Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Poésie d’outre-ville

Posted by Ysengrimus sur 15 Mai 2009

dada-ekasticism

Mon recueil de poésie, intitulé Poésie d’outre-ville vient de paraître aux éditions ELP (2009). Par outre-ville j’entend à la fois ce qui précède la ville et y succède, ce qui est au pourtour de l’urbain et ce qui en émerge. Certains des textes figurant dans ce recueil concernent directement l’esprit grognard et critique du Carnet d’Ysengrimus. En voici un exemple. Bonne lecture.

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De notre temps (stance à singer Chaussier)

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J’invoque l’âpreté des circonstances
Qui me portent sans heurt à finasser
En me ruant tout roide en cette stance,
Cul par dessus bobine, à la Chaussier
Que cocasse je mise de singer.
A finasser, que dire, à m’alanguir,
À braire, hululer, coasser et glapir.

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C’est que voilà un monde en décadence
Dont l’ordre inique est à se fissurer.
Ceux qui s’affligent et ceux qui s’en balancent
Vont en découdre, vont en concasser.
Dans l’empoigne de classes, enchevêtrées
Ensembles au caniveau de cet empire.
Les gueux contre les grands, les vrais contre les sbires.

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Mais je finasse, obtus, sans élégance.
Contrefaire des vers, singer Chaussier,
Quand la rude rue à l’assaut s’élance,
C’est chercher à franchir, en échassier,
Le cloaque social émulsionné.
Or je chie dense et trouble, sans défaillir
Sur quiconque y trouverait parole à redire.

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C’est que par tous les trous, le cri se lance.
Ce mur d’argent, il faut le fracturer.
On le dit, on le scande. Révolte, transe.
Alors, on ne va pas me chipoter
Si je me pique de le versifier.
Il s’agit de cracher et de vomir,
De constater le coup de poing, et de le dire.

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Tout est bonne musique à cette danse.
Pour le coup je ne vais pas me gêner,
Entretenir quelque flasque défense,
Pérenniser pusillanimités.
Il s’agit de portraire et d’éructer.
Le Phénix a cramé, il doit vagir.
Les hôtels vont bientôt fermer. Il faut partir.

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Il s’agit de clamer des évidences.
Il s’agit de portraire à la Chaussier.
Leur rompre le versoir. Leur casser l’anse,
À ces baratineurs, ces épiciers,
À ces Accappareur & Associés.
Le chapon égorgé, il faut le cuire.
Le plongeoir est déjà plié. Il faut bondir.

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Voici donc le marchand. Viens là, avance.
Accuse l’univers de tes ratés.
Il cherche à nous fourguer ses denrées rances.
Il aspire à nous faire spéculer
Sur l’ambiguë éventualité
De son aptitude à tanner le cuir
Du sort boursicotier, du Moloch, du délire.

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Voici le gouvernant. Il tire et lance
Des câbles d’amarrage. Il veut lier
Les plateaux d’or de milliers de balances
En un joli mobile équilibré,
Une harmonie sociale, tempérée.
Un contrat lacéré, pour amortir
La tempête, gonflée de tellement venir.

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Voici le militant, la militante
Qui s’amplifie, qui sue, qui est monté(e)
Face à l’indifférent, l’indifférente
Qu’il faudra désormais conscientiser.
Sur fond lacrymogène et policier,
La conscience nouvelle va surgir.
Qui sait, peut-être sans conflit, sans coup férir.

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De notre temps, je romps le lourd silence.
Pour dire que c’est fait, c’est arrivé.
Et pour annoncer l’ère des violences.
Contrefaire des vers, singer Chaussier,
Me semble le moins laid des procédés
Car, s’il faut s’empoigner et s’estourbir,
Autant avoir le chic du mot, du dit, du dire…

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On trouvera de brefs mais fort amicaux compte-rendus de ce recueil de poésie ici (en public) et ici (en privé).

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Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

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6 Réponses to “Poésie d’outre-ville”

  1. trublion said

    C’est le paradoxe des vers, plus difficile à mettre en oeuvre que la prose, mais qui permettent plus facilement d’exprimer ce que l’on a sur le coeur, avec des mots qui dans la prose passeraient moins bien.

