Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Posts Tagged ‘chanson populaire’

BARBARA, ÉBÈNE ET IVOIRE (Denis Morin)

Posted by Ysengrimus sur 7 avril 2023

L’écrivain Denis Morin est à installer le genre, original et exploratoire, de la poésie biographique. Mais cet auteur est aussi, de plain pied, un poète, un poète précis et fluide dont l’inspiration se déploie au sein d’une œuvre pleinement articulée et autonome. En découvrant le présent ouvrage, on prend justement surtout la mesure de l’art poétique, en soi, de Denis Morin. Le texte est court, lapidaire quoique très senti. La sensibilité artistique s’ouvrant vers les arts textuels s’y manifeste d’une façon particulièrement tangible.

De jour comme de nuit

C’est comme le cafard
Qui se dépose
Au fond d’une tasse
L’amour
Un café amer
Sans lait ni sucre
C’est comme un visage
Sans fard
Tu me manques
Je m’ennuie
De tout, de ta petite musique
De jour comme de nuit.
(p. 37)

Il y a, chez notre poète, une ouverture très finement construite dans la direction de la poésie concrète, elle-même cette solution moderniste gérant la rencontre de la quotidienneté la plus légère et des émotions les plus denses. On a devant soi ici, avant tout, un petit recueil de poèmes. L’aventure biographique de Denis Morin marque ici une sorte de pause. Barbara (1930-1997) va moins être décrite ou desservie comme personnalité dont on relate la vie qu’investie comme muse. On évoque la bête de scène certes, mais on le fait avant tout dans ce qui procède en elle de l’envolée universelle.

Votre silence

J’ai fait de la scène ma maison
J’ai fait de mes tournées mes saisons
Avec le même piano
Je ne vous ai jamais tourné le dos
Les pieds ancrés au sol
Votre silence me permettait de prendre mon envol.
(p. 44)

Ici, on ne parle pas de Barbara, on écrit sur Barbara. C’est très différent. La Barbara boisseau de symboles est plus profondément investie ici, par le poète, que la Barbara personne ou citoyenne. C’est bien plus de la Barbara qui est en nous qu’il s’agit ici. C’est que —cette poésie nous le donne à découvrir— on a tous un concert de Barbara qui nous sonne solennellement dans la tête. Oh, assurément, on va, tout naturellement, chercher les traits de caractère de la grande chanteuse. La personnalité psychologique. Mais, encore une fois, parle-t-on de la citoyenne Barbara ou de tout ce que la culture française a pu produire de femmes en lutte pour s’agripper au tout puissant et tumultueux radeau des planches?

Amarante

On me dit chiante
Mais en fait, j’opterais pour la nature exigeante
Je me déclare amante de la vie
Je ploie et je me redresse
Sans cesse
Je sanglote ou je ris
Mystérieuse comme une fleur d’amarante.
(p. 14)

Cette fleur ancienne est à la fois ordinaire et extraordinaire. Un peu comestible, un peu indigeste, un peu spectaculaire, un peu commune. Fleur atavique, fleur flamboyante, fleur pudique. On métaphorise ici sur Barbara, en concrétude et en poéticité. Bon, ceci dit et bien dit, attention, ne nous y trompons pas, pour autant. Option fondamentale de genre oblige, on nous le livre bel et bien, le bon résumé biographique. Fulgurant, il se donne mais ce que je vous dis c’est que, de se donner ainsi, il dicte surtout la texture motrice de la poésie.

De gré à gré

Une jeune femme loge
À Bruxelles, chez une tenancière
L’artiste tente de se faire une carrière,
Puis à Charleroi,
Elle séduit, se marie à un avocat
Au bout de quelques années, se libère…
Elle boutonne son chemisier, tous deux font leurs valises
Elle lui noue sa cravate à pois
Ils se laissent, se quittent de gré à gré
À Saint-Germain-des-Prés
(p. 7)

Ces segments biographiques sont retenus et résonnent, comme autant de lamelles, de par leur portée socio-historiquement généralisable. Barbara incarne l’insidieuse et solide libération d’époque des femmes par rapport à un conjoint convenu, bien intentionné mais involontairement patriarcal. Et, de fait, le problème du père fait éventuellement son apparition, lancinant. Denis Morin reste alors très discret, pudique. Il ne fait dire à son texte que le dicible. Ça hurlerait, si tout était dit. Ici, ça se contente de juste un peu grincer.

