Le Carnet d'Ysengrimus

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UNE COCCINELLE AU NUNAVIK (Isabelle Larouche)

Posted by Ysengrimus sur 7 août 2023

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On aborde en douceur, dans cet ouvrage de littérature jeunesse, la problématique du dépaysement. L’écrivaine Isabelle Larouche nous raconte, cette fois-ci, l’histoire d’une enseignante québécoise qui s’en va travailler au Nunavik, dans le grand nord du Québec, plus précisément à la petite école primaire de Kangiqsualujjuaq. Le déplacement se fait par avion (environ quatre heures de vol, avec escales —  Il n’y a pas de route terrestre pour accéder au village). Or, sans le savoir, notre narratrice ne fait pas le voyage seule. Une coccinelle fait le déplacement, en sa compagnie, mais en passagère clandestine involontaire. Oh, oh… comme on a tous notre petite entomologie vernaculaire sur le bout des doigts, on suppute sans trop broncher que la coccinelle ne vit pas nécessairement dans le grand nord. Or cette conception est à prudemment nuancer. Bon, la fameuse coccinelle rouge à sept points (Coccinella septempunctata) préfère effectivement vivre dans le sud du Québec (ainsi que dans plusieurs autres régions du reste du monde), notamment sur des plantes basses et dans les potagers, où elle se nourrit de pucerons. Mais, preuves zoologiques en mains, on sait que la toundra ne lui fait pas peur. Elle peut donc y circuler, le temps d’un joli conte, sans que l’écot qu’on paye toujours au réalisme à visée didactique dans l’œuvre d’Isabelle Larouche ne soit dûment payé, rubis sur l’ongle. Donc, ne nous inquiétons pas, la petite coccinelle survivra.

De fait, Isabelle Larouche elle-même pourrait tout à fait pasticher le célèbre mot de Flaubert et s’exclamer, sereine, la coccinelle, c’est moi. En effet, si nous ne sommes pas directement dans la féerie ici, nous sommes indubitablement dans l’allégorie. Une analogie se cheville donc solidement entre notre coccinelle exploratrice et l’enseignante québécoise qui l’a emmenée avec elle, sans le savoir. Découvertes originales et investigations papillonnantes sont de rigueur. C’est que le Nunavik est un immense espace de dépaysement, tant pour l’humain occidental que pour l’insecte des régions tempérées. Habité par les Nunavimmiuts, qui sont des Inuits, ce vaste territoire se caractérise tant par ses particularités ethnoculturelles que par sa faune et sa flore. L’univers évoqué ici sera largement animalier et notre coccinelle baladeuse fonctionnera un peu comme une sorte de caméra miniature volante qui nous livrera rien de moins qu’une version contemporaine du Hinterland Who’s Who de l’espace découvert. La promenade exploratrice survolera hardiment les montagnes et les rivières de cet habitat naturel contrasté. L’aventure sera peu banale. Mazette, on ne rencontre pas un omble de l’Arctique, bien sautillant et bien affamé, tous les jours, tout de même. En matière de flore, on mentionne notamment la fameuse plaquebière, au fruit si invitant (pas d’illustration, dans son cas). Les animaux rencontrés sont présentés par leur désignation normée et ils sont presque tous illustrés. Le tout de la chose rend ce grand in-folio sur papier glacé, élégant et vivement coloré, très agréable à découvrir, notamment avec des petits enfants.

Au plan ethnoculturel, les découvertes de la balade ne sont pas en reste. On rencontre notamment une anaanatsiaq, une «bonne maman» (c’est à dire une grand-mère — voir l’illustration de couverture). Les élèves inuits de l’enseignante à la coccinelle sont curieux et enjoués. Ils sont dépeints tout naturellement, avec fraîcheur et simplicité, sans ethnocentrisme. Tout l’ouvrage d’ailleurs manifeste une subtile aptitude à éviter les stéréotypes culturels tout en restant proche des conditions de vie ordinaires des gens dont on esquisse ici la rencontre. Les qualités éducatives de cet opus sont discrètes mais indubitables.

