La déréliction ce n’est pas un changement de religion
Posted by Ysengrimus sur 30 avril 2008
Maints commentateurs intempestifs de la question religieuse actuelle nous montrent de fait que la haine occidentale contre l’islam n’est, en définitive, que de la petite croisade chrétienne étroite, mal déguisée, et ne tenant aucun compte de l’héritage rationaliste moderne. L’islam intéresse au plus haut point l’athéisme en ce sens que l’islam se donne comme une continuité rectificatrice du monothéisme révélé. Les religions, dans leurs phases d’expansions, produisent toujours une critique savoureusement rationnelle des cultes antérieurs. On trouve des analyses très fines des limitations intellectuelles de l’animisme et du polythéisme chez les premiers zélateurs chrétiens. C’est souvent sidérant de sérieux rationnel et de précision. À chaque fois qu’une religion se raboute historiquement pour prendre la place d’une autre, l’athéisme tendanciel et une rationalité fruste mais juste lui sert habituellement de pelle à fossoyer. Or l’islam est le grand monothéisme rabouté et, conséquemment, la qualité rationnelle de sa critique du christianisme est lumineuse et, permettez-moi le mot, universelle. Elle s’applique d’ailleurs justement… à l’islam même, y instillant fatalement la perspective athée, la seule valide. Car excusez-moi, si, en vrai monothéiste puriste, on refuse à dieu tous les comportements humains ou terrestres, il devient bien inadéquat de prétendre qu’il a envoyé un ange (un être intermédiaire? Dieu est un, il devrait faire ses commissions lui-même) dicter le texte divin dans la langue de dieu, l’arabe (dieu parle une langue? Pas avec un appareil phonateur j’espère). La rationalité méthodique —et foncièrement valide— avec laquelle l’islam anéantit des croyances chrétiennes éclectiques et délirantes comme la trinité, la résurrection et la notion de «fils» de dieu, se retourne implacablement contre l’islam, et corrode avec force les notions d’«ange», de «prophète», de «parole de dieu», de «révélation» et de «prière». Pas de quartiers en rationalité. J’ai pas besoin de pesamment m’étaler. Dieu recule d’une autre grande coche. Il continue de s’abstraire, de se distancier, d’avancer dans les esprits vers la confirmation intellectuelle de son inexistence. C’est captivant et hautement stimulant pour l’athéisme, ces débats interconfessionnels (quand ils préservent leur qualité logique en ne basculant pas dans l’iconoclastie imbécile, dois-je insister là dessus). Voir de l’islamophilie nunuche et de l’antichristianisme primaire dans mon analyse des religions est d’un simplisme désarmant. La déréliction est une flamme qui fait brûler tous ses combustibles et, comme la flamme d’Héraclite, elle vit de cette course en avant qu’est sa propre mort. Le choc des religions fait pétiller des étincelles rationnelles et, ce, bilatéralement.
Alors partons donc, par exemple, de l’opposition Bible/Coran. Fondamentalement, le problème se résume comme suit. Si on dit à un Jesus-freak de n’importe quel tonneau que la Bible est en fait un ensemble éclectique de soixante-treize livres noués ensemble sur une période de deux mille ans, et que —par exemple— aux quatre évangiles reconnus s’en ajoutent plusieurs autres apocryphes que l’on édite et étudie pour trouver les éléments tardifs des évangiles reconnus, cela ne pose pas de problème particulier de foi. Jésus continue de mourir sur la croix, de tendre l’autre joue, de multiplier les pains et les poissons et de ressusciter trois jours trop tard, même si les rapports écrits sur son sujet sont brouillés par le flot bringuebalant de l’Histoire. Par contre, si on dit à un musulman: gars, c’est prouvé par l’analyse philologique effectuée par des gens fiables, la rédaction du Coran s’étale sur plusieurs siècles. On y dégage des textes anciens et des textes tardifs. Ces différents segments ne peuvent pas procéder d’un auteur unique. Oh ça, ça pose un gros problème de foi. C’est que, contrairement à la foi chrétienne, la foi musulmane PRENDS POSITION SUR LA FAÇON DONT LE TEXTE SACRÉ A PRIS CORPS. Dicté par dieu dans la langue divine via un ange sur une période brève et consigné par un messager unique. Point barre. Le fricfrac philologique dans le Coran fait chier les musulmans autant que font chier les chrétiens, ces creuseux médiatisés qui trouvent la tombe d’un Christ bel et bien mort et enterré, marié à une Marie de Magdala qui repose avec lui et leurs enfants. C’est pour ça que bien des savants arabes s’irritent comme ça sur ces histoires de textes. La philologie coranique agresse leur foi de facto, implacablement, autant qu’une remise en question de la résurrection agresse la foi chrétienne. Et cela fait de la philologie coranique une démarche difficile, délicate, emmerdante et mal acceptée dans le monde musulman.