Une enfance à cloche-pied

À mon père, j’ai inventé mille métiers
Il était en fait désargenté
Ma mère était désenchantée
À fuir les huissiers de l’enfance
Plus de temps pour la marelle
Pas de temps pour s’acheter une ombrelle
J’en ai oublié mes poupées dans l’errance,
Mes soucis dans les ronces.
(p. 3)

À son père, elle a aussi inventé toutes sortes de justifications souterraines et de pardons secrets, qui ont fini par se craqueler au fil des années. C’est que, comme un peu nous tous, Barbara, c’est la faillite du père. Et la faillite du père, c’est la faillite d’un temps. Un temps où, entre autres, la chaîne stéréo de cette maisonnée du siècle dernier, bien c’était un piano (ici —incidemment— loué par le père). Et Barbara est pianiste. Elle est devenu touche-clavier sur ce fameux piano loué (puis escamoté, par le père). C’est une pianiste instinctive, autodidacte, vernaculaire. Ébène et ivoire, allez-y voir. C’est, dans tous les sens du terme, une pianiste de la main gauche.

La main gauche

Murmures, cris, livrer l’émotion
Confidence, éclats de voix désinvoltes
Révolte
Séduction
Mon reflet sur le fini de mon «crapaud»
Mon piano
Mon encre de Chine
Derrière lequel je tiens mon échine
Toujours présenter la main gauche
Sur le clavier
Mettre à l’ombre la droite maintes fois opérée
Rive gauche
J’ai toujours opté pour le cœur.
(p. 33)

Un crapaud c’est un piano. Ébène et ivoire, voire! On ne peut pas imaginer plus intrigante rencontre entre hideur et majesté que la rencontre récurrente et secrète entre Barbara et son crapaud. Et la pianiste ne fait que plunker et dégoiser, dans ses tous débuts de petites salles enfumées. Rien, absolument rien, ne la voue à l’immensité artistique qui l’attend. Elle végète plus qu’autres choses. Elle s’esquive, elle est en queue de peloton, C’est ainsi, depuis qu’elle est tout petite, toute écolière. Et ce sont, dans l’œuf, à la source, ses faillites académiques qui dicteront son éclosion dans l’art.

La bannière

À l’école
J’étais la dernière
Et mon frère aîné le premier
Une scène j’occupais
Des chansons et des poèmes j’improvisais
Plus besoin de répondre aux colles
Je devenais chanteuse,
Un jour, j’ai vu mon nom, chanceuse,
Tout en lettres imprimées sur une bannière
À mes rêves, je n’ai jamais renoncé.
(p. 8)

Et la voici qui rejaillit derechef, cette lancinante problématique de l’eau et l’huile du profil académique et du profil artistique. Je ne suis pas scolaire. Artiste, j’erre. À mes rêves, je n’ai jamais renoncé. La devise de tous les enragés, mêmes les plus tranquilles et discrets. Nous y voici donc, devant ce qui sera. Pianiste instinctive, cancre devenue artiste. Elle ne l’est pas, académique. Elle ne l’est pas, institutionnelle. Elle n’est pas écrivassière, non plus. Toute cette paperasse lui échappe. Elle le sent car elle se sent.

Autrement

L’écriture musicale, ce n’est pas pour moi
D’autres feront ma foi
L’impression de mes partitions dûment
Pour pianistes en mal de chansons françaises
Non, je ne suis pas nantaise
Oui, je laisse à certains les potins et les fadaises
J’écris et je vis autrement
En mode bohème constamment.
(p. 40)

Elle n’est pas technique, elle n’est pas savante, elle n’est pas livresque, elle n’est pas convenue. Le bruit des partitions lui fait gricher les oreilles. Mais c’est une obsédée, une hyper-organisée. De ne pas être intellectuelle elle investira puissamment la concrétude, jusqu’au pinaillage. Tout se configurera dans le monde qui bruisse et frémit et c’est dans les replis intimes de sa matérialité scénique qu’enfin elle existera.

