Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Plaidoyer pour une Rationalité ordinaire

Posted by Ysengrimus sur 7 février 2014

The-Missing-Puzzle-Piece

Il faut être rationnel. Voilà une valeur que plusieurs d’entre nous endossons ouvertement. Perso, je m’en réclame à fond et en vit, de l’éducation de mes enfants à la mise en place de tous les détails articulés et mobiles de mon armature idéologique. Mais qu’est-ce que cela veut dire exactement être rationnel? Quand on s’y arrête une minute, c’est pour se rendre compte que c’est moins directement palpable ou formulable qu’on se l’imagine de prime abord, cette affaire là. Oh, on comprend, d’une façon toujours un petit peu impressionniste, que cela signifie de garder la tête froide, de ne pas s’emporter ou s’emballer, de jauger toutes les implications d’une question, de mirer toutes les facettes d’une réalité, d’envisager toutes les avenues, de procéder avec méthode et sens critique, en gardant l’esprit bien ouvert. Mais, bon, la Rationalité ne se restreint pas au calme, au stoïcisme, au doute méthodique et à la saine systématicité contemplative. Il s’en faut de beaucoup. On semble ici énumérer plus les heureux symptômes de la chose Rationalité que procéder à la description de la chose même, dans son essence irréductible (si tant est…). Alors, en plus, pour faveur, évitons ici, si vous le voulez bien, sur une surface si brève et si directe, de nous gargariser triomphalement avec les acquis de la pensée scientifique. Il ne s’agit pas spécialement de les questionner séant, ces louables acquis, ni de dénoncer certains de leurs éventuels provignements irrationnels, positivistes ou autres, mais, plus simplement, d’éviter de s’y enfouir, s’y perdre et, plus prudemment, de voir à ne pas les sacraliser sans contrôle critique. On reparlera éventuellement de science et de scientisme. Pour le moment, laissons là, si vous voulez bien, la susdite science des scientifiques, des naturalistes et des laborantins et concentrons notre attention sur la gnoséologie, c’est-à-dire sur l’observation toute prosaïque de la pensée ordinaire dans les conditions matérielles et intellectuelles de la vie courante. Et, dans cette perspective mondaine, usuelle, regardons un petit peu à quoi peut bien ressembler cette Rationalité ordinaire que nous chantent tous les aèdes de la grande tapisserie polychrome du Bayeux foisonnant de l’argumentation vernaculaire.

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Principes

On va formuler nos principes définitoires ainsi, sans rougir:

(Donné) Empirique: l’ensemble des faits perçus ou perceptibles par les sens. Notion ontologique (procédant de la description de l’être), l’Empirique renvoie à ce qui est effectivement perçu ou directement perceptible. Au sujet du monde immédiat, nos sens sont grossièrement fiables. Ils nous trahissent certes, nous jouent des tours de ci de là assurément, mais en gros, ils tiennent la route. Francis Bacon disait que les sens sont un miroir déformant. Déformant, oui, oui, mais cela reste un miroir. On finit par développer l’aptitude de le redresser mentalement. L’Empirique ne s’oppose d’ailleurs pas au susdit mental mais bien au Non-Empirique (qui, lui, est mental OU matériel — et ce sera le Non-Empirique qui sera le problème central sur lequel la Rationalité aura prise). Il est effectivement capital de noter qu’une portion importante du Non-Empirique existe matériellement, simplement, hors du champ sensoriellement perceptible. La planète Jupiter (trop grosse et trop lointaine pour nos sens), un électron (trop petit pour nos sens), la tombe de Mozart (non localisée), l’original de Roue de bicyclette de Marcel Duchamp (perdu), le bruit de l’arbre tombant dans la forêt quand tu n’y es pas (et qui laisserait une trace sur un appareil enregistreur même en ton absence) sont des objets matériels qui ne sont pas (soit plus soit pas encore) des objets empiriques. Le Non-Empirique est le terrain privilégié sur lequel on se prend à raisonner… Tant que je cherche ma voiture dans le stationnement et ne la trouve pas, elle n’est pas empirique et alors… ouf, qu’est-ce que je gamberge, qu’est-ce que je corrèle. N’est empirique que ce qui est perçu par un ou plusieurs des sens ou immédiatement perceptible. L’Empirique fluctue avec la perception. Il est l’ondoiement tourbillonnant des visions, des sonorités et des odeurs. Jupiter, en pointant le bon télescope au bon moment, devient empirique. Elle n’est alors perçue que partiellement… comme absolument tout ce qui est empirique. Pour résumer, l’Empirique, c’est ce qu’on montre.

