Qu’est-ce que le populisme?
Posted by Ysengrimus sur 7 juillet 2017
Le président Obama, à la fin du sommet dit des Trois Amigo (juillet 2016), s’est lancé dans un développement bizarroïde et auto-justificateur qu’il a qualifié lui-même, d’un ton boudeur et blasé, de bougonnade (rant). «Si vous me permettez, j’aimerais dire une dernière chose parce que ça vire en boucle dans un bon nombre de questions posées en ce moment. Il s’agit de cette fameuse affaire du populisme.» Il a ensuite suggéré qu’on jette un coup d’œil pour se renseigner (ce qu’il n’a visiblement pas fait lui-même) sur la signification de la notion de populisme. Il y voit en effet le fait de représenter les intérêts des hommes et des femmes du commun. Sur la base de cette définition superficielle et bébête, il s’est alors mis à se justifier. Il a expliqué qu’il s’était lancé en politique pour aider les gens, pour s’assurer que le nécessiteux ait les mêmes chances de succès que le rupin, que la mère travailleuse dispose de garderies fiables, que le système fiscal soit équitable, que les babis aient une éducation décente… etc… etc… Faites lirer les violons. «Now, I suppose that makes me a populist» a-t-il ouvertement insisté.
Et de poursuivre: «Quelqu’un d’autre n’a jamais démontré le moindre respect pour les travailleurs, ne s’est jamais battu pour la justice sociale, n’a jamais fait l’effort de permettre aux enfants pauvres d’avoir leur chance dans la vie, ou de disposer de soins de santé (de fait le quelqu’un en question a ouvertement œuvré contre les opportunités économiques pour les travailleurs et les gens ordinaires). Un tel quelqu’un ne devient pas soudainement un populiste sous prétexte qu’il tient des propos controversés pour engranger des votes. Ceci n’est en rien la mesure du populisme. C’est du nativisme, ou de la xénophobie ou pire encore. Ou alors c’est tout simplement du cynisme.» Obama a ensuite justifié son intervention en 2008 lors du rachat de certaines compagnies ricaines de bagnoles. Il a limoné en expliquant qu’il ne faisait pas plaisir à la bourgeoisie en effectuant ces rachats agressifs et unilatéraux mais qu’il les avait fait quand même pour le bien commun et non pas pour faire plaisir à tel groupe spécifique ou tel autre. Et bla… et bla…. et blablabla.
Alors… bon… passons sur la conception bourgeoise, ou centriste, ou radical-bourgeoise de la justice sociale et de la lutte, réelle ou feinte, pour le souverain bien d’un Obama en fin de trajectoire et concentrons notre attention sur la définition du populisme qui sous-tend la bougonnade auto-justificatrice de ce jour là. Il est assez net que, dans l’esprit de ce politicien sans science politique, populisme s’oppose ici à élitisme. Dans ce type de sociologie simplette, binarisée et réactionnaire dont les américains ont le sublime secret, le populiste travaille pour le peuple et l’élitiste travaille pour l’élite, point final. Cherchez pas plus loin. Et, manichéisme axiologique gnagnan oblige, l’un est un bon et l’autre est un méchant. Et Obama de se vexer de ne pas lui, être qualifié de populiste, donc de bon.
Le problème ici est qu’Obama politicien se pose en acteur sur la société, alors que la notion de populisme renvoie, elle, à une façon de penser la société. Il s’agit moins de savoir qui on sert (ou prétend servir) que qui on est. Le populisme est une ontologie qui s’ignore, bien longtemps avant d’être une pragmatique qui s’assume. La vieille notion de PEUPLE (catégorie descriptive centrale du populisme) est une notion unificatrice mais non organisatrice, simplificatrice mais non descriptive, nivelante, globalisante, abstraite, volontariste, simpliste et creuse. Le populiste, le vrai tribun populiste, nie ouvertement ou implicitement que le peuple (tout le peuple, «ses» élites inclusivement) soit traversé de contradictions internes, de guerres intestines, de conflits radicaux, de rapports de forces définitoires. Niant la contradiction, ce que le populiste nie fondamentalement c’est la réalité motrice de la lutte des classes.
