Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Qu’est-ce qu’un réactionnaire? Qu’est-ce qu’un néo-réactionnaire?

Posted by Ysengrimus sur 15 juillet 2012

Aucune critique du progrès n’est légitime, à moins qu’elle ne signale le moment réactionnaire de ce dernier dans la sujétion générale, excluant ainsi inexorablement tout abus au service du statu quo. Le retour positif de ce qui est tombé en décadence, se révèle complice des tendances destructives de notre époque plus radicalement encore que ce que l’on avait stigmatisé comme destructif. L’ordre qui se proclame lui-même n’est rien d’autre que le masque du chaos.

Théodore Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, Gallimard, collection TEL, 1962, pp -8-9.

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Un réactionnaire c’est un type particulier de conservateur qui saute, qui jump, qui réagit (réac…), habituellement violemment, à toutes formes de progrès social ou ethnoculturel, explicite ou implicite, en freinant des quatre fers, en sursautant et en gueulant. C’est un conservateur compulsif, épidermique et convulsionnaire. C’est un doctrinaire spontané et soupe-au-lait de droite. Inutile d’ajouter que, dans sa perpétuelle auto-sanctification, la politique américaine, pour cultiver l’exemple-navire, est déterminée par le rapport de force entre deux grands partis. Le Parti Démagogue et le Parti Réactionnaire… Leur conjoncture bicamérale (une chambre démago, une chambre réac, ou l’inverse) autant que le tout de leur vie publique, sempiternellement caramélisée dans les tartufferies de moralité bigote en mondovision, le montrent d’ailleurs superbement, si encore nécessaire. Mais l’attitude réactionnaire, son mode de vie, sa weltanschauung, va beaucoup plus loin que les ballotements prévisibles de la politique politicienne. C’est moins un camp politique localisé qu’un état d’esprit général, fondamental, qui est en cause ici. Une foule imposante fait claquer les carrés et les rectangles rouges dans les rues de Montréal (ou d’ailleurs). Vous dites “j’adore” quand vous détestez viscéralement et, en fait, vous marginalisez (”Ça me ramène à l’époque de mes cheveux longs…”) pour masquer votre terreur sourde de voir les idées marxistes, socialistes, communistes, anarchistes, anticapitalistes, internationalistes, anti-conservatrices, continuer d’avoir cours, revenir, en fait, resurgir… subvertir. Vous exemplifiez ainsi parfaitement le comportement sautillant, méprisant, popcornesque et hystéro d’un réactionnaire… Vous faites le petit approbateur/réprobateur faux-cul-j’ai-tout-vu pour, en fait, vous poser en arbitre de la lutte des classes contemporaine (dont vous remettez pesamment en doute la pertinence, théorique ou pratique) et, ainsi, chercher à insécuriser l’objecteur et le bâillonner, du haut de votre expérience trahie, de votre maturité détournée. Autre symptôme réactionnaire ancien, typique, suranné, patent: vous souillez l’idéal au nom de votre vide pragmaticien. L’idéal: pas de ça chez nous.

Ce dessin de FAUJOUR n’est PAS une caricature mais une superbe description concrète de ce que signifie réactionnaire. Bloquer et retarder un développement inévitable par tous les moyens, même si ce blocage est destructeur pour l’ensemble de la société civile et autodestructeur pour l’instance même (si ce manager-tavernier traite tous ses pairs sur ce ton, sa raideur idéologique va se mettre à nuire sérieusement aux affaires de la boutique). Ne plus baser son action sur l’analyse, mobile et ajustée, d’une situation mais sur l’émulsion irrationnelle et compulsive que provoque, en l’instance, par pure fixation, certaines idées ou certains faits. La réaction, la réaction pure, bien c’est ça. Les idées retardent, elles ne suivent plus les faits sociétaux, sociohistoriques, ethnoculturels (un réac pourra se mettre à aboyer en entendant du joual au théâtre, de la cacophonie au concert, en rencontrant des cheveux bleus, une caboche rasée d’un seul côté ou des petons portant deux chaussettes de couleurs différentes, ou en constatant un brin de batifole dans la vie publique). Et cela perdure, jusqu’au triste soubresaut ajustant qui, par choc, par fracture, fera que cet enfant réalisera son rêve, poussant cet adulte hargneux dans le passé foutu…  Un réactionnaire c’est aussi (surtout!) quelqu’un qui a des hoquets moraux rétrogrades face à ce qui se passe dans sa propre vie et sous son propre épiderme… L’enjeu est justement tout juste là: aptitude ou inaptitude à s’ajuster sur la surface du sociétal sans vraiment progresser. Freiner le grand glacier blanc qui avance en craquant, pourfendant inexorablement la croûte de la côte. Dans une telle situation, cela ne peut, éventuellement, que dériver ou déchirer. C’est le lancinant paradoxe existentiel conservateur. Ce pasteur, anti-homosexuel virulent, s’étant fait pincer dans les bras d’un autre homme, c’est lui le réac cardinal, rédhibitoire, contradictoire. Le réac est fondamentalement une subjectivité rétrograde emprisonnée, bien contre son gré, dans une objectivité progressante. La réalité objective de ce qu’il est s’impose à lui, intégralement, comme au reste de son époque, sans plus sans moins et ce, malgré les croyances les plus tenaces de sa subjectivité réac et contre elle. La poussée implacable du progrès est ce qui fait du réac un politicien ou un gestionnaire buté, déchiré, écartelé, donc incohérent et foutrement foutu. Ses bottines ne suivent pas ses babines, comme on dit dans le coin. Et, qui plus est, le réac progresse avec la société, veut veut pas. Soit il décolle, soit il déchire mais il avance, comme tout le reste. D’où la futilité de sa cause.

