Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

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Posts Tagged ‘Parti Libéral du Canada’

MÈMES DU MOIS. Quand Steven Guilbeault passa aux libéraux

Posted by Ysengrimus sur 15 décembre 2023

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Le foutoir pétrolier canadien

Posted by Ysengrimus sur 7 mars 2019

On va tenter de résumer ici ledit foutoir en évitant les jugements moralistes à rallonges. Bon, la populace en a marre des carburants fossiles et je la comprends. Elle tend donc à remplacer sa petite analyse sommaire par son gros jugement moral sur cette question et cela complique singulièrement la compréhension du sac de nœuds oléagineux dans lequel macèrent les canadiens depuis un bon moment déjà. Expliquons-nous ici, en restant prosaïques, synthétiques, et factuels.

Commençons par la catastrophe écologique mondiale. Quel que soit notre degré d’agacement et d’écœurement envers elle, elle ne va pas se régler en deux ou trois ans. Ayons les faits suivants à l’esprit, dans notre réflexion sur la suite. En Chine (et c’est pas parce que c’est la Chine en tant que Chine mais bien parce que c’est là un cinquième de l’humanité), l’électricité des villes est encore produite à 70% par des usines au charbon. De plus, au sein de cette population qui est formée de la population du Canada, plus celle des États-Unis plus un milliard de personnes (1,336, 000 de personnes), il y a, en ce moment, 100 millions de voitures. Le jour où leur classe moyenne émergente va vouloir emmener les gosses en balade en bagnole, ce nombre va facilement quadrupler ou quintupler. La Chine est, à plein, dans le rythme industriel que l’Occident avait au siècle dernier. Elle y avance à son rythme et à sa vitesse et son pic maximum de consommation d’énergie fossile est encore loin devant elle. Sur l’Inde et le reste de l’Asie, même commentaire. Ces pays sont demandeurs de pétrole et ils le seront encore longtemps, au moins pour une génération. Pas deux ou trois, par contre, car chez eux aussi la résistance sociétale s’organise. En misant sur un maintien (pourtant incertain) de son essor économique actuel, la Chine espère réduire de 10% ou 15% sa dépendance au charbon, d’ici vingt ans. Sur la croissance du parc automobile, il n’y a pas de programme en vue. Et l’auto électrique, avec la rareté du cobalt dont elle semble dépendre, elle ne se multipliera pas de sitôt, à petits tarifs, sous ces hémisphères. L’Asie est un continent consommateur de carburants fossiles, présent et futur. Tout le monde le sait.

Voyons maintenant le Canada. Le Canada est un pays pétrolier classique, comme le Venezuela, comme le Nigeria, comme l’Arabie Saoudite, avec tout ce que cela implique de faussement mirifique. Le pétrole canadien a deux caractéristiques cruciales. D’abord, il est produit principalement au centre du Canada, dans la province de l’Alberta (en bleu avec le point d’interrogation, sur notre carte). Dans cet espace, les distances sont colossales et le pétrole est, de toute façon, hautement ardu à acheminer. L’autre caractéristique, c’est que c’est un pétrole de sables bitumineux, énergivore et coûteux à extraire, intéressant donc seulement quand les cours pétroliers sont élevés. Le pétrole canadien est un pétrole de plan B, un pétrole à moyen et long termes, un pétrole pour quand la fiesta du pétrole facile sera bel et bien révolue, un pétrole qui postule que le virage écologique n’est pas vraiment pour demain. Dans ce contexte précis et envers et contre tous, l’intégralité de la classe bourgeoise canadienne est d’accord avec elle-même sur un point. Il faut maintenir et même faire avancer à bon rythme l’industrie pétrolière canadienne. Cette industrie est six fois plus importante que l’industrie automobile au Canada et elle est une cruciale source de richesse collective… surtout de profits privés bourgeois, naturellement.

