Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Chapeau bas à DIALOGUS!

Posted by Ysengrimus sur 21 janvier 2015

Dialogus-A

Alors, j’ai eu le plaisir d’être un des co-fondateurs d’une intervention sur Internet qui est devenue une aventure passionnante: DIALOGUS. En vous rendant sur ce site, vous aviez la possibilité de voyager dans le temps et de prendre contact avec des personnalités historiques disparues. Vous pouviez aussi voyager sur le plan modal et entrer en interaction avec des archétypes de fiction, figures mythologiques ou grands personnages de films ou de romans. Vous leur postiez alors un petit électro-pli et ils vous répondaient, en quelques jours ou quelques semaines, depuis le point du temps où ils et elles se trouvaient. Il leur arrivait aussi fréquemment d’interagir entre eux à travers les méandres du temps. Le chevalier Lancelot a par exemple un jour proposé à Meursault d’aller le libérer dans sa geôle.

Amorcé comme une amusette entre lettrés férus de pastiche, DIALOGUS avait vite pris une ampleur peu commune. Ce fut, pour un temps, une vaste entreprise culturelle impliquant des animateurs bénévoles dans cinq pays francophones et une remarquable équipe d’édition bien soudée, bénévole aussi, constituée de gens qui ne se sont habituellement jamais rencontrés en personne. Je vous présente ici des entrevues avec René Podular Pibroch, directeur du comité éditorial du site entre 1998 et 2008. Ce nom percutant ne doit pas surprendre car nous opérions tous, à DIALOGUS, sous un pseudo de plume. Les lecteurs pouvaient, lors de leurs visites, entre autres, essayer de deviner qui fut René Podular Pibroch, il parait que son style est si détectable…

DIALOGUS, ce fut aussi cinq ouvrages publiés en 2004 et 2005 chez HMH Hurtubise: Entretiens avec cinq écrivains, Entretiens avec trois couronnes, Entretiens avec trois hommes d’état contemporains, Entretiens avec Trois Chansonniers (Brassens, Brel, Ferré) et Entretiens avec Quatre philosophes (Machiavel, Marx, Nietzsche, Socrate). Comme une sorte de Bernard Pivot extratemporel, Sinclair Dumontais nous présente, dans ces ouvrages, un dialogue épistolaire avec les figures du passé qu’il a la chance et la joie de nous introduire.

.
.
.

Les huit entretiens suivants entre une des intendantes anonymes de DIALOGUS et Paul Laurendeau (dans le rôle de René Podular Pibroch) documentent commémorativement mieux que tout autre dialogue l’aventure du site internet interactif (pré-wiki) DIALOGUS. Ils ont eu lieu par écrit il y a dix ans (entre janvier et août 2005).

.
.
.

1— Présentation de DIALOGUS

Le site internet DIALOGUS est un jeu de correspondances où le moderne et l’ancien se mêlent avec une délicieuse harmonie. Les internautes ont le choix parmi de nombreuses personnalités connues ou moins connues du passé. Parmi les invités de marque qui se prêtent au jeu des questions-réponses, se trouvent des personnages fictifs, que ce soit de cinéma, de littérature ou de bande dessinée. Les visiteurs peuvent se contenter de lire les échanges publiés ou participer plus activement en questionnant eux-mêmes leurs favoris. Cette belle aventure, rendue possible grâce à l’imagination et la persévérance de Sinclair Dumontais et de René Podular Pibroch, dure maintenant depuis six ans [1999-2005] et propose plus de onze milles lettres publiées.

Premièrement, il faut savoir que DIALOGUS se targue d’avoir découvert le secret du voyage dans le temps car, en effet, les célèbres personnalités ne sont pas encore mortes. Toutes nous écrivent de leur vivant. Ainsi, Marie-Antoinette répond à ses correspondants en attendant son procès, Meursault croupit en prison et l’impératrice Sissi a maintenant une soixantaine d’années. Alors pour ceux qui désiraient résoudre l’énigme Presley, il faudra repasser!

L’un des deux fondateurs de DIALOGUS, l’incontournable René Podular Pibroch, responsable du comité éditorial, a accepté de répondre à mes questions.

Q- Cher monsieur Pibroch, tout d’abord, merci de vous prêter au jeu et de répondre à mes questions. Étant un des fondateurs de DIALOGUS, pouvez-vous me dire quelles ont été vos impressions lorsque vous avez décidé de vous lancer dans le jeu? Pensiez-vous que DIALOGUS vivrait si longtemps et prendrait une ampleur telle qu’on la connaît aujourd’hui?

R- J’étais sereinement ouvert à toutes les possibilités de réussite ou d’échec. Voyez-vous, chère madame, c’était le siècle dernier, 1998, 1999 par là. L’internet et toutes ses fanfreluches afférentes étaient encore une marmite de sorcier un peu mystérieuse à cette époque. On avait donc l’esprit ouvert, le coeur léger et l’âme sautillante. L’idée d’un contact —intime, réel— avec toutes ces personnes du monde historique et fictif m’exaltait. Je ne voyais rien d’autre. Disons que le succès actuel de l’entreprise a dépassé mes ambitions sans dépasser mon imagination. Cela vous donne à conclure sur laquelle des deux est plus enflée que l’autre!

Q- Parlons-en de l’imagination! Croyez-vous qu’elle soit nécessaire à l’internaute qui vient se balader chez DIALOGUS? Pensez-vous que le visiteur moyen soit à l’avance conquis et prêt à se livrer au jeu ou au contraire s’agit-il d’un sceptique à convaincre? Cette exaltation dont vous avez fait mention est-elle inhérente à chaque échange?

R- Nous voici bel et bien au cœur de notre affaire. Il y a sur cette délicate et passionnante question que vous soulevez un artéfact d’observation. Je ne peux commenter que sur l’internaute que DIALOGUS a déjà conquis. L’autre, celui que ça indiffère, est resté dans les cyber-lymbes, hors de ma portée, de la vôtre et de celle de tous les autres dialogusiens et dialogusiennes. Votre question reste pourtant entière, malgré cet inévitable artéfact. En effet on observe que ceux qui plongent, en choisissant la personnalité qu’ils aiment et en entrant en interaction avec elle, la confrontent très souvent à son stéréotype. On parle à Louis XIV de ses perruques, à Landru de son fourneau, à Beethoven de pièces musicales dont il ignore le titre, à Cassandre de la virilité d’Apollon. Ces personnalités se fichent de tout cela, parce que c’est le stéréotype dont l’histoire les a chargées et que, situées comme elles le sont en leur temps et en leur vie, elles ignorent bien souvent tout de ce stéréotype à venir. Nos personnalités du passé ne veulent que communiquer avec le futur et exprimer qui elles sont réellement. L’internaute qui dialogue est déjà convaincu que c’est intéressant, certes, mais il reste quand même «un sceptique à convaincre», comme vous dites, sur une question bien plus cruciale, celle voulant que les grandes personnalités de l’histoire ne correspondent pas au stéréotype qu’ils en cultivent dans leur coeur et dans leur mémoire. Le choc est parfois vif, mais oui, l’exaltation est toujours au rendez-vous.

Q- En bout de ligne, c’est ça la véritable motivation: explorer des vérités que le temps a inévitablement transformées, voire déformées. C’est ça le grand désir qui se cache derrière l’invention de la machine à voyager dans le temps. Revenir en arrière, balancer livres d’histoire et autres biographies austères et s’abreuver directement à la source. DIALOGUS a une fonction essentiellement ludique, mais pensez-vous que des étudiants gagneraient à le consulter pour leurs travaux?

R- Bien sûr. D’ailleurs le ludique et le pédagogique ne sont pas du tout incompatibles, comme l’enseignement moderne l’a amplement prouvé. Mais pour accéder à une saine consultation pédagogique de DIALOGUS, il faudrait procéder à une petite réforme des mentalités chez les internautes. Hé oui, déjà des mentalités à reformer en un medium si moderne! En effet, beaucoup de gens tombent sur le Bonaparte ou le Mozart de DIALOGUS parce qu’ils ont googlisé ce personnage sur lequel ils doivent, habituellement vite, terminer un devoir de semestre. On questionne alors DIALOGUS comme on questionne une grande banque de données contemporaine et Mozart, de l’autre côté, en échappe sa flûte enchantée et elle se brise… Les gens qui viennent s’amuser avec Merlin l’Enchanteur et Le Petit Prince devraient prêter leur état d’esprit à ceux qui ont des devoirs de semestre à finir. C’est là que la vraie pédagogie interactive potentielle de DIALOGUS se mettrait en place. On y est d’ailleurs arrivé, en de beaux moments quand des enseignants, déjà dialogusiens eux-mêmes, nous ont envoyé leurs élèves dans une démarche déjà joyeusement interactive.

Q- À plusieurs reprises, certains correspondants ont qualifié l’entreprise d’outrageante ignominie, considérant comme une sorte d’outrage intellectuel que des personnalités décédées correspondent avec les âmes du futur. Ces esprits offusqués ont-ils raison de s’indigner, selon vous?

R- Certainement pas. Voyez-vous, il y a parfois une petite maldonne concernant DIALOGUS qu’on pourrait nommer le «Malentendu Paradisiaque». Un certain nombre de correspondants, bien intentionnés à notre égard mais mal renseignés, croient que les personnalités de DIALOGUS écrivent post-mortem, depuis quelque paradis éthéré, en se penchant benoîtement sur notre monde. Cela a pu choquer certaines sensibilités morales. Or, il n’y a rien de plus inexact que ce Malentendu Paradisiaque. Comme vous l’avez mentionné précédemment, madame, il s’agit ici bel et bien de la machine à remonter le temps, sans plus. Chaque personnalité nous écrit depuis un point précis de son histoire et est aussi ignorante de son futur que vous et moi. Aussi, pour retracer ce point du temps et s’ajuster en conséquence dans l’échange, le correspondant doit d’abord lire attentivement la Lettre d’Acceptation de la personnalité avant de s’adresser à lui ou à elle. Ce sera alors pour constater que les personnalités de DIALOGUS nous écrivent généralement depuis le pinacle de leur culminement historique, depuis le moment d’où elles se communiquent déjà maximalement à l’histoire. Nous ne faisons donc que capter et enrichir un flux d’informations et d’émotions qui se donne déjà. Je vous assure que ce n’est pas de la métempsychose ou du spiritisme. Il n’y a absolument rien de macabre ou de mystique dans notre entreprise. Conséquemment, il n’y a absolument aucun état d’âme moral à en tirer, autre que la grande joie sans mélange de pouvoir enfin aborder LA question qui nous taraude avec LA personne qui nous fascine depuis si longtemps.

Q- Dans cette perspective, que conseilleriez-vous à la personne qui visite DIALOGUS pour la première fois?

R- D’abord flâner, visiter, baguenauder, lire des échanges. Puis doucement laisser monter en vous, échantillons en main, le choix de la personnalité que vous voulez rencontrer sur DIALOGUS. Il faut ensuite soigneusement lire sa Lettre d’Acceptation pour bien capter sa période, mais aussi ses émotions, ses disponibilités, son humeur. Ensuite, il est impératif, avant de vous lancer, de lire la plus grande partie de la correspondance déjà attestée. Cela m’amène, madame, à vous dire un mot du principal défaut de DIALOGUS. Il est inattendu, imparable et lancinant. Il vient involontairement des correspondants. On pourrait l’appeler le «Phénomène de la Question Récurrente». Croyez-le ou non, nos personnalités se font poser sans arrêt la même question. Cette «même question» varie évidemment avec les personnalités, comme de tout naturellement: Marx se fait demander de commenter la chute du communisme, Achille se fait demander ce qu’il pense de Brad Pitt, Jésus se fait demander pourquoi un monde si cruel, Barbie se fait demander pourquoi elle a les cheveux blonds. Il faut donc lire la correspondance, car la hantise que vous avez à l’esprit est une hantise historique et LA question destinée à LA personne, eh bien tout le monde l’a posée et il y a déjà de fort intéressantes variations de LA réponse dans la correspondance attestée. Cela a évidemment à voir avec la dynamique du stéréotype soulevé tout à l’heure. Donc: lisez la correspondance, toute la correspondance si possible. Là, ayant lu au moins le gros de la correspondance, vous êtes prêt à demander toutes les clarifications que vous souhaitez sur LA question ou… à en introduire une autre, plus originale, plus nouvelle, plus conforme aux caractéristiques concrètes de votre illustre correspondant(e).

Q- Merci infiniment monsieur Pibroch de votre gentillesse et… longue vie à DIALOGUS!

R- Ce fut un plaisir. Je ne sais pas si je dois vous exprimer le souhait paradoxal: «On se reverra sur DIALOGUS». En effet, si je brûle de vous le dire, c’est par déférence pour la grande dame que vous êtes vouée à devenir face à l’Histoire. Mais si j’hésite à vous le dire, c’est parce que c’est à vous, chère amie, que je souhaite une longue vie!

