Les retouches photographiques sont en train de devenir un enjeu sur lequel on nous juge
Posted by Ysengrimus sur 11 mai 2008

Les retouches photographiques: un enjeu sur lequel on nous juge
Les retouches photos faites à l’ordi, qui s’en souciait au tournant du siècle? Une photo de moi sur une vaste pelouse verte vif, tendrement penché sur mon épagneul Médor, me semblait ratée parce qu’Oncle Firmin apparaissait, titubant au loin, entre mon épagneul et moi, et comme grotesquement perché sur le bout de la truffe de ce dernier. Basta, en quelques clics et mouvements de souris, je pulvérisais le vieil oncle en fond et rapprochais légèrement Médor de moi, le tout, évidemment, sans altérer le vert serein de la pelouse. Deux amis fraternels et sans enquiquineur aucun étaient alors voués à s’aimer d’un amour sans mélange… visuel. Tout était alors dit, et nul n’y trouvait à redire. Puis, pourquoi pas, de fil en aiguille, je me suis mis à me noircir les cheveux, à me pâlir le teint, à me ciseler le nez, à me lisser les rides, à … me mincir le bide.
Le phénomène des retouche photos s’est répandu entre 2000 et 2010 comme une explosion de fond, au point de prendre l’ampleur et la proportion d’un vaste événement culturel collectif. Vers 2008 la majorité des photos de personnes ordinaires figurant sur le site de relations sociales Facebook étaient des retouchées. Le gratin ne fut naturellement pas en reste. Des acteurs et des actrices virent leur apparence altérée au point de devenir méconnaissables. Les peaux sont devenues comme plastifiées ou métallisées, les cheveux ont pris un lustré sci-fi irréel, les silhouettes sont devenues d’une cambrure impossible, la photo s’est transformée en une sorte de dessin animatronique figé dans ledit irréel et ledit impossible. Puis nos yeux –sinon ceux des persos de ces images- se sont graduellement descillés. On a commencé à pester devant les caisses du supermarché. Révolte de l’entendement. Une actrice a poursuivi un canard qui lui avait vissé la tête sur le corps d’une autre, un de ces corps de guêpe inepte qu’elle n’approuvait pas. Une compagnie de savonnette a basé une de ses pubes sur une dénonciation du caractère irréel et illusoire d’une images de jeune fille ordinaire engloutie sous une suites quasi ininterrpompue de retouches animatroniques aussi factices que déshumanisantes. Ce fut le choc empirique. La même enterprise s’est ensuite fait tancer pour avoir elle-même retouché des photos de modèles qui devaient pourtant avoir subversivement transgressé les normes ineptes de ce temps, en se démarquant comme naturelles et non soumises aux canons. Ce fut alors le choc moral…
Nous entrons maintenant nettement dans l’ère de la retouche photo comme discrédit sur lequel on nous juge. Je vous assure que, sous peu, apparaitront des labels comme CETTE ILLUSTRATION EST GARANTIE SANS RETOUCHE qui seront, eux aussi, vrais ou mensongers, ce sera selon. De fait, certaines feuilles à potins garantissent déjà le caractère non retouché de photos qu’elles utilisent… pour dénigrer l’apparence physique, ou la santé, ou le tonus d’une personnalité qu’elles mettent au ban des normes (car il y a aussi le monde sournois et perfide des anti-retouches). Et on débattera. Et les juristes s’en mêleront. La difficultueuse courbe d’évolution de la technologie des retouches photos est clairement en train de perdre tout de sa froide inertie technique de jadis et de devenir un autres épisode de la sourde résistance contemporaine des femmes à la tyrannie des normes d’apparence. Et quand un film attendu fera un bide à cause du fait que la tête d’affiche aura été retouchée sur ladite affiche, les vendeurs de beauté factice en prendront de la graine et, de nouveau, le technologique devra s’incurver devant les pressions du social. On entrera alors dans l’ère de la rectitude photographique. Oncle Firmin ne sera probablement pas restitué au bout de la truffe de Médor sur ma vieille photo de jeunesse… mais toute une imagerie privée et publique des corps et des visages entrera alors abruptement dans le souvenir papier-glacé 2000-2010… l’âge d’or de la retouche photo sauvage (dont nous ne voulons d’ailleurs plus et qui ne nous manque vraiment pas)…
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Paru aussi dans Les 7 du Québec
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cheng said
« Le phénomène des retouche photos s’est répandu entre 2000 et 2010 comme une explosion de fond, au point de prendre l’ampleur et la proportion d’un vaste événement culturel collectif. Vers 2008 la majorité des photos de personnes ordinaires figurant sur le site de relations sociales Facebook étaient des retouchées. »
Je suis une personne ordinaire, je figure sur Facebook, je prends beaucoup de photos de moi et de mes amis, donc, selon vous, je retouche mes photos? Aucunement, je ne saurai le faire, et ne connais personne de mon entourage qui s’adonne à cette activité. Je ne suis pourtant pas un ermite asocial. Peut-être ai-je la tare d’être un provincial, loin du microcosme branché et actuel parisien?