Le politicien populiste sera donc d’abord un bourgeois ou un homme du peuple roulant pour les bourgeois. Cela ne lui semblera nullement contradictoire… justement. Pas de lutte de classes cela veut dire pas de conflit existentiel dans l’idée paradoxale d’un rupin plein aux as prétendant mener la plèbe en guenilles vers ses lendemains qui chantent. Le populiste est moins anti-élitiste qu’anti-classe. Il n’analyse pas la société qu’il prétend diriger. Il la prend d’un bloc, en se guidant comme d’instinct sur son idéologie dominante (qui, subconsciemment ici, reste toujours l’idéologie de la classe dominante). L’ennemi de classe étant nié, il restera à stigmatiser l’ennemi national, l’ennemi populaire (du moment), l’ennemi de race, l’agneau pascal inamical, l’ennemi fantasmé sur tous les axes imaginaires permettant à la propagande populiste d’enterrer soigneusement la lutte des classes dans la gadoue xéno, nationaleuse et ethnocentriste. Oui, monsieur Obama, le fait de tenir des propos xéno vous rend populiste, incontestablement. Mais c’est pas pour les raisons mal formulées que vous ne conceptualisez aucunement dans votre rhétorique tristounette, tout en les déplorant tout de même. C’est plutôt que la fabrication martelée et martelante de l’ennemi imaginaire soude illusoirement le Peuple en lui masquant ses cuisantes luttes internes au profit de cette fleur au fusil fallacieuse et matamore qui, justement, sert tellement les élites. Disons la chose dans la langue de nos bons ricains, la seule qu’ils décodent vraiment. It is the oldest trick in the book…
Corollairement et accessoirement, l’amalgame populiste se fait autant dans l’intellect que dans le sociétal. Aussi, le politicien populiste n’aime pas plus la pensée critique (entendre la sociologie philosophiquement fondée, c’est-à-dire principalement sinon exclusivement le matérialisme historique, marxiste surtout) dans les têtes qu’il n’aime la lutte des classes dans l’action. Le politicien populiste est donc, corollairement et accessoirement, un solide et tonitruant anti-intellectuel. Regardez-le simplement interagir avec les journalistes, même les journalistes croupions qui lui lancent des balles molles. Ce sera pour constater que le politicien populiste préfère la phraséologie à la pensée. Il ne fait pas cogiter. Il fait rêver. Ce n’est pas une intendance sociétale qu’il avance. C’est un show. Le politicien populiste ne fait pas cela par bêtise d’ailleurs. Il fait cela par rouerie. Il sait, d’instinct ou autrement, que la pensée fondamentale est contradictoire. Il se tient loin d’elle donc, lui préférant le ci-devant sens commun ou bon sens, ce caramel unilatéral et superficiel apte, un temps, à figer les crises historico-sociales, les empêchant temporairement de fendiller le vernis de surface de tout programme politicien simpliste.
L’affectation des élitistes co-optés et désillusionnés genre Obama face au populisme durillon est assez parlante à son sujet, de fait… une fois qu’on en a saisi les ressorts. L’Obama crépusculaire se réclame ostentatoirement du populisme. Il dit: pourquoi dites-vous que le populiste c’est l’autre quand le vrai ami du peuple c’est moi? C’est qu’Obama est assez astucieux pour comprendre que le populisme, c’est la planque élitaire parfaite, finalement. Mazette, s’il n’y a plus de bourgeois, plus de prolétaires, plus de paysans, plus de banquiers, d’industriels, de commerçants, d’aigrefins militaro-industriels, de lobbyistes, de financiers, de clochards… S’il n’y a plus que Nous, le Peuple, c’est bien que, le temps de l’union sacrée du moment, c’est la nuit et que tous les chats son gris. Le bourgeois, qui cherche de plus en plus désespérément à se couler dans la masse, n’en demandait pas tant. Le populisme est toujours bon à prendre pour la bourgeoisie. Il transforme le petit peuple en soldat de ses intérêts de classe aveuglé par la démagogie et le scintillement illusoire des boucs émissaires antinationaux, anti-américains, anti-blancs, anti-nous…
