Le Carnet d'Ysengrimus

Ysengrimus le loup grogne sur le monde. Il faut refaire la vie et un jour viendra…

  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Qu’est-ce que le Bellicisme?

Posted by Ysengrimus sur 30 juin 2008

Le Bellicisme est fondamentalement une doctrine commerciale. On vous vend une guerre. Plus précisément on vous vent du guerroyage, une guéguerre. Le principal consommateur du Bellicisme est une administration publique préférablement riche, qui ressent le besoin d’engourdir sa population et de la droitiser en lui insufflant une potion de cheval patriotarde qui la gonflera de l’extase irrationnel des croisades, en assurant de substantiels gains électoraux et un dédouanement implicite des gouvernants face aux besoins matériels effectifs de la société civile… En échange des centaines de milliards engloutis dans le complexe militaro-industriel, dans le pur style du film Wag de Dog mais en immensément plus coûteux, les entrepreneurs bellicistes vous fournissent les apparences d’un conflit, victorieux mais difficile quand même, avec pertes de vies sanglantes et tout le folklore, et où, bien sûr, plus que jamais, tout ce qui clochera sera la faute de l’autre. Il ne faut surtout pas confondre Bellicisme et Militarisme. Le Militarisme promeut le «programme politique» d’une structuration de l’administration civile sur le modèle du commandement autoritaire et intolérant de l’armée. Le Militarisme achevé étant naturellement le gouvernement étatique tenu par une junte avec à sa tête un général. Le Bellicisme ne se soucie pas de ce type de totalitarisme socio-politique menant habituellement au fiasco administratif. Le Militarisme est ostentatoire et public. Le Bellicisme est feutré et discret. Comme un vendeur d’assurance, il se contente de caser son produit et d’empocher, sans tambour ni trompette. De nos jours, le Bellicisme met surtout en marché des fragments artificiels de la bonne vieille tension sociale globale perdue avec la fin de la Guerre Froide au sein d’une civilisation qui, justement, ne marcherait pas si facilement au pas.

Comme toute pratique commerciale contemporaine, le Bellicisme est de plus en plus une arnaque, y compris pour ses propres clients, les administrations publiques elles-mêmes. C’est-à-dire ici que, comme les électro-ménagers, les maisons et les bagnoles, les guéguerres mises en marché par le Bellicisme coûtent de plus en plus cher et sont de moins en moins bonne qualité… La Grande Ratonnade Irakienne de 1991, soi-disant contre la troisième armée du monde, lança le bal des conflits à coûts astronomiques et à résultats de théâtre infimes. On peut aussi mentionner, comme typique mauvaise foi commerciale du Bellicisme, les étirements de conflits, qui, comme les imprévus semi-escrocs reliés, disons, à la construction d’une maison, ou comme les frais d’entretien semi-sabotagiers jalonnant les aléas de la «vie» d’une bagnole, vous allongent les coûts de votre conflit de théâtre de toc pour leur faire atteindre des sommets pharaoniques, d’ailleurs jamais clairement divulgués sur la place publique. Inutile de dire qu’enlisée, coincée, piégée, vietnamisée, pour rapatrier les troupes, l’administration publique devra, encore et encore, casquer. Ces frais seront, eux par contre, claironnés sur la place publique en conformité avec la ferme vision c’est la faute de l’autre du Bellicisme. Ce sera alors: l’administration publique a tant voulu se retirer du conflit que nous tenions si bien (!), voyez maintenant ce qu’il vous en coûte… Seule une administration peu consommatrice de bellicisme mentionnera explicitement des montants chiffrés. “On a dépensé un Trillion dans nos guerres” (Obama dixit en 2010, lors du « retrait » d’Irak – mais il ne précise pas trop dans quelles guerres exactement, ce budget somptuaire). En numération US, un Trillion, c’est un million de millions (dix à la puissance douze). C’est du blé ça les tits copains, foutu en l’air dans de l’improductif pur et absorbé sans ristourne sociale aucune par la portion la moins scrupuleuse et la plus rapace du secteur privé… La  ci-devant glorieuse WWII chiffrée en dollars constants, je me demande bien ce que cela donnerait, tiens, pour un résultat autrement historique… Oui, je vous le redit, il se détériore ouvertement, le rapport qualité/prix des guéguerres pour lobbys bellicistes… C’est cher payé en titi pour péter des gueules aléatoirement avec au final un résultat fort indécis.

Finalement, comme le Bellicisme nuit aux autres types de commerces (tourisme sur le théâtre lui-même et négoce international de denrées non-belliqueuses partout ailleurs), il rencontre de temps en temps les résistances du reste de la bourgeoisie internationale, résistances que l’administration publique consommatrice de Bellicisme s’empresse de discréditer en les qualifiant de Pacifisme.

