États-Unis: rédemption, piège à con
Posted by Ysengrimus sur 1 février 2009

Obama, figure rédemptrice, joue à fond le jeu de la pureté éthique et de la candeur intellectuelle.
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Je trouve finalement l’un dans l’autre que notre bon vieil impérialisme américain l’a pas mal facile au bout du compte en remplaçant ainsi, sous les viva! planétaires, un président mannequin (terme limpide) par un président acteur (terme volontairement ambivalent) et en se tapant la formidable rédemption que cela entraîne…
C’est un spectacle cyclique, en fait. Un manège circulaire des symboles. Une scintillante poudre aux yeux tricolore. Regardons de plus près cette «nouvelle donne» du fameux retour du président qui agit par lui-même (par opposition, croit-on, au président qui se laisse ballotter par les groupes d’intérêts). Dans les derniers soixante ans, le Parti Démocrate a produit les grands présidents acteurs. Tu ne peux pas aligner FDR, JFK, WJC et BHO sans que les astres ne bougent un peu… Chez le Parti Républicain, marionnettiste invétéré ayant piloté beaucoup plus de présidents, deux autonomies ressortent: celle de Richard Nixon et celle de George Bush Senior. Ces deux figures fétides ont d’ailleurs en commun d’être deux vice-présidents devenus ensuite présidents en un tout nouveau mandat (donc pas comme Harry Truman, Lyndon Johnson ou Gerald Ford qui finirent le mandat du président précédent, mort ou démissionnaire, ce qui, sauf dans le cas de Ford, les fit rebondir aux commandes). Signe criant de comment ces gars de droite marchent, le marionnettiste des débuts finit, avec eux, par attraper le manche et devenir (un peu) acteur… Ces Républicains sont des manipulateurs de grands pantins sans complexe et leur peuple le sait parfaitement. Le dernier grand président mannequin avant George W. Bush fut incidemment Ronald Reagan (un ancien acteur… de cinéma, je veux dire). Cet ample président vide, qui fut surnommé le président de 9 à 5 (avec sieste l’après-midi) reposait lourdement sur l’équipe et surtout sur son VP et futur successeur, Bush Senior… Il est certes piquant de constater que de placer le fils de l’éminence grise de jadis sur le trône du vieux mannequin d’autrefois s’avéra la suprême combinaison ratée de la dernière décennie. Ils ne la referont pas de sitôt, la passe de la marionnette aux commandes, on peut dire cela sans risque… Et subitement, aujourd’hui, patatras, les USA ridiculisent haut et fort ce George W. Bush Junior, poupée à la tête creuse… mais, ce faisant, ils n’effacent en rien son action catastrophique. Cette dernière ne s’inversera pas pour autant. Salvador Allende ne revint pas en vie après la démission de Richard Nixon…
Nos bons ricains se tapent tout simplement une petite table rase émotionnelle en mondovision, une petite rédemption à grand déploiement centrée sur ce retour «nouveau» du président acteur. Ils diffusent quelques rubans YouTube bouffons du bouc émissaire politique du jour et continuent de rouler, droits dans leurs bottes. Oh, oh… Méfiez-vous de ce genre de défoulement rédempteur inane. George W. Bush, agneau pascal, moi, je ne mords pas. Son départ laisse le vivier washingtonien (sans parler de celui de Wall Street) parfaitement inaltéré… C’est d’ailleurs pour cela qu’Obama compose tant… C’est un vieux truc de politicien de centre-droite que de faire ridiculiser le prince droitier déchu par les nouveaux thuriféraires. Une figure publique très modérément progressiste attise les réactionnaires extrêmes sur cette cause spécifique en leur jetant des morceaux de viande ironiques bien poivrée pour les faire aboyer dans leur clos, chiens hurleurs qu’ils sont. Les idiots mordent, gueulent et réitèrent leur cause foutue que le prince droitier déchu ne peut plus porter et notre personnalité publique de centre droite parait soudain fort avancée en se projetant devant ce choeur d’arrière-garde, manufacturé et entretenu par elle. L’art discret de ne pas avoir à trop innover, en inculpant en sous-main le prédécesseur.
