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La laïcité, otage de notre ethnocentrisme

Posted by Ysengrimus sur 7 avril 2019

Le projet de loi 21 sur la laïcité est sur le point d’être soumis â l’Assemblée Nationale du Québec. Il prévoit que le port des ci-devant signes religieux sera interdit pour les employés de l’état en position d’autorité, comme les policiers, les juges, les gardiens de prisons, et les enseignants des écoles primaires et secondaires. Dans les faits, c’est le redémarrage en trombe du bon vieux harcèlement institutionnalisé des femmes voilées. Les 7 du Québec vont vous formuler ici, une bonne fois, leur position éditoriale sur cette question.

Lâchez-moi avec les figures d’autorité. Ce projet de loi inique postule de façon axiomatisée et sans contrôle, la notion autoritaire de figure d’autorité. Le pléonasme s’impose parce que l’autorité est une notion qu’il est fort malsain de postuler sans contrôle. Un policier n’est pas une autorité pour moi. C’est un type particulier de fonctionnaire civil, membre d’un corps constitué et chargé d’un certain nombre de fonctions de protections (d’ailleurs souvent abusées — les policiers sont les Pinkertons de la bourgeoisie, tout le monde le sait). Un juge est un agent de diffusion et d’imposition du droit bourgeois. Son pouvoir n’a rien à voir avec de l’autorité, au sens fondamental du terme. Une enseignante fait partie d’un appareil idéologique d’état dont l’autorité est inexistante (barouettée qu’elle est entre une bureaucratie scolaire trouillarde et des parents hélicoptères arrogants et arrivistes qui passent de plus en plus leur commande de pizza en traitant l’école comme une sorte de structure de gardiennage inféodée à leurs propres fantasmes autocrates). Mon hygiéniste dentaire, mon infirmière de première ligne et Robert Bibeau (directeur des 7 du Québec) ont plus d’autorité sur moi que tous ces guignols. La première parce que sa parole a une influence directe sur la qualité de mes dents, la seconde parce que sa pensée a une incidence profonde sur le tonus de mon corps, le troisième parce que sa vision du monde et son ascendant intellectuel influent mes conceptions, et mon action en conséquence. La notion inepte de figure d’autorité de ce projet de loi est un comédon bourgeois, solidement tributaire des dérives anti-démocratiques contemporaines les plus virulentes.

Le signe religieux, notion vaseuse. J’ai démontré ailleurs que le voile n’est pas un signe religieux. J’ai aussi fait observer que le kirpan est, lui, un signe religieux et qu’il est nuisible non comme signe religieux mais bien comme arme offensive. On ne va pas revenir là-dessus. C’est ici, juste ici, que notre ethnocentrisme s’installe confortablement, comme un pacha vautré sur son lit d’évidences bouffies. Sans analyse, ethnographique, historique ou autre, et du haut de notre chaire bien pensante de petit occidental étroit, on décrète implicitement que l’objet visible ceci ou cela (toujours d’origine exotique — ceci NB, les crucifix passent habituellement sous le radar) est un signe religieux. Pourtant, quand on donne vraiment la parole aux musulmanes, elles nous expliquent bien souvent que le voile est porté pour des raisons ethnoculturelles procédant assez fréquemment de la pudeur élémentaire. Mais nous, sourds ne voulant rien entendre, on décrète plutôt, dans le mouvement, le statut de signe de ces différents artefacts vestimentaires. On les traite alors comme on traiterait le macaron d’un militant politique ou la pancarte d’un homme-sandwich. Cettte sémiologisation de l’exotisme vestimentaire est un pur ethnocentrisme déguisé, rien de plus. On en revient, assez ouvertement, à la vieille logique de l’uniforme. On réintroduit des particularités unilatérales de conformité d’apparence, vieille lune réactionnaire que l’on croyait définitivement disparue de nos sociétés depuis les patatras juvénilistes des belles années yéyé. Nous sommes donc en train de solidement régresser sur un des droits de la personne le plus profond, celui de la tenue vestimentaire, qui procède de l’intimité corporelle longtemps, très longtemps avent de procéder des cultes. L’indice le plus criant qu’il n’y a rien de théologico-mystique dans tout ceci et que tout y procède en fait de la vie ordinaire la plus prosaïque, est révélé par le fait que ce sont principalement les femmes qui font l’objet d’attaques sur ceci. Ben oui… dans nos cultes patriarcaux malodorants, les femmes ne sont jamais des curés ou des imams, vous aviez pas remarqué? Elles ne sont jamais que des citoyennes ordinaires. Et, de tous temps, la résistance des femmes s’est manifestée dans l’intendance de leur apparence physique. Et de tous temps, elles ont été attaquées sur ce point par le phallocratisme classique. Ce type d’attaque et de traitement en bouc émissaire se perpétue aujourd’hui, tout simplement. Or, où sont nos féministes quand il s’agit de défendre le libre arbitre vestimentaire de nos compatriotes musulmanes?