Il y a un Bellicisme américain, c’est clair. Bellicisme politique et Bellicisme d’affaire. L’armée est loin d’être innocente dans cela d’ailleurs, naturellement. Sauf que: visez bien l’entourloupe actuelle. Soudainement, Vlan! L’Iran, c’est trop pour eux et ils le savent. Qu’est-ce à dire? Eh bien, ils font déjà leur piastre amplement avec les ratonnades actuelles dans les déserts et les montagnes, pourquoi s’encombrer d’une vraie guerre? Le Bellicisme-Spectacle, guerre de toc de notre temps, est beaucoup plus payant et moins coûteux, en compétences qu’ils n’ont pas et en pur et simple argent. Ils veulent d’une guerre qui fait dépenser l’administration publique, pas d’une guerre qu’il faudrait avoir le génie de gagner… C’est pour cela que l’état major américain en ce moment est soudainement contre la guerre contre l’Iran. Ils sont parfaitement réfractaires à voir leur lucratif Bellicisme dégénérer en un vrai conflit qu’il faudrait assumer d’une manière douloureusement classique, avec vraies lourdes pertes (dans tous les sens cyniques du terme). Les Bellicistes deviennent alors eux-même pacifistes pour les même raisons que les autres bourgeois pacifistes: protéger leur propre petit négoce international du (vrai) danger guerrier! Non seulement ils vous vendent à gros tarif leurs boucheries sanglantes, mais en plus, c’est de la camelote, même dans le cadre restreint et inique de leur logique guerrière. Le Bellicisme vous fourgue la Guerre-Citron. Tout le monde arnaque tout le monde dans l’import-export du désespoir et de la mort et cela ne va socio-politiquement nulle part.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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16 Réponses to “Qu’est-ce que le Bellicisme?”

  1. petit said

    Pouvez-vous me denner des exemple de bellicisme s’il vous plait?

    • ysengrimus said

      Irak, Afghanistan.

      Pas fort fort, le rapport qualité/prix des conflits US dans ces portions du monde… Même en embrassant leur logique insensible, pas de quoi pavoiser…

  2. Tourelou said

    Une émission fort bien documentée récemment présentée à Radio-Canada au Québec reflète bien l’historique de la propagande de guerre lors de la deuxième mondiale:

    http://www.radio-canada.ca/television/amourhainepropagande/

    À ce titre, amour haine et propagande, faudrait-il ajouter … et ignorance?

    Pourtant avec autant de dossiers sur les faits de notre histoire, la guerre est toujours là, c’est trop honteux.

  3. Public ennemi said

    «Tout le monde arnaque tout le monde dans l’import-export du désespoir et de la mort et cela ne va socio-politiquement nulle part.»

    C’est le destin des baby-boumers, vous vouliez changer le monde et sans vous en rendre compte, par pur mimétisme envers ceux que vous contestiez quand vous étiez jeunes, vous avez travaillé pour le rendre pire qu’avant. Non seulement vous êtes en guerre contre les peuples qui sont différent de vous mais en plus vous êtes en guerre contre la vie elle-même. Les punks britanniques avaient raison « futur sans avenir » qu’ils affirmaient dans leurs chansons en se moquant des baby-boumers. Ma génération fera-t-elle mieux? Je n’en sais rien.

    • Ysengrimus said

      «Vous êtes en guerre contre les peuples qui sont différent de vous…»

      Colonialisme et néo-colonialisme pré-existent amplement le baby-boom… Le cynisme commerçant du bellicisme que je cherche à décrire ici est plus récent historiquement, lui, par contre. Il manifeste que comme on y croit plus trop, autant s’enrichir vite avant que ça se plante…

  4. Demian West said

    Dans le top ten des articles qui parlent cash de la mouise dans laquelle nous flip-flapons tous pour le plus grand bénéfice des troupes de l’enfer qui nous prennent par la main jusqu’au bureau de votes des petits enfants que nous sommes… pour un temps encore…

  5. Jean-François Belliard said

    Laurendeau,

    Ce film Wag the dog est un prérequis pour saisir tout le sens de votre texte.

    Salutations.

  6. Patrice Hans Perrier said

    Bon, je ne vois pas ce que le Bellicisme a à voir avec la droite. Le gouvernement de la Sauce Hollandaise, en France, se comporte comme un roquet qui multiplie les terrains d’intervention au profit de l’Empire.

    Le gouvernement soviétique était belliciste, ou bien je n’y comprends rien. À mon avis, le complexe militaro-industriel se fiche bien de la couleur idéologique d’un gouvernement. S’il y a bien un fascisme à l’ordre du jour, c’est celui de la Technè toute puissante.

  7. @ PHP

    «Le gouvernement soviétique était belliciste, ou bien je n’y comprends rien»

    Hmmmm… sur celle-là, je crois que vous avez tort. Pas que le régime soviétique ait été nécessairement «pur», mais après une guerre qui lui avait couté plus de vies que tous les autres belligérants réunis – et un deal habile à Yalta qui lui avait donné un espace où croitre, une idéologie perçue comme l’ALTERNATIVE par tous les pays dit démocratiques, l’URSS voulait la paix. Comme un python veut du temps pour digérer sa proie.