.
.
.

2— L’anachronisme chez DIALOGUS

Q- Bonjour René Podular Pibroch. Merci de participer à cette deuxième entrevue. Nous avons exploré ensemble le monde de DIALOGUS où les internautes questionnent des personnalités du passé. La principale règle à retenir consiste à prendre conscience du fait que les personnalités participant aux échanges le font à partir d’un moment précis de leur vie. La correspondance entre des humains de notre siècle et ceux d’un monde révolu, qu’il s’agisse de l’antique Jules César ou du plus moderne Karl Marx, peut générer beaucoup d’incompréhension. Croyez-vous que ce fossé entre les époques puisse nuire aux correspondances?

R- Nuire, pas exactement. Plutôt: introduire du piquant. Et le piquant ici c’est comme en gastronomie. Tout est dans le dosage. Toutes les personnalités de DIALOGUS sont conscientes d’interagir avec des correspondant(e)s des siècles futurs. Elles savent aussi que le personnel de DIALOGUS est très discret et que les informations sur leur avenir ne seront fournies qu’avec une parcimonie très circonspecte. Vous mentionnez Karl Marx. Dans les premiers temps du site, le bouillant fondateur du matérialisme historique a eu une passe d’armes avec notre directeur Sinclair Dumontais. Il tenait mordicus à savoir l’année de sa mort. Sinclair tint bon et ce fut non. Marx a pesté mais se l’est tenu pour dit. Ce fut bel et bien, à la réflexion, une forme de nuisance. Une autre forme de nuisance fut le cas historique où un autre bouillant personnage, Beethoven, se fit parler de la «Sonate au clair de lune». Je ne vous dis pas la foire d’empoigne que ce fut avec le grand compositeur pour lui faire accepter ce titre ringard pour une œuvre qu’il avait conceptualisée et aimée sans titre. Vous avez donc raison, madame, l’anachronisme peut parfois nuire.

Q- Mais pour qui sait jouer le jeu, ça peut s’avérer aussi assez rigolo. Avez-vous une bonne anecdote à nous raconter? Que fait-on quand un vocabulaire inconnu est employé ou lorsque le correspondant évoque une technologie moderne? DIALOGUS instruit-il ses personnalités afin qu’elles comprennent de quoi il retourne?

R- Une anecdote particulièrement spectaculaire et fort représentative de ce que vous mentionnez est arrivée récemment à Juliette Capulet. Juliette attire des lectrices de son âge et qui partagent ses sentiments et l’ardeur de ses émotions. L’une d’entre elles explique un jour à Juliette que son jeune amoureux vit à deux cent kilomètres et que ses parents refusent de la conduire en voiture pour aller le voir et n’acceptent pas non plus de la laisser prendre le train. Demoiselle Capulet me contacte, un peu atterrée. Des notions comme «kilomètre» et «train» ne lui disent rien de précis et elle craint même de ne pas comprendre «voiture» dans le même sens que sa correspondante. Je dois lui expliquer, en revêtant ma pèlerine «Italie du Nord – 1554» sous le nom de Capel in Mano (Chapeau bas – mon petit surnom académique) dans un petit échange parallèle en quoi tout cela consiste. Alors Juliette ne fait ni une ni deux. Elle reproduit cet échange parallèle avec le Capel in Mano dans la missive suivante à sa correspondante pour bien lui faire sentir son désarroi face à l’anachronisme. Cette dernière se l’est aussitôt tenu pour dit et est devenue toute délicatesse pour bien expliquer à Juliette, les innovations de l’histoire dont elle dispose. De fait, DIALOGUS autorise un anachronisme contrôlé. Sinclair et moi-même expliquons aux personnalités tout mot obscur ou objet abscons, mais nous le faisons exclusivement à leur demande. Comme vous le dites si bien, ne pas intégrer l’anachronisme nous priverait d’échanges particulièrement rigolos. Il est si suave de demander au Général de Gaulle ce qu’il pense de la présidence de Chirac ou à Maurice Duplessis s’il est content de sa statue devant le parlement de Québec.

Q- Certains internautes ont poussé l’audace jusqu’à mettre en garde leurs personnages favoris contre certains évènements de leur futur. Dans la majorité des cas, les personnalités nient ou ignorent ces allusions funestes. Doutent-elles de la véracité de ces faits ou préfèrent-elles faire la sourde oreille? Selon vous, si Sinclair avait révélé à Karl Marx le moment et les circonstances de sa mort, celui-ci l’aurait-il cru?

R- Karl Marx écrit depuis l’année 1877 et est déjà très malade. Si jamais il apprend via DIALOGUS qu’il meurt en 1883, il ne sera pas trop sceptique, je pense. Mais le plus douloureux serait de lui avouer que son épouse adorée, Jenny von Westphalen, meurt un an avant lui, que sa fille aînée, Jennychen Longuet, meurt quelques mois avant lui aussi. Puis que ses deux autres filles se suicident au poison, respectivement en 1898 (Eleanor Marx) et en 1911 (Laura Lafargue). On ne peut pas assener un coup de maillet pareil sur la tête de quelqu’un. Ça ne se fait pas, il ne pourrait pas l’encaisser… et la majorité des correspondants de Marx qui nous sont contemporains s’en avisent et restent discrets. Mais, comme vous l’avez bien observé, madame, d’autres correspondants, et c’est leur droit aussi, font des révélations à la personnalité sur son futur. Et, comme je viens de le dire, la personnalité n’encaisse pas… Allez donc écrire à Robespierre, le chef incontesté du Comité du Salut Public, le Pur d’entre les Purs qui intronise les traîtres guillotinés par centaines et incarne infailliblement la République de France. Annoncez-lui, pour rigoler, qu’il mourra lui-même sous peu sur l’échafaud. Il ne va pas décoder, le bon et intransigeant député d’Arras. La connexion ne se fera pas. Il va penser que vous vous payez sa tête ou que vous avez fait une coquille dans votre électro-pli. L’avenir est une chose bien biscornue et bien mystérieuse… pour nous, comme pour eux. Et… ce n’est pas une affaire de sourde oreille. C’est bien plus une affaire de capacité à encaisser mentalement des faits que l’histoire toute entière n’a pas encore intégrés matériellement. Ceci dit, il y a un cas où nous avons littéralement soudoyé une personnalité en échangeant sa présence sur DIALOGUS contre la révélation de son avenir… et sans même qu’il le sache en plus. Voudriez vous savoir de qui il s’agit?

Q- Bien sûr! Dites, dites!

R- Il s’agit de Louis Armstrong, dans la portion anglophone de DIALOGUS. Le grand trompettiste de Jazz, qui nous écrit depuis l’année 1958, ne fait rien par lui-même pour ce qui est des affaires. Tout s’est donc négocié à travers son gérant Joe Glaser. Un homme roué et retors qui gère la carrière d’Armstrong depuis 1937. Joe Glaser nous disait, d’un ton têtu: «C’est bien beau la communication avec le futur, mais qu’est-ce que ça nous rapporte à nous ici, au présent?» Comme il ne sortait pas de cette approche mercantile, on a fini par être obligés de l’informer sur l’avenir d’Armstrong, notamment sur le fait qu’il coifferait les Beatles en 1964 à 66 ans avec le plus gros tube de sa carrière déjà si riche, Hello Dolly. Joe Glaser, sachant désormais qu’il devait orienter son vieux poulain vers la chanson de variété, nous a remercié du lucratif tuyau et a autorisé l’entrée de Louis Armstrong à DIALOGUS… sans rien dire à ce dernier de ces obscures tractations. Sordide, non? Marrant aussi. L’anachronisme est en fait inhérent à DIALOGUS. Il est généralement bienvenu parce qu’on le gère très prudemment. Il est ni plus ni moins que la base de l’effort que les personnalités et leurs correspondants font pour se comprendre, pour se rejoindre. Tout le monde joue le jeu et ça s’harmonise parfaitement.

Q- Il vaut mieux alors se renseigner sur l’année d’où nous écrit la dite personnalité et essayer de cadrer dans cette époque, en oubliant son futur, notre passé. Qui a dit que le voyage dans le temps était facile? Monsieur Pibroch, je vous remercie de votre participation. Notre prochaine entrevue traitera des femmes chez DIALOGUS, un sujet que vous affectionnez particulièrement, si je ne me trompe.

R- Tout à fait. Et anachronisme pour anachronisme on peut faire nous aussi un peu de prospective si les personnalités de DIALOGUS en font en communiquant avec nous. La mienne (de prospective) est la suivante: ce millénaire sera le millénaire de la femme…

.
.
.

3— Les femmes chez DIALOGUS

Q- Bonjour René Podular Pibroch. Aujourd’hui nous évoquerons les femmes chez DIALOGUS, peu nombreuses, mais dont la population s’accroît malgré tout. À votre avis, quelle est la raison de leur présence restreinte par rapport aux personnalités masculines? Certainement pas à cause de leur manque de participation à l’histoire!

R- Nous avons en ce moment en chiffres arrondis une quarantaine de femmes, trois déesses, une guenon, une poupée, et un personnage de BD. Le nombre n’est pas paritaire, n’est pas conforme à la réalité de l’histoire, vous avez tout à fait raison, madame, et la cause, je vais vous la dire. Vers 1978-1980 un dictateur militaire du nom de Morales Bermudez fut déposé au Pérou et la démocratie fut restaurée. Cet évènement, aussi important que bien d’autres, mais parfaitement oublié, fut le résultat de l’action collective, directe, modeste et rudement efficace des femmes péruviennes. Aucun nom spectaculaire ne fut retenu, mais ce qui fut, fut. On pourrait citer des centaines d’exemples de ce phénomène. En Chine, en Inde, en Iran, en Afrique et ailleurs dans les Amériques. La femme agit, mais ne se fait pas mousser. Elle joue un rôle crucial mais ne plastronne pas. Or, que voulez-vous, DIALOGUS, c’est un peu un village de plastronneurs… Vous voyez le topo?

Q- Peut-être alors vous faudrait-il accueillir des collectivités! Un peu comme les Troyennes, dont les voix se mêleraient pour clamer leur message. Mais si les hommes surpassent en nombre les femmes chez DIALOGUS, on ne peut pas dire qu’il en est de même pour la qualité! Elles sont toutes exquises! Puis-je vous demander vers quelle personnalité féminine va votre préférence personnelle?

R- Il faudrait pouvoir accueillir les Troyennes, les Parques, les épouses de Mahomet, les miraculées de Fatima, les soeurs de Nietzsche, les victimes de Landru et de Jack l’éventreur, les étudiantes de piano de Beethoven, les soubrettes et les amantes de tous ces monarques et de tous ces plumitifs. Mais pour le moment le seul collectif que nous avons, ce sont les frères Marx qui viennent d’entrer. Vous voyez bien que, sur ce point, DIALOGUS est défectueux. C’est un espace pour tribun individuel, pour instrumentiste soliste, plutôt que pour choriste. Où sont les femmes, pensez-vous, dans cette musique-là? La qualité des femmes de DIALOGUS est extraordinaire. Mais il y a une autre observation de nature qualitative qui s’impose. Quand on entre dans le champ restreint des sous-ensembles de personnalités, il y a deux espaces où la parité est bien plus sensible. C’est celui des têtes couronnées (nous avons huit reines et un nombre significatif de princesses, duchesses et comtesses) et des personnages fictifs. Je crois que cela en dit beaucoup sur la portion de l’imaginaire des femmes qui est interpelée en DIALOGUS. Il s’agit moins pour elles de témoigner raplapla sur des conquêtes et des piles de bouquins tartinés que de s’épanouir et de rêver. Ma femme de DIALOGUS cardinale, puisque vous me posez la question, c’est la princesse Cassandre. J’aime le personnage depuis fort longtemps. Et, chez DIALOGUS, j’aime son traitement, j’aime sa dimension mythologique et symbolique. Cassandre c’est la Femme de DIALOGUS. Pour ne pas dire la Femme tout court. Un joyau. Je relis sa correspondance souvent, le cœur serré d’émotion.

Q- Même lorsqu’elles sont absentes de la façade, les personnalités féminines prennent une place significative dans les échanges. Je pense à Karl Marx qui discute chacune des lettres de DIALOGUS avec sa femme et ses filles, à Séraphin Poudrier qui parle de sa créature, à Landru dont la vie tourne littéralement autour des femmes, etc. Ce phénomène est fort représentatif de l’humanité en général, les grandes femmes derrière les grands hommes. Dans quelle catégorie souhaiteriez-vous voir les femmes s’afficher plus activement?

