Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

, MAIS… (de Richard Monette)

Posted by Ysengrimus sur 1 Mai 2013

Il s’agit, encore et toujours, de se demander: qu’est-ce exactement (si tant est…) que la poésie concrète? On peut alors suggérer que le recueil  , Mais… (une virgule, un espace, le mot Mais, puis trois petits points) apporte avec vigueur les éléments tangibles de sa solution à cette réflexion. Poète au sens essentiel du terme, Richard Monette nous ramène tout d’abord à la matérialité du mot, sa conque sonore, son percutant phonétique (ou, selon la formulation même du poète, le percutant fun aime). Le mot et le paquet de mots construit l’évocation presque comme si elle s’imposait de par les sens, et ce, peine paire due pour la graphie docile-gentillette…

La paire due

« Je vous hais ! »
Dit-elle en fun aime
« Je vous possède… » ?

Les savanes arides étaient des jungles sauvages de forêts vierges

Le père, l’éponge de pierre
Est de
Palpable écueils
Et d’
Imperméables pièges
Perdure ce liège
Froissé d’effeuille
S’y perdent les songes du pied lierre

L’arbre est un hêtre dans un tronc de chêne

C’est là un important (et sempiternel) rafraichissement, surtout en francophonie (fun nie – n’épiloguons pas)… Ensuite, la poésie concrète, c’est aussi l’immédiateté de l’évocation. L’image est écrue, non délavée, patente. Elle se crie, se chuchote, ce qui se rejoint. On retrouve presque le dépouillement séculaire des ritournelles, des comptines ou des dictons populaire. Plus microscopique métaphorique qu’allégorique macroscopique, plus ancré dans la chair que dans le cortex, le poème nous parle, nous gratte, nous picosse, en prise directe, de ce qui se dit, se claque, quand, fatalement, le dessous de peau fendille:

Que l’amour ne fasse de même

Mon corps usé, à la peau marquée par les pas,
Par l’érosion âpre de la chair, perd diaprures.
Mes os sonores tel des poutres au dégel ;
Souffrant au temps… Que l’amour ne fasse de même.

Voilà ! Vieillir
Et t’aimer toujours

Clef simple, imparable, pour une poésie bien moins naïve que le décrypteur qui y farfouille. Le concret (peau) tire la remorque, la remorque, c’est l’abstrait (amour). Bringuebalante, la remorque, surannée, fanée, elle, elle n’y est pas toujours. Parfois on se la construit soi-même, en lecteur/lectrice. Et oh, pas trop! Il ne faut pas le faire trop. C’est que ce parti pris de la concrétude, du charnu, du replet, du crissant, nous porte à distance du propos transcendant dissertant, nous incurve en retours vers le tableau pro-peau, le chevalet, le ready-made, la miniature, la croûte, la pâte. C’est le contact avec le concret qui inspire, c’est sa saisie. On le touche, le prend, le taponne, le fricote, le tripote, et, notre œil croche est proche, notre main de vilain est lourde et vive virevoltante, main de bébé re-libéré par le recueil de poèmes qui se déjante par à coups. Et vu que le concret, le factuel, le réel s’affranchit, bien, il s’impose, il exulte, il cède sous notre perception, il crampe, il s’effrite.

S’effrite le réel

Couchée au cou une joue
S’effrite le réel !

Se mouillent
Maniées sous les mains

Effleurées de gestes,
Folles les chairs errent à l’oubli de l’air
Sous la grisante résonance d’être près

La question se pose alors, froide, sereine, légitime aussi, valide. Comment lire, comment recevoir la poésie concrète/Monette? Eh bien, savourons, justement. Restons-y en funambule, sur la lie, si c’est là qu’on nous convoque. Oublions-la, juste là, l’ampleur théorique. Pensons pratique, journalistique. Comme si on nous faisant la description d’une grande manifestation de rue qui serait un voyage de gravelle tintinnabulant, se déversant sans rage dans une glissoire d’enfant de parc ensoleillé, et dont la luminosité frémissante, ondoyante et tapageuse, ne doit pas nous faire penser trop, mais doit nous faire ressentir beaucoup. Captons-le, le bruit, le scintillement, le cœur de ce moment fruit d’été, si tangible, si fugace. D’ailleurs, le poète lui-même nous instille subtilement son petit conseil de sagesse, aux fins de notre attitude de lecture. Il nous le dit:

Entre art et instinct
Touchant le bout de son haleine
Le cerveau comme un désert pesant
Pendu à sa vitesse
Tout chant de solitude s’y bloque sa veine

(extrait de D’Humour rire)

N’en donnons donc pas trop au cerveau et beaucoup à l’haleine. C’est pour (re)dire: donnons en un peu plus aux sens. Pognons-la avec le regard le plus candide, le plus ordinaire, cette garnotte lacérant infinitésimalement la pourtant lisse glissoire de parc enfantin de notre sens commun. Il s’agit en fait de dire qu’on tient ici une écriture particulièrement singulière, serrée, granuleuse, crochue, poétique au sens le plus pur, dur, et chenu du terme. Et… aussi… bon… pourquoi Mais, hein, quand il y a tant de Maissages élevés et transcendants à faire flotter de par les quatre horizons? Eh bien, parce que, cependant (Mais!) on a ici un plat (un met…) qui se pose (se met…), pour ne pas dire qu’il baise (se met – sens québécois tout cru du cru) sur une toute petite table, sur l’œil, dans les pulsions et dans le ventre. À lire, à dévorer, en jouissant sans complexe du baiser des lèvres sur elles-mêmes…

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Richard Monette (2011), , MAIS… , ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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23 Réponses to “, MAIS… (de Richard Monette)”

  1. Catoito said

    MAIS en Mai… C’est voulu Ysengrim?