Maintenant, sur cette base, observons crucialement que changer de religion et abandonner toute pratique religieuse, ce sont là deux dynamiques parfaitement distinctes, et les amalgamer intempestivement, ma foi (farce), c’est de la pure malhonnêteté intellectuelle. Il y a déréliction dans le monde occidental (et même dans le monde en général) depuis un bon siècle et cette déréliction se poursuit, inexorable. Traiter la déréliction comme un «changement de religion», comme le font tant de sectateurs, c’est perpétuer la brume religieuse et occulter le vrai phénomène, celui de la montée de l’athéisme, allant de concert avec l’augmentation des connaissance objectives, le recul des valeurs traditionnelles, le désintérêt pour le conformisme, le discrédit des autorités abstraites, le foutoir des doctrines, l’individualisme immanent, l’hédonisme, le déclin irréversible des vieilles peurs archaïques, et le retour serein des légendes à leurs dimensions de légendes. La religion n’est pas abattue comme un arbre vif, elle tombe doucement et se change en humus le temps venu, comme les feuilles mortes… Aussi, quand mon ex-chrétien se mettra à l’archéologie des tombeaux araméens (entre autres parce que l’islam lui aura fait comprendre que la croyance en une résurrection et en une paternité divine est nettement un relent superstitieux dépassé) et quand mon ex-musulman se mettra à la philologie de la langue coranique (entre autres parce que le christianisme lui aura fait piger que le culte du livre, c’est bel et bien un peu fétichiste quand même dans les coins), il y aura là une dynamique qui n’aura absolument plus rien de religieux, de mystique ou de mystifiant. Ces gens assureront alors l’intendance pacifique et savante d’un patrimoine ethnoculturel riche, intéressant, marrant et parfaitement inoffensif. Or aucun de mes deux gogos ici ne se sera converti à la religion de l’autre. Il y aura eu de fait déréliction dialectique et maïeutique par influence culturelle mutuelle, mais sans changement de religion. Et ce jour «béni» viendra… Il viendra, je le crois…
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Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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JimDeQuébec said
Bien que l’athéisme gagne tranquilement du terrain, une réponse radicaliste semble remonter ailleurs. Il ne faut certainement pas crier victoire. La paresse intellectuelle existera toujours de même que le manque de connaissances générales.
Faites simplement un petit sondage dans la rue et demandez aux gens de vous nommer le nom du premier ministre du Canada.
ysengrimus said
Euh… Babar? Mary Shelley? Cégismond Lajoie? Clairette? Rabatteur? Ray Lomas? Ro Laren? Paul Bunyan? Heidi? Saint John Perse? Pompidou DesSous? Bruni Surin?
Salah Oudin said
Mort de rire! Vous avez de l’espoir… Et il en faut! Mais votre monde serait un enfer.
De la part d’un agnostique de 20 ans.
ysengrimus said
Ah bon… Parce que le vôtre est un paradis sur terre?
fechfouch said
Alors, vous pensez que la « rédaction » du Coran s’étale sur plusieurs siècles ?
Et que faire de la copie intégrale du Coran, identique à ce qu’on a aujourd’hui, et qui date de l’année 651, soit 19 ans après la mort du prophète Mohammed (PSL)?
Le lien:
http://en.wikipedia.org/wiki/Uthman_Quran
ysengrimus said
Alors, vous pensez que le Coran a été dicté en quelques rencontres troglodytes par un ange, dans la langue divine?
fechfouch said
Mon humble propos ne fait que réfuter votre thèse de « rédaction du Coran sur plusieurs siècles ».