Arrière-scène

J’ai deux mots à te dire
Mon banc sera-t-il à la bonne hauteur?
Ajuste encore un peu les projecteurs!
On n’a rien oublié pour la sonorisation?
Puis le piano est bien couvert dans le camion
Tout est prêt pour que nous puissions partir…
Prochaine ville, encore bien du chemin à parcourir
Caravane de music-hall, tu as vu cette ovation…
(p. 22)

Concrétude, le monde pratique de Barbara s’imposera. Et, inspiré par ce langoureux tourment ès praxis, Denis Morin suivra. Poète se coulant dans la ruelle urbaine esquissée et dessinée pas sa grande muse efflanquée et râleuse. Denis Morin nous refera, à sa façon, Prévert et sa Barbara, autre muse fameuse et inoubliable. Et les lecteurs et lectrices aussi suivront. Le recueil Barbara, ébène et ivoire est composé de quarante-cinq poèmes (pp 3-47). Il se complète d’une courte liste de références (p. 49). Il s’agit là d’une magnifique petite aventure poétique.

.

Extrait des fiches descriptives des cyber-libraires:

Ce sont les mélodies et les mots de Barbara (née Monique Serf, 1930-1997) qui ont provoqué l’écriture de ce recueil noté dans un carnet noir, lors des déplacements quotidiens en train de Denis Morin. À sa manière, l’auteur a voulu saluer cette ambassadrice de la chanson française.

.

Denis Morin, Barbara, ébène et ivoire — Poésie, Éditions Edilivre, 2015, 49 p.

.

.

.

Publicité

Posted in Citation commentée, France, Monde, Musique, Poésie | Tagué: , , , , , , , , , | 4 Comments »

PIAF, TOUJOURS L’AMOUR (Denis Morin)

Posted by Ysengrimus sur 1 octobre 2022

L’écrivain Denis Morin est à installer le genre, original et exploratoire, de la poésie biographique. En découvrant le présent ouvrage de poésie, portant sur Édith Piaf, on prend d’abord la mesure de l’art poétique, en soi, de Denis Morin. Le texte est court, lapidaire quoique très senti. La sensibilité artistique s’ouvrant vers les arts de la scène s’y manifeste d’une façon particulièrement tangible.

Le spectacle

Édith, chaque soir de spectacle
Se produit un petit miracle
Tu entres dans ta loge
Tu souris à ton impresario
Contre ta secrétaire, tu tempêtes
Tu te maquilles
Tu enfiles ta petite robe noire
Comme tenue de scène obligatoire
Pour mieux incarner la tragédie
Avec tes mains qui implorent et déchirent le ciel
Avec ta voix immense à en faire trembler les vitraux
De Notre-Dame, Padam, padam.
(p. 23)

On entre tout doucement dans ce monde et la poésie biographique se met délicatement en place. Parfois elle agit en regardant Édith Piaf du dedans, parfois c’est en la mirant du dehors. Et on  aborde alors le monde cruel et douloureux du spectacle. Il est entendu que c’est là un grand espace d’intensité passionnelle et ce, même quand cela est dur, ardu, drainant.

Un soir de gala

Éclats de verre
Fragments d’hier
Amants, vieilles histoires
Oublier un scélérat
Ou un compositeur ingrat
Retrait de ses chansons du répertoire
Mise à l’ombre, mise en échec
Boire
Gommer un temps leur mémoire
Pour retrouver certains d’entre eux
Un soir de gala
Feindre d’être à son mieux
(p. 27)

Tout se dérègle en méthode car, chez Édith Piaf, la java et le travail fusionnent souvent. Fondamentalement, ils ne font qu’un. Solidement individualisée, l’artiste se définit à tous moments à travers les conflits passionnels qu’elle dégage avec ses différents collaborateurs. Mais dans la tempête desdits conflits, se manifestent aussi, sans partage, des rencontres sublimes… et pas seulement, comme on l’a dit si souvent, avec des hommes (des amants, des serins, des quasi-gigolos, des pupilles). La sororité, dans le torrent du travail, a aussi fait partie intégrante de l’univers d’Édith Piaf.