Sur la base axiomatique de ce postulat productiviste en matière pétrolière, les nuances du débat bourgeois au Canada épousent ensuite, grosso modo, les nuances du débat politicien. On va parler ici des Conservateurs fédéraux (opposition), des Libéraux fédéraux (au pouvoir au Canada) et des Néo-démocrates albertains (le centre gauche ronron, au pouvoir en ce moment dans la province de l’Alberta). Le débat des partis bourgeois porte non pas sur le postulat du productivisme pétrolier (qu’ils ont tous en commun) mais bien sur la nature des débouchés pétroliers, le choix des marchés. Au Canada, fait peu badin, plus t’es réac, moins t’es nationaliste. Vous avez bien lu. Les Conservateurs fédéraux sont moins nationalistes (nationalistes canadiens…) que les Libéraux fédéraux, parce que les Conservateurs fédéraux sont plus pro-Ricains. Les Conservateurs s’assument et assument le Canada comme un sous-traitant néo-colonial de la métropole US tandis que les Libéraux cultivent la mythologie brumeuse d’une autonomie nationale canadienne susceptible de se déployer de par la chanson lireuse, mondialiste et harmonieuse des accords de libre échange avec tout le monde et les autres. Dans cette quadrature du cercle canado-américain, les Conservateurs fédéraux sont trop dociles et les Libéraux fédéraux sont trop outrecuidants. Il y a donc danger partout, face à la grosse bête du sud.

Les Conservateurs canadiens sont favorables à des oléoducs qui livreraient le pétrole canadien principalement, sinon exclusivement, vers les États-Unis, notre voisin traditionnel, naturel, historique, etc… Sous les Conservateurs, le Canada chercha donc à faire construire un oléoduc qui aurait traversé tout les États-Unis latéralement et aurait fournis du pétrole brut canadien aux raffineries du Texas. Il faut comprendre que les pays importateurs de pétrole tiennent de plus en plus à raffiner sur leur propre territoire, pour affecter de faire bénéficier leurs populations laborieuses des retombées industrielles du raffinage. C’est là une version mondialiste de la vieille formule du mercantilisme colonial. Le pays colonisé (ici, le Canada) livre son produit le plus brut possible et le pays métropolitain (ici, les États-Unis) se charge de la finition et de l’ajout de plus-value commerciale, ici par le raffinage. Comme tout le monde, dans l’économie-monde, joue le même jeu, les raffineries texanes avaient besoin du brut canadien pour se maintenir actives, vu que les puits de pétrole texans doivent eux aussi de plus en plus vendre sous forme brut, attendu que leurs acheteurs internationaux aussi préfèrent désormais raffiner chez eux. La chaise musicale ou les dominos. Il y a là une sorte de cascade des protectionnismes industriels, en quelque sorte. On ne peut pas décider d’où sort le pétrole (c’est un produit minier, donc foncier, géographiquement fixe) mais on peut décider où on le traite. La résistance sociétale aux États-Unis sous Obama a fait que ce projet d’oléoduc canadien vers les États-Unis n’a pas été accepté. Les Américains achètent de toute façon, de longue date, du pétrole canadien via différents canaux. Et surtout, conscients des contraintes canadiennes, ils dictent leurs normes et leurs prix (ce sont de toutes façons principalement leurs entreprises qui prospectent le pétrole en Alberta). Ils disent au Canada: le pétrole est à tant sur le marché mondial, si vous nous vendez le vôtre à quatre ou cinq fois moins cher, on est preneurs. Comme vous êtes coincés, c’est à prendre ou à laisser. Les Conservateurs canadiens prennent.