R- L’histoire bien sûr et indubitablement la philosophie. Mais voyez la foutaise dans laquelle nous baignons. René Descartes a correspondu pendant des années avec une princesse suédoise qui l’inspira énormément dans son cheminement philosophique. Les lettres de Descartes à cette brillante aristocrate sont publiées depuis des siècles, mais on attend encore une publication sérieuse des réponses de la dame… Denis Diderot a correspondu pendant près de quarante ans avec Sophie Volland. Elle ne devait certainement pas lui répondre que des fadaises pendant tout ce temps. Les lettres de Sophie Volland à Diderot sont encore inédites. C’est comme ça tout le long. Alors vous vous doutez que les éclaireurs extratemporels de DIALOGUS ont du travail à faire. Les femmes sont à notre époque sur le point de cesser d’être méprisées par l’histoire mais elles le sont encore un peu… C’est particulièrement saillant dans le cas de bien des compagnes de philosophes. Il y en a des tas de Simone de Beauvoir à son Jean-Paul encore méconnues… C’est justement le cas d’une autre femme hors du commun à laquelle vous venez de faire allusion indirectement. Chère amie, on s’est amplement gargarisé sur la millième lettre de DIALOGUS, puis la dix millième, etc. Et c’est très bien. Mais savez-vous qui a écrit la première lettre de DIALOGUS? La toute première. La PRIMA MAXIMA. La Numéro UN, adressée à Sinclair Dumontais et qui a lancé toute l’aventure. Une superbe missive, qui est toujours sur le site. C’est une femme… Vous voyez qui c’est?

Q- Assurément que je sais qui c’est, cher Pibroch. Il s’agit de Jenny Marx, femme pour qui votre admiration s’enflamme, si je ne m’abuse.

R- Jenny Marx, née baronne von Westphalen, absolument exact. L’épouse d’un des vieux chevaux de retour de DIALOGUS, l’implacable Karl Marx, trop timide au tout début pour tartiner sa lettre d’acceptation lui-même et qui, comme vous le signalez fort bien, est littéralement piloté à DIALOGUS par cette philosophe aussi forte que lui et leurs trois filles, Jennychen Longuet, née Marx, Laura Lafargue, née Marx et Eleanor Marx. Mais puisque nous nous attardons au chapitre des pamoisons admiratives méritées pour les Dialogusiennes Millésimées, je vous renvoie votre question de tout à l’heure, chère amie. Votre femme de DIALOGUS cardinale, ce serait qui?

Q- Ma femme chérie ressemble à peine à une femme lorsqu’on la regarde vite, mais c’est la toute première, la plus belle et la plus vraie, notre ancêtre à tous, dont la sagesse est aussi imposante que les poils de sa toison. Qu’elle soit la personnalité la plus âgée de DIALOGUS et la seule femme présente dans la catégorie «Des origines à la fin de l’Antiquité» me remplit de joie. C’est l’admirable Lucy, la mère de l’humanité. Je dois cependant confesser que la princesse Antigone la suit de peu dans mon cœur, mais j’imagine qu’il s’agit de mon penchant féminin pour l’imaginaire… Maintenant, dites-moi, quelle est la femme dont vous désirez ardemment la venue sur DIALOGUS?

R- Je vais vous étonner, un vieil athée comme moi. Il s’agit de Lucia Dos Santos, qui vient juste de mourir à 97 ans dans l’indifférence générale. C’est la petite Lucia du fameux miracle de Fatima de 1917, qui a vu des choses dans sa tête et dans son coeur et qui l’a payé d’une interminable incarcération au Carmel avec interdiction de parler avec qui que ce soit sans autorisation écrite du pape. Foin des théocrates avec leurs salades, je trouve que Lucia véhicule, à travers la plus explosive des manifestations de religiosité populaire du dernier siècle, une image d’intégrité simplette et d’imperturbable sérénité qui m’émeut très profondément. Comme j’y ai un peu fait allusion tout à l’heure, elles pourraient même venir à trois. Lucia, sa mère, et Jacintha Marto. Cette dernière, morte enfant en 1920 de la grippe espagnole, est la deuxième petite miraculée de Fatima, qui voyait la dame vêtue d’or avec son étrange jupe mauresque aux genoux sur les marches de l’escalier qui menait au petit grenier où elle allait dormir. J’aurais vraiment une ou deux questions à poser à ces trois mystérieuses merveilles. Fatima attire encore quatre millions de pèlerins par année, et ce sont en majorité des femmes… Dans un autre registre, il y a Rosa Luxembourg qui se repose en ce moment aux archives de DIALOGUS. Le jour où elle revient, je pavoise en rouge vif. Je vous renvoie la question: vos souhaits?

Q- J’aimerais énormément m’entretenir avec la reine Boudicca, qui tint tête aux Romains au début de notre ère. J’admire ces femmes qui passent à l’histoire coûte que coûte, malgré la mémoire sélective de notre monde. Je voudrais aussi discuter avec un collectif féminin, les suffragettes, les anciennes et les modernes. Je crois que je devrai attendre encore un peu… Après tout, ça ne fait même pas un siècle que nous avons le droit de vote, impatiente que je suis! Merci, cher Pibroch, pour ce délicieux échange.

R- À propos de collectifs féminins, je m’en voudrais, avant de conclure de ne pas en mentionner deux d’une très grande importance. Eh bien, d’abord il y a les correspondantes. Elles sont nombreuses, jeunes, articulées et elles ne se gênent pas pour soumettre l’histoire dans sa version dialogusienne à la saine torsion de la version des femmes. Cela donne aux échanges un sel féminin et parfois même féministe remarquable. Il y a ensuite les femmes de l’équipe de DIALOGUS, qui, elles, sont nettement en majorité. Catherine, Josée, Martine, Claire, Nicole, la très humaine et généreuse Évita et l’extraordinaire et géniale Anne Guélikos dont la chronique accueille ces entrevues sur le site de DIALOGUS. À ces deux collectifs féminins cruciaux pour la vie tonique de DIALOGUS, je dis respectueusement: Chapeau Bas!

Q- Je reprends vigoureusement ce touchant hommage! Dans notre prochaine entrevue, nous aborderons le personnage fictif et son traitement chez DIALOGUS.

.
.
.

4— Le personnage fictif

Q- Bonjour René Podular Pibroch! Le site-forum DIALOGUS permet de correspondre avec des personnalités disparues à notre époque. Pour les sceptiques, c’est déjà un choc! Mais vous proposez aussi des échanges avec des personnages fictifs, de roman, de mythe, de BD, de cinéma. Croyez-vous que le personnage de fiction attire le lecteur plus ou moins que la personnalité réelle?

R- Beaucoup plus. Je dirais même que c’est en fait la part de fiction dans le personnage historique qui nous attire et nous interpelle, bien plus que le contraire. On croit que l’aventure est extratemporelle mais en fait elle est toujours modale. Nous ne sommes pas fascinés par une exploration du passé mais par une investigation des possibles et au nombre des possibles quoi de plus séduisant que l’impossible. Et c’est là que la fiction entre dans le tableau. Croyez-moi, converser avec le Survenant, Lucky Luke ou Rose DeWitt Bukater, c’est à vous couper le souffle d’exaltation.

Q- Les mythes ou les figures légendaires, au cours des siècles, ont adopté mille et un visages, mille et une interprétations différentes et c’est sans compter les adaptations cinématographiques modernes qui viennent brouiller le tableau. Comment ne pas se frapper à un mur d’incompréhension dans les échanges avec de tels personnages fictifs à la personnalité multiple? Je prends par exemple le cas de Morgane la fée, qu’on a dit tour à tour prêtresse du lieu de sérénité par excellence, Avalon, et sorcière maléfique ayant joué un rôle crucial dans la chute de Camelot. Où se situer entre le bénéfique et le maléfique qui l’environne?

R- Le dialogue entre la multiplicité des possibles est voué au beau risque cacophonique. D’interagir avec Morgane ou Merlin ou Achille on découvre vite que les personnages légendaires que l’on rencontre sur DIALOGUS ont déjà canalisé un faisceau d’options et l’ont stabilisé. Vous ne rencontrerez pas Morgane-N’importe-Quoi ou Merlin-N’importe-Qui. D’interagir avec le personnage, de le sonder, de le creuser, vous allez vite découvrir que vous avez affaire à la Morgane de telle version spécifique, au Merlin de telle autre version spécifique. Cela vous causera joie ou déconvenue mais il faudra vivre avec. Les personnages de fiction et de légende de DIALOGUS ont une solidité: celle de l’option fondée dans un des faisceaux de la légende. Et quand les correspondant(e)s les confrontent à leurs préférences, si celles-ci sont autres, nos légendaires et nos fictionnels et fictionnelles résistent, les toisent et continuent leur chemin.

Q- Alors à nous, pauvres mortels réels de s’adapter et de se prêter au jeu en toute innocence, purgés de toutes nos idées préconçues! Mais puisque nous parlons de Morgane, dites-moi donc à quelle Morgane nous sommes confrontés chez DIALOGUS?

R- Vous avez bien raison d’insister sur Morgane, madame, car l’exemple est excellent. La Morgane de DIALOGUS est une fée amante de Merlin et capable de le battre à tous les jeux de la magie. Mais Morgane est aussi un tas d’autres choses, comme le corrobore clairement le monumental Arthurian Litterature in the Middle Ages: A Collaborative History édité en 1959 par Roger Sherman Loomis (Clarendon Press, Oxford, 574 pages). Cet ouvrage, qui fait autorité, montre que fonction des courants, des genres, et des traditions nationales, Morgane a pu être (la liste n’est pas exhaustive): une fée se changeant en corbeau à volonté (Loomis et Alii 1959, p. 43), une pure déesse dont le vrai nom serait Morganis (Loomis et Alii 1959, p. 55), une des filles sans frère du roi Avalloc (Loomis et Alii 1959, p. 66), une fée aquatique d’origine bretonne (Loomis et Alii 1959, p. 66), une fée qui attira Arthur à Avalon avec l’aide de ses huit sœurs, toutes fées comme elle (Loomis et Alii 1959, p. 92), la reine ou la cheftaine célibataire des dames d’Avalon (Loomis et Alii 1959, p. 108), la mère d’Yvain qu’elle n’a pas eu d’Arthur (Loomis et Alii 1959, p. 120), la maîtresse passionnée et amoureuse de Guinguamor, Seigneur d’Avalon (Loomis et Alii 1959, p. 163), la fée guérisseuse qui panse les plaie d’Érec, mais qui dans une source subsidiaire vire au mec, nommément le médecin d’Arthur du nom de Morgan Tud (Loomis et Alii 1959, p. 195), une nymphe surnommée la dame de Noiroison ou encore Morgain la Sage qui file un onguent magique à Yvain (Loomis et Alii 1959, p. 198), et enfin la soeur non incestueuse d’Arthur (Loomis et Alii 1959, p. 258). Une autre source qui échappe à ma mémoire fait de Morgane ou Morgausse la tante du roi Arthur. L’option défendue dans le remarquable film Excalibur de John Boorman (1981) d’une sœur ou d’une demi-sœur amante incestueuse d’Arthur est-elle aussi bien attestée. Mais il est difficile de décréter quoi que ce soit de façon unilatérale. Alors vous voyez d’ici le topo. Les correspondant(e)s ont jeté l’ancre dans une autre des versions et la vraie Morgane —la nôtre évidemment— ne se laisse pas forcer comme ça dans un faisceau de traditions autres que celle qu’elle sent et dont elle vibre. Alors le crêpage éclate. Cela donne des échanges particulièrement fascinants.

Q- Le moins qu’on puisse dire c’est que Morgane est un personnage extrêmement complexe, d’autant plus passionnant à découvrir et à déchiffrer. Dans le cas des personnalités historiques réelles, leur présence sur DIALOGUS dépend d’une condition inexorable: leur mort dans le monde réel, à notre époque. Dans le cas des fictifs, comment procédez-vous? Par exemple, un personnage de BD, dont l’auteur est encore vivant, ne peut être présent sur DIALOGUS, est-ce exact?

R- Absolument exact. Notre bon maître Dumontais est submergé sans arrêt par cette tempête ininterrompue des Roger Rabbit, Dragon Ball Zy et autres Harry Potter qui témoignent sans désemparer de la vigueur et de la jeunesse sans complexe du phénomène Internet. Tous ces braves et tous ces vaillants doivent rester au portillon parce que l’équipe impliquée dans leur création n’a pas encore pris ses justes distances avec la vie. Une autre option de DIALOGUS se manifeste sur les personnages de fiction à la pérennité en écho. L’exemple cardinal ici c’est Morticia Addams. La grande dame sombre fut l’héroïne de deux séries télévisées, de plusieurs films etc. Nous nous en tenons alors cap clair sur la Morticia Addams contrôlée d’origine, celle qui fut personnage de bande dessinée au New Yorker dans les années 1930. Tant pis pour les autres versions. DIALOGUS reste constant dans son rapport à la fiction comme dans son rapport à l’histoire. La saine distance est de mise.

