Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Archive for décembre 2017

Ma toute première illusion politicienne: le petit bonhomme de neige Sno-Cone

Posted by Ysengrimus sur 25 décembre 2017

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La première personnalité publique, relayée par l’ostensible et servile canal télévisuel, qui vint bercer d’illusions polychromes et joyeuses mon imaginaire et me faire de mirobolantes promesses fut le petit bonhomme de neige Sno-Cone. Son message, prosaïque, émouvant, prenant, était littéralement irrésistible, fatalement fascinant. Et la tonitruante sémiologie de sa dégaine me berçait de la plus suave des jubilations illusoires. Rivé devant mon poste, j’avais six ou sept ans et un groupe ribambellier d’enfants de mon âge, enthousiastes et guillerets, me présentait le gigantesque bonhomme de neige Sno-Cone et ses formidables vertus transmutatoires. Et ce n’était pas là peu de choses. Jugez-en, avec le tout du recul requis. À partir de vulgaires cubes de glace (non-inclus) tout ce qu’il y avait de plus ordinaires (on les lui insérait dans le chapeau et les lui poussait dans la caboche, sans qu’il ne bronche), le bonhomme de neige Sno-Cone produisait justement une sorte de neige ou gadoue plantureuse, scintillante comme du diamant, qu’il était ensuite possible de parfumer à l’aide des fioles-pressions coniques qu’il fournissait aussi. Le crucial projet de société enfantine joyeux et allègre d’un délice glacé instantané et mirifique semblait émaner, en patientes girations, des entrailles circulaires du personnage. Insistons toniquement sur le fait que les promesses et les engagements du petit bonhomme de neige Sno-Cone disposaient d’une précision apparente et d’une densité empirique directement présumable qui assuraient à son dispositif argumentatif un percutant propagandiste savoureusement imparable.

Je garde aux tréfonds de moi un souvenir dense et tangible de la véritable joie lyrique que me suscitait le petit bonhomme de neige Sno-Cone. Elle fut, cette grande joie de bambin, initialement intégrale, absolue, parfaite et sans mélange. Mais l’enfance étant ce qu’elle est, avant tout dans ses limitations et sa si fugitive fugacité, il fallut un jour fatalement déchanter. La première inquiétude concernant le petit bonhomme de neige Sno-Cone me frappa de plein fouet quoiqu’en provenance d’une source indirecte. Ce fut ma maman qui me suscita cet initial malaise, insidieux mais implosif, corrosif. Quand je lui faisais visionner les plantureux courts métrages publicitaires mettant en vedette le petit bonhomme de neige Sno-Cone, ma maman réagissait avec une singulière agressivité froide. C’est qu’elle était, la douce dame, douloureusement rompue à l’univers tapageur et illusoire des jouets tocs et éphémères de ces belles années consuméristes. Le petit personnage en blanc lui faisait donc faire la moue et, en termes évasifs, pour éviter d’estourbir la saine maïeutique qui commençait à sinueusement me triturer, elle me laissait entendre que… bon… l’apparence des choses était une chose bien évanescente, que des esprits mal intentionnés pouvaient détourner cette chose à leur avantage et la mettre au service des arnaques les moins reluisantes… et autres choses encore. Maman fut incontestablement la première voix qui me prévint contre le miroir aux alouettes… du petit bonhomme de neige Sno-Cone en particulier, et de la politique politicienne en général. C’est qu’elle (séquelle… calembour), son petit bonhomme de neige Sno-Cone à elle, ça avait été tout un personnage de conséquence. Nul autre que Maurice Le Noblet Duplessis, tel qu’en lui-même. Électrification des campagnes et rapatriement de notre butin pour le beau scintillement des cristaux de glace dans les cônes de carton. Loi du Cadenas, théocratisme rétrograde et anti-syndicalisme primaire pour le goût insipide et glaçant de la glace glacée. Maman en était restée durablement marquée. Tant et tant que les orateurs rafraîchissants, les beaux parleurs en blanc, les personnages fallacieusement prometteurs en gibus, les campagnes publicitaires spectaculaires, surtout celles tournant autour de la promotion d’une personnalité éminente, tout ça lui laissait toujours une moue sceptique, peu enthousiasmante certes, mais incroyablement communicative.

Il faut bien admettre que le petit bonhomme de neige Sno-Cone n’a rien perdu de la vigueur de son symbolisme politicien. Imaginez un peu. On parle d’un personnage profondément liant et sympathique, à la bonhommie proprement irrésistible, recyclable, renouvelable (il adopte aujourd’hui le visage faussement neuf de Snoopy ou d’Olaf). Il nous fait ouvertement miroiter des fraîcheurs nouvelles aux essences apparemment variables. Bon ceci dit, et cela est son premier aveu majeur: il a une poignée dans le dos. Plus précisément, c’est une manivelle. Et il ne la tourne pas lui-même… non, non. C’est nous qui devons la faire tourner, en forçaillant après, en plus, bien souvent. En fait, comme pour les impôts et les charges sociales, ou encore comme pour les premières interventions dans une situation ponctuelle de crise, il faut qu’on tourne la manivelle nous-mêmes, qu’on tienne le petit bonhomme de neige Sno-Cone à pleines mains, pour ne pas qu’il dérape. Bref, il faut littéralement que le quidam ordinaire fasse le tout, en toute autonomie citoyenne, pour que le petit bonhomme de neige Sno-Cone donne à tout le moins l’apparence d’exercer sa fonction. Indubitablement, il fascine beaucoup moins lorsque l’action effective s’engage.

De fait, s’il faut tout avouer, maman repose aujourd’hui au cimetière mais ma compréhension de son doute agressif et de sa moue capricieuse envers le petit bonhomme de neige Sno-Cone a fortement gagné en amplitude. Effectivement, j’ai eu l’occasion, dans une de nos incontournables ventes de garage de village, de toucher (sans m’en porter acquéreur) pour la première fois, à presque soixante ans d’âge, le petit bonhomme de neige Sno-Cone, de mes mains nues. Oh, l’exemplaire manipulé n’était pas trop défraîchi si bien que la tristesse de mes observations ne peut pas être imputée au passage des ans. Le fait est qu’en le regardant dans le noir des yeux et en le maniant quelques instants, j’ai vite déchanté et observé, froidement, que le petit bonhomme de neige Sno-Cone n’est jamais qu’un bête broyeur à cubes de glace manuel d’assez mauvaise qualité. C’est qu’en réalité, tout ce qui contribuait à la magie politicienne originale du brave petit bonhomme de neige Sno-Cone, son regard, son chapeau, ses bras en delta, sa pelle et son entonnoir rouge vif, ses gobelets de carton, ses sachets à essences perdue, tout cela s’avérait un ensemble passablement inopérant de clochettes et de sifflets empêchant en fait le broyeur à glace (vu qu’il est finalement cela et rien de plus) de faire son travail correctement. La batterie d’artefacts politiciens qui semblait tant donner raison au petit bonhomme de neige Sno-Cone s’avère en fait être ce qui, au bout du compte, lui donne tort. En voulez-vous de la grande dialectique du politique, en voilà!