Marguerite Monnot

Le Ciel m’a envoyé cette femme patiente
Amusante
Amie charmante
Elle aurait été une brillante concertiste
Son jeu était apprécié par Camille Saint-Saëns
Marguerite la pianiste
Elle, grande et mince et blonde
Moi, petite et délicate
Elle habitait après la guerre boulevard Raspail
Bien loin, derrière moi, les canailles
J’écrivais des textes
Elle m’arrivait avec ses compositions
Toujours dans la bonne intention
Le bon contexte
Nous formions le premier tandem féminin
En chanson française
Puis pour un beau garçon
Un compositeur
Marguerite a cédé son banc de pianiste
Qui ne regrette rien?
(p. 16)

Comme des détails biographiques très riches sont intériorisés dans la succession des plans poétiques, on en vient à toucher le nerf des comportements sociaux d’Édith Piaf. C’est encore la connexion entre java et travail qui est en cause. On en vient graduellement à découvrir qu’il n’y pas là exclusivement fusion mais aussi radicale fission. Les deux comportements se démarquent, se séparent, se déchirent, se nient presque. On découvre quelque chose comme ce qui opposerait une cigale et une fourmi.

Mi cigale mi fourmi

Je me décris à la fois
Cigale et fourmi
Fourmi sur une scène et en répétition
Et cigale la nuit entourée d’amis
Gare à ceux qui font faux bond
On est mieux avec moi
Qu’à la cour des rois
On mange, on boit, surtout on rit
Je mêle le travail et le plaisir
Je nourris mon art par le désir.
(p. 28)

Voilà ce qui est, aussi perturbant que cela puisse paraître. D’ailleurs, il serait difficile de toucher la question des différentes facettes de la vie d’Édith Piaf sans toucher, justement, la question de ses conditions psychologiques. L’intense artiste (morte à 47 ans) souffre de tous les déchirements intérieurs imaginables. Pour tout dire comme il faut le dire, elle galère.

Ma galère

Je me sens parfois
Comme une garce
Qui se mire trop souvent dans la glace
Qui impose sa galère
Aux personnes qui la supportent,
Qui la tolèrent
Des fois, je me dis que c’est à cause
Des méchants comme moi
Qu’il y a la guerre…
Me viennent à l’esprit
Ces réflexions naïves
Je me sens parfois
À la dérive
Comme les volutes d’une clope se heurtant sur la glace.
(p. 11)

Douleur simple, écrue, nue, directe, cuisante. Culpabilisation presque enfantine aussi. Il faut dire que ses origines modestes la déterminent profondément. Re-nommée la Môme Piaf (par imitation d’une autre chanteuse de rue à la mode, du temps, la Môme Moineau), elle gardera toujours, intimement chevillée à sa faconde, la stigmate glorieuse et gouailleuse de son vieux fond vernaculaire.

Une enfant de la balle

Être une enfant de la balle
Fille d’un osseux contorsionniste
Et d’une chanteuse de rue à la destinée si triste
On est bien loin des rivages en images,
De la belle écriture en fions et en jambages
Oubliez Deauville ou la Ligurie
Le ciel parisien était vraiment gris souris
Et la suie tachait les mains pour de vrai
Et la pluie était froide et sale
Hiver comme été, fallait chanter
Puis tendre un béret
Pour acheter les bons pains frais
Et craquants à se mettre sous la dent
De monsieur le boulanger du coin
Il me faisait parfois la charité d’une brioche
J’attendrissais déjà les cœurs avec ma tête de mioche
Je faisais et je ferai la boîte à musique si souvent…
(p. 5)

De la belle écriture en fions et en jambagesÉdith Piaf s’en fera soumettre toute sa vie, par toutes sortes de paroliers surdoués, les premiers de France. Elle s’y adonnera elle-même, à la belle écriture. Un choc intellectuel entre la penseuse modeste et l’interprète sophistiquée va fatalement s’installer. On touche l’ensemble des aspirations qui configurent sa vision du monde. Le fond de l’affaire est finalement assez radical et assez simple: Édith Piaf veut comprendre…