Obama, figure rédemptrice, joue à fond le jeu de la pureté éthique et de la candeur intellectuelle. Toujours aussi générique sur les affaires non-domestiques, il incarne sereinement l’ignorance abyssale que l’Amérique a du monde. Son atout majeur, pour le moment, est que, comme Socrate, il sait qu’il ne sait rien et il l’admet… et il dit à ses émissaires diplomatiques de commencer par écouter. Il veut laisser les idées préconçues bien entassées dans le placard du passé tragique. Nouveauté fondamentale d’un impérialisme en amorce de rétrécissement? Oui? Non? Cela fait nouveau, nouveau, nouveau, certes, mais il reste qu’Obama est fondamentalement un centriste, donc, en fait, un chef cuisinier matois qui apprête les restes en les amalgamant en un subtil mélange réchauffé, qui fait nouveau… Il ménage la viande et les patates, la chèvre et le chou, la gauche et la droite, le Likoud et le Hamas, les tartuffes et les athées, le capitalisme et le socialisme. C’est une balançoire, un pendule qui oscille au dessus des questions. Ce n’est pas qu’il brette ou hésite, c’est qu’il englobe, qu’il embrasse. Or, qui trop embrasse, mal étreint… Obama admire tout le monde (du moins en parole), n’a pas d’ennemi (du moins en apparence). Tout le monde est beau, gentil et un génie. De par cette dynamique, très Nouveau Monde primesautier dans le style, très Amérique joyeuse dans le ton, Obama est bien plus américain et bien moins impérialiste que plusieurs de ses prédécesseurs, du moins, encore une fois, en apparence. Et que fait Obama de fondamental dans la dynamique qu’il tente de mettre en place ainsi? Il manifeste, publiquement et politiquement, de l’HUMILITÉ. La même humilité qu’il avait justement annoncée dans son discours inaugural. De là, deux choix s’offrent à l’analyse. Soit il s’agit d’une humilité de Tartuffe et qu’on a affaire, comme du temps de Jimmy Carter, à l’insertion de la vieille main de fer de l’impérialisme américain dans un nouveau gant de velours. Soit il s’agit d’une humilité effective, symptôme sociopolitique réel et profond du fait que l’impérialisme américain du siècle dernier s’approche le plus en douceur possible de la piste d’atterrissage de ce siècle-ci. Deux choix possibles. Le charme d’Obama nous masque subtilement l’option effective… alors gardons l’œil ouvert.
Car, dans les faits, si le vaste dispositif militaire US cessait simplement de tuer des gens un peu partout au monde, de ci de là, de gauche et de droite pour des raisons qui, on l’a souvent dit, ne correspondent même pas à la volonté effective du peuple américain, ce serait déjà un développement bien plus effectif que tout le flafla rédempteur auquel on assiste en ce moment. Ils peuvent même garder leur collets cravates si ça les amuse, mais simplement qu’ils cessent de reporter la paix au calendes, en changeant les soldoques de place, en rebrassant le paquet de cartes et en maintenant le bellicisme de service bien actif sans vraiment s’informer d’avantage… De fait, à ceux qui voudraient nier l’ignorance que les américains ont de la complexité du monde qu’ils oppriment, je dirai simplement ceci. Les élites «savantes» de ce pays l’ont mis dans le fossé et l’ont enfoncé dans le discrédit international le plus profond de son histoire moderne. Obama, lui, c’est clair, s’inscrit en faux devant ces «savants» que le tout venant admire tant. Il se rapproche de son peuple, lui ressemble, le sert, l’incarne même, en disant: «Je n’y voit goutte, je ne crois pas savoir, je ne sais pas. Il y a là une complexité qui m’échappe, il me manque des éléments. Informons nous d’abord car notre savoir antérieur est probablement un faux savoir». Obama tombe la veste (y compris au Bureau Ovale) et joue de mimétisme populaire. Je ne sais pas s’il agit, mais il montre qu’il agit. Cela, d’ailleurs, avec la stricte rigueur de sa doctrine centriste, n’est pas sans rappeler Juan Domingo Perón (1895-1974). Perón (un peu d’ailleurs comme René Lévesque) fut d’abord un homme d’état oeuvrant au beau risque de mélanger gauche et droite, un peu comme on mélange soufre et salpêtre dans la poudre à canon. Dans le cas de Perón, cela a fini par péter de travers, d’ailleurs, populisme, militarisme, dictature, etc. Ici, l’affaire est inévitablement à la fois plus compliquée et plus grandiose, mais il reste que le jeu d’Obama (aussi au sens de son jeu d’acteur…) engage un risque politique qui n’a pas grand-chose à voir avec de la nouveauté neuve, neuve, neuve… Il veut camper une Unité Nationale, comme le voulait le Perón des débuts (c’est habituellement un indice du poids de l’adversité extérieure…). Souffre – Salpêtre. Il faudra voir où ça ira, mais c’est ça.