La libération nationale de René Lévesque, le contrat social de Bob Rae, le socialisme de François Mitterrand, le pacifisme et l’écologisme de Barack Obama, les chemins ensoleillés de Justin Trudeau sont autant de bibines sucrées, colorées, livides, sans substance effective que le fil des années et des décennies politiciennes fit rouler sur des fragments de cubes de glace qui, eux, pendant tout ce temps, restèrent des fragments de cubes de glace, sans plus. Pourquoi voter, ou plutôt: pourquoi investir tant de croyance dans le fait tout nunuche d’avoir voté? Pourquoi s’engourdir dans les bruissements scintillants et tape-à-l’œil de tous ces exercices politiciens conventionnels successifs? Le vulgaire broyeur à glace reste un vulgaire broyeur à glace et c’est toujours nous qui tournons la manivelle pour le bénéfice des bourgeois. Évidemment l’homme et la femme politicus et politica veulent tellement rêver et le petit bonhomme de neige Sno-Cone est là pour ça. Mais veulent-ils déchanter? Veulent-ils se rendre compte au bout du compte qu’on est encore en train de leur fourguer de l’eau gelée re-concassée, sans plus.

Les humains sont casseurs de catins disait Plume Latraverse. L’aphorisme vaut profondément pour le petit bonhomme de neige Sno-Cone. Par les temps historiques qui courent, oh, on le jette dans les escaliers et on saute dessus pour qu’il se casse en mille morceaux de mauvais plastique. On pourrait citer une bien dense grêle d’exemples de ceci. La cinquième république française suffira amplement. Énumérons simplement. Pompidou succède à De Gaulle et meurt en mandat (1974). Valery Giscard d’Estaing fait un septennat (1974-1981). François Mitterrand, deux septennats (1981-1995). Jacques Chirac, un septennat puis un quinquennat (1995-2007). Puis c’est Nicolas Sarkozy, un quinquennat. Puis François Hollande, un autre, et l’émiettement se poursuit, irréversible, micronique-macronique… Ce ne sont plus les glaçons dans le broyeur qui s’effritent, c’est le petit bonhomme de neige Sno-Cone lui-même qui tombe en morceaux. Lui, qu’on avait tant aimé, il ne nous suscite plus que rage et déconvenue, avec son faciès livide et son immobilisme plastifié déguisé en faux changements de toc.

Politique politicienne va-t-en. Politique citoyen, revient.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Guanyin, en joual

Posted by Ysengrimus sur 21 décembre 2017

[english version below] Dans l’très vieux temps de y a ben longtemps, nos pays y étaient gouvarnés par des rois. Y a un roi qui vivait ben loin dans l’est pis y avait la grand chance d’awouère trois filles. Les trois filles se faisaient donner absolument toute toute quessé qui leu fallait — des belles guénilles, des bébelles pour faire mumuse, d’la bonne mangeaille en masse, pis des sarviteurs pis des sarvantes pour yeu fère leu train. Cté fille là, y ont grandi gras dur, ignarantes de toutes les troubles du monde ardinaire, justement le pauverre monde que leu poupa éta le roi de. Y en a une des trois, la plus jeune des trois, ben éta comme différente des autres. Elle a s’en câlissait pas mal des belles guénilles, des bébelles pis de la bonne mangeaille à fafineux. Quand ses sarviteurs pis ses sarvantes ergârdaient ailleurs, a se faufilait en dewors du palais pis al alla virailler des grands bouttes de temps dans l’village alentour. Ou encore al alla galvauder dans l’bois, autour du palais. Dans l’village, a vu des moumans paysannes avec leu babi d’une poche su l’dos, en train de laver leu linge dans des ruisseaux. Al a vu des flos jouer, pas avec des bébelles mais entre eux-autres, flos. Al a vu des flos plus vieux en train d’aider des ptits jeunes flos. Al a vu des flos en train de se pogner pis de se saprer des volées mais al a vu aussi des flots se serrer la main en chialant. Al a vu aussi du pauverre monde qui luttaient pour leu survie dins rues, du monde sans abris qui quêtaient leu mangeaille, des moumans qui crevaient de faim pour qu’leu babis puissent manger. Dans l’bois, a vu des moumans wézo qu’apportaient d’la grainaille à leu pitwézo pis des zanimos qu’apprenaient à leux tizanimos comment charcher leu mangeaille. Dans toutes cté zaventures là, al a appris que toute quessé qui exiss en monde dwé s’amancher pour survive, pis que toute c’t’affère de survivance là, ça dépenda pas pantoute des belles guénilles ou des bébelles mais d’la bonté du monde envers d’autes mondes.

Apra avouèr appris toutes cté zimportantes affères là, al a lâché les belles guénilles, les bébelles pis les sarviteurs et sarvantes. Al a dit à son poupa qu’a voula explorer la nouvelle farveur qu’a vnait de s’découvrir en elle-même. A gui a aussi parlé du monde qui mangea d’la misére dans l’village pis que si c’éta pas un effet de sa bonté sa grand bonté poura guieux permette de vive mieux. En entendant ça, le roi ses péres y éta tan tabarnak. L’bonhomme y créya pas à ça pantoute, lui, la bonté — créya juss en la sagesse donnée jusss aux ceusses qui en monta la haute montagne pis la mérita, comme lui-même. La fille était ben dépitée d’la réaction d’ses pére. Mais éta ben guirée pour suive sa tite idée. A sapré son camps du palais pour aller vive comme une paysanne dans l’village. Comme a sacralisa toute créyature vivante, a survailla ben attentivement la route youss qu’a marcha pour ête ben sure de pas piler su’une forme de vie. A fournissa son aide pis sa gentillesse à toute les ceusses qui gaulaient dans vie. Mais elle aussi al a eu des souffrances. À cause de ses comportements gentils, y en avaient dans l’village qui gui montaient sa tête pis qui la bardassa pas mal. Mais a yeu zen tenait jamais rancœur. Ses guénilles ont fini par devnir toutes vieilles pis toutes décocrissées mais à s’en sapra ben parce éta tellement heureuse dans son cœur. Des sangsues viva même collées su son dos. Ça faisait qu’al ava ben d’la misére à marcher. Mais a lâcha pas d’marcher. Un jour a s’t’aparçu qu’une des sangsues gui éta tombée du dos. A ramasse la sangsue à terre pis a s’la r’colle su l’dos parce a sava que si la sangsue resta à terre, a pourra toute bin n’en mourir. Cte fille là, a déborda d’une gentillesse pis d’une compâssion absolument capotante. C’ta comme ça qu’a viva sa ptite vie.

Fak toujours est ti ben qu’in beau jour a s’est mis à rpenser à ses pére. A s’est mis à rpenser à ses sœurs. A s’est dmandé quossé qui se passa a’ec eux autes pis a s’est mis à s’ennuyer d’eux autes. Fak est rtournée au palais. Al a chialé quand al a vu le roi, ses pére. Y éta devenu vieux pis bougonneux. En plus, une mardite maladie l’ava rendu aveugue. Mais elle, a s’en sapra ben qu’y seille vieux, bougonneux, pis aveugue. Al a serré ses père dans ses bras pis a gui a dit à quel point a s’éta ennuyé de lui pis comment qu’a regretta d’avoir sapré son camps comme ça. Le roi y gui a répondu, ben à pique pis ben baveux: «Si tu penses vraiment qu’la gentillesse peut sauver les mangeux de misère ben tu vas t’trouver à m’donner tes yeux, pour que j’seye pus aveugue.» Pis là y gui donne une poussé pis y sak son camps din aut’chambe. Le lendemain, la fille ar’tourne au palais avec in tube en bambou. A d’mande pour vouèr le roi, ses père. Y est là, Y arrive, fak a dit: «Mes père, je le voé d’mes yeux qu’vous souffrez pis que c’est pas sensé êt’de même. Vous m’avez toujours donné toute sék i’m’falla pour que j’aille jama la moinde souffrance — de la mangeaille, des guénilles, des bébelles, des sarviteurs pis des sarvantes— pis je vous ai pas apprécié comme y l’falla. C’t’a mon tour d’vous fournir de quoi pour qu’vous rsentiez pus les souffrances.» Pis là a pogné le tube de bambou pis a s’en est sarvi pour se débarquer les yeux d’la face pis les offrir à ses pére. Pis c’t’à c’moment là, qu’le roi s’t’aparçu d’la vra gentillesse pis de la vra compâssion d’sa tite darnière. Y s’est mis a chialer quand il l’a vu toute saignante pis mourante à terre. «Mais ma pauve tite. Chu ben nâvré pis ben en peine» que le bonhomme y a marmotté. «J’vous pardonne, mes péres», là, qu’a dit. Pis ça s’est trouvé à êt’tout juss ses darnières paroles.