Rationalité (d’attitude ou de méthode): Attitude consistant à assoir la connaissance du Non-Empirique sur des démonstrations corrélantes, éventuellement vérifiables. Notion gnoséologique (procédant de la description de la connaissance), préférable à son vieux synonyme plus ambivalent de raison (celui-ci est souvent confondu avec les causes objectives ou les motivations subjectives), la Rationalité est au départ, une méthodologie ordinaire procédant d’un comportement d’ajustement compréhensif aux fluctuations de l’Empirique et ce, avant toutes choses, savoirs, ou connaissances indirectes. C’est là une activité si prosaïque et si courante qu’on la perd involontairement de vue. Tu aperçois ton meilleur ami au bout du chemin. Il te semble petit comme un insecte, pourtant tu ne t’en inquiètes pas. Le voici qui te serre contre lui. Vos visages sont très près. Il te semble un vrai géant, mais cela ne te terrorise pas. Tu ne le vois plus. Il est en retard à votre rendez-vous. Tu ne le crois pas disparu à jamais pour autant, malgré le néant que t’en montre ton œil. Oh, il arrive enfin, mais c’est la nuit noire. Il t’appelle. Tu ne le vois toujours pas, mais tu entends sa voix. Tu conclus à sa présence proche, malgré la finesse plus exagérée de ton oreille. Sa voix ne s’est pas séparée de son corps. Tu effectues la même prise de position implicite s’il te téléphone. Tu ne constates pas ces choses. Sur le coup, tu sembles même constater le contraire mais tu sais, sans doute possible, dans ces deux situations empiriques (arrivée en pleine noirceur ou coup de téléphone), que sa voix et son corps sont restés unis… Dans tous ces cas simples, ta Rationalité t’a fourni une connaissance supérieure à celle de tes sens. Ceux-ci nous guident très grossièrement. Ils nous sondent et nous tâtonnent le monde en première approximation. Mais, fondamentalement ajustante, notre Rationalité ordinaire redresse leurs distorsions inévitables, louables certes, jouissives parfois, mais fallacieuses. La Rationalité est une attitude ou méthode acquise pratiquement et qui apparaît tôt dans notre développement mental et social. Sans elle, on se prendrait vite les pieds dans le monde empirique. Pour résumer: la Rationalité s’approprie ce qu’on démontre.

Irrationalité (d’attitude ou de méthode): Attitude consistant à asseoir la connaissance du Non-Empirique sur des pulsions certifiantes de l’affect, ou des croyances traditionnellement reçues, mais, dans les deux types de cas, irréversiblement invérifiables. Notion gnoséologique, l’Irrationalité trouve sa lointaine origine dans le fait qu’un certain nombre de sensations fugaces mais tangibles n’ont pas d’existence matérielle objective. Ce sont, entre autres et pour ne nommer qu’elles, les images mentales oniriques, éthyliques ou hallucinatoires, souvent très intenses, susceptibles de nous susciter les plus vifs sursauts vespéraux ou nocturnes, mais sans fondement mondain (le monde de l’imperceptible… englobant, sans s’y restreindre, le monde de la fiction et de l’imaginaire intersubjectif). Que je te raconte l’anecdote de mon vieil ami Robert. Robert nous arrive un matin au cégep (c’était circa 1975-1976). Il avait rêvé, la nuit précédente, à une femme adorable qu’il ne connaissait absolument pas et qui lui avait laissé une très profonde impression amoureuse. Il nous jura, corps et âmes, que si jamais il rencontrait cette sublime inconnue, il la marierait. Je me souviens clairement qu’il la chercha même un moment, sur la foi (noter ce mot) de l’interprétation biblique des rêves ou songes comme messages censés servir à nos interprétations du monde. Revu des années plus tard, Robert me confirma n’avoir jamais trouvé sa femme de rêve dans le monde et il admit que son existence empirique était, pour dire la chose pudiquement, irréversiblement invérifiable. Je n’ai pas besoin de m’étaler sans fin au sujet du poids des croyances traditionnelles et des pulsions de l’imaginaire sur la distorsion irrationnelle de notre compréhension du monde. Il fut un temps où nous prenions notre ombre pour un esprit nous suivant partout et où nous en avions peur. Avoir peur de son ombre cristallise aujourd’hui toutes les particularités intellectuelles et émotionnelles de l’Irrationalité. Croire au Père Noël aussi. C’est pour cela que l’enfant devenant adulte n’y renonce pas toujours de bon gré.

