la corde sempiternel). Mais ne vous y trompez pas. Ce qui rend le plus sciemment un président de la trempe d’Obama totalement inopérant, c’est la collusion fondamentale de l’Horloge (le temps) et de l’Horlogerie (la machine constitutionnelle américaine abstraite servant, sans délai et sans répit, le constant plouto-recyclage des cadres politiques).

Avez vous dit Constitution Bourgeoise? Je réponds: passage de l’anti-monarchisme méthodique des pères fondateurs au court-circuitage affairiste de l’état, par certains de leurs impudents héritiers… Et notez finalement que, comme tous les dispositifs bien-pensant à autolégitimation translucide, ce système politique pervers se protège parfaitement des objecteurs superficiels. Personne de sérieux ne voudrait qu’on revienne à un sénat nommé, que le président soit élu à vie, ou que sa camarilla de laquais colle au pouvoir pour une décennie, comme en Chine! La «protection de la constitution» (une des ci-devant cruciales responsabilités présidentielles) est donc un enjeu faisant massivement consensus, du simple fait qu’il est impossible de s’y objecter sans sortir de la roue. Et c’est justement cela qui fait de la «démocratie» électorale américaine une obstruction bourgeoise systématique. Tout le caramel que la bourgeoisie fait passer dans la structure pour bien l’engluer à son avantage exclusif (action feutrée des intérêts spéciaux, ploutocratisation électorale, obstruction camérale, philibuster médiatique) n’a pas d’existence constitutionnelle. Tout ce qu’on a devant soi, c’est une classe politique, obligée constitutionnellement de se glisser dans le dispositif, en dansant la gigue sur un parquet toujours penché et bien luisant, devant une bourgeoisie à qui rien n’interdit de coller, elle, au susdit dispositif. La solution de cet immense problème structurel sera peut-être politique (socio-politique) mais elle ne sera certainement pas politicienne ou «démocratique» (au sens truqué, électoral et bourgeois de ce terme chausse-trappe).

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Douze succès souvenirs musicaux

Posted by Ysengrimus sur 7 juin 2016

la batterie de Reinardus-le-goupil dans notre maison de ville torontoise (vers 2005)

la batterie de Reinardus-le-goupil dans notre maison de ville torontoise (vers 2005)

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Attention, ceci est moins évident qu’il n’y parait. Et il ne faut vraiment pas rater son coup car c’est aussi plus ténu et plus subtil qu’il n’y parait. On ne parle pas ici de chansons ou de musiques qu’on aimerait ou admirerait pour elles-mêmes, de tête et de cœur. On ne parle surtout pas de la réalité fondamentale de la musique qui est de nous exalter sensoriellement avec le son SANS PLUS. On parle ici de cette inévitable impureté ethnoculturelle qu’est l’effet parasitaire mémoriel de la musique (ou plus précisément: de la chanson populaire). On parle ici de ce qui fait que la musique se fout en l’air pour nous, se scrape, se gâche, se perturbe et nous perturbe, dans le torrent de la vie. On parle du succès souvenir.

Alors le succès souvenir tel que j’entends le cerner ici est déterminé par six paramètres définitoires profonds qui sont autant de liens de fer ligotant cet objet très spécial et circonscrivant pour jamais ses toutes éventuelles vertus artistiques. Sans ordre hiérarchique particulier, voici ces contraintes:

  • Vous n’aimez pas nécessairement le succès souvenir. Vous vous en souvenez, tout simplement, à cause de ce qui vous apparaît comme son impact d’époque. Vous vous foutez éventuellement de cette pièce ou de ces artistes, même. C’est de la musique populaire. Le flonflon lancinant de vos goguettes. Le son parasitaire d’un temps. La bande sonore d’un court segment du film de votre vie.
  • Le succès souvenir vous rappelle impérativement un moment NON MUSICAL, un plan, une atmosphère d’époque, une anecdote touchante et ineffable dont il apparaît rétrospectivement comme la musique de fond. Un repas, une rencontre, un voyage, une saison (l’été, souvent), une personne émouvante perdue ou disparue… Le succès souvenir vaut exclusivement pour le souvenir qu’il encapsule et que vous sentez remonter en vous avec un sourire vague, plutôt que pour lui-même (musicalement ou artistiquement).
  • Il vous manque éventuellement des détails sur l’identité de cette musique ou chanson populaire. Vous ne vous souvenez pas nécessairement de son titre, ou de l’orchestre, ou de la date d’enregistrement (celle-ci précède habituellement votre souvenir, de quelques années même parfois). Le souvenir est, en vous, aussi tangible que la connaissance descriptive ou musicologique de la pièce musicale est diffuse.
  • Vous n’avez pas (vraiment) acheté le disque. C’était plutôt à la radio, ou chez des amis, ou au boulot, ou tout partout, comme dans l’air. N’ayant pas le disque (ou son équivalent moderne), vous n’écoutez jamais cette pièce musicale aujourd’hui. Elle est cernée dans un temps, pour vous, comme un poisson dans un bocal. Si c’est une chanson, vous ne vous souvenez pas nécessairement des paroles.
  • Vous regardez quiconque ne connaît pas cette pièce musicale pourtant imparable comme s’il tombait de la planète Mars. Vous ne comprenez pas comment on peut être passé à travers les trois, quatre ou cinq dernières décennies sans avoir entendu cet air, en boucle, un temps. Inutile de dire que, même si des recoupements sont inévitables, à âges constants (ou pas!), mes succès souvenir ne seront pas nécessairement les vôtres.
  • Éventuellement, d’autres pièces musicales se regroupent dans votre esprit autour de celle-ci, en grappe, mais de façon plus lointaine ou diffuse. C’est l’effet galaxie du succès souvenir. Entre deux étoiles apparaît souvent toute une galaxie, mais plus loin, plus flou, plus vague. Il faut alors scruter. Or c’est seulement le succès souvenir vif (dans mon allégorie: les étoiles, plus tangibles) qui compte vraiment pour vous, ici. On ne parle donc que de celui pour lequel il ne faut pas scruter car il est là, entier, tonitruant, tatoué, scotomisé.

Dans le monde francophone, l’hymne cardinal au succès souvenir reste le fameux ROCKOLLECTION de Laurent Voulzy (1977 – qui n’est pas lui-même un de mes succès souvenirs mais pas loin). Le sujet de cette balade à rallonges est justement l’énumération d’une suite de citations de succès souvenirs, selon le jeu de critères que je viens juste de formuler. Ce qu’on recherche ici (et trouve fatalement) c’est notre propre rock collection ou tune collection selon la formule immortalisée en chanson par Voulzy. Les douze miens, au jour d’aujourd’hui, sont ceux-ci:

  • Yesterday des Beatles (1965). J’avais sept ans en 1965 et je n’ai perceptiblement entendu cette chanson que quelques années plus tard. On était en vacance aux États-Unis, toute la famille en roulotte caravane, et cette pièce joua à la radio, un peu avant le repas. Quand je l’ai entendue, cette fameuse fois, comme pour la première fois, j’ai eu l’impression mystérieuse et indescriptible de l’avoir toujours entendu.
  • Hocus Pocus de Focus (1971). Le yodel très sympathique du vocaliste de cet orchestre néerlandais pété me ramène chez un de mes confrères de collège chez qui on se retrouvait pour répéter les monologues de notre prochaine revue. La pochette du disque montrait en concert un perso fluo sous cape avec un masque-casque en forme de triangle. Fondamentalement tripatif.
  • The Mexican de Babe Ruth (1972). Les boumes étudiantes. Les danses. Les cubes de hash qu’on gratte au couteau. Les filles en cheveux. Cette pièce reste un instant jouissif car elle incorporait, en position solo, le fameux For a few dollars more d’Ennio Morricone, qu’on ne connaissait que sifflé (et qu’on ne pouvait entendre que furtivement, quand le film daignait passer à la télé). Je me vois dans une danse enfumée, en train d’attendre, l’œil au plafond, ce solo sublime qui me rendait cet air morriconien si accessible, tout en le coulant puissamment dans le rock.
  • The Hustle de Van McCoy (1974). Le disco. Incontournable et lancinant disco. Avec les copains de notre petite troupe de revues, on suivait une formation de ballet-jazz. Une des chorégraphies se faisait sur cette pièce. Je me souviens de certaines des séquences de mouvements proposées par l’instructeur, un moustachu maigrelet et mobile. Je me souviens aussi du nom et du corps souple et vif de la meilleure danseuse (ils sont imprimés dans mon cœur). Mes deux copains acteurs et moi on se plaçait derrière elle et ce, en toute innocence admirative, pas pour mater. Pour choper les mouvements qu’elle déployait si adroitement. Elle vous faisait un de ces moon walk. Jackson n’a rien inventé, il faut me croire. The Hustle pour moi, c’est cette danseuse disparue, un pick up à aiguille et une petite salle de ballet-Jazz.
  • A Fifth of Beethoven de Walter Murphy (1976). Un de mes amis contrebassiste (mort aujourd’hui) s’en voulait tellement d’aimer cette pièce. Elle était partout, y compris sur la bande sonore du film Saturday night fever. Des copains l’avaient incorporée dans une de leurs pièces de théâtre. J’avais eu la chance de les voir faire, en répétition. Ils se lançaient des sacs de faux détritus en faisant des motions dans un escalier large mais court. On s’était ensuite rendus au show pour les voir travailler, avec accessoires et costumes, sur cet air magique. Mais la sono tomba en panne ce soir là, et ils durent performer leur chorégraphie, sur le tas, dans un silence opaque. Par impact de contraste, cela me fit une encore plus forte impression qu’en répétition, sur la musique.
  • Beat the Clock de Sparks (1979). Étudiant universitaire, je travaillais l’été chez Les Vendeurs de Tapis Économique (une braderie de tapis montréalaise disparue aujourd’hui). Le fils du patron admirait pieusement, sous le soleil estival, les mags (enjolivures chromées) de sa petite voiture et quand il me faisait y monter, c’est cet air qui jouait sur la radio de bord, qu’il montait alors au coton. J’ai roulé et déroulé du tapis et du prélart en écoutant cet air. Quand il partait à la radio, le fils du patron admirateur de ses mags jubilait et en bossait subitement plus vite. Beat the clock l’énergisait, comme il le disait alors.
  • 99 Luftballons de Nena (1982). Je suis à Paris pour mon doctorat. Cité universitaire du quatorzième arrondissement. Je me rends de temps en temps de l’autre côté du boulevard Jourdan dans un petit café qui a l’air fait en plastique et qui s’appelle le Fleurus. Une grande fille en pantalons moulants se penche majestueusement sur le juke box, l’actionne et c’est Nena, sosie lointain de ladite fille du juke box, qui nous ensorcèle en allemand sur un rythme inévitable. Je savais pas, alors, que c’était une protest song. Respect intellectuel pour cela, dans l’intangibilité de ce si langoureux et sensuel souvenir.
  • Wake me Up before you Go-Go de Wham! (1984). Gosport (Angleterre). Je suis là (depuis Paris) pour un court séjour linguistique estival avec le British European Centre. J’oublierai jamais les pauvres français ouvrant les sandwiches anglais au pain tranché de leurs casse-croûte-de-famille-d’accueil, comme si c’était de mauvais romans, en commentant le contenu, tout tristement. L’un d’eux était un admirateur inconditionnel de l’orchestre ABBA. Je lui avais alors dit: «ABBA, c’est de la musique pour les pieds». Je regardais tous ces orchestres disco et post-disco de bien haut… Et le soir, on se faisait tous aller lesdits pieds au son de Jitterbug! Jitterbug!
  • Take my Breath Away de Berlin (1986). Pas de souvenir particulier sur cette pièce, dont je me fous copieusement. J’ai jamais vu le film Top Gun auquel elle est historiquement chevillée. Le truc est intégralement diffus, intangible. Simplement, succès souvenir abstrait, suprême, j’ai l’impression crue, inexpugnable, d’avoir absolument toujours entendu cette rengaine, chopée l’année de ma soutenance de thèse, de mon mariage et de mon retour au Canada qu’elle ne me rappelle pourtant pas.
  • American Pie dans la version de Madonna (2000). Tibert-le-chat a dix ans, Reinardus-le-goupil, sept. C’est mon épouse Dora Maar qui conduit la petite bagnole rouge vif et on s’en va s’amuser sur la plus grande plage en eau douce au monde. La plage Wasaga, sur le Lac Huron. Merveilleux et ineffable bonheur pur de notre belle jeunesse parentale, en rythme et en soleil.
  • American Idiot de Green Day (2004). Les enfants sont maintenant adolescents. Ils nous font découvrir leur corpus musical. Cette pièce y culmine. Elle synthétise, en moi, l’adolescence revêche et brillante de mes enfants, avec l’apparition des MP3 et sous le boisseau de la grande lassitude politico-sociale des années George W. Bush.
  • Poker face de Lady Gaga (2008). Ma dernière année à Toronto. Dans le rez-de-jardin de cette coquette maison de ville que j’allais bientôt quitter pour toujours, en train de lancer le Carnet d’Ysengrimus, Mademoiselle Germenotta, que je respecte beaucoup, y compris comme artiste, me martelait imperturbablement une toute nouvelle balafre souvenir. Inoubliable. C’est sur cet air, la même année, que le coup de tonnerre Obama gagnera ses élections. Ardeurs perdues. Souvenir qui perdure. Et la vie continue.

Lady-Gaga

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Je suis Charlie… Parker (1920-1955)

Posted by Ysengrimus sur 12 mars 2015

Idoles-Parker

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And tired young sax-players sold their instruments of torture,
sat in the station sharing wet dreams of
Charlie Parker, Jack Kerouac, René Magritte.
To name a few of the heroes
who were too wise for their own good,
left the young brood
to go on living without them.