Blâmer le Canada anglais. Nos compatriotes québécois du cru, eux, surtout ceux d’obédience droitière, se gargarisent dans les nuances byzantines du multiculturalisme et de l’interculturalisme. Cette distinction, creuse et verbaliste, est un moyen malsain pour nos compatriotes du cru d’accuser le Canada anglais d’être trop permissif et de nous imposer un laxisme communautariste qui serait anglo-saxon, et dont nous ne voudrions pas, par essence. C’est la vieille analyse voulant que le Canada anglais se serve perfidement des immigrants pour nous assimiler et nous emmerder. Il va falloir se réveiller et sortir un petit peu de nos lubies victimaires d’autrefois. L’occupant colonial canadien (copieusement méprisable d’autre part — là n’est pas la question) nous impose quoi finalement: une charte des droits assortie d’un solide mécanisme de clause dérogatoire. Ce mécanisme permet, sur des questions fondamentales, à une province de déroger de la charte des droits pour des raisons procédant, disons, des intérêts supérieurs de la nation (ici, la nation québécoise). La clause dérogatoire est ici automatiquement déclenchée au sein même du libellé du projet de loi 21. Autrement dit, le toutou rouge et blanc anglo-canadien va devoir rester à la niche et ne pourra pas nous imposer sa logique multiculturaliste disjointe de la nôtre (si disjonction il y a, tant que ça). Alors cessons de blâmer le Canada anglais. Il est hors du coup sur ce coup. Par contre, nos nationaleux petits-bourgeois vont devoir allumer leurs lumières sur un point. C’est que le Québec a, lui aussi, sa propre charte des droits fondamentaux, amplement singée sur celle du Canada anglais. Dans sa logique bourgeoise, aussi implacable qu’inepte, la nation québécoise ne pourra pas invoquer une clause dérogatoire contre sa propre charte des droits. C’est pas possible, c’est la nôtre, l’occupant colonial n’a rien à y voir. Et ça, le gouvernement québécois ne le dit pas trop fort. Les lamentations judiciaires (car lamentations judiciaires il y aura, sur le moyen et le long terme) n’auront qu’à s’appuyer sur une interprétation juridique de la charte québécoises des droits et libertés, sans que les anglo-canadiens n’aient rien à y voir. Le problème droit-de-l’hommiste de toute cette question reste donc entier. Même avec le Canada anglais hors du coup, la bombe à retardement des tribunaux reste entièrement amorcée.

Déréliction ou polarisation? Alors, revenons au hockey de base, comme on dit si bien chez nous. Que voulons-nous, dans toute cette histoire? Ethnocentrisme et malhonnêteté intellectuelle à part, à quoi aspirons-nous? Eh bien, notre petit consensus historique local est qu’on s’est assez fait mourir le cœur à sortir les curés du Québec (qui régnèrent, selon le modus vivendi d’une intendance théocratique coloniale typiquement victorienne, de 1840 à 1960), c’est pas pour laisser les mollah les remplacer. Ce qu’on veut, ce qu’on souhaite donc, c’est que notre déreliction sociétale, bien engagée depuis un demi-siècle, poursuive son cours tranquillement, sans se faire perturber par les effets indésirés d’une conjoncture migratoire. Il est important de comprendre ce point. Ceci n’est pas une croisade. La notion promue (hypocritement ou sincèrement) c’est la notion de laïcité, pas celle de christianité. Alors, on veut que tout le monde, immigrants inclus, découvre les vertus d’une civilisation permissive, non-cœrcitive, égalitaire, civique, et articulée en rationalité. Ce genre de programme civilisationnel (osons le mot), militant (pourquoi pas) doit se donner une méthode. Il faut, en un mot, que, graduellement, et par delà les réflexes autoprotecteurs typiques des diasporas déracinées, nos compatriotes de branches aient envie d’embrasser nos valeurs pluralistes et laïques, sereinement et sans crispation. Pensez-vous vraiment, en saine intendance, qu’une intervention autoritaire grossière et frontale de type projet de loi 21, va réaliser cet objectif? C’est de la bien mauvaise sociologie que de s’imaginer ça. On va tout simplement fabriquer des martyrs, et confirmer nos compatriotes de branches de la nécessité toxique et hautement malsaine d’invoquer l’autorité victimaire. On voulait la déreliction sereine et graduelle, on va se retrouver avec la polarisation abrupte et crispée. Ainsi, une portion significative de nos compatriotes qui auraient pu s’intégrer sans trompettes vont maintenant se braquer et résister, passivement ou activement, à notre vision du monde. C’est la perpétuation de l’Effet Drainville. Les extrémistes des deux bords vont adorer le projet de loi 21. Sa méthodologie déficiente va avoir l’effet contraire de ce qu’il affecte de souhaiter. On se prépare un bon lot d’emmerdements futurs et de radicalisations inutiles, évitables, pinailleuses, et non avenues. Il aurait fallu faire de l’extinction sur la question du voile. Il aurait fallu dire: je ne suis ni pour ni contre le voile, je suis pour le libre arbitre authentique. Ma compatriote musulmane veut garder son voile, elle a ma solidarité. Elle veut retirer son voile, elle a ma solidarité. Je l’accompagne patiemment et respectueusement dans sa réflexion intérieure, dans un sens ou dans l’autre, sans plus. Maintenant, on tourne le dos à ça. Maintenant, on prétend arracher le voile autoritairement alors qu’il suffisait simplement d’attendre qu’il tombe tout doucement de lui-même.