Les dieux pis les ancêtes, qui surveillaient a gaffe depuis l’plafond des mondes, y on pogné l’motton pis y ont été pas mal épatés par la vra pitié, la vra gentillesse pis la vra compâssion manifesté par cte simpe tite gogole d’un quelconque roi. Son âme est grimpée au ciel pis les dieux y ont sapré une saudite de bourrasque de tapon de grands tapes amicales dans l’dos. Y gui ont donné le nom de Guanyin, la déesse aveugue d’la compâssion. A continue de veiller su toutes nous autes pour nous fére garder dans nos mémoères l’importance d’être gentils, d’être miséricordieux pis de sawére tout le temps pardonner…

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[version joualle supra] A long time ago, the land was ruled by kings. One king in the far east was gifted with three daughters. These daughters were given everything they needed — beautiful clothes, toys to play with, enough food to eat and servants to do all the chores. They grew up happy, oblivious to the things that troubled ordinary people, like the people their father ruled over. One of them, the youngest daughter, was different. She cared nothing for the beautiful clothes, toys and fancy food. When her servants weren’t paying attention, she would sneak away from the castle and spend time walking through the streets of the village nearby, and roaming around the forests that surrounded the castle. In the village, she saw peasant mothers holding their babies on their backs and washing clothes in the stream. She saw children playing not with toys, but with each other. She saw older children helping younger children. She saw children arguing and fighting, but she also saw them shaking hands through their tears. She also saw people struggling to survive on the streets, people with no homes, begging for food, mothers starving so their children could eat. In the forest, she saw birds bringing food to their babies, and animals teaching their young ones to search for food. From her adventures too she learned that all living things need to survive, and much of that survival depended not on fancy clothes, or toys, but on kindness from others.

After learning these lessons, she gave up all her fancy clothes and toys and servants. She told her father that she wanted to explore this new faith that she had found. She also told him of the people struggling in village, and how his kindness could make their lives better. The king got very angry. He did not believe in kindness — only wisdom gifted to those who attained it and deserved it, like himself. The daughter was very sad at her father’s reaction, but was determined to follow her own path. She left the castle to live as a peasant in the village. She became known for her kindness and compassion. Because she believed every living thing was sacred, she would watch the path on which she walked to be sure she was not stepping on any living creatures. She would offer help and kindness to those who were struggling. But she also suffered. Because of her kindness, some people in the village would mistreat her. But she would always forgive them. Her clothes became torn and old, but she barely noticed, because she felt so happy in her heart. Leeches would live on her back, causing her great difficulty walking, but she carried on. One day, she noticed one of the leeches had fallen from her back. She picked it up and put it back on her, knowing that if she did not, the leech would die. She displayed a kindness and forgiveness that was extraordinary. This is how she lived her life.

One day, she thought about her father. She thought about her sisters. She wondered about them and she missed them, so she walked back to the castle. She wept when she saw her father, the king. He had grown old and bitter. An illness had caused him to become blind. But she didn’t care. She took her father in her arms and told him how much she missed him, and how she was sorry that she left. The king scoffed. « If you really believe that kindness saves those who struggle, you will give me your eyes, so that I can see again. » He pushed her away, and left the room. The next morning, the daughter returned to the castle with a stalk of bamboo. She asked to see her father the king. When he arrived, she spoke. « Father, I see that you are suffering and you shouldn’t be. You have always given me everything that I needed so I wouldn’t have to suffer —food, clothes, toys, servants— and I did not appreciate you like I should have. It is my turn to provide for you, so that you will no longer suffer. » She then took the stalk of bamboo and used it to remove her eyes, which she presented to her father. At that moment, the king realized the true beauty of his youngest daughter’s kindness and compassion. He wept as she lay bleeding to death on the floor. « My daughter, I am so sorry. » he said. « I forgive you, father. » she replied. Those were her last words.

The ancestors and gods who were watching from above were impressed and touched by the true mercy, kindness and compassion shown by this king’s daughter. Her soul ascended to the skies where she was greeted by the gods. They named her Guanyin, the blind goddess of mercy. She watches over us and reminds us of the importance of being kind, compassionate and forgiving.

[Text written by Val, based on a tale told by her mother — texte écrit par Val, à partir d’une histoire racontée par sa mère]

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Les étudiant(e)s de français de l’Université Lancastre vus par une des gouttes de la rosée qui fit jadis monter Cyrano sur la lune

Posted by Ysengrimus sur 15 décembre 2017

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Ce qui est bien connu,
en général,
justement parce qu’il est bien connu,
n’est pas connu.

Hegel

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Je débuterai par quelques remarques générales sur moi-même et sur des qualités d’observateur que je me flatte de détenir et dont j’ai la modeste prétention de faire profiter mon lecteur. Sur moi-même, il suffira de signaler que je ne suis qu’une bien petite goutte de rosée, ce qui revient à dire professeur de linguistique au Département d’études françaises de l’Université Lancastre. Sur les qualités d’observateur que j’ai inévitablement acquis en amenant Cyrano sur la lune, je me contenterai de transmettre benoîtement et sans malice une information capitale: j’aime, plus que tout, observer le genre humain car je suis un ami inconditionnel et a priori de mes semblables sous toutes leurs formes, aspects et configurations. Rien de ce qui est humain ne m’est étranger, disait Térence. Et j’endosse, impavide. Ceci me place d’entrée de jeu dans l’impossibilité de dire de qui que ce soit —par exemple, de mes étudiants— le dixième du mal que j’entends grommeler à leur sujet entre les replis des pardessus de certains misanthropes.

J’observe mes étudiant(e)s avec une attention soutenue. Cette attention est, je viens de le dire, une attention amie. Mais c’est tout de même une attention soutenue, ce qui, vous en conviendrez, permet de caresser l’espoir qu’un zeste d’impartialité fruite parfois la goutte de rosée. Entre la terre et la lune, je me pose très souvent la question: qui sont ces torontois et torontoises qui étudient le français à l’Université Lancastre? Entre la terre et la lune, c’est à dire lorsque je rêvasse à ces problèmes le vendredi soir dans mon chesterfield-paquebot en contemplant d’un œil éteint des vidéo-clips bigarrés et chorégraphiques. Je me charpente alors une petite ethnographie sauvage, et me plais à subdiviser ces gens, pour lesquels je grommelle un peu, travaille assez et jubile beaucoup, en trois catégories: les PAUMÉS DE FAC DE LETTRE, les DIDACTICIENNES BON TEINT et les AMI(E)S DES LANGUES.