Jethro Tull (1976)

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Il y a soixante ans pilepoil aujourd’hui mourrait une de mes idoles, le hautement tripatif Charlie Parker (1920-1955) dit Bird (l’Oiseau). Ce saxophoniste alto a reconfiguré le Jazz moderne. Il est l’artisan principal de la ci-devant Révolution des Boppers. C’est Mozart, de tous points de vues. Pour la première fois dans l’aventure jazziste, Parker parait suspendre des parcelles de mélodie dans le vide. En réalité, par des liens ténus, au premier regard invisibles, les éléments communiquent entre eux et entretiennent des relations étroites. Pour apercevoir cette logique dissimulée, il faut liquider bien des préjugés et convertir bien des attitudes anciennes: à ce prix seulement le puzzle se reconstruit pour nous, le récit dilacéré, déchiqueté, reprend forme, ce qui était divisé, séparé, se replace en l’unité retrouvée d’un ensemble. Parker affectionne du reste le mystère. C’est un maître du sous-entendu, comme on le sent bien aussi lorsqu’il suggère des notes qu’il eût pu exprimer réellement. Le musicien nous laisse l’exquis plaisir de deviner. Qu’on ne voie pas en cela quelque alibi que se donnerait une insuffisance technique. À vrai dire, on ne connaît guère de virtuose plus sûr de lui-même que Charlie Parker. L’un de ses plaisirs consiste très précisément à faire succéder aux périodes d’austérité mélodique des périodes de prodigalité où la phrase déferle comme un flot agité, se gonfle et se brise en une fastueuse gerbe de notes. Au cours de ces moments de faconde étourdissante, certaines notes accentuées hors du temps ajoutent encore à la confusion d’un auditeur habitué aux conceptions rythmiques du «middle jazz». Il n’est pas jusqu’à la sonorité qui ne surprenne, sonorité unie, impitoyable, forte comme l’airain, et qui ne vibre largement que dans les temps calmes [Lucien Malson, HISTOIRE DU JAZZ ET DE LA MUSIQUE AFRO-AMÉRICAINE]. Rappelons une ou deux choses, en acrostiche:

P our tout dire, c’était un de ces saxophonistes du Missouri qui
A vait la biscornue habitude de jouer, en les distordant fort, des
R engaines de compositeurs. Un gros oiseau matois et subtil qui débarquait de
K ansas City et qui avait juste pas envie de payer les droits d’auteur,
E t tout le tremblement, sur les partitions qu’il déconstruisait. Il
R évolutionna donc tout le Jazz, comme ça, pour pas se faire chier.

Charlie Parker. Charlie Yardbird. Je pense à son art en l’écoutant. Il joue, il compose. Tout se raccorde. C’est comme ça, à mon sens que la musique se fait. J’aime tant quand les conditions de performance restent proches des conditions d’engendrement (de composition). Le moins on est distrait de la musique par des clochettes et des fanfreluches orchestrales, ou vocales, ou éditoriales, le mieux je me porte. Le Bebop, ce style de jazz radical, crucial, exploratoire et all’improviso, lancé par Charlie Parker et Dizzy Gillespie dans l’immédiat après-guerre est tellement profondément ce que je suis, qu’il devient presque difficile de trouver les mots pour l’exprimer. C’est à cause de quelque chose comme le fait que le ton du Bebop est plus libre, moins composé et orchestré que ce que faisaient, par exemple, Duke Ellington et ses semblables avant-guerre (les orchestres de Bebop sont des petites formations, quand Ellington est un pianiste de grand orchestre). Mingus et Roach sont des boppers. Gillespie et Powell aussi. On va y revenir. Un remarquable moment de synthèse jazzique va se mettre en place avec le susdit Bebop, entre 1940 et 1955 (mort de Parker). On ne retrouvera plus jamais ce son, cette pulsion de fond dans l’idiome, et on va ensuite passer deux générations à y repenser, notamment grâce au disque. Toute l’Amérique va un peu y penser, même si c’est juste dans son subconscient radiophonique ou cinématographique. Dans un fameux passage télé sur une partie de basketball qu’il vient de jouer avec des amis, le président Obama parle brièvement du Jazz, en expliquant que basketball et Jazz, comme traits de la culture afro-américaine, impliquent un certain rapport au sens tactique et à l’impro. Cela s’applique certainement aussi à sa propre façon de parler en public et, alors, indubitablement l’esprit lumineux de Charlie Parker flotte sur ce commentaire subtil et sublime.

Charlie Parker, c’est toute la problématique du glissendi intérieur, de la dérive latérale, de la variation lacératoire, du contretemps enchâssé dans le contretemps. Certains instruments de Jazz se prêtent naturellement au glissement. On peut citer le trombone à coulisse qui, contrairement au trombone à piston, son frère à touches discrètes, fait glisser les notes l’une vers l’autre et peut donc produire le continuum des intermédiaires. On peut aussi citer la contrebasse. Et le violon, le violoncelle et évidemment… notre voix, cet instrument multiforme magnifique. Mais, à contre courant de cette mécanique des instruments, comme fatalement, Charlie Parker est l’homme du saxophone alto, donc des clefs, des touches. Il transforme du discret en flux. Il transforme du composé en mouvance. Il transforme, avec ses susdites clefs de saxe, un escalier en rivière. C’est… c’est… Il faut l’entendre.

Je suis Charlie. Je suis le Bebop absolu, dans le caveau enfumé de mon thorax. Je suis donc ce quintet, fatal, sublime, éternel:

Charlie Parker (1920-1955): saxophone alto
John Birks alias Dizzy Gillespie (1917-1993): trompette
Earl Rudolph « Bud » Powell (1924-1966): piano
Charlie Mingus (1922-1979): contrebasse
Max Roach (1924-2007): batterie

Et ce symposium de titans, vous me croirez si vous le voulez, joua ensemble un soir d’été, le 15 mai 1953, au Massey Hall de Toronto (Canada). Ce fut the greatest jazz concert ever. L’album Jazz at Massey Hall, qu’on constitua à partir d’un enregistrement du concert que l’on doit à l’autre Charlie que je suis, Charlie Mingus, reste avec nous, en nous. C’est la seule trace enregistrée qu’on détient du raccord fugitif absolu des cinq immenses artisans difractants du Bebop. Grand.

Quand j’écoute Charlie Parker et Dizzy Gillespie travailler ensemble avec une section rythmique de géants ou de nains, c’est tout simple, je me sens bien. Tout le beau et le bon du son en moi se réunit, s’émulsionne et se dépose. Et je suis Charlie.

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À propos de la récente vague anti-conservatrice au Québec qui en a surpris plus d’un – un petit souvenir littéraire datant de 1918…

Posted by Ysengrimus sur 1 août 2011

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En respectueux hommage à monsieur JOHN GILBERT «Jack» LAYTON (1950-2011), chef du Nouveau Parti Démocratique (centre-gauche) lors de la campagne électorale fédérale canadienne de 2011, et dont la lutte déterminée et courageuse contre le cancer a tenu ses compatriotes, de toutes allégeances politique, en haleine jusqu’à son dénouement révoltant et tragique.

Il faut continuer de traquer les causes ordinaires (domestiques et industrielles) de cette maladie dénaturée, aux étranges caractéristiques sociologiques, et vraiment trop banale dans la vie sociale contemporaine…

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Aux élections fédérales canadiennes de 2011, les Québécois ont massivement voté, virtuellement seuls contre tous, pour le petit parti de centre-gauche de service. Nos folliculaires, faux savants sociologiques s’il en fut, réacs jusqu’aux trognons, et toujours hautement prompts à servir leurs maitres, ont pris de grands airs surpris, fendants, condescendants et hautement contris de constater tant de rigueur politique chez nos petits compatriotes (qu’on prend si souvent pour des gogos et des vive-la-joie manquant de sens civique et de vision sociale – grossière erreur). On s’étonna donc niaiseusement, dans la presse, de voir se manifester une si nette et ferme sensibilité de centre-gauche au Québec (confirmée ensuite par de nombreux sondages post-électoraux qui finirent par faire taire les sarcasmes et les rires jaunes des feuiles et cyber-feuilles, tout aussi jaunes). Et pourtant notre bel héritage historique si folklo et si gentil-gentil ne manque pas d’avoir laissé, sur la question, son solide et profond lot d’indices criants. J’en veux pour exemple unique, retenu ici pour sa haute qualité symbolique, cette remarquable évocation de la tumultueuse élection fédérale canadienne de 1891, dans le roman (au réalisme fort, ferme, solidement informé et indubitablement fiable) La Scouine d’Albert Laberge (1871-1960), publié, dans sa version définitive, en 1918.

Chahut électoral dans le Canada du 19ième siècle

C’ÉTAIT  jour d’élections. Les Bleus et les Rouges se disputaient le pouvoir et la population était divisée en deux camps absolument tranchés. Tous les anglais sans exception étaient conservateurs, tandis que la grande majorité des canadiens-français était libérale. Déjà, il y avait eu des bagarres aux assemblées politiques et l’on appréhendait des troubles sérieux autour des bureaux de votation. Des animosités de race fermentaient, menaçaient d’éclater. Cependant, comme la Saint-Michel, date des paiements, approchait, les fermiers n’oubliaient pas les affaires. Certes, ils iraient voter, mais ils profiteraient de l’occasion pour vendre un voyage de grain, d’autant plus que Robillard avait entrepris de charger une barge d’orge et qu’il la payait quatre chelins le minot.

Dès le matin, à bonne heure, ce fut sur toutes les routes conduisant au chef-lieu du comté une longue procession de wagons remplis de sacs de toile, bien propres, bien blancs, cordés avec soin. Chacun allait vendre son orge.

Les anglais tenaient évidemment à voter tôt, car dès huit heures ils se rendaient déjà au village. Deschamps qui comptait avoir quinze cents minots de grain cet automne-là, n’avait pu terminer son battage la veille comme il l’espérait. Il tenait absolument à le finir cependant, et cette besogne lui prit une partie de l’avant-midi. Après le dîner, il partit donc avec une quinzaine de poches dans sa charrette.

Sur la route de glaise, dure comme du ciment, bordée de trèfles d’odeur, de verges d’or et d’herbe Saint-Jean, son petit cheval bai marchait d’un pas régulier et, sur son dos, luisaient les têtes dorées des clous du harnais.

Deschamps alla livrer son orge chez Robillard. Là, il apprit que les Anglais s’étaient emparés du poll et en défendaient l’approche à leurs adversaires. Cette nouvelle n’était pas pour intimider Deschamps qui était un rude batailleur. Il attacha son cheval à la porte d’un vaste hangar en pierre, où il se trouvait à l’ombre, et partit vers la salle du marché public. En approchant, il constata que les Anglais avaient bien pris leurs mesures. Ils avaient disposé leurs voitures en rectangle autour de l’édifice et n’avaient laissé qu’un étroit passage libre qu’ils surveillaient. Cette tactique en avait imposé, et peu de Rouges s’étaient aventurés dans le voisinage de cette forteresse. Les audacieux qui avaient tenté de s’approcher avaient reçu un mauvais accueil. Justement, Deschamps se heurta à Bagon venu au village pour voter. Le Coupeur s’était endimanché, avait mis son haut de forme et le surtout de drap qui lui avait servi lors de son mariage. Malheureusement, il avait fait la rencontre de quelques Anglais et l’un d’eux, lui avait, d’un coup de fouet, coupé son tuyau en deux. Les compères avaient continué leur route en riant aux éclats de la bonne farce. Ce récit ne fit qu’aiguillonner Deschamps qui se dirigea d’un pas plus rapide vers l’ennemi. Trois grands gaillards, postés en sentinelle, gardaient le passage conduisant au bureau de votation. Comme Deschamps s’approchait, ces braves se mirent à ricaner et le plus gros de la bande l’apostropha d’un:

– Que veux-tu maudite soupe aux pois?

Un formidable coup de poing à la mâchoire fut la réponse de Deschamps. L’Anglais s’affaissa comme une masse. Les deux autres se ruèrent sur le Canadien, mais le premier reçut dans le bas ventre une botte si rudement poussée qu’il roula sur le sol en faisant entendre un affreux gémissement et en se tordant. Le troisième cependant, un Irlandais d’une malpropreté repoussante, aux mains couvertes de verrues, avait saisi Deschamps à la gorge et tentait de l’étouffer. Le Canadien se défendait avec énergie et parvint à faire lâcher prise à son antagoniste. Une lutte corps à corps s’engagea alors entre les deux hommes. Un croc-en-jambe habilement appliqué fit perdre l’équilibre à l’Irlandais qui s’abattit. Saisissant une poignée de foin qui traînait par terre, Deschamps tenta de le faire manger à son ennemi vaincu, mais celui-ci lui mordit férocement un doigt. Dans sa rage, Deschamps ramassa une boulette de crottin frais, et la fit avaler à l’Irlandais, lui cassant par la même occasion une demi-douzaine de dents.

Deschamps put croire à ce moment qu’un mur de briques s’écroulait sur lui, car une dizaine d’Anglais s’étaient précipités sur le Canadien et le démolissaient avec leurs poings et leurs pieds. C’étaient une grêle de coups. Deschamps était absolument sans défense. On ne sait trop ce qui serait arrivé, si l’un des agresseurs n’eût tout à coup commandé aux autres de s’arrêter. On lui obéit. En quelques mots, il exposa son idée, puis il s’éloigna. Au bout d’une minute, il revint avec une charrette. Alors tandis que quatre ou cinq de la bande, maintenaient Deschamps, un autre lui passa un câble au cou et attacha l’autre extrémité au chariot. Les anglais sautèrent dans la voiture puis le chef fouetta le cheval qui partit au grand trot, traînant Deschamps derrière le char comme un animal que l’on conduit à l’abattoir. Criant à tue-tête, braillant, hurlant, vociférant, les Bleus et leur burlesque équipage parcouraient les rues, semant l’épouvante. Moulu, essoufflé, nu-tête, la figure tuméfiée et sanglante, les côtes, les jambes et les reins meurtris, Deschamps courait derrière la charrette, butant contre les pierres et écumant de rage impuissante. La voiture fit ainsi le tour du village sans que personne osât intervenir, tellement la population était terrorisée. Finalement, elle prit le chemin de la campagne. Elle fit encore un bon mille, puis comme Deschamps râlait, à moitié étouffé, le chef détacha le câble et le jeta sur l’épaule de Deschamps.

