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Six stéréotypes sexistes tombés en désuétude

Posted by Ysengrimus sur 8 mars 2014

femme conduisant une voiture

Il faut prudemment apprendre à se méfier du pessimisme militant. Le pessimisme militant fouette ou croit fouetter les troupes en s’appuyant, explicitement ou implicitement, sur ce bon vieil aphorisme que l’on impute à Napoléon Bonaparte: Il n’y a rien de fait tant qu’il reste des choses à faire. Cet énoncé de principe est plus rhétorique que programmatique, on observera (mis au pied du mur de sa logique interne, l’empereur devrait pourtant admettre qu’il est en train de nous dire que le boulot n’est jamais fait, qu’il ne se passe rien, en somme!). Et pourtant, sur la foi d’un tel axiome, nos militant(e)s pessimistes nous servent le développement suivant, dont il ne faut d’ailleurs pas minimiser le mérite (mais simplement bien circonscrire la portée): Notre cause ne doit pas s’asseoir sur ses lauriers. Il est illusoire de s’imaginer que tout est acquis. Concentrer une attention excessive aux réussites minimise le progrès qu’il reste à accomplir. Ce n’est qu’un début, continuons le combat. Pour un (comme disaient les vieux, s’il en reste encore), je suis le premier à endosser pleinement, avec l’excellent Ernesto Che Guevara, l’idée force voulant que la révolution est comme une bicyclette: si elle n’avance pas, elle tombe. Mais je tiens aussi au principe selon lequel si cette allégorie guevariste est si belle et si juste, c’est justement parce que la bicyclette roule vers l’avant, et à bon rythme encore.

Un certain nombre de simili-militantes «féministes», servantes objectives de l’ordre établi, cultivent ouvertement l’affectation oiseuse (fondant leur positionnement de vraies-bourgeoises-fausses-martyres) qu’est ce pessimisme militant. Il s’agit alors de promouvoir rien de moins qu’une sorte de mysticisme occulte de la perpétuation, pesante, onctueuse et inexorable, de l’ordre mâle par d’autres moyens. Franchement, cela confine ouvertement et sciemment au fatalisme le plus démobilisateur imaginable. Les quatre ou cinq sœurs aînées de ma maman (qui, née en 1924, était la benjamine d’une famille de quatorze enfants) ont vécu quelques années de leurs vies adultes sans avoir le droit de vote à leurs élections favorites: les élections québécoise (le droit de vote des femmes au Québec date de 1940). Ma douce mère est devenue infirmière circa 1944. Elle et ses collègues ont du mettre en place leur expertise et leur professionnalisme à une époque où les nurses étaient considérées comme des putains et des filles à soldats. Elles ont été confrontées à des bigots de la calotte et à des réfractaires de tous crins qui refusaient de se faire soigner par les dames en blanc portant la coiffe, simplement parce qu’elles se maquillaient, écoutaient les nouvelles à la radio et fumaient, pendant leurs pauses café. N’allez pas dire à ma vieille mère que les choses n’ont pas progressé pour les femmes, de son vivant! Elle vous raconterait des histoires inimaginables, inconcevables, mais pourtant vraies. Je pense à elle et à son bel héritage progressiste et ce, tous les jours, huit mars inclusivement.

Alors je vais m’installer plus près de nous encore et vous dire deux mots de six (6) stéréotypes sexistes immenses, qui bercèrent mon enfance et ma jeunesse (je suis né en 1958) et qui sont complètement tombés en désuétude aujourd’hui. Ce que je vous raconte là, je l’ai vu de mes petits yeux vu et entendu de mes petites oreilles entendu. Que voulez-vous, on revient toujours de bien loin sans vraiment trop le savoir. Enfin… les hommes et les femmes de ma génération confirmeront si nécessaire… Voici:

1)      Il y a des tâches «biologiquement» typiquement féminines. Un de mes profs de fac circa 1977 cultivait la certitude tranquille que les femmes étaient psycho-praxéiquement fondamentalement plus aptes à plier le linge que les hommes. Ce magister à l’ancienne, déjà un peu retardataire en son temps, que mes consoeurs féministes du temps qualifiaient de phallocrate militant, se basait pesamment sur tout un fatras social-darwiniste pour légitimer cette rhétorique de la spécialisation du doigté féminin dans les ci-devant tâches de manipulation fine. Si l’époque contemporaine ne se gène plus pour parler haut et fort de ce que les femmes préfèrent faire (surtout en matière de loisirs et de plaisirs), plus personne de sérieux ne juge que des tâches, professionnelles ou domestiques, puissent être intrinsèquement ou «biologiquement» dévolues à un sexe plutôt qu’à l’autre.