Le PAUMÉ DE FAC DE LETTRE est souvent un homme. Grand, baraqué, coiffé à la mode. Tout, sauf les études françaises, absolument tout lui réussit. Un jour, il sera à la tête d’une petite entreprise de pose de tuiles extérieures ou pilotera un avion. Mais papa a dit que rien de tout cela n’était possible sans un premier cycle universitaire. Il est donc entré en droit, a bifurqué parce que c’est rasoir, et le voici qui débarque, sabre au clair, comme un corsaire sans ancêtre. Mes misanthropes frileux, aux longs pardessus, voient le paumé de fac de lettre venir de loin et, généralement, l’épinglent sur le mur du fond de la classe, où il est souvent déjà adossé, comme un mauvais scolopendre. Or, quitte à passer pour une goutte de rosée qui se prend pour Jean-Henri Fabre métissé d’Albert Schweitzer, je proclame haut et fort que le paumé de fac de lettre a des droits, et que ce qu’il perd en instruction exhaustive et docte contenu, il le gagne en orientation et réflexion sur ses priorités d’avenir. Ses échecs d’aujourd’hui sont le soliveau de ses réussites de demain… il est donc capital de lui faire vivre le plus dignement possible ses échecs d’aujourd’hui.

La DIDACTICIENNE BON TEINT est presque toujours une femme. Tenue correcte, rectitude et grammaticalité, discrétion. Il faut la questionner pour qu’elle parle. Elle est sans histoire. Mais quand on sait que, comme disait le vieux Lénine, l’histoire se développe toujours par son mauvais côté, on reste rêveur devant la didacticienne bon teint. On tend d’abord une oreille vers les misanthropes, qui se sont, pour la circonstance, costumés en historiographes. Ils ont mis leurs grands chapeaux cirés et drapent leurs pardessus dégoulinant de pluie vinaigrée. Ils sont unanimes: les étudiants de pédagogie sont des philistins, des incapables, des conformistes, des impotents. Et pourtant, elle a un lac dans l’oeil, notre didacticienne bon teint. On n’y voit qu’une eau dormante, alors que des courants profonds remuent l’organisation entière comme un lent maelstrom. Prudence, patience… qui aurait dit que la rosée peut soulever un homme? Octobre, novembre… et soudain des flaques lourdes de talent maculent des pages entières, du génie —je pèse mes mots— éclabousse des copies d’examens. Cela arrive, la première fois, généralement pendant un test sur table, au coeur d’une de ces questions à développement-muraille en face de laquelle tout le monde finit les uns sur les autres comme une pile de crêpes. Alors, quand on n’attend plus rien, la petite didacticienne bon teint éclate littéralement comme une chrysalide, et s’élève. Et cela se répète, et cela se confirme, et cela se consolide. Elle si menue, la voici soudain grande. Elle si discrète, la voici soudain loquace. Elle l’inconnue, voici que toute la classe se tourne vers elle et approche ses lèvres de l’oasis inattendu. Là s’arrête sec la ressemblance entre un groupe de nos étudiants et un troupeau de gnous d’Afrique, soit dit d’ailleurs en aparté.

Troisième catégorie: L’AMI(E) DES LANGUES. On pourrait tout aussi bien l’appeler l’ami(e) des lettres, ou des livres, ou du verbe, ou des gens, la dilettante-spécialisée, l’homme de culture, la chevalière des causes perdues, le chanteur de cabaret, l’animatrice de radio, Scaramouche, Rigoletto, Zapata, Tutti quanti. C’est un homme, c’est une femme, c’est tout cela à la fois. C’est un philanthrope débonnaire et contemplatif, c’est une polyglotte échevelée qui cherche vos accents et vos expressions idiomatiques comme elle traquerait du fil d’or dans votre chevelure. C’est la lutte des anciens et des modernes en une seule joute cruciale. C’est une personnalité attachante, scintillante comme le miroir de la loge d’une diva. C’est une tornade musicale jaillie d’une corne, et nos misanthropes en chapeaux et pardessus en ont oublié de sortir de Jéricho. Ils sont pris dans le courant ascendant comme le vieux Cyrano, ils sont sous le charme, ils sont séduits, étonnés, presque enthousiastes. Ils remontent. Et l’ami(e) des langues virevolte comme une sarabande de dominos, elle pétarade comme un jour de fête. Surtout, il/elle parle, parle, parle dans toutes ces langues qu’elle connaît et qu’il adore. Il/elle parle de tout dans toutes ses langues et parle de ces langues. On l’écoute, médusé, comparer des nuances sémantiques subtiles comme des gemmes étranges et fins, doser des quantités sonores comme des élixirs mystérieux, embrasser tous ces idiomes à la fois comme une gerbe, faire de-la-linguistique-sans-le-savoir comme une sorte de Monsieur Jourdain pantagruélique.

Je ne saurais assommer ici mon lecteur et ma lectrice en lui déversant tout ce que je peux apprendre en une seule soirée sociale en compagnie d’une poignée de paumés de fac de lettre, de didacticiennes bon teint et d’ami(e)s des langues. Les premiers donnent de bonnes bourrades dans le dos de leur professeur de français en se félicitant de ses progrès en anglais, les secondes s’informent discrètement de mon projet de recherche et me proposent d’y investir leur formidables énergies, les troisièmes m’amènent les dernières nouvelles sur certains morphèmes pronominaux de l’anglais vernaculaire ou sur le système des formules de politesse en dialecte de la Calabre. Je me sens alors le plus heureux des hommes, ce qui est fort banal pour un ami du genre humain… mais fort extraordinaire pour une goutte de rosée sélénite!

J’épinglerai un petit mot de conclusion pour les traqueurs de ligne thématique: j’aime beaucoup les étudiants de français de l’Université Lancastre… ils me font monter encore plus haut que je ne fit jadis monter Cyrano.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Islam et incroyance

Posted by Ysengrimus sur 7 décembre 2017

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Au départ, ici, l’affaire est parfaitement limpide: il n’y a tout simplement pas de mansuétude musulmane pour les incroyants. Il faut ne pas les reconnaître (dans tous les sens du terme) et, surtout, il faut les combattre, non pour les détruire (Que de générations avons-nous anéanties avant eux! – ronflante, l’idée est en fait hypertrophiée dans l’intox médiatique actuelle – je n’épilogue pas) mais bien plutôt pour les convertir. Le Coran fait tonner contre l’incroyance (ou ce qu’il désigne comme telle, en ratissant large) toute la fermeté habituelle du discours des prophéties monothéistes révélées. Çad (Ṣād) est une lettre de l’alphabet arabe qui est aussi le titre de la sourate 38 (tout simplement parce que c’est sur cette lettre que s’amorce l’écriture de cette sourate). L’ouverture de la sourate Çad, très explicite contre l’incroyance, va nous permettre d’entrer dans notre développement:

Çad.

Par le Coran, porteur du Rappel!
Les incrédules persistent
dans l’orgueil et le schisme.

Que de générations avons-nous anéanties avant eux!
Ces gens là criaient,
alors qu’il n’était plus temps de s’échapper.

Ils s’étonnent
que vienne à eux
un avertisseur pris parmi eux.

Les incrédules disent:
«C’est un sorcier, un grand menteur!
Va-t-il réduire les divinités à un Dieu unique?
Voilà une chose étrange!»

Les chefs du peuple se sont retirés en disant:
«Partez!
Soyez fidèles à vos divinités!
Voilà une chose souhaitable!

Nous n’avions jamais entendu dire cela
dans la religion précédente.
Ce n’est qu’une invention!

Est-ce donc parmi vous, sur celui-ci
que l’on a fait descendre le Rappel?»

Ce sont eux plutôt qui doutent de mon Rappel.
Ils n’ont pas encore goûté à mon châtiment.

Possèdent-ils
les trésors de la miséricorde de ton Seigneur,
le Tout-puissant, le continuel Donateur?

Possèdent-ils
la royauté des cieux, de la terre
et de ce qui se trouve entre les deux?