– Garde-le comme souvenir, dit-il, et s’éloigna avec ses compagnons.

Les Bleus avaient triomphé ce jour-là.

Albert, Laberge, La Scouine, Éditions Quinze, collection Présence, 1980 (publié initialement en 1918), chapitre XIX, pp 69-72 (cité depuis l’ouvrage papier).

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Alors pas de panique, là, hein. L’analogie que j’établis ici ne vise aucunement à recentrer la réflexion politicienne contemporaine sur les bagarres inter-ethniques d’autrefois (les animosités de race), aussi sidérantes et révélatrices qu’elles puissent être. Après tout, Jack Layton, le chef du ci-devant Nouveau Parti Démocratique (la petite formation de centre-gauche dont je parle ici) et son lieutenant québécois Thomas Mulcair sont eux-mêmes des anglophones. Le parallèle historique que j’établis ici doit s’assortir de la plus explicite des invitations à une saine prudence transposante au sein de la jubilation métaphorico-réminescente. Il n’y a plus grand-chose d’«ethnique» ou de «racial» dans tout ceci, au jour d’aujourd’hui. Les Québécois le prouvent justement magistralement, en donnant leur vote à un parti anglophone et fédéraliste, si ce parti anglophone et fédéraliste véhicule (au mieux) ou semble véhiculer (au pire) les valeurs sociales socialisantes auxquelles les Québécois s’identifient de longue date. Indubitablement, en 2011, les Québécois n’ont pas voté à la bouille d’anglos mais au programme. Depuis l’aggravation fatale, subite, tragique et inattendue, du cancer de Jack Layton, nos chers médias, biaiseux, sciemment vendus, et qui font flûtes de tous bois, cherchent maintenant ouvertement à imputer la victoire du centre-gauche à quelque mystérieuse popularité individuelle (temporaire et superficielle) du bon Jack au Québec. Pur mensonge de faussaires simplistes, droitiers et biaisés, que cette fadaise du succès de sympathie personnelle, flatulente et nonchalante, que l’on voudrait donc vouée à miraculeusement décliner parallèlement à la santé du malheureux «chef charismatique». Il faut le dire et le redire ici, dans notre jargon politicien s’il le faut, pour se faire comprendre: aux élections fédérales de 2011, les Québécois n’ont pas voté l’homme mais le parti. Et qui plus est, ils l’ont fait dans la plus pure perspective du Situationnisme Patapoliticiste

Ceci dit, le problème avec ces bons messieurs Layton et Mulcair, ce n’est donc pas qu’ils sont anglophones (ils parlent d’ailleurs tous les deux un très bon français et se communiquent aux Québécois dans cette langue avec un efficace indéniable). Le problème, terriblement classique, avec ces messieurs Layton et Mulcair, c’est, plus simplement, plus prosaïquement, qu’ils sont, eux aussi, des politiciens de petite politique politicienne. Le Québec leur sert maintenant de plate-forme temporaire d’opposition. Pour s’emparer du pouvoir au niveau pan-canadien, ils doivent maintenant se gagner les verres de lait avec une fraise dans le fond du ROC, plus conformistes, friqués, ricanisés, crispés, caillés, bourgeois, puant le conservatisme mouton de toutes leurs pores. Messieurs Layton et Mulcair vont donc devoir se mettre à ratisser sur leur droite (Obama, qui est pas mal plus pesant qu’eux, le fait sans scrupule aucun. Ils n’y couperont donc pas). S’ils ratent cette entourloupante manœuvre de ratissage à droite, leurs principaux électeurs du moment, les Québécois, resteront isolés dans leur petit coin, avec leur petite social-démocratie de papier, goualante et inopérante, de parti d’opposition sans audience parlementaire effective. Si le ci-devant NDP/NPD réussit son grand ratissage à droite, il réussira aussi alors à prendre le pouvoir, sur une base électorale majoritairement ROC-réac, et, là, bien, c’est encore Urgèle Deschamps qui va se prendre tous les coups de cordes à nœuds sur le dos et qui, essoufflé, désespéré, désillusionné, va courir de par tout le village, le cou solidement lié à la charrette de ses chefs, en caucus et au parlement. Je ne vois vraiment pas comment les choses pourraient évoluer autrement que dans le sens d’une des deux possibilités évoquées ici: marginalisation ou droitisation. Le diable réac ROC ne va pas subitement se faire social-démocrate-ermite. Dilemme, Dilemme… En plus, pour le moment, on est bien loin d’y être encore, audit dilemme, car pour le moment, tout simplement. la tragi-comédie politicienne se rejoue. Les Bleus avaient triomphé ce jour-là. Ce sont effectivement les Bleus de l’Ouest et de l’Ontario qui tiennent solidement le pouvoir fédéral, depuis l’élection de 2011 (notre petit parti de centre-gauche est en orange).

Les sables bitumineux de l’Athabasca. Une surface de pollution durement durable, vaste comme l’Angleterre. Le symbole suprême du nouveau conservatisme canadien…

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Le fond de l’affaire reste donc que les Bleus, en 2011 (110 ans après les Bleus en fait agonisants de 1891), ont effectivement triomphé dans le ROC. Aussi, après avoir flaubé onze (11) milliards de dollars en Afghanistan, à jouer à la gué-guerre de théâtre de toc, ils préparent maintenant des contrats militaires pharaoniques, totalisant trente-trois (33) milliards de dollars, tandis que les services hospitaliers s’enlisent et les infrastructures routières s’effondrent. Ils sont aussi à se mitonner une petite campagne de pube pour revaloriser la surface de pollution vouée à une durée multi-centenaire (sur un territoire vaste comme l’Angleterre) qu’ils perpétuent en Athabasca (Alberta), pour extirper le pétrole difficile d’accès des sables bitumineux, qu’ils livrent ensuite à leurs bons maitres US. Que veux-tu maudite soupe aux pois? Ben, que cette gabegie meurtrière cesse, quoi… J’ai voté en conséquence mais, bon, comme d’habitude, ce n’est pas suffisant… Il faut croire que le fond véreux et minable de nos pratiques politiciennes de type Westminster a gardé quelque chose de la dérisoire et hargneuse futilité campagnarde de 1891, dans un pays et un monde ou les enjeux de ce genre de manipes électoralistes brutales et sordides sont amplement plus écologiquement dangereux et sociologiquement dommageables.

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Pour la civilisation américaine, contre l’impérialisme américain

Posted by Ysengrimus sur 4 juillet 2011

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James Dean rime pas avec John Wayne,
Saint-Denys Garneau est mort désossé…

Lucien Francoeur

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Un mot d’abord, pour faire changement, sur mon exergue ici. Ce sont des vers de Lucien Francoeur que l’on peut citer quand la question du recentrage socio-économique et de la déchéance impériale de l’Amérique est en cause. Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943), poète, peintre, homme grand, beau, riche, indolent, ayant tout pour lui, meurt pourtant à 31 ans des complications d’une maladie rhumatismale qui le laisse tout amaigri. Il est la grandeur fondamentale de l’Amérique, hautaine, fugitive, fragile et fatale… James Dean (1931-1955), bien, cela ne rime pas avec John Wayne (1907-1979)… Cela s’entend au son mais aussi au sens. Dean ado révolté mort jeune. Wayne cow-boy réac (genre Reagan) mort vieux. Trois pôles antinomiques du fait américain. La jeune Amérique meurt jeune. La vieille Amérique réactionnaire dure et dure. Sa dimension impériale s’enfle, sa dimension civilisationnelle se désosse. Il est plus que temps d’inverser ça un petit peu. Ça ne rime pas, et ne rime à rien.

Car maintenant, je vais vous dire un truc. Je ne crois pas vraiment à la connerie américaine et je suis aussi pro-américain pour l’intelligence sagace, la rouerie matoise, la lucidité, le réalisme, la richesse ethno-culturelle, la simplicité intellectuelle sans complexe, la saine et fluide cordialité, la langue bien pendue, la vis comica, la sagesse sourde de ce nouveau monde virulent, critique, souple et libre… que je suis anti-impérialiste (ce qui m’oblige à brasser les américains de temps en temps, si tant est qu’ils s’en soucient…). Les impérialistes américains sont fondamentalement bellicistes, militaristes, ploutocrates et bêtes (je vous passe les sempiternelles ritournelles des guerres de théâtres des temps passés et présents, Vietnam, Afghanistan etc…), ce sont leurs moyens titanesques qui, malgré la susdite bêtise et inénarrable incurie, les tiennent en place encore pour un temps. Et, par delà les fausses rédemptions politiciennes, l’intelligence des américains, qui est ailleurs, ne se mesure nullement à l’aune de la sottise épaisse de leur impérialisme… Je suis pour la civilisation américaine, contre l’impérialisme américain et archi-contre l’idée fixiste implicite que ces deux aspects sont inséparables. L’histoire est en train de mettre une cassure de plus en plus nette entre l’Amérique de demain et son impérialisme auto-sanctifié d’hier. Ça fait mal mais ça s’en vient. Nous, et notre bon voisinage tant mondial que panaméricain, nous en porterons tous beaucoup mieux quand ce divorce sera consommé. Un jour viendra…

Le détroit de Taiwan (photo satellite du UCLA Asia Institute)

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L’impérialisme américain craque dans tous ses maillons. On nous bassine bien avec le Moyen-Orient mais des maillons faibles de l’impérialisme américain, il y en a d’autres, et pas des petits. Un cas d’espèce peu publicisé, par exemple, c’est celui de Taiwan. La Chine continentale monte en puissance et alors, comme par hasard, la tension taiwanaise rejaillit épisodiquement. Sauf que… attention ici. C’est chinois donc c’est subtil. Simplisme grossier s’abstenir. Lors de la première (1955) seconde (1958 – sous Eisenhower) et troisième (1995 – sous Clinton) crise du détroit de Taiwan, les porte-avions US se sont portés directement et concrètement au secours de la ci-devant République de Chine (Taiwan). De nos jours, on semble plutôt tendre à opter pour une formule plus ambivalente: on vous vend par avance du matos pour soldoques et bruits de bottes (terrestres – ceci N.B.), mes bons taiwanais, et négociez ensuite vos affaire par vous-même… entre vous, ni plus ni moins. Cette fois-ci, c’est cash & carry, donc, en fait. Signal implicite et feutré: ne comptez pas sur nous pour aller faire nager des brasses belliqueuses ou symboliques à nos flottes dans le détroit de Taiwan pour vous tirer de la nasse de ce siècle nouveau. Mon pronostic: sous couvert de les armer (un peu), les USA larguent en fait la République de CHINE ou CHINE nationaliste (Taiwan). Sous l’ergotage et le plastronnage à la Fonzie couve son contraire veule, la concession. Ce n’est pas du Eisenhower, ça. Je vous en passe mon carton. Pourquoi le nom très officiel de cette île est-il CHINE au fait… Demandez aux autorités de Pékin, ils vont bien éclairer votre lanterne sur la question. Chine ça veut dire Chine, non? C’est pas du chinois ça… On ne va pas faire péter la planète pour ça… C’est à suivre attentivement, cette montée toute ordinaire de la vraie de vraie Chine. La subreptice mise en place de l’Amérique post-impériale nage sinueusement, entre autres, dans le détroit de Taiwan… Oh, oh, je le redis. L’impérialisme américain a sauté par-dessus son requin en mer de Chine, et partout ailleurs. TO JUMP THE SHARK (sauter par-dessus le requin), cela fait référence au feuilleton HAPPY DAYS. Comme tous les feuilletons populaires de l’Amérique impériale, HAPPY DAYS s’amplifie, se magnifie, s’hypertrophie, en rajoute. Puis un beau jour de 1977, dans une scène restée iconique, on nous présente justement Fonzie (un des persos les plus populaires du feuilleton) sautant par-dessus un requin en skis nautiques. Fracture, perte subite de magie, yeux qui se dessillent. Là HAPPY DAYS a charrié trop loin et le saut de Fonzie au dessus du requin marque le moment où ce feuilleton, jadis plaisant, crédible et valide, bascule dans la pantalonnade, le ridicule, le grotesque, l’inepte, l‘incohérent. Et c’est le déclin irréversible dont la borne initiale est à jamais marquée par Fonzie sautant par dessus le requin en skis nautiques. Sauter par dessus le requin est aujourd’hui une expression idiomatique américaine encapsulant: «Charrier trop loin, dépasser les bornes du tolérable et entrer en déclin». L’impérialisme américain a sauté par-dessus son requin et c’est la civilisation américaine qui se prend tout le discrédit dans la gueule.

Traduction: «J’ai vu Fonzie sauter par-dessus le requin». Interprétation symbolique: j’ai vu le spectacle impérial US en faire autant…

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Aussi, justement, conséquemment, de plus en plus, on va devoir observer l’Amérique avec d’autres lentilles. On va devoir l’appréhender non plus dans sa généralité impériale si flatulente mais bel et bien dans sa spécificité civilisationnelle si truculente. Cela nous obligera, par exemple, à observer mille particularités et curiosités, dont la suivante. L’impérialisme US, bouteur ne faisant habituellement pas dans la dentelle, s’est planté lamentablement dans l’exportation internationale d’un de ses objets culturels pourtant majeurs: ses sports. Le baseball, le football américain, le hockey sur glace, même le basketball, immenses pour les ricains, le reste de la planète s’en tape totalement ou quasi-totalement. Et le foot/soccer, qui est désormais LE sport universel, les ricains y perdent leur latin et s’y mettent tardivement et sans joie réelle. C’est quand même curieux, ça, quand on y songe une minute. Non-impérial en diable aussi, pour faire un peu changement. De fait, une part significative de la spécificité intellectuelle (notez ce mot) américaine se canalise dans ses sports. C’est que ceux-ci sont un trait tellement typiquement US… bien plus que la musique, la littérature et le reste. Le sportif américain est voué à sa non-universalité, ce qui place sa spécificité (folklorique et philosophique inclusivement) en un singulier et saisissant relief. Et j’en veux pour preuve ultime, le remarquable opus suivant: Yogi BERRA, The Yogi Book – I really didn’t say everything I said, Workman Publishing, New York, 1998, 127 p. La civilisation américaine non-impériale est là (entre autres) et nous attend, biscornue, sapientale et clownesque.