Q- C’est tout à fait justifié. Ça me fait penser au cas de la Petite Sirène, du conte d’Andersen, mais que tous les jeunes de la nouvelle génération ne connaissent pas, pour avoir connu uniquement celle de Walt Disney. C’est une chance pour les dialogusiens avertis de revenir à la source et d’explorer la naissance de leurs personnages fictifs favoris, d’observer leurs évolutions, de constater leurs transformations, voire leurs métamorphoses, qui ont façonné leurs figures modernes.

R- Walt Disney est un saboteur inénarrable. Il a effacé notre imaginaire polymorphe et l’a remplacé par ses petits mickey monochromes, unidimensionnels, unilatéraux et déprimants. L’histoire va juger le personnage et son entreprise très sévèrement. Si jamais il sort de son cube de glace fictif et débarque à DIALOGUS, on va lui crier un peu dans la caverne des naseaux sur la question de la diversité de la fiction. Alors dites-moi, madame, votre personnage fictif favori de DIALOGUS, ça ressemble à qui?

Q- C’est difficile d’arrêter ma préférence sur un seul choix. J’aime le personnage des liaisons dangereuses, la marquise de Merteuil, ainsi que son célèbre correspondant, le vicomte de Valmont. J’adore Antigone, la princesse rebelle thébaine. Je m’esclaffe en lisant les réponses de Gaston Lagaffe. Je trouve La Belle irrésistible… Je les aime tous! Mais vous, cher ami, dites-nous plutôt vers quelle personnalité fictive va votre préférence.

R- Je suis fidèle à mes fixations: Cassandre, toujours Cassandre. Voyez-vous, ce qui est grand chez un personnage de fiction c’est la charge de la dimension fictive qui l’enrobe. Vous mentionnez fort pertinemment Gaston Lagaffe. L’extraordinaire aptitude qu’il a à métamorphoser la situation la plus anodine en un tumultueux désastre procède d’une puissance fictive sur laquelle repose le tout de notre plaisir et de nos attentes le concernant. C’est comme avec un super-héros dont on attend qu’il déballe ses pouvoirs. Chez Cassandre, c’est évidemment l’aptitude qu’elle a à prédire l’avenir combinée au sort de n’être jamais crue qui nous enrobe d’un halo tragique paradoxal, poignant et remarquable. On a envie de descendre dans ce monde et de secouer chaque troyen et chaque troyenne par les épaules pour qu’ils croient Cassandre. À DIALOGUS, j’attends encore qu’un correspondant lui demande de prédire l’avenir et qu’elle nous dise quelque chose que personne ne croira. J’en reste la gorge nouée chaque fois que j’entre en son officine.

Q- Mais, Pibroch, ne savez-vous donc pas que Cassandre ne peut plus prédire l’avenir? Ou du moins, c’est ce qu’elle raconte! Elle dit que son don l’a abandonné depuis qu’elle a subi le viol d’Ajax le Locrien. La croyez-vous?

R- Bien sûr que non! Je suis complètement subjugué par le sort ensorcelant cette grande princesse. Il m’est donc impossible de croire Cassandre quand elle fait une prédiction, même une prédiction négative comme: «je ne prédirai plus jamais l’avenir». Mon œil, grande princesse! Un jour (re)viendra! Voyez-vous ce qui se passe ici, madame? Vous me capturez en flagrant délit. J’exemplifie ce que je décrivais tout à l’heure sur le cas Morgane. J’ai jeté l’ancre sur Cassandre devineresse et je ne veux pas démordre de ce beau rêve. Que nous sommes donc têtus et fixistes quand il s’agit de ce qui reste pourtant la plus flexible des modalités: la fiction! Allons, vos souhaits maintenant. Le personnage de fiction que vous voudriez voir débarquer à DIALOGUS?

Q- Voyons voir… Je crois bien que si Lestat le vampire se présentait, j’en aurais une attaque de joie. Encore mieux, avoir la possibilité de discuter avec Jean-Baptiste Grenouille, l’homme aux fantastiques capacités nasales, du roman le Parfum, de l’Allemand Patrick Süskind. Et vous?

R- Moi, c’est Proserpine. Petite déesse agricole tranquille qui présidait à la montée des graines, la voilà qui se fait accrocher par Pluton. En ne lui demandant son avis qu’à demi, il la catapulte reine des enfers et son épouse. Cérès, mère de Proserpine, furax, couvre la terre de givre, de neige et de glace tant qu’on ne lui ramène pas sa petite fille aimée. Bordel planétaire, Jupiter s’en mêle. Proserpine, la seule à rester posée dans la tempête, fait froidement la part de sa responsabilité envers ses sujets du monde des ombres et l’amour riant de sa mère. On coupe l’entente en deux. Proserpine passera six mois avec un roi des enfers qu’elle aime de l’amour respectueux qu’inspire le devoir du statut de reine d’un royaume tumultueux. Elle passera les six autres mois sur la terre et dans les champs à exercer ses fonctions céréalières antiques. Cérès, fidèle à son amour maternel sans compromission, ne couvre désormais la terre de givre et de neige que la moitié du temps. L’autre moitié, c’est l’explosion de la joie printanière et estivale découlant du retour de Proserpine. La grande reine mythologique, belle et calme, dont le sort marital dicte le mouvement des saisons mérite un ou deux petits électro-plis respectueux, vous ne croyez pas?

Q- Sans aucun doute. En fait, je suis une grande passionnée de mythologie. Je pourrais vous nommer plusieurs personnages à qui je voudrais poser mille questions, mais peut-être aussi que je serais déçue… Savez-vous qu’Achille, dans une de ces lettres, a raconté cette belle histoire que vous venez d’évoquer? Sur ce, et bien que nous puissions continuer longtemps ainsi, je vous remercie et vous propose notre prochain thème: DIALOGUS et les sciences. Qu’en dites-vous?

R- Le bouillant Achille devait parler de Perséphone et de Déméter, les équivalentes grecques de mes romaines, Proserpine et Cérès. Je préfère les Romaines, à cause de cette petite déesse pousseuse de graines qu’était Proserpine dans le Latium avant que les mythologies grecques et latines ne fusionnent et qu’elle soit assimilée à Perséphone. On ne s’en sort pas avec la fiction, on accroche toujours son ancre en un point spécifique. DIALOGUS et les sciences, c’est un très beau thème. Mais avant de conclure sur la fiction, je m’en voudrais de ne pas mentionner l’accession d’un personnage central au statut d’être fictif: Dieu. Un collectif des personnalités historiques et fictives de DIALOGUS est arrivé de concert, lors d’un événement capital intitulé L’AFFAIRE DIEU, à la conclusion que le Dieu de DIALOGUS n’était pas un vrai Dieu. Ce dernier n’a pas démordu pour autant et il continue d’opérer chez nous avec un grand succès comme… Dieu de fiction. Le seul vrai Dieu, peut-être…

Q- Nous reparlerons de dieu, promis. Tiens, je vous annonce qu’après les sciences, nous parlerons des religions chez DIALOGUS. Ça vous va?

R- Bien sûr.

.
.
.

5— DIALOGUS et les sciences

Q- Bonjour René Podular Pibroch. Comme prévu, je propose que nous discutions de DIALOGUS et des sciences. Il me semble que c’est un sujet très faiblement couvert chez DIALOGUS. Dans la section «Sciences», un seul homme, Albert Einstein, traite de ce sujet. Comment cela se fait-il?

R- Euh… avant de parler des sciences à DIALOGUS, permettez-moi de gentiment vous corriger en disant un mot sur les sciences tout court. Il y a deux grands types de sciences: les sciences de la nature (dites aussi, plus improprement, sciences positives, sciences «exactes», sciences dures) et les sciences sociales (dites aussi, plus improprement, sciences de l’homme ou sciences humaines). Si on tient compte de cette importante distinction, s’ajoutent obligatoirement, au sein de l’aréopage de DIALOGUS, à Einstein (physique), Sigmund Freud (psychologie), et Pierre Bourdieu (sociologie). Je considère aussi crucial de joindre à ce lot les fondateurs de sciences: Karl Marx (fondateur de la science de l’histoire) et Nicholas Machiavel (fondateur de la science politique). C’est un peu plus garni, mais c’est encore maigre. Votre question reste donc parfaitement valide. Ah… les scientifiques de toutes farines sont tellement occupés. Et obnubilés… le voyage extratemporel leur est peut-être fadaise comparé à la découverte qu’ils sont sur le point de capturer au coeur de leur propre phase historique…

Q- Bien sûr, je réduisais à si peu l’étendue des sciences! L’expérience DIALOGUS peut jouer le rôle de vulgarisateur dans cet univers qui semble parfois bien inaccessible. Par contre, j’ai constaté que les correspondants s’acharnent à questionner nos scientifiques de tout acabit sur un point précis de leurs travaux. E=MC2 pour Einstein, le communisme pour Marx, Le Prince pour Machiavel, Le complexe d’Œdipe pour Freud, etc. Ne devriez-vous pas inciter les internautes à découvrir d’autres facettes de ces personnages parfois fort intimidants? Par exemple des pistes de questions…

R- Voici un exemple de question, à mon sens fascinante, pour chacun de ces scientifiques. Vous pouvez leur convoyer si ça vous amuse. Pour Einstein: «On interprète souvent l’idée de relativité comme une spiritualisation subjectivante de la matière. Tout étant relatif, tout serait supposé dépendre du point de vue d’un sujet sur le monde. Ce que vous défendez pourtant est une relativité objective. Une corrélation, une non indépendance bien réelle et matérielle des «constantes» physiques. Que répondez-vous à ceux qui croient que votre théorie fait «disparaître» la matière et en fait une affaire de points de vue subjectifs?» Pour Marx: «Lutte de classe apparaît à première vue comme une notion impliquant une action volontaire. Mais, pour vous, la lutte de classe est une réalité qui peut être involontaire et parfaitement indépendante des consciences. Pourriez-vous vous en expliquer?» Pour Freud: «Des esprits mutins pourraient suggérer que l’idée d’inconscient comme vous la mobilisez est rien de moins qu’un paradoxe insoluble. L’inconscient, disent-ils, est ce que j’ignore intégralement et ce que j’ignore intégralement ne peut pas me déterminer. Pourquoi ne pas alors lui préférer l’idée de subconscient, plus compatible avec la quête analytique?» Pour Bourdieu: «Le marché des biens symboliques est-il aussi autonome que vous le prétendez? Pourquoi ne serait-il pas qu’une magnification fétichisante du marché des biens matériels?» Pour Machiavel: «Une oligarchie est-elle inévitablement ploutocrate?» Vous avez tellement raison, madame. Au lieu de pinailler toujours sur les mêmes stéréotypes, il faut développer l’attitude de se nourrir du détail de la science de ces titans du passé. Le nombre de sujets que ces monstres peuvent aborder est infini. Ils ont habituellement une opinion très articulée sur tout.

Q- Merci pour ces passionnantes suggestions. Je vais voir à les relayer. Les sciences évoluant si rapidement, croyez-vous que l’apport de ces anciens puisse paraître démodé aux yeux de certains? Qu’arrive-t-il par exemple si on discute avec Einstein d’un sujet plus moderne dont le célèbre homme n’aura pas eu connaissance à son époque?

R- Einstein est un homme de principe, dans tous les sens du terme. Il élabore les principes (fondamentaux) d’une physique, donc un grand nombre des découvertes actuelles sur le cosmos et sur la microstructure de la matière se répercutent dans sa théorie. C’est un homme de principes aussi au sens moral. Il est improbable qu’il se ferme à une idée nouvelle issue du futur. L’esprit du scientifique reste toujours ouvert et sagace. C’est une sorte de serment tacite à la quête scientifique qui les lie très solidement. De plus, les faits du futur les passionnent car l’esprit scientifique est inévitablement un esprit prospectif. Mon esprit par contre est un esprit de l’escalier. Me permettez-vous d’ajouter un petit codicille à la question précédente? (Ici je présume que vous m’y autorisez, gentille comme vous êtes.) Eh bien une expérience fantastique, c’est aussi d’intervertir les champs scientifiques. Questionner Einstein (qui était socialiste) sur la lutte des classes ou Marx (grand admirateur de Darwin) sur les lois de la physique ou de la biologie. Questionner Bourdieu sur l’inconscient freudien ou Freud sur l’impact des champs sociologiques sur l’appareil mental. Ces personnages sont captivants. Il faudrait indubitablement plus de scientifiques à DIALOGUS.

Q- Quelle idée géniale! Dites-moi donc: quel est le scientifique, tous types confondus, que vous voudriez voir s’installer chez DIALOGUS?