Comprendre

Je veux comprendre le sens des choses,
La vie, la mort, l’amour
Et le pourquoi du parfum des roses…
Je me sais lucide
Parfois drôle
Tantôt acide
Comme si je me promenais entre deux pôles
Je déforme la réalité
Pour me rendre plus supportables les vanités
La beauté du regard et le talent
Ne sont que peu de choses
Si l’on ne sait pas croire en l’Amour.
(p. 39)

Déterminée philosophiquement autant qu’artistiquement, autodidacte en lutte constante avec son héritage intellectuel en crise, Édith Piaf pense et agit. Mais la problématique objective de l’être va vite s’incliner devant la problématique intersubjective de l’amour (toujours l’amour). Que ce soit dans ses interactions professionnelles, dans son rapport au monde, dans ses transes passionnelles avec le public. Édith Piaf, se doit d’aimer pour vivre. Aimer et être aimée. Tout ce qui est vrai et tout ce qui est faux se problématise dans l’amour.

Le vrai du faux

On me dit souvent irascible
Tantôt susceptible
Qui osera me contredire?
Je régente tout
De la levée du rideau au répertoire
Impossible
Depuis le berceau
Avec ce besoin irrésistible
De plaire
Et d’être aimée
Je me connais
J’aime ou je déteste
Je mens ou si peu
J’omets les moments trop laids
Je cultive dès à présent ma gloire
Pensera-t-on à moi beaucoup ou trop peu?
(p. 31)

Il faut dire que la question est ici fort adéquatement posée. Pensera-t-on à moi beaucoup ou trop peu? Car le fait est que plus de cinquante-cinq ans après sa mort (survenue en 1963), on pense à Édith Piaf. On y pense intensément, sans concession. Elle nous obsède, nous hante et ce, tant de par sa voix que de par ce qu’elle dit. Et Denis Morin —qui y pense aussi— l’a admirablement saisie, cette obsession d’Édith Piaf qui reste si fermement installée en nous. Le recueil est composé de trente-six poèmes (pp 3-40). Il se complète d’une chronologie détaillée de la vie d’Édith Piaf. (pp 45-55) et d’une liste de références (p. 57). On y retrouve aussi trois photos d’Édith Piaf, dont une photo d’enfance (pp 41-43). À lire, à faire tourner la tête.

.

Extrait des fiches descriptives des cyber-libraires:

Édith Piaf (1915-1963), figure de proue de la culture française, connut tout autant la misère que la gloire. Sa voix résonne encore en nous. L’auteur s’est penché sur la vie de la Môme qui ne regrettait rien ou si peu.

.

Denis Morin, Piaf, toujours l’amour — Poésie, Éditions Edilivre, 2017, 57 p.

.

.

Posted in Citation commentée, France, Monde, Musique, Poésie | Tagué: , , , , , , , , , | 16 Comments »

AUTREFOIS (v.f. de YESTERDAY des Beatles)

Posted by Ysengrimus sur 6 août 2015

Beatles-yesterday
.

Autrefois
Pour moi les problèmes n’existaient pas.
Maintenant j’en ai tellement. Je crois
Oh oui, je crois
En Autrefois.

Subitement
Je n’suis plus celui qu’j’étais avant.
Je me sens dans un brouillard pesant.
Oh reviens-moi
Mon Autrefois.

Sans même s’expliquer elle m’a quitté. Mais pourquoi?
J’ai fait un faux pas… et là je regrette Autrefois.

Autrefois
L’amour était un jeu si plaisant
Maintenant je cherche des faux-fuyants.
Oh oui, je crois
En Autrefois.

Sans le moindre mot elle me quitta mais pourquoi?
J’ai fait ce faux pas… et là je regrette Autrefois

Autrefois
L’amour était un jeu si fripon
Maintenant je cherche des solutions.
Oh reviens-moi
Mon Autrefois

Il y a cinquante ans pilepoil aujourd’hui, sortie du 45 tours YESTERDAY des Quatre Titans dans le Vent.