Peter Lawrence Berra dit Yogi Berra (1925-2015) fut receveur pour les mythiques Yankees de New York de 1946 à 1963. Il fut un de ces innombrables joueurs en pyjama rayé qui hantent le panthéon des figures incroyables du baseball majeur (il portait le numéro 8, retiré depuis, et, fait crucial, le personnage de dessin animé Yogi Bear fut nommé d’après lui, pas le contraire). Un mot brièvement sur sa fiche. Frappeur, Yogi Berra tint une moyenne au bâton très honorable de .285. Pour obtenir ce chiffre, au fait, vous divisez simplement le nombre de coups de bâtons fructueux par le nombre de présences au marbre. Si un joueur se présente au marbre 20 fois et frappe la balle correctement huit fois (8/20 soit 40%), il se retrouve avec une moyenne au bâton de .400 et… finit catapulté au Temple de la Renommée s’il tient cela en carrière (le monstrueux Babe Ruth, le titan des titans du baseball majeur tint une moyenne globale de .342). De plus, Yogi Berra cogna 359 coups de circuits en carrière (Babe Ruth en cogna 714). Encore une fois: honorable. En défensive, Yogi Berra fut un receveur talentueux qui, entre autres exploits, fut justement le receveur de la fameuse partie parfaite lancée par Don Larsen lors de la Série Mondiale de 1956 contre les Dodgers de Brooklyn. On aura compris qu’une partie parfaite se réalise quand, oh merveille, aucun des 27 frappeurs (3 par manche de jeu avec 9 manches dans une partie) de l’équipe adverse n’arrive à frapper la balle que vous lancez/recevez. Berra fut intronisé au Temple de la Renommée du Baseball Majeur en 1972. Après une carrière de gérant moins fructueuse s’étalant cahin-caha jusqu’en 1989, Yogi Berra prit une retraite paisible et l’affaire aurait pu en rester là, avec un mérite sportif aussi parfaitement incontestable que solidement circonscrit au petit monde des grands stades.

Yogi Berra, receveur de baseball et… réceptacle philosophique

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Mais non, cet homme peu instruit, jovial, simple et spontané, allait devenir, presque sans s’en rendre compte et quasiment malgré lui, l’un des héros populaires les plus bizarres et les plus originaux de l’Amérique du 20ième siècle. Et qui plus est un héros intellectuel… En effet, Yogi Berra est à l’origine d’une série d’environ 70 aphorismes populaires (les fameux Yogismes, tous colligés dans le petit ouvrage que je vous mentionne ici) qui font de lui l’un des penseurs (absolument sans ironie) les plus cités par ses compatriotes. Son ami et ancien confrère avec les Yankees Joe Garagiola nous dit ceci, sur cette figure tellement, mais tellement éminement et fondamentalement américaine, dans la préface de l’ouvrage (je traduis – P.L.):

On peut bien rire et se prendre la tête quand Yogi dit quelque chose de curieux comme «Tant que c’est pas fini, c’est pas fini», mais vite on se rend compte que ce qu’il dit est tout à fait cohérent. Et on en vient à utiliser ses paroles nous-mêmes car, finalement, elles s’avèrent un mode d’expression parfaitement adéquat pour les idées spécifiques auxquelles nous pensons.

De fait, la clef du mystère des Yogismes, c’est la logique toute simple de Yogi. Il emprunte peut-être une route distincte de celle que nous emprunterions pour raisonner, mais sa route est la plus rapide et la plus vraie des routes. Ce que vous diriez en un paragraphe. Il le dit, lui, en une seule phrase.
(p. 5)

La transmission populaire des aphorismes de Yogi Berra, via un colportage oral et médiatique s’étalant sur plus d’un demi-siècle, avait, avant la publication de ce petit ouvrage définitif, connu un certain nombre de brouillages et de distorsions regrettables. On imputait à Yogi Berra toutes sortes de citations farfelues, peu cohérentes, souvent excessivement ridicules et clownesques, d’où le sous-titre de l’ouvrage: J’ai pas vraiment dit tout ce que j’ai dit (pour dire: je n’ai pas vraiment dit tout ce qu’on m’impute – mais le fait est que je reste quand même présent aux aphorismes qu’on m’impute et que je n’ai pas textuellement dit – Ouf, Joe Garagiola a raison, la formule de Yogi surprend, mais elle est bien plus rapide). Un petit nombre des aphorismes de Yogi Berra sont intraduisibles parce qu’ils jouent sur des effets de sens spécifiques à la langue anglaise. Mais la majorité d’entre eux se transpose parfaitement en français (ou dans toute autre langue), ce qui garantit sans conteste leur impact de sagesse. Citons-en six, sublimes :

Quand vous arrivez à une croisée des chemins, eh bien, prenez la
(p. 48)

Si le monde était parfait, il ne serait pas
(p. 52)

Si vous ne pouvez l’imiter, évitez donc de le copier
(p. 63)

On arrive à observer énormément simplement en regardant
(p. 95)

L’avenir n’est plus ce qu’il était
(pp. 118-119)

Tant que c’est pas fini, c’est pas fini
(p. 121)

Chacun des quelques 70 aphorismes est cité dans sa formulation propre et replacé dans le contexte verbal qui fut celui de son émergence spontanée initiale. L’ouvrage remarquable que je vous recommande ici se complète de la préface de Joe Garagiola (pp 4-5), d’une introduction très sympathique écrite par les trois fils Berra (pp 6-7), de photos et de commentaires d’amis et d’anciens collègues de ce surprenant philosophe vernaculaire. Et, pour le pur plaisir, une grande photo de famille nous présente (pp 124-125) les enfants et les petits enfant du Sage, avec un aphorisme numéroté par personne. C’est ainsi que l’on apprend qu’une de ses petites filles du nom de Whitney aurait dit un jour:

Comment puis-je la retrouver si elle est perdue?
(p. 125)

Eh bien… la sagesse inouïe de Yogi Berra, elle, n’est plus perdue. Ce petit ouvrage délicieux la retrouve. Et, justement, oh que justement, c’est toute l’Amérique cogitante qui y percole. Ne cherchons plus ses philosophes, ils sont à se courailler, en ricanant comme des sagouins et en pensant à leur manière, autour de tous les losanges de baseball, connus et méconnus, de ce continent incroyable… Alors? Alors, quand leurs grandes bourgeoisies criminelles et véreuses auront fini de tuer des gens inutilement pour engraisser leurs consortiums de pétrole et d’armes, les modestes représentants de la civilisation américaine ne vont pas se pulvériser. On saura bien les retrouver, pimpants, sagaces, toniques, naturels, contemplativement braqués sur le Field of dreams, apaisé et post-impérial, vers lequel, comme les Britanniques, comme les Français avant eux, NOS Américains se dirigent inexorablement. L’apophtegme Les USA peuvent ENCORE faire de grandes choses (Barack Obama dixit), affirmé ici sur les questions intérieures, rejoint le plus souffreteux Les USA peuvent ENCORE indiquer la voie (Barack Obama toujours dixit), affirmé par le premier président américain du 21ième siècle, dans plusieurs rencontres internationales. C’est comme ma vieille maman, hein, elle peut ENCORE s’alimenter seule… Sentez-vous la conscience post-hégémonique exprimée par ce tout petit ENCORE? J’approuve ET le déclin impérial ET la continuité civilisationnelle que formule ce Sweet Encore… Le président Obama manifeste d’ailleurs un autre exemple vraiment patent de cette dualité du déclin bourgeois et de la continuité de masse de sa civilisation, quand il affirme qu’il veut se remettre à taxer les millionnaires, milliardaires et autres proriétaires d’avions à réaction privés. En effet, ce faisant, Obama prive ouvertement ses commettants de la doctrine économique sous-tendant ce nouveau type de choix politiques. Il subjectivise l’analyse en mettant un focus excessif sur les milliardaires, les Lex Luthor, les propiétaires d’avions à réaction privés, les individus riches (qu’on rabroue). Or, dans le mouvement, Obama nous annonce aussi qu’il va priver TOUTE l’industrie pétrolière de la pause fiscale de l’ère Bush/Chevron. Cela signifie que cette administration ne croit plus que ce segment industriel majeur utilise ses profits colossaux pour réinvestir productivement (la fonction habituelle d’une pause fiscale). Flagornage populiste à part, c’est toute une analyse critique du capitalisme industriel privé qui se profile ici. Ah, Obama fait explicitement l’annonce de la fin des niches fiscales du secteur pétrolier mais, adroit orateur, il la noie dans le rabrouage des Lex Luthor, en gardant ses conséquences profondes encore bien cachées. Je vous le dis, grands et petits, les indices de ce genre se multiplient. C’est que la civilisation américaine ne s’avoue tout simplement pas encore à elle-même qu’elle œuvre ouvertement à la dissolution de son impérialisme. Et c’est aussi que, ben, que voulez-vous… l’avenir n’est plus ce qu’il était (Yogi Berra).

Yogi BERRA, The Yogi Book – I really didn’t say everything I said, Workman Publishing, New York, 1998, 127 p.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Le communisme: Utopie et Histoire

Posted by Ysengrimus sur 1 mai 2011

Ysengrimus-le-loup (52 ans) et Reinardus-le-goupil (17 ans) unissent ici leurs forces grognasses et revêches pour répondre à une question, lancinante, fraîche et simple, lancée par Reinardus : qu’est-ce exactement que le communisme et qu’est-ce qu’on lui reproche donc tant, encore de nos jours?

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Après la Révolution Française, trois groupes ayant des idéologies différentes se sont assemblés pour assurer le nouveau gouvernement de la Convention Nationale (1792-1795). Ils se nommaient: les Girondins, le Marais ou Plaine et les Montagnards. Ils siégeaient dans un hémicycle. Les Montagnards étaient assis à la gauche de l’hémicycle, le Marais (ou Plaine) au centre et les Girondins à droite. De ce modèle et d’après les idéologies que défendaient ces groupes, la qualification de gauche, droite et centre est née. De nos jours, ces termes sont utilisés dans des contextes politiques par des cultures qui ne se rendent pas compte qu’en utilisant de tels termes ils font référence à l’hémicycle de la première Convention Nationale de la République Française. Au fils de l’histoire, une modification importante à ces termes a été créée. La qualification de gauche et de droite s’est trouvée à être divisée en deux par l’ajout du qualificatif extrême. Les nouveaux termes se sont retrouvés à être: l’extrême gauche, qui comprend le Communisme et l’Anarchisme. La gauche, le Socialisme. Le centre, le Libéralisme et L’Écologisme. La droite, le Conservatisme. L’extrême droite, le Nazisme et le Fascisme. De nos jours, la majorité des partis élus sont soit de droite ou du centre. Les idéologies gauchisantes sont mal vues à travers le monde. Un exemple de ceci est la qualification injurieuse de “socialiste” qui a été donnée à Barack Obama (né en 1961) et à Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) durant leurs mandats. Des exemples constamment donnés par les gens de droite pour discréditer la gauche sont l’histoire de pays tels que l’URSS, la Chine, le Vietnam et Cuba. Mais quelle validité ont donc ces exemples?

Le communisme vise une mise en place de la propriété collective de toutes les instances sociales par les travailleurs. L’abolition de la propriété privée et du capitalisme et son remplacement par un socialisme reposant exclusivement sur la solidarité sociale est le but du communisme. Le communisme a toujours été très vaguement décrit par les instances de droite. Ils l’ont divisé en différentes catégories qui rendent la compréhension de ce dernier très difficile. Par exemple, il y a le Marxisme, le Léninisme, le Stalinisme, le Trotskisme, le Maoïsme, le Guévarisme, le Castrisme, et tant d’autres. Ce qu’il faut noter est que toutes ces désignations, non seulement sont fondées sur le nom du politicien qui a engendré cette idéologie, mais chacune est une version différente du communisme, sauf pour une, le marxisme. Mais ce dernier est juste un mot différent implanté par les instances de droite pour dissocier Marx, techniquement le théoricien fondateur du communisme, de la terreur suscitée par l’idée générale du communisme, terreur implantée elle-même par les instances de droite. En fait Marx lui-même a dit, et je cite «Moi, je ne suis pas marxiste». Donc utiliser le mot communisme, de nos jours, se trouve à faire référence au mensonge qu’on appelle le communisme, et non au marxisme, qui lui est véritablement le fondement intellectuel du communisme. Mais qu’est-ce qu’est le communisme à sa base? Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) on collaboré pour écrire Le Manifeste du Parti Communiste (1848). Trouverons-nous la définition du communisme dans ces pages? Quelle relation existe-il entre les pays dits communistes et les principes sociaux communistes décrits par Marx et Engels? Pouvons-nous légitimement appeler ces pays «communistes» ou sont-ils juste des cas fautifs cités en «exemples» par les pays capitalistes pour dénigrer le communisme?

Nous allons regarder un petit peu cela, en commençant par ce qu’est le communisme d’après Marx et Engels. Nous allons récapituler toute l’histoire des pays suivants: l’URSS, la Chine, le Vietnam, Cuba. Nous allons faire surtout tout notre possible pour déterminer si l’idéologie communiste a déjà véritablement existé en tant que gouvernement d’un pays.