Hormis ce raccourci spectaculaire, le billet est agréable à lire.
ysengrimus said
Mon pauvre ami, vous n’avez absolument aucune tare, sociale ou autre. Mais que dire? Il y a même des tutoraux vous expliquant comment retoucher adéquatement vos photos de Facebook…
Ce raccourci spectaculaire, comme vous dites, je ne l’invente pas. Il est complètement de ce monde…
Martin Turquoise said
Depuis quand la photo est-elle objective? Ce n’est pas une fenêtre sur la réalité, mais bien une représentation. Ne te laisses pas berner parce que ça semble si près de la réalité, ça demeure une représentation. Une photo demeurera toujours très subjective, même si on arrête les retouches, il restera les ajustement en chambre noire la prise de vue, le cadrage, focale, la mise en scène. On dirais que la photo est un médium que l’on redécouvre avec l’avènement du digital. Ce billet révèle bien la paranoïa qui entoure la recherche d’une représentation subjective ces temps-ci.
ysengrimus said
Oui, mais, bon, il y a des degrés…
Sinclair said
Aucun problème avec les retouches photos. J’en fais à la journée longe 😉
ysengrimus said
Vous le confirmez subtilement: il y a des degrés…
Sinclair said
Il y a des degrés dans tout, il y a des goûts et parfois des nécessités…
ysengrimus said
En effet. Et voici un autre témoignage très honnête sur les avantages créatifs de la cyber-retouche photo (par un carnetiste particulièrement sensible au visuel):
Jimidi PHOTOSHOP, POURQUOI FAIRE
Nez Gris said
… dixit le vieil idiot qui n’a jamais été naturellement beau et ne connaît que Facebook comme exemple à citer et diaboliser par la même en simple copie d’une curieuse manie actuellement vissée sur la toile grâce aux médias qui découvrent à peine le principe du Web2.0 et l’utilité des échanges asynchrones numériques. Retourne dans ta grotte, vil troglodyte chevelu.
[euh… dixit Marc Ramakers à la phrase creuse, longiligne et inintelligible… – Ysengrimus]
olympe said
Gagné!
[Bonjour Olympe, je ne comprend pas ce commentaire – Ysengrimus]
K. Mick Az said
Je retouche des images qui sont dans des albums Facebook spécifiés »Images truquées » et si une personne n’aime pas, d’un simple clic, la photo est retirée. Mais, si mon image ne porte pas cette mention directemment dessus, qu’un bouffon l’imprime et l’expose à la vue de tous, suis-je dans la merde?
Joseph said
La retouche! Je n’en dors plus!
Tout le monde est devenu photographe hors pair, option photoshop. Il suffit de prendre une photo à la va vite (3 secondes) et de passer quelques heures (même quelques minutes) pour mettre Cartier-Bresson au même rang que « ton pote qui fait de la photo en ce moment.. ».
Voyez vous même. Hier soir, à moitié bourré, je photographie une amie à la pause clope dans un club…
[La photo a ete retirée par son auteur. — Ysengrimus]
résultat: trop sombre, une balance des blancs dégueulasse (bleu et rose, carrément !), bref une grosse merde.