Et les néo-réactionnaires alors? Bien, ce sont les réacs 2.0. ni plus ni moins, les plus virulents et nuisibles de tous, parce que vifs, jeunes, flashy, pétants, clinquants… C’est que quand un progrès s’impose, il devient ordinaire. Et quand il devient ordinaire, il a toute l’apparence d’une situation établie, comme usuelle, comme institutionnalisée. Des femmes dirigent des entreprises, un noir préside les USA, les homosexuels se marient, le hidjab est toléré, la conscience citoyenne s’amplifie, les pouvoirs privés, factieux et asociaux, se disloquent, les services de santé sont libres et gratuits. Un jour, un jour ordinaire, pas un grand soir, tout le monde se met à solidement approuver ce que l’on rejetait si abruptement autrefois. Cela entre dans les mœurs. On passe à autre chose. Ce n’est même plus un enjeu. Indice de convergence des magnanimités subjectives? Non. Signe objectif de la généralisation avancée d’un consensus social sur une question devenue, tranquillement et sans trompette, un fait acquis, établi… Lorsque même les réacs d’antan se mettent à appuyer une cause progressiste, ses objecteurs n’ont plus grand glace sociétale pour patiner. La page est tournée… Sauf que, devant le véritable acquis progressiste, profond, installé, stabilisé, comme Adorno (qui analyse la venue de Stravinsky APRÈS celle de Schönberg) l’explique si bien dans mon petit exergue, il faut ensuite crucialement tenir compte du fait que certains progrès ultérieurs apparents sont en fait des reculades conscientes ou semi-conscientes. Eh oui, il faut rester alerte. Le nouveau n’est pas nécessairement le progressiste. La Parti Nazi était tout nouveau dans l’Allemagne (soi-disant) avachie de Weimar… Les causes néo-réacs s’agitent et se remuent comme si elles étaient des progrès. Et, hypocrites et clinquantes, elles se pubent, et elles se promeuvent comme du pétant, du rutilant, du flambant neuf. N’épiloguons pas. Le post-modernisme, le néo-libéralisme, le masculinisme (faux antonyme symétrique de féminisme), ça vous dit quelque chose? C’est de par ces causes là que, bruyants et visibles, certains arriérés sociologiques futés, qui comprennent parfaitement qu’il faut se mettre à la page pour paraître sensé, ont soudain comme l’air de mener la charge, de prendre l’initiative du débat, d’annoncer des «progrès» et des «nouveautés» qui ne sont que des régressions, insidieuses et nuisibles. L’oubli est le vivier idéal favorisant le faux-nouveau néo-réac de toc. Jean-Marie Le Pen commence par retirer son bandeau de pirate grotesque et est éventuellement remplacé par Marine Le Pen, si vous voyez l’image, tout en excusant son étroitesse politicienne. Ils sont particulièrement insidieux et nuisibles, ces néo-réactionnaires, faussement modernes, nouvelle-droite, articulés, forts en gueule, «lucides», voulant «réveiller» le peuple, plastronneurs, ratiocineurs, pseudo-novateurs, chantres du «c’est fini… et désormais…», flagorneurs-expertise et démagos-tendance. Mais, make no mistake, ils terminent une phase, en fait. Ils annoncent la fermeture de la grande taverne réac des choses, en appelant les ultimes tournées générales conclusives que sont ces faux-renouveaux-vraies-fins… Avez-vous dit: chant du cygne? Oh oui, l’étang est vaste mais c’est bien lui (le cri de ce grand oiseau flacottant qui ne gueule que quand il meurt) qui retentit, bruyant, tapageur, fondamentalement non-musical, creux. Sauf que bon, y en a plus que marre du néo-réactionnaire, héro passionnel, bien coiffé et cravaté, qui passe à la télé et traite toute redéfinition fondamentale de la société en chien crevé. Cessons donc une bonne fois de frimer l’analyse effective du mouvement des grandes phases. C’est le subversif, le vrai héro passionnel. Ces garçons subversifs, ces filles subversives, quand ils passent à la télé, quand elles passent à la télé, c’est bien encore pour s’y faire tirer des lacrymos dans la gueule par les constables de la réaction la plus ordinaire, encore elle, tiens, banale, perpétuée, onctueuse, implacable. Sauf que le jour du subversif et de la subversive viendra. Le jour du subversif et de la subversive est déjà là.

