Le Carnet d'Ysengrimus

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  • Paul Laurendeau

  • Intendance

Les idées de JUSTICE et de DROIT n’ont absolument rien d’éternel

Posted by Ysengrimus sur 2 mai 2008

Ce qu’on appelle le « droit » émane toujours des conditions matérielles d’existence

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Bon alors, dans la vision du matérialisme historique, l’organisation de notre vie matérielle détermine les replis les plus intimes de notre conscience et de notre vie intellectuelle et mentale. Les êtres humains configurent et manufacturent leurs conditions d’existence et se donnent ensuite les lois qui les légitiment, les cultes qui les sacralisent, l’esthétique qui les annoblit. On a beaucoup dit que le susdit matérialisme historique ramenait tout à l’économie, que cette doctrine, pour reprendre le mot rebattu, était un « économisme ». C’est hautement inexact. Ce que cette conception dit c’est que COMME L’ORGANISATION DE LA VIE MATÉRIELLE EN PERPÉTUEL DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE DÉTERMINE NOTRE CONSCIENCE, IL FAUT ÉTUDIER L’ÉCONOMIE POLITIQUE PLUTÔT QUE LA MÉTAPHYSIQUE OU LA THÉOLOGIE POUR COMPRENDRE COMMENT LE MONDE SE TRANSFORME ET COMMENT ON PEUT INTERVENIR SUR CETTE TRANSFORMATION. Mais des pans entiers de ce que l’on nomme « économie » sont en fait déterminés par les conditions matérielles d’existence plutôt que déterminants sur elles. La Bourse en est un exemple patent, qui suit servilement et irrationnellement les tendances de la production plutôt qu’elle ne les suscite.

Une des conséquences directes de cette position fondamentale est qu’il n’y a pas de concept stable, que toutes les idées « métaphysiques » se développent comme les conditions matérielles qui les engendrent. Prenons un exemple: l’idée de justice. Au Haut Moyen-Âge, quand un conflit foncier éclatait entre deux hommes de guerre, la pratique voulait qu’on les enferme sous un petit chapiteau et les laisse combattre à l’épée courte. Il était reconnu que la justice était du côté du vainqueur, dont le bras avait alors été guidé par un dieu. La raison du plus fort se justifiait ainsi, en toute simplicité. Empêcher un homme « de bien » d’assumer ce rituel aurait été perçu comme une grave entorse à la justice et au droit. Une autre coutume voulait que le meurtrier d’un homme puisse se dédouaner de toute contrainte sociale en payant à la famille de l’assassiné le WERGELD, une sorte de compensation à la mort violente. Ces coutumes se perpétuent aujourd’hui mais sont soit illégales (le duel, y compris celui des bagarres de rues) soit encadrées dans un dispositif social complètement distinct, qui altère complètement l’idée de justice qui y est reliée. Le DROIT est entièrement en cause ici. Ce qu’on appelle le droit émane toujours des conditions matérielles d’existence. Le vol de bétail faisait l’objet d’une ferme condamnation à mort chez les rancheros de 1850 parce que le bétail fondait crucialement le positionnement socio-économique de ce milieu, basé sur la production et l’appropriation foncières. Chaparder des ondes musicales fait l’objet d’une lourde amende en nos temps «libres», parce que des intérêts commerciaux colossaux dépendent aussi de la brimade de ce droit, qui du temps de Mozart était une petite foucade parfaitement bénigne. Il est dès lors bien inutile de spéculer sur qui, du cowboy de 1850, de Mozart, ou des victimes de notre répression napstéresque, jugerait le «droit» de l’autre le plus inique ou le plus absurde. De nos jours on compense financièrement après des poursuites pour sévice, mais cela ne s’accompagne plus du moindre dédouanement moral. L’idée de justice du capitalisme monopolistique, celle des cowboys et celle des hobereaux moyenageux n’ont tout simplement rien en commun. Le développement des conditions matérielles d’existence les relativise radicalement. On peut encore citer brièvement toute la notion de « droit d’auteur » que les scribes de l’Antiquité, du Moyen-Âge, de la Renaissance auraient considéré comme une ineptie incompréhensible, et que les hommes et les femmes de l’ère de l’Internet finiront bien aussi, malgré tout, par mettre en charpie.

On… peut finalement mentionner les fameux « droits humains » qui s’étirent, s’ajustent, s’adaptent, se rétractent, comme la plus onctueuse des plasticines, fonction du régime en place et des répressions à géométrie variable qu’il entend mener à bien…

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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7 Réponses vers “Les idées de JUSTICE et de DROIT n’ont absolument rien d’éternel”

  1. Daniel Ducharme said

    Je suis étonné que la matérialisme historique ait encore des adeptes aujourd’hui. Mais je ne peux m’empêcher d’éprouver une certaine nostalgie à son endroit… Aurions-nous jeté ça trop vite aux ordures des idées?

    [En un mot: oui… – Ysengrimus]

  2. Mono said

    Si le christianisme a toujours autant d’adeptes depuis plus de 2000 ans, je ne vois pas pourquoi le matérialisme historique ne pourrait pas en avoir encore après plus d’un siècle.

  3. vanish said

    Je trouve que cela fait beaucoup de lignes pour dire que l’argent (au sens large) mène le monde. Mais c’est sans doute plus joliment et précisément dit 😉

    • Tibert-le-chat said

      Tu comprends rien. C’est bien plus complexe que ça.

      [Pourriez-vous élaborer, cher Tibert-le-chat. – Ysengrimus]

  4. Le boulé du village said

    La justice prend effectivement parfois une bien drôle de tournure…

    http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/03/13/un-personnage-de-christine-angot-la-poursuit-en-justice-240469

    Et « celui ou celle qui a raison » fluctue avec l’histoire…

    [Exactement, mon petit Boulé. Bon exemple… – Ysengrimus]

  5. Fridolin said

    La loi du plus fort c’est la loi… en somme.

    [Ou plutôt: l’émanation la plus achevée des rapports de propriété d’un mode de production donné, c’est La Loi… en somme… – Ysengrimus]

  6. A. Lasverne said

    L’existence me semble précéder l’essence, fondamentalement.

    La Bourse me paraît un cas plus complexe, dans le sens où elle influe elle même – le cours des actions, futures, warrants..- sur les fondamentaux qu’elle utilise pour jouer – capital des sociétés, résultats, bénéfices – à la hausse ou à la baisse. Les salariés voient leurs conditions matérielles impactées par le cours de Bourse, parfois de manière déterminante, en cas de licenciement.

    C’est peut-être pour ça que Gramsci prônait une lutte pour l’hégémonie culturelle…

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