Je n’ai pas prétendu apporter la preuve scientifique du message divin.
anglophone said
Dans la page Wikipedia citée par fechfouch, il est dit que le manuscrit est plutôt incomplet, et qu’un tiers du Coran seulement survit (traduction littérale). Alors Fechfouch, besoin de cours d’anglais ou mauvaise foi?
[Voilà, merci… – Ysengrimus]
pascer said
CQFD, la réponse de Fechfouch démontre la justesse de la pensée d’Ysengrimus! Comme on dit sur l’internet: mdr!
ysengrimus said
Les musulmans fétichisent le livre autant que les chrétiens fétichisent le corps du christ. On en a eu une autre preuve il n’y a pas trop longtemps. Si les musulmans étaient les monothéistes conséquents qu’ils prétendent tant être, ils s’en fouteraient souverainement d’une pile de fascicule imprimés cramés par un obscur pasteur de Floride… De fait, les tendances sociales en cause vont bien plus loin que le susdit pasteur et elles sont solidement en place, actives ou latentes. Et les pulsions théocratiques des musulmans, que tant d’occidentaux, dont ce si opusdeizesque pape, leur envient au demeurant (une fusion du politique et du religieux, qui dit mieux!), elles sont encore fort vigoureuses. Il faut connaitre et comprendre ces tendances, et pour bien les comprendre il n’y a rien de mieux que de les voir se déployer dans le concret.
Au fait, pour tout dire, je trouve hautement parlant qu’un général d’active se lamente en public parce qu’un epsilon va mettre des piles de tomes au feu… Cette puissance de l’hinterland, si c’est si effrayant, yé ptêt temps d’sortir d’Afghanistan, les tits outrecuidants…
Nord américain said
Pour Info :
1 – Dieu n’existe pas! Nous portons tous en nous une partie de ce que vous appelez dieu. Le Divin est notre union à tous.
2 – Les religions ne sont que superstitions.
3 – Les coupables du 11 septembre ne sont pas ceux que l’on croît.
4 – La prochaine guerre sera mondiale et religieuse, et durera tant que vous ne reconnaîtrez pas la réalité des points 1 et 2.
Bonne journée
[Mes hyperliens figurent ici en guise de réponse… – Ysengrimus]
trex58 said
La déréliction avance, oui. Mais si lentement… C’en est exaspérant.
Comment l’accélérer ?
– Combattre le machisme et la domination des hommes sur les femmes
– Eduquer les enfants, et surtout les filles
– Diffuser la science et la capacité à réfléchir et à remettre en cause ce que dit le maître (une fois qu’on a pris la peine de maîtriser ce qu’il raconte !)
– Constamment remettre en cause ce que chacun croit vrai et certain
– Être athée et le faire savoir
– Partout et tout le temps rire de ceux qui croient encore en Dieu
– Contribuer à construire un athéisme riche, fournissant des réponses aux besoins naturels de l’homme : rites de passage, spiritualité athée, etc.
Vernoux said
Billet savoureux, tellement vrai et tellement fin !
Jacques Légaré said
Brillant, un style pas facile, mais belle tête qui pense juste.
Il écrit, en conclusion, souhaiter la : «déréliction dialectique et maïeutique» par influence culturelle mutuelle » de deux ex-croyants l’un chrétien et l’autre musulman. Soyons plus solaires. La déréliction est un vide à la suite d’une perte de foi… comme la déprime à la suite d’une perte de poids, ou la dépression postpartum que les jeunes mamans connaissent bien..
Existent pour faire l’économie de la déréliction (assez pénible et triste) une philosophie joyeuse et solaire. On peut la trouver chez Michel Onfray La puissance d’exister. Michel Onfray devrait être le philosophe qui remplacerait l’horrible et bête cours ECR.
Lis aussi la Contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray. Quelle vigueur! Quelle santé! Quelle dignité! Quel bonheur!
[Merci du tuyau – Ysengrimus]
Fridolin said
Oui, qu’ils se parlent. C’est encore le meilleur moyen de leur faire discerner leurs erreurs mutuelles.
Jean-François Belliard said
Moi, je leur dirais de s’asseoir avec Paul Laurendeau pour une mise à jour de leur programmation.