Traduire les Beatles. Convertir les Quatre Titans dans le Vent dans la langue de Brassens. Qui oserait oser…. C’est que c’est la musique pure. Mais aussi, le rythme, la dérision, l’anecdotique, la fraîcheur anodine d’un texte si badin qu’on n’ose y croire. L’allemand est la seule langue dans laquelle les Fab Four d’origine se sont traduits eux mêmes. I want to hold your hand devint Komm, Gib Mir Deine Hand et She loves you devint Sie Liebt Dich en 1963-1964 (cette dernière pièce décevra les quatre musiciens au point de les décider à ne plus jamais s’autotraduire – vous avez bien raison, les gars, laissez ça à ceux que ça excite). Les textes des Beatles sont encore un chantier de découverte pour le francophone. Et comme il faut bien commencer quelque part. À vos guitares, à vos semelles pour taper du pied (le rythme est cardinal, crucial). Chantons en cœur. Ce n’était pas des dieux psychédéliques. C’était des baladins. Eh bien en français aussi on peut faire le baladin…

.
.
.

Posted in Commémoration, Musique, Poésie, Traduction | Tagué: , , , , , , | 22 Comments »

Rihanna posant sur l’esplanade de la Grande Mosquée d’Abou Dhabi. Non? Oui?

Posted by Ysengrimus sur 28 octobre 2014

Mosque Sheik Zayed

Il est de ces faits divers qui prennent, en leur fugitif instant de vie, une vive dimension de débat philosophique. Il n’est pas dans mes habitudes, surtout ici (et ce, quoi qu’en disent certains petits esprits) de faire dans le journalisme actualiste. Mais cette fois-ci, parce qu’un dilemme touchant le dialogue culturel en monde se dresse, il faut que la pensée marque une pause et se pose où l’œil se pose. Tout débute donc, il y a tout juste un an, avec le communiqué suivant, tombant sur mon petit fil de presse personnel.

GRANDE MOSQUÉE SHEIK ZAYED

(ABOU DHABI — ÉMIRATS ARABES UNIS)

COMMUNIQUÉ

 

Le Complexe de la Grande Mosquée Sheik Zayed tient à signaler clairement que la Mosquée qu’il administre est un des principaux monuments religieux, culturel et civilisationnel des Émirats Arabes Unis. Le Complexe s’est efforcé, depuis sa fondation, de faire la promotion de l’échange culturel avec les personnes d’autres cultures et, de ce fait, il est devenu un haut lieu du tourisme religieux dans la région. Depuis son ouverture officielle en 2007, la Mosquée est vite devenue un fleuron national et cela signifie qu’on très grand nombre de fidèles et de touristes venus de notre pays et du monde entier la visitent.

Dans le cadre de ses activités de nature culturelle, le Complexe de la Grande Mosquée Sheik Zayed est ouvert aux visiteurs de différentes nationalités, se présentant en délégations ou individuellement. Ces visiteurs sont invités à découvrir nos trésors d’art islamique dans un espace manifestant l’excellence de l’esthétique architecturale islamique. Ils sont aussi invités à participer à certaines activités culturelles spécifiques, comme le concours photographique ESPACES DE LUMIÈRE qui attire chaque année des milliers de photographes de partout dans le monde, qui viennent concentrer leur attention artistique sur l’esthétique visuelle spectaculaire de cet extraordinaire édifice.

Les gens sont donc autorisés à prendre des photos sur le site de la Mosquée et de son esplanade mais l’administration de la Mosquée leur demande de le faire d’une façon adéquatement déférente, en gardant constamment à l’esprit qu’il faut se comporter respectueusement, attendu la nature religieuse de l’endroit. Il faut donc éviter de prendre des photos d’une façon inappropriée ou en adoptant des poses qui ne sont pas conformes à la sainteté du lieu. Il faut aussi éviter de parler à voix haute. Il est aussi interdit de boire et de manger.