R- J’en dénombre quinze: Marie Curie, Louis Pasteur, Charles Darwin, Antoine Laurent de Lavoisier, Galilée, pour les sciences de la nature; Évariste Galois (mort en duel à 20 ans), pour les mathématiques; Ferdinand de Saussure, Alexis de Tocqueville, Franz Boas, Bronislav Malinowski, pour les sciences humaines et sociales. Vous pouvez ajouter trois ancêtres des sciences: l’alchimiste Nicolas Flamel, le barbier et chirurgien Ambroise Paré et le «philosophe» Francis Bacon. J’ajoute un faux scientifique crétin qui a fait chier l’URSS sous sa dictature de biologiste anti-généticien pendant des années, qui est devenu célèbre par sa bêtise et que j’aimerais bien asticoter un peu: Trofim Denissovitch Lyssenko. Et je ferme la marche avec une championne de science appliquée qui a fait beaucoup pour la promotion de la rationalité scientifique, notamment en matière de nutrition des malades et d’intendance sanitaire (il faut lire et méditer ses remarquables NOTES ON NURSING), une vraie grande dame: Florence Nightingale. Et vous?

Q- Ouf! Difficile de vous égaler! Disons qu’en plus de Galilée que j’affectionne, il y a deux autres hommes à qui j’aimerais écrire. Tout d’abord au plus grand astronome de l’Antiquité, Hipparque, dont les découvertes sont fascinantes pour son époque et sans comparaison avec celles de ses contemporains. Puis, au médecin Hippocrate, à qui nous devons entre autre notre éthique médicale. En terminant, avez-vous un dernier conseil pour nos visiteurs tentés par les scientifiques de DIALOGUS?

R- Garder à l’esprit le fait que les scientifiques du passé ont une idée assez lacunaire de ce que l’histoire a retenu de leurs travaux. Le meilleur exemple de cela, c’est Kepler, l’astronome qui a eu la main heureuse en spéculant que les orbites des planètes étaient elliptiques plutôt que circulaires. Il nous annonce cette découverte en un galimatias opaque lui-même noyé dans un salmigondis irrationnel de numérologie planétaire et de spéculations diverses sur le contenu du cosmos. Il faut donc approcher notre homme de science en se mettant à son niveau, c’est-à-dire au niveau de son temps. Il est aussi toujours captivant d’aborder avec des scientifiques des sujets non scientifiques: goûts musicaux et picturaux, options politiques, loisirs, amours…

Q- Ce sont de très bons conseils, surtout le deuxième. Merci Pibroch pour cette éclairante perspective. À la prochaine donc!

R- J’y serai. Même si ce n’est pas celui d’Hippocrate, c’est quand même un serment que je vous fais là, chère amie.

.
.
.

6— Les religions chez DIALOGUS

Q- Bonjour René Podular Pibroch! Nous voilà de nouveau réunis pour l’exploration d’une autre thématique, les religions chez DIALOGUSDIALOGUS compte maintenant six personnalités chez les dieux, démons et autres personnages connexes, et c’est sans compter les divinités dans la nouvelle section de mythologie gréco-romaine. Comment qualifieriez-vous l’engouement que provoquent ces personnages immortels chez les internautes dialogusiens?

R- Il est immense, très intense et peu banal. L’étoile absolue c’est évidemment l’être absolu. Dieu est le champion incontestable pour ce qui en est de la réception quantitative de correspondance. Les amis, les ennemis, les pour, les contre, les sérénissimes agnostiques. Tout le monde veut en découdre avec Dieu. Il y a même eu une Affaire Dieu où la controverse sur son authenticité identitaire a défrayé les chroniques parmi les correspondants et les personnalités de DIALOGUS. Qu’on souffle le chaud et le froid, il n’y a rien à redire: Dieu est dans le vent. L’affaire est d’autant plus remarquable que DIALOGUS est un espace d’échange dont le caractère laïc est solidement senti. L’humain (et son reflet: le divin) étonneront toujours. Ceci dit, il y a une autre facette importante à votre question, madame. Le fait est que certains des immortels dont vous signalez l’existence et la stature à DIALOGUS sont bel et bien historiquement et techniquement des dieux ou des demi-dieux mais sont en fait sentis et approchés comme des personnages de fiction comme les autres. Les figures mythologiques sont certainement dans ce cas. Il me semble qu’elles assument alors dans notre imaginaire des fonctions assez similaires à celles qu’elles ont tenues depuis la plus haute antiquité… avec une inévitable petite touche moderniste naturellement.

Q- Dans le cas de dieu, il s’agit uniquement de l’idée de dieu. Il se défend bien d’être le dieu des chrétiens ou de n’importe quelle autre doctrine, c’est bien cela? Est-ce à dire que, chez DIALOGUS, la véritable divinité n’existe pas, n’est qu’un personnage de fiction parmi tant d’autres?

R- Le Dieu de DIALOGUS pose, pour tout dire, un intéressant problème théologique. Dans sa progression vers la déréliction, le monothéisme a classiquement connu deux phases. La première phase est le théisme. Elle se caractérise par un être suprême omnipotent et capable de sentiments comme la satisfaction ou la colère. En phase théiste, Dieu intercède et la prière exerce une fonction cardinale d’interaction avec la puissance divine. La seconde phase d’évolution du monothéisme est le déisme. Dans cette phase, plus moderniste, on insiste sur le caractère d’omniprésence de Dieu, sur son aptitude, toute passive, toute objective, à assurer sans tambour ni trompette la cohésion de l’univers. Le Dieu de la phase déiste c’est l’être suprême des francs-maçons, le «Dieu de Voltaire». Le Dieu interventionniste de la phase théiste est inscrit inévitablement dans un culte spécifique, apparu historiquement. Il a ses interprètes, son code, ses sectateurs. Le Dieu de la phase déiste est censé être là simplement, au-delà de tous les cultes spécifiques, les dépassant, les relativisant. C’est le Dieu de la mondialisation et du relativisme religieux. C’est ici que s’inscrit le paradoxe du Dieu de DIALOGUS. Il ne se raccorde à aucun culte spécifique, comme le Dieu de la phase déiste, mais il intervient verbalement sur demande comme le plus archaïque des fétiches théistes. Il n’a pas le choix, s’il veut être un personnage de DIALOGUS, il faut qu’il parle, qu’il réponde! Or répondre quand on est Dieu, cela sous-tend toute une option théologique… contraire à celle qu’il promeut dans ses propos, comme par hasard. Piégé dans ce paradoxe insoluble, il est obligé de se prouver Dieu du déisme par… le Verbe le faisant inévitablement régresser sur le théisme. Délicieuse à cet égard est l’attitude de la majorité des correspondants. Si on parle ouvertement à Dieu sur DIALOGUS, la prière, acte théiste traditionnel par excellence, est, elle, rarissime. On interpelle Dieu plus qu’on ne le prie. On lui demande des comptes plus qu’on ne lui en rend. Le Dieu de DIALOGUS ne fait pas l’objet d’un culte mais d’un débat. Il y a là une saine iconoclastie à laquelle la bonhomie de Dieu répond avec un brio particulièrement savoureux.

Q- DIALOGUS a reçu de nombreuses plaintes concernant ce dieu justement. Croyez-vous que DIALOGUS va trop loin en insérant parmi ses personnalités, une figure encore vivante dans notre société. Personne ne proteste contre Athéna ou Aphrodite, car, bien qu’elles soient encore vénérées par quelques adeptes dans le monde, elles n’ont pas une foule de croyants à leur suite. Je me rappelle une lettre d’une correspondante outragée qui accusait Sinclair de mal interpréter Yahvé. Et Sinclair de lui répondre que le dieu de DIALOGUS n’est pas Yahvé et que lorsque celui-ci viendra cogner à la porte, il l’accueillera bien gentiment. Ce genre de polémique ne vous fait pas trop peur?

R- Je vous prie de me pardonner, madame (enfin une vraie prière sur DIALOGUS!), tout à mon envolé théogonarde de tout à l’heure, j’ai oublié de répondre à la seconde portion de votre question, pourtant très importante. Le Dieu de DIALOGUS est-il conséquemment inexistant? Eh bien, responsable du comité éditorial de DIALOGUS, je serais bien concon de vous affirmer froidement que Tintin, le Petit Prince et Dracula sont bien réels (vu qu’ils interviennent à DIALOGUS) et que Dieu est inexistant parce que fictif. Je suis en harmonie avec mon athéisme mais je juge aussi qu’il faut rester sport et ne pas se mettre à faire du prosélytisme à rebours. Tous les personnages de DIALOGUS ont une modalité d’existence, Dieu est un personnage de DIALOGUS, donc Dieu… nos lecteurs pourront aisément compléter ce petit syllogisme par eux-mêmes. «Peste, j’enrage, vous n’avez rien compris à [placez ici la personnalité de DIALOGUS de votre choix]» est un commentaire critique que nous recevons en permanence à propos de tout l’aréopage de DIALOGUS. Évidemment quand Socrate (qui s’en moque comme d’un guigne) se fait reprocher de ne pas suivre la ligne de Platon, cela ne porte pas d’enjeu théologique particulier et on en tremble conséquemment moins. Dieu ici ne fait face à rien d’autre qu’au commentaire standard des admirateurs qui ne sont pas perchés sur la même modalité que lui. Souvenez-vous de Pibroch qui refuse de croire que Cassandre a perdu ses dons de devineresse. Il n’y a là pas plus que cela. Et ce n’est vraiment pas cela qui est susceptible de me faire peur. Arrêtons-nous un instant, puisque c’est censé être la minute métaphysique, sur mes peurs, justement. Les peurs de Pibroch! J’ai peur du ski, de l’alpinisme, des chiens errants qui bavent, des camions poids lourds lancés à fond de train sur l’autoroute et des couteaux trop aiguisés. J’ai peur de ce qui engage un danger réel, pas intellectuel. Je n’ai donc pas peur d’une bigote édentée qui grommelle parce qu’on lui tourne son Yahvé en guignol de foire. Ma peur sur ces questions c’est de voir se présenter au portillon de DIALOGUS un certain Monsieur Abu al-Qasim Muhhammad ibn’Abd Allah ibn Abd al-Muttalib ibn Hachim… Les Musulmans, très soucieux d’éviter toutes sortes de superstitions entourant leur prophète et jugeant que seul Allah mérite un culte, ont commencé par ne pas représenter Muhammad physiquement, pour éviter qu’il vire au fétiche (pour tout dire: comme Jésus et ses saints). Cette prudence de sectateur avisé a vite viré à l’interdit dogmatique. La prohibition d’une représentation physique du prophète (son incarnation dans une production cinématographique, par exemple) est une obligation, disons, extraterritoriale aux yeux des Musulmans. N’ayant peur que de ce qui engage un danger réel, j’ai peur que Muhammad se présente au portillon de DIALOGUS avec son paradoxe représentatif et les objecteurs de conscience actifs que cela susciterait… Je cède donc à cette peur et c’est d’autant plus douloureux et regrettable qu’il serait fascinant de pouvoir discuter avec ce personnage capital qui, si j’en juge par le récit de sa vie rapporté dans la Sîra, devait être d’une intelligence peu commune.

Q- Est-ce à dire que vous lui refuseriez l’entrée chez DIALOGUS?

R- Ce serait un sacré dilemme. Évidemment, j’ai déjà deux Jésus et deux Saint-Paul (comme il y avait douze saints prépuces éparpillés dans divers lieux de pèlerinages de l’Europe médiévale!), je serais conséquemment bien mal placé pour ne pas accepter le prophète de l’Islam à ma table. Il… il faudrait que je m’isole dans une caverne et que je médite la chose. J’aurais peur. Pour dire que toute peur doctrinale a de solides racines humaines…

Q- Parlant de peur, vous avez accepté dans votre petit groupe de personnalités hétéroclites, deux incarnations fameuses du mal, j’ai nommé Satan et Méphistophélès, fort différents l’un de l’autre. Quelle position prenez-vous face à ces deux figures démoniaques, dont la première est particulièrement farouche et mal élevée.

R- Je les aime beaucoup. Je les aime tendrement. Ce sont des manifestations de radicalité qui ont, elles aussi, énormément de mérite. Satan et Méphisto l’ont beaucoup moins facile qu’on pourrait le penser à DIALOGUS. Ils salivent, ils trépignent, ils éructent, ils jouent des griffes et des ongles. «Méprisables mortels». «Je suis le mal et je vous transcende». Ils restent des diables dans une boîte et la boîte s’appelle DIALOGUS… Dans le monde des stéroïdes au baseball, des guerres sales, et des réseaux d’esclavage sexuel et de pédophilie, il est bien difficile et dérisoire pour un personnage de tréteaux de se donner comme l’incarnation du mal absolu. Leur effort est fort méritoire même si, n’ayons pas peur des mots, c’est un effort strictement dialogusien, c’est-à-dire par-dessus tout… verbal.

Q- Nous avons abordé les dieux vivants, les dieux néfastes, il nous reste les vieux dieux, les dieux étrangers, Athéna, Aphrodite, Râ, Fenrir, Loki et Jack O’Lantern, qui tient plus du monde des ombres. Ces personnages, outre leur statut divin, présentent un intérêt historique passionnant. Considérez-vous qu’ils remplissent bien leur mission?