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Le débat implicite entre Empirisme et Rationalisme dans la pensée ordinaire

En effet, les objets invisibles et destinés à être saisis par la seule pensée ne peuvent être perçus que par démonstration. Faute de démonstration, à quel regard apparaîtraient-ils?           Baruch de SPINOZA

L’Empirique et le Non-Empirique frappant ou sevrant nos sens (rapport à l’objet), la Rationalité et l’Irrationalité appréhendant et organisant ces perceptions effectives ou illusoires (rapport à la méthode) vont nous mener directement au lancinant débat des ***ISMES. Un ***ISME c’est une doctrine (souvent, mais pas toujours, une école philosophique explicite, localisée historiquement) qui promeut la prépondérance de la catégorie philosophique formulée en lieu et place du ***. Systèmes de philosophies vernaculaires ou institutionnelles, les ***ISMES s’appliquent soit en ontologie (dictant alors le principe fondateur de l’être. Exemple: Atomisme, prépondérance existentielle de l’entité atomique), soit en gnoséologie (dictant alors le principe fondateur de la connaissance. Exemple: Scepticisme, prépondérance méthodique du doute).

La tradition de la philosophie moderne (16ième–21ième siècles) nous a laissé sur les bras, entre autres, une tension assez constante entre Empirisme (doctrine promouvant la prépondérance des données sensibles, le primat de ce qui est montré – le champion en la matière: John Locke) et Rationalisme (doctrine promouvant la prépondérance du raisonnement corrélant, le primat de ce qui est démontré – champion en la matière: Baruch de Spinoza). Comme souvent dans ce genre de débat fondamental, des tendances dites radicales ou unilatérales cherchent à carrément éliminer la catégorie non-retenue (l’Empirisme radical nie tout statut à la démonstration —Trust only what you see— tandis que le Rationalisme radical nie tout statut à la monstration —Think! think! What you see is not what you get—). Mais aussi (surtout…) il s’avère que des versions conséquentes ou dialectiques de ce débat retiennent les deux catégories, tout en cherchant à formuler laquelle des deux dites catégories établit sa dominante sur l’autre. Les deux catégories en causes ici sont: LE MONTRÉ versus LE DÉMONTRÉ. Et, selon cette analyse, le débat fondamental entre Empirisme et Rationalisme se résume comme suit:

Empirisme radical: N’existe que ce qui est perçu, ou montré.

Empirisme conséquent: Ce qui est montré prime sur ce qui est démontré.
Rationalisme conséquent: Ce qui est démontré prime sur ce qui est montré.

Rationalisme radical: N’existe que ce qui est démontré.

S’il est vite loisible de rejeter les extrêmes pour leur unilatéralité excessive, il s’avère vite aussi que le débat central, le débat conséquent, s’articule, lui, de façon beaucoup plus problématiquement complémentaire. Tout en jugeant qu’Empirisme conséquent et Rationalisme conséquent sont appelés en alternance (y compris dans l’histoire de la philosophie) à connaître leur moment de gloire lumineuse, on se doit d’en conclure qu’une saine méthode, analysant même les situations les plus élémentaires, arrive difficilement à se passer de ces deux dimensions compréhensives et/ou de leur articulation motrice.

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Méthodologie critique de la Rationalité ordinaire

Avant d’arrêter notre méthodologie critique de la Rationalité ordinaire, la définition d’un ultime ***ISME s’impose, attendu sa présence indécrottable au sein de nos traditions de pensée.

Irrationalisme: Promotion de l’Irrationalité. Ce qui est cru par la communauté, ou senti intuitivement par l’individu, prime à la fois sur ce qui est montré et sur ce qui est démontré.