Puis j’ouvre photoshop lightroom, clique trois fois sur trois trucs dont noir et blanc et puis BAM :
[La photo a ete retirée par son auteur. — Ysengrimus]
regard perçant, grain artistique, clarté.. j’aime…
Et puis NON j’aime PAS ! Quelle honte… Pour la petite histoire je suis à la fois un de ces « parisiens branchés-cool comme il faut » et facebookien socialement réussi. Je suis entouré de pseudos artistes photographes que l’on devrait plutôt qualifier de geeks vu leur utilisation abusive de la retouche…
À quand un collectif anti-retouche? Un label? même informel!
J’aime m’emmerder à jouer sur mon ISO et mon ouverture, ça j’aime… !
ysengrimus said
Pardonnez ma bonhommie, n’y voyez pas une incurie, j’aime bien vos deux photos, en fait. Démultiplié en alternance, en une présentation tapissée genre Andy Warhol, cela rendrait super. Dans votre cas, les retouches font éclater la grenade de fond d’une auto-critique un petit peu trop cuisante, je crois. C’est une opinion strictement perso, naturellement.
Joseph said
Mouais. Le cynisme ne fait pas avancer le débat.
Merci pour le compliment sur la première photo. Je prends assez mal l’idée de copie Warhol, car il y a plein de logiciels pour faire cela en trois clics encore une fois.
Je me répète, je préfère faire de la photo, et j’essayerai d’obtenir l’effet de la seconde avec un appareil uniquement. J’espérais trouver parmi vos lecteurs des gens qui partagent mon opinion.
Quand à votre jugement hâtif…
Tourelou said
Le photoshop est à mon avis un outil fort appréciable pour la photographie commerciale et industrielle. Mais pour un portrait, c’est au photographe de nous présenter ce qu’il a senti comme il l’entend sans juger mais apprécier. Le fait d’utiliser un appareil de type manuel démontre la sensibilité et la justesse avec laquelle l’artiste nous présente le reflet de son art qui est essentiellement dans son esprit au moment de la prise de vue.
ysengrimus said
Vous classez les photos scolaires sous « photographie commerciale »?
nad said
La beauté est naturelle… non artificielle!
Caravelle said
Oui, Ysengrim. Tu as vu juste, une fois de plus. Le jugement négatif sur les retouches photos devient de plus en plus explicite.
[Oui, et en plus, désormais, la dimension censure est aussi signalée (et contestée) – Ysengrimus]
Catoito said
Ysengrim, qui c’est le type photo-chopé en « compagnie » de Staline et Molotov?
[C’est un obscur campion des services secret qui venait d’être fusillé: Nikolaï Ivanovitch Iejov – Ysengrimus]
Sally Vermont said
Une vedette qui a quitté Hollywood à cause des déformations apportées par les retouches photos d’elle sur la couverture de la revue Rolling Stone (article en anglais).
Rose McGowan on the ‘Rolling Stone’ Cover That Made Her Leave Hollywood
Sophie Sulphure said
L’écœurement de la retouche prophétisé par Ysengrimus se concrétise.de plus en plus… et à raison.
Keira Knightley, son coup de gueule contre les photos retouchées
Piko said
On peut maintenant les identifier!
There’s an algorithm that can see whether a photo has been fakedLucy England
(OUI, OUI, EN ANGLAIS)…
Alain D, said
Suite à lecture, il m’est venu à l’esprit que pour un journaliste d’investigation. Une charte devait déjà régir les limites de la correction d’image..Après recherches et lectures, il apparaît que rien n’est strictement définit à ce propos..
[C’est comme l’œuf de Colomb. C’est vrai qu’on a les deux pieds ici dans la falsification visuelle potentielle permanente! Bonne remarque, merci. – Ysengrimus]
Sally Vermont said
Et la conscience fait doucement son chemin…
ET SI C’ÉTAIT LA FAUTE DE PHOTOSHOP?
Mouflet said
Ceci dit, il me semble que la découverte suivante date une peu…