Le mot qui compromet irrémédiablement toutes guerres impérialistes: VIETNAM
Posted by Ysengrimus sur 30 avril 2015

Saigon, 1975
.
Il y a quarante ans aujourd’hui tombait Saigon, capitale du ci-devant «sud-Vietnam». Se terminait alors minablement ce qui aura été la plus lourdement symbolique et absurde de toutes les guerres de théâtres post-colonialistes du siècle dernier: la guerre du Vietnam. J’avais seize ans au moment de l’annonce à la fois subite et tant attendue de la paix au Vietnam. Ce fut tonitruant. Mes confrères et consœurs collégiens et collégiennes courraient partout dans les corridors de la vénérable institution, ce 30 avril 1975, euphoriques, débordants, colportant la nouvelle joyeuse et sans mélange du retour de la paix, de salles de classe en salles de jeux. La paix, la paix. On s’en tapait passablement, sur le coup, que les ricains se soient rétamés. La paix était revenue et c’était la concorde universelle qui s’imposait aux masses mondiales depuis cette onde de fond venue de la toujours mystérieuse Asie du Sud-Est. Cela nous remplissait d’une pure et simple grande joie. Pour quelques temps, c’est une limpide certitude, nous avons tous été Vietnamiens. Le courage et la détermination historiques de ces quelques millions d’hommes et de femmes restent, on peut le dire aujourd’hui comme on le scandait hier, un modèle, un exemple tout simple tout modeste mais magistral, pour tous les peuples opprimés par des plus puissants, des plus opulents et des plus brutaux qu’eux.
Souvenons-nous, sans lésiner ou chipoter et avec la plus respectueuse des déférences. Dans l’ancienne Indochine française, le colonialisme français vermoulu se fait d’abord sortir fermement par les partisans vietnamiens, à la bataille de Dien Bien Phû (1953). La Chine de Mao Zedong (1993-1976) brille alors comme un soleil ardent et la logique de confrontation du bloc de l’ouest (pro-ricain) et du bloc de l’est (pro-soviétique) est déjà solidement en place. Les Américains prendront donc le relais des Français pour tenter de garder le Vietnam dans le camp occidental. Le pays se retrouve vite coupé en deux, comme la Corée, l’Irlande, le Yémen, l’Allemagne. Hô Chi Minh, (1890-1969) chef du Vietcong fait de Hanoï sa capitale provisoire. Il travaille avec les chinois, tout discrètement. Mais surtout, il est «communiste». Les Américains eux, occupent ouvertement, brutalement, Saïgon et le Vietnam du sud. Dans l’existence de petits pays dits «communistes» comme le Vietnam, tout se joue, à cette époque, dans un monde en guerre froide, au rythme des lourds soubresauts de l’impérialisme américain. Entre 1965 et 1968, les États-Unis renforcent lourdement leur présence au Vietnam. C’est l’époque sinistre de Good Morning Vietnam! Les américains sont pris dans un paradoxe qu’ils ne pourront pas résoudre: comment gagner cette guerre contre des résistants pugnaces, dans la jungle indochinoise, sans la tourner en conflit international généralisé? Comment faire sauter une bombe dans un aquarium sans casser l’aquarium et tout éclabousser? Pour ne rien simplifier, un autre problème devient de plus en plus ardu pour les pouvoirs américains vers 1969-1970. Leur propre opinion publique est désormais bien moins docile et va-t-en-guerre que du temps du Débarquement de Normandie. Bob Dylan (né en 1941) et Joan Baez (née en 1941) chantent contre la guerre et toute la génération du Peace and Love devient Draft Dodgers. En 1975, les américains ne peuvent plus tenir cette équation en équilibre. Ils perdent donc, en catastrophe, la guerre du Vietnam. Saigon est rebaptisée Hô-Chi-Minh-Ville et le Vietnam est unifié et pacifié, sous le drapeau rouge.