Le Complexe tient à attirer l’attention sur un incident ayant eu lieu lors de la visite, de nature individuelle, à la Mosquée, d’une éminente chanteuse populaire. La chanteuse en question n’avait pris aucun arrangement préalable avec l’administration de la Mosquée et y avait initialement accédé en passant par une entrée qui n’est pas prévue pour le public. Invitée à entrer dans la Mosquée par une voie d’entrés destinée aux visiteurs, la chanteuse a alors préféré ne pas entrer et s’adonner à une séance de photos sur l’esplanade. Nous avons du finalement la prier de se retirer, quand il s’est avéré que les photos qu’elle prenait n’étaient pas conformes aux exigences de déférence formulées par la Mosquée.

On doit ce petit couac, volontaire ou involontaire, de relations publiques, à la chanteuse Robyn Rihanna Fenty (née en 1988 à la Barbade) qui en était, ce jour là, à la portion moyen-orientale de sa tournée mondiale du moment. Voici un exemple représentatif des photos en questions, sur lesquelles ni la chanteuse populaire ni son service de relations publiques n’ont émis le moindre commentaire ultérieur.

Rihanna a Abou Dhabi

D’autres photos sont disponibles ici, dans un article qui, lui, à l’époque, avait indubitablement pris ouvertement parti contre ce geste de la chanteuse et de son équipe de relations publiques. Nous sommes de fait ici dans un dispositif visuel et sémiologique où absolument rien n’est fortuit. Aux signes ostensibles (noter ce mot, dans toute sa signification tant vive que toc) de fausse déférence que sont le voile cachant les cheveux, le noir uni, le tissu ample de la tenue et le fait que seuls le visage et les mains sont visibles se joignent sciemment et très ouvertement les transgressions: le maquillage, le vernis à ongles, le grand bijou d’or qui, sur certain des plans, est bien placé, pour briller (le Coran est explicite dans sa réprobation du caractère socialement arrogant de l’or), le jump suit (il n’est pas encore dans l’usage pour une femme de se présenter à la Mosquée en pantalons) et, bien entendu, les poses…

Très populaire dans le monde entier (y compris au Moyen-Orient où ses concerts font salles combles), Rihanna c’est aussi un corpus textuel véhiculant ouvertement et sans complexe un corps de valeurs hédonistes et sensualistes. Que je me permettre de vous en montrer un exemple représentatif.

Push Up On Me

We break, we’re breaking down
It’s getting later baby, and I’m getting curious
nobody’s looking at us, I feel delirious
’cause the beat penetrates my body
shaking inside my bones
and you pushing all my buttons, taking me outta my zone

The way that you stare, starts a fire in me
Come up to my room you sexy little thing
And let’s play a game, I won’t be a tease
I’ll show you the room, my sexy little thing

I wish you would push up on me
I wish you would light me up and say you want me
Push up on me

I know many guys just like ya, extremely confident
Got so much flavor with you, like you’re the perfect man
You wanna make me chase ya like it’s a compliment
But let’s get right down to it
I could be the girl that’ll break you down

We break, we’re breaking down
I wanna see how you move
Show me, show me how you do it
You really got me on it, I must confess
Baby there ain’t nothing to it
Baby, who you think you’re fooling?
You wanna come get me outta my dress

(Rihanna, chanson Push up on me, Album, Good girl gone bad, 2007)

Personne n’est dupe de la surface de l’image. Il y a inévitablement un segment non-négligeable des aboudabiens et aboudabiennes qui connaissent ce corpus, s’en démarquent ou s’en réclament (y compris dans sa dimension égalitaire face à l’homme), si les organisateurs des tournées de Rihanna ont épinglé les Émirats Arabes Unis sur la mappemonde de leur trajectoire de concerts. Il n’y a pas de naïveté ici. Aucune naïveté. Tout le monde, d’un côté comme de l’autre de ce conflit fondamental appliqué, sait parfaitement ce qu’il fait… et tout de même tout le monde s’avance un peu. Telle est donc la confrontation. Sa portée de généralité est loin d’être négligeable et on parle ici bien plus de symptôme que d’anecdote. Deux plaques tectoniques ethnoculturelles mondiales se touchent et la pression s’accumule. Sans aller décréter qui est «libéré(e)» et qui ne l’est pas, on a donc d’un côté une chanteuse «de charme» (s’il faut euphémiser) à l’allure et au contenu discursif et visuel sereinement sexualisés et libertins, et de l’autre côté un lieu de culte majeur du monde musulman (avec son esplanade d’une capacité de 40,000 espaces individuels de prière, la Grande Mosquée Sheik Zayed est la sixième plus grande mosquée du monde islamique contemporain) dont on peu supposer que les visiteurs s’y rendent pour des raisons intellectuellement et émotionnellement distinctes de celles dont cette chanteuse fait la description et la promotion.