Qu’ils montent donc au ciel avec des cordes!
-Mais c’est une bande de factieux
qui, ici même, sera détruite-

Le peuple de Noé,
les ‘Ad et Pharaon, avec ses épieux,
les Thamoud, le peuple de Loth,
Les hommes d’al’Aïka
avaient crié au mensonge avant eux.
Tel est le comportement des factieux.

Aucun d’entre eux ne s’est abstenu
de traiter les Prophètes de menteurs.
Ils ont mérité mon châtiment.
Ceux-là n’ont qu’à attendre un seul Cri
qui ne sera pas répété.

(Le Coran, Sourate 38, Çad. versets 1-15, traduction D. Masson)

Le Coran ne fait pas ici une admission banale. Il est explicite sur le fait que la révélation prophétique ne se formule pas contre une mécréance qui serait écrue, vierge, vide, livide et sans a priori intellectuels, mais bien contre une lourde et dense tradition polythéiste, organisée et politisée. Va-t-il réduire les divinités à un Dieu unique? disent les «incrédules» qui se surprennent comme convulsivement du propos novateur d’un des prophètes monothéistes. Et les chefs de ces peuplades intellectuellement arriérées (je seconde pleinement les musulmans sur ce point) de confirmer autoritairement leurs sujets dans leurs vieilles croyances. L’immense combat du Coran contre la non-croyance fait face (ou croit faire face) quasi-exclusivement à la non-croyance en un dieu unique et intangible. Ceci est important. Ce n’est pas la religion ou la religiosité qu’on installe ici. C’est le monothéisme. Très classiquement, on passe de la multitude compliquée et turlupinée de dieux concrets, idolâtrables, et sensoriels/sensuels au seul dieu abstrait, adorable, aux assises (se voulant) exclusivement logico-discursives. C’est là une avancée critique majeure et, toujours prudents et politiquement pragmatiques et tactiques, les nouveaux zélateurs verront bien à camoufler la radicalité novatrice de ce progrès de la pensée mythique dans les replis onctueux d’une vaste filiation traditionnelle qui se voudra la plus vénérable possible.

Très importante, dans cette dynamique d’innovation circonspecte se voulant sciemment traditionaliste, est la notion de Rappel. Le propos coranique juge, en conscience, qu’il ne fait pas dans la tendance nouvelle-nouvelle à la page, sautillante et trépidante quand il lance ses avertissements contre les faux dieux. On a ici un rappel de ce que disaient déjà les très Anciens. Noé, Loth et Moussa (Moïse qui, donc, fut confronté à Pharaon et à ses épieux, possiblement les mâts de ses tentes de campagnes) sont connus pour avoir prêché soit le monothéisme, soit la moralité comportementale, soit les deux, avoir été rejetés, puis associés à une punition divine d’envergure de leurs objecteurs. D’autre part, les Ad sont le peuple yéménite auquel fut confronté le prophète Houd. Les Thamoud sont le peuple d’Arabie centrale auquel fut confronté le prophète Sâlih. Al Aïka est la contrée habitée par le peuple de Madian (en Palestine) auquel fut confronté le prophète Chou‘ayb. Ces trois très anciens prophètes arabes majeurs se sont retrouvés dans des situations analogues entre elles et, aussi, surtout, analogues à celle (évidemment ultérieure) vécue par Mahomet. D’ailleurs tous les prophètes monothéistes invoqués dans la sourate Çad (et les autres aussi, invoqués ailleurs dans le Coran: Ibrahim, Ismaël, Youssouf, Jésus, etc) anticipent frontalement l’appel monothéiste de Mahomet, dans le récit sacré (selon cette description en effet d’écho du prophétisme, procédure typiquement coranique). Bien connue dans ces traditions, récurrente, la situation est la suivante: un avertisseur inspiré du dieu unique se lève au milieu d’une population polythéiste et lui fait une promotion aussi ferme que mal entendue du passage au monothéisme. Après, habituellement, ça se passe assez mal et dieu finit par s’en mêler:

Si les habitants de cette citée avaient cru;
s’ils avaient craint Dieu;
nous leur aurions certainement accordé
les bénédictions du ciel et de la terre.

Mais ils ont crié au mensonge.
Nous les avons emportés
à cause de leurs mauvaises actions.

Les habitants de cette cité sont-ils sûrs
que notre rigueur ne les atteindra pas la nuit,
tandis qu’ils dorment?

Les habitants de cette cité sont-ils sûrs
que notre rigueur ne les atteindra pas le jour
tandis qu’ils s’amusent.

Sont-ils à l’abri du stratagème de Dieu?
Seuls les perdants
se croient à l’abri du stratagème de Dieu.

Ou bien n’a-t-il pas montré
à ceux qui héritent la terre
après ses premiers occupants,
que si nous le voulions,
nous leur enverrions quelque adversité,
à cause de leurs péchés.
Nous mettrons un sceau sur leurs cœurs
et ils n’entendront plus rien.

Voici les cités dont nous te racontons l’histoire.
Leurs prophètes étaient venus à eux
avec des preuves évidentes,
mais ils ne crurent pas
dans ce qu’ils avaient auparavant traité de mensonges.
Voilà comment Dieu met un sceau
sur le cœur des incrédules.

Nous n’avons trouvé,
chez la plupart d’entre eux
aucune trace d’alliance
et nous avons trouvé
que la plupart d’entre eux sont pervers.

(Le Coran, Sourate 7, Al‘Araf [les hauteurs, le discernement]. versets 96-102, traduction D. Masson)

Le Coran est pleinement tributaire de ce prophétisme catastrophiste classique, qui rappelle Sodome, Gomorrhe & Consort (S’ils recommencent, qu’ils se rappellent alors l’exemple des Anciens). J’attire cependant, dans cette seconde citation, très représentative, du bon vieux tonnerre divin contre les indigents du monothéisme, votre attention sur une notion malicieuse qu’on n’attend pourtant pas vraiment, quand il s’agit de l’omnipotence courroucée de l’être suprême. J’ai nommé: le stratagème de dieu. Il intrigue, lui, quand on relis plus attentivement cette citation de la sourate 7. Agacement à part, on nous y parle en effet du fait que dieu, pour en venir à imposer ses preuves évidentes, use, un peu paradoxalement, d’un stratagème… voilà qui n’est ni banal, ni anodin, ni marginal. C’est vachement moderne aussi, cette fois-ci, cette façon de se formuler et de se courroucer. On prend la mesure dudit stratagème quand on s’avise du fait que l’entêtement des polythéistes à ne pas accepter le dieu unique est lui-même un choix punitif fait par dieu (Voilà comment Dieu met un sceau sur le cœur des incrédules), un bon tour qu’il leur joue, littéralement, pour des raisons morales (si nous le voulions, nous leur enverrions quelque adversité, à cause de leurs péchés. Nous mettrons un sceau sur leurs cœurs et ils n’entendront plus rien). Les choses se compliquent subitement et, pour reprendre le mot coranique, il y a bien quelque chose de subtilement pervers qui s’installe ici. On fera inévitablement observer que les adeptes du dieu unique ne sont pas trop chauds à admettre ces résistances passéistes à leur endoctrinement car elles sont toutes autant d’esquintes à l’omnipotence de leur être suprême, pourtant totalisant et habituellement peu enclin à la nuance casuiste. Il faut donc remettre ces résistances et ces incrédulités dans le grand cadre décisionnel (et fatalement punitif) du divin qui. de ce fait, perd subitement en limpidité, en simplicité, en puissance, se complique, se tortillonne, se problématise… Et cela se met à sérieusement finasser et, redisons-le, à faire dans le stratagème:

Lorsque les incrédules usent de stratagèmes contre toi,
pour s’emparer de toi,
pour te tuer ou pour t’expulser;
s’ils usent de stratagèmes,
Dieu aussi use de stratagèmes
et c’est Dieu qui est le plus fort en stratagèmes.