Mais c’est alors que VIETNAM va littéralement devenir un mot-clef sociopolitique universel et ce, dès la fin de la guerre. Comme frapper son Waterloo signifie faire face à une défaire aussi cuisante que limpide et définitive, rencontrer son Vietnam se dit désormais de la déroute d’une puissance en conflit avec une contrée beaucoup moins établie ou organisée qui, elle, parviendra, avec patience, méthode, courage et détermination, à emmêler le géant dans les filets strangulatoires de sa guerre de résistance. Depuis que les Américains ont décampé de Saigon, dans le désordre le plus chaotique, on ne conceptualise tout simplement plus la guerre impérialiste moderne de la même façon. Des gens qui se battent chez eux, dans leur hinterland, pour protéger leurs familles, leurs hameaux et leurs communautés peuvent indubitablement vaincre et ce, sur le terrain des opérations tout autant que dans l’opinion du village global. Depuis le 30 avril 1975, les grandes puissances, et particulièrement, l’impérialisme américain, sont circonspects, timorés, fantasques, nerveux, grippés. Les roys n’ont plus leurs aises depuis l’abrupt départ de Louis XVI. Plus rien ne sera jamais comme avant, dans les chancelleries chics. Aussi, les puissances d’agressions et d’occupations contemporaines engagent de plus en plus des ressources colossales pour soulever un caillou dans les guerres de théâtres. Le gâchis financier et humain atteint désormais des proportions pharaoniques, pour des résultats géopolitiques de plus en plus confus, déstabilisants, minus, stériles et nuisibles. N’enthousiasmant plus que le bellicisme d’affaire, les faucons américains font désormais dans la guéguerre toxique, asociale, mercenaire et factieuse. Le Vietnam leur a collé au ventre une trouille durable et emblématique, une allergie sentie au discrédit sociopolitique et socio-historique planétaire. Ceci ne se dément pas au fil du temps qui passe et de la mondialisation qui opère, elle, de plus en plus, dans les espaces de solidarité citoyenne, pas juste dans les petits réseaux feutrés des officines impériales foutues. Le mot VIETNAM synthétise désormais la foutaise futile de toutes guerres impérialistes.
Mais il y a plus, beaucoup plus. L’incontournable message que nous transmet l’héritage historique du Vietnam est d’une actualité brûlante, urgente. Méditons-le donc, un petit peu, sans préjugés d’intox pour changer, ce message de fond. Moi, dans mon enfance, j’ai vu mes premiers cadavres ensanglantés en couleur, lors des couvertures, aux actus, du ronron quotidien de la guerre du Vietnam. C’était aussi saisissant que révoltant. Tragique. Inique. Incompréhensible. Inhumain. Tout, dans la propagande d’époque, cherchait à légitimer la guerre. Cela se faisait grossièrement, frontalement, en proclamant sur tous les tons que, si Saïgon tombait, ce serait le chaos anarcho-communiste absolu et que plus rien n’irait plus au Vietnam autant que dans le reste de cette cruciale portion d’Orient. Et aujourd’hui, le Vietnam est un des pays les plus prospères d’Asie, toujours sous la houlette politique d’un parti dit «communiste». Rien des prédictions propagandistes apocalyptiques du temps ne s’est réalisé. Zéro. Nada. Aujourd’hui les Vietnamiens vivent tranquilles et font leurs affaires sans faire chier personne. Même le napalm ricain n’est plus qu’un lointain souvenir pour eux. Leurs horizons magnifiques sont désormais une de nos destinations touristiques les plus courues. Quelle tonitruante leçon.
Voici donc, justement, le message que nous impose, toujours avec autant de puissance tranquille, Saïgon, avril 1975. QUAND LA GRANDE PUISSANCE SOI-DISANT SALVATRICE SE FAIT LA MALLE SANS QUE RIEN NE SOIT «RÉGLÉ» SELON SES VUES, LA CATASTROPHE NE SURVIENT TOUT SIMPLEMENT PAS. ELLE S’INTERROMPT, EN FAIT. ET TOUT SE REMET À FONCTIONNER RONDEMENT ET ABSOLUMENT RIEN NE CLOCHE PLUS. Fatalement c’est bien que, pour employer un jargonnage barbant qu’ils ont inventé eux-mêmes, les impérialistes occidentaux FONT PARTIE DU PROBLÈME, PAS DE LA SOLUTION.