R- À fond! Leur seul défaut c’est qu’ils manquent de compagnie. Dites, selon une coutume désormais bien implantée entre nous, madame, de tout cet aréopage divino-démoniaque, votre favori, ça ressemble à qui?

Q- J’aime énormément dieu pour le calme et la réflexion qu’il m’inspire. J’aimerais mieux Aphrodite si ses correspondants arrêtaient de prendre son officine pour un courrier du cœur et Satan me fait rigoler! Et vous? Quant à la personnalité divine que j’attends impatiemment sur DIALOGUS, pouvez-vous deviner?

R- Ne lancez pas la pierre aux disciples d’Aphrodite. Ils lui font exercer ce genre de fonction depuis la plus haute antiquité je crois. Mon favori, c’est de loin le premier Jésus, le «Jésus le Nazaréen» qui se repose désormais aux archives. Je le trouve décapant et génial. Ce n’est pas une surprise qu’il soit ainsi tombé dans l’oubli, et aux archives. Pour vos attentes, je dirais hmmm… (pas simple ça), un candidat récent: Jean-Paul II!

Q- Non, mais je ne dis pas que je ne le questionnerai pas s’il arrive. Je pensais plutôt à la Déesse Mère, de n’importe quelle tradition. Et vous?

R- Au nombre des grandes figures, j’irais chercher Kali, la Noire déesse du Bengale, Hécate, la gorgone Méduse et les trois Parques. Ça me meublerait mon petit univers réflexif un brin. Au chapitre des petits saints besogneux (pour tenir compagnie à L’abbé Martin et à Frolo) j’irais chercher le mystérieux curé Jean Meslier (1664-1729) qui, du fond de sa paroisse de campagne, fut athée, matérialiste et anticartésien sous Louis XIV.

Q- Merci Pibroch. Oh, comme cela, jouez au devin et faites-moi une prédiction. Dans cent ans, si DIALOGUS existe encore, croyez-vous que dieu aura encore la cote?

R- Il ne sera dépassé de quelques longueurs que par… Sinclair Dumontais. Benoît XVI, pour sa part, ne recevra que quelques électro-plis redondants lui demandant sur tous les tons qui il est et une jolie lettre d’insulte assez bien tournée d’un théocrate contrarié qui lui reprochera de ne pas avoir résolu le paradoxe politicien irréconciliable de la démocratie chrétienne. Mais à ce moment-là, je serai loin!

Q- Prions pour que vous ne soyez pas aux archives!

.
.
.

7— Les Gros Méchants chez DIALOGUS

Q- Bonjour René Podular Pibroch! Parmi les personnalités populaires auprès des lecteurs et lectrices se trouve une catégorie particulière, celle du côté obscur. D’ailleurs, DIALOGUS possède maintenant une section destinée uniquement aux criminels. Mais dispersés un peu partout se trouvent d’autres mauvais sujets, repentis ou non, que les internautes prennent plaisir à asticoter. Qu’est-ce qui attire les correspondants dans ces confrontations d’après vous?

R- En fait c’est une affaire de règlements de comptes. Nos correspondants aspirent entre autres à régler leurs comptes avec l’histoire. C’est là une des grandes fonctions exutoires de DIALOGUS. Et régler ses comptes avec l’histoire c’est aussi en découdre avec les sales gueules historiques. Et puis la barrière extratemporelle est un facteur savoureux et utile. DIALOGUS permet d’aller tirer les moustaches à Hitler ou à Staline sans danger de finir purgé dans le prochain pogrom. Ça rassure ça. Ça fascine aussi.

Q- La fascination hitlérienne, ça se comprend. Croyez-vous que certains internautes espèrent secrètement modifier le cours de l’histoire en faisant changer d’idée à Hitler ou s’agit-il uniquement d’un règlement de compte?

R- C’est vraiment très intéressant cette idée généreuse de faire changer d’idée à un criminel au milieu de sa lancée grâce à la communication extratemporelle. Je n’y avais personnellement même pas pensé, mais ça ne veut rien dire… Y a-t-il des internautes assez candides pour croire pouvoir amener Jack l’Éventreur à remplacer son coutelas par un plumeau, ou amener Hitler à se comporter comme le petit barbier joué par Charlie Chaplin dans The great dictator? Je suis obligé de répondre: oui. Je suis obligé de m’aviser du fait que certains correspondants honnêtes s’intéressent peut-être bien aux criminels de DIALOGUS juste pour ça: leur rédemption. Si l’âne attire d’autres ânes, il peut peut-être en venir à éventuellement attirer des âniers… Ceci dit, nos criminels attirent aussi leurs admirateurs. Et ça, ça fait un peu froid dans le dos, quand même.

Q- Par exemple…?

R- Laissons de côté tous ces crypto-nazis et ces crypto-staliniens qui vont se frotter à nos moustachus. C’est assez gênant et en fait de peu d’intérêt. Mais méditons ensemble ceci: L’Éventreur et Landru, tueurs de femmes, reçoivent des électro-plis de femmes… C’est inénarrable quand on s’y arrête une minute. Pourriez-vous, en tant que femme, m’expliquer un peu ce sidérant mystère?

Q- Je ne m’épancherai pas sur le cas de Jack L’Éventreur. Par contre, Henri Désiré Landru, tueur de petites dames sans histoire, affirme que ses victimes étaient consentantes. On le dit aussi grand séducteur. Peut-être les correspondantes cherchent-elles à vérifier l’exactitude de ces faits, à entrer et ressortir de la tanière sans égratignure, à se prouver, qu’ELLES, elles ne se seraient pas faites emberlificoter par le barbu enjôleur? Ou alors c’est qu’elles cherchent la vérité. Les victimes étaient-elles ou non consentantes? Et Oswald était-il ou non coupable? Etc.

R- Oui, oui. Je suis bien bête de ne pas y avoir pensé. Le roman policier, le polar avec ses crimes et ses mystères a un fort bassin féminin de lecteurs. Les femmes aiment bien résoudre le mystère, le vaincre. C’est très vrai, ça. Et résister au loup, comme la chèvre de Monsieur Séguin, c’est aussi une quête très féminine. Vous voyez très clair dans le coeur de ces dames, chère dame! Notre Landru, matois comme un singe, est particulièrement malodorant avec cette façon qu’il a de se justifier, de se donner comme un abnégatif champion du suicide assisté. Quel minable, quand même! On croirait entendre Papon ou Pinochet se justifiant sans fin à leur procès, sans le moindre remords. Maintenant, la grande Dame Batory étant tombée aux archives, nous n’avons plus qu’une seule criminelle femme, la petite Abigaïl Williams. Que pensez-vous d’elle?

Q- Ayant lu récemment une fiction sur les sorcières de Salem, je trouve le cas d’Abigaïl Williams fort passionnant. Jeune fille dans un village terne où la peur et la religion sont omniprésentes et entrelacées, elle s’amuse un peu, attire l’attention, dépayse le quotidien ennuyant à mourir. Mais voilà que la blague prend une tournure rocambolesque et plus de vingt innocents vont se faire pendre cet été-là. J’ai toujours trouvé intrigantes ces jeunes filles en manque d’excitation qui mentent un peu pour le «thrill» et se retrouvent coincées dans leurs inventions, bien obligées d’aller jusqu’au bout pour ne pas perdre la face. Et vous, que pensez-vous d’elle?

R- Eh bien, elle exemplifie très bien le problème que vous avez si bien décrit tout à l’heure, celui des motivations. Gaffe de gogole paniquée ou combine tortueuse de petite criminelle de génie? Difficile à décanter. La nature du crime aussi est peu banale. C’est la vindicte qui sert d’arme. Le résultat est quasi-génocidaire. On a là le miasme parfait à conjoncture historique contrainte, comme les guerres mondiales et les ruées vers l’or. Le crime se nourrit de la bêtise, ce drame-là le prouve de façon flamboyante. Une autre petite bêtise est qu’Abigaïl ne reçoit pas assez de courrier. Ce serait si intéressant de la voir se déployer. Votre criminel favori chez DIALOGUS, ça ressemble à qui?

Q- Eh bien, mon chouchou n’est pas dans les criminels reconnus, mais plusieurs le voient ainsi, c’est l’empereur Caligula. Il me fait mourir de rire! Il faut vraiment aller lire sa correspondance. Bien sûr, je le préfère là où il est, à une distance raisonnable de moi. À vous!

R- Je penche pour l’Éventreur. Le personnage historique m’horripile suprêmement, surtout quand il s’avère qu’il a de répugnants continuateurs et qu’il n’a lui-même jamais été pincé. Le Jack de DIALOGUS, impudent et brutal, reproduit bien, superbement même, cette horripilation chez moi. Et, aime, aime pas, c’est ça du grand DIALOGUS. Vive Jack L’Éventreur! Hélas! Et les criminels que vous voudriez voir débarquer chez nous?

Q- Il me faudra attendre quelques années, j’en ai bien peur. J’attends Karla Homolka et son sacripant de mari. J’imagine que vous avez pour nous une ribambelle de criminels à nous proposer?

R- Ceux-là, pour qu’ils joignent DIALOGUS, il va falloir qu’un plus bandit qu’eux les descende… Laissons tomber pour le moment. Je prendrais bien d’abord quelques pirates, Barbe Noire, Jean Laffitte. Les pirates sont captivants parce que les crimes graves qu’ils commettent selon nos critères (les meurtres) sont considérés mineurs par leur temps qui d’autre part leur reproche la piraterie, crime somme toute peu clair à nos yeux. Ainsi Jean Laffitte s’était taillé un véritable pays pirate quelque part dans la Louisiane du temps. Pays «illégal» naturellement. J’ajouterai quelques cow-boys, Jesse James, Billy the Kid. Je voudrais surtout converser avec Emmet Dalton, le plus jeune des (vrais) frères Dalton. Au moment où les Dalton se font abattre, Emmett prend vingt-huit pruneaux partout dans le corps mais survit. Taulard pendant des années, il finira gracié, deviendra voyageur de commerce et jouera même son propre rôle dans un Western. Hallucinant. Un autre criminel, tragique mais étonnant, c’est l’extraordinaire guitariste de blues Huddie Ledbetter dit Leadbelly. Génie musical, violent à cause d’une enfance douloureuse, il tue un mec. On le fout au bagne, il y passe quelques années. Puis, il joue un concert pour le gouverneur de l’état. Ébloui par son talent, ce dernier le gracie. Il tue quelqu’un d’autre et le cycle recommence. Il a fini hors de taule et a pu enregistrer beaucoup, mais dites donc, à quel prix. Dans les spots publicitaires pour sa musique on le représentait en costume rayé de bagnard. Effarant. De femmes criminelles, je ne souhaite de tout mon coeur qu’une seule. Mais elle est cardinale, incontournable, sublime. Je pense à elle tous les jours. C’est la Magicienne Médée.

Q- En terminant, si vous étiez un criminel notoire sur DIALOGUS, quelle question aimeriez-vous qu’on vous pose?

R- Comment, cher René Podular Pibroch, êtes-vous arrivé à détourner les deux tiers de la fortune de Bill Gates sans tambour, sans trompette, sans perte de vie et… sans vous faire pincer!

Q- Ha! Excellent! Je la garde en mémoire, juste au cas où… Merci beaucoup, Pibroch, pour un autre entretien très intéressant.

.
.
.

8— Pleurons sur les archives

Les archives de DIALOGUS, c’est l’ensemble des personnalités inactives. Pour une raison ou pour une autre, ces personnalités ne répondent plus aux questions, mais cela ne rend pas leur correspondance antérieure inintéressante pour autant.

Q- René Podular Pibroch, dites-moi, d’où vient cette idée fabuleuse de conserver les échanges du passé?

R- La connexion extratemporelle est une affaire sporadique, frémissante, épisodique, inadvertante. Sinclair et moi-même avons fait cette découverte douloureuse au tournant du siècle. Il n’y avait alors qu’une douzaine de personnalités dans l’aréopage de DIALOGUS et, un beau matin de printemps, le lien de Socrate nous a subitement claqué à la gueule. Nous sommes arrivés de peine et de misère à le rétablir mais quatre liens ont alors lâché coup sur coup. Il n’était plus possible de les rétablir tous. La question se posa alors du statut de la correspondance des personnages à nouveau disparus. C’est moi qui ai eu l’idée principielle des archives et c’est Sinclair qui leur a configuré l’astucieuse présentation actuelle. Celle-ci a très souvent eu l’effet heureux que nous escomptions: celui de rétablir le lien extratemporel perdu de certains de nos héros et héroïnes historiques. Surprenantes au début, les archives sont aujourd’hui un des mécanismes incontournables de DIALOGUS.