Ceci dit, il reste que ce qui est est. Le Peuple n’existe pas plus comme notion socio-historique que la Race. C’est un artefact bourgeois dont la fonction est exclusivement de servir de base à un consensus de classe toc, rapace, tape-à-l’œil et mensonger. La limpidité et la tonitruance de la démagogie populiste parlent d’elles-mêmes. La démagogie populiste s’y montre telle qu’elle est. Le citoyen calme, informé, le travailleur imprégné de ses priorités civiques ordinaires n’y adhère pas. C’est que le populisme reste ancré dans une idée de la nation qui est fondamentalement archaïsante. Ce n’est pas une idée progressiste. Aussi, quand Obama pleurniche de ne pas, lui, se voir qualifié de populiste, il tourne ouvertement le dos au progrès social qu’il aurait pu éventuellement autrefois incarner. Lui aussi, à sa façon, comme Bill Clinton ayant (soi-disant) fumé du cannabis sans l’inhaler, il a parlé au peuple sans vraiment l’incarner. Obama a autrefois nié être socialiste. Aujourd’hui il rêve d’être étiqueté populiste. Ces deux manifestations de science politique déficiente en lui posent déjà les jalons du jugement sévère que l’Histoire s’apprête à porter sur ce faux progressiste en costard. Populiste, mais oui il l’est, comme tous les thuriféraires bourgeois de la toute ploutocratique classe politique américaine. Et cela ne fait en rien de lui ou de ses semblables les bons gars et les bonnes filles populaires tributaires de cette axiologie simplette et gnagnan qu’on cherche tant à nous faire bouffer par tous les orifices.
.
Tiré de mon ouvrage, PHILOSOPHIE POUR LES PENSEURS DE LA VIE ORDINAIRE, chez ÉLP éditeur, 2021.
.
.
.
.
.
Paru aussi dans Les 7 du Québec
.
.
.
Caravelle said
Ah, enfin une explication du populisme qui fonctionne…
Surprenette said
Je seconde.
Magellan said
Savoureux, le passage de cette conception triviale du populisme (celle d’Obama, qui l’oppose mécaniquement à l’élitisme) à la conception analytique et théorique (la seule valide, celle qui remplace la lutte des peuples par la lutte des classes). Excellent, Ysengrimus.
Denis LeHire said
Ce blogueur d’un grand journal populiste montréalais adopte la même position implicite que celle d’Obama ici: le peuple contre les élites. Quand on sait que les populistes, en fait, dissimulent les élites dans le peuple et en font un TOUT UN…
LE POPULISME C’EST DÉFENDRE LE PEUPLE
Le populisme, c’est se servir du peuple pour endormir le peuple, oui…
Odalisque said
Merci, Denis. Ceci est un fort bon aperçu des arguments populistes. Il a pas l’air de trop savoir pourquoi les populistes sont des fachos, le pauvre petit…
Cymbale said
Mais pourquoi il est facho, le populisme?
[Pour pouvoir nier ses fortes contradictions de classes intérieures, le populisme projette ses ennemis à l’extérieur. Ce sera l’immigrant, l’ennemi national dans la guerre de théâtre du moment ou, s’il s’en prend à des élites, ce sera fatalement des élites INTERNATIONALES (les élites nationales font partie du peuple et se planquent soigneusement en lui). Tous ces ennemis extérieurs artificiellement maintenus servent de carburant actif ou passif à la démagogie populiste. — Ysengrimus]
Cymbale said
Le populisme est donc un nationalisme?