Montréal, 22 mars 2012

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4 Réponses to “Qu’est-ce qu’un réactionnaire? Qu’est-ce qu’un néo-réactionnaire?”

  1. Tourelou said

    Ces jeunes subversifs actuels ne sont-ils pas des progressistes 2.0?

  2. Un des articles les plus importants que j’aie pu lire par ici. Je vais tambouriner son apparition sur tous mes canaux.

  3. Jimidi said

    J’aime bien tes « saintes colères », du coup, on dirait le Saint Laurent en crue. Je partage complétement cette idée qu’un des masques de la réaction, finalement au service du statu quo, c’est l’apparente nouveauté.

    Je rêve, ou je sens comme une réserve de ta part à aborder (ici) frontalement les événement du « printemps d’érable » ?

    [C’est la réserve du Carnet Lenteur. Celle qui évite l’emporte pièce. Patience… – Ysengrimus]

  4. Ysengrimus said

    …si vous voyez l’image, tout en excusant son étroitesse politicienne.

    Un copain qui a eu la gentillesse de répercuter ce texte et d’en corriger les coquilles (sur ce point: merci à toi aussi, Jimidi) semble se demander pourquoi je fais excuse ici. Réponse: j’abhorre les exemplifications faciles à base de Marine Le Pen etc parce qu’elles véhiculent l’impression fausse que quand on est dans du réac, on est nécessairement dans du politicien tsointsoin. Longtemps avant d’être politico-électoral, le fait réac est ethnographique, sociétal et ordinaire. Un exemple. Nous voici en vacances en Nouvelle Angleterre, mon épouse et moi, et, à notre table au bed and breakfast, il y a un charmant jeune couple originaire de Jackson, Mississippi. La jeune dame est discrète, très belle du sud. Le jeune homme est expansif, pétulant, à son aise, bien fier de soi. Il ne se gênera pas, au fil de la semaine, pour affirmer qu’Obama est né en Arabie Saoudite, que sa loi favorite est le Second Amendement (l’amendement pro-flingue) et qu’il est déplorable que le déclin de l’esprit chevaleresque soit directement en corrélation avec la montée du féminisme. Mais la limpidité doctrinale, somme toute assez prévisible, rebattue même, de la vision du monde de ce jeune sudiste ne sera pas son trait réac le plus saillant, le plus piquant. Un matin, le vieux coq qui sert les petits dèjes nous explique que la petite fleur colorée posée délicatement dans les coupes de fruits est comestible. Mon épouse et moi la mangeons joyeusement et parvenons à convaincre une jeune belle du sud fort réticente à nous imiter. Notre jeune cador descend déjeuner sur l’entrefaite. Devant nos explications à propos de la fleur comestible, il n’a qu’un trait lapidaire, prononcé dans la compulsion réac la plus épidermique imaginable: I don’t eat a flower (je ne vais pas manger une fleur – C’est donc moi qui l’ai mangée). La convulsion viscéralement conformiste le reprend aussitôt que le vieux coq nous annonce que le (délicieux) bacon est, de fait, du bacon de dinde (Je lui ai donc picoré son bacon aussi). Il fallait voir ce jeune homme de vingt-six ans trépider ainsi devant son assiette et magistralement confirmer que la pulsion de réaction est une manifestation de rigorisme ordinaire chez l’epsilon banalisé bien avant que le plan de l’agora politique ne prenne place dans l’angle de mire.

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