    [Toujours – Ysengrimus]

  2. Caravelle said

    C’est magnifique. Il est canadien?
    Carava

    [Canadien et/ou québécois, comme les balises de sapinage de ma rivière, qui viennent tout juste de tomber dans la furie verbale et notionnelle de la débâcle en fonte… – Ysengrimus]

  3. le boulé du village said

    C’est bien lui, Ysengrimus:

    http://monrichard.wordpress.com/

    [C’est en plein notre homme. Je crois savoir qu’il prépare un nouveau recueil. – Ysengrimus]

  4. Sophie Sulphure said

    Un homme mûr, solide comme un arbre et qui exprime des émotions fines, dans une langue ciselée. Oh, qu’est-ce que c’est prenant…

    SoSo

  5. Sissi Cicale said

    Et ce monsieur Monette t’inspire toi, Ysen, comme poète?

    • Ysengrimus said

      Bien sûr. Absolument. On a d’ailleurs été, circa 1976, lui et moi, plus ou moins paroliers du même chanteur. Voici le genre de texte que la lecture de Monette m’inspire (c’est une chanson qui attend encore sa musique, et c’est un inédit):
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      Les idylles compromettantes

      Des idylles ne sont pas nées,
      Des idylles ne vont pas naître
      Car l’amour est enfermé
      Dans la prison du paraître.

      Nos passions sont vouées aux gémonies
      Froidement citées à disparaître.
      L’amour fait son procès à l’infini…
      Et mon cœur refuse de comparaître.

      Même si des idylles sont nées,
      Elles sont en capilotade
      Car l’amour est submergé
      Sous un flot de jérémiades.

      Nos passions sont vouées aux gémonies
      Froidement citées à disparaître.
      L’amour fait son procès à l’infini…
      Et mon cœur refuse de comparaître.

      Des idylles sont condamnées
      Sous la lune et sur les plages
      Car l’amour s’est incliné
      Devant les contraintes d’images.

      Nos passions sont vouées aux gémonies
      Froidement citées à disparaître.
      L’amour fait son procès à l’infini…
      Et mon cœur refuse de comparaître.

      Les idylles compromettantes
      Sont le lot des déclassés,
      Des bouffons, des dilettantes
      Dont l’ordi est débranché.

      Nos passions sont vouées aux gémonies
      Froidement citées à disparaître.
      L’amour fait son procès à l’infini…
      Et mon cœur refuse de comparaître.

  6. Tourelou said

    Vous avez le mot nette pour Monsieur Mon nette, que oui, il faut lire ce chaud poète!

  7. jimidi said

    Je sais pas si c’est de la concrète, mais c’est ben beau !

    [Merci pour la correction de coquille. Tu devrais nous pondre un petit échantillon de concrète de ton cru. Ça m’intrigue quand-même… – Ysengrimus]

    • jimidi said

      J’aime assez ce qu’on trouve ici, sur la poésie concrète :

      http://la-poesie-elementaire.blogspot.fr/2008/12/pour-une-histoire-de-la-posie-concrte.html

      • Ysengrimus said

        Ça me parait un peu confusionniste, ce long texte sans exemple. On enchevêtre poésie visuelle apollineuse, concret textuel (lettrisme, entre autres), concret sémiotique, le programme de Dada, les futuristes mussoliniens, la peinture (peinture?) moderne, etc. Je vais pas te critiquer tout ça en linguiste là, mais disons que si tu nous pondais un texte de six vers illustrant ta conception de la poésie concrète in situ et sans ambages, on irait bien plus loin bien plus vite. Voici toujours le mien:

        Ci ci
        Civet ciseaux
        Tranche touille
        Oreille de lapin trouille
        Ciseaux grand ouverts idem
        Ciseau civet angle aigu hue hue
        Ci ci dans le vert, le blême…

  8. Merci, c’est toujours plaisant de recevoir des commentaires, surtout lorsqu’ils encensent. Être découvert un premier mai (fête des travailleurs) est encore plus troublant et heureux. Un hasard? On peut toujours rêver que non.

    Richard Monette

    [merci de ta visite, mon cher – Ysengrimus]

  9. Voilà, pour les lecteurs d’Ysengrimus, ceux-là même qui viennent de découvrir « ,Mais… » le tout dernier poème que je viens de terminer, je crois, car il y a toujours le doute qui nous oblige à peaufiner encore et encore.
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    Jours mécaniques

    Comme les songes dissimulés
    lorsque l’éveil distrait est à fuir
    parsemé de temps troués
    où s’accroît l’absence des souvenirs

    Lourds il y a des jours balourds
    et des jours et des jours mécaniques
    où s’ennuie du Soleil des os sans analgésique

    Alors il me pleut mon amour
    et si froid tout atour oblique

  10. Sissi Cicale said

    Superbe!

  11. Francine Monette said

    Toujours empli d’émerveillement. Bravo Richard

    • Merci unique sœur que j’aime savoir ni pouvoir. Comment?

      • Bon je crois que mon IPod me mêle. Je constate que je ne réponds pas aux bonnes personnes. Désolé, la technologie me nuit ici. Bref je remercie tous et, comme du vent, ess-aimez.

        [Continue d’écrire, mon cher. Qui écrira lu sera… – Ysengrimus]

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