Sauf que, Rédemption Globalisante d’Extrême Centre ou pas, le monde ne s’arrête pas de tourner pour autant. Les Talibans résistent de mieux en mieux et il va falloir dix mille fois leurs ressources pour espérer les planter. Pourquoi? Est-ce comme au Vietnam? Et pourquoi avoir oublié le Vietnam? Et pourquoi tous les esprits savants, expérimentés et subtils des états-majors n’ont-il pas vu celle-là venir non plus? Mais que sait-on du monde, finalement, bon sang? Approfondir ce conflit, comme Obama prétend le faire, est-il une nouvelle erreur, à la fois impérialiste et moraliste, résultant directement de l’ignorance qu’il a eu la candeur de nous avouer? Quelle est la profondeur de sa mécompréhension du genre de racaille locale sur laquelle, en tant qu’occupant, il s’appuie pour gouverner indirectement un pays qu’il tient sous sa botte. La rédemption obamesque ne peut tout simplement pas demander à son segment compradore afghan de se dé-corrompre quand son propre dispositif d’occupation repose crucialement sur le segment corrompu de la société. Prier les collabos de se dé-corrompre c’est les prier de s’autodétruire, vu que le fond de leur corruption repose sur le service à l’occupant… et que c’est parce qu’ils sont corrompus à la base qu’ils collaborent! Les USA tournent leur marionnette en bouc émissaire de leur propre impérialisme, en faisant cela… S’en rendent-ils compte seulement? L‘action d’Obama masque t’elle l’inaction implicite de la force d’inertie de l’immense machinerie qu’il chevauche? Silence planant de ses critiques et de ses suppôts. Et ce silence planant est un solide indicateur de tendance. Soudain, sous la rédemption d’Obama, l’Amérique lave plus blanc. Il ne faut plus la critiquer, elle est purifiée. Holà, holà… Non merci. La rédemption US est le plus formidable des pièges à con imaginable de ce début de siècle… et veut veut pas, Obama construit gentil sur les acquis salauds de ses prédécesseurs…
Le 20ième siècle s’est terminé en septembre 2001 sur une brutale légitimation. Le 21ième siècle s’est amorcé en novembre 2008 sur une doucereuse rédemption. À chacun son piège à con et les réveils seront douloureux mais, au moins, lucides.
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Paru aussi (avec des modifications) dans Les 7 du Québec
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Mermin said
Rien à redire puisque ce ne sont que des hypothèses avancées pour essayer de comprendre ce qui se passe dans ce monde et chez les américains plus particulièrement. Questionnement partagé par chaque humain qui me fait surfer sur votre blog à la recherche de la vague lumineuse qui m’entrainerait plus rapidement vers un grand large plus serein. La lucidité dont vous faites preuve vous sert après de nombreuses et douloureuses (supposées) désillusions, de protection; néanmoins, sans être croyant, la capacité de l’Homme à se regénérer ou à évoluer est toute aussi grande que sa capacité à détruire. Il y a eu Gandhi, Mandela ou Luther king, Obama pourrait être un de ceux là. Non, je ne suis pas un naïf, mais je me dis que pour une fois, laissons quelques temps à un homme politique qui dit vouloir nous surprendre. Mettez vous à sa place, il peut difficilement rénover la maison en quelques mois. A défaut de le soutenir béatement ne discréditons pas ses « INTENTIONS » car en le faisant nous détruisons la particule d’espoir que le monde peut enfin s’assouplir.