Lorsque nos Versets leurs étaient récités,
ils disaient:
«Oui, nous avons entendu!
Nous en dirions autant, si nous le voulions;
ce ne sont que des histoires racontées par les Anciens».

Lorsqu’ils disaient:
«Ô Dieu!
Si cela est la Vérité venue de toi,
fais tomber du ciel des pierres sur nous,
ou bien, apporte nous un châtiment douloureux».

Mais Dieu ne veut pas les châtier
alors que tu es au milieux d’eux.
Dieu ne les châtie pas
quand ils demandent pardon.

Pourquoi Dieu ne les punirait-il pas?
Ils écartent les croyants de la Mosquée sacrée,
et ils ne sont pas ses amis.
Ses amis sont seulement ceux qui le craignent;
mais la plupart des hommes ne savent rien.

Leur prière à la Maison
n’est que sifflements et battements de mains…
«Goûtez donc le châtiment de votre incrédulité!»

Oui, les incrédules dépenseront leurs biens
pour éloigner les hommes du chemin de Dieu.
Ils les dépenseront,
puis ils déploreront de l’avoir fait
et ils seront ensuite vaincus.

Les incrédules seront réunis dans la Géhenne,
pour que Dieu sépare le mauvais du bon;
qu’il entasse les mauvais les uns sur les autres,
puis qu’il les amoncelle tous ensemble
et qu’il les mette dans la Géhenne.
-Voilà les perdants-

Dis aux incrédules que s’ils cessent,
on leur pardonnera ce qui est passé.
S’ils recommencent,
qu’ils se rappellent alors l’exemple des Anciens.

Combattez-les
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition,
et que le culte soit rendu à Dieu en sa totalité.
S’ils cessent le combat,
qu’ils sachent
que Dieu sait parfaitement ce qu’ils font.

S’ils tournent le dos,
sachez que Dieu est votre Maître,
un excellent Maître, un excellent Défenseur!

(Le Coran, Sourate 8, Le butin. versets 30-40, traduction D. Masson)

À ce point-ci, le jeu du chat et de la souris entre les musulmans et les incrédules, c’est plus seulement du stratagème. C’est carrément de la stratégie. Stratégie militaire notamment (Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition…). En me pardonnant une analogie un peu mutine, vous me permettrez de faire observer qu’on nous annonce ici que tout se passe comme si les croyants, encore minoritaires, étaient comme pris en otage, face au dieu, par les incrédules qui les cernent et qui les transforment, volontairement ou non, en une sorte de bouclier humain (Mais Dieu ne veut pas les châtier alors que tu es au milieux d’eux). Et lesdits incrédules, par contre, ne se gênent pas pour bien le narguer, le dieu («Ô Dieu! Si cela est la Vérité venue de toi, fais tomber du ciel des pierres sur nous, ou bien, apporte nous un châtiment douloureux»). On croirait presque que le prêche coranique décrit ici une bande de collégiens un peu potaches chahutant et faisant la sourde oreille face â l’autorité d’un maître qui, lui, visiblement, n’a pas que des amis (Ses amis sont seulement ceux qui le craignent). Et ce maître, qui ne veut/ne peut pas vraiment punir, de tonner: vous vous croyez fin-finauds, mais le maître aussi est fin-finaud, vous allez dépenser toute votre menue monnaie avant de le surclasser… Puis: bon, bon, si vous vous calmez, les enfants, je suis bien prêt à passer l’éponge (Dis aux incrédules que s’ils cessent, on leur pardonnera ce qui est passé). Mais, le calme revenu, n’allez surtout pas vous imaginer que je comprend pas ce qui se trame ici, les amis (S’ils cessent le combat, qu’ils sachent que Dieu sait parfaitement ce qu’ils font). Il est difficile de ne pas se dire que le prêcheur (le Coran, comme texte conseillant ici les croyants sur leur marche à suivre face aux incrédules) a sur tout ceci, en fait, beaucoup plus de fil à retordre qu’il ne se sent prêt à s’engager à l’admettre. Le fait est que ses problèmes prosélytes ne se réduisent peut-être pas tout à fait à la problématique archaïque et solidement balisée de la conversion au monothéisme d’une irrationalité religieuse éparse, sauvageonne, sensualiste, vieillotte mais somme toute préservée intacte, disponible et convertible.

Si bien que la question en vient fatalement à se poser, livide. Le Coran n’a-t-il pas été, même en son temps, directement confronté à l’athéisme au sens fort (la non-croyance intégrale en un dieu ou des dieux). N’a-t-il pas du commenter, et analyser (donc implicitement admettre), l’incroyance pure, exempte de religiosités ou croyances antérieures d’aucune sorte. Chercher de l’athéisme dans le Coran, c’est vraiment chercher une aiguille dans une botte de foin. Et pourtant, eh bien, tendanciellement, on trouve… Observer ce court passage où le prêche coranique, derechef (comme il le fait souvent), explique au «militant» musulman comment il doit se comporter face à l’incroyance:

Pose cette question aux incrédules:
Sont-ils plus forts de constitution
que d’autres êtres créés aussi par nous?
Nous les avons créés d’argile durcie.

Tu t’étonnes et ils plaisantent.
Quand on leur rappelle quelque chose,
ils ne s’en souviennent pas.

Quand ils voient un Signe,
ils veulent s’en moquer
et ils disent:
«Cela n’est que magie notoire [sic]!
Lorsque nous serons morts
et que nous serons poussière et ossements,
Serons-nous ressuscités,
nous-même et nos premiers ancêtres aussi?»

Dis:
«Oui, et vous vous humilierez!»

(Le Coran, Sourate 37, Ceux qui sont placés en rang. versets 11-18, traduction D. Masson)

Dans ce texte du septième siècle, on s’approche singulièrement du type de procédé que des prêcheurs contemporains utilisent pour tenter d’ébranler des personnes non seulement indifférentes à une doctrine religieuse qui serait inusitée, incongrue, vieille (magie notoire) ou nouvelle mais aussi des personnes imbues d’une tranquillité éclairée et d’une paix froide face au tout de l’irrationalité religieuse, en soi. On s’offusque de leur indifférence intégrale devant tout ce qui pourrait procéder de l’au-delà (Lorsque nous serons morts et que nous serons poussière et ossements). Et de recommander au musulman de les ébranler avec un argument d’une singulière modernité ès préchi-précha: la peur de la faiblesse corporelle et de la mort physique (Pose cette question aux incrédules: Sont-ils plus forts de constitution que d’autres êtres créés aussi par nous?). On voit fort mal ce genre de dynamique argumentative se déployer devant des polythéistes qui, eux, restent intégralement pétris de vieilles croyances et de pulsions en faveur de l’au-delà.

Le Coran voudrait que l’on pense qu’il ne fait face qu’à de mauvais religieux (des polythéistes), ou à des monothéistes incomplets (des croyants en un dieu unique, mais non-musulmans), ou à des dépravés immoraux des deux groupes précédemment mentionnés (des «pervers» dévoyés ou mal islamisés). Il lui est extrêmement difficile d’admettre l’athéisme, sans le réduire de facto aux trois cas de figure précédents. Être sans dieu et sans croyance irrationnelle c’est, aux vues du prêche coranique, probablement juste d’avoir oublié dieu (Quand on leur rappelle quelque chose, ils ne s’en souviennent pas) ou de ne pas décoder son message (Quand ils voient un Signe, ils veulent s’en moquer). Sur ce point, les musulmans modernes sont, eux aussi, solidement coranistes, même si, technologie oblige, ils ne peuvent désormais plus s’exclamer, contre les incrédules: Qu’ils montent donc au ciel avec des cordes!