Une traduction en inuktitut du conte est assurée par Sala Padlayat. Cela donne l’opportunité, entre autres, de découvrir les lettres du syllabaire inuktitut. Les illustrations sont de Christine Sioui Wawanoloath. Elles sont somptuaires, généreuses, dans un style figuratif accessible, agréable, gracieux et vif.

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Isabelle Larouche (2019), Une coccinelle au Nunavik, Éditions du Soleil de Minuit, Coll. Album du Crépuscule, Saint Damien de Brandon, in-folio, 24 p. [Traduction en inuktitut de Sala Padlayat, Illustrations de Christine Sioui Wawanoloath]

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Du Nord

Posted by Ysengrimus sur 21 juin 2018

Il s’agit d’évoquer la puissance du Nord
Et sa fragilité, et son évanescence
Il faut donner raison et il faut donner tort
À ceux qui ont perdu la boussole de nos sens

C’est qu’il faut retrouver les choses que nous disent
Les dures immensités sous un soleil de feu
Les neiges craquelantes et l’immense banquise
L’étendue infinie qui fait plisser les yeux

Il faut chanter la peur et délier la bourse
Jeter l’or à la mer, tel un trésor tari
Il faut retrouver l’œil calme et cruel de l’ours
Quand il plonge et s’en va égorger l’otarie

Et les traîneaux à chiens doivent zébrer les surfaces
Sans les déchiqueter, comme en les survolant,
Faisant bruisser les neiges, faisant crisser les glaces
En plissant leurs étraves sous les gifles du vent

Il faut redécouvrir notre peur, notre gène
Devant la densité de nos glaciers fragiles
Et il faut écouter la voix aborigène
Qui nous dit de refaire le cercle de nos villes

Il s’agit de redire nos erreurs et nos torts
Toute cette souillure du fer terni, poisseux et sale
Dont nous avons enduit nos territoires du Nord
Lors de nos incursions béatement coloniales

La banquise infinie souffre et n’accepte plus
De céder sous le poids de tous nos brise-glace
Le Nord doit retrouver ce qui était son but
Occuper calmement son immense surface

L’ours blanc a mal aux pieds et il a l’œil éteint
Les poissons ont quitté leur océan livide
L’otarie semble rire. C’est qu’elle ne comprend rien
Au désordre historique de ses tourments liquides

La banquise est venue (elle est immémoriale)
Longtemps avant les filles, longtemps avant les gars
Le respect que l’on doit à sa masse virginale
S’étend depuis le pôle jusqu’à la taïga

Il faut cesser de dire que l’on va s’occuper
De nos immensités nordiques, un beau matin
Tout en perpétuant une conscience décalée
Embrumée de bobards, de frime, de baratins.

Il s’agit d’écouter la vive conscience inuite
Quand elle enserre le cœur de nos indifférences
Ne plus tergiverser par des propos sans suite
Tandis que le Grand Nord absorbe nos carences

Le soleil de minuit projette une lumière crue
Sur tous ces animaux dont nous violons les lois
Nous qui avons rêvé et nous qui avons cru
Que le Grand Nord serait éternellement froid

Il faut le protéger comme un petit enfant
L’ours blanc et l’otarie, de concert, le demandent
Entendons ce grand cri, quand la banquise se fend
Le chant du Nord est vrai, la cause du Nord est grande

On disait que toujours la neige serait blanche
Que le Nord éternel ne disparaîtrait pas
Et, au jour d’aujourd’hui, il est triste et étrange
Que cette affirmation fonde comme un frimas

Il s’agit de scander le devoir radical
Qui jaillit de nos yeux, qui chuinte de nos corps
Envers ce qui est terrestre, climatique, animal
Il s’agit de sauver ce qu’il reste du Nord

Car le Nord est en nous. Voyons-le tel qu’il est
Sous son ciel immuable, sa surface infinie
Est si pure, si solide. Il est éternité
Il chante et chantera, sans un heurt, sans un cri

Quand nos traîneaux dessinent leurs stries respectueuses
Sur son corps frémissant qui ne craint pas demain
Nos chiens aboient mais la banquise est silencieuse
Le Nord est infini, puissant, limpide, serein.

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