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Définition descriptive du communisme selon le Manifeste du Parti communiste (1848). Le Manifeste de Karl Marx et Friedrich Engels présente dix points fondamentaux du communisme. Nous allons reprendre ces points, les examiner brièvement pour donner une explication simple du Manifeste et de ce qu’est le communisme à sa base. Mais avant ça, regardons un peu comment le communisme se présente. Le communisme cherche premièrement à être total. Tout le monde doit être d’accord avec le système pour qu’il fonctionne. S’il reste des propriétés privées quelconques à l’intérieur du système lui-même, ce n’est pas du communisme. Le communisme est donc internationaliste, il cherche l’union de l’intégralité du genre humain sous un gouvernement unique. Ceci doit être pris en considération quand on lit les points descriptifs du communisme. Beaucoup sont des points répressifs, qui cherchent à contrer l’impact de la réaction des bourgeois. Les bourgeois sont la classe sociale au-dessus des prolétaires. La bourgeoisie est la classe que le communisme cherche à détruire. Le communisme ne cherche pas à arrêter les hauts salariés, mais les bourgeois qui ne font rien que s’asseoir dans leurs manoirs, offrir des «contrats» à d’autres et s’enrichir de leur travail productif en accaparant les profits publics. Un bourgeois est un personnage très haut placé qui ne fait aucun travail directement. Il «offre» une possibilité d’emploi à un autre et lui vole une portion de son salaire. Le prolétaire est toute personne qui génère son propre revenu avec sa force de travail. Une force de travail n’est pas nécessairement le fait de ramasser un marteau et de frapper sur un clou. Mais plutôt n’importe quelle action qui génère une production quelconque. Par exemple, écrire une chanson est une production artistique. Mais le bourgeois ne génère pas son propre revenu, si nous reprenons l’exemple de la chanson. Le propriétaire d’une compagnie de disques décide de manufacturer les albums qu’écrit un artiste de musique, l’artiste reçoit une portion des profits, mais le bourgeois empoche la majorité. Le bourgeois s’accapare le capital que produit le prolétaire. Cette classe sociale bourgeoise, qui se retrouve numériquement minoritaire et fait la grosse vie, est devenue, pour une raison torve, le symbole de notre société. Cette perception de la liberté qu’on possèderait est un mensonge créé par la classe bourgeoise pour nous endoctriner. Elle s’enrichit sur notre dos et on ne le remarque même pas. Le communisme cherche à nous débarrasser de cette classe. Il ne cherche pas à ruiner le prolétaire, mais plutôt à le sauver de l’exploitation de son travail par un accapareur privé. Ce qui nous fait tellement peur est que le communisme nous donne notre liberté, en détruisant le système qu’on a connu toute notre vie, tout simplement parce que nous sommes prolétaires, et nous sommes endoctrinés dans la vision bourgeoise du monde. Les points communistes du Manifeste s’énumèrent ainsi:

Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’État. Le communisme cherche à abolir la propriété privée. Mais pas toute propriété privée. Seulement celle qui produit un revenu qui se trouve à aller directement dans les mains d’un propriétaire privé exploiteur. Donc les propriétaires fonciers qui produisent des produits agricoles, qui en tirent un profit personnel, verront leur profit personnel saisi par l’état. Mais qu’est-ce qu’une propriété foncière exactement? Une propriété foncière est une terre privée qui appartient à une personne sur laquelle il fait ce qu’il veut faire. Mais cette définition voudrait dire que toute propriété est foncière. Oui, mais le communisme concentre son attention sur les propriétés foncières qui produisent un revenu engendré par la terre directement, donc les propriétés agraires. Toute propriété où il y a un fermier qui travaille dans un champ pour produire un revenu pour le propriétaire de la ferme qui, à son tour, lui donne un salaire mais qui tire quand même un profit de la production est une propriété foncière ciblée par les communistes. La maison dans laquelle vit une personne, même s’il a une belle piscine, une petite cabane dans sa cour, un beau chien qui y batifole, n’est pas du tout affectée parce qu’il ne se produit là aucun profit directement de la terre.

Impôt sur le revenu fortement progressif. Tout revenu privé que génère une personne, une entreprise ou n’importe quelle instance privée est sous l’obligation de générer de l’impôt. Ceci n’est pas pour porter atteinte au droit individuel d’une personne, mais plutôt pour s’assurer qu’il n’y ait pas de prolétaire exploité, que la richesse ne reste pas dans les mains d’une seule puissance mais qu’elle soit plutôt envoyée à l’état pour qu’il la répartisse également à travers la population. Ce n’est pas pour rien que les instances de droite sont contre l’impôt et veulent constamment le réduire. À travers les baisses d’impôt, c’est la répartition équitable de la richesse qu’on cherche à freiner.

Abolition du droit d’héritage. La création de mini-hiérarchies privées n’est pas acceptée par les communistes. Le travail que fait un parent devrait assurer la subsistance de cet individu pendant qu’il est en vie, mais il ne peut pas le léguer à son enfant quand il meurt parce que son enfant n’aura pas à travailler. Un exemple de ceci est le pouvoir dont va hériter une dénommée Paris Hilton (née en 1981). La chaîne d’hôtels qu’a crée son arrière grand père ne devrait pas se trouver léguée à elle parce qu’elle n’aura pas à faire l’intendance de ses hôtels du tout, elle empochera l’argent de son ancêtre pendant que d’honnêtes gens meurent dans les rues.

Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles. Le communisme confisque tout bien de personnes qui émigrent du pays parce que comme le gouvernement redistribue la richesse à travers sa population, il ne peut pas laisser les gens qui quittent le pays partir avec la richesse. Le système pourrait grandement souffrir si les émigrants bourgeois partaient tous avec leur fortune. Les biens saisis ne sont pas seulement l’argent, mais la terre, les immeubles, les maisons, en gros toute la propriété qui présente une certaine valeur non négligeable que possèdent les émigrants fuyards. Ceci est un exemple parfait d’une procédure qui est exclusivement répressive. Elle répond au problème que peut causer la migration subite de la classe bourgeoise qui fuit le pays à cause d’une révolution communiste. Si le communisme était international, cette procédure se trouverait à être inutile parce que les bourgeois auraient à quitter la planète elle même pour éviter le système instauré.

Centralisation du crédit entre les mains de l’État, au moyen d’une banque nationale à capital d’État et à monopole exclusif. Il n’y aurait qu’une seule banque appartenant au gouvernement qui gérerait toute activité monétaire et financière. Elle n’aurait aucun pouvoir elle même en tant qu’instance privée parce qu’elle serait strictement gérée par l’État. Encore une fois, si le communisme se trouvait à être internationalisé à travers le monde, cette banque internationale serait capable d’assurer une économie stable et non fluctuante. Puisqu’elle serait la seule banque unique du monde, il n’y aurait pas de compétition par rapport au taux d’intérêt. Il faut noter que la crise économique qui nous bouleverse de nos jours a été causée par des «produits financiers» irréalistes qui sont en fait des actions spéculatives à risque. Ces actions sont principalement le produit de la compétition entre banques privées et du cynisme insensible engendré par la recherche du profit privé, à court terme, et tant pis pour les autres.

Centralisation entre les mains de l’État de tous les moyens de transport et de communication. Ceci est un point qui doit être observé par rapport à l’histoire. Karl Marx et Friedrich Engels ont écrit le Manifeste en 1848. Ils ne pouvaient pas conceptualiser l’existence de l’internet, la télévision, le téléphone, ou même le radio. Le télégraphe était dans les stades les plus simples de son existence. Dans leur temps le seul mode de communication était la lettre et le journal. Le principal moyen de transport à longue distance était le train. Marx et Engels avec ce point disent que le transport et la communication devraient être non privés. Imaginons un monde ou la propriété privée contrôle la poste, et le réseau ferroviaire. Prenons le Canada en exemple, disons que Montréal, Toronto et Vancouver sont les puissances économiques du pays. Les instances privées qui cherchent seulement à s’enrichir construiraient un réseau de deux lignes, Vancouver-Toronto, et Toronto-Montréal. La construction d’autres lignes serait inutile parce que le profit est fait dans les grandes villes, et non les campagnes. Appliquons ceci aux lettres, seulement les bourgeois recevraient leurs messages parce qu’ils auraient priorité à cause de leur pouvoir financier. Le service serait négligé partout où il ne serait pas profitable pour les accapareurs privés. Cela ferait qu’il marcherait bien mal.

Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres conformément à un plan décidé en commun. Le communisme cherche à contrôler l’organisation du développement des secteurs de production de façon à ce que toute demande de matière première, de biens et de services soit produite de façon égale et méthodique. La raison pour laquelle ce point existe est parce que le capitalisme, avec sa doctrine concurrentielle, motive les instances privées à développer le secteur le plus lucratif, le plus rapide et non la production de tous biens. Le capitaliste cherche à s’enrichir le plus rapidement possible donc il développe les secteurs qui produisent le plus ce qui est payant et pas nécessairement ce qui est utile, mais les secteurs moins payants sont laissés dans l’obscurité. Le communisme cherche à développer tout secteur également pour assurer la production uniforme de tous biens utiles et avoir un certain contrôle de l’intégralité des facteurs d’offre et de demande.

Travail obligatoire pour tous, constitution d’armées industrielles particulièrement dans l’agriculture. Ce point-ci comprend l’un des aspects les plus faibles du Manifeste. Premièrement le travail obligatoire pour tous est une doctrine juste qui cherche à contrer les bourgeois qui ne travaillent jamais directement mais la constitution d’armées industrielles, particulièrement dans l’agriculture, est une toute autre histoire. Le communisme cherche à abolir le bourgeois, la propriété privée et les classes sociales, mais voici une instance qui présente le même rapport de force qu’une société de classe mais qui a échappé au radar du communisme. Une armée dans son fondement présente une sorte de hiérarchie qui est fondamentalement non démocratique et non communiste. Le terme «armées» est soit mal choisi, ou tout simplement mal conceptualisé par Marx et Engels. Il serait plus juste de parler de commune, ou d’équipe mais pas d’armée. Parce que ce terme sous-entend un rapport de force non-propre au fondement du communisme. En plus une armée porte des armes qui, dans les communes de travail, seraient, en fait, remplacées par des outils et des machines.

Combinaison de l’exploitation agricole et industrielle; mesure tendant à faire disparaître graduellement la différence entre la ville et la campagne. Ce point-ci, encore une fois, doit être lu en tenant compte de l’histoire. Dans le temps de Marx et Engels, l’industrialisation était jeune. Les villes présentaient un boom industriel que les campagnes n’avaient pas. Les villes se développaient à une vitesse extrême et les campagnes ne pouvaient pas garder le rythme. La production agricole souffrait et la production industrielle triomphait. Marx et Engels disent dans ce point qu’il faut développer les deux secteurs également, que la ville et les campagnes doivent «entrer dans le siècle» à une vitesse égale.

Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail de tous les enfants dans les fabriques, tel qu’il existe aujourd’hui; éducation combinée avec la production matérielle, etc. Ce point dit que tout enfant devrait être exempt de travailler et devrait avoir l’éducation gratuitement fournie par le gouvernement. Notons que ceci ne semble un point acquis que dans le monde occidental. En effet, il y a encore des enfants qui travaillent en de nombreuses parties du monde et l’école n’est toujours pas une obligation légale partout. Noter aussi le dernier aspect, celui sur l’éducation combinée avec la production matérielle, qui montre que les communistes étaient soucieux que le prolétaire ne reste pas ignorant, comme cela se constatait en 1848 et se constate souvent encore.

Il y a ici des principes qui guidèrent ceux qui furent animés par l’espoir communiste. Ces principes sont devenus des faits concrets de l’histoire de façon fort incomplète et inégale. Ils ont été associés à d’autres éléments de programmes politiques révolutionnaires, novateurs, progressistes, mais non nécessairement communistes au sens précis que ce programme social propose.

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Le LÉNINE d’Andy Warhol

L’URSS et l’internationalisation d’une révolution. L’URSS est le premier pays qui ressort dans n’importe quelle conversation à propos du communisme. Toute conversation à propos de l’URSS répète, comme un disque rayé, les grands aspects négatifs de l’histoire de ce pays: la révolution bolcheviste qui fut supposément particulièrement sanglante, les procès de Moscou, les famines staliniennes, et tant d’autre aléas. Mais regardons d’un point de vue objectif les biens et les torts de l’une des plus grandes révolutions sociales de l’histoire. Une révolution majeure anti-monarchique a lieu en Russie vers 1917-1921. Rejetant le républicanisme bourgeois déjà amplement discrédité politiquement, les leaders révolutionnaires russes se réclament du communisme. Ils produiront la dernière grande république moderne, croyant longtemps mettre en place le socialisme. La tentative d’internationalisation de ce type de révolution mènera aux restrictions étroitement nationalistes du stalinisme.

Les origines de la révolution (1905-1917). En 1905, l’empire russe, mené par Nicolas II (1868-1918), fait face à des résistances intérieures de plus en plus fortes. La population russe trépigne de mécontentement. Les gens ont faim, ils sont dépourvus de terres agricoles, ils ne sont pas éduqués et des propos révolutionnaires sont tenus partout à travers le pays. En 1905, la guerre russo-japonaise fait rage depuis un an et dans une défaite majeure de la marine russe, la quasi-totalité de la flotte du pacifique est perdue en une bataille unique. Ceci discrédite encore plus le tsar Nicolas II et le régime Romanov aux yeux de son peuple. La défaite de la bataille de Tsushima engendre la mutinerie d’un cuirassé, qui deviendra un symbole culte de la révolution bolcheviste, le Potemkine. La mutinerie du cuirassé Potemkine débute avec une tentative de révolte par un groupe de matelots. Ces matelots avaient été arrêtés par les forces du capitaine et un ordre d’exécution est donné. Les matelots révoltés sont couchés en joue sur le pont. L’ordre de les fusiller est formulé par le capitaine, qui finit, en fait, par se faire fusiller par le peloton d’exécution. Les officiers du bateau sont soit tués soit emprisonnés et la mutinerie réussit. Le Potemkine hisse le drapeau rouge. Il devra bien sûr se rendre, mais son impact sur la population russe sera immense. Il deviendra le principal symbole de la révolution en marche. En 1914, la Russie tsariste entre dans la première guerre mondiale comme alliée de la France et de l’Angleterre dans la Triple Entente. Un peuple mal nourri, mal éduqué, très pauvre, complètement opprimé est envoyé massivement au front. Depuis le début de la guerre, jusqu’à la révolution bolcheviste, les pertes russes contre les allemands et les austro-hongrois sont catastrophiques. C’est là, plus que nulle part ailleurs, qu’ils sont, les millions de morts des années 1910-1920 en Russie, et on les passe pudiquement sous silence. Les troupes russes sont levées par conscription. Ainsi des millions d’opprimés se font mettre entre les mains, les armes qu’ils utiliseront pour se révolter.