    La guerre froide a été une constante provocation par les USA pour ruiner l’URSS en dépenses militaires défensives sous peine de baisser sa garde un instant et d’être vitrifiée par les disciples des McCathyistes.

    C’est en jouant cette carte de la provocation que les Américains ont compris que RIEN n’est plus payant qu’une guerre et qu’ils sont tombés sous le joug du complexe militaro-industriel qu’Eisenhower a dénoncé dès le départ. Depuis lors, les USA sont les ennemis de humanité.

    PJCA

    [Alors là, je seconde à fond – Ysengrimus]

    • Demian West said

      Balèse PJCA !

      C’est fou comme un discours simple et clair peut étaler une vérité. Et je n’ai jamais été communiste, mais j’ai un profond faible pour la grande culture Russe et ses beautés, dans la mode ou pas 😀

  8. Ysengrimus said

    «à mon avis, le complexe militaro-industriel se fiche bien de la couleur idéologique d’un gouvernement.»

    De Reagan-Bush1-Bush2 à Carter-Clinton-Obama, je seconde..

    • Patrice-Hans Perrier said

      Franchement, toute la question de la militarisation du globe est préoccupante et me laisse confus, pantois et indécis.

      Il m’arrive de prôner un rééquilibrage des forces en appuyant la montée des puissances intermédiaires afin de contrer l’Empire américano-machin-truc …

      Toutefois, après mures réflexions, on en vient à se demander si l’Empire «réel» ne serait-il pas celui de la sphère techno-financière, dirigeant le complexe militaro-industriel au détriment des peuples et nations. Comment faire pour que les nations prennent leur distance et que les armées redeviennent le bras du peuple, avant d’être liquidées?

      Si la Russie n’avait pas SA propre force de projection, l’Empire USA et ses laquais auraient envahi la Syrie … mais la force de l’ours russe est un prétexte pour que le complexe militaro-industriel américain et consorts poursuive son expansion, ses recherches et sa fuite en avant.

      Que faire? Les Beatniks se sont jetés devant les chars militaires, mais il ne s’agissait que d’une parade pour la forme. Quand vient le temps d’expédier les Marines sur un terrain d’opération, nos «révolutionnaires» de service ne peuvent que lire la nouvelle dans les médias aux ordres.

      Que faire?

    • @ PHP

      Que faire? Relisez 1984. Toutes les nations sont en guerre contre leur gouvernement… c’est à dire le mécanisme d’exploitation mis en place par le 0,0001% qui possède tout.

      Le vrai conflit imminent qui changera tout sera mené par des individus qui n’auront pas de projets constructifs et ne seront pas organisés – car par la zizanie ils seraient indéfiniment neutralisés – mais auront pour seul but IRRATIONNEL de DÉTRUIRE le système actuel..

      Je ne souhaite pas cette conclusion dont il sortira beaucoup de mal. Je dis seulement qu’elle es malheureusement inévitable.

      PJCA

    • Patrice-Hans Perrier said

      Je ne me suis pas bien fait comprendre j’imagine …

      Je récapitule et capitule, mon père.

      Je suis heureux, sincèrement, que la Russie ait mis un terme (temporaire) aux érections frénétiques d’Oncle Sam, aux prises avec un irrépressible désir d’aller casser la baraque en Syrie. Bon, c’est déjà ça …

      Mais, le complexe militaire en goguette poursuivra ses joyeuses subsides et les terrains d’opération se multiplieront comme les champs de fleurs sauvages. Que faire pour désarmer, pour que le Québec ne produise plus de mines anti-personnelles et que les pays «amis» cessent de bidouiller des missiles avec des têtes pleines d’uranium appauvri!

      Un sommet sur le désarmement?

      ou bien une troisième guerre mondiale en bonne et due forme pour que l’on n’en parle plus …

      le temps que l’Oncle Sam se calme le pompom …

    • J’ajoute que les seules menaces sérieuses pour le Système viennent des religions (l’irrationnel): l’Islam, les Fondamentalistes… et ne pas donner pour mort l’idéal de partage (christique) qui, discrédité sous le vocable «communiste», peut resurgir sous l’impulsion du nouveau Vatican.

      Ces menaces qui s’appuient sur des organisations peuvent être contrées par le Système utilisant la zizanie. Le Système, toutefois, est impuissant quand il est attaqué par des individus seuls, mus uniquement par leur conscience et n’y cherchant pas un profit personnels…. et donc irrationnels selon les critères actuels.

      Comment aurait-on pu protéger Indira Gandhi de ses gardes du corps? Comment protéger un système, quand ceux qui l’opèrent choisissent un par un de le saboter? Et je souligne que c’est précisément ce qu font aujourd’hui tous ceux sur les blogues qui critiquent… Le reste est affaire de degré…

      PJCA

  9. Magellan said

    Sur la privatisation de la guerre. Dans ce bon reportage factuel de 2010, on néglige cependant de tenir compte des sales combines de commerçants dont Ysengrimus fait ici une description fort adéquate et qui risquent de devenir des inhérences gluantes de la guerre privée…

    [Vidéo disparue — Ysengrimus]

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