Les Libéraux canadiens, eux, aspirent plutôt à laisser tomber ce genre d’entente à saveur néo-colonialiste. Ils cherchent à diversifier le marché pétrolier canadien. Leur cible principale, c’est l’Asie, cet immense espace émergent, industriellement retardataire, et qui sera encore énergivore pour au moins une autre génération. Les Libéraux œuvrent donc à tripler le débit d’un oléoduc existant depuis 1953 et qui, à travers les immenses Montagnes Rocheuses, achemine le pétrole albertain jusqu’à Burnaby et au port de Vancouver, où il est chargé sur des superpétroliers et envoyé en Asie. La joute se joue alors entre deux provinces de l’Ouest canadien, l’Alberta, productrice de pétrole et dont un segment de sa surface vaste comme l’Angleterre est déjà durablement pollué par la prospection à ciel ouvert des titanesques espaces de sables bitumineux, et la Colombie-Britannique, cet immense jardin forestier qu’un triplement du débit de l’oléoduc dit Trans-Mountain risque de piteusement polluer, en cas de dégât, toujours possible. La résistance sociétale joue ici à plein. Nations aborigènes, population de l’hinterland et des espaces riverains, mairies des municipalités concernées, notamment Burnaby et Vancouver, personne ne veut que le flux pétrolier déjà présent, déjà constant, déjà tangible au quotidien, ne soit multiplié par trois, amplifiant d’autant le danger permanent d’une catastrophe écologique accidentelle.

Pour compliquer et bien envenimer une situation déjà tendue, il appert que l’oléoduc Trans-Mountain déjà existant appartient à une instance bizarre et douteuse dont nous tairons ici le nom. Cette instance n’est pas propriétaire de l’oléoduc comme disons, Apple est propriétaire de ses usines de téléphones. C’est plutôt une sorte de gestionnaire, de grand intendant, qui se spécialise justement dans le management des réseaux d’oléoducs et le fait à la carte, à contrat, en se vendant au plus offrant. Or ce gestionnaire de raccords de tuyaux a pour principal client, le gouvernement américain. Nos Libéraux canadiens se retrouvent donc à devoir faire affaire, pour leur seule possibilité de débouché vers un marché pétrolier autre que les USA, avec un grand intendant… dépendant largement du gouvernement des USA. S’instaurent alors toutes sortes de bizarreries, de dépassements de coûts, de coulages d’infos en direction de la résistance sociétale, de tiraillements divers et variés entre le gouvernement fédéral et l’intendant torve des tuyaux. Tout se joue comme si ce gestionnaire de l’oléoduc Trans-Mountain se traînait les pieds et n’était pas vraiment intéressé à voir son raccord du Nord-Ouest devenir le principal robinet pétrolier canadien vers l’Asie. Le gouvernement Libéral canadien finit par en avoir plein le dos de ces combines ambivalentes et il décide de procéder à un buyout de cet encombrant partenaire. Il donne cinq milliards de dollars à l’intendant bizarre et lui dit: maintenant, tu dégages, je m’occupe moi-même de cet oléoduc. On ne parle pas de nationalisation parce que la notion n’est plus très pop, mais dans les faits, c’est quand même ça qui se passe. Les Conservateurs (méthodiquement pro-Ricains) crient alors, à la Chambre des Communes, au gaspillage des fonds publics pour acheter un hostie de tuyau qui est à nous de toutes façon depuis 1953, et qui n’est même pas encore opérationnel, dans sa version 2.0.

La populace, prompte à rager sur ces questions, et qui est peu au fait des détails cornéliens du foutoir, et qui en a bien marre de tout ce qui procède de l’oléagineux, ne voit que ce que les apparences lui montrent. Voici un gouvernement canadien qui vient de racheter pour cinq milliards d’argent public un oléoduc canadien (!) dont il entend tripler le débit pour lui faire traverser les majestueuses Montagnes Rocheuses et un des plus beaux jardins lacustres et forestiers du monde jusqu’au port d’une des villes les plus radieuses du Canada, au grand danger de tout durablement éclabousser et saloper. Pardon, les Libéraux, vous prétendiez être des écolos?

