Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

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Archive for 21 juin 2018

Du Nord

Posted by Ysengrimus sur 21 juin 2018

Il s’agit d’évoquer la puissance du Nord
Et sa fragilité, et son évanescence
Il faut donner raison et il faut donner tort
À ceux qui ont perdu la boussole de nos sens

C’est qu’il faut retrouver les choses que nous disent
Les dures immensités sous un soleil de feu
Les neiges craquelantes et l’immense banquise
L’étendue infinie qui fait plisser les yeux

Il faut chanter la peur et délier la bourse
Jeter l’or à la mer, tel un trésor tari
Il faut retrouver l’œil calme et cruel de l’ours
Quand il plonge et s’en va égorger l’otarie

Et les traîneaux à chiens doivent zébrer les surfaces
Sans les déchiqueter, comme en les survolant,
Faisant bruisser les neiges, faisant crisser les glaces
En plissant leurs étraves sous les gifles du vent

Il faut redécouvrir notre peur, notre gène
Devant la densité de nos glaciers fragiles
Et il faut écouter la voix aborigène
Qui nous dit de refaire le cercle de nos villes

Il s’agit de redire nos erreurs et nos torts
Toute cette souillure du fer terni, poisseux et sale
Dont nous avons enduit nos territoires du Nord
Lors de nos incursions béatement coloniales

La banquise infinie souffre et n’accepte plus
De céder sous le poids de tous nos brise-glace
Le Nord doit retrouver ce qui était son but
Occuper calmement son immense surface

L’ours blanc a mal aux pieds et il a l’œil éteint
Les poissons ont quitté leur océan livide
L’otarie semble rire. C’est qu’elle ne comprend rien
Au désordre historique de ses tourments liquides

La banquise est venue (elle est immémoriale)
Longtemps avant les filles, longtemps avant les gars
Le respect que l’on doit à sa masse virginale
S’étend depuis le pôle jusqu’à la taïga

Il faut cesser de dire que l’on va s’occuper
De nos immensités nordiques, un beau matin
Tout en perpétuant une conscience décalée
Embrumée de bobards, de frime, de baratins.

Il s’agit d’écouter la vive conscience inuite
Quand elle enserre le cœur de nos indifférences
Ne plus tergiverser par des propos sans suite
Tandis que le Grand Nord absorbe nos carences

Le soleil de minuit projette une lumière crue
Sur tous ces animaux dont nous violons les lois
Nous qui avons rêvé et nous qui avons cru
Que le Grand Nord serait éternellement froid

Il faut le protéger comme un petit enfant
L’ours blanc et l’otarie, de concert, le demandent
Entendons ce grand cri, quand la banquise se fend
Le chant du Nord est vrai, la cause du Nord est grande

On disait que toujours la neige serait blanche
Que le Nord éternel ne disparaîtrait pas
Et, au jour d’aujourd’hui, il est triste et étrange
Que cette affirmation fonde comme un frimas

Il s’agit de scander le devoir radical
Qui jaillit de nos yeux, qui chuinte de nos corps
Envers ce qui est terrestre, climatique, animal
Il s’agit de sauver ce qu’il reste du Nord

Car le Nord est en nous. Voyons-le tel qu’il est
Sous son ciel immuable, sa surface infinie
Est si pure, si solide. Il est éternité
Il chante et chantera, sans un heurt, sans un cri

Quand nos traîneaux dessinent leurs stries respectueuses
Sur son corps frémissant qui ne craint pas demain
Nos chiens aboient mais la banquise est silencieuse
Le Nord est infini, puissant, limpide, serein.

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