La prise du Palais d’Hiver, telle que représentée par le cinéaste soviétique Sergei Eisenstein (1898-1948)

Une révolution majeure anti-monarchique en Russie (1917-1921). L’insurrection bolcheviste se décide démocratiquement le 10 octobre 1917 après de longues périodes de discussions, durant lesquels il y a un vote de masse au grand soviet (comité populaire) de Petrograd, oui ou non, pour la révolution et les révolutionnaires l’emportent. Le pouvoir soviétique se divise donc en deux secteurs, le militaire et le politique. Trotsky (1879-1940) se retrouve chef de toute action militaire que va prendre les révolutionnaires (Staline faisant parti de son équipe de direction, mais avec un petit rôle) et Lénine (1870-1924) dirige le bras politique du mouvement. Le soviet de Petrograd est massivement appuyé par les troupes qui reviennent du front. Les garçons qui reviennent (des ouvriers et des paysans qui avaient été conscrits par le tsar) ne cherchent qu’à changer le pouvoir parce que le mode de vie des villages, la famine et la pauvreté, se confondent avec le drame du front. Avec de telles pensées, le message communiste est un peu perdu devant le message anti-monarchique. Les soldats cherchent beaucoup plus à se créer leur propre république qu’à instaurer le communisme. À Petrograd, la nuit du 24 au 25 octobre, les bolchevistes prennent le Palais d’Hiver avec presque aucune perte de vie. Ils entrent dans le palais en tirant des coups dans les airs, et le pouvoir cède. La mortalité de cet événement se trouve à être six personnes. À Moscou, la bataille est un peu plus intense. 50,000 révolutionnaires chargent le Kremlin et sont mitraillé par 10,000 réguliers de l’armée blanche. Ils prennent le Kremlin après quelque coup de feu, les pertes sont d’environ 300 hommes. Les simples soldats de l’armée blanche sont relâchés et les officiers détenus. Les historiens sont d’accord pour dire que la prise de Petrograd et celle de Moscou furent deux événements révolutionnaires peu meurtriers. La guerre civile qui suit la révolution est la vraie boucherie. Surtout avec l’ingérence des puissances occidentales. Après la prise des deux grandes villes, Lénine publie le décret sur la terre. Le décret sur la terre repose sur un principe communiste venant directement du manifeste de Marx et Engels. Le point 1: Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’État. Cette première mesure communiste est un pas en dehors de la féodalité. Toutefois ce pas vers le communisme est négligé par la population paysanne, tendis que le pas en dehors de la féodalité est grandement apprécié. Après le décret sur la terre, la guerre civile éclate. Le général Kornilov (1870-1918), en tête de l’armée blanche, cherche à contrer les révolutionnaires et remettre en place le pouvoir tsariste. L’armée blanche est appuyée par les puissances occidentales, la France, la Grande Bretagne, les États-Unis etc. C’est ainsi parce que le pouvoir tsariste de la Russie était anciennement allié avec les occidentaux. Les révolutionnaires ne le sont pas. La guerre civile entre les Soviétiques et les tsaristes a causé un total de pertes humaines toujours inconnu, même de nos jours. Il y a bien des historiens qui sortent des nombres fantaisistes, disant que des millions de personnes sont mortes. Il y en a d’autre qui disent quelques dizaines de milliers. Le nombre exact de pertes de vie de la guerre civile russe de 1917-1922 fait l’objet de débat depuis le temps où elle a eu lieu. Le résultat de ces conflits est: un nombre de pertes de vie inconnu, un pays détruit par une guerre mondiale et une guerre civile, une famine émergeant de la destruction causant encore plus de morts et un pouvoir révolutionnaire cherchant à mettre de l’ordre dans un pays qui n’en a pas. Ce pouvoir révolutionnaire se trouve à faire face à la propagande anti-soviétique d’autres pays qui cherche seulement à contrer les efforts que font les russes pour se sortir de la féodalité. Toutefois les révolutionnaires parviennent à non seulement contrer l’armée blanche, mais aussi à contrer les puissances occidentales qui s’ingéraient dans leur révolution. Ceci donne beaucoup de crédibilité mondiale aux Soviétiques. Lénine internationalise donc la révolution. Moscou devient le centre de l’expertise révolutionnaire. Des tentatives de révolutions dites communistes dans d’autre pays échouent ou font rage. Le communisme se trouve à être vu comme l’avènement de l’ère nouvelle à travers le monde, mais en réalité le totalitarisme gronde dans les campagnes. Par exemple, Mussolini (1883-1945) en 1922 est venu au pouvoir en contrant une tentative de révolution communiste en Italie. Il instaurera le fascisme. En 1921 la N.E.P. (Nouvelle Politique Économique) est instaurée par Lénine. Cette politique met en place des principes capitalistes et met donc fin à une révolution communiste voulue, sinon obtenue. Mais la N.E.P. n’est pas une régression vers le capitalisme sauvage qui prenait déjà pleinement forme sous le tsarisme, elle instaure et organise ce dernier dans une Russie anciennement féodale dont la monarchie est tombée. Résumons donc la révolution: ce sont les Soviétiques contre un pouvoir féodal. Ils instaurent un nouveau pouvoir, ils le déclarent communiste et finissent par instaurer un type de capitalisme planifié.

Lénine à la tribune

Redevenir graduellement réaliste et autoritaire  (1921-1938). En 1921, la N.E.P. est implantée. En 1922, la guerre civile se termine. En 1924, Lénine meurt. La mort de Lénine ouvrira la discrète marche de Staline (1879-1953) vers le pouvoir. Vers 1928, Staline est secrétaire général du parti communiste de l’Union Soviétique. Cette position, encore mal connue, le place en charge de l’immense bureaucratie du pouvoir soviétique. Elle lui donne un énorme potentiel de contrôle sans que personne ne s’en rende trop compte. Graduellement Staline remplace les autres positions d’état (président du conseil du peuple, membres du bureau politique, président du praesidium suprême, ministres, etc.) par des hommes qu’il contrôle. Il donne le pouvoir sur l’intégralité du système à une position, la sienne. Entre les années 1928 et 1938 Staline s’approprie le pouvoir. Il ne se hisse pas vers la plus haute fonction, non, il tire plutôt le pouvoir vers sa fonction à lui. En 1938, l’appropriation du pouvoir par Staline culmine avec les procès de Moscou. Il fait exécuter tous les anciens dirigeants de la révolution (sauf un, Trotsky, exilé au Mexique), en les faisant paraître comme des traîtres, et purge l’intégralité des hauts gradés de l’Armée Rouge. Il instaure son pouvoir, son dogme, et devient le p’tit père des peuples. Entre 1929 et 1939, l’occident est traumatisé par la grande dépression. Ceci parait comme la chute du capitalisme aux yeux de la population mondiale. Le «communisme» soviétique s’industrialise, produit, s’active, et ne ressent aucun des méfaits de la dépression. Toutefois aux yeux des occidentaux il surgit un espoir anti-communiste. Hitler (1889-1945), pur produit politique de la grande dépression, est élu au Reichstag en 1933 et commence son règne dictatorial sur l’Allemagne. Staline, à ce stade de son appropriation du pouvoir, a assez de ressources internationales pour voir très facilement ce que les occidentaux envoient insidieusement vers lui, un nazi insensé qui déteste le communisme… et l’occident. Staline, le 23 août 1939, fait donc un pacte de non-agression avec Hitler qui bouleverse les puissances majeures du temps. Le chien enragé du nom de Hitler se retourne alors contre ses maîtres et avance vers l’Europe de l’Ouest. Ce qui a été découvert, après la déstalinisation de l’URSS, ce sont les problèmes auxquels a fait face l’URSS durant la grande dépression. Il est important de noter tout de même que ces problèmes n’on pas été causés par la dépression. Dans les années 1930-1932 il y a eu les «famines staliniennes» qui ont fait rage dans le pays. Ces famines allaient faire l’objet de débats pour les générations futures. Il y a des historiens qui croient que Staline a fait exprès de tuer son peuple pour le contrôler, il y en a d’autre qui pensent que les purges des koulaks (les propriétaires fonciers russes) ont causé la confusion dans les campagnes et une baisse de la production agricole qui a engendré les famines. Les koulaks (paysans propriétaires), des sortes de gentlemen farmers russes, au début des famines se fond exproprier et tuer. Quand on pense, on remarque rapidement que les koulaks n’étaient pas justes des bourgeois qui s’enrichissaient sur le dos des moujiks (paysan travailleur), ils étaient aussi les détenteurs du savoir faire agraire. Ils étaient le cerveau et les moujiks les bras. En coupant la tête du corps, les membres ne savent plus quoi faire. En tuant les koulaks, le savoir-faire des fermes est perdu, la productivité tombe. Il semble qu’il ne soit pas possible de déraciner la féodalité des campagnes sans causer une désorganisation catastrophique du secteur agraire. Lénine en 1917 publie le décret sur la terre. Ceci crée une famine causée par le manque de savoir-faire des anciens serfs du système féodal par rapport à l’agriculture. Lénine instaure donc la N.E.P. pour ramener des principes plus ancien mais capitalistes. Quand le pouvoir change, Staline remarque le jeu de classe qui se fait entre les koulaks et les moujiks. Dans son plus pur style autoritaire, il purge les détenteurs du savoir-faire et cause encore une fois les famines. Mais Staline cette fois ne réinstaure pas l’équivalent de la N.E.P. Il crée les kolkhozes, des ferme collectivisées, mais celles-ci ne sont pas aussi efficaces que les anciennes fermes des koulaks. La famine reste et la désorganisation aussi. Graduellement le système agraire se remet en place et les terres collectivisées recommencent à produire, mais ceci est parce que le savoir-faire est réappris par les moujiks. Résumons la période post-révolutionnaire de l’URSS. Staline se crée son pouvoir, en manipulant un système bureaucratique dont il émane. La grande dépression donne du prestige au communisme et engendre un modèle social qui bouleversera l’Europe, tout en ouvrant aussi la voie aux dérives fasciste et nazi. L’URSS s’industrialise à grands pas, mais fait quand même des erreurs, en rentrant dans le siècle. Les prémisses de la plus grande boucherie de toute l’histoire de l’humanité se préparent, le totalitarisme est au stade les plus enfantin de sa vie.