Entre alors en scène le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta. Il est dirigé par une femme et son ministre de l’énergie est aussi une femme. J’insiste sur cette dimension de sexage parce que je trouve particulièrement frappant que, quand le pétrole vaut cher et rapporte bien, ce sont des mecs en costard, baveux et arrogants, qui dirigent la province pétrolière du Canada. Maintenant que le pétrole canadien se vend moins bien, qu’il fait douteux, foireux et sale, c’est des bonnes femmes qui doivent se taper le nettoyage du foutoir hérité. Pathétique, et passablement parlant, au sujet de certains traits politiciens de notre temps. Enfin bref. Ces dames pensent leur problème dans l’angle social-démocrate (bourgeois, toujours). Il s’agit donc, pour elles, de créer des emplois pour les Albertains frappés par la baisse mercantile des prix du pétrole. On déploie alors un certain nombre de stratégies. Pousser sur la même roue que les Libéraux fédéraux pour amplifier l’oléoduc Trans-Mountain, en insistant sur le fait que tous les Canadiens doivent faire des efforts pour perpétuer la prospérité canadienne nous permettant, notamment, de bénéficier de notre excellent système de santé publiquement financé. De l’autre bord des Montagnes Rocheuses, le gouvernement de la Colombie-Britannique, ironiquement néo-démocrate lui aussi, pousse dans l’autre sens pour que le volume d’un oléoduc déjà menaçant ne s’amplifie pas davantage. L’Alberta envisage alors l’option ferroviaire… mais depuis le bizarre accident du village de Lac-Mégantic, au Québec, ou un train-citerne de brut avait fait explosion en plein milieu du village, tuant des gens et décimant la communauté, le transport pétrolier par train (ayant augmenté exponentiellement dans les dix dernières années) est désormais subitement lui aussi dans le collimateur de la résistance sociétale. Le train n’est donc plus vraiment une alternative invisible au transport par oléoduc. Il y aura là aussi un coût de relations publiques à assumer. D’autre part, l’Alberta parle aussi de bâtir, sur Fort McMurray, son boomtown pétrolier d’autrefois, des raffineries, style Texas, pour faire comme tout le monde et se prévaloir de la forme de protectionnisme discret que représente de plus en plus l’industrie du raffinage. L’idée est que l’essence raffinée serait moins dangereuse à mettre en circulation que le brut. On dit ça, vite, vite, tout en taisant le fait qu’on remplace ainsi le risque de dégâts environnementaux interprovinciaux par une amplification de l’empreinte carbone locale due aux raffineries… raffineries qui, au demeurant, ne sortiraient pas en un an ou deux de la cuisse de Jupiter. L’Alberta nouveau genre ne se complexe d’ailleurs pas trop avec le protectionnisme. Elle fait valoir, dans une argumentation ayant son petit mérite logique, qu’elle ne comprend pas pourquoi le troisième pays pétrolier du monde, le Canada, achète du pétrole d’Arabie Saoudite. Pour le raffiner lui-même? Mais, dit l’Alberta, nous aussi on pourrait fournir du pétrole bien de chez nous et le raffiner nous-même! Maître chez nous, les foufous! Et finalement, l’Alberta, fraîchement social-démocrate, cherche, aussi et d’autre part, gaillardement mais souffreteusement, à s’extirper hors du fameux malaise hollandais en en revenant, sur le tas, à ses traditions pré-pétrolières, agricoles notamment. C’est donc subitement la promotion de l’orge et du houblon, au risque de se retrouver au cœur d’une guerre de la bière avec la puissante province de l’Ontario, fort chatouilleuse, elle aussi, sur la question de ses platebandes protectionnistes interprovinciales.