Il nous faut aujourd’hui, en tous les points de conflits de ce monde en pleine ébullition des consciences, des Saïgon 1975, des tas et des tas de Saïgon 1975. Il faut que les impérialistes occidentaux sortent des théâtres de guerre. Abruptement. Tout de suite, sans pinailler ni tergiverser. Qu’ils mettent les bouts, point. Tire-toi, barre-toi, casse-toi, taille-toi, arrache-toi, dégage, déboule, cul par-dessus tête, avec armes et bagages ou sans. Immédiatement, inconditionnellement. Zou. Basta. Du vent. Du balai. Qu’ils retournent au bercail, qu’ils rentrent dans leurs terres. Ruban jaune, les gars, fissa, fissa. Qu’ils démobilisent et ne rempilent pas, une bonne fois. On n’a pas besoin d’eux dans les portions du monde en guerre. De fait, c’est quand ils décrissent et vont se foutre le camps qu’elle s’en va elle aussi, la guerre. Et c’est seulement alors que l’on s’entend, que l’on s’organise, que l’on vit un peu et que l’on prospère. Alors, une bonne fois, rembarquez dans vos bateaux, vos coucous, vos carrioles et fouette cocher.
C’est elle par dessus tout, la grande leçon de l’anti-impérialisme objectif, empirique et factuel que nous impose la Paix du Vietnam. Solidarité avec tous les résistants du monde. Courage. Et demain est un autre jour. Le jour ou tous nos Saïgon redeviendront, d’un seul coup d’un seul, tous nos Hô-Chi-Minh-Ville.

Saigon, 2015
Tourelou said
PAIX, serait aussi le mot oublié…
Ce matin des hommes la recherchent sur tous les quais de notre minable boule. Méditons… Good morning V!
Caravelle said
Je seconde Tourelou et ce bel hommage d’Ysengrimus.
Magellan said
Ysengrimus formule ici un hommage touchant et surtout une exigence parfaitement valide et ancienne: Yankee go home!
Si on cherche une différence entre ce que les américains faisaient sur la scène mondiale à l’époque et ce qu’ils font aujourd’hui, il faut dire qu’à l’époque ils bombardaient et attaquaient pour occuper et tenir. Aujourd’hui, ils bombardent et attaquent pour déstabiliser et détruire les économies locales, sans plus. Ils étaient des impérialistes constables. Ils sont devenus des impérialistes voyous. Ça coute plus cher et ça sert de plus en plus à rien. Ça s’arrange pas du tout dans leur tête et dans le monde, en fait.
[Je seconde. Ils sont au bout de leur cordeau. Qu’ils rentrent au village et s’occupent un peu de leur propre marasme. – Ysengrimus]
Odalisque said
4 millions de morts vietnamiens. 58,000 morts américains. Cherchez l’inégalité dans la souffrance…
[En effet – Ysengrimus]
Brigitte B said
Quelle hécatombe absurde! Merci du rappel de ces chiffres, Odalisque. Ils font réfléchir.
Catoito said
Les américains ont aussi renoncé à conscrire dans les masses. Ils y parviennent en surfinançant l’armée de métier. Ils sont aussi fort discrets sur les retours de cercueils et beaucoup plus lénifiants envers la soldatesque. Une fascisation ruineuse et sanglante sur tous les plans.
[Je seconde. Il fut un temps ou appeler ostensiblement le président commander in chief servait à ouvertement démilitariser le commandement de l’armée. Aujourd’hui la même désignation sert insidieusement à fasciser le pouvoir exécutif civil. – Ysengrimus]
Catoito said
Ils ont donc passablement dévietnamisé leur propagande guerrière contemporaine, non?
[Oui, sous George Bush Senior. Lors de la campagne Koweit/Irak de 1991 une énergie massive fut investie aux USA dans l’art subtil et pervers de masquer les pertes des conflits locaux pour les banaliser dans l’avenir. Ce fut elle la grande dévietnamisation de la propagande de guerre US. Et ce fut une réussite de PR majeure du temps. Cette doctrine joue depuis, comme sur des roulettes. Omerta… Sauf que le monde poissonne de moins en moins dans tout ça. – Ysengrimus ]
Catoito said
Et, en fait, ça se voit. Au sommet de l’occupation de l’Irak, les américains avaient quatre fois moins de soldats sur le terrain qu’au sommet de l’occupation du sud-Vietnam.
[Chiffre éloquent, Catoito, sur la juste mesure des choses. En gros: pas vraiment de Vietnam après le Vietnam… La mémoire historique joue à plein. – Ysengrimus]
Mura said
Les petites merdes de journaux d’intoxidentale en parlent, sans partager l’enthousiasme programmatique de notre Ysengrim.
Le Vietnam dénonce les «crimes barbares» des USA.
Piko said
« Les victoires militaires passées sont largement utilisées par le pouvoir actuel pour légitimer sa mainmise. »
Maudite foutaise.