Sam said
En fait et comme chacun sait, l’Amérique perçoit encore et toujours l’accès aux fonctions de Président des états-unis, le «Commander in Chief», et tout le prestige et le décorum qui vient avec, comme l’accès à la fonction d’Empereur dans la Rome Antique… et lorsqu’on a les moyens, le fric, les armées mobilisées, dont celles de lèche-cul tous secteurs confondus comme l’Administration Américaine, lorsqu’on a aussi et surtout un appareil médiatique et un marketing colossal qui eux n’ont pas d’équivalent même dans la Rome antique, imposant de facto un populisme de droite républicain ou centriste avec les démocrates, «gouverner» depuis la prestigieuse Maison Blanche devient forcément une mise en scène, soignée, policée, mais folklorique aussi et symbolique surtout! On nous raconte d’ailleurs que Sleepy joe a passé sa vie à rêver de devenir Président, a vouloir «accomplir de grandes choses pour l’Amérique»… etc. Or le fait est que l’Amérique, ne se gouverne pas avec un homme, quelle que soit sa carrure ou son pouvoir exécutif, ses idées et ses ambitions!… L’Amérique, comme on sait, se gouverne uniquement par le fric, des intérêts, aiguisés, pré-établis, prédéfinis, connus ou occultes, et acheminés à travers un Congrès ou se déploie «l’expertise des dossiers» et la législation, un Sénat qui veille au grain, un appareil médiatique et politique qui valident le tout…! Et, on l’a vu sous Bush Jr, jamais il n’aurait pu aller guerroyer en Irak sur sa seule décision, il eut bel et bien connivences d’intérêts + mensonges d’état + mise en branle du deep state et des médias dans le sillage du lendemain du 11 Septembre… avec très peu d’opposition… et si l’Amérique y a laissé en huit ans quelque un trilliard de dollars en dépenses et comme ardoise aux prochaines générations sur quarante ans au moins (on parle du double deux trilliard à rembourser avec les intérêts et les dépenses à long terme aux blessés et mutilés rapatriés), les intérêts privés et particuliers, eux, ont fait autant sinon plus en profit sans payer plus de taxes pour autant! Et c’est d’ailleurs sur quoi Obama et les démocrates ont bâti leur retour en force en dénonçant le stratagème républicain d’enfoncer l’état américain pour enrichir quelques uns…
Il y a donc tout de même ce phénomène d’alternance de gaffes catastrophiques des républicains, suivies par une élection de démocrates qui se disent centristes et «doivent ramasser les morceaux», depuis un bout maintenant, et depuis Bush Père….! Et, peut-être que je me trompe, mais les démocrates en règle générale tentent tout de même une inclinaison socio-démocrate même si cela n’a rien à voir avec la social-démocratie, car les démocrates, veut veut pas ne sont pas connectés au complexe militaro-industriel autant que le sont les républicains traditionnellement et effectivement… en plus de se faire mettre les bâtons dans les roues pour chaque projet «progressiste» qu’ils tentent, bannissement d’armes à feu, assurances au peuple, assouplissement des règles pour l’immigration ou les réfugiés, et libre-échange… du moins si on devait considérer le libre echange comme un projet progressiste…
Au final, pourquoi vote-t-on républicain ou démocrate aux états-unis, je crois que durant les cinquante années écoulées on le faisait toujours dans une certaine idée de grandeur de l’Amérique aux yeux de son peuple. On pouvait voter une fois républicain et une autre fois démocrate! mais plus maintenant… Il y a prise de conscience, et il y a aliénation à droite aussi… et donc polarisation… Sleepy Joe donc devra aller de l’avant avec un certain nombre de mesures concrètes cette fois, et il aura à affronter les white trash, le «déplorables» pour de bon, à moins de réussir à régresser sur un front et avancer sur l’autre et satisfaire une poignée chez les uns et les autres… et donc on est condamné à échouer pratiquement, surtout en ce moment et en cette conjoncture économique mondiale et la perte de vitesse de l’Amérique.
Ysengrimus said
Notons, en tout cas, que le cas Donald Trump ne doit pas faire illusion ici. Ce bravache faisait bien plus ce que le parti lui disait de faire qu’il ne l’avouait. Simplement, il la cabotinait grave en faisant semblant de tout tirer de son chapeau-claque de mauvais ploutocrate. Et, quand il osa sa fameuse vraie initiative du 6 janvier 2021, cela se termina en fiasco total.