Ce que serait la vraie laïcité. Entre démagogie électoraliste et ethnocentrisme déguisé en grande idée, c’est pas de la laïcité qu’on aurait ici. La vraie laïcité consiste historiquement, dans nos civilisations, à retirer le pouvoir religieux des structures hospitalières (ça, c’est fait depuis l’après-guerre environ) et scolaires (ça c’est pas fait du tout). Aussi, si vous voulez un vrai projet de loi laïc, concevez-en un qui abolisse l’intégralité du financement public des écoles confessionnelles de tous tonneaux, protestantes et cathos inclues. Mieux, dans une vraie laïcité robespierriste ou léniniste, les écoles confessionnelles deviendraient tout simplement illégales et seraient démantelées au profit d’un système intégralement public et athée. On n’y est pas, au Québec. On en est loin. Or, quand on mentionne ce que serait la vraie laïcité effective à nos petits droitiers locaux, là c’est: mais les systèmes catho et protestant sont protégés par la constitution canadienne. On ne nous laissera jamais faire ça. Ah bon? Et la clause dérogatoire, elle est à géométrie variable? On est prêts à brandir le nonobstant de la clause dérogatoire quand il s’agit d’agresser stérilement nos compatriotes musulmanes dans leurs droits intimes. Mais quand il serait temps de mettre en éclisse les vraies structures malodorantes de propagande religieuse que sont les réseaux scolaires confessionnels, là, il y a plus personne, et surtout, plus de courage politique pour invoquer la susdite clause dérogatoire en faveur d’une vraie laïcité systémique. Alors lâchez-moi ici avec la laïcité, notion d’ailleurs empruntée tardivement aux français et fort mal dominée localement (on leur a piqué le mot sans assumer vraiment, comme ils le firent, la radicalité de la chose). La soi-disant laïcité, au nom de laquelle nous sautillons tous comme des cabris, n’intéresse pas vraiment nos gouvernementaux. Elle est ici tout simplement l’otage de notre ethnocentrisme, rien de plus.

Le capitalisme raffole des chicanes sociétales. Le projet de loi 21 est une ineptie d’un mur à l’autre. Il ne rencontrera pas ses objectifs (réels ou proclamés) et il va foutre la division, sans plus. Or, quand vous perpétuez des divisions de ce type dans une société de classe, c’est la majorité des masses que vous divisez contre elle-même. Or diviser les masses, dans les sociétés industrielles et post-industrielles, c’est diviser le prolétariat, toujours. Le capitalisme raffole de ce genre de chicanes sociétales. Tout le monde perd son temps avec ça, s’empoigne, chichine, monte au front en tous nos militantismes de toc, et rien n’avance pour ce qui en est de la seule lutte utile sous nos deux hémisphères: la lutte des classes. Ne cherchez pas la raison de cette promotion étatique de la distraction ethnocentriste. Elle ne sert même pas les convulsionnaires droitiers qui en vibrent de travers et finiront aussi couillonnés que les autres. Ce genre de disputes de chiffonniers, au propre et au figuré, sert le Capital, rien d‘autre. C’est une agitation de somnambules qui ne prépare qu’une seule chose: des réveils difficiles.

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