Le foutoir pétrolier canadien se résume donc comme suit. Un immense espace hérité, pollué et pullulant, d’où on extrait le pétrole de sables bitumineux coûteux à traiter mais toujours en demande. Des distances gigantesques peu peuplées mais avec une population, aborigène et non-aborigène, de plus en plus réfractaire à s’incliner devant les priorités de forbans des industriels… mais aussi… assez peu encline elle-même à cesser de chauffer son char au gaz et sa cabane au mazout. Un lobby pro-Ricains (représenté à la Chambre des Communes fédérale par les Conservateurs) qui veut mono-orienter l’exportation en direction de notre métropole néo-coloniale traditionnelle. Un autre lobby pro-Chinois (représenté à la Chambre des Communes fédérale par les Libéraux) qui veut amplifier un oléoduc vers l’Ouest et le Pacifique et se heurte aux résistances sociétales d’usage (amplement manipulées par le premier lobby, au demeurant). Et finalement les acteurs et actrices de la scène provinciale albertaine, qui ont les deux pieds et les deux mains dans le cambouis, un merdier innommable, durable, et qui se font traiter comme une bande de pestiférés malodorants après avoir été perçus comme des millionnaires nouveaux riches arrogants et anti-sociaux.

C’est la lutte de la peste, contre le choléra, contre le typhus. La situation est complètement bloquée. Et on parle ici de parcs industriels titanesques, bourdonnants, en expansion. Un danger potentiel permanent. Qui va donc finir par se rendre compte que c’est le postulat non-questionné de ces trois instances politiciennes et de sa petite populace embourgeoisée qui est le problème fondamental: j’ai nommé l’axiome capitaliste et sa doctrine à court terme du profit privé comme vision implicite du commerce et de la ci-devant économie-monde. Tout est à refaire de fond en comble, ès foutoir pétrolier canadien comme partout ailleurs. Un jour viendra.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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Il y a cinquante ans: les trois colombes

Posted by Ysengrimus sur 10 septembre 2015

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Le spectacle politicien a ses petits moments cultes qu’on fait habituellement passer pour des «dates historiques». Tel est, pour le Québec et le Canada, le 10 septembre 1965. Ce jour là, Jean Marchand, Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau annonçaient, en une conférence de presse solennelle, qu’ils se présenteraient aux prochaines élections fédérales, sous la bannière du Parti Libéral du Canada. Le premier ministre canadien d’alors, Lester B. Pearson, continuait sereinement la tradition du harponnage de canadiens-français de prestige perpétuée avec les Ernest Lapointe, Louis Saint-Laurent et autres grands lampistes bon teint d’autrefois (bon nombre y passèrent ou faillirent y passer, Lomer Gouin, Adélard Godbout, Jean Lesage etc, pour s’en tenir au lot du siècle dernier, avant les colombes).

La plus prestigieuse des trois colombes, au moment de leur surprenante capture dans le gluau de la démagogie compradore fédérale, c’est alors indubitablement Jean Marchand (au centre, sur la photo, juste devant le micro CBC). Ancien chef d’une grosse centrale syndicale (la CTCC, devenue en 1960, la CSN), populiste bien rodé, orateur grondant, Marchand connaît la musique… et les patrons. Il connaît aussi ses propres limites, tant politiques que sociologiques et intellectuelles. Il sait aussi —surtout— qu’un canadien-français de prestige isolé, récupéré, n’est qu’un hochet aux mains de l’occupant. Il connaît son histoire récente du Canada, même minimalement, même implicitement, même confusément. Plus qu’à asseoir une posture personnelle, il aspire donc à constituer quelque chose comme un groupe. C’est déjà là le germe illusoire et bien intentionné du ci-devant French Power qui s’annonce. Aussi, le transfuge fédéralisant étoile ne se laissera pas si facilement isoler, par son futur patron, justement. C’est une exigence formelle de Marchand, dans son entente avec les fédéraux: les colombes seront au nombre de trois. C’est pour ça qu’on le retrouve flanqué de Gérard Pelletier (à la droite de Marchand, un peu en retrait derrière le gros moustachu non identifié à la tête atterrée), journaliste de journaux institutionnels (Le Devoir, La Presse) et de Pierre Elliott Trudeau (à gauche de Marchand, spacialement s’entend), fils d’un rupin de première génération (enrichi dans les stations-service et les clubs de baseball), dilettante en costard, pseudo-intellectuel venu du personnalisme ayant abandonné une thèse de doctorat européenne sur la lutte entre le christianisme et le marxisme [véridique] et animateur d’une revue idéologico-politico-politique montréalaise peu lue mais prestige, altière et songée: Cité Libre.