Les musulmans ont peur de l’athéisme comme la nature était autrefois censée avoir peur du vide. Ils ne l’admettent pas comme fait ordinaire, ne le cadrent pas, ne le piffent pas… malgré certains aveux involontaires de leur texte sacré, lumineux, lui, en cela aussi. Et, comme le Coran finalement, les musulmans se leurrent ouvertement au sujet de l’inexistence de dieu, dans les faits et dans les consciences. Car l’athéisme est. Et il existe pleinement, depuis des temps fort reculés. Une lecture attentive du Coran confirme que le texte sacré de l’Islam s’en avise et impitoyablement, fatalement, et comme désespérément, s’en insurge.

Athee-sur-cher

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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Sissi

Posted by Ysengrimus sur 1 décembre 2017

François-Joseph (Karlheinz Böhm) et Sissi (Romy Schneider), empereur et impératrice d’Autriche

François-Joseph (Karlheinz Böhm) et Sissi (Romy Schneider), empereur et impératrice d’Autriche

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Il y a soixante ans se terminait le cycle des Sissi, formé des longs-métrages Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957). Cette fausse trilogie (un quatrième opus était prévu mais Romy Schneider a refusé quatre-vingt millions de dollars du temps pour y jouer, écœurée qu’elle était du rôle) apparaît comme une des plus ostensibles romances ruritaniennes cinématographiques du siècle dernier. Cela se passe dans un empire qui n’existait déjà plus au temps du tournage et cela épingle les principales caractéristiques un peu toc du pouvoir impérial post-bonaparteux à l’européenne d’autrefois en imagerie d’Épinal. Il est crucial de noter, pour la saine et incisive curiosité, que ces trois films ne sortent pas de l’usine à saucisses d’Hollywood. Réalisés en Autriche par Ernst Marischka (1893-1963), avec des acteurs et des actrices du cru et en grande partie sur des sites historiques, ces trois nanars irrésistibles cultivent néanmoins tous les tics hollywoodiens imaginables du temps, notamment une nette atténuation romanesque de la dureté, de la complexité et de la malpropreté des événements historiques évoqués.

Sissi, c’est Élisabeth de Bavière (1837-1898), impératrice d’Autriche, épouse de l’empereur François-Joseph Premier d’Autriche (1830-1916). Au départ, on nous la fait à la petite princesse montagnarde qui aime se promener en forêt avec son papa à carabine de chasse et chapeau tyrolien avec plumeau, le duc de Bavière. La fringante jouvencelle Sissi a des chevaux, des chiens, une volière et un petit faon apprivoisé qui s’appelle Xavier. Rien ne destine cette garçonne turbulente à rien de précis mais sa maman, la duchesse Ludovica de Bavière, est en train de tambouiller une combine avec sa sœur, l’impératrice Sophie d’Autriche, mère de François-Joseph. Les deux femmes ont décidé, entre elles comme ça, que la sœur aînée de Sissi, Hélène de Bavière, sera l’épouse de François-Joseph et l’impératrice d’Autriche. L’alliance est politique. Il s’agit de renforcer les liens dynastiques entre l’Autriche et la Bavière. Comme Ludovica ne veut pas que son mari flaire le coup fourré et s’interpose, elle décide, pour noyer le poisson, d’amener tout innocemment ses deux grandes filles, Hélène et Sissi, à la cour de Vienne, en prétextant un petit voyage sympa pour aller voir leur tante. Sissi sert donc de camouflage pour la combine maritale en préparation, impliquant sa sœur aînée. Le duc de Bavière n’y voit que du feu et il en profite pour jouer aux quilles et faire la fête avec sa demi-douzaine d’autres garçons et filles, marmaille turbulente et joyeuse. Pendant ce temps, dans une ambiance palatine digne d’un Marivaux de petit calibre, le jeune empereur autrichien va s’enticher non pas de la jeune femme de dix-neuf ans qu’on lui destinait, sobre, posée et un peu mièvre, mais de la remuante gogole de quinze ans qui aime la chasse, la cavalerie, les balades montagnardes, la poésie déclamée et le grand air. Comme une princesse bavaroise en vaut bien une autre, l’impératrice-mère Sophie assume éventuellement ce choix et les grandes dames s’arrangent. Mais le conflit larvé entre la jeune femme et sa future belle-mère ne fait que commencer. Surtout que Sissi a le net sentiment de s’être fait cueillir comme une fleur par les viennois, sans qu’on lui demande trop son avis sur le tout de la chose. Et elle a horreur de jouer dans les cheveux sentimentaux de sa sœur, comme ça. Cette dernière est d’ailleurs dévastée. Mais ce qui est est. Voici Sissi catapultée, contre toutes attentes, impératrice d’Autriche. Nous sommes en 1853-1854, par là.

Mariage puis fariboles protocolaires de la cour. La jeune impératrice découvre qu’il lui faut, entre autres, apprendre les langues de l’empire, le croate, le tchèque, et surtout le hongrois. Elle établit un lien cordial avec son vieil instructeur de hongrois qui profite de l’occasion pour lui faire à fond la promo de son beau et majestueux pays. Les hobereaux hongrois s’étaient très intensément soulevés contre l’empereur autrichien, leur suzerain, pendant les révolutions de 1848, et au retour de la réaction nobiliaire, le conseil privé de l’empire ainsi que la maman impériale Sophie, tenaient à ce qu’on exécute impitoyablement les meneurs insurrectionnels hongrois de 1848, pour bien replacer ces sauvages en fourrures sous le joug. Sissi intercède auprès de François-Joseph pour qu’il fasse preuve de clémence sur la question hongroise. Celui-ci accepte car il ne voit pas trop l’intérêt politique d’exacerber ces gens en leur zigouillant leurs meneurs, une fois le calme revenu. Un grand bal est organisé à la cour de Vienne, notamment pour tendre le rameau d’olivier aux hobereaux hongrois, sauvages et fiers. Ceux-ci, encore lourdement affligés par les perturbations dynastiques de 1848-1852, ont une grande sensibilité gynocrate. Ils aiment les reines. Or l’impératrice-mère Sophie n’attrape pas le ballon. Hautaine, autoritaire, germanocentrée, impériale à l’ancienne, frustrée que ces provinciaux remuants n’aient pas été matés, elle fait tout pour contrarier les nobles hongrois. Ceux-ci sentent son arrogance et se préparent à tout simplement se barrer du palais de Vienne, drapés dans leur dignité. Le tout est gros de conséquences violentes futures. Sissi, encore jeune mais déjà fine mouche, flaire que ça sent le suif et, en misant sur la confiance implicite de son prince envers elle, elle porte un solide coup symbolique. Elle invite très ouvertement le comte hongrois Andrássy à lancer la grande valse avec elle. Attrapant mieux le ballon que sa mère, François-Joseph se pose en second valseur en compagnie d’une princesse hongroise. Les hobereaux hongrois sont rassérénés. La déjà puissante dégaine de reine irradiant de Sissi les rassure. Ils ne se barrent plus. L’Autriche-Hongrie est sur le point de naître.