Q- Surprenantes en effet et peut-être pourrez-vous démystifier un petit phénomène pour nous. Ainsi que spécifié sur la page principale des archives, une personnalité peut s’extirper des cyberlimbes et reprendre une correspondance active, tandis que le dossier des échanges de sa «vie antérieure» demeure aux archives. Sinclair appelle cela un caprice. Que pouvez-vous nous en dire?

R- Le temps, madame, n’est pas une ligne simple, toron unique se déroulant comme une corde à linge grinçante sur sa poulie. Il s’agit plutôt d’un flux multiple, polymorphe et ondoyant. Voyez plutôt la rivière d’Héraclite avec ses courants chatoyants. DIALOGUS établit donc ses raccords, toujours aventureux, toujours au petit bonheur la chance, (imaginez un pêcheur de piranhas jetant courageusement sa ligne dans le torrent de l’Amazone) en un flux incroyablement intempestif. De plus, ce n’est pas exclusivement un flux temporel, c’est un flux modal. Le flux des envisageables, des possibles, des options. C’est ça aller à la pêche dans le maelström de l’histoire. Au nombre de ces canaux du passé circulent des courants légendaires, des frémissements hypothétiques, des bouillonnements fictionnels, des saults délirants. Un lien se rompt, puis se rétablit. Parfois, (assez rarement, en fait) la personnalité ne reconnaît plus son discours archivé. Celui-ci est d’un autre plan, il cristallise une autre modalité, il promeut une autre prise de parti historique. Notre revenant n’en veut pas et repart sur le plan qui est le sien. Nos archives se transforment ainsi doucement en une marmite où percole le choc réactif des versions historiques. Notez aussi que la majorité de nos archivés reprennent simplement leur petit bonhomme de chemin quand le raccord se rétablit.

Q- Ainsi, lorsque vos messagers –ou vos pêcheurs– arrivent à reprendre contact avec la dite personnalité et à la convaincre de continuer le dialogue, il s’agit plus d’un coup de chance que d’une réelle recherche acharnée. Mais si nous pouvions avoir le choix, laquelle souhaiteriez-vous voir revenir parmi nous? Est-ce Erzsebeth Bathory, Jésus le Nazaréen…?

R- C’est ici que le titre de la présente entrevue, pleurons sur les archives, prend tout son sel amer. C’est une vallée de larmes, un lagon saumâtre de tristesses multiples que ces archives de DIALOGUS. Je voudrais tous les voir revenir en bloc. Mais bon, pour jouer le jeu auquel vous me convoquez ici, je sélectionne un homme et une femme au lien rompu. L’homme que je ferais revenir, ce serait Saladin, grand politique arabe, l’un des monarques les plus civilisés et éclairés du Moyen-Âge. La femme que je ferais revenir, ce serait Camille Claudel, artiste extraordinaire encore trop méconnue. Et vous?

Q- Question ardue ainsi que vous l’avez mentionné. Ma préférence va vers George Sand, femme extraordinaire, mais dont le lien se rompt sans cesse et l’empereur Claude qui n’a malheureusement répondu qu’à deux petites questions. Si l’on se réjouit lorsque des personnalités sortent des archives et reprennent le dialogue, le contraire peut aussi être vrai. Il est probable que certains s’écrient «hip hip hip hourra!» lorsqu’une personnalité particulièrement détestée abandonne sa chaire. Pour vous, ce serait qui cet être dont la disparition vous ferait chanter de contentement?

R- Achille, héros grec infatué, couillu, phallocrate, enflé et auto-promotionnel me tape particulièrement sur les nerfs. La chose est d’autant plus paradoxale que le fat aux pieds légers qui me casse les miens vient de m’écrire pour me dire qu’il devait retourner au combat et qu’il ne pourrait plus s’occuper de sa correspondance. Mourant d’envie de le laisser se planter le casque au fond de la rivière, soudain subitement desséchée par mon dépit, des archives, j’ai, au contraire, tenu compte de sa grande popularité et de son incontournable impact légendaire pour le supplier de rester, ce qu’il a accepté. Que je suis donc professionnel quand même, hein, et notez que si j’ai appris à m’auto-admirer si obséquieusement ces derniers temps c’est à son contact. Et vous, vous casseriez son petit lien à qui?

Q- Ha! Eh bien, figurez-vous donc que je casserais un lien pour mieux en préserver un autre. J’enverrais ce barbu de Marx aux archives et je laisserais la parole aux délicieuses femmes qui l’entourent, j’ai nommé son épouse et ses filles, qui tiennent merveilleusement la barre lorsque le mâle de la maisonnée se renfrogne dans son plumard et refuse de répondre. Heureusement, Marx convoque toujours sa famille pour lire le courrier de DIALOGUS et la remarquable influence féminine de ses proches n’est jamais bien loin. Maintenant, voulez-vous répondre à une série de questions rafales?

R- Bien sûr. Mais juste avant, il reste une dernière catégorie de personnalités des archives. C’est le terrible «Il y est et qu’il y reste». Quelle personnalité des archives y croupit et dont vous en êtes bien contente? Moi, c’est Claude Frollo, personnage de fiction marginal du Notre Dame de Paris de cette grosse nouille imbibée de romantisme de Victor Hugo. Frollo est un théocrate mégalo, un tyran abusif et un raciste inepte. Il n’a rien de bon à apporter. Je l’exècre. À vous.

Q- Hum. Je dirais Descartes que je n’ai jamais aimé et qui m’a fait passer de douloureuses heures en cours de philosophie. Qu’il reste donc aux archives, ainsi je n’aurai jamais l’humiliante sensation de n’absolument rien comprendre face à ses lettres que d’ailleurs je ne lis pas, qu’elles soient aux archives ou ailleurs. Quelle est selon vous la personnalité la plus regrettée par les lecteurs?

R- Indubitablement: Jésus. Lequel des deux, le Nazaréen (le terrestre) ou le biblique, là c’est difficile à décider. Mais il(s) croulait sous les électro-plis le bon tesson d’hostie…

Q- Quelle est la ou le archivé(e) dont le retour prochain est le plus probable?

R- Il y a désormais sur le frontispice de DIALOGUS une capsule intitulée «temporairement aux archives». Y marinent au jour d’aujourd’hui une dizaine de cornichons, dont Hitler, Beethoven, Bakounine et Napoléon. Dans leur cas, croyez-le ou non, chère amie, le lien extratemporel est moins rompu que sporadiquement brouillé. Ce sont incontestablement, comme nous le signalons si explicitement, nos revenants les plus probables.

Q- Y a-t-il parmi ces archivés, les temporaires et les sous toute réserve permanents, quelques personnalités qui ont manifestement tout dit?

R- Non, aucun. Ils pourraient tous crier, du fond des archives de DIALOGUS, le beau mot de Gilles Vigneault: tout a été dit, mais pas par moi! La question que vous posez là est de la plus haute importance, madame, en ce sens qu’on pourrait effectivement imaginer que certaines des personnalités de DIALOGUS se sont retrouvées aux archives à cause du vide quantitatif (ou même qualitatif!) de leur propos. Ce n’est pas du tout le cas. Croire cela ce serait se demander ce que les victimes d’une tragédie aérienne ou d’une panne de pacemaker avaient fait de mal. Rien. Ce qui est arrivé n’est pas de leur faute. C’est… la faute à pas-de-chance, comme disent les Français. AUCUNE PERSONNALITÉ DE DIALOGUS NE S’EST RETROUVÉE AUX ARCHIVES À CAUSE DE CE QU’ELLE AVAIT À DIRE OU PARCE QU’ELLE N’AVAIT PLUS RIEN À DIRE. La totalité des personnalités archivées le sont à cause d’une rupture du lien extratemporel éminemment et fondamentalement impondérable. Si nous avons la chance de rétablir ce lien, tout redémarre sans arrière-pensée.

Q- Ainsi donc, nous pouvons espérer un retour pour chacun d’eux. Un mot de la fin, cher Pibroch?

R- Une variante du mot de Sinclair, dans son descriptif des archives de DIALOGUS: si vous, bouillants lecteurs, bouillantes lectrices, connaissez un moyen de raccorder le lien extratemporel avec toutes ces merveilleuses personnes, faites-nous le savoir!

Dialogus-B

24 Réponses vers “Chapeau bas à DIALOGUS!”

  1. Caravelle said

    C’est absolument époustouflant. Quel incroyable talent ils ont, ces pasticheurs du site DIALOGUS!

  2. Fridolin said

    Tu a donc participé à la direction de ce vieux site pendant dix ans, puis tu l’as quitté. Pourquoi?

    [Un mot: Wiki. Ce site, comme tu le dis Fridolin, perpétue le vieux modèle millénariste HTML poussif. Vers 2006-2007, j’ai proposé à Sinclair Dumontais qu’on passe au Wiki. Cela s’imposait, à mon avis, vu la cruciale dynamique de correspondance de ce forum extratemporel. J’en avais marre qu’on attende des jours voire des semaines entre les deux salves d’un échange de lettres (ces dernières passaient par une séries de révisions puis étaient «placées», comme on disait alors, par une équipe webmestre). Sinclair a refusé le virage Wiki, invoquant (légitimement) le respect dû à son équipe de bénévoles, que le passage au Wiki aurait bousculée voire lézardée. Ce site était alors voué à une mort lente, lové dans les contraintes techniques et humaines qui l’avaient vu naître en 1998-99. On ne correspond plus comme ça sur internet, aujourd’hui. J’ai préféré alors prendre le tournant du blogging, ce qu’à mon sens DIALOGUS aurait du faire aussi mais ne fit jamais. Il est aujourd’hui la grande archive de lui-même. Mais le corpus reste remarquable. Je t’invite à bien l’explorer, mon Fridolin. – Ysengrimus].

    • Fridolin said

      Je vois. Triste. Est-il encore actif?

      [Officiellement, oui. Il se veut encore vivant, se voudrait actif. Le dispositif de messagerie de certaines des personnalités est encore ouvert, si tant est. Mais les convoyeurs sont sérieusement grippés, s’ils existent encore. Certains liens sont rompus. En réalité, ce n’est plus qu’une friche. Un beau cyber-souvenir. – Ysengrimus]

  3. Sissi Cigale said

    C’est vrai que c’est un peu triste.

    [En plus d’assurer un temps la direction éditoriale, j’ai pastiché quelques personnalités. Les lecteurs du Carnet d’Ysengrimus ont déjà furtivement rencontré mon Spinoza. Et, comme j’ai récupéré tous mes matériaux de là-bas, je vais pouvoir vous introduire certaines de mes autres personnalités (les francophones), ici, dans les prochains mois et les prochaines années. Mon DIALOGUS à moi revivra, sous forme de corpus épistolaires fixes, pour votre plaisir. – Ysengrimus]

    • Sissi Cigale said

      Super. Quelles autres personnalités tu faisais?

      [Pour le moment, je vous laisse les deviner. mais à partir de cette année, 2015, dix ans après les entretiens de présentation que je vous donne à lire ici, qui datent de 2005, mes personnalités de DIALOGUS vont graduellement pointer l’oreille en cette officine. – Ysengrimus]

  4. Odalisque said

    Leur pastiche de Cyrano de Bergerac écrit en vers, comme Rostand. Matez-moi ça (échange intitulé: Premier amour de littérature):

    Verrait-on trop de ciel, trop d’amour, trop de vie?
    Ou «trop d’humanité»? Voyons, Petite Phie,
    Ces ingrédients là ne voient jamais leur plein
    Et bien fol est celui -ou celle- qui s’en plaint!

    Tenez en votre cœur ces trésors magnifiques,
    Gentillesse et bonté, car leurs pouvoirs magiques
    Feront que votre vie sera comme un cadeau
    Offert au monde qui vous le rendra bientôt.

    Signé : Hercule-Savinien
    De Cyrano de Bergerac,
    Grand riposteur du tac au tac.
    Philosophe, physicien,
    Rimeur, bretteur, musicien,
    Et voyageur aérien,
    Amant aussi, pas pour son bien

    .
    .

    Est-ce que c’est toi, Ysengrim?

    [Non, non, mais je l’admire vraiment beaucoup. Je ne sais pas qui c’est car l’anonymat des pasticheurs était une de leurs exigences les plus strictes. Même Sinclair Dumontais n’en connaissait pas les trois quarts. Ils nous contactaient avec des adresses comme gandhi-en-paix@AOL.ch, on testait sommairement leurs talents et tout démarrais. C’était vraiment une autre cyber-époque. – Ysengrimus]

    • Odalisque said

      « on testait sommairement leurs talents »

      Comment vous faisiez ça?

      [En rôle, naturellement. Et souvent devant public. Trouvez ici, Odalisque, pour exemple, votre humble serviteur en train de tester et de roder l’excellent PONCE PILATE. – Ysengimus]

      • Sophie Sulphure said

        Magnifique.