    Je dis bravo.

  2. sam said

    Original! Et assez surprenant… car le style est tout de même déroutant… curieusement en français uniquement… car la langue française moderne en tous cas, donne l’impression qu’elle ne possède pas de dialecte du peuple ou de la rue… car on parle comme on écrit en français pratiquement tout et n’importe quoi… tout ce qu’on veut et nous passe par la tête quoi! Contrairement à l’anglais ou l’arabe (classique… qui tient à sa différence), Il existe des dialectes parlé par le peuple qu’on oserait pas écrire.

    Je connaissais pas l’auteur des Contes de Canterbury, mais une rapide recherche internet permet de savoir donc que c’est un peu le père de la langue anglaise moderne… ou comme stipulé sur Wikipedia, la source de la tradition vernaculaire anglaise! Il me rappelle en tous cas un poète qui peut définitivement revendiquer la même chose chez les Marocains, Abderrahmane El Majdoub, non pas noble ou ayant eu des titres officiels lui comme Chaucer, mais quasiment troubadour, et Socrate de son temps au seizième siècle, dont la prose, les proverbes, le sarcasme politique ou sur les moeurs et la société ou la «morale», continue d’inspirer la langue du peuple, et pas que. Le théâtre populaire marocain est né un peu grâce à ses fameux quatrains, et une grosse part des chansons ou poèmes chantés dans la pure tradition marocaine arabe sont encore considéré comme une joie intense pour l’oreille et une référence pour aussi bien l’érudit que l’analphabète avisé encore aujourd’hui! C’est à ce point… 🙂 …. Un jour à l’occasion, je tenterais de vous traduire l’un de mes préférés, un poème d’amour destiné à tromper le père, marchand rusé, mais hyper jaloux de sa fille hyper protégée convoitée par notre ami, ou encore un autre genre, une espèce de poème sarcastique et très profond à l’égard de «l’ami traître» ou l’ingrat… une perle qui résume un peu tout le génie et la splendeur de ce type qui se baladait entre les villes et les villages comme un fou et dont les gens ne comprenaient que peu… sauf les plus rusés d’entre eux! 🙂

    Bravo, Ysengrimus en tous cas, pour avoir bien réussi à répliquer un peu ce ton populaire et direct quittw à enfreindre les règles de la prose… tout en délivrant le message en bonne et due forme! Message reçu en tous cas! 🙂

  3. Estelle said

    Oh! Mais voilà une manière élégante de s’indigner et de héler les bonnes gens alentour.. Et à les inciter à s’indigner de même!

    C’est tellement d’actualité!

    Pour moi, c est très important de s’indigner, C’est beaucoup plus modeste que la révolution mais c’est à la portée de chacun…

    Ysengrim, qu’est ce que tu écris bien😊

  4. Gentil Kilt said

    Du grand Paul. Incisif et magnifique.

  5. Estelle said

    Cher Paul Laurendeau,

    Permettez-moi de vous adresser mes sincères vœux de bonne année.

    Bonne oui, bien que l’actualité ne nous réjouisse pas. Notre monde de consommation et de gaspillage a atteint ses limites. Il en prend la mesure théorique sans courage et nous nous effrayons de ce qui nous attend. Chez nous, la guerre à nos frontières nous aurait paru une de ces folies impossibles il y a encore un an…

    Loin du brouhaha médiatique des grandes maison d’édition qui se disputent le vedettariat, celui-ci comique et quelquefois pire, désolant, je regarde avec plaisir cheminer ELP, comme d’autres petites maisons formidables. C’est en elles que je trouve pour ma part cette littérature inventive et vivante qui me nourrit.

    J’ai lu il y a peu votre livre Poésie d’outre-ville. La tonalité de l’ensemble m’émeut, certains de vos poèmes me touchent beaucoup et me restent. Je n’ai pas eu encore le temps de renseigner le livre sur Babelio mais je vais le faire.

    J’espère que vous allez bien, cher Paul.

    Je vous souhaite une excellente journée et vous envoie bien sincèrement mes pensées amicales.

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