Tentative d’internationalisation de la révolution et lutte contre le nazisme (1938-1953). Hitler est élu au Reichstag en 1933. De 1933 à 1938, il militarise l’Allemagne, il prend le contrôle du pays, il rend tout autre parti politique illégal, il se débarrasse des S.A. et mets en place les S.S., il crée la jeunesse hitlérienne, il met en place les camps de concentration et commence sa politique génocidaire sur les juifs. En bref, il instaure le totalitarisme chez lui. Sa population respire l’air nazi, mais l’air n’est pas abondant. Hitler commence donc à parler d’«espace vital» pour les germaniques. Il commence donc à annexer d’autres pays. L’Autriche en 1938 et la Tchécoslovaquie en 1939. En 1939, le pacte germano-soviétique est signé entre l’Allemagne et l’URSS. Le pacte est signé par Vyacheslav Molotov (1890-1986) du côté des Soviétiques et Joachim von Ribbentrop (1893-1946) du côté allemand. Ce que l’on peut constater du pacte de non-agression, signé à Moscou le 23 août 1939, c’est que les deux chefs ne voulaient pas être vus l’un avec l’autre. Hitler et Staline ne se sont jamais rencontrés face à face. Hitler se tourne alors contre le monde occidental. Il envahit la Pologne. Les puissances occidentales, la France, le Royaume Uni et leurs colonies, déclarent la guerre à l’Allemagne. L’Italie et le Japon s’allient aux nazis. L’Axe est née et les Alliés aussi. En six semaines, la Pologne est conquise, en six mois, la France est conquise. Le front ouest de l’empire allemand est assuré. De juin 1940 à mai 1941 la Luftwaffe attaque la Grande-Bretagne. La bataille d’Angleterre est perdue par l’Allemagne et Hitler se rabat alors sur l’URSS. Le 22 juin 1941 le pacte germano-soviétique est rompu par les Allemands. L’Opération Barbarossa débute. Les Allemands s’attaquent au Soviétiques. Ils prennent une portion importante du territoire russe. L’attaque de Pearl Harbor par les Japonais, le 7 décembre 1941, marque l’entrée en guerre des États-Unis. Les puissances de l’Axe ont plus d’ennemis qu’ils n’ont d’alliés. L’intégralité de la puissance britannique, les Soviétiques, les États-Unis, la résistance française. De 1941 à 1943 la guerre fait rage et les fronts n’avancent pas. En 1943, victoire à Stalingrad. La sixième armée du Troisième Reich est encerclée et détruite par l’Armée Rouge. C’est la première défaite terrestre des nazis. À travers le monde, cette victoire soviétique est vue comme le tournant de la guerre, et la montée du communisme redevient de vogue. La population se questionne maintenant sur la puissance du capitalisme comparé à la puissance soviétique. Graduellement les Soviétiques commencent à reprendre du territoire. Sur l’autre front, le 6 juin 1944, le débarquement de Normandie marque la première victoire terrestre occidentale. Les fronts est et ouest de l’empire allemand rétrécissent. Les États-Unis libèrent la Hollande, la Belgique, la France, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest, la Norvège, la Suède, le Danemark et l’Autriche. Les Soviétiques libèrent la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Yougoslavie, l’Allemagne de l’Est (dont Berlin). Les Soviétiques instaurent le «communisme» dans les pays qu’ils occupent. Tout simplement, ils libèrent le pays et instaurent un gouvernement nominalement communiste. Avec des méthodes pareilles, le message communiste est perdu et le totalitarisme est instauré, sous le nom de «communisme». Le prestige dont bénéficie le communisme devient toxique. L’Internationale est chanté à travers l’Europe, tandis que l’illusion communiste s’accroît. Presque chaque pays européen et africain a son propre parti politique communiste. Staline est perçu comme l’homme nouveau. Le capitalisme est en tombée et une ère communiste vient à peine d’éclore. Quelques mois après la fin de la guerre, les États-Unis créent le Plan Marshall. Ce dernier est un programme économique ayant l’intention de refinancer les pays détruits par la guerre. Il est offert à tous les pays concernés. La France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, la Grèce, la Turquie, le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Islande, le Portugal et l’Irlande acceptent l’aide américaine. Ces pays, plus l’Espagne et la Finlande, deviendront le Bloc de l’Ouest. Le Plan Marshall est un moyen de garder une main mise capitaliste sur l’Europe. Juste comme ils avaient acheté leurs pays, les américains ont acheté l’Europe. Les pays qui ont été libérés par les Soviétiques durant la deuxième guerre mondiale sont l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Ces pays feront partie du Bloc de l’Est. Donc, en 1945, il y a alliance économique entre les pays du bloc de l’ouest. En 1949, création de l’OTAN, alliance militaire des pays du bloc de l’ouest. En 1949, encore une fois, création d’une alliance économique entre les pays du bloc de l’est (Comecon). En 1955, deux ans après la mort de Staline, alliance militaire du bloc de l’est, le Pacte de Varsovie. La période de guerre nous présente simplement toutes les puissances mondiales qui entrent dans un mouvement réactionnaire et militaire. Hitler, nazi pugnace, déclenche la boucherie. Churchill, va-t’en-guerre anglais, saute au pouvoir. Staline, vétéran d’une révolution, ressort ses fusils. Franklin Delano Roosevelt, émanation de la grande dépression, meurt et cède la place à Harry Truman, «le Président de la Bombe». Avec de tels chefs d’État, la guerre s’implante dans les esprits. La perte d’une vie humaine est considérée négligeable. Cette période de guerre est la période la plus noire de l’histoire de l’humanité. Techniquement aucun de ces chefs d’État n’est responsable de ces actes, parce que l’environnement était tellement violent. Dans la période d’après guerre, nous voyons les chiens enragés se cacher, sauf un. Hitler meurt. Churchill perd le pouvoir. Truman perd le pouvoir. Mais, Staline reste au pouvoir. Le p’tit père des peuples, dans les huit dernières années de sa vie, façonnera la poigne de fer de l’empire soviétique. Les anciennes idées réactionnaires de la guerre resteront collées dans les esprits des futurs chefs de l’URSS. À ce stade ci, le communisme est non existant. L’internationalisation de la révolution se fusionne avec la lutte contre le nazisme. Les pays libérés par l’URSS se trouvent à changer d’occupant, sans comprendre le message. Ils voient les hommes portant le drapeau rouge qui font fuir les hommes portant la svastika. L’importance des deux camps est minimale, en fait, tant qu’on mange et que la guerre est finie. Les armes maintenant rangées, la Guerre Froide débute. En 1953, Staline meurt et une grande tristesse s’instaure sur le monde. La planète pleure la disparition de son héros. Jusqu’à temps que quelqu’un ouvre un livre d’histoire et remarque quelque chose de bizarre.

Le deuil mondial de Staline

Amorce de la réaction anti-soviétique (1953-1980). La mort de Staline, en 1953, apporte une grande tristesse. Les dirigeants soviétiques après Staline utilisent ce prestige du vieux héros mort pour légitimer la perpétuation du mythe communiste. Par exemple en 1956, l’insurrection de Budapest, en Hongrie, est réprimée par les chars d’assaut soviétiques. L’homme nouveau existe encore, il est simplement dans notre coeur, donc chantez l’internationale! Mais la même année, Nikita Khrouchtchev (1894-1971) dénonce les crimes de Staline. L’homme nouveau a fait des erreurs! Au 20ième congrès du Parti Communiste, le Rapport sur le culte de la personnalité est révélé. Les déportations, les exécutions et les arrestations des procès de Moscou sont dénoncées dans le rapport. Le culte de la personnalité mis en place par Staline est rejeté par Khrouchtchev parce que ce culte contredit les vues du marxisme-léninisme sur lesquelles l’URSS repose. Cette réforme est en gros une tentative de retourner au vrai communisme. Khrouchtchev espère pouvoir corriger la dérive dictatoriale ayant découlé de la guerre. Il essaye en vain de retourner les aiguilles du temps. Suite au Rapport Khrouchtchev, le monde se sent trahi. Staline nous a menti! La déstalinisation se confond avec une désoviétisation. Tout graduellement les pays du bloc de l’est commencent à se révolter. Chaque fois qu’ils manifestent la moindre velléité libertaire, ils se font répondre par les chars d’assaut soviétiques. En sommes, le vieux réflexe guerrier du temps de Stalingrad continue de jouer, non plus pour libérer mais pour opprimer. Les révoltes réprimées s’énumèrent comme suit: Hongrie en 1956, Insurrection de Budapest; Tchécoslovaquie en 1968, Printemps de Prague; républiques musulmanes orientales (Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan) en 1979, menant à l’invasion de l’Afghanistan limitrophe; et finalement 1980, Pologne, mise en place du syndicats non-communiste Solidarność. Ce qu’il faut noter quand on analyse ces révoltes est que chacun de ces soulèvements était ni socialiste ni communiste mais purement capitaliste, nationaliste (et islamiste dans le cas des républiques musulmanes voisines de l’Afghanistan). Dans chacun des cas, les États-Unis endossaient les insurgés, leurs fournissaient de l’argent et couvraient tout l’événement à l’aide des médias. La Guerre Froide était une guerre d’image et les Soviétiques paraissaient comme les plus fous, les plus rétrogrades et les plus militaristes. Pour conclure sur les années 1953 à 1980 il faut dire ceci. Les Soviétiques commencent la déstalinisation, mais au milieu de cette redéfinition communiste, Khrouchtchev est limogé et la poigne de fer stalinienne ou plutôt néostalinienne incarnée par Léonid Brejnev (1906-1982) est de retour en beaucoup moins efficace. Cette moufle de fer est utilisée pour tenir les pays du bloc de l’est et à chaque fois que la moufle ferreuse est utilisée, les États-Unis la filment en mondovision. L’image de l’URSS est détruite, l’empire est trop violent pour l’époque de l’après-guerre. La perte de la Pologne en 1980 marque la fin de la vie de ladite moufle de fer.

La chute de l’URSS  (1980-1991). En 1980, l’URSS, vieil empire en décadence, perd pour la première fois un partisan du bloc de l’est. La Pologne, avec un libertaire syndicaliste et anti-communiste, endossé par les Américains, se trouve à faire une «révolution» contre sa hiérarchie militaro-bureaucratique prosoviétique. Lech Walesa est le premier homme à sortir victorieux contre les gros méchant prosoviétiques habitant la Pologne. Le gouvernement que Walesa a combattu est une division du complexe militaro-industriel compradore de l’URSS, qui jouait le rôle de gouvernement. Ce gouvernement «communiste» n’était qu’un garde-chiourme stalinien. Il s’était fait implémenter à la libération du nazisme et était resté collé là comme un doigt métallique et pugnace de la poigne de fer de Staline. Quand Staline est mort, la poigne, maintenant laineuse, a mené à un refus du contrôle toujours métallique mais non plus renforcé par Staline. La mitaine de fer ne jouait plus le rôle de la poigne. Le dogme de Staline s’effritait. Érigé en exemple, la Pologne est devenu un symbole d’espoir contre les Soviétiques. L’URSS avait mis trop d’argent sur les dépenses militaires et ne présentait plus un milieu de vie libre ou communiste. La fin était en vue. Mais en 1985 un espoir final se manifeste. Mikhaël Gorbatchev (né en 1931) présente un nouveau tournant pour l’URSS. Il est vu comme l’homme qui va retrouver le droit chemin communiste que l’URSS a perdu. Mais cet homme politique arrive trop tard. En 1990, les républiques soviétiques et les pays du bloc de l’est sautent comme des bouchons de bouteilles. Les boulons de cette ancienne machine cèdent et l’URSS s’effondre comme entité et est dissoute comme État. La chute du mur de Berlin (1989) marque la fin de la Guerre Froide. La terreur de la bombe est implicitement éliminée. Les Américains ont gagné.

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Le MAO ZEDONG d’Andy Warhol

La Chine: le «communisme» d’une future superpuissance. Évidemment, il y a encore la Chine… De nos jours, la Chine est le pays dit «communiste» qui parvient à faire de plus en plus bonne figure dans l’actualité. Ce pays augmente en puissance non seulement économique, mais militaire et sociopolitique. La Chine est devenue l’une des plus grande puissance mondiale au 21ième siècle même en gardant son titre tabou de «communiste»! Comment alors? Es-ce la fin du capitalisme en plein Extrême-Orient? Investiguons l’affaire. D’où émerge le communisme chinois? Et surtout comment est-il si fort, même de nos jours? Le fait est que la Chine va, en 1949, amplifier le rôle républicain du programme communiste en le complétant d’une démarche anti-impériale et anti-coloniale. C’est le fer de lance de l’objectif communiste qui poussera les chinois à se débarrasser de l’envahisseur japonais et à sortir les occupants occidentaux. La quête communiste amènera la Chine à devenir la plus grande puissance capitaliste de tous les temps.

En 1912, la Chine est à la fin de son ère féodale. Les seigneurs féodaux n’assurent plus le bien-être de la population et des insurrections sont fréquentes. En 1927, le général Tchang Kaï-Chek (1887-1975) décide de s’allier avec des militants communistes de son pays, pour détrôner les derniers seigneurs de guerres. Il mène la lutte nationale et retire les féodaux du pouvoir. Mais une fois les seigneurs partis, Tchang Kaï-Chek trahit les communistes qui l’ont aidé dans son combat républicain. Son armée, maintenant l’armée gouvernementale, attaque subitement les communistes. Menés par Mao Zedong (1893-1976), ces derniers se réfugient dans des grottes entre le Nouman et le Yang-Tsé. Ceci déclenche la guerre civile de Chine. Les communistes contre le Kuomintang, le parti de Tchang Kaï-Chek. De 1929 à 1934, les attaques du Kuomintang sont fréquentes sur les différentes bases communistes de ce pays immense. Les communistes sont bien défendus, mais la guerre civile finit par prendre le dessus sur eux. Finalement, en 1934, Mao décide de quitter le refuge qu’il tient encore et de partir sur une grande aventure qui l’amènera à travers tout le pays. Ainsi débute la Longue Marche de Mao. Il va parcourir la Chine avec 70,000 hommes et seulement 10,000 se rendront au bout de ce repli tragique. La Longue Marche de Mao c’est comme la Prise de la Bastille pour la révolution française ou la mutinerie du cuirassier Potemkine pour la révolution russe. La Longue Marche fut érigée en symbole de la persévérance, du courage et de la patience des militants communistes chinois. Plusieurs œuvres d’art s’en inspirent. En octobre 1935, Mao et ses hommes s’arrêtent au nord-ouest de la Chine et se fortifient dans les grottes du Yénan.

Entre 1935 et 1945, la petite république communiste du Yénan se consolide. C’est la période où Mao écrit ses œuvres littéraires et politiques, dans les grottes du Yénan. En 1937, le Japon Impérial envahit la Chine. Il y pratiquera des exactions horribles, des crimes inimaginables. La puissance écrasante de cet envahisseur impérialiste oblige les communistes et le Kuomintang à conclure une nouvelle alliance. Ce fait est hautement significatif car on retrouve, encore une fois, une situation où la lutte de libération nationale et la guerre classique mèneront à une unité nationale qui primera sur l’idée de lutte des classes.  La Chine profonde, dont Mao est l’animateur marxiste par excellence, tient par-dessus tout à s’affranchir des occupants coloniaux, européens ou asiatiques. Entre 1937 et 1945, la Chine est partiellement occupée par un grand agresseur international. Les japonais y sèment la terreur. Ils font des raids sur les villes et causent de terribles massacres. Le monde occidental et les États-Unis ne semblent voir que Tchang Kaï-Chek comme jouant la part de la Chine dans ce grand et douloureux conflit. Après la capitulation du Japon sous les coups des deux bombes atomiques américaines, Tchang Kaï-Chek semble le héros de la portion chinoise de la guerre contre le Japon. Entre 1945 et 1949, les américains appuient donc Tchang Kaï-Chek et lui fournissent de l’armement. La guerre civile reprend alors et pourtant, malgré cette superficielle et illusoire supériorité technologique, l’armée du Kuomintang est, en quatre ans, réduite à «une lamentable cohorte de fuyards». Les rouges sont plus profondément intimes avec les masses paysannes, ils sont plus acceptés par la population. L’hinterland est le secret de leur succès.