[Presque toujours, oui. C’est pas le PEUPLE in abstracto que le populisme fait mousser. C’est le PEUPLE AMÉRICAIN OU LE PEUPLE FRANÇAIS qui est décrété le plus fin et le seul méritoire. Le populiste défend SON peuple au détriment de tous les autres et, conséquemment, s’il attaque des élites au passage, ce seront les élites des autres peuples. Le populiste français s’en prend aux élites soi-disant américaines ou anglo-saxonnes, le populiste américain s’en prend aux élites soi-disant internationales (ou russes ou chinoises). Tout ça, c’est vieux comme la politique. — Ysengrimus]
Caravelle said
Ils s’en prennent aussi aux élites juives…
[Bien sûr, madame Carava. Absolument exact. Vous avez raison de le mentionner. C’est quoi le JUIF dans le fantasme du populisme? C’est tout simplement le NON-NATIONAL, le cosmopolite. Il ne fait pas partie de NOTRE PEUPLE. Il devient le bouc émissaire parfait du but fondamental du populisme: nier que la crise est une crise de lutte de classe interne à la société, en l’imputant à des éléments faciles à désigner comme non-nationaux. — Ysengrimus]
Brigitte B said
En lisant ceci, je comprends mieux que les populismes mènent directement à la guerre. Ils promeuvent le choc externe des peuples pour retarder le choc interne des classes. C’est la bourgeoisie d’un peuple qui se protège de ses travailleurs au détriment de la bourgeoisie d’un autre peuple. Le peuple des autres sert de repoussoir au bourgeois se nichant comme un parasite au sein de son propre peuple… et les peuples servent partout de bouclier humain, dans l’affaire…
[Pan dans le mille, Brigitte B. La xénophobie belliqueuse fait intrinsèquement partie de la méthodologie profonde du populisme. Anti-léninien en son fond, le populisme transforme la grande lutte des classes unique et mondiale en petites guerres internationales multiples. Le populisme est un vaste et sanglant exercice de distraction des masses exacerbées par le capitalisme en crise. — Ysengrimus]
Line Kalinine said
Le journal que tu poses en fin d’article semble laisser entendre que Jean-Luc Mélanchon est un populiste, c’est inexact.
[Vous avez tout à fait raison, Line Kalinine. La stratégie d’intox journalistique contemporaine consiste à amalgamer Mélanchon et LePen en les qualifiant tous deux de populistes (sous prétexte que leur clientèle-cible est populaire, la belle affaire). Dans leur propagande sommaire de folliculaires, ces canards parlent d’ailleurs de populisme parce qu’il ne peuvent plus vraiment parler d’extrémisme (extrême-gauche, extrême-droite), ces deux partis s’étant sensiblement recentrés. Mais il s’agit bel et bien ici de salir Mélanchon par LePen. Mélanchon se formule en termes de lutte des classes. Il est plutôt un socialiste gauchisant. Madame LePen est la seule populiste des deux. Elle se formule en terme de peuple français et accuse les élites européennes (non françaises donc) de tous les maux et ce… sans toucher à sa propre bourgeoisie dans ses critiques. — Ysengrimus]
Chloé said
Appliquer l’étiquette populiste d’une manière aléatoire —et erronée— à des mouvements et des figures de l’extrême-droite comme on l’applique à des groupes et des individus de la gauche socialiste (Syriza, Podemos, Mélanchon, Sanders, Corbyn, etc.) a un effet paradoxal et pervers. Appliqué à ces premiers, cela a l’effet d’atténuer ou masquer leur nature fondamentalement néo-fasciste, leur octroyant une légitimité et une banalité qu’ils ne méritent pas. De façon contradictoire, appliqué aux seconds, il a un effet décrédibilisant, délégitimisant, marginalisant de facto tout ce qui consiste à remettre en cause l’hégémonie de l’ordre socio-économique néolibérale.
Mura said
Très fort, Chloé. La notion de populisme est atténuative d’un bord comme de l’autre. Elle est pleinement l’effet de l’incurie ambiante des masses. Elle sert de doudoune pour enrober la saloperie de droite et les épines de gauche.
Catoito said
Jean-Luc Mélanchon. Homme politique de gauche, non-populiste… et brillant en plus (devant Bourdin, journaleux interruptif d’intox).
Marie Verne said
Merci pour cette belle discussion. Elle rend le passage suivant du texte d’Ysengrimus soudain lumineusement limpide:
Ysengrimus said
Et n’oublions pas qu’une fois bien installé sur sa selle, le politicien populiste se met tout nettement au service de ses vrais maîtres: (pas le petit peuple mais) la bourgeoisie nationale.
Marie Verne said
Donc le populisme, c’est pas une vrais doctrine politique. C’est, en fait, une démagogie, d’abord électorale, puis sociétale…