        [Oui, oui. Il est très solide. Au fil de ce dialogue là, c’est lui qui me façonne, en fait. – Ysengrimus]

  5. PanoPanoramique said

    Je ne vois le nom René Podular Pibroch nulle part sur la page DIALOGUS.

    [Il n’y figure plus, depuis mon départ. Il faut le chercher sur les moutures plus anciennes de la frontispice du site DIALOGUS, comme celle-ci. J’étais alors rédacteur en chef. – Ysengrimus]

  6. Brigitte B said

    Et pourquoi cette formulation de Chapeau Bas?

  7. Mura said

    Vous avez pas eu des problèmes de copyright, avec les personnages de BD et de dessins animés genre Tintin, Clochette ou Gaston Lagaffe?

    [On s’y exposait, oh que oui, absolument. Mais bizarrement, en dix ans, les deux agressions qu’on a subi dans cet angle là sont plutôt venues des ayant droits de deux auteurs français morts au siècle dernier, qu’on pastichait. Ils pétaient assez sec, ces ayant droits, d’ailleurs, pour le coup. Je te donnerai pas les noms de ces deux auteurs, mon bon Mura, pour pas que leurs parasites post-mortem ne viennent péter tout aussi sec ici. On s’est contentés, à l’époque, de supprimer les officines de correspondance de ces deux auteurs, avant que le coupe-chou juridique ne se mette à tinter trop clair. Les pastiches, qui pourtant avaient bossé dur, ont été très compréhensifs. – Ysengrimus]

  8. Piko said

    Mais alors les irréductibles ennemis idéologiques, les réacs, les fachos, les puants?

    [Oh, on les accueillait… et on leur tenait la dragée haute, comme ici, devant l’insupportable Louis-Ferdinand Céline… – Ysengrimus]

  9. Caracalla said

    Avec tout ceci, toute cette petite grandeur internet passée, Ysengrimus, te sens-tu comme un HAS BEEN?

    [Plutôt comme un HAD FUN (AND STILL HAVE)… Le fait est que ce corpus de textes de pastiches historiques n’a pas pris une ride. Leur support technologique a beaucoup plus mal vieilli qu’eux! – Ysengrimus]

  10. Tourelou said

    Quel banquet! Ce collectif de pasticheurs est inassouvissable, un diamant éternel. Des miettes suffiraient à alimenter vos ysengrimeux, ysengrimeuses pour des lunes… ce serait un honneur d’en profiter ici.

    [On le fera, Tourelou, on le fera. – Ysengrimus]

  11. Esmeralda, la Gitane said

    Oui je me souviens bien de DIALOGUS. Te souviens-tu encore de qui j’étais sur ce site? Moi je me souviens bien de qui tu étais…

    [Toi, tu étais Aliénor d’Aquitaine. – Ysengrimus]

  12. Piloup said

    Fait curieux, Ysengrimus, toi et ton équipe avez eu, en 1998-1999, sur Internet 1.0. dans le temps, le réflexe de faire jouer un assez vieux fantasme technique, celui des nouvelles-techs comme machines pour faire parler les fantômes!

    [Voici un rapprochement vraiment très intéressant, Piloup. – Ysengrimus]

  13. Pierre Lapierre said

    Votre DIALOGUS pastichait des illustres disparus pour le plaisir littéraire. Voici les DIALOGUS contemporains:

    FAUX ARTISTES, VRAIES ARNAQUES

    Ils pastichent des célébrités vivantes pour extorquer leurs admirateurs.

    Triste évolution du Net.

  14. Pandore said

    Je vous remercie, Paul. Je me souviens de l’aide que vous nous aviez apportée individuellement, et de ces « Entretiens », justement.

    Le WEB 1.0. Le « tout html », avec manuel d’édition dans le code. Toute la difficulté d’avoir une chaîne de travail rapide et efficace. En 2002, les correspondances de Dialogus n’entrant qu’au rythme de moins de dix par jour, le travail pouvait se faire facilement par une équipe disciplinée. Mais par la suite, à mesure que la popularité du site croissait, la mise en place d’équipes spécialisées s’était imposée. Chaque équipe ayant son « manitou » (genre de superviseur), son correcteur, son réviseur (parce que, oui, la qualité du français, on y tenait), et son éditeur, la rapidité moyenne d’une équipe, de la réception d’une question à sa publication, dépendait de son maillon le plus lent. Et des maillons lents, nous en avons eus!

    Le tout, entaché de toutes sortes de vices systémiques que nous avons toujours élevés en dogme, mais qui apportaient leur lot d’incohérences. Le pasticheur qui reçoit la Q en même temps que le manitou. Le pasticheur commençant à rédiger une réponse de son côté alors que la manitou a déjà jugé la Q irrecevable. Ou alors, du même fait, le pasticheur qui reçoit la Q non corrigée commence à y répondre, alors que le manitou, ayant accepté la Q et l’ayant passée à un correcteur, celui-ci corrige certains éléments factuels de la Q auxquels le pasticheur a tenté de répondre.

    Cette problématique n’a jamais été adressée correctement sur Dialogus. La logique de base aurait été que le manitou soit le seul à recevoir toutes les Q, jugent de leur acceptabilité, les passent au correcteur, qui passe ensuite la version corrigée au pasticheur, qui y répond, le correcteur recevant ainsi l’ensemble Q-R avec la R non corrigée, corrige la R, et passe l’ensemble Q-R à l’éditeur pour la mise ne ligne.

    Nous n’avons jamais été de ce côté, les délais impartis à chacun pour effectuer leur boulot (pasticheurs comme équipiers) étant trop longs. Ainsi, certaines question posées dans le dispositif d’un cadre scolaire pouvaient voir le résultat édité sur le site deux mois plus tard, ce que j’ai toujours trouvé inacceptable.

    Tout au plus avions-nous décidé de ne plus publier de Q seules sans les R. Il y en avaient des centaines qui traînaient sur le site, et cela donnait une vision d’un site en vrac. Cependant, cela ajoutait aux délais. L’automatisation des processus a toujours été mon cheval de bataille. Avant que vous ne quittiez, déjà vous parliez d’approche Wiki. C’est un point de vue que je défends également.

    Vers 2009, j’ai mis au point un « robot » nommé Wladimir qui prenait en charge le côté messager. Les questions n’étaient plus posées par courriel, mais directement sur le site via un formulaire en ligne. Wladimir prenait alors la question et la déposait sur le forum de travail privé, dans un nouveau topic de la personnalité, et lui assignait un nom pas déjà utilisé sur le site. Cette mise en place a éliminé la tâche manuelle de lire et copier-coller des courriels. Côté automatisation, c’est le plus loin que nous sommes allés. Mais je voulais bien plus.

    De plus, l’affichage des correspondances et du site en général était encore approprié pour PC, avec feuilles de style larges pour écrans larges, mais pas du tout approprié aux nouveaux formats de smartphones et autres tablettes. J’ai cherché, cherché, et cherché, de chez Chercher & Chercher, le logiciel CMS idéal pour nous, sans jamais le trouver. WordPress présentait des faiblesses pour le genre de travail en équipe que nous vouiions faire et sur la manière dont nous voulions présenter les choses.

    Voici la description du logiciel idéal que j’ai tant cherché. Tout automatique. Aucun travail manuel. Aucun besoin de dépendre d’un informaticien spécialisé. L’internaute tombe sur Dialogus (sur son téléphone, tablette, PC, peu importe), l’affichage est convivial et adapté à son appareil, il voit la page de, disons, Socrate, et lui envoie une question. Il reçoit un mail de confirmation lui disant que sa question a été prise en compte. Le forum privé des travailleurs permet à ceux-ci de se connecter via un code utilisateur/mot de passe (cela, nous l’avions). Facilement, un manitou qui se connecte verrait l’ensemble des nouvelles Q ayant le statut « en attente d’acceptation ». Le manitou lit rapidement chacune de ces Q et a le choix de cliquer sur « Accepté » ou « Refusé », auquel cas l’internaute reçoit la notification idoine. Si la Q est acceptée, elle reçoit le statut « En attente de correction », et elle devient alors visible aux correcteurs, qui peuvent alors les corriger directement en ligne, sur le site. Le correcteur appuierait ensuite sur « Corrigé », et la Q recevrait alors le statut « En attente de révision ». Et elle devient visible aux réviseurs, qui ont le mot final. Lorsqu’ils cliquent sur « Révisé », la Q devient visible au pasticheur. Les pasticheurs reçoivent une notification lorsqu’une Q corrigée leur est adressée, et ils peuvent venir y répondre directement sur le site en se connectant eux aussi. La suite est un deuxième tour de roue. La R du pasticheur reçoit à son tour le statut « En attente de correction », etc. Jusqu’à ce que le réviseur final de la R appuie sur « Publier », auquel cas la Q-R se met automatiquement sur le site, à la suite des autres, sans intervention humaine d’un éditeur html qui doit avoir un logiciel FTP. Quand la Q-R est publiée, l’internaute reçoit une notification.

    Voilà le monde idéal que je voyais. Le logiciel qui fait tout ça n’existe pas.

    Une erreur qui avait été commise dès le départ, et dont il fut très difficile de se débarrasser ensuite aura été de publier l’adresse courriel du pasticheur en guise de signature. Ne créant aucun problème en 2002, cette manière de faire a commencé à nous tomber dessus quelques années plus tard, quand la petite fille qui avait posée une question banale à Barbie postulait pour un emploi dans une grande banque. Nous recevions des dizaines de demandes par semaine pour retirer, non pas juste l’adresse mail, mais la publication en entier. Nous avons passé des heures/jours/semaines, à rééditer des milliers de correspondances pour en retirer les adresses mail.

    L’autre problème, pas mal rabat-joie, qui a grandement affecté mon propre intérêt au site s’est présenté vers 2010, sous la forme d’une mise en demeure du cabinet représentant la famille d’un grand chanteur. Ils disaient que nous portions atteinte à la mémoire de ce grand chanteur par nos correspondances « Trompeuses », voire « Diffamatoires ». Nous avons tenté d’expliquer qu’au contraire, nous rendions hommage au regretté artiste, que personne au monde ne pouvait imaginer que c’était ce grand chanteur lui-même qui répondait, et que nous faisions sans doute connaître son personnage à des jeunes qui ne le connaissaient pas et seraient peut-être portés à acheter des albums ou des biographies. Ils ont exigé simplement et carrément que nous fassions disparaître la page de ce chanteur, rien de moins. Tout cela sans dire qu’ils sont tombés, pas longtemps après, sur la page sur le site d’Hurtubise qui annonçait le livre Entretiens avec trois géants de la chanson française. Nouvelle lettre, nouvelles menaces. On nous accusait de faire de l’argent sur le dos de cette grande figure. Ils voulaient avoir par le menu le nombre d’exemplaires vendus, le prix, la part distribuée aux auteurs, etc. Je pense même qu’à ce moment-là, li livre lui-même n’était plus en vente, et qu’au plus, il s’en est vendu moins de 50. En tout cas, cet épisode m’a complètement détaché du site. Je ne voulais plus vivre cela avec d’autres persos.

    Et tout ceci explique, du moins en partie, pourquoi Dialogus a disparu tranquillement. Et les choses vont de pire en pire aujourd’hui, avec tous les mouvements populaires anti-ci et anti-ça. Aussi bien dire qu’on ne pourrait plus avoir, sur le site, un personnage Amérindien non pastiché par un Amérindien, un personnage Noir non pastiché par un Noir, un Blancs qui n’aime pas les Noirs, un homophobe, etc. Je crois qu’à la lumière de tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux présentement, lié à la vindicte populaire, le principe Dialogus ne serait plus trop tenable, sinon avec quelques persos bien mythiques (mais surtout pas religieux) qui diraient à quel point les licornes sont jolies. Pour toutes ces raisons, Dialogus, pour moi, c’est du passé. Je ne regrette rien, mais je ne recommencerais pas.

    À la mort de Sinclair, Utopia, une ex-équipière, m’avait parlé de monter les publications du site comme une espèce de « Bibliothèque Sinclair Dumontais ». Ce site aurait permis un accès en lecture seule à l’ensemble de 30000 correspondances du site, sans possibilité de réagir ou de poser des questions. Personne n’a eu le temps de monter ce genre de chose.

    Pandore (ancien webmestre de Dialogus)

    [Merci de cette excellente analyse, cher Pandore. Je profite de l’occasion pour vous remercier aussi pour cette formidable aventure. Oui, c’était le temps du Web 1.0. On en parlera à nos petits enfants qui n’en croiront pas leurs oreilles… — Ysengrimus]

    • Mistral Simoun said

      Pandore,

      Vous apportez d’excellents éléments descriptifs qui nous aident à comprendre que, oui, Dialogus, ce fut toute une aventure. Bravo pour vous et vos équipes.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

 
%d blogueurs aiment cette page :