Vanessa Jodoin said
L’intelligence de la vraie analyse athée des religions…
Oscar Fortin said
Je suis un croyant humaniste qui parle moins de doctrines que d’engagements, inspirés, ceux-ci, par les grandes aspirations d’une humanité à la recherche de justice, de vérité, de solidarité, de compassion, de respect tant des personnes que des peuples. Ce sont ces engagements qui donnent consistance autant aux croyances que l’on proclame qu’aux idéologies que l’on fait siennes. Que le croyant et l’athée nous disent, par ce qu’ils font, la valeur de ce qu’ils sont. Tout le reste ne fait qu’alimenter des discussions sans fin. Le véritable combat est moins de faire disparaître la foi ou de rendre croyant qui ne l’est pas, mais de faire comprendre que dans un cas comme dans l’autre, le plus important est d’œuvrer de manière à rendre l’humanité toujours plus humaine et les personnes que nous sommes toujours plus transparentes les unes par rapport aux autres. Avant d’être chrétiens, musulmans, juifs, athées, agnostiques, communistes, socialistes, capitalistes, etc., nous sommes des humains qui doivent s’assumer individuellement et collectivement. C’est en cela que nos différentes appartenances révéleront leur consistance et le niveau de leur crédibilité. Les fondements de ma foi me conduisent à œuvrer en ce sens et je m’y trouve très confortable. Ceci n’empêche aucunement l’athée d’en faire tout autant et c’est tant mieux. D’ailleurs, je partage ce combat avec bon nombre de mes amis qui sont athées et qui m’inspirent par l’authenticité et la persistance de leur engagement. Sur le terrain, idéologies et croyances cèdent la place à l’action qui conduit à rendre notre monde toujours plus humain.
Avec tout mon respect
[Je suis un incroyant humaniste. – Ysengrimus]
Oscar Fortin said
Nous partageons l’humanisme au sujet duquel nous pouvons avoir beaucoup à dire et à échanger. Un seul regard ne suffit pas pour en couvrir toute la réalité. Le regard des autres nous est nécessaire pour s’en approcher. Comme signalé dans mon commentaire, mon regard sur l’humanisme s’inspire des grandes aspirations des hommes et des femmes de notre temps: la vérité, la justice, la solidarité, la compassion, le respect, etc. Quant à votre regard sur l’humanisme, je serai heureux d’en savoir plus. La passion commune de servir au mieux l’humanité qui se vit en chacun de nous et entre nous laisse bien loin en arrière ce qui peut nous séparer.
Bonne journée à vous
Fourny said
Si l’athéisme est un bras le levier, pour islamiser la planète, le Chrétien que je suis a du souci à se faire!… Les religions c’est comme le vent. Ça existe, ça ne se voit pas et c’est naturel. Ce vent a le pouvoir de rappeler à l’ordre et de rendre humble! Ce n’est pas en construisant un édifice avec une toiture en athéisme pour protéger l’homme, que le problème sera résolu, et en plus ils ont une main-d’œuvre laïque à leur service! Dès fois je me rends compte aussi, que j’en suis un artisan! L’homme n’a pas instruit les religions, il est tout simplement tributaire d’une seule et unique conscience ; et ça, il n’en est pas le maître!
«Enfin qui veut commander dans la maison de Dieu?»
Ce n’est pas facile, parce que, apparemment ceux qui voudraient être les locataires ne veulent pas payer leur loyer ! Dieu a beau être amour. Mais là !… Dieu a dit: vous prenez une feuille sphérique immaculée, et je vais vous faire faire une dictée! Alors, à vos crayons et soyez bien éveiller pour trouver un coin de cette feuille pour commencer! La dictée finit. Peu d’élus qui avaient osés faire leur devoir. Les autres, ne savaient pas où et quand commencer, ils cherchaient toujours un coin. Les quelques élus ; Abraham, David, Jésus, Mahomet et bien d’autres, pour ne citer que les noms qui résonnent le plus….
Vous voyez c’est l’histoire stupide d’un mec qui crois dans le vent!
Cordialement FC
Vanessa Jodoin said
«Si l’athéisme est un bras le levier, pour Islamiser la planète, le Chrétien que je suis a du souci à se faire !…»
T’as rien compris, mon pauvre…
Hélène Morin said
Est-ce que la religion va nous aider à préparer la révolution? Je demande ça en passant… Merci.
[Non. — Ysengrimus]
Casimir Fluet said
La finesse du Grimus rejoint la sagesse de Voltaire… Que dire de plus…