Il n’y a pas que du subtil et du rationnellement avancé dans les replis conceptuels et commerciaux de la culture occidentale, il s’en faut de beaucoup. Et le théocratisme islamique des monarchies du Golfe, j’ai vraiment pas besoin de m’appesantir sur ses nombreux avatars. Ce genre d’événement montre ouvertement que l’Occident et ses valeurs hédonistes et sensualistes (mais aussi égalitaristes en sexage) pousse le bouchon et s’avance jusque sur l’esplanade d’une grande Mosquée d’un Émirat du Golfe Arabo-Persique. Qui charrie ici? Qui va trop loin? Qui exagère et abuse de la visibilité de l’autre? Où est le faux respect? Qui est la fausse victime? Un dialogue majeur des cultures se concentre dans cet événement d’actualité. Il va falloir prendre parti. Il va falloir s’ajuster. Le progressiste va devoir s’avancer. Le rétrograde va devoir reculer. Le colonialiste va devoir se rétracter, le bigot, se rajuster. Mais qui est qui ici?

En tout cas il y a une chose qui n’est pas anodine dans tout cela. Ce sont les femmes qui sont les reines en blanc et les reines en noir (la batterie la plus puissante donc) sur ce vaste échiquier contemporain. Alors… un an plus tard… Rihanna posant pour une séance de photos sur l’esplanade de la Grande Mosquée d’Abou Dhabi. Non? Oui? Je vous laisse juges…

.
.
.

Tiré de mon ouvrage: Paul Laurendeau (2015), L’islam, et nous les athées, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

.
.
.

Paru aussi (en version remaniée) dans Les 7 du Québec

.
.
.

Posted in Citation commentée, Culture vernaculaire, L'Islam et nous, Monde, Multiculturalisme contemporain, Philosophie, Sexage, Vie politique ordinaire | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , | 31 Comments »

LA MORT DE L’OURS (Félix Leclerc)

Posted by Ysengrimus sur 2 août 2014

Jeune-Félix Leclerc

Il y a cent ans pile-poil aujourd’hui naissait Félix Leclerc (1914-1988). Il n’est plus avec nous mais il est encore tant tellement avec nous. Oh, mais surtout… le grand secret des secrets, c’est qu’il nous a lui même raconté sa propre mort dans cette chanson écolo-avant-la-lettre de 1969. Lisons et écoutons plutôt…

.

LA MORT DE L’OURS

Où allez-vous, Papa loup
Chapeau mou, médaille au cou
Vous a-t-on nommé shérif
Des montagnes et des récifs?

Non, mon fils, j’ai pris un bain
Chaussé guêtres et canne en main
Vais porter hommage au roi
Si tu veux, viens avec moi

Ni orignal ni carcajou
Je ne connais roi que vous
Peigne plutôt tes poils fous
Et suis-moi à pas de loup

Ils ont marché quatre lieues
Arrivés près d’un torrent
Sauvage et débordant
De cris et de chants d’adieu

Bonjour Sire, c’est moi, le loup
M’voyez-vous, m’entendez-vous?
Suis venu à travers bois
Vous saluer, comme ils se doit

Il se tient droit, salue l’ours
Qui a la patte dans le piège
Plein de sang dessus la mousse
Et tombe la première neige

Le petit loup est ému
Et voudrait rentrer chez lui
Le gros ours, le gros poilu
Lui sourit et dit merci

Ils sont revenus de nuit
À travers bouleaux jolis
Le plus grand marchait devant
Et pleurait abondamment.

.

Posted in Civilisation du Nouveau Monde, Commémoration, Culture vernaculaire, Environnement, Musique, Poésie, Québec | Tagué: , , , , , | 26 Comments »