Sissi accouche peu de temps après d’une petite fille. Ce sera alors là le premier vrai pataquès du couple impérial. En effet, François-Joseph lui saute son babi et le confie à l’impératrice-mère Sophie. Les deux jugent Sissi trop gogole et mal dégrossie pour élever un babi, surtout un babi de la haute. Sissi est furax et se barre ipso facto en Bavière. Ses oiseaux sont tous revenus dans leur volière et même le faon Xavier est revenu virailler autour du manoir. Froid et bouderie au sommet. Les parents de Sissi sont atterrés. Mais François-Joseph est bien couillonné dans l’affaire. Non seulement il aime trop profondément Sissi pour se passer d’elle à Vienne mais, en plus, il sent bien que les ombrageux de son immense duché hongrois ne rouleront avec lui face aux Russes et aux Prussiens que s’il est flanqué de cette figure impériale féminine qu’ils admirent et adulent déjà tant. François-Joseph juge en conscience que Sissi est peut-être remuante et gogole un max mais elle lui a conquis plus de territoires que bien des armées et le tout, sans la moindre effusion de sang. Il va falloir composer. Sissi et sa mère (notons pour la bonne bouche que la maman de Sissi est jouée par la maman de Romy Schneider — nanar, nanar, nanar) remontent à Vienne. Ludovica parle à sa sœur, l’impératrice-mère Sophie. Sissi se fait tirer par la manche et finalement elle finit par accepter de rencontrer derechef les hobereaux hongrois, présents en grande pompe à Vienne. Ceux-ci lui demandent solennellement et officiellement de devenir leur souveraine. On rend sa petite fille à Sissi et elle est couronnée reine de Hongrie, avec François-Joseph comme prince consort, protecteur du Royaume Magyar. Un autre pas décisif vers la notion à venir d’Autriche-Hongrie est franchi. Inutile de dire ou de redire que tout ça se passe bien mieux au cinéma que ça ne s’est passé dans la vraie vie.

Enfin voici Sissi, reine de Hongrie. Elle aime beaucoup plus cette culture sauvage, paysanne et libre que le ton guindé et empesé de la cour de Vienne. Elle passe donc beaucoup de temps dans son Royaume Magyar. François-Joseph respecte les choix de son épouse. Une reine doit coudoyer ses sujets. C’est la loi du genre. Concentrée, méthodique, Sissi œuvre diplomatiquement, patiemment, à se rallier les derniers hobereaux hongrois braqués contre l’Autriche. Elle fait aussi du cheval dans la forêt hongroise avec toute une coterie en cavalcade, dont le comte Andrássy. Celui-ci fonctionne comme son aide de camp et chevalier servant, en terre hongroise. Lors d’une promenade pédestre en forêt, par temps froids, ils tombent sur des tziganes qui campent dans le coin. Sissi s’intéresse aux romanichels, qui sont aussi ses sujets. Elle se fait lire dans les lignes de la main. En voulant séparer un couple tzigane en train de se chamailler, la reine se prend accidentellement un seau d’eau froide à travers le corps. On se replie en vitesse, en houspillant les tziganes. Mais, peu de temps après, Sissi tousse et a mal au bide. C’est le cas de le dire: le bide. Rien ne s’arrange quand son aide de camp comtal se met à lui faire des déclarations d’amour. Or Sissi l’impératrice, c’est pas la Reine Margot, si vous voyez ce que je veux dire (et ça, cette rectitude maritale de Sissi, il semble bien que ce soit historique). Sissi rebuffe explicitement le comte Andrássy et se barre à Vienne, retrouver son mari. Elle ne remettra plus les pieds en Hongrie. Mais sa santé se détériore alors tellement que ses médecins, la croyant foutue, lui recommandent d’aller sous les tropiques pour se soigner les poumons, une bonne fois. Elle se barre donc à Madère et y galère. Elle pense bien y crever. Sa maman vient la rejoindre. Cela la requinque. Les deux femmes et leur petite cour voyagent à Cordoue puis en Grèce. Et Sissi guérit. Inopinément, l’empire d’Autriche a des pépins sérieux avec ses possessions de Lombardie, de Vénitie, et du duché de Milan. Toutes ces terres ducales en ont plein le dos de la domination austro-ultramontaine et voudraient bien faire partie d’une République Italienne, en gestation dans tout le reste de la botte de terre. Quand François-Joseph apprend, sur l’entrefaite, que Sissi est miraculeusement guérie, il décide d’aller dare-dare la chercher en Méditerranée. Son conseil privé décide alors de combiner ces retrouvailles d’amoureux avec un coup de relations publiques auprès des Milanais, des Vénitiens, des Lombards et alii. Ils vont alors découvrir, ces braves germano-messieurs, que les Italiens sont bien plus malicieux et irrévérencieux que des barbares magyars.

Ainsi, à Milan, le couple impérial est invité à assister à un opéra. Au lieu d’ouvrir la représentation par l’hymne autrichien, tous les Italiens présents, orchestre de la Scala à l’appui, entonnent Le chœur des esclaves du Nabucco de Verdi. Les faux-nez de l’empereur se rendent alors compte avec horreur qu’à de rares exceptions, tous les nobles milanais se sont fait remplacer par leurs domestiques dans cette salle de concert. Au lieu de quitter les lieux, comme anticipé et souhaité par les dissidents milanais, la délégation autrichienne ne bronche pas d’un poil. À l’instigation ferme de Sissi, toujours fine mouche, les Autrichiens applaudissent, depuis leur balcon somptuaire, la prestation musicale et chorale de l’orchestre et du parterre. La réception impériale a ensuite lieu dans les formes et tous ces «nobles» sont présentés un par un à Sissi et François-Joseph qui, eux, donnent le change, à fond les ballons. Les vrais nobles milanais sont donc complètement mis sur la touche. Ils ont eu l’air de rustres ne valant pas mieux que les cochers et les cuisinières qu’ils avaient délégués pour faire couler une soirée qui pourtant flotta parfaitement sans eux. Quelques jours plus tard, dans une scène particulièrement grandiose, François-Joseph, Sissi et leur suite traversent Venise dans une procession d’immenses gondoles colorées. Silence de mort et volets fermés, sur les hautes façades vénitiennes. Les visiteurs impériaux se font dérouler un titanesque drapeau de la République Italienne devant la poire, sur lesdites façades. François-Joseph trouve que ce mutisme intégral, cette absence de liesse, ce silence opaque, c’est pire qu’un attentat. Le cortège nautique passe donc dans Venise sans être acclamé, jusqu’à ce qu’une fois arrivée sur la Place Saint Marc, Sissi remarque que sa gamine l’attend au bout de l’interminable tapis rouge. Oubliant tout, l’impératrice court rejoindre son enfant, sa grande robe blanche volant au vent, et elle s’agenouille pour l’étreindre. Spontané et émotif, toujours grandiose mais frais et pur, ce moment ne fait pas partie du décorum prévu. Les Vénitiens émus crient alors Viva la mama! Et la liesse explose enfin. Ils ont cédé au charme immédiat de Sissi et de son enfant mais que va-t-il se passer après? Eh bien, nous ne le saurons jamais. C’est que le dernier long-métrage Sissi se termine ainsi, sur le couple impérial et leur babi acclamés par la foule vénitienne, en Place Saint Marc. Et Ernst Marischka n’a jamais pu tourner son quatrième et dernier opus sissiesque…

Les films Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957), c’est un peu ni plus ni moins que le Gone with the wind des Européens. Un cinéma grandiose, léché, typé, coloré, flamboyant, romanesque… et qui ne reviendra plus. Le succès de ce triple carton, passablement oublié aujourd’hui, fut, à l’époque, planétaire. Les versions françaises de cette trilogie sont excellentes et, en fermeture, je n’aurai que trois petits mots: vaut le détour.

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