Fridolin said
« Et la guerre du Vietnam reste pour Washington la première grande défaite d’une superpuissance qui se pensait imbattable. »
Ça, par contre: je seconde.
PanoPanoramique said
Les USA et le Vietnam seraient même maintenant discrètement alliés contre la Chine.
Vietnam-États-Unis: anciens ennemis, nouveaux alliés
Tuquon Bleu said
N’oublions pas que pendant un mois, en 1979, La Chine et le Vietnam ont été en guerre. Ce fut la Guerre Sino-Vietnamienne. Nous, on s’en souvient pas mais eux, ils s’en souviennent…
[Bien vu, Tuquon Bleu. Cette tension est effectivement présente en Asie. c’est à suivre attentivement. – Ysengrimus]
Vernoux said
Le genre de bandes d’actualités dont parle Ysengrimus. Venues écœurer mon enfance aussi. Que dire de plus.
Julie Soulange said
Moi mon film culte sur la question des draft dodger c’est l’innoubliable 1969.
[Oui, je seconde. J’ai aussi bien apprécié le traitement (secondaire mais bien senti quand-même) de la question des draft dodgers dans la sixième saison de Mad Men. – Ysengrimus]
Égérie said
Et aujourd’hui, Hô Chi Minh sourit.
[Quant à moi, il a bien raison. – Ysengrimus]
Sophie Sulphure said
On sent un charme et une force tranquille.
Sissi Cigale said
Je seconde. Et il parlait français, en plus.
Le Boulé du village said
Pas pire non plus Hanoï. Maudit qu’on est tu ben quand on reçoit pas de bombes sur la tête.
Line Kalinine said
Un traducteur de mes connaissances traduisait draft dodger par «embusqué». C’est valide?
[Disons que c’est passable mais insuffisant. Ton traducteur s’est un petit peu embourbé ici dans la traduction reçue de draft dodgers. Ces jeunes fuyaient la conscription pour le Vietnam et s’embusquaient, se planquaient effectivement, notamment au Canada. Sauf que, de fait, cette solution de traduction mène directement au faux sens. Draft, c’est la conscription comme telle, certes, mais métaphoriquement. Littéralement, c’est un coup de vent, un peu comme ces petits tourbillons qui font voler les feuilles à l’automne. Et le dodger, dans cette image, se pousse de côté pour esquiver les coups de balai venteux de la conscription. Tu vois l’image? C’est plus un agile qui se pousse vivement pour éviter un choc, qui s’esquive pour pas se faire capturer. C’est plus un fuyard qu’un planqué, en un mot. Le néologisme (dont je ne rougis pas, comme d’aucun de mes néologismes) conscrit-esquiveur est plus précis. Déjà vu le coureur au baseball qui esquive l’homme de but pour aller toucher le coussin? C’est lui, le Dodger. En tout cas, on peut pas parler de déserteurs, vu que techniquement ils étaient pas encore effectivement sous les drapeaux. – Ysengrimus]
Cymbale said
Et pour en rajouter dans le sinistre, il faut noter que 66% des Américains sont incapable de vous montrer le Vietnam sur une mappemonde. Tiens on va les aider, un petit peu:
Piloup said
La liste des chansons contre la guerre du Vietnam est fort longue. Mais je suis particulièrement sensible à celle-ci:
[La fameuse pièce de Country Joe McDonald sur l’album enregistrement du concert de Woodstock. L’Hymne au Casse-Pipe Absolu. Grand. – Ysengrimus]
Julie Soulange said
Leur drapeau:
[Tripatif. – Ysengrimus]
Pierre Lapierre said
Harmonieuse fusion d’époque de la lutte des droits civiques et des droits post-coloniaux.
[Vraiment excellent, Pierre Lapierre. On se croirait dans Le Horla. – Ysengrimus]
Tuquon Bleu said
Un joyeux premier mai à tous nos amis et amies vietnamiens et vietnamiennes.
oriflamme said
Quoi dire de plus? Vous avez tout résumé sur ce post. Vraiment enrichissant. Plus jamais les maudites guerre!
Bobino said
Ce petit court-métrage (qui n’est PAS de Walt Disney) fut autrefois l’une des manifestations iconiques de la résistance d’une génération à la guerre du Vietnam. Titre: MICKEY MOUSE IN VIETNAM.