En 1949, le Kuomintang est vaincu. Il quitte la Chine continentale et se réfugie sur l’île de Formose (Taiwan). Les colonialistes européens, qui s’étaient implantés de longue date dans les villes portuaires, notamment à Shanghaï, pour gérer l’import/export du pays à leur strict avantage, sont évincés par les communistes chinois. Ils ne gardent que Macao (les portugais) et Hong Kong (les britanniques). Le premier pays que Mao visite en tant que chef d’état en 1949 est l’URSS. Il rencontre Staline à Moscou. L’URSS aidera la Chine à s’industrialiser. Elle doit aussi entrer dans le rythme de la vie moderne. En  mai 1950,  le nouveau gouvernement interdit la vente des femmes et la polygamie. Entre 1950 et 1953, on se lance dans une vaste réforme agraire. Les droits féodaux des anciens propriétaires fonciers sont abolis. La terre est distribuée aux paysans puis collectivisée. Encore une fois, comme dans le cas des «famines staliniennes», il semble qu’il ne soit toujours pas possible de déraciner la féodalité des campagnes sans causer une désorganisation catastrophique du secteur agraire. La déroute sociale découlant de ces changements de propriété et d’organisation provoque, ici aussi, une vaste famine qui causera la mort de millions de personnes. Comme en Russie antérieurement, les causes exactes de ce ratage révolutionnaire dans les campagnes sont vagues et mal connues. En 1958, la Chine lance le Grand Bond en Avant. On approfondit la collectivisation des campagnes. Paysans, soldats, intellectuels sont envoyés aux champs. L’affaire rate en moins d’un an, parce que l’importance du savoir-faire agricole (y compris celui d’avant la révolution) par rapport à la productivité est sous-estimé. La Chine finira par devoir importer du blé de l’URSS. En 1960, on assiste pourtant à une rupture avec l’URSS. La Chine n’accepte pas du tout l’idée de déstalinisation. Les Soviétiques sont désormais des «révisionnistes».

Les gardes rouges

En 1966, Mao, qui est en train de se faire marginaliser dans les structures du pouvoir par les cadres du Parti Communiste Chinois (PCC), lance la Révolution Culturelle. Il va s’appuyer sur la jeunesse émergente pour regagner de l’influence. Mao sème l’extase. On lance de grandes fêtes. On produit toutes sortes d’œuvres d’art populaires inspirées par la ferveur révolutionnaire. Et on brandit des millions de copies du Petit Livre Rouge, des citations du Grand Timonier. C’est le début comme tel du culte de la personnalité de Mao, dont on dira qu’il aura été à la fois le Lénine et le Staline de la révolution chinoise. Entre 1966 et 1970, le culte de Mao est instrumentalisé pour garder la jeunesse débordante en contrôle. Dans certaines provinces, c’est l’armée qui assure l’ordre. En 1971, le président américain Richard Nixon fait une visite historique en Chine et rencontre Mao. Les historiens s’accordent pour y voir l’indice politique du début d’un lent renouveau du capitalisme en Chine. Mao meurt en 1976. Les grenouillages politiques qui s’ensuivent laissent la place à une succession de dirigeants qui sauront se ressourcer et se renouveler bien plus efficacement et subtilement qu’en Union Soviétique. Le président actuel (en 2011), Hu Jintao n’avait que sept ans lors de la révolution. Il est à la tête d’un immense pays d’un milliard trois cent millions d’êtres humains en train de devenir la plus grande puissance économique des temps modernes. Un pays communiste? Bien, il est toujours dirigé par un Parti Communiste, mais l’histoire de la quête chinoise vers le communisme nous donne bien plus à découvrir un très vieux pays, une des plus anciennes civilisations du monde, resté longtemps féodal et stagnant qui, par la force d’une formidable poussée révolutionnaire de masses, se débarrasse des seigneurs de guerres, des grands féodaux, des empereurs, des colonisateurs européens, des envahisseurs japonais, des dirigeants nationalistes compradores, pour instaurer au moins son indépendance et son autonomie nationale… Mais ils n’ont pas instauré un ordre social vraiment communiste.

Aujourd’hui, la Chine est activement impliquée dans la mise en place d’un genre moderne et subtil de dispositif impérial, notamment dans de nombreux pays d’Afrique. Elle finance le gros de la dette des États-Unis et le solide souvenir de la gestion planifiée «communiste» lui sert à maintenir un capitalisme monopolistique d’État lui permettant, entre autres, de protéger ses exportations en maintenant sa monnaie artificiellement basse. L’industrie chinoise est «concurrentielle» pour des raisons que Karl Marx avait déjà analysées: ses travailleurs sont parmi les plus bas salariés au monde. Ce n’est certainement pas ça, la dictature du prolétariat! La Chine est une superpuissance en montée qui, entre utopie et réalisme politique, hésite de moins en moins à retenir le second comme voie de l’avenir et à reléguer la première dans le passé proche ou lointain des origines de sa république. Le portrait de Mao est encore visible un peu partout, y compris sur les billets de banque chinois… le dernier grand tigre de papier…

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Ernesto «Che» Guevara (1928-1967)

Vietnam et Cuba: un «communisme» de résistance face à l’impérialisme américain. Dans la dynamique de la Guerre Froide (1945-1991), communisme et lutte contre l’impérialisme américain finissent étroitement confondus. De petits pays résistant contre la présence post-coloniale des américains sur leur territoire produiront des «révolutions communistes», actes de rébellions micro-nationales n’ayant de plus en plus de communistes que le nom. Le Vietnam et Cuba sont les exemples les plus représentatifs de ça. Leur sort est d’ailleurs bien plus interconnecté qu’on ne le pense.

Dans l’ancienne Indochine française, le colonialisme français à l’ancienne se fait sortir fermement par les partisans vietnamiens, à la bataille de Dien Bien Phû (1953). La Chine de Mao brille alors comme un soleil ardent et la logique de confrontation des blocs de l’ouest et de l’est est déjà solidement en place. Les américains prendront donc le relais des français pour tenter de garder le Vietnam dans le camp capitaliste. Le pays est coupé en deux, comme les Corées. Ho Chi Minh, (1890-1969) chef du Vietcong fait de Hanoi sa capitale provisoire. Il travaille avec les chinois, tout discrètement. Mais surtout, il est «communiste». Les américains eux, occupent ouvertement Saigon et le Vietnam sud.

Comme si les affaires de l’impérialisme américain n’allaient pas assez mal comme ça, en 1959, un obscur dictateur cubain du nom de Fulgencio Batista (1901-1973), qui a littéralement vendu son île par morceaux à des propriétaires de casinos floridiens, se fait renverser par une poignée de barbus qui se gagnent rapidement un appui populaire durable sous la houlette de deux chefs charismatique jeunes et vigoureux: Ernesto «Che» Guevara (1928-1967) et Fidel Castro (né en 1926). Castro tente un rapprochement avec les américains mais se fait traiter comme un pur et simple bandit pour avoir saisi unilatéralement et nationalisé les immenses portions de l’île de Cuba que Batista avait antérieurement vendu à des intérêts, justement, américains. Les Floridiens ne récupéreront pas un centime de leur mise et en voudront à Castro pour longtemps. Pas énervé pour deux sous par l’attitude intransigeante des américains, Castro, résolu et frondeur, joue le jeu de la Guerre Froide à fond et se tourne ouvertement vers les Soviétiques. Il devient alors très officiellement, lui aussi, «communiste». Il introduit des reformes sociales effectives, notamment en matière d’éducation et de santé publique. C’est un socialiste dans les faits mais aussi un allié stratégique de l’URSS, à 200 kilomètres au sud de la Floride. Vers 1960-1962, éclate la crise de la Baie des Cochons. En réponse à l‘installation par les américains de fusées intercontinentales en Turquie, l’URSS décide d’en installer à Cuba. Les américains instaurent un blocus maritime de l’île de Cuba, vers laquelle des convois maritimes soviétiques se rendent. Les marines de guerre des deux superpuissances se frôlent, se toisent, au large de Cuba, et la tension internationale est si grande qu’on passe bien proche du déclenchement d’une troisième guerre mondiale. Les choses se calment finalement par la diplomatie, les Soviétiques démantèlent leurs fusées à Cuba, les américains en font autant en Turquie et il y a détente. La diplomatie américaine est par contre forcée de laisser les «communistes» cubains tranquilles. Et ces derniers finissent avec une société originale, socialisante mais aussi excessivement militarisée pour ce que leurs capacités économiques peuvent rencontrer. Contrairement à Salvator Allende (1908-1973) du Chili (tué par des militaires pro-américains lors d’un coup d’état), Castro survivra tous les coups tordus qu’on tentera contre lui (il est aujourd’hui retraité). Son alliance avec les Soviétiques déclinera tout graduellement au profit d’une discrète unité commerciale avec l’Europe occidentale, tandis que le brutal boycott américain de Cuba se poursuivra et se poursuit encore.

Dans l’existence de petits pays «communistes» comme Cuba ou le Vietnam, tout se joue, dans un monde en guerre froide, au rythme des lourds soubresauts de l’impérialisme américain. Entre 1965 et 1968, les États-Unis renforcent leur présence au Vietnam. C’est l’époque de Good Morning Vietnam! Les américains sont pris dans un paradoxe qu’ils ne pourront pas résoudre: comment gagner cette guerre contre des résistants pugnaces, dans la jungle indochinoise, sans la tourner en conflit international généralisé? Comment faire sauter une bombe dans un aquarium sans casser l’aquarium? Un autre problème devient de plus en plus ardu pour les américains. Leur propre opinion publique est désormais bien moins docile et va-t-en-guerre que du temps du Débarquement de Normandie. Bob Dylan (né en 1941) et Joan Baez (née en 1941) chantent contre la guerre et toute la génération du Peace and Love devient Draft Dodgers. En 1975, les américains ne peuvent plus tenir cette équation en équilibre. Ils perdent la guerre du Vietnam. Saigon est rebaptisée Ho Chi Minh Ville et le Vietnam est unifié et pacifié, sous le drapeau rouge. Aujourd’hui c’est un des pays les plus prospères d’Asie, toujours sous la houlette politique d’un parti «communiste».

Cuba et le Vietnam sont-ils des pays ayant instauré le «communisme»? Comme la Chine, mais sur une bien plus petite échelle, ce sont des pays qui one mené une lutte contre le vieil euro-colonialisme. Comme la Chine, mais sur une bien plus grande échelle à leur mesure, ce sont des pays qui one mené -et gagné- la lutte de résistance contre l’impérialisme américain. Voici donc encore des causes nationales circonscrites qui ont teint leur drapeau en rouge pour qu’il claque mieux dans la fibre émotionnelle de leur temps…  Mais l’homme nouveau, dans tout ça, où est-il?

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Retour sur la définition du communisme dans le Manifeste. La Révolution Iranienne de 1979 sera la première révolution républicaine non-communiste après 1917. Comme les vieilles révolutions républicaines, teintes en rouge ou non, du siècle dernier, elle abattra un monarque antique (le Shah d’Iran) et remplacera la monarchie par un régime présidentiel. Elle sortira aussi des voleurs de ressources coloniaux et compradores (le contrôle du pétrole échappera aux britanniques puis aux américains). Elle produira aussi une dérive dictatoriale et militariste, la théocratie des Ayatollah (qui s’engagera, en 1980-1988, dans une terrible guerre contre l’Irak, ce dernier appuyé par les américains). Une différence essentielle distinguera cette révolution républicaine de toutes celles survenues depuis 1917: elle ne se réclamera pas du communisme mais de l’islamisme.

Le fait est que le programme révolutionnaire dit «communiste» est maintenant, lui aussi, discrédité par l’usure violente et sanglante de l’Histoire. Les monarchies et le colonialisme sont tombés mais le rouge intégral du siècle dernier est aussi peu crédible désormais que l’avait été le bleu-blanc-rouge des siècles antérieurs. Il y a un hiatus entre ce que la révolution fait (abolir la féodalité, restreindre le colonialisme, instaurer l’indépendance nationale, industrialiser) et ce qu’elle promet, bien utopiquement (la  «liberté», l’ «égalité», le «communisme»). L’abolition de la propriété privée des ressources et du mode de production capitaliste, son remplacement par un socialisme reposant exclusivement sur la solidarité sociale et le contrôle de tous les leviers de pouvoir par ceux qui travaillent, ne sont cependant tout simplement pas encore là. La définition du communisme telle qu’on la trouve dans le Manifeste de 1848 regroupe une collections d’acquis sociaux s’étant plus ou moins mis en place ici et là, imparfaitement, au gré de l’histoire (fin du travail des enfants, éducation obligatoire, nationalisation des transports etc.) autour d’un principe fondamental qui, lui, n’a tout simplement jamais existé, celui d’une mise en commun intégrale de la production et de la propriété des biens qu’elle engendre. Des forces fantastiques ont utilisé le discrédit inévitable, associé à l’entrée douloureuse dans la modernité de territoires immenses comme la Chine ou l’ancienne URSS, pour attaquer et dénigrer le programme en grande partie utopique qui servait de guide intellectuel à ces gigantesques mouvements historiques. On a jeté le bébé communiste avec l’eau sanglante du cuirassé Potemkine et de la Longue Marche, utilisant tout ce qui pouvait être utilisé pour discréditer et salir un si généreux idéal. Pourquoi? Tout simplement parce que cet idéal raté, cette utopie non réalisée, ce programme futuriste, saboté par les accapareurs économiques, les agresseurs politiques et les calomniateurs médiatiques a, comme principe définitoire, la destruction du capitalisme et des classes de possédants qui vivent parasitairement de cet ordre social injuste et inéquitable, vieux de huit cents ans. Le communisme n’existe même pas vraiment, et son spectre continue pourtant de hanter le monde, sous la forme de la conscience coupable rouge sang, du capitalisme, qui s’en prend encore à lui comme à un fantôme, si épeurant, parce que si culpabilisant.

La force des utopies c’est que, malgré tout, sous une forme ou sous une autre, elles s’en viennent vers nous…

Le Capital et le Travail (affiche de Mai 68)

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