2)      Les femmes vont voter en bloc pour un candidat «bel homme». Il faut avoir entendu les gros couillus d’autrefois qui n’aimaient pas Jean Lesage ou Pierre Trudeau bramer et déplorer que leur épouse allait annuler leur vote, juste à cause de l’allure photovisuelle ou télévisuelle du personnage. La question de savoir si l’apparence physique des candidats masculins a déjà effectivement été un vecteur électoral, auprès de l’électorat féminin d’une époque, reste ouverte, concédons-le. Mais une certitude est bien installée au jour d’aujourd’hui. Cela ne se fait pas ou plus. La question de savoir si les femmes vont voter pour une candidate par mimétisme féminin est, elle aussi, de plus en plus questionnable. Les femmes votent au programme, point, et la démagogie électorale en est de plus en plus consciente. Il suffit de lire les plates-formes des partis de toutes obédiences pour nettement s’en aviser. Indubitablement, Justin Trudeau n’est pas sorti de l’auberge…

3)      La femme ne sait pas conduire une voiture. Bon, admettons-le, ma maman (née en 1924) pesait sur le gaz d’un pied et sur le frein de l’autre et quand elle avait le malheur de faire ces actions simultanément, la petite voiture d’appoint [sic] se retrouvait au garage. Mais, déjà à l’époque, la personne qui riait le plus d’elle pour ça, c’était ma sœur (née en 1957), conductrice émérite depuis 1975 environ. Les farces plates réactionnaires (au sujet) de femmes-ne-sachant-pas-conduire formaient pourtant, malgré ma sœur au volant (contre ma mère), un véritable paradigme humoristique à l’époque (un peu comme nos plaisanteries de belges ou de blondes). Toute une génération de femmes a bien subit la pression du bullying masculin au volant. C’est fini. La femme au volant est un acquis tranquille et les contrariétés phallo-routières d’autrefois sont inimaginables, même pour les femmes de ma génération. Elles doivent fouiller dans leur mémoire pour revoir ces horreurs.

4)      La jupe est un vêtement plus féminin que le pantalon. J’entends encore un de mes copains de collège claironner ça à la cantonade, l’année de l’élection du premier Parti Québécois (1976). Le commentaire masculin sur la tenue vestimentaire des femmes, à cette époque, n’était pas un acte intime mais bel et bien un gestus social. Les comportements ont subit une mutation profonde sur la question vestimentaire depuis. Les femmes se sont appropriées toutes les tenues, prouvant qu’aucune n’était «plus» ou «moins» féminine. And today… ben bien des hommes se languissent en cachette, rêvant d’enfiler des jupes et de monter dans des talons aiguilles. La fameuse révolution de l’unisexe, lancée tapageusement circa 1970-1973, n’a plus rien de révolutionnaire. Elle est de fait une banalité factuelle des plus prosaïques… pour les femmes à tout le moins.

5)      «Pour gagner le cœur d’un homme, il faut commencer par son estomac». Cet aphorisme, qui sonne aujourd’hui comme une absurdité hirsute, fut longtemps la ritournelle de la séduction bon teint, vue dans l’angle féminin. Il fallait se prouver à marier pour plaire et, en cela, les aptitudes de servante accomplie occupaient une position centrale. Je vous épargne les développements concernant la transposition sexuelle de cet aphorisme. La parade de séduction a connu une révolution aussi profonde, radicale, originale et novatrice que la division sexuelle du travail. Il faudra un jour blablabla-bloguer la question suivante: que faire pour gagner le cœur d’un homme? Les filles répondront en explicitant toutes leurs astuces d’échéphiles pour capter, saisir et décoder la culture intime de la bête curieuse masculine (ni supérieure ni inférieure mais, quand même, bien bizarre). La cuisine utilitaire et la tenue de maison ne feront certainement pas partie, alors, de l’équation séduction…

6)      L’intuition féminine. Il faudra un jour écrire une histoire ethnographique de la mythologisation autour de ce concept vide. Il fut un temps, mesdames, où l’outillage perfectionné de la rationalité ordinaire était un apanage exclusivement masculin. Le cogito féminin ne disposait que d’un seul gadget pour se faire valoir alors, l’intuition. Comme il fallait, de surcroît, bien ménager l’ego mâle, une combine intelligente de fille ne devait susciter (de sa part ou de la part de quiconque) qu’une exclamation unique, monocorde, monadique: Ah, l’intuition féminine! On l’as-tu entendue celle-là, dans le temps! Comme l’intuition est une irrécupérable foutaise gnoséologique (ceci n’est pas un déni de son éventuelle existence mais bien un constat de sa nullité intellectuelle tendancielle), l’intelligence des femmes ne s’insulte plus elle-même en se planquant derrière ce camouflage aussi surfait que parfaitement asexué.

Voilà… Alors, ne le nions pas: comme la bicyclette de Guevara, les choses avancent. Même malgré nous et à l’encontre de nos résistances, pas toujours spectaculairement mais implacablement, elles progressent. Le monde change. Et ce qui s’inscrit le plus solidement dans l’irrémédiable le fait souvent avec la plus éthéré des dispersions sociologiques, sans trompettes. Il y a bien de l’imperceptible, et de l’impondérable, et de l’impalpable dans ce qui procède du mouvement historique par grandes phases.

Bon huit mars à toutes et à tous. Continuons le combat et… gardons un œil acéré sur tous nos pessimismes.

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Paru aussi dans Les 7 du Québec

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