Ces colombes libérales à l’air profond et grave semblent difficultueusement quitter une cage et se libérer, l’une d’entre elles abandonnant même un rutilant perchoir s’appelant Cité Libre. Mais de quoi affectent-elles tant de se libérer, au juste, ces trois figures contrites? Comme toujours, dans l’univers chatoyant de la politique politicienne, il y a ce qui est et ce qui parait… C’est sur la droite ultime de l’échiquier politicien québécois que se putréfie lentement le monstre historique dont le présent trio éthéré semble se libérer. L’homme politique, provincial ou fédéral, ayant été au pouvoir le plus longtemps de toute l’histoire canadienne c’est Maurice Le Noblet Duplessis (1890-1959), le petit Salazar du Québec. C’était un nationaliste traditionaliste tonitruant (son parti s’appelait pesamment l’Union Nationale — au pouvoir à Québec entre 1936 et 1960 avec une courte intermission pendant la guerre), un tribun réactionnaire virulent, dont l’héritage, poisseux et rampant, est, encore aujourd’hui, aussi prégnant au Québec que celui de Perón en Argentine. Au cours des interminables années 1950, le mouvement syndical (dont émane Marchand), la presse francophone conventionnelle (dont s’extirpe Pelletier), et les intellectuels bourgeois de centre-droite (qu’incarne Trudeau) s’étaient articulés, définis, précipités, cristallisés dans l’anti-duplessisme. Le moment était venu de s’en libérer (entendre: de se libérer tant du duplessisme que de l’anti-duplessisme… subtil).

Mais une seconde, mais… les dates de ce grand affranchissement symbolique ostensible et solennel ne concordent pas. Y a un défaut. Duplessis est mort subitement, en 1959, précipitant bruyamment la chute de son gouvernement, en juin 1960. Nous sommes ici en 1965, en pleine Révolution Tranquille (1960-1966). Le Québec vit, tout juste à ce moment là, la mutation moderniste la plus profonde, la plus radicale et la plus subite de son histoire. Qu’est-ce que c’est que ça? Les trois colombes anti-duplessistes prennent leur envol seulement maintenant? Elles sont parfaitement post-duplessistes, en fait. Elles se lèvent et déploient leurs ailes libérales quand la chouette de Minerve «libératrice» est déjà passée, en somme. En observant ça, on est, en fait, un peu obligés de se demander, au sujet des trois colombes faisant le saut en politique fédérale, en 1965: elles s’en viennent ou elles s’en vont?

Comprenons nous bien ici sur ce qui est. Les trois colombes ont de fait, déjà, une coche qui manque, une salve de retard. Elles affectent d’affronter un nationalisme de droite encore incarné lourdement par les fantoches toujours actifs de Duplessis (le très rétrograde Daniel Johnson et la machine politique semi-pégreuse de l’Union Nationale, encore pugnace et qui reprendra le pouvoir au Québec, en 1966). Mais, en fait, c’est au nationalisme de gauche et de centre-gauche que ces trois colombes s’apprêtent effectivement à faire vigoureusement la guerre, depuis Ottawa. Ce tonnerre là roule en effet de plus en plus fort sur l’horizon politique fleurdelysé: fondation de l’Union des Forces Démocratiques (1959), de l’Action Socialiste pour l’Indépendance du Québec (1960), du Rassemblement pour l’Indépendance Nationale (1960), du Mouvement Laïc de Langue Française (1961), du Nouveau Parti Démocratique (doté alors d’une remuante aile québécoise — 1961), de la revue Parti Pris (1963), puis plus tard du Mouvement Souveraineté-Association (1966), du Parti Québécois (1968). Début des actions directes violentes du Front de Libération du Québec (de 1963 à 1970 — un terroriste, dans ce temps là, c’était un héro national). Tout à coup, on comprend mieux nos trois colombes de pépier et de flacoter des ailes. C’est le virage du NATIONALISME québécois VERS LA GAUCHE du camembert sociopolitique autant que politico-politicien (en lieu et place de la mise en tombe dudit nationalisme avec un duplessisme qui semblait pourtant lui avoir imprimé un tatouage droitier immuable) qui fera s’égayer les trois colombes vers Ottawa. C’est le salut dans la fuite tout autant que roucouler pour mieux sauter, depuis la capitale fédérale. Elles s’y parlementariseront solidement et y deviendront les trois corneilles les plus criardement acharnées contre tout ce qui sera de gauche, centre-gauche, centre, pour les vingt années suivante, tant au Québec que dans le reste du Canada. Ce geste triadique de 1965 n’est rien d’autre qu’un discret exercice de récupération de bons ténors anti-duplessistes un tout petit peu ridés et désormais semi-désœuvrés. On procède au sain recyclage fédéraliste de libéraux (aussi au sens non-politicien du terme) déjà sociologiquement dépassés au Québec, en fait.