Fondement de l’Intuitionnisme d’Henri Bergson (cette fausse troisième voie entre sensation observante et raisonnement corrélant) autant que des différents mysticismes anciens et contemporains, l’Irrationalisme, c’est la doctrine à froidement combattre si on se donne comme objectif une compréhension adéquate du monde naturel et social. Sa résurgence dans le cloaque odoriférant de l’errance intellectuelle présente est formidable et fort corrosive. C’est que la pensée contemporaine dort ouvertement au gaz et ce, d’une façon bien peu compatible avec le flot tonitruant d’informations qu’elle croit dominer mais sur laquelle elle se fait ballotter comme esquif en tempête. En démarcation ferme avec cette débilitante tendance des temps, notre définition de la Rationalité ordinaire dispose maintenant de tous ses postulats et se complète méthodologiquement ainsi:

Rationalité (d’attitude ou de méthode): Attitude consistant à asseoir la connaissance du non-empirique sur des démonstrations corrélantes, éventuellement vérifiables. La méthode habituelle de telles démonstrations vernaculaires consiste à avancer une étape de découverte de l’Empirique procédant d’un Rationalisme conséquent (doute méthodique sur la base critique d’expériences et/ou de connaissances indirectes engrangées – Je vois bien mais…) préférablement complétée d’une étape descriptive procédant d’un Empirisme conséquent (nouvelles observations vérifiantes/falsifiantes permettant de passer d’une démonstration non-empirique à une preuve empirique). En évitant les écueils «vulgaires» du bon sens obtus (Empirisme Radical) et de la ratiocination byzantine (Rationalisme radical), la Rationalité combat avec constance l’Irrationalisme, le contrôle, lui fait face, lui tient tête, le cerne, le circonscrit, mais, dialectique et conséquente en tous ses débats, elle ne se prive en rien de la saveur suave et mystérieuse de l’Irrationalité, en la reléguant respectueusement aux mondes du rêve (au sens onirique ou thérapeutique), de l’hallucination pathologique ou récréative, des grandes et sublimes envolées passionnelles, de la métaphore inspirante, de la fiction et de la production artistique.

Et, surtout, passez le mot, plus que jamais en ces temps de luttes mondiales, de conflagrations informatives et de renouveau social: il nous faut être rationnels.

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Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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16 Réponses to “Plaidoyer pour une Rationalité ordinaire”

  1. Est-il possible d’ajouter (au départ):

    Rationalisme = Usage de la raison.

    Objectivisme = Usage de l’observation.

    Rationalité = se servir de sa raison pour analyser une observation.

    Objectivité = limiter sa raison à l’objet observé.

    Objectivité rationnelle = raisonnement soumis à une observation.

    Rationalité objective = observation soumise au raisonnement.

    Amicalement

    André Lefebvre

    [Objectivisme: Doctrine faisant la promotion du primat des catégories objectives sur celles mobilisées par la subjectivité connaissante ou agissante (le ***ISME est toujours une doctrine. C’est le ***ITÉ qui est une praxis). L’objectivisme peut être conséquent (il prévoit alors le rôle agissant de la subjectivité) ou unilatéral (il devient alors réifiant et/ou mécaniste). La notion de RAISON est trop creuse et ambivalente pour être exploitable. Le reste tient à peu près. – Ysengrimus]

  2. Le Noogénaire said

    «la Rationalité combat avec constance l’Irrationalisme, le contrôle, lui fait face, lui tient tête, le cerne, le circonscrit, mais, dialectique et conséquente en tous ses débats, elle ne se prive en rien de la saveur suave et mystérieuse de l’Irrationalité, en la reléguant respectueusement aux mondes du rêve (au sens onirique ou thérapeutique), de l’hallucination pathologique ou récréative, des grandes et sublimes envolées passionnelles, de la métaphore inspirante, de la fiction et de la production artistique.»

    Quel beau couple.

    C’est aussi le fonctionnement d’un cerveau sain, d’une tête bien faite.

    Exceptionnel.

  3. Caravelle said

    Lumineux.

    Tout s’y rejoint. Cette mise en vedette de la pensée ordinaire est à la fois sage, originale sans perdre aucun élément de la subtilité philosophique requise.

  4. Roger Gravel said

    Bonjour,
    Sauf pour « terrain privilégier » c’est bien dit.

    Roger GRAVEL

    [Corrigé. Merci. – Ysengrimus]

  5. Catoito said

    Et Descartes? Je ne le vois pas dans votre développement?

    [D’abord Descartes ne se restreint pas au COGITO. C’est un mathématicien, un anatomiste, un opticien et il a travaillé aussi sur les ondes sonores. C’était déjà un scientifique, un laborantin, bien plus qu’un philosophe. C’est notre temps qui en fait un philosophe. Pris avec la philosophie spontanée des savants et, surtout, avec son temps, il a fini par régresser sur le mystico-flafla. Ses MÉDITATIONS c’est de la pourriture irrationaliste de curés. Quand au COGITO qui exprime rien d’autre que la subordination de la pensée à l’être (Pour penser il faut être ET PAS vice-versa), il s’inscrit dans une recherche métaphysique, individualiste et isolationniste des certitudes qui, elle aussi, est déjà de plein pied de la pensée savante, abstraite et non-usuelle. Locke et Spinoza sont un terrain de jeu beaucoup plus fécond pour une investigation de la pensée ordinaire. Descartes nous annonce plutôt les grandeurs et les errances de la ci-devant « science » scientiste. – Ysengrimus]

    • Catoito said

      Philosophie spontanée des savants?

      [C’est une notion critique fort utile qui fut introduite autrefois par Louis Althusser. En gros, le scientifique s’installe solidement dans la citadelle de l’efficace de sa discipline. Celle-ci prend sur le monde et « fonctionne ». Fort de ce succès et de ce prestige, l’homme de science se prend alors à se prendre un peu pour le démiurge de la pensée globale. Il se lance à faire le philosophe… pour découvrir que hors de l’enceinte laboratine gnoséologiquement restreinte justement, de par son efficace circonscrit et sa technicité, le savant retombe sur les clichés éculés de la salade philosophique du petit séminaire. Althusser explique (et me vend l’idée) que l’homme de science ne peut aucunement faire l’économie d’un cheminement philosophique critique, avancé et circonstancié. Le savoir scientifique ne peut lui tenir lieu ni d’ontologie, ni de gnoséologie, ni d’épistémologie fondamentales. Hors labo, il fait de la philosophie spontanée. Aucune caution scientifique ne supporte légitimement cette dernière. Le fait d’avoir été Rostand ou Oppenheimer ne fait pas de vous automatiquement Hegel ou Saint-Simon… – Ysengrimus]

      • Catoito said

        La philosophie de Descartes serait donc une philosophie spontanée de savant?

        [Je le prétend. Et elle est bien mal encadrée de nos jours encore. Car comme ses anatomies, ses optiques, ses traités sur les ondes sonores sont dépassés et un peu oubliés, on ne lit plus que le « philosophe » Descartes, le coupant de sa démarche scientifique datée et ne voyant plus le lien entre le savoir scientifique de son temps et la philosophie spontanée de savant de son temps. Considérer Descartes un philosophe est aussi maladroit que si on considérait Galilée ou Lavoisier des philosophes. Mais comme les découvertes scientifiques de Galilée et de Lavoisier nous déterminent encore, l’organisation cuistre rigide et implicitement scolaire des savoirs contemporains ne fait pas trop cette erreur là dans leur cas. – Ysengrimus]

  6. sophie Sulphure said

    Et l’amour? Il s’encadre comment dans votre dispositif de philosophie ordinaire?

    [Un peu, si vous m’en excusez Sophie, comme la fatigue ou la maladie. Voyez le manque de sommeil. On sent empiriquement son poids, on s’étend, perd conscience. On va mieux au réveil. Info engrangée. Corrélation stabilisée. Quand notre cœur bat plus fort en présence d’Epsilon et nos yeux piquent en son absence, c’est pas long que notre rationalité se formule à elle-même la nature de nos émotions. Absolument rien n’échappe aux dispositifs organisateurs de la méthode ordinaire. – Ysengrimus]

  7. Oui, rationnel, scientifique dans son attitude, mesuré dans ses propos, posé pour ne pas froisser donc réfléchi, objectif (cela va de soi) avançant des hypothèses prudentes, etc… à quoi ça sert face à l’économique qui sait se suicider parfois, et avec profit, et le suicide de l’équilibre naturel qu’il provoque et entretient?

    [Hegel le disait déjà. Ce monde social n’est pas rationnel. Raison de plus pour agir dans le sens de le faire le devenir… La conscience critique que tu exprimes ici me rend déjà optimiste, modérément mais sans concession. Le fait est qu’on ne sera pas toujours « posé pour ne pas froisser » sur ces questions… – Ysengrimus]

  8. Sissi Cigale said

    Un mirage, c’est parfaitement empirique. Et pourtant, ça n’existe pas.

    [Excellent exemple. Le désert. On a soif. Notre équilibre mental en est affecté. On aperçoit une surface brillante au loin sur le sable. On voit même des dattiers. Sur la base d’un jeu de reflets lumineux parfaitement attesté (et qui a même déjà été filmé sur image fixe ou vidéo), on croit voir de l’eau, des arbres, un oasis. Notre affect certifiant puise dans nos souvenirs/espoirs et ajoute les éléments de décors qui manquent à la tache lumineuse pour qu’elle fasse vraie. On marche vers cette fausse certitude puis elle ne s’approche pas, ne se concrétise pas. Elle reste fixe sur l’horizon. Elle fait comme le point de rencontre lointain des deux rails d’une voie ferrée. Elle n’arrive jamais. Notre activité corrélante se met alors à fonctionner. Dans le bon sens, cette fois: celui d’une falsification. C’est une autre illusion ou effet d’optique. On connait. On l’a déjà vu et, moins assoiffé, on aurait pas mordu. Notre connaissance indirecte donne même un nom à ça: un mirage. Pas d’eau. Il faut continuer. – Ysengrimus]

    • Sissi Cigale said

      On connait la forme du morceau de puzzle qui manque. Il s’agit de la trouver et d’éviter de la couper avec des ciseaux pour qu’elle prenne sa place.

      [Exactement, Sissi. Notre action sur le monde en reconstruit l’image-puzzle sans que le ciseau de la pulsion irrationaliste ne coupe intempestivement dans la logique en cours de reconstitution compréhensive et active. – Ysengrimus]

  9. Tourelou said

    Faut quand même laisser une grande place aux rêves pour agrémenter la petite vie. C’est le côté plus risqué et tellement plus libre de l’existence.

    [il ne s’agit pas d’éliminer le rêve mais de maximiser l’intendance de la jouissance apportée par le rêve… naturel ou artificiel. Croire le rêve vrai et se trouver détrompé, c’est amer. Assumer le rêve comme fictionnel, le faire fleurir en son jardin lampe chinoise et s’y vautrer, c’est suave. – Ysengrimus]

    • Tourelou said

      Oui et il s’agit de se reculer un peu de la rationalité tant qu’on peut pour s’éblouir de son mirage!? La vie en rose c’était bien chanté.

      [La rationalité est dialectique. Elle sait rester dans le tiroir les soirs de passion… – Ysengrimus]

  10. Mistral Simoun said

    Je mets à part avec un profond respect le nom d’Héraclite. Si le peuple des autres philosophes rejetait le témoignage des sens parce que les sens sont multiples et variables, il en rejetait le témoignage parce qu’ils présentent les choses comme si elles avaient de la durée et de l’unité. Héraclite, lui aussi, fit tort aux sens. Ceux-ci ne mentent ni à la façon qu’imaginent les Éléates ni comme il se le figurait, lui, — en général ils ne mentent pas. C’est ce que nous faisons de leur témoignage qui y met le mensonge, par exemple le mensonge de l’unité, le mensonge de la réalité, de la substance, de la durée… Si nous faussons le témoignage des sens, c’est la «raison» qui en est la cause. Les sens ne mentent pas en tant qu’ils montrent le devenir, la disparition, le changement… Mais dans son affirmation que l’être est une fiction, Héraclite gardera éternellement raison. Le «monde des apparences» est le seul réel: le «monde-vérité» est seulement ajouté par le mensonge…
    Nietzsche, Le crépuscule des idoles (1888), LA «RAISON» DANS LA PHILOSOPHIE, Aphorisme 2.

    [Dialectiquement perfide mais profondément pertinent. Merci Mistral Simoun. — Ysengrimus]

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