J’avais sept ans au moment de l’envolée lireuse des trois colombes. Je n’en garde aucun souvenir effectif. Le congrès à la chefferie du Parti Libéral du Canada trois ans plus tard, par contre (1968), je le vois encore de mes yeux, sur le petit téléviseur en noir et blanc de la cuisine. Comme, au fond, c’est bien toujours le grand bourgeois bilingue qui flotte au dessus du miasme de classe, Trudeau, devenu, en trente-six mois, l’homme-lige de Lester B. Pearson et son ministre de la justice (position implicite de dauphin, dans le parlementarisme à l’anglaise d’autrefois), fut consacré sous mes yeux d’enfant nounounet chef du Parti Libéral du Canada et, automatiquement (sans repasser devant l’électorat — à la Westminster, c’est comme ça), premier ministre du Canada. J’entends encore ma mère dire pensivement à mon père: C’te Trudeau là, y a l’air d’un cadavre. Cadavre, je sais pas. Sépulcre déjà blanchi, là, certainement…

Je me souviens de Pierre Trudeau (1919-2000), inévitablement. Je n’ai absolument aucun souvenir vif de Gérard Pelletier (1919-1997), vite escamoté et, par la suite, durablement effacé, à faire le diplomate en Europe et autres fariboles feutrées d’officines dans le genre, loin de la place publique. De Jean Marchand (1918-1988), je garde l’image particulièrement irritante, faisandée, moisie, d’un politicard fédéraste véreux, gueulard, alcoolique et sans envergure aucune, qui passait à la télé pour japper contre les militants du F.L.Q. Un minable, un brimborion. Le hochet, sans stature aucune, qu’il craignait tant de devenir.

Plumées, rôties, donc, deux des trois colombes. Disparues dans la bourrasque historique. L’une perdue dans le passé immémorial (Pelletier), l’autre épinglée dans le passéisme sans crédibilité, déjà pour la jeunesse de mon temps (Marchand). Alouette, gentille alouette, ah… Quand à Trudeau, il assuma sereinement, jusqu’à la lie, ses servitudes et turpitudes politiciennes. Il fit ses ravages, ses fadaises et ses pirouettes en son temps puis il passa la main, lui aussi (en 1984). Comme avec tous les pécu parfumés de bonne tenue (calembour intentionnel), avec un canadien-français de prestige, on fait ce qu’on a à faire, puis on jette après usage. Voilà qui en dit long et limpide sur ce que la politique politicienne essuie, peinture, tartine, brasse, en fait, pour endormir le petit monde, au service des vrais pouvoirs qui, eux, du reste, ne font PAS de conférences de presses solennelles.

Vive le Citoyen Libre (du politique politicien et de ses symboles historico-tocs, genre colombes, faucons et autres futiles